LE SALON DE MUSIQUE

Partition pour symphonie estivale

Jeanne Hyvrard



Huit heures ! La débroussailleuse. Sans doute celle des employés municipaux. Impossible de savoir sur laquelle des deux rives de la rivière. Plutôt celle d’en face.


Les oiseaux. On ne confond pas leurs cris. Celui des corneilles que par facilité, on prend à tort pour des corbeaux volant en groupes plutôt denses. Ce sont des oiseaux sociaux, et bien que ce ne soit pas encore le moment de s’entraîner pour survoler vers l’horizon du Sud, avec une certaine aisance la base de cieux, il faut tout de même s’habituer à ne pas se séparer, car la migration sera longue !...


Les voix des passants. Leurs commentaires qu’on comprend à demi. Mais pas encore celles des touristes, c’est encore trop tôt.


Les voitures en contre bas sur la route et crissant, les pneus de celles qui font demi tour sur la Place de la Vieille Église. C’est ainsi qu’on appelle ce remarquable monument historique, partiellement troglodyte dont les fondations remontent au onzième siècle.


Un chien qu’on siffle.


Dans le figuier, accolé à la façade de la maison, comme c’est la traditionnelle façon d’être de ce végétal, le pépiement effréné des hirondelles qui se rassemblent là depuis que les fils électriques sur lesquels elles le faisaient autrefois ont été, au nom de l’esthétique de ce lieu classé - désormais très fréquenté - retirés.


Sur le balcon constitué de grandes dalles de pierres, le choc dur et mat d’un fruit qui tombé prématurément, ne mûrira pas.


Dans la maison, le pas lourd d’un homme presque septuagénaire qui en long et en travers, déambule au second étage et dans la cour, la plainte de sa femme, à peine plus jeune, en proie aux souffrances générées par la descente du gigantesque escalier de pierre le long du rocher que ceux qui ne sont pas habitués au village appellent à tort la falaise, alors qu’il n’est pas au bord de la mer.


Le ferraillement d’un loquet particulièrement complexe à manipuler.


Un échange de salutations. Celles d’usage au matin.


Le grincement des portes en bois blanc teinté du bahut dit de la Tante Marguerite, ce qu’il est effectivement. Laquelle était si on le calcule exactement l’arrière-arrière-grand tante des plus jeunes enfants de ce lieu. Du côté paternel. Ces portes là ne grincent pas du tout de la même façon que celles du bahut installé de l’autre côté de la pièce et dans lequel on range l’épicerie. C’est le produit de la récupération interlope effectuée dans une association par un aïeul du côté maternel. La porte de droite en est partiellement déglinguée, ce qui en explique la particularité sonore qu’on ne retrouve pas chez son frère jumeau, installé au dessus, au deuxième étage dans la chambre d’été.


A toutes les heures du jour mais non pas de la nuit, les cloches de l’église, dans ce cas là, la nouvelle qui est tout de même déjà elle même assez vieille, mais sans comparaison avec celle qu’on nomme telle et qui outre à la petite place, donne son nom à la rue haute du vieux village. A toutes les heures, les cloches, et pour qu’on comprenne bien de quoi il s’agit, deux fois de suite, le même nombre de coups répétés. Dès lors, il est impossible de l’ignorer, au moins dans la journée.


La micheline qui file plein Sud vers la Méditerranée, mais ne s’arrête plus à la toute petite halte dressée entre la route et la rivière. Elle s’y arrêtait autrefois, et même encore l’année de l’installation dans ce lieu. On est content de se souvenir l’avoir prévu et s’être dépêché d’y monter prenant directement comme c’était la règle, son billet auprès du contrôleur. On se souvient même comme le soir, le cheminot annonçait le nom de l’arrêt avec un accent qui déchirait le cœur. De la maison sous le rebord du causse, on entendait cette voix du fond de la vallée. Mais depuis, le train direct pour Paris a lui-même été supprimé. Le voyage ferroviaire est alors devenu désormais si difficile qu’il est plus pratique d’aller prendre l’avion à la métropole régionale dans les vignes du Languedoc.


Les corn flakes dégringolant dans le bol d’une petite jeune fille. La cuillère qui cogne contre la céramique de l’un des plus grands, rare cadeau de l’hôte pourtant pendant des années, la plus assidue. Et la manducation si caractéristique sur ce genre de nourriture. Un moment après, le froissement du papier cristal à l’intérieur de la boîte en carton qui porte le nom de la firme.


