BEAU PIGEON BELLE TOURTERELLE
Cinquante quatre poèmes volatil(e)s
Jeanne
Hyvrard
Au commencement la nuit la brume
flottait déjà sur le vallon
Mes amies blanches ont des plumes
Elles étaient là comme deux colombes
L’oiseau géomètre mesure le ciel à
tire d’aile
Sur le pieu de la parcelle Nord
Rouge la rouge gorge du rouge-gorge
Les lauriers roses sont morts de
froid
Quand j’ai ouvert la porte de l’étage
Un nuage de cendres recouvre la
vallée
Le causse noir est couvert de neige
J’entends le rouge-queue dans la
cour
Au-dessus du viaduc de Millau (Escadre céleste)
Assise sur la jardinière en terre
cuite
Cette fois la palombe exagérait
vraiment
Dressée sur la rambarde du balcon
Au commencement la nuit la brume flottait déjà sur le vallon
Il n’y avait ni vache ni mouton
Ni saule ni frêne ni herbe ni haie
Fut-elle de charmille ou d’aubépines
Et les oiseaux qui survolaient le bocage
N’avaient lieu où reposer leurs pattes
Leurs ailes étaient de purs vaisseaux sur les flots de l’éternité
Et mésanges chardonnerets loriots
Rouge-gorges bouvreuils pinsons
Naviguaient à l’estime entre les astres du firmament
Ils étaient les maîtres de la terre
Et les poètes leurs rivaux gestaient encore dans les plis du limon
Les oiseaux rampant
Pintades poules et canards
Ces formes terrestres du rêve pastoral
N’étaient même pas en projet
Ni l’Epte la rivière chérie
Ni les mares et prés marécageux
Ni les pieux ni les clôtures
Notre Mère la Terre dit
La vie sera mais elle ne sera pas d’un seul coup
Elle se fera par étapes successives
D’abord L’Homme
Et pour finir les pivoines et les roses
Les logiciels et l’électricité
Oiseau lyre
Oiseau vivre
Demain Saint Valentin
Amour
Toujours
Chantant
Désir d’accouplement
Cœur battant
Je t’attends
Qui leur poussent au bout des bras
Oisons oisonnes
Ames volatiles
Nacelle d’espoir d’envol
Nils Holgerson
Voyageur au long jars
Souffle de ma solitude
Pourquoi m’as-tu laissée
Ivre de lecture
Clouée au sol
Entrelaçant leurs cous
Aile contre aile
Pattes contre pattes
Sagement assises sur le perchoir des chaises
L’une était triste
Et l’autre aussi
Elles s’ennuyaient
Elles recoulèrent langoureusement
Se firent un signe
Et s’envolèrent
Entrelacent leurs cous
Dans les bras
Dans le lit les liseurs
Entrelacent leurs livres
Et dans le tournoiement des pages
Du gonflement des verbes
Un roucoulement s’élève
Oiseau oiselle
Signifiant signifié
Gent ailée
Mots aimés
Au rebord du trottoir
Négociaient la poursuite du monde
Lui d’un battement d’aile
Tentait de convaincre la belle
Elle
Dubitative se dérobait
Comme elle pouvait
Mais acculée
Dut bientôt se laisser faire
Entre bitume et goudron
Il pesa un moment
De tout son poids de plumes
Et de plomb
Son travail accompli
Il s’en fut
Elle
Après cet intermède
Retourna à ses affaires
L’oiseau scribe déploie ses plumes et son grimoire
L’oiseau peintre délave le monde au bleu céleste
L’oiseau poète gobe les mots en plein vol
Tournent tournent
Volent au vent
Tourterelles
Tournent tournent
Bientôt le printemps
Comme un mauvais présage
Ses longues longues pattes toutes raides
Allongées entre deux ciels
Ses ailes effilées
Presque déchiquetées
Battant l’air
Lentement
Il survolait à basse altitude
La route et les champs
Ce n’était pas un héron
Ni une cigogne
Le volatile était d’un noir éclatant
Sans la moindre plume
Blanche ou grise
C’était sans doute un migrateur
Mais volant là en solitaire
Il n’était pas en migration
Et dans cette campagne trop verte
Au prime abord de la Toussaint
Cette noirceur volante et familière
