L’EVIER
DE LA SOUILLARDE
Poèmes
de la villégiature
1996-
2017
Jeanne
HYVRARD
L’évier de la souillarde
Etait ce matin là
Totalement empli
Et non comme d’habitude
Le simple lieu de passage
De la joyeuse cascade du fil de l’eau au fil du
temps
C’est que cette fois là
Je voulais pour la rincer
Y plonger ma longue chevelure
Toute de mousse encombrée
C’est alors que j’aperçus
Se reflétant sur la face aquatique
Que je n’avais pas encore troublée
Au travers de la lucarne
Eclairant l’installation
Les millions d’années sédimentées
Dans la masse du haut rocher
Les débris agglomérés en tuf et en brèche
De jurassique en crétacé
Et encore au-delà
De l’eau du verre de la pierre
Et du temps
A la surface mouvante de l’abîme
Momentanément inversés
L’éther et l’azur
Eternellement mêlés
Ma Mie
Vous ne m’avez rien dit
Des beaux iris
Que j’ai plantés
Sur le rebord
Pierreux
Rocailleux
Ma Mie
Vous ne m’avez rien dit
Des oiseaux bleus
Que j’ai perchés
Nidés
Sur le rocher
Dessous le
marronnier
Sur la terrasse de
pierre
Fervente
La vie veut vivre
Rare et protégée
Dessous le marronnier
Entre pin et parasols
Le bonheur veille
Tendre vigile
Attentif aux voix
Au rêve
Au choix
Comme une
soldate en déroute
Parce que la route
Du bonheur est coupée
Barrée
Sur un lit de fortune
D’infortune
Sous mon manteau de
jean
Déplié
Replié
Je dors
C’est la villégiature
Le mas austère et dur
Maison climatique
Hiératique
Et chimérique
Le rêve d’un ailleurs
autrement
D’un ici toujours
A jour et contre-jour
Depuis toujours et pour
toujours
Tous les jours
Ressourcement
tranquille
Mais non
Le salon de musique
Dont je rêvais dans le relabrement
Se défait
Sans main secourable
Secourue
Pour secourir
La nuit des temps
La nuit du temps
Là depuis toujours
Ce n’est pas si simple
La villégiature est la
villégiature
Le salon que je voulais
d’accueil
Est un écueil
Pour moi-même
accueillant
Je m’y recueille
De nuit de jour
Aujourd’hui une fois
pas pour toujours
Comme une soldate en
déroute
Sous le jean de mon
manteau
Parce que la route du
bonheur
Est coupée barrée rasée
Sous mon manteau en
déroute
Replié déplié
Je dors
Sur un lit de fortune
D’infortune
Pas tout à fait
C’est celui sur lequel
Autrefois jeune fille
Maman dormait
Bonhomme réclame
de l’aide
Brandissant du haut de
ses cinq ans
Sa feuille sur laquelle
sont inscrites
En bon ordre
Les quatre premières
lettres
De son nom
Mais la suite se dérobe
Et son doigt minuscule
Modeste et
interrogateur
Dessine dans l’air
Des signes
cabalistiques
Tandis que sur sa face
Se lit toute l’angoisse
De l’implacable
création
Suspendus entre plateau
et rivière
Les rétifs barres et
jambages
Ne veulent rien savoir
Et le A premier
principe principal
Qui devrait suivre
Les formes déjà
installées
S’avère un obstacle
Insurmontable
Je me prends alors
Moi aussi
Dans l’espace vide de
l’horizon
A tenter de donner
forme
Au vent
Petit Thibault
m’emboîte l’espérance
Sa main copiant la
mienne
Pour évoquer la suite
des lettres
Et sur le balcon de la
maison
Surplombant le Tarn
Là où paissaient
autrefois
Ours et rhinocéros
Se découpant sur le
ciel d’Août
Le fils de ma fille
Enchaîne tous les
gestes nécessaires
Pour écrire son nom
L’oiselle avait
volé longtemps
Tout le temps de cette longue journée
Reliant à tire d’aile
Un domicile à l’autre
A l’autre bout du pays
Ses petits l’avaient attendue
Pépiant et scrutant le ciel
Désappointés
A chaque anonyme survol
Les klaxons automobiles
La sirène du chantier
Le hennissement du cheval blanc
Attaché dans la rue du village
Ne les avaient distraient qu’un moment
Et l’inquiétude commençait à poindre
Comme le soir tombait
Enfin elle survint
Repliant ses ailes
Pour aborder au nid
Ce fut alors un carrousel de joie
De baisers de vivats
De ramages de plumages
De pépiements et de hurrah
Ma fille venait de retrouver ses enfants
Le rouge-queue
s’est perché
Sur la lanterne
communale
Flanquant la maison
Entre le ciel et la
terre
Pour donner la sérénade
Sa sarabande plutôt
Qui serait un simple
cliquet
Monotone et lassant
Si ce n’était un messager
Connu et aimant
En ce lieu où les
oiseaux nombreux
Foultitude