BEAU PIGEON BELLE TOURTERELLE

Cinquante quatre poèmes volatil(e)s

 

Jeanne Hyvrard

 

 


Au commencement la nuit la brume flottait déjà sur le vallon

Oiseau livre

Mes amies blanches ont des plumes

Elles étaient là comme deux colombes

Comme des oiseaux en amour

Blanc pigeon Rose tourterelle

Deux pigeons

L’oiseau géomètre mesure le ciel à tire d’aile

Tourterelles

NORMANDIE

Il était noir

Mare ou étang

Sentinelle aguerrie

Sur le pieu de la parcelle Nord

Dans mon jardin

Dans la Collégiale d’Ecouis

Un héron égaré

Tourterelle est seule

Dans les hautes herbes

Tourterelle sauvage

En haut de la tonnelle

Rouge la rouge gorge du rouge-gorge

Gai gai gaiement

Appuyée au portail du jardin

Le vol de mes pigeons

Par la vertu du pain

ROUERGUE

Le rouge-queue s’est perché

Les lauriers roses sont morts de froid

Quand j’ai ouvert la porte de l’étage

Un nuage de cendres recouvre la vallée

Chaque matin le rouge-queue

Le causse noir est couvert de neige

J’entends le rouge-queue dans la cour

Au-dessus du viaduc de Millau (Escadre céleste)

Prisonnier de sa curiosité

Je rêve de m’étendre là

Sur la balustrade

Bruits sourds

Perplexe

ILE-DE-FRANCE

Beau pigeon Belle tourterelle

Une pigeonne

Assise sur la jardinière en terre cuite

Comme j’allais

Bec à bec

Cette fois la palombe exagérait vraiment

Deux ramiers

Dans ma cour parisienne

La palombe sauvage

Sur un toit du voisinage

Dressée sur la rambarde du balcon

RIVIERA

Deux tourterelles à collier

Carrousel de mouettes

AILLEURS

De Guincamp à Lorient

Il leur en faut peu

Venu du Septentrion

Tout là-haut

 


 

 

 

Au commencement la nuit la brume flottait déjà sur le vallon

Il n’y avait ni vache ni mouton

Ni saule ni frêne ni herbe ni haie

Fut-elle de charmille ou d’aubépines

Et les oiseaux qui survolaient le bocage

N’avaient lieu où reposer leurs pattes

Leurs ailes étaient de purs vaisseaux sur les flots de l’éternité

Et mésanges chardonnerets loriots

Rouge-gorges bouvreuils pinsons

Naviguaient à l’estime entre les astres du firmament

Ils étaient les maîtres de la terre

Et les poètes leurs rivaux gestaient encore dans les plis du limon

Les oiseaux rampant

Pintades poules et canards

Ces formes terrestres du rêve pastoral

N’étaient même pas en projet

Ni l’Epte la rivière chérie

Ni les mares et prés marécageux

Ni les pieux ni les clôtures

Notre Mère la Terre dit

La vie sera mais elle ne sera pas d’un seul coup

Elle se fera par étapes successives

D’abord L’Homme

Et pour finir les pivoines et les roses

Les logiciels et l’électricité

 

 

 

Oiseau livre

Oiseau lyre

Oiseau vivre

Demain Saint Valentin

Amour

Toujours

Chantant

Désir d’accouplement

Cœur battant

Je t’attends

 

 

 

Mes amies blanches ont des plumes

Qui leur poussent au bout des bras

Oisons oisonnes

Ames volatiles

Nacelle d’espoir d’envol

 

Nils Holgerson

Voyageur au long jars

Souffle de ma solitude

Pourquoi m’as-tu laissée

Ivre de lecture

Clouée au sol

 

 

 

Elles étaient là comme deux colombes

Entrelaçant leurs cous

Aile contre aile

Pattes contre pattes

Sagement assises sur le perchoir des chaises

L’une était triste

Et l’autre aussi

Elles s’ennuyaient

Elles recoulèrent langoureusement

Se firent un signe

Et s’envolèrent

 

 

 

Comme des oiseaux en amour

Entrelacent leurs cous

Dans les bras

Dans le lit les liseurs

Entrelacent leurs livres

Et dans le tournoiement des pages

Du gonflement des verbes

Un roucoulement s’élève

 

