UNE HAIE D’EGLANTINES

 

Et autres Poèmes de la Petite France

1996 - 2017

Faisant suite sur le même thème et concernant le même domaine à ceux publiés sous ce titre par Ecbolade en 1997 et qui comprenait les titres suivants :

Les nuits sont froides dans la Bray /// J’emporte du pain dur /// Le brouillard est à la Bray /// Je m’éveillerai un vrai matin /// J’ai vu deux astres rouges /// Avec la lampe de mon père /// Dans le jardin magique /// Je vous ai commandé /// Les pieds dans les crocus /// Au matin dans la rosée /// Les pas de mon amour /// Pendant que vous dormiez /// Le petit monde immonde des limaces /// Les biches viennent boire à mes mares /// Seuls ceux qui meurent /// Avec le Capitaine de Château-Loup /// Eux savent quand il faut tailler les lilas /// Nous croulerons sous la végétation /// La coupe calée /// La Bray en Novembre /// Debout dans le soleil levant Jason /// Une pintade /// En Décembre déjà les bulbeuses démarrent /// Le jardin est sous la neige ///.

 

 

 

J’ai planté une haie d’églantines

En mémoire de ma mère

La mère de la rose

Pour qu’au jour du Jugement

Le dernier passant

Se retourne sur elle

 

 

Maniant mal l’élagueur

J’ai fait saigner le cassissier

Sous le bois dur de l’hiver

Est apparue la peau écarlate

J’en suis restée toute désemparée

 

 

Le couvreur aux pieds légers

Vole de toit en toit

Ardoise ma mie

Ne glisse pas de mes doigts

Mais mets-toi là

Et tiens-toi

 

 

Dans la brouette sous le hangar

Le bois était coupé

Un vieux pommier du verger

Ou un reste de cerisier

Les bûches étaient de longueur égale

Bien calibrées

Et j’eus gratitude

Pour les belles flambées

 

 

Penchés l’un vers l’autre

Mes beaux enfants

Refermaient la grille de la propriété

L’un avait un vêtement

Bleu électricité

Et l’autre celui de nos vieilles équipées

Ils revenaient des haies buissonnières

Et portaient dans leurs mains

Le produit des ronces fructifères

 

 

Dans la prairie

Mes aimés divaguaient

Devisaient

Les unes lourdes d’agneaux nés

Ou à naître

Et les autres d’humains à connaître

Mes grands fils peupliers

Se dressaient tout de gui

Debout parasités

Et dans la pâture arasée

L’herbe se redressait

Gaie

Sous le soleil de Janvier

 

 

Le matin au réveil

Je vais cueillir les mauvaises herbes

Dans leur sommeil

Quand elles rêvent encore

De ne point se distinguer

De la couverture végétale

Qui borde les rebords

De Notre Mère la Terre

Et de se fondre

Dans le songe et le mensonge

Que tout vivant

Vivra

 

 

En mon jardin

Dans les hautes herbes mal taillées

Une bête était venue se reposer

Elle avait fait sa couche

Ronde et langoureuse

A l’abri des groseilliers

J’aurais dû dire sa bauge

Mais l’ensemble était trop gracieux

Biche laie ou renarde

Aux fleurs elle n’avait pas touché

S’étant contentée en s’endormant

De les humer

 

 

Les feuilles de magnolia

Sont sèches

Rousses rousses

Le roux drapeau de la défaite

Sur fond de mur de briques

On le verrait à peine

Il s’y confondrait même

Sans les bourgeons oblongs

Obus blancs et ronds

 

 

Gloire aux Ancêtres

Qui ont inventé le procédé

Et aux Industriels

Qui l’ont fabriqué

Dame Fouine

Est prise prisonnière

Dans la machine en fer

Le piège à arrêter

Les voleuses d’œufs

Du poulailler

 

 

Vous me disiez mouton

Je répondais jardin

Vous me disiez verger

Je comprenais compote

Vous me disiez clôture

J’entendais bosquet

Vous me disiez plaisir

J’espérais bonheur

 

 

J’entends le feu qui crépite

Et la douleur des branchages

Je ne vois pas encore

La fumée d’albâtre

S’élever jeune

Au-dessus du chemin piétonnier

Frêne érable ou micocoulier

Craignent pour leurs ramures

A tort

Car leurs rousses couronnes

C’est déjà l’automne

L’heure du nettoyage

De la cendre

Et du recueillement

 