De la rivière la voix des bateliers haranguant les touristes. On est étonné de l’acoustique de ce méandre, et pourtant cela est !


Dehors, un enfant qui appelle et un homme qui sifflote.


Les portes vitrées et battantes de la pièce principale ouvrant sur le balcon et transformant de ce fait ce lieu en terrasse surplombant la rue où est sise la maison, tout en haut de ce vieux village lové dans le creux du rocher comme un ksar antique, la route et tout à fait en bas, la rivière avec ses étroites rives cultivées en jardins. Les géographes parlant plutôt de polyculture et les économistes de maraîchage. De l’autre côté de cette grande baie, lieu central de la vie quotidienne, une petite porte basse qui claque parfois si brutalement qu’on en oublie alors comme elle est dure à ouvrir et comme s’en plaint elle-même, la poignée de cuivre.


La cellophane arrachée d’un lot de trois plaques de chocolat, vendues ensemble.


Le tiroir de droite du bahut de la Tante Marguerite, les couteaux qui s’entrechoquent, tout particulièrement leurs manches d’ébène nostalgiques et résistants.


Le jus d’orange versé dans un verre. L’un de ceux Arts Déco de couleur rose, achetés un par un dans les brocantes, certains dont le pied est remarquablement ciselé et la grâce de considérer comme un exploit de parvenir à en ré-appareiller deux du même modèle.


Le grondement si caractéristique de la porte de communication entre la cuisine et le salon, cette fois, mais pas seulement, aménagé pour être la chambre des enfants, cet été là désormais adolescents.


Les feuilles du journal tournées par la liseuse installée sur la banquette, les pieds posés sur la chaise longue tendue d’une toile verte rayée. Celle qu’il a fallu rachetée après que des amis indélicats n’aient pris aucun soin de celle qui l’avait précédée. Le projet un moment caressé d’en changer uniquement le tissu, avant d’y renoncer devant l’ampleur du travail, la complication et le peu de garantie de la solidité à venir.


La couverture cartonnée d’un livre raclant la grande table en bois sur laquelle, quoique assise sur le banc, est à moitié couchée l’adolescente.


Le vent dans la voûte verte du figuier. Est-ce l’autan qu’on appelle ici simplement le vent du midi ?


La pointe d’un rapidographe, ce stylo des dessinateurs industriels sur la feuille de papier Canson. Du nom du gendre des Papeteries Montgolfier occupées elles mêmes à d’autres courageuses innovations.


Un soupir de la petite jeune fille.


Un pépiement de passereau qui n’est ni celui d’une hirondelle, ni non plus celui du rouge queue. Impossible de les confondre.


Dans la souillarde, cette petite pièce crépusculaire attenante à la cuisine et consacrée aux eaux, le linge qu’on foule au milieu de la bassine en plastique qu’ensuite on renverse. Un vêtement qu’on essore et les pas de la jeune lavandière qui va à l’extérieur, étendre sa lessive. La conversation sur la couleur du dit récipient, bleu pour l’un et verte pour l’autre.


Une plaque de chocolat au riz, brutalement cassée en deux.


Un bol qu’on débarrasse en le mettant dans l’évier. A l’intérieur la cuillère qui tinte.


A la surface de l’eau de la rivière, les pagaies des kayaks la frappant comme des ponctuations qu’on entend par bribes dans les conversations des rameurs. Des vacanciers intrépides plutôt que des sportifs.


La voiture du voisin qui part visiter son père à la maison de retraite, en amont dans la vallée. La manœuvre de sortie du hangar est pénible tant la rue haute du village est étroite, rue haute que le dit voisin nommait alors de son propre chef : Rue de la République. Appellation personnelle non retenue finalement par la Commune. Son fils habite la Sous Préfecture du département et vient toutes les fins de semaine, quelquefois avec son épouse.


Les oignons qu’on coupe sur la paillasse en carreaux vernissés rouge foncé. Les pruneaux qui dégringolent de leur contenant jusqu’au rôti de porc déjà dans le plat en terre.


Imperceptibles sauf aux oreilles attentives, les touches de l’ordinateur sur l’écran duquel on projette les photographies qu’on vient de prendre.