 

 

Blanc pigeon Rose tourterelle

Oiseau oiselle

Signifiant signifié

Gent ailée

Mots aimés

 

 

 

Deux pigeons

Au rebord du trottoir

Négociaient la poursuite du monde

 

Lui d’un battement d’aile

Tentait de convaincre la belle

 

Elle

Dubitative se dérobait

Comme elle pouvait

Mais acculée

Dut bientôt se laisser faire

 

Entre bitume et goudron

Il pesa un moment

De tout son poids de plumes

Et de plomb

 

Son travail accompli

Il s’en fut

Elle

Après cet intermède

Retourna à ses affaires

 

 

 

L’oiseau géomètre mesure le ciel à tire d’aile

L’oiseau scribe déploie ses plumes et son grimoire

L’oiseau peintre délave le monde au bleu céleste

L’oiseau poète gobe les mots en plein vol

 

 

 

Tourterelles

Tournent tournent

Volent au vent

 

Tourterelles

Tournent tournent

Bientôt le printemps

 

 

 

NORMANDIE

Il était noir

Comme un mauvais présage

Ses longues longues pattes toutes raides

Allongées entre deux ciels

Ses ailes effilées

Presque déchiquetées

Battant l’air

Lentement

 

Il survolait à basse altitude

La route et les champs

 

Ce n’était pas un héron

Ni une cigogne

Le volatile était d’un noir éclatant

Sans la moindre plume

Blanche ou grise

 

C’était sans doute un migrateur

Mais volant là en solitaire

Il n’était pas en migration

 

Et dans cette campagne trop verte

Au prime abord de la Toussaint

Cette noirceur volante et familière

Inquiétait d’autant plus

Qu’à rebrousse saison

Le ciel lui-même

En proie aux affres de l’orage

Se troublait

 

 

 

Mare ou étang

Qu’importe le nom de cette étendue verglacée

Miroir concave au creux du verger

Où se mirent

Le merle frigorifié

Et le loriot désemparé

 

 

 

Sentinelle aguerrie

Du fond de la Normandie

Je guette le Jaseur Boréal

Migrateur erratique

En provenance de Sibérie

 

C’est un oiseau gris

Au front rosé

Sa tête est couronnée

D’une huppe au faciès

Etrangement étrange

Et ses grandes ailes sont bordées

De longues plumes blanches

Striées et colorées

 

Du moins pour ce que j’en sais

Car je ne l’ai jamais vu

 

Du fond du vallon

Je surveille la venue de celui

Dont nos aïeux croyaient

Que visiteur épisodique

Il annonçait les grands froids

La guerre

La famine et la peste

Et les épizooties

 

Sentinelle sans guérite

Entre coteau et colline

Je guette le mauvais présage

 

Et je médite

Sur les changements climatiques

 

 

 

Sur le pieu de la parcelle Nord

Une buse un moment s’était posée

 

Ses grandes ailes fauves et noires

De tout leur long

Sagement repliées

Elle tournait sa tête et son bec

Vers l’Ouest puis vers l’Est

A l’Ouest et

 

Comme de la cuisine

Installée derrière elle

Au Sud

Je la regardais pleine de grâces

Pour ce moment de grâce

Elle ouvrit ses ailes

Pour fondre sur sa proie

Fuyant dans l’herbe

Ce vol lourd

 

J’en restai dépenaillée d’effroi

 

 

 

Dans mon jardin

J’ai presque tout planté moi même

Sauf les tourterelles

 

Elles me le rendent bien

Me laissant libre

D’aller et venir

D’aller et de revenir

D’aller et d’en revenir

 

Dans mon jardin

J’ai tout planté moi-même

Ou presque

Et même maintenant les tourterelles

A mon corps défendant

A mon corps défendu

 

 

 

Dans la Collégiale d’Ecouis

Cette année là

On mariait Petit Cousin

Entre boiseries et chapeaux

Les bouquets embaumaient

Et les cierges illuminaient

La gorge commune recueillie

Modulait cantiques et psalmodies

En lentes vibrations

Sous la voûte

Le chant ecclésial s’élevait

Tournoyant sous les briques et les pierres

Entre Vexin Normand et Français

 