 

Un héron égaré

Cherchait refuge dans la propriété

Il allait d’une mare à l’autre

Du hangar au clapier

De la cour au verger

Je pris bien garde à ne pas me montrer

Pour ne pas l’affoler

 

 

Les roses de Noël fleurissent à Noël

Par goût du sens de la langue et des mots

Elles ouvrent leurs calices comme de grandes rosaces

Dévoilant en leurs seins un cœur flamboyant

Et se penchant sur ce vase béant

On voit au fond perler

Quelques gouttes de sang

 

 

Une araignée entreprenante

Avait tendu un fil

Entre sureau et laurier

Soit sur plus de cinq mètres

Les arbres étant de tailles inégales

L’architecture penchait

Défiant les lois de la gravitation

Mais elle n’en avait cure

Et dans l’humidité d’Octobre

On voyait au soleil levant

De ce pont suspendu

Briller tous les haubans

 

 

Attends un peu pour ouvrir la barrière à bétail

Amour

Allons d’abord à l’étang

Voir si le héron

Le cormoran

Mais oui le cormoran

S’en vont gitant

Fugace embellie

Asile aquatique

Oiseaux fugitifs

Attends un peu amour

Pour ouvrir la barrière à bétail

Allons déjà jusqu’à l’étang

Voir si nos aimés

Sont encore là

 

 

Mare ou étang

Qu’importe le nom de cette étendue verglacée

Miroir concave au creux du verger

Où se mirent

Le merle frigorifié

Et le loriot désemparé

 

 

Tourterelle

Est seule

Et s’en désole

A la Saint Valentin

N’a pas trouvé preneur

Appelle encore

Ame sœur

Rrrrr rou rrrrr rrou rou

Mais déjà dans la haie

Coucou coucoute

Cou-cou Cou-cou

Annonce les jours nouveaux

Le renouveau

Et tourterelle encore

Seule

Erre

 

 

Une biche s’était réfugiée

A Trou l’Enfer

Sans doute avec son faon

Poursuivie par un chasseur

Sachant chasser

Avec ou sans son chien

Mais en Mai

Hors la loi assurément

Sans pitié ni compassion

Sans autre rêve ni passion

Que de tuer

 

 

Dans les hautes herbes

Une poule avait couvé

Au pied des alisiers

Mais la fête étant annoncée

L’herbe fut arasée

Et le nid las hélas

Abandonné

 

 

Tourterelle sauvage

N’est pas si sauvage

Habite ma maison

Ma cour et mon verger

S’enhardit parfois

Jusqu’à survoler

Mon beau parterre

Tout jardiné

Mais recule effrayée

De m’y voir musarder

Tourterelle sauvage

N’est pas si sauvage

A une compagne

Ou un compagnon

Avec qui roucouler

Jacasser

De ce qu’on voit là

Cette chose déambulant

Un être vivant

 

 

Fleur parmi les fleurs

Flore encore enfant

Marche en suivant Cérès

Cybèle Déméter

Jeune encore mais déjà mère

Pas encore lourde des rousses récoltes

Elle ne sait rien de ses sujets

A peine le piquant de la rose

Et encore faut-il serrer fort

Les mouvantes corolles

Presque rien des pivoines

Qui déjà en Juin se fanent

Et moins encore des pavots

Sanglots mauves de pétales fripés

Par le vent parsemés

 

 

Leverkusen

Il avait crû jaune

Jaune paille

Jaunâtre

Jaunasse

Jaune à peine

Jaune déception en tous cas

A l’étroit dans cet édicule

Contorsionné et malhabile

Je maudissais mon choix

Mêlé à d’autres rosiers

Plus rosiers les roses rosacés

Il paraissait infirme

Et il l’était

Ses tiges raides s’opposaient au mouvement

Et il grimpait à contretemps

A contre sens aussi

Couvert d’épines

Pour le toucher il fallait mettre des gants

J’envisageais même un ultime déplacement

Lorsqu’atteignant le grand arceau

Celui qui soutenait la voûte mère

Il se mit à produire d’étranges pétales teintés

D’un rouge bouleversant

 