Marcel Pagnol lu à la Radio.


Un avion. Pas celui des exercices militaires dont on a l’habitude, et qui depuis de longues années, tous les après midi à la même heure déchirent le ciel mais plutôt un hélicoptère, sans doute pour des excursions touristiques. Depuis enjambant les Causses, la construction de l’œuvre monumentale de Sir Norman Foster, la modernité se fait tous les jours plus pressante.


Le banc qu’on traîne sur les tomettes terriblement rustiques.


Le grincement aigre de la porte de la souillarde péniblement décapée autrefois, et encore pas autant qu’il aurait fallu !


La porte d’entrée de la cuisine, au premier étage sur le balcon de pierres couvert seulement à cet endroit là par ce qui est au deuxième aménagé en terrasse. Aucune des portes de cette étrange maison ne fonctionne de la même façon. Celle là produit un chuintement très lent à cause de la déclivité du sol entraînant là une sorte de fermeture automatique due à l’arrimage du métal d’un autre âge à un loquet pas plus moderne, évoquant plutôt une maison de force que d’habitation. L’extravagante épaisseur du mur à cet endroit là. La découpe rectangulaire pratiquée dans cette porte monumentale par l’autre voisin, celui dont les eaux s’écoulent dans la cour qui sans être mitoyenne en droit, ne saurait en aucun cas s’opposer à la logique du lieu. Cette ouverture incongrue avait selon lui pour but de donner un peu plus de clarté à la femme qui dans cette pièce cousait des gants, comme tous les habitants des maisons environnantes. Cela pouvait se comprendre avant qu’on abatte la cloison pour réunir ce minuscule espace de travail, sorte d’appentis archaïque se résumant à l’âtre et au potager, à la salle à manger pour en faire la grande pièce contemporaine telle qu’elle est désormais. A l’époque la souillarde n’était pas encore construite et on sortait de là directement dans la cour pour atteindre contre le rocher la citerne qui recueillait les eaux du toit.


Les pas de la petite jeune fille retournant dans ce qui est l’espace de la progéniture au sens large, cette sorte d’appartement à l’intérieur même de la maison, car c’est en passant au travers de ce premier local qu’on accède à la plus belle pièce, la chambre bleue occupée par la seule quadragénaire. L’espace ainsi traversé peut se rêver comme un salon de musique, et sans doute, dans les fantasmagories que génère abondamment cette bâtisse ni mas ni manoir en déshérence, en est-il un. Non pas seulement parce qu’une fois il a été utilisé comme tel, mais parce que de façon idéale, dans un autre contexte, il pourrait le devenir.


Les couvercles des deux cocottes, celle en tôle émaillée orange donnée au moment du mariage par la grand-mère paternelle de la femme la plus âgée, et celui de celle en fonte, très lourde, typique de époque de la révolution industrielle, tellement archaïque qu’elle en avait été abandonnée dans un lieu insolite, là où on l’avait ramassée.


Les pelures d’oignon qui se détachent en cercles concentriques.


Une allumette qu’on craque.


La lame du couteau qui tente de dégager les olives adhérant au fond du bocal.


L’eau bouillant dans la casserole en tôle émaillée couleur chaudron.


La pile d’assiettes qu’on extirpe péniblement de l’étagère du haut du bahut de la Tante Marguerite. Achetée au hasard des brocantes, elles sont presque toutes différentes, le thème de la nature végétale et animale et la couleur bleue ayant malgré tout tenté de leur donner une unité qui reste encore à inventer. C’est qu’on trouve de moins en moins de vaisselle de ce genre là. Sans doute ces magnifiques produits de l’industrialisation, véritables œuvres d’art, ont-elles finies par être toutes rachetées ou cassées. En tous cas, la variété dans le meuble de la cuisine est tout de même suffisamment grande pour que chaque convive puisse choisir, non chaussure à son pied, mais assiette à sa bouche. Les uns prennent toujours la même, les autres changent selon les repas, quelques uns s’en moquent complètement. Il faut alors décider pour eux. Tout en essayant de maintenir l’harmonie de l’ensemble.


Au bout Est de la grande table aux pieds tournés, le tiroir dans lequel on range le pain, et autrefois dans lequel on asseyait les petits enfants, selon ce qu’avait raconté la voisine maintenant décédée, l’épouse de l’homme que son fils vient voir toutes les fins de semaine.