Inquiétait d’autant plus
Qu’à rebrousse saison
Le ciel lui-même
En proie aux affres de l’orage
Se troublait
Qu’importe le nom de cette étendue verglacée
Miroir concave au creux du verger
Où se mirent
Le merle frigorifié
Et le loriot désemparé
Du fond de la Normandie
Je guette le Jaseur Boréal
Migrateur erratique
En provenance de Sibérie
C’est un oiseau gris
Au front rosé
Sa tête est couronnée
D’une huppe au faciès
Etrangement étrange
Et ses grandes ailes sont bordées
De longues plumes blanches
Striées et colorées
Du moins pour ce que j’en sais
Car je ne l’ai jamais vu
Du fond du vallon
Je surveille la venue de celui
Dont nos aïeux croyaient
Que visiteur épisodique
Il annonçait les grands froids
La guerre
La famine et la peste
Et les épizooties
Sentinelle sans guérite
Entre coteau et colline
Je guette le mauvais présage
Et je médite
Sur les changements climatiques
Une buse un moment s’était posée
Ses grandes ailes fauves et noires
De tout leur long
Sagement repliées
Elle tournait sa tête et son bec
Vers l’Ouest puis vers l’Est
A l’Ouest et
Comme de la cuisine
Installée derrière elle
Au Sud
Je la regardais pleine de grâces
Pour ce moment de grâce
Elle ouvrit ses ailes
Pour fondre sur sa proie
Fuyant dans l’herbe
Ce vol lourd
J’en restai dépenaillée d’effroi
J’ai presque tout planté moi même
Sauf les tourterelles
Elles me le rendent bien
Me laissant libre
D’aller et venir
D’aller et de revenir
D’aller et d’en revenir
Dans mon jardin
J’ai tout planté moi-même
Ou presque
Et même maintenant les tourterelles
A mon corps défendant
A mon corps défendu
Cette année là
On mariait Petit Cousin
Entre boiseries et chapeaux
Les bouquets embaumaient
Et les cierges illuminaient
La gorge commune recueillie
Modulait cantiques et psalmodies
En lentes vibrations
Sous la voûte
Le chant ecclésial s’élevait
Tournoyant sous les briques et les pierres
Entre Vexin Normand et Français
Perché sur la rosace
Contre le bleu céleste
Un oiseau en mesure
L’accompagnait
Cherchait refuge dans la propriété
Il allait d’une mare à l’autre
Du hangar au clapier
De la cour au verger
Je pris bien garde à ne pas me montrer
Pour ne pas l’affoler
Et s’en désole
A la Saint Valentin
N’a pas trouvé preneur
Appelle encore
Ame-sœur
Rrrrr rou rrrrrr rrourou
Mais déjà dans la haie
Coucou coucoute
Cou cou cou cou
Annonce les jours nouveaux
Le renouveau
Et tourterelle encore
Seule
Erre
Une poule avait couvé
Au pied des alisiers
Mais la fête étant annoncée
L’herbe fut arasée
Et le nid las hélas
Abandonné
N’est pas si sauvage
Habite ma maison
Ma cour et mon verger
S’enhardit parfois
Jusqu’à survoler
Mon beau parterre
Tout jardiné
Mais recule effrayée
De m’y voir musarder
Tourterelle sauvage
N’est plus si sauvage
A une compagne
Ou un compagnon
Avec qui roucouler
Jacasser
De ce qu’on voit là
Cette chose déambulant
Un être vivant
La croyant à tort abandonnée
Un volatile habile
Avait fait son nid
Les longues pousses lascives
Le mélange des genres
Le chaos végétal
Faisait que l’erreur
N’était pas trop coupable
Mais taillant cette pléthore
Je découvris malheur l’habitacle
L’ensemble forçait l’admiration
De mousses et de lichens
De plumes et de laine
Moelleuse
L’architecture savante
N’avait rien à envier
A mes propres constructions
Pour l’impolitesse de l’installation
Comme celle de l’effraction
La même des deux côtés
Mieux valait n’en point parler
Voletant de haie en taillis
Rouge la rouge gorge du rouge-gorge
Cherchant un lieu pour faire un nid
Sur l’herbe mouillée
De Janvier
La tourterelle s’en va chantant
Annonçant