Perché sur la rosace

Contre le bleu céleste

Un oiseau en mesure

L’accompagnait

 

 

 

Un héron égaré

Cherchait refuge dans la propriété

Il allait d’une mare à l’autre

Du hangar au clapier

De la cour au verger

Je pris bien garde à ne pas me montrer

Pour ne pas l’affoler

 

 

 

Tourterelle est seule

Et s’en désole

A la Saint Valentin

N’a pas trouvé preneur

Appelle encore

Ame-sœur

Rrrrr rou rrrrrr rrourou

Mais déjà dans la haie

Coucou coucoute

Cou cou cou cou

Annonce les jours nouveaux

Le renouveau

Et tourterelle encore

Seule

Erre

 

 

 

Dans les hautes herbes

Une poule avait couvé

Au pied des alisiers

Mais la fête étant annoncée

L’herbe fut arasée

Et le nid las hélas

Abandonné

 

 

 

Tourterelle sauvage

N’est pas si sauvage

Habite ma maison

Ma cour et mon verger

S’enhardit parfois

Jusqu’à survoler

Mon beau parterre

Tout jardiné

Mais recule effrayée

De m’y voir musarder

 

Tourterelle sauvage

N’est plus si sauvage

A une compagne

Ou un compagnon

Avec qui roucouler

Jacasser

De ce qu’on voit là

Cette chose déambulant

Un être vivant

 

 

 

En haut de la tonnelle

La croyant à tort abandonnée

Un volatile habile

Avait fait son nid

 

Les longues pousses lascives

Le mélange des genres

Le chaos végétal

Faisait que l’erreur

N’était pas trop coupable

 

Mais taillant cette pléthore

Je découvris malheur l’habitacle

 

L’ensemble forçait l’admiration

De mousses et de lichens

De plumes et de laine

Moelleuse

L’architecture savante

N’avait rien à envier

A mes propres constructions

 

Pour l’impolitesse de l’installation

Comme celle de l’effraction

La même des deux côtés

Mieux valait n’en point parler

 

 

 

Rouge la rouge gorge du rouge-gorge

Voletant de haie en taillis

Rouge la rouge gorge du rouge-gorge

Cherchant un lieu pour faire un nid

 

 

 

Gai gai gaiement

Sur l’herbe mouillée

De Janvier

La tourterelle s’en va chantant

Annonçant

Le printemps

Dans les haubans

La nature

La dénature

Du vallon bocager

Vaisseau normand

Fils électriques

Et chaotiques

Embarquement

Embarcation

Roucoulation

Enchantement

 

Gai gai gaiement

Sur l’herbe trempée

De Janvier

La tourterelle va roucoulant

Claire vigie dans les haubans

Pour annoncer à tous venants

Toute venue

Déconvenue

La survenue

Du bout portant

Le port naissant

L’accostement

 

Gai gai gaiement

Sur l’herbe glacée

De Janvier

La tourterelle s’en va criant

Dans la tourelle

D’encharmement

Prophération

Prophétiquement

Viendra le temps

D’un commencement

D’entrevoiement

D’entrouvement

D’entraidement

A la charnière

Du ventre mère

La faille ouverte

Parturition

Végétation

 

 

 

Appuyée au portail du jardin

Je regardais de loin

Sans oser entrer

A cause du brouillard et de l’humidité

Les hautes hampes jaunes soufrées

Du mahonia en fleurs

Et tous les autres persistants

Pins mugho

Laurier

Et surtout mon bel amant

Le massif genévrier

 

C’est alors qu’un battement sourd

Venu de l’arrière cour

M’avertit

Mais je n’y pris pas garde

Habituée dans ce lieu

Sans piège ni pesticide

Au peuple nombreux des oiseaux

 

Je sentis les ailes du volatile

Frôler ma chevelure

Et vis passer

Entre pétrole et cobalt

Le bleu messager des dieux

Légèrement brillant

Qui s’en allait

Dans la haie opposée

Se poser

 

Je regardais médusée

Cet animal sans gêne

Inconnu

Trop petit pour un coucou

Trop grand pour une mésange

Ou une bergeronnette

Et d’une couleur trop intense pour un geai

N’eut été sa taille et le climat

C’était encore au colibri qu’il ressemblait le plus

Par sa teinte exotique

Et sa luminescence

 