La scie à pain, le tranchant. Les variantes selon les variétés de céréales, leur densité et l’art du boulanger.


Dans la souillarde, sur un amoncellement de cailloux, les dalles qui tanguent. Monumentales elles datent des siècles précédents, et les entreprises de restauration ayant tourné court, elles n’ont finalement pas été fixées. On le regrette mais on s’en accommode comme de tous les inconvénients de cette invraisemblable bâtisse. Debout dessus on peut avec un peu d’imagination se croire sur le pont d’un bateau. C’est d’ailleurs presque vrai si on admet que dans les airs cette nacelle flotte entre le rocher dans lequel la maison partiellement troglodyte s’enfonce et la vallée, au milieu des oiseaux.


Dans la chambre bleue, la plus belle, la seule véritable dignement habitable au point que c’est là qu’on installait autrefois les fréquents invités, le crissement de la porte de l’armoire à glace grand paternelle, dont celui qui l’a donnée – son fils - semblait plutôt heureux de se débarrasser. Elle conserve à l’abri de la poussière, de la saleté et du vent, suffisamment de linge pour tenir en cas de difficultés, un bon moment.


Un vent d’orage dans le figuier.


La porte fenêtre du salon qu’on ne peut presque plus ouvrir, faute de pratique, les ferrures artistiques et complexes en ont rouillé et celle de la chambre bleue qu’on peut encore pratiquer à condition de la tirer brutalement. La porte en bois qui du même salon ouvre sur la cave voûtée du premier étage, habitacle qu’il a fallu beaucoup de temps pour vider de la masse de pierres que les précédents habitants y avaient accumulées.


Le claquement de la porte des cabinets, édicule baroque dans la cour, peint en brun Van Dyck. Pas seulement à cause du nom mais parce que c’est la couleur traditionnelle des portes et des volets de ce pays.


Les journaux qu’on trie et qu’éventuellement on se dispute. Il y en a pour presque tout le monde. Du moins pour ceux du jour qu’on va chercher le matin.


La banquette qu’on traîne pour dégager l’ouverture de la porte fenêtre dont les battants se replient à l’intérieur de la pièce principale. Elle a été achetée dans un déballage de supermarché lorsque la précédente, de paille et de frêne, écologique et écologiste avant la mode, s’était en bout de course complètement effondrée et qu’il avait fallu en attendant la décharge, la descendre au rez-de-chaussée du bâtiment, dans la bergerie voûtée. Elle est accompagnée d’un fauteuil assorti pour la femme âgée dont la carcasse commence à réclamer un confort qui n’a pas été prévu lors de l’installation dans cet établissement et qu’eu égard à la configuration des lieux il est difficile d’introduire désormais.


Le banc qui frotte sur les vielles tomettes, les hexagonales dans cette partie de la pièce du côté de la grande baie vitrée, alors que du côté de l’âtre et du potager, elles sont carrées.


Accidentellement une explosion dans la gazinière comme on allume le four pour préparer le déjeuner et qu’on s’est demandé s’il ne fallait pas changer la bouteille portative.


Le miaulement expressif du chat qui tente d’obtenir l’égalité complète.


Un étui à lunettes qu’on ouvre, referme et pose.


En contrebas dans la vallée, des coqs qui se répondent.


Le cliquetis du petit crochet d’aluminium qui à cause du vent, maintient ouverte la porte de la cour du premier étage, cette bizarrerie qui déclencha le coup de foudre pour cette maison. Bizarrerie pourtant bien moins bizarre que dans l’encadrement de la porte concernée comme celui d’un tableau, la vision du rocher donnant à penser à une œuvre de Magritte. Pas seulement la vision du dit rocher improprement nommé falaise par certains, mais aussi de la grotte qui pourrait être aménagée en guinguette, des broussailles et des nids d’oiseaux, le tout couronné par l’espace dégagé ouvrant sur le ciel.


Le bombardement de caillasses qui tombent dans la cour, car le rebord du causse surplombe la maison. Au point tout de même par moments d’en être inquiets. Certains sont peut-être seulement le résultat de l’activité des volatiles du lieu, mais d’autres tellement plus nombreuses que d’habitude paraissent les signes avant coureurs d’un éboulement du rocher.


La bassine qu’on balance plutôt qu’on la range sous l’évier.