Le printemps
Dans les haubans
La nature
La dénature
Du vallon bocager
Vaisseau normand
Fils électriques
Et chaotiques
Embarquement
Embarcation
Roucoulation
Enchantement
Gai gai gaiement
Sur l’herbe trempée
De Janvier
La tourterelle va roucoulant
Claire vigie dans les haubans
Pour annoncer à tous venants
Toute venue
Déconvenue
La survenue
Du bout portant
Le port naissant
L’accostement
Gai gai gaiement
Sur l’herbe glacée
De Janvier
La tourterelle s’en va criant
Dans la tourelle
D’encharmement
Prophération
Prophétiquement
Viendra le temps
D’un commencement
D’entrevoiement
D’entrouvement
D’entraidement
A la charnière
Du ventre mère
La faille ouverte
Parturition
Végétation
Je regardais de loin
Sans oser entrer
A cause du brouillard et de l’humidité
Les hautes hampes jaunes soufrées
Du mahonia en fleurs
Et tous les autres persistants
Pins mugho
Laurier
Et surtout mon bel amant
Le massif genévrier
C’est alors qu’un battement sourd
Venu de l’arrière cour
M’avertit
Mais je n’y pris pas garde
Habituée dans ce lieu
Sans piège ni pesticide
Au peuple nombreux des oiseaux
Je sentis les ailes du volatile
Frôler ma chevelure
Et vis passer
Entre pétrole et cobalt
Le bleu messager des dieux
Légèrement brillant
Qui s’en allait
Dans la haie opposée
Se poser
Je regardais médusée
Cet animal sans gêne
Inconnu
Trop petit pour un coucou
Trop grand pour une mésange
Ou une bergeronnette
Et d’une couleur trop intense pour un geai
N’eut été sa taille et le climat
C’était encore au colibri qu’il ressemblait le plus
Par sa teinte exotique
Et sa luminescence
Je cherchais son nom en vain
Décidemment non
Même en image
Je n’en avais jamais vu
C’est alors qu’il fut rejoint par un autre
En tous points identiques
Partenaire comparse
Ou simple acolyte
Difficile à savoir
En tous cas bien plus civilisé
Car le deuxième me survola
Sans me toucher
Au-dessus du domaine
Froisse la soie du ciel
D’un son si tenu
Qu’il faut pour l’entendre
Retenir son souffle
Un moment
Hors du temps
Le vol de mes pigeons
Dessine chaque jour
Des formes nouvelles
Au-dessus de la maison
Le vol de mes pigeons
Caresse à tire d’ailes
La voûte de ma prison
Jeté pour eux
Sur la terrasse
Deux bouvreuils étaient nos hôtes
Je les guettais
Amicale et confuse
De dépendre pour ma joie
De ce duo-là
Et vaguement gênée
De détourner ce viatique
Hors de la gestion précautionneuse
D’une économie
Justement calibrée
Mais je voulais qu’ils viennent vers nous
Sans peur ni reproche
Front bleuâtre
Comme la mer
Qu’on voyait en contrebas
Deux bouvreuils étaient nos hôtes
Plumage écarlate
Comme mon cœur
Rayonnant
Et sanglant
Sur la lanterne communale
Flanquant la maison
Entre le ciel et la terre
Pour donner la sérénade
Sa sarabande plutôt
Qui serait un simple cliquet
Monotone et lassant
Si ce n’était un messager
Connu et aimant
En ce lieu où les oiseaux nombreux
Foultitude excentrique
Règnent en maître
Ce n’est pas une réserve ornithologique
Mais cela le pourrait
Et les pierres n’ont pas pu
Les consoler
Les lauriers roses sont morts de froid
La maison a gémi
Comme toujours
Comme autrefois
Les lauriers roses sont morts de froid
Et dans les trous du rocher
Pétrifiés
Les oiseaux ont en vain
Quêté leurs proies
Le rouge-queue s’est dans la cour
En contrebas
Jeté du toit
Dessinant à la perfection
Une parabole
Alliance de la géométrie
De la physique
Et de la philosophie
Médusée du spectacle
Saluant à son juste mérite
Ce signal
Ne sachant quel parti prendre
J’ai marqué un temps d’arrêt
Mais déployant toute son énergie
Remontant à coups d’ailes