Je cherchais son nom en vain

 

Décidemment non

Même en image

Je n’en avais jamais vu

 

C’est alors qu’il fut rejoint par un autre

En tous points identiques

Partenaire comparse

Ou simple acolyte

Difficile à savoir

En tous cas bien plus civilisé

Car le deuxième me survola

Sans me toucher

 

 

 

Le vol de mes pigeons

Au-dessus du domaine

Froisse la soie du ciel

D’un son si tenu

Qu’il faut pour l’entendre

Retenir son souffle

Un moment

Hors du temps

 

Le vol de mes pigeons

Dessine chaque jour

Des formes nouvelles

Au-dessus de la maison

 

Le vol de mes pigeons

Caresse à tire d’ailes

La voûte de ma prison

 

 

 

Par la vertu du pain

Jeté pour eux

Sur la terrasse

Deux bouvreuils étaient nos hôtes

 

Je les guettais

Amicale et confuse

De dépendre pour ma joie

De ce duo-là

Et vaguement gênée

De détourner ce viatique

Hors de la gestion précautionneuse

D’une économie

Justement calibrée

 

Mais je voulais qu’ils viennent vers nous

Sans peur ni reproche

 

Front bleuâtre

Comme la mer

Qu’on voyait en contrebas

Deux bouvreuils étaient nos hôtes

Plumage écarlate

Comme mon cœur

Rayonnant

Et sanglant

 

 

 

ROUERGUE

Le rouge-queue s’est perché

Sur la lanterne communale

Flanquant la maison

Entre le ciel et la terre

Pour donner la sérénade

Sa sarabande plutôt

Qui serait un simple cliquet

Monotone et lassant

Si ce n’était un messager

Connu et aimant

En ce lieu où les oiseaux nombreux

Foultitude excentrique

Règnent en maître

Ce n’est pas une réserve ornithologique

Mais cela le pourrait

 

 

 

Les lauriers roses sont morts de froid

Et les pierres n’ont pas pu

Les consoler

 

Les lauriers roses sont morts de froid

La maison a gémi

Comme toujours

Comme autrefois

 

Les lauriers roses sont morts de froid

Et dans les trous du rocher

Pétrifiés

Les oiseaux ont en vain

Quêté leurs proies

 

 

 

Quand j’ai ouvert la porte de l’étage

Le rouge-queue s’est dans la cour

En contrebas

Jeté du toit

Dessinant à la perfection

Une parabole

Alliance de la géométrie

De la physique

Et de la philosophie

 

Médusée du spectacle

Saluant à son juste mérite

Ce signal

Ne sachant quel parti prendre

J’ai marqué un temps d’arrêt

 

Mais déployant toute son énergie

Remontant à coups d’ailes

Au faîte de l’édifice

Il avait déjà rejoint

Le bord d’en face

 

 

 

Un nuage de cendres recouvre la vallée

Cent et mille les hirondelles

Volent de conserve en concert

Tournant et tournoyant sur elles-mêmes

Eployées

Déployées

A tire d’ailes

Au-dessus de la mêlée

De la buée grise et rose

Qui nimbe les coteaux

Et les terrasses abandonnées

 

La matière en fusion

Atteint le rebord du causse rouge

Et la vive clarté qui avait alerté la gent ailée

S’enflamme brutalement

Explosion volcanique

De lumière éclatante

Terreur incandescente

Se propageant d’un seul coup

A toute la matière vivante

 

Mais non

Au grand mais non

Ce n’est pas la Terre terrestre

Qui se convulse

Terrienne révulsée

Croûte terrestre tourmentée

Froide et contorsionnée

Mais l’astre solaire

Emergeant dans sa royale majesté

 

Non ce n’est pas un nuage de cendres

Mais un carrousel sacré

Celui de l’exercice concerté

La manœuvre matinale quotidiennement répétée

Car à chaque ronde à front renversé

La nuée ardente s’en retourne resserrée

Et même ce n’est pas encore assez

Pour parvenir à former la colonne alignée

L’ordre de marche

D’envol plutôt

Lorsqu’il faudra partir

Bientôt sans doute

Puisqu’en ce milieu d’Août

Tous les jours

Le temps hélas

Rafraîchit

 