Presque imperceptible, le tic tac du réveil dont on enlève la pile en partant, si on veut qu’au retour, il puisse reprendre son fonctionnement.


La trille isolée d’un oiseau. Le manque de connaissances suffisantes pour pouvoir l’identifier.


Pour éliminer les toiles d’araignée sans cesse reconstituées, la paille du balai contre les murs et le plafond.


Dans la porcelaine ocre de l’évier, la vaisselle qui s’entrechoque. Puis après un moment dans l’égouttoir en plastique – l’air étant chaud, elle sèche immédiatement - le glissement nécessaire dans le bahut pour lui faire reprendre sa place. Sur les piles d’assiettes, creuses ou plates.


Tonnerre au loin dans la nuit.


Claquement du linge attaché le long du fil de fer du balcon, avec des pinces en plastique. On a dû renoncer à celles en bois, plus esthétiques mais pourrissant rapidement.


Le charroi du cantonnier vaquant à ses occupations municipales, notamment l’arrosage des fleurs appartenant à la Commune. On pourrait le dire jardinier, mais il ne fait pas que cela.


Le klaxon d’un train. Plutôt qu’un avertissement, un salut amical au caboulot sur pilotis installé entre la route et la voie de chemin de fer. Depuis sa terrasse, un peu au dessus de la rivière, à cause de la végétation et de l’ambiance, on peut pour un peu s’imaginer dans une terre bien plus lointaine.


L’interrupteur en porcelaine qui donne la lumière.


Sur le balcon, dans le vent, le froissement d’un journal qu’on tente de maîtriser. Ce n’est pas si facile.


La manducation d’un petit jeune homme au dessus d’un bol en céramique dont il fait l’éloge de la brillance et du vernis. Bol acheté à la poterie du village installée depuis peu dans ce qui était autrefois l’école.


Éternuement du garçonnet. Le livre dont il tourne les pages.


L’aiguille sur un canevas qu’on tord. Désormais on les fabrique en plastique, cela évite leur déformation mais n’est pas forcément agréable à utiliser.


Le gémissement du cadre en bois de la chaise longue sur lequel le petit jeune homme s’agite. Les injonctions des ancêtres qui le voient faire.


La gomme rattrapant les erreurs de la grille des mots croisés sur la page des jeux d’un quotidien. La main qui l’époussette pour fignoler le travail et continuer à pouvoir écrire.


Les chamailleries entre frère et sœur.


La porte du deuxième étage qu’on a beaucoup de mal à ouvrir et encore après avoir longé le rocher, traversé la grotte et la menuiserie voûtée dont on avait un moment au temps de la splendeur pensé faire la vraie chambre. La même pour l’hiver et l’été.


Les ressorts du lit de la chambre d’été et après un moment le couvercle métallique d’un récipient d’urgence.


Les portes de la terrasse sur laquelle la vieille femme écrivait autrefois, en plein ciel, au milieu des oiseaux. Celle de droite à l’âme cristalline et celle de gauche qu’il faut un peu forcer pour ouvrir, mais tout de même moins que celle du palier.


Des pas tragiques et lourds dans l’escalier de pierre, le long du rocher.


Les couverts qu’on retire du pot à lait dans lequel on les a entreposés pour les laisser sécher.


La cuillère en bois dans la casserole d’aluminium sur le fourneau.


Le pain tiré de son sac de cellophane.


La porte du réfrigérateur. Ouverte et refermée.


Les assiettes qu’on répartit sur la table pour y dresser le couvert.


Les pas traînants du jeune garçon dans ses savates.


Le bol cognant contre l’évier dans la souillarde.


Le nettoyage de la grande table à l’aide de l’éponge bicolore, d’abord grâce à la face jaune, puis avec la verte pour venir à bout des tâches rebelles.


La protestation du chat à qui à plusieurs, on enjoint fermement de descendre du bahut qui vient d’être ciré. L’émotion de la trace parfaite de ses coussinets sur le plateau du dessus.


Les plaintes de la femme âgée dont tout dans sa carcasse lui fait mal, à l’étage et dans la nuit.


Dans la cour, le battement d’aile du rouge queue, qui surpris s’envole. Et pourtant c’est un habitué.


A la radio, le récit de la vie de Marlène Dietrich disant au sujet d’Alain Delon C’est un tourment, cette beauté là !