Au faîte de l’édifice
Il avait déjà rejoint
Le bord d’en face
Cent et mille les hirondelles
Volent de conserve en concert
Tournant et tournoyant sur elles-mêmes
Eployées
Déployées
A tire d’ailes
Au-dessus de la mêlée
De la buée grise et rose
Qui nimbe les coteaux
Et les terrasses abandonnées
La matière en fusion
Atteint le rebord du causse rouge
Et la vive clarté qui avait alerté la gent ailée
S’enflamme brutalement
Explosion volcanique
De lumière éclatante
Terreur incandescente
Se propageant d’un seul coup
A toute la matière vivante
Mais non
Au grand mais non
Ce n’est pas la Terre terrestre
Qui se convulse
Terrienne révulsée
Croûte terrestre tourmentée
Froide et contorsionnée
Mais l’astre solaire
Emergeant dans sa royale majesté
Non ce n’est pas un nuage de cendres
Mais un carrousel sacré
Celui de l’exercice concerté
La manœuvre matinale quotidiennement répétée
Car à chaque ronde à front renversé
La nuée ardente s’en retourne resserrée
Et même ce n’est pas encore assez
Pour parvenir à former la colonne alignée
L’ordre de marche
D’envol plutôt
Lorsqu’il faudra partir
Bientôt sans doute
Puisqu’en ce milieu d’Août
Tous les jours
Le temps hélas
Rafraîchit
Me rend visite
Et me salue
Signalement cybernétique
De son cliquet si typique
Salut l’artiste
Le causse rouge est couvert de peine
Dans la cour il y a trois oiseaux morts
Morts de faim
Morts de froid
Morts de chat
Je l’y entends depuis toujours
Il était là déjà au temps des années noires
Au temps des années sang et or
Sang et noir
Noir animal
Un sang d’encre
Un sang d’or
Au noir d’os
Minéral
O la haute calcination dans le noir athanor
Sang et noire l’écriture
Quand la mort rodait entre corbeau et passereau
Rivière et nacelle
Rêves plantes et végétaux
Brandissant sa faux sur mon esprit folâtre
Le rouge oiseau m’avertissait
Attention ça/là
Cela rode
Et son bruit de cliquet
A la terre m’amarrait
Escadre céleste
Corbeaux et hirondelles
La flotte aérienne
Escadrille volatile
Caravelles toutes voiles dehors
Oisellerie d’élite
Labourant la mer
Du ciel
Entre viaduc et soleil
Le plus haut pont du monde
Scintille dans ses haubans
Le nouveau monde est là
Piliers de béton
Tablier métallique
Nouveauté technologique
Escadre céleste
De la gent animalière
Oiseaux trapézistes
Devant le pont équilibristes
Spectacle étonnant
Rituel matinal
Emouvant
Le rouge-queue cherchait en vain
L’issue de la cuisine
Dans laquelle il était
En toute connaissance de cause
Du moins le croyait-il
Entré
D’abord assommé en plein vol
D’avoir heurté sans égard
Le plus à l’Est des carreaux
Celui toujours fermé
Reprenant ses esprits
Il bondit debout sur la cuisinière
Me permettant de vérifier
Avec soulagement
Qu’il n’était pas blessé
Et tenait bien
Sur ses pattes droites et parallèles
Comme c’est la norme chez ces oiseaux-là
C’est alors qu’il se percha près du plafond
Sur le cadre noir
Du verre crasseux
Protégeant une estampe
De drapeau tricolore
De femmes en gloire
De char tiré par deux lions
Annonçant polychrome
La France proclamant la liberté
Au-dessus de la cheminée
Qui elle non plus
N’avait depuis longtemps
Pas été ramonée
Mais non rien à faire
C’était chez lui une idée fixe
Il se jeta à nouveau
Contre le même carreau
Pourtant toujours aussi fermé
Je peinai d’autant plus pour lui
Que sa visite me plaisait
Voire même m’émouvait
Comme bien au-delà
De nos saluts habituels
Ponctuellement échangés
Dans la cour de derrière
Comme il patrouillait tout le jour
D’un rebord de la toiture
A un autre
Je ne bougeai pas
Pour ne pas aggraver son inquiétude