 

 

Chaque matin le rouge-queue

Me rend visite

Et me salue

Signalement cybernétique

De son cliquet si typique

Salut l’artiste

 

 

 

Le causse noir est couvert de neige

Le causse rouge est couvert de peine

Dans la cour il y a trois oiseaux morts

Morts de faim

Morts de froid

Morts de chat

 

 

 

J’entends le rouge-queue dans la cour

Je l’y entends depuis toujours

Il était là déjà au temps des années noires

Au temps des années sang et or

Sang et noir

Noir animal

Un sang d’encre

Un sang d’or

Au noir d’os

Minéral

O la haute calcination dans le noir athanor

Sang et noire l’écriture

Quand la mort rodait entre corbeau et passereau

Rivière et nacelle

Rêves plantes et végétaux

Brandissant sa faux sur mon esprit folâtre

Le rouge oiseau m’avertissait

Attention ça/là

Cela rode

Et son bruit de cliquet

A la terre m’amarrait

 

 

 

Au-dessus du viaduc de Millau

 

Escadre céleste

Corbeaux et hirondelles

La flotte aérienne

Escadrille volatile

Caravelles toutes voiles dehors

Oisellerie d’élite

Labourant la mer

Du ciel

Entre viaduc et soleil

Le plus haut pont du monde

Scintille dans ses haubans

 

Le nouveau monde est là

Piliers de béton

Tablier métallique

Nouveauté technologique

 

Escadre céleste

De la gent animalière

Oiseaux trapézistes

Devant le pont équilibristes

Spectacle étonnant

Rituel matinal

Emouvant

 

 

 

Prisonnier de sa curiosité

Le rouge-queue cherchait en vain

L’issue de la cuisine

Dans laquelle il était

En toute connaissance de cause

Du moins le croyait-il

Entré

 

D’abord assommé en plein vol

D’avoir heurté sans égard

Le plus à l’Est des carreaux

Celui toujours fermé

Reprenant ses esprits

Il bondit debout sur la cuisinière

Me permettant de vérifier

Avec soulagement

Qu’il n’était pas blessé

Et tenait bien

Sur ses pattes droites et parallèles

Comme c’est la norme chez ces oiseaux-là

 

C’est alors qu’il se percha près du plafond

Sur le cadre noir

Du verre crasseux

Protégeant une estampe

De drapeau tricolore

De femmes en gloire

De char tiré par deux lions

Annonçant polychrome

La France proclamant la liberté

Au-dessus de la cheminée

Qui elle non plus

N’avait depuis longtemps

Pas été ramonée

 

Mais non rien à faire

C’était chez lui une idée fixe

Il se jeta à nouveau

Contre le même carreau

Pourtant toujours aussi fermé

 

Je peinai d’autant plus pour lui

Que sa visite me plaisait

Voire même m’émouvait

Comme bien au-delà

De nos saluts habituels

Ponctuellement échangés

Dans la cour de derrière

Comme il patrouillait tout le jour

D’un rebord de la toiture

A un autre

 

Je ne bougeai pas

Pour ne pas aggraver son inquiétude

Voire même sa panique

 

Je pris bien garde de n’appeler personne

Evitant ainsi tout signalement

Aux conséquences aléatoires

 

Et pourtant paradoxe

Le dite cuisine ne manquait pas d’ouvertures

La baie du balcon

Donnait en contrebas sur la rivière

Baignant le Plateau de France

Et au fond du paysage d’autres causses encore

A l’Ouest

Une enfilade de portes

Traversait divans et tentures

Permettant de s’en aller

Comme si de rien n’était

Sans avoir l’air de s’enfuir

Et derrière mon dos à l’arrière

Celle par laquelle il était entré

Baillait plus que jamais

Entre le ciel et les rochers

 

 

 

Je rêve de m’étendre là

Un bel été

Dans la nacelle de pierre

Surplombant la rivière

Dans les cris des baigneurs

Debout entre les îles

Ecoutant la voix des voyageurs

A l’ombre du figuier

Rutilante voûte verte

Entre le balcon et le ciel

A l’abri du rocher

Au milieu des oiseaux

 

Je rêve de m’étendre là

Un bel été

Le temps de contempler

Tout s’éteindre en moi

Tout continuant

Tout autour de moi

 