Les pinces à linge qu’on détache du fil du fer avant de les laisser se refermer sur le vêtement mis à sécher.


Juste devant la porte une voiture qui s’arrête le temps de décharger un monceau de victuailles au pied de l’escalier, sous le compteur électrique. Un moment après le même véhicule reculant en marche arrière jusqu’à la placette.


Les mâchoires du chat sur un morceau de lézard, le scandale de l’état de nature de la Nature et de l’Etant.


Un sac à provision qu’on déplie. Un de ceux qu’on achète dans les grandes surfaces lorsqu’on n’a pas de panier ou de cabas. A la demande de sa mère, le petit jeune homme a projet d’y rassembler son linge sale.


En contrebas, une portière qu’on claque.


Un fil à coudre, coupé d’un coup sec avant de reposer la paire de ciseaux sur la grande table en bois qui sert à tout et tous.


Un carnet qu’on retire de dessous une pile. Le glissement d’un cuir sur le papier Canson.


Le moteur de la barge des bateliers. Son arrêt face au village sis dans le méandre de cet affluent de la Garonne, et le début des explications concernant ce lieu qu’habitaient autrefois les ours, les rhinocéros et les mammouths.


Le battement de la porte du four qu’on allume, le grand plat long en terre réfractaire dans lequel le poulet va cuire. Au dessus la moulinette à poivre.


Les lunettes de l’aîné des occupants actuels de cette bâtisse. Posées sur le bahut.


Grâce à l’anneau prévu à cet effet, l’ouverture d’une boîte de taboulé dont on tapote le fond pour en extraire jusqu’au bout le contenu et le carton d’emballage déchiré pour tenir moins de place au milieu des ordures.


Les raviers de poterie ancienne jaune paille glissant sur la paillasse à carreaux. Ils sont trois presque tout à fait semblables, achetés ensemble dans la même brocante, à l’autre bout du pays.


Le jet des résidus dans le sac en plastique noir qui dans la poubelle, accuse le coup.


La lame d’un couteau remuant le gras au fond de la marmite.


Dans le plat long déposé sur le dessous de plat, le grésillement du poulet qu’on sort du four.


Le chat qui se gratte vigoureusement le cou en dépit du collier anti-puces apparemment insuffisamment efficace.


Le raclement du balai des voisins d’en dessous, de l’autre côté de la rue, sur leur terrasse. Ils viennent tout juste d’arriver et s’installent.


Dans le vaste tiroir de la table, la recherche du pain et les sacs en papier que pour ne pas être induit en erreur, on froisse lorsqu’ils sont vides.


Des seaux d’eau qu’on remplit pour pallier aux réparations qu’on n’est plus en état de faire. A l’impossible nul n’est tenu.


La toux qui accompagne la rhinite. L’interrogation sanitaire concernant la source communale, car ce n’est hélas pas la première fois.


Brutalement le couvercle de la poubelle qui retombe.


Les casseroles qu’on raccroche contre le mur. La différence entre l’assourdissement de celle en tôle émaillée et de celle plus aiguë, en aluminium.


La pluie dans la cour et près du balcon, sur le figuier.


Dans la maison d’en dessous, une fenêtre brutalement refermée.


Sur les tomettes d’une pièce à l’autre le silence absolu des pattes du chat allant de la cuisine au salon de musique, aujourd’hui la chambre des enfants, le chœur battant du monde dont les bruits venus de tous les lieux de la matière forment sans jamais être identiques, une symphonie tous les jours inédite, tous les jours en mouvement et dans laquelle s’estompent les catégories de la pensée humaine pour lui permettre de renaître autrement au sein même de l’Etant.


Dans la serrure de la cuisine, le double tour d’une clé digne d’un musée du Moyen Age.


En bas sur la rue, la porte à claire voix, pièce de musée à elle toute seule, celui plus léger de la clé qu’il a fallu faire rallonger au serrurier de la ville, près de la gare. Elle en garde toujours le stigmate à cause de la soudure d’une toute autre couleur.


Le moteur de la voiture chargée de tous les bagages qu’on emmène désormais loin de la villégiature.


Le sol de la ruelle autrefois boueuse, maintenant bitumée.


 

Jeanne Hyvrard, été 2011

  

Retour à la première page

Mise à jour : mars 2019