Voire même sa panique
Je pris bien garde de n’appeler personne
Evitant ainsi tout signalement
Aux conséquences aléatoires
Et pourtant paradoxe
Le dite cuisine ne manquait pas d’ouvertures
La baie du balcon
Donnait en contrebas sur la rivière
Baignant le Plateau de France
Et au fond du paysage d’autres causses encore
A l’Ouest
Une enfilade de portes
Traversait divans et tentures
Permettant de s’en aller
Comme si de rien n’était
Sans avoir l’air de s’enfuir
Et derrière mon dos à l’arrière
Celle par laquelle il était entré
Baillait plus que jamais
Entre le ciel et les rochers
Un bel été
Dans la nacelle de pierre
Surplombant la rivière
Dans les cris des baigneurs
Debout entre les îles
Ecoutant la voix des voyageurs
A l’ombre du figuier
Rutilante voûte verte
Entre le balcon et le ciel
A l’abri du rocher
Au milieu des oiseaux
Je rêve de m’étendre là
Un bel été
Le temps de contempler
Tout s’éteindre en moi
Tout continuant
Tout autour de moi
Le rouge-queue est de retour
Nous nous connaissons
Sur le balcon de pierre
Bruits mats
Sur les dalles du temps
Les premières figues sont tombées
Non pas celles tendres et juteuses
Roses et lilas aux reflets violacés
Sublimes joies du palais
Dans leurs sombres vêtures de grenat
Mais de tout petits sacs végétaux
Vides et verts d’eau
A la peau rêche et desséchée
D’avoir malheur été
Trop tôt arrêtées
Dans leur propre développement
Au-dessus de la rivière
Le rodéo des volatiles
Dans le soleil levant
Mais seulement à venir
Ce carrousel sidérant
Cette parade extravagante
Géométrique
Logistique
Et prophétique
Qui intelligence animale
Soulève en moi l’admiration
Projetant hors de moi
Toute ma vénération
Mais bien encore
Un simple désordre ordinaire
Devenant petit à petit
Un chaos de battement d’ailes
Et de pépiements
Signe de franchissement
Du haut col de l’été
De l’au-delà du Quinze Août
Dans le retournement du vivant
Non pas là
Au haut bout de sa course
La matière animée
Fatiguée de s’étendre n’importe où
Mais en proie seulement
Cette fois là
A son inéluctable
Au fil du temps
Grand ré-ordonnancement
Les beaux jours sont passés
Il ne fait plus aussi chaud
Ce n’est pas encore l’automne
Mais seulement
Tendue entre deux obscurcissements
La question funambule
Que se pose entre deux moments
Chaque être vivant
Que sera cela
Quoi cela
Mais quoi donc
Le rouge-queue
Sur la rambarde du balcon
Me regarde rouler la dentelle
Achetée la veille
A la brocante
De Saint Jean de Bruel
Lavée
Et séchée dans la nuit
Perplexe
Le rouge-queue
Sur la rambarde du balcon
Me regarde idole monstrueuse
Géante tutélaire
Déesse barbare et casanière
Procéder aux rites de ma cérémonie
Terrienne et couturière
Perplexe
Le rouge-queue
Sur la rambarde du balcon
Me regarde
Mastodonte invalide
Dans l’antre du rocher
Oiselle clouée au sol
Par la malédiction
Se promenaient
Oiseau oiselle
Beau matin de printemps
La ritournelle
Au gai soleil
Amoureusement
Gorge de pigeon
S’efforçait maladroitement
De se tenir en équilibre
Sur la ramure aérienne
D’un lierre
Lui-même mal accroché
Au fond mur
Du fin fond de la cour
Le végétal ployait
Sous le poids du volatile
Qui tentait entre ciel et terre
Semblait-il
De faire son nid
Et dans cette fantastique balancelle
Dont la belle semblait avoir l’habitude
Et lui le feuillu prolifique la supporter
Pour n’être point par trop mauvais coucheur
Ils paraissaient l’un et l’autre
Ensemble hésiter
Entre les deux principes fondateurs
L’espérance
Et la pesanteur
Sans aucun égard
Pour les plantations de géraniums
Qu’elle écrasait