 

C’est en marchant vers l’Est

Que j’ai su le soleil se lever encore

En dépit des ormes morts

Des chardons végétant

Du bétail malade

Et des hommes égarés

C’est en marchant vers l’Est

Que j’ai su le soleil se lever encore

Du côté des saules et des noisetiers

 

 

Dans l’herbe déjà haute

Entre tonnelle et fraisiers

Vénus somnole

Lourde des œuvres de Mars

Ce n’est pourtant qu’Avril

Son fruit ne sera là qu’en Mai

En Juin peut être même

Quand elle commencera

A devenir Junon

 

 

J’entends le rire de ma fille

Sous le hangar

Et la voix grave de son père

J’entends les barrières qu’on déplace

Et la plainte du bétail

Le grincement de la chaîne

Et le piétinement de la bousculade

Dans le jardin où je suis

J’entends au loin l’aboiement d’un chien

Le pépiement des oiseaux

Et dans la cour le roulement plastique

Du tricycle de ma toute petite fille

 

 

J’aime voir pousser les pivoines

D’année en année

Plus drues

Plus solides

Plus solaires

Plus féroces

Plus violettes

Plus violacées

De rage et d’impatience

Plus verdâtres

Plus vertes

Comme les tiges se font feuilles

Plus fermées

Comme les boutons tenaces et ronds

S’élancent vers les cieux

Plus pourpres de leur rêve impérial

Pour éclater enfin

Radieuses

Dans leur pulpeuse majesté

 

 

Un bourdon se reposait sur une feuille d’ortie

Fatigué sans doute par un trop long voyage

Car les fleurs étaient rares

En ce long

En ce commencement long de printemps

Primevères acaules et officinales

Jonquilles narcisses blancs et jaunes

Blancs et blancs

Blancs et oranges

Oranges et jaunes

Combinaison infinie de la combinatoire

Jacinthes tout à fait raides

Répliques burlesques

De leur ancêtre sylvestre

Crocus nabots arrogants

Ou tulipe botanique

L’ancêtre prototype

C’était un peu mince pour l’insecte

Et comment faire contre mauvais fortune

Bon cœur

O Mère Nature

Prodigue Marâtre

Comment faire contre mauvaise fortune

Joli cœur

Sans la moindre âme sœur

Un bourdon se reposait sur une feuille d’ortie

Las et mélancolique

Mais où était donc l’amante-reine

Les pivoines entêtantes

Et les roses solaires

Mais où était donc l’amante-reine

Dans quelle ruche lointaine

Gardée par les abeilles

 

 

Une branche de marronnier

Avait été cassée par la tempête

Je la trouvai dans le pré

Seule et désemparée

Incongrue même

Car à la ronde

Je ne connaissais rien de tel

Marrons ou marronneraie

C’était un arbre urbain

Dangereux pour le bétail

Et impensable dans ce coin de bocage

Terre de haies vives et de chemins creux

Erables champêtres

Aulnes charmes

Frênes ou micocouliers

Autant qu’on en voulait

Mais de marronnier point

Dans les haies de plein vent

Le long des chemins caillouteux

Une branche de marronnier

Avait été cassée par la tempête

Les bourgeons éclatés

Déjà fleurissaient

Et se déployaient toutes feuilles écartelées

Pétales pédoncules et pétioles

Dans la même espérance de l’été

La douleur était grande

Et pour moi et pour eux

Bien que je fus encombrée

Dans mon antre

Je l’ai emportée

Et elle en fut toute transformée

 

 

De l’autre côté de la haie

Dans l’autre prairie

A l’autre bout du chemin creux

Un cheval et son cavalier

Répètent inlassablement la même figure

La posture

Le déhanché

Le pas dérobé

Enrobant le rêve

Le schéma concerté

L’essence concentrée

La forme codifiée

 

 

En haut de la tonnelle

La croyant à tort abandonnée

Un volatile habile

Avait fait son nid

Les longues pousses lascives

Le mélange des genres

Le chaos végétal

Faisaient que l’erreur

N’était pas trop coupable

Mais taillant cette pléthore

Je découvris malheur l’habitacle

L’ensemble forçait l’admiration

De mousses et de lichens

De plumes et de laine

Moelleuse

L’architecture savante

N’avait rien à envier

A mes propres constructions

Pour l’impolitesse de l’installation

Comme celle de l’effraction

La même des deux côtés

Mieux valait n’en point parler

 