 

 

Sur la balustrade

Le rouge-queue est de retour

Nous nous connaissons

 

 

 

Bruits sourds

Sur le balcon de pierre

Bruits mats

Sur les dalles du temps

Les premières figues sont tombées

Non pas celles tendres et juteuses

Roses et lilas aux reflets violacés

Sublimes joies du palais

Dans leurs sombres vêtures de grenat

Mais de tout petits sacs végétaux

Vides et verts d’eau

A la peau rêche et desséchée

D’avoir malheur été

Trop tôt arrêtées

Dans leur propre développement

 

Au-dessus de la rivière

Le rodéo des volatiles

Dans le soleil levant

Mais seulement à venir

Ce carrousel sidérant

Cette parade extravagante

Géométrique

Logistique

Et prophétique

Qui intelligence animale

Soulève en moi l’admiration

Projetant hors de moi

Toute ma vénération

Mais bien encore

Un simple désordre ordinaire

Devenant petit à petit

Un chaos de battement d’ailes

Et de pépiements

Signe de franchissement

Du haut col de l’été

De l’au-delà du Quinze Août

Dans le retournement du vivant

Non pas là

Au haut bout de sa course

La matière animée

Fatiguée de s’étendre n’importe où

Mais en proie seulement

Cette fois là

A son inéluctable

Au fil du temps

Grand ré-ordonnancement

 

Les beaux jours sont passés

Il ne fait plus aussi chaud

Ce n’est pas encore l’automne

Mais seulement

Tendue entre deux obscurcissements

La question funambule

Que se pose entre deux moments

Chaque être vivant

Que sera cela

Quoi cela

Mais quoi donc

 

 

 

Perplexe

Le rouge-queue

Sur la rambarde du balcon

Me regarde rouler la dentelle

Achetée la veille

A la brocante

De Saint Jean de Bruel

Lavée

Et séchée dans la nuit

 

Perplexe

Le rouge-queue

Sur la rambarde du balcon

Me regarde idole monstrueuse

Géante tutélaire

Déesse barbare et casanière

Procéder aux rites de ma cérémonie

Terrienne et couturière

 

Perplexe

Le rouge-queue

Sur la rambarde du balcon

Me regarde

Mastodonte invalide

Dans l’antre du rocher

Oiselle clouée au sol

Par la malédiction

 

 

 

ILE-DE-FRANCE

Beau pigeon Belle tourterelle

Se promenaient

Oiseau oiselle

Beau matin de printemps

La ritournelle

Au gai soleil

Amoureusement

 

 

 

Une pigeonne

Gorge de pigeon

S’efforçait maladroitement

De se tenir en équilibre

Sur la ramure aérienne

D’un lierre

Lui-même mal accroché

Au fond mur

Du fin fond de la cour

 

Le végétal ployait

Sous le poids du volatile

Qui tentait entre ciel et terre

Semblait-il

De faire son nid

 

Et dans cette fantastique balancelle

Dont la belle semblait avoir l’habitude

Et lui le feuillu prolifique la supporter

Pour n’être point par trop mauvais coucheur

Ils paraissaient l’un et l’autre

Ensemble hésiter

Entre les deux principes fondateurs

L’espérance

Et la pesanteur

 

 

 

Assise sur la jardinière en terre cuite

Sans aucun égard

Pour les plantations de géraniums

Qu’elle écrasait

Une palombe du quartier

Tournant la tête vers l’arrière

Me regardait d’un air furieux

A travers la vitre

A deux becs de taper au carreau

Cherchant me semblait-il

Un refuge contre la pollution de l’air

Qui moi-même ce jour-là

M’asphyxiait

 

N’eut été ma connaissance

Des lois de la Nature

J’aurais ouvert la fenêtre

Pour lui donner asile

 

Mais je résistai à la tendresse

Que m’inspire tout corps vivant

Et d’autant plus

Qu’il exprime sa détresse

Sachant bien qu’alors

L’agitation

L’inquiétude

Le ménage

Et le tourment

Qui en résulteraient

Diminueraient d’autant

Mes propres chances de survie

 

Alors qu’elle manifestait de façon croissante

Sa mauvaise humeur

Je restai inflexible

 

Elle finit par s’envoler

Pour aller recommencer son manège

Ailleurs

 

 

 

Comme j’allais

Marchant le long des Boulevards Maréchaux

Ces boulevards de ceinture

Qui ceinturent la ville

Entre la ville et le Bois

Cherchant contre l’invalidation

A retrouver un peu de mobilité

Je la vis

Altière et soyeuse

D’un camaïeu gris

Plutôt rare

 

Je ramassai cette aubaine

Moins fréquente qu’on le croit

Sachant bien qu’elle rejoindrait une œuvre

Ou une autre

Aujourd’hui ou plus tard

Concrète graphique ou textile

Car ainsi va

Ce qui va

 

Comme je ramassai un peu plus loin

Une deuxième plume

De la même couleur

Et de la même texture

Je m’enthousiasmai pour ce trésor

Qui à coup sûr

Finirait en chef d’œuvre

Car ces dualités me sont depuis toujours

Source de créativité

 

Et d’autant plus qu’à côté d’elle

Le premier marron annonçait l’automne

Me délivrant comme chaque année

De la terrible splendeur

De l’été

 

La troisième était sombre

Trapue

Et poussiéreuse

Au milieu des feuilles sèches

Des écorces de platanes desquamées

Et des débris de toutes sortes

Jonchant la terre

Et le gravier

 

Elle était peu engageante

Percée de trous nombreux

Petits

Mais inquiétants

 

Je préférai la laisser

Sachant

Moins par instinct que par expérience

Ce dont il faut se détourner

 

Je continuai ma marche

Luttant contre l’invalidité

Car sans ténacité

Il n’est rien

Hors le rien

 

Je scrutai néanmoins distraitement

Le rebord du trottoir

Entre le bitume de l’allée

Et le caniveau

 

Je finis par croiser le cadavre

 

Le sang avait coagulé

Fixant le duvet

Dans sa douce blancheur

Tandis que l’oiseau dressait encore vers le ciel

Ses pattes jaunes et parallèles

 

Le plumage était en désordre

Et le verbe gésir lui-même

Ne pouvait suffire à rendre compte

De la simple raideur de l’ensemble

Quand bien même on aurait écrit

Ici gît

 

Et qui donc l’aurait fait

Pour cette âme volatile

 

Je fus saisie d’effroi

Et lâchai ma collecte

Rendant à la divinité farouche

Tout

Ce qui lui appartenait

 

 

 

Bec à bec

Bouche à bouche

Tête à tête

Deux ramiers

Sur le toit voisinal

Refaisaient le monde

Au cœur du printemps

 

Lorsque surgit un comparse

L’un d’eux alors

Prudemment s’éloigna

Et derrière la cheminée

Se résigna

 

Le manège reprit

Autrement

 

 

 

Cette fois la palombe exagérait vraiment

Tentant de l’autre côté de la rue

De pénétrer dans le jasmin

De mon voisin

Qui au troisième étage

Eté comme hiver

En prenait le plus grand soin

 

Sans doute voulait-elle y nicher

Elle s’y cramponnait farouchement

Animant d’étranges battements d’ailes

Cette façade début de siècle

Ornée de corbeilles de fruits

Et de guirlandes de feuilles d’acanthe

 

Elle espérait encore aboutir à ses fins

Et contrecarrer la pesanteur

 

Mais en vain

 

Car chacun sait depuis Newton

La gravitation universelle

 

Démontrant qu’il est là comme ailleurs

Quelques accommodements avec la loi

Elle maintint son projet

Et contre toute raison

Dans sa chute

Refusant l’envol

Se récupéra sans grâce

Sur la rampe d’un balcon

En contrebas.

 

 

 

Deux ramiers

Pigeonnaient pigeonnant

Sur la cheminée haute

Du bas pavillon bas

De la cour

Battaient des ailes

Roucoulant

Se baisant

Et volaient de conserve

Entre les murs et les toits

De gouttière en gouttière

Dans cet espace très clos

Et réservé

Préservé

De chez moi

 

Par moments ils plongeaient

Dans la frondaison verte de l’arbre

Marronnier touffu

Solide et amical

Et les palombes affairées

Disparaissaient noyées dans la ramure

 

N’eut été le corbeau de l’Arche

Et la colombe au rameau d’olivier

C’est à ce couple d’amoureux

Amoureusement occupés

Que tout mon univers

Se serait borné

 

 

 

Dans ma cour parisienne

Les palombes sont des ramiers

Bourgeoisement installés

 

Gîtant dans la ramure

Au fond de la verdure

Du marronnier

Elles replient leurs ailes

Et leurs rêves

Avec urbanité

 

 

 

La palombe sauvage

Qui repose

Au haut faîte du grand sorbier

N’est plus si sauvage

Elle habite la Cité

Près du Collège d’Espagne

Au-dessus des défilés

Dans l’allée où cheminent

Des pèlerins

Jour et matin

D’un monde à l’autre

Jour et soir

Paisible va et vient

Estudiantin

 

La palombe sauvage

N’est plus sauvage

Elle habite Boulevard Jourdan

Le Grand Jardin

 

 

 

Sur un toit du voisinage

Mes ramiers familiers

Se livraient

A leur habituel badinage

 

Je connaissais bien

Amoureux fou

Ce ménage à trois

Folâtrant

Librement

De tout leur long fuselage

 

Dans le jour levant

Leur couleur si justement nommée

Gorge de pigeon

Jetait sur la masse

Des horreurs à venir

L’espérance d’une réconciliation

 

Et au-dessus de leurs colliers

Leurs têtes grises

Alternativement tournées

Et retournées

Etaient un exemple d’harmonie

Un contrepoint même

Au sein de la tonalité

Du vieux Paris

 

 

 

Dressée sur la rambarde du balcon

La palombe regardait avec insistance

Entre ouverte

La porte fenêtre de la chambre

Où j’étais étendue

Me voyant à l’intérieur

Elle semblait hésiter

A pénétrer plus avant

Craignant à mon air revêche

Que je ne la laissasse pas faire

Ce en quoi elle se trompait

Car j’aurais vu là un prodige

Et mieux encore

Une prophétie

 

 

 

RIVIERA

Deux tourterelles à collier

Arpentaient la grève

D’un pas tranquille et familier

 

Comme j’allais quêtant

D’entre les galets

La forme parfaite

 

Elles vinrent vers moi

S’approchèrent

Et quémandèrent

 

Las je n’avais rien

Et perçu dans leur regard

Un brin de contrariété

 

 

 

Carrousel de mouettes

Ailes en fête

A tire d’ailes

Déployant alertes

Toutes les figures

Dans le ciel céleste

 

 

 

AILLEURS

De Guincamp à Lorient

Il neige

 

Des massifs centraux

Aux frontières effacées

Des replis ardennais

Aux confins niçois

Le verglas s’étend

A perte de vue

Sur le pays perdu

 

Les grues migratées

Boussole impavide

Persistent pourtant

A remonter vers le Nord

 

C’est qu’il en faut plus

A Notre Mère la Nature

Pour renoncer à son projet

De renouvellement

 

Et entre courage et inquiétude

Ces oiseaux vont

Sombres dans l’air plombé

Battant péniblement des ailes

Tout en dessous du ciel

 

 

 

Il leur en faut peu

Disait l’oiseau d’or

Brillant dans le soleil

Regardant en bas

Tassés contre les uns

Les autres sur la terre

Les vivants petits petits

La bouche ouverte

Le nez en l’air

Ebahis

 

 

 

Venu du Septentrion

Un rapace survolait mon rêve

Entre ciel et terre

Il induisait d’étranges connexions

 

Ce n’était pas un milan

Sa queue n’était pas fourchue

Ni un aigle fut il pêcheur

Bien qu’il y ait eu là des mares

Ma terre n’était pas assez haute

Ni un busard

Il était trop aventureux

Il volait trop bas pour un épervier

A me glacer d’effroi

Si c’était un vautour

Il y avait de quoi

 

Mais non

C’était un condor

Envoyé me chercher

Par ma mère

Pour la rejoindre

La Reine des glaciers

 

 

 

Tout là-haut

Là-haut

Là-haut

L’alouette

Comme jamais ne la peignirent

Les peintres

Au plafond des édifices

Car au dôme de l’univers

Seule a accès

La main du poète

Jeanne Hyvrard

 

Retour à la première page

Mise à jour : décembre 2014