Une palombe du quartier
Tournant la tête vers l’arrière
Me regardait d’un air furieux
A travers la vitre
A deux becs de taper au carreau
Cherchant me semblait-il
Un refuge contre la pollution de l’air
Qui moi-même ce jour-là
M’asphyxiait
N’eut été ma connaissance
Des lois de la Nature
J’aurais ouvert la fenêtre
Pour lui donner asile
Mais je résistai à la tendresse
Que m’inspire tout corps vivant
Et d’autant plus
Qu’il exprime sa détresse
Sachant bien qu’alors
L’agitation
L’inquiétude
Le ménage
Et le tourment
Qui en résulteraient
Diminueraient d’autant
Mes propres chances de survie
Alors qu’elle manifestait de façon croissante
Sa mauvaise humeur
Je restai inflexible
Elle finit par s’envoler
Pour aller recommencer son manège
Ailleurs
Marchant le long des Boulevards Maréchaux
Ces boulevards de ceinture
Qui ceinturent la ville
Entre la ville et le Bois
Cherchant contre l’invalidation
A retrouver un peu de mobilité
Je la vis
Altière et soyeuse
D’un camaïeu gris
Plutôt rare
Je ramassai cette aubaine
Moins fréquente qu’on le croit
Sachant bien qu’elle rejoindrait une œuvre
Ou une autre
Aujourd’hui ou plus tard
Concrète graphique ou textile
Car ainsi va
Ce qui va
Comme je ramassai un peu plus loin
Une deuxième plume
De la même couleur
Et de la même texture
Je m’enthousiasmai pour ce trésor
Qui à coup sûr
Finirait en chef d’œuvre
Car ces dualités me sont depuis toujours
Source de créativité
Et d’autant plus qu’à côté d’elle
Le premier marron annonçait l’automne
Me délivrant comme chaque année
De la terrible splendeur
De l’été
La troisième était sombre
Trapue
Et poussiéreuse
Au milieu des feuilles sèches
Des écorces de platanes desquamées
Et des débris de toutes sortes
Jonchant la terre
Et le gravier
Elle était peu engageante
Percée de trous nombreux
Petits
Mais inquiétants
Je préférai la laisser
Sachant
Moins par instinct que par expérience
Ce dont il faut se détourner
Je continuai ma marche
Luttant contre l’invalidité
Car sans ténacité
Il n’est rien
Hors le rien
Je scrutai néanmoins distraitement
Le rebord du trottoir
Entre le bitume de l’allée
Et le caniveau
Je finis par croiser le cadavre
Le sang avait coagulé
Fixant le duvet
Dans sa douce blancheur
Tandis que l’oiseau dressait encore vers le ciel
Ses pattes jaunes et parallèles
Le plumage était en désordre
Et le verbe gésir lui-même
Ne pouvait suffire à rendre compte
De la simple raideur de l’ensemble
Quand bien même on aurait écrit
Ici gît
Et qui donc l’aurait fait
Pour cette âme volatile
Je fus saisie d’effroi
Et lâchai ma collecte
Rendant à la divinité farouche
Tout
Ce qui lui appartenait
Bouche à bouche
Tête à tête
Deux ramiers
Sur le toit voisinal
Refaisaient le monde
Au cœur du printemps
Lorsque surgit un comparse
L’un d’eux alors
Prudemment s’éloigna
Et derrière la cheminée
Se résigna
Le manège reprit
Autrement
Tentant de l’autre côté de la rue
De pénétrer dans le jasmin
De mon voisin
Qui au troisième étage
Eté comme hiver
En prenait le plus grand soin
Sans doute voulait-elle y nicher
Elle s’y cramponnait farouchement
Animant d’étranges battements d’ailes
Cette façade début de siècle
Ornée de corbeilles de fruits
Et de guirlandes de feuilles d’acanthe
Elle espérait encore aboutir à ses fins
Et contrecarrer la pesanteur
Mais en vain
Car chacun sait depuis Newton
La gravitation universelle
Démontrant qu’il est là comme ailleurs
Quelques accommodements avec la loi
Elle maintint son projet
Et contre toute raison
Dans sa chute
Refusant l’envol
Se récupéra sans grâce
Sur la rampe d’un balcon
En contrebas.