 

Dans la jungle du parterre

Hémérocalles

Oreilles d’ours

Rosiers couvre-sols

Et même les petites pensées

Rêvent

Les bourdons

Lourde flotte aérienne

Vérifient et maintiennent le désordre

Sans rien y rajouter

Ce n’est pas la peine

Dans la jungle du parterre

La nature rêve

A un ordre qu’elle inventerait

 

 

Rouge la haie d’aubépines à l’automne

Quand le printemps a passé

Blanc de la blancheur

De l’innocence ignorante

De tout et du rien

Du rien surtout

Et l’été vert

De la verdeur de la verdure

Extrême au haut bout des branchages

Rouge la haie d’aubépines à l’automne

Quand le printemps et l’été

Ont passé

Et que les fruits sont mûrs

A l’approche de l’hiver

Raides et désemparés

 

 

J’ai ramassé les restes du jardin

Topinambours incertains

Glaïeul égaré

Asters presque fanés

Roses aux tiges abîmées

Et gaillardes désemparées

M’en suis fait un bouquet

Unique et coloré

Car l’hiver s’annonçait

Mais je n’ai pu y joindre

La tourterelle

Déjà cachée

Ni le genévrier

Solitaire et altier

 

 

Argenté

Un saule dans le lointain

Au lieu-dit

Trou l’Enfer

Un vent terrible

Un ciel glacé

Un monde meurt

Un autre peine à naître

Et on se prend à rêver

Que l’accouchement

Dure si longtemps

Que du nouveau-né

On n’ait rien à connaître

Argenté

Au loin

Un saule pas même pleureur

Un ciel terrible

Un vent glacé

 

 

En costume d’hiver

Le jardin replie son étendard

Roses pompons

Sur fond de cassissiers

Chacun se tapisse

Formant tapis tapissant la terre

D’un plaid argenté

Velouté

Enamouré

Le givre règne en maître

A quoi bon lutter

Contre l’air du temps

Homogène et glacé

En costume d’hiver

Le jardin replie son étendard

Reste son emblème

Sur fond d’éternité

Le vert genévrier

 

 

Le jardin est couvert d’ardoises

Quel est donc ce prodige

Elles se sont abattues là

Comme une volée d’oiseaux las

A plat ou de guingois

Verticales dans le genévrier

De biais dans les fourrés

Etouffant les fraisiers

Ou calées

Dans l’embranchement des alisiers

La tonnelle a l’air penché

Mais l’hellébore a résisté

Le jardin est couvert d’ardoises

Et mon cœur est en émoi

Ouragan mon frère

Qu’as-tu fait là

 

 

L’iris est la fleur sacrée

Mais la pivoine ma préférée

La rose ne vient qu’en dernier

Parmi celles qui me font trembler

 

 

Rouge la rouge gorge du rouge gorge

Voletant de haie en taillis

Rouge la rouge gorge du rouge gorge

Cherchant un lieu pour faire un nid

 

 

Verte la Normandie

Hormis les vaches

Les poulains

Les vaches sages

Et les poulains timides

Les boutons d’or

Et les pissenlits

Verte la Normandie

La terre des hauts herbages

Où danse ma frénésie

 

 

Cramponnée à une branche de buis

Au bord du jardin

Comme une vigie à la hune

Refoulant son angoisse pour surveiller la mer

Une grenouille immobile et grave

Regardait la plaine

Là un fouillis d’herbe

Et de plantations

Assise dans mon fauteuil à côté d’elle

A l’ombre d’un lilas en fleurs

Mon état d’esprit n’était pas le même

Dubitative

Je contemplais le travail à faire

 

 

Les roses de Décembre

Ne sont pas les plus belles

Ni par la couleur

Ni par la senteur

Ou même la pesanteur

Rabougries et frigides

Elles paraissent effroyables

Et c’est cet effroi même

Qui force le respect

 

 