Pigeonnaient pigeonnant
Sur la cheminée haute
Du bas pavillon bas
De la cour
Battaient des ailes
Roucoulant
Se baisant
Et volaient de conserve
Entre les murs et les toits
De gouttière en gouttière
Dans cet espace très clos
Et réservé
Préservé
De chez moi
Par moments ils plongeaient
Dans la frondaison verte de l’arbre
Marronnier touffu
Solide et amical
Et les palombes affairées
Disparaissaient noyées dans la ramure
N’eut été le corbeau de l’Arche
Et la colombe au rameau d’olivier
C’est à ce couple d’amoureux
Amoureusement occupés
Que tout mon univers
Se serait borné
Les palombes sont des ramiers
Bourgeoisement installés
Gîtant dans la ramure
Au fond de la verdure
Du marronnier
Elles replient leurs ailes
Et leurs rêves
Avec urbanité
Qui repose
Au haut faîte du grand sorbier
N’est plus si sauvage
Elle habite la Cité
Près du Collège d’Espagne
Au-dessus des défilés
Dans l’allée où cheminent
Des pèlerins
Jour et matin
D’un monde à l’autre
Jour et soir
Paisible va et vient
Estudiantin
La palombe sauvage
N’est plus sauvage
Elle habite Boulevard Jourdan
Le Grand Jardin
Mes ramiers familiers
Se livraient
A leur habituel badinage
Je connaissais bien
Amoureux fou
Ce ménage à trois
Folâtrant
Librement
De tout leur long fuselage
Dans le jour levant
Leur couleur si justement nommée
Gorge de pigeon
Jetait sur la masse
Des horreurs à venir
L’espérance d’une réconciliation
Et au-dessus de leurs colliers
Leurs têtes grises
Alternativement tournées
Et retournées
Etaient un exemple d’harmonie
Un contrepoint même
Au sein de la tonalité
Du vieux Paris
La palombe regardait avec insistance
Entre ouverte
La porte fenêtre de la chambre
Où j’étais étendue
Me voyant à l’intérieur
Elle semblait hésiter
A pénétrer plus avant
Craignant à mon air revêche
Que je ne la laissasse pas faire
Ce en quoi elle se trompait
Car j’aurais vu là un prodige
Et mieux encore
Une prophétie
Arpentaient la grève
D’un pas tranquille et familier
Comme j’allais quêtant
D’entre les galets
La forme parfaite
Elles vinrent vers moi
S’approchèrent
Et quémandèrent
Las je n’avais rien
Et perçu dans leur regard
Un brin de contrariété
Ailes en fête
A tire d’ailes
Déployant alertes
Toutes les figures
Dans le ciel céleste
Il neige
Des massifs centraux
Aux frontières effacées
Des replis ardennais
Aux confins niçois
Le verglas s’étend
A perte de vue
Sur le pays perdu
Les grues migratées
Boussole impavide
Persistent pourtant
A remonter vers le Nord
C’est qu’il en faut plus
A Notre Mère la Nature
Pour renoncer à son projet
De renouvellement
Et entre courage et inquiétude
Ces oiseaux vont
Sombres dans l’air plombé
Battant péniblement des ailes
Tout en dessous du ciel
Disait l’oiseau d’or
Brillant dans le soleil
Regardant en bas
Tassés contre les uns
Les autres sur la terre
Les vivants petits petits
La bouche ouverte
Le nez en l’air
Ebahis
Un rapace survolait mon rêve
Entre ciel et terre
Il induisait d’étranges connexions
Ce n’était pas un milan
Sa queue n’était pas fourchue
Ni un aigle fut il pêcheur
Bien qu’il y ait eu là des mares
Ma terre n’était pas assez haute
Ni un busard
Il était trop aventureux
Il volait trop bas pour un épervier
A me glacer d’effroi
Si c’était un vautour
Il y avait de quoi
Mais non
C’était un condor
Envoyé me chercher
Par ma mère
Pour la rejoindre
La Reine des glaciers
Là-haut
Là-haut
L’alouette
Comme jamais ne la peignirent
Les peintres
Au plafond des édifices
Car au dôme de l’univers
Seule a accès
La main du poète
Jeanne Hyvrard
Mise à jour : décembre 2014