Dans la chambre de campagne

Un papillon noir volait tranquillement

Quêtant l’issue de la lumière

Et désappointé se posait

De temps à autre

Sur le rideau ocre et beige

Le léger filet de maillage

Lui refusait obstinément

Le passage

Etait-ce un mauvais présage

Meurtre guerre incendie

Epidémie ou déni

Je ne pouvais me résoudre à le croire

J’étais trop occuper à tenter

De renouer les fils de moi

Eparpillés

Dans la chambre de campagne

Un papillon volait

Noir et tranquille

Tout au-dessus de moi

 

 

Tourterelles

Tournent tournent

Volent au vent

Tourterelles

Tournent tournent

Bientôt le printemps

 

 

Les abeilles en reconnaissance

Survolent l’allée

Etonnée de me voir

Dans ce lieu

Si peu habité

Les abeilles en reconnaissance

Survolent l’allée

Et s’en retournent intriguées

 

 

J’entre dans la végétation

Comme dans la mer

L’eau me battant les mollets

Un élément autre

Car de la végétation

Autrefois j’étais

Et demain

Je serai

 

 

Guirlande fleurie

De chez Eve le rosiériste

Est d’un rouge bien inquiétant

Non de prime abord

Comme elle dégouline profuse

De dessus la tonnelle

Et même dessus le chèvrefeuille

Là bien avant elle

Mais quand on l’observe longuement

Et qu’on s’aperçoit

A la violacité des fleurs séchées

Qu’elle a exactement la couleur du sang

 

 

Rouges les fruits des aubépines

Dans la haie

Foin du voile blanc

De l’innocence des mariées

Au printemps

C’est l’automne

Maturité sanglante

Des combats qu’il a fallu mener

Pour seulement subsister

 

 

Appuyée au portail du jardin

Je regardai de loin

Sans oser entrer

A cause du brouillard et de l’humidité

Les hautes hampes jaunes soufrées

Du mahonia en fleurs

Et tous les autres persistants

Pin Mugho

Laurier

Et surtout mon bel amant

Le massif genévrier

C’est alors qu’un battement sourd

Venu de l’arrière-cour

M’avertit

Mais je n’y pris pas garde

Habituée dans ce lieu

Sans piège ni pesticide

Au peuple nombreux des oiseaux

Je sentis les ailes du volatile

Frôler ma chevelure

Et vis passer

Entre pétrole et cobalt

Le bleu messager des dieux

Légèrement brillant

Qui s’en allait

Dans la haie opposée

Se poser

Je regardais médusée

Cet animal sans gêne

Inconnu

Trop petit pour un coucou

Trop grand pour une mésange

Ou une bergeronnette

Et d’une couleur trop intense pour un geai

N’eut été sa taille et le climat

C’était encore au colibri qu’il ressemblait le plus

Par la teinte exotique

Et la luminescence

Je cherchais son nom en vain

Décidemment non

Même en image

Je n’en avais jamais vu

C’est alors qu’il fut rejoint par un autre

En tout point identique

Partenaire comparse ou acolyte

Difficile à savoir

En tous cas bien plus civilisé

Car le deuxième me survola

Sans me toucher

 

 

Enfoncée jusqu’à mi-corps dans le massif

Pour arracher quelques mauvaises herbes

Ayant touché par mégarde

La tête d’une pivoine au bord d’éclore

J’ai senti contre ma main

Une truffe humide et aimante

Je me suis vivement retirée

De crainte de blesser

Cette délicatesse sacrée

 

 

Entre genévrier et rosier

Sauvagement emmêlés

Non par goût

Mais par nécessité

Une chose vivante

Courait à l’aise

Sur les larges branches des conifères

Grappillant çà et là

Les baies du rosacé

Cueillant à l’aise

Dans cette jungle inextricable

Pourtant féconde et prodigue

Elle attira mon regard

A cause de sa couleur orangée

Peu banale dans ce lieu

Où la masse des prédateurs

Implique pour survivre

Des couleurs plus discrètes

Ce n’était pas un écureuil

Ou alors miniature

Echappé des geôles d’un savant fou

Ni un mulot ou un surmulot

Accoutumés aux sombres cavités

Ni une taupe ou musaraigne

Faute de museau adéquat

Mais elle avait des oreilles rondes

Droites et bien ourlées

Et un petit museau séduisant

Une bande blanche bordant en bas

Sa fourrure

C’était peut-être un loir

J’avais entendu dire qu’ils étaient très petits

Mais n’en avais jamais vu

Et dans cette pause champêtre et solaire

Ayant laissé de côté la rumeur du monde

Mon espérance se limitait à ce moment là

A découvrir en consultant

L’illustre dictionnaire illustré

Que c’était bien cela

 

 

Quoi déjà

Les hémérocalles

Pointent leurs têtes velues

En épis le long des tiges

Vertes

Avant d’éclater

Fauves

En rayons rayonnants

D’or

Et de soleil

Quoi déjà

Je n’ai rien vu des iris

A peine les pavots

Et la fin des pivoines

Quoi une pareille absence

Et pour si peu de profit

 

 

Je reviendrai au printemps

Dis-je à l’amant genévrier

Comme je lui caressais

Clandestinement

Ses verdures grandissantes

Je reviendrai au printemps

Dans ce lieu inhabitable

Que j’ai folle tenté en vain

De rendre plus aimable

Je reviendrai au printemps

Dis-je à l’amant genévrier

Comme je respirais

Amoureusement

Son odeur entêtante

 

 

Sentinelle aguerrie

Du fond de la Normandie

Je guette le Jaseur Boréal

Migrateur erratique

En provenance de Sibérie

C’est un oiseau gris

Au front rosé

Sa tête est couronnée

D’une huppe au faciès

Etrangement étrange

Et ses grandes ailes sont bordées

De longues plumes blanches

Striées et colorées

Du moins pour ce que j’en sais

Car je ne l’ai jamais vu

Du fond du vallon

Je surveille la venue de celui

Dont nos aïeux croyaient

Que visiteur épisodique

Il annonçait les grands froids

La guerre

La famine et la peste

Et les épizooties

Sentinelle sans guérite

Entre coteau et colline

Je guette le mauvais présage

Et je médite

Sur les changements climatiques

 

 

Faute sans doute

D’avoir taillé mes rosiers

D’en avoir vu

Ou compris

La nécessité

Ils sont retournés à l’églantine

Comme de jeunes insolents

Refusant de marcher

 

 

Une pivoine dans le soleil levant

Déployait sa corolle

Qu’elle avait fermée pour la nuit

Un bourdon matinal

Entra dans l’habitacle

Y disparut un moment

Et s’envola vers une autre

Amoureuse du printemps

Elle ne s’en offusqua pas

Une pivoine dans le soleil levant

Déployait tous ses voiles

Dans le vent

 

 

Au printemps dernier

Contre toute attente

Le jardin a brûlé

Et même le grand fourré

Aux flammes

A dû être abandonné

Dans la caverne matricielle

Je ne pouvais plus me refugier

Et n’avais plus d’endroit

Où me cacher

Contre toute attente

L’été a passé

Maladif et opéré

Dans l’absence

Et l’immobilité

L’automne est annoncé

Douteux et surchargé

Tout plein de manque

Et de travaux inachevés

Les jours et les pas sont comptés

On entend déjà

En contrebas

Là-bas

Le canon tonner

Contre toute attente

La vie va

Mémoire chaotique du monde végétal

Etrange

Convulsé

Et tenace

 

 

Les bêtes traversent mes fourrés

Sans gêne ni angoisse

Sans arrogance non plus

Plutôt en mon absence

Me tolérant près d’elles

Comme elles je les accueille chez moi

Ne découvrant qu’au matin

La trace de leur passage

En ce lieu qui me tient lieu

De jardin

Au ploiement des végétaux flexibles

A la bauge dessinée dedans les herbes hautes

Et cette fois-là aujourd’hui

A la voie pratiquée sans vergogne

Dans la verdure des hémérocalles

Chemin creux souple et confortable

Donnant accès à la noirceur cachée des branchages

Formant le labyrinthe du sombre genévrier

 

 

Envoyé par les dieux

Pour panser ma blessure

Un noisetier croissait

Du plus vite qu’il pouvait

Accolé à une ferraille

Que j’avais crue tonnelle

Rouillée de douleur

Dégarnie par les flammes

Elle avait pourtant fière allure

Digne dans son malheur

Et dans ce fourré

Que je disputais à la faune

Après avoir cru

Pouvoir m’en faire un jardin

Contemplant ces deux êtres

Je me disais qu’en dépit du désastre

Cela en était tout de même un

 

 

Chardonneret ou mésange

Quel est le nom de cet hôte

Ostensiblement perché

Sur le portail de la propriété

Comme j’arrive d’un peu loin

J’entends sa voix qui me salue

Le temps d’y croire

Et hop il est sur le rebord du toit

 

 

Laissons la branche morte

Attendre la tempête

Ne devançons pas

L’appel du néant

Viendra bien assez tôt

Au flanc du tronc noueux

La trace cicatricielle

Du grand déchiffrement

Laissons la branche morte

Attendre la tempête

Viendra bien assez tôt

Le temps de la cassure

Et au-delà de la mutilation

L’effroi du renouveau

 

 

Sur un pieu de la parcelle Nord

Une buse un moment s’était posée

Ses grandes ailes fauves et noires

De tout leur long

Sagement repliées

Elle tournait sa tête et son bec

Vers l’Ouest puis vers l’Est

A l’Ouest et

Comme de la cuisine

Installée derrière elle

Au Sud

Je la regardais pleine de grâces

Pour ce moment de grâce

Elle ouvrit ses ailes

Pour fondre sur sa proie

Fuyant dans l’herbe

Ce vol lourd

J’en restai dépenaillée d’effroi

 

 

Dans mon jardin

J’ai presque tout planté moi-même

Sauf les tourterelles

Elles me le rendent bien

Me laissant libre

D’aller et venir

D’aller et revenir

D’aller et de revenir

D’aller et d’en revenir

Dans mon jardin

J’ai tout planté moi-même

Ou presque

Et même maintenant les tourterelles

A mon corps défendant

A mon corps défendu

 

 

Par la fenêtre de la cuisine

Dans ce coin de campagne

Sous l’herbe nouvelle

Dans la lumière croissante

De la fin Février

Les prés se répandaient

Jusqu’au pied du coteau

Mais par delà le volet

Qui battait malencontreusement

Ce qui attirait mon regard

Dans la parcelle Nord

C’était à côté du hangar rouillé

Ce qu’on avait planté pour moi

Un cèdre enfant

Qui ondulait dans le vent

 

 

Survolant la corolle rose

De la pivoine

L’abeille calculait

Son point d’atterrissage

Oreilles grandes ouvertes

A la rumeur du monde

De mon côté

J’évaluais

Combien de temps encore

Je pourrais résister

A l’anéantissement

Assise sur le tabouret de pierre

Qui menaçait ruine

Dans le fourré fleuri

Qui autrefois

M’avait servi de jardin

Et m’en servait encore

Au mépris de toutes les normes

De l’horticulture

De la grammaire

Et de toutes mes autres

Anomalies cardiaques

Je contemplais

Intimement mêlées

La flore et la faune

Ces baroques tentatives

D’animer l’univers

M’abandonnant

Avec et auprès d’elles

A ma joie païenne

 

 

Rêveuses au fil du vent

Cette année encore

Mes pivoines ont fleuri

En mon absence

Lascives dessous le firmament

Royales dans le domaine

Que je laisse à mes survivants

 

 

Certains des poèmes de ce recueil - lorsqu’ils étaient encore inédits – ont été publiés dans des revues des deux côtés de l’Atlantique.

A l’Ouest de cette masse d’eau grâce à Milena Santoro qui les a traduits pour qu’ils paraissent aussi bien en français qu’en anglais dans The Antigonish Review ou dans l’International Poetry Review. Et aussi à Anne Marie Alonzo éditrice au Québec dans sa revue Trois.

A l’Est de ce qu’au temps de Magellan on appelait la Mer Océane, dans toutes sortes de revues ayant toutes en commun le goût de la poésie : Entre autres L’œil de boeuf, Terpsichore, Traversées et Midi.

A tous ces médias papiers et à ces valeureux revuistes qui contre vents et marées les ont animées le plus souvent en ne comptant que sur eux-mêmes, ma gratitude.

On peut avoir connaissance du détail de ces publications en se reportant sur le site www.hyvrard.fr, dans la rubrique Bibliographie sous l’icône de la Tortue.

 

 

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Mise à jour : août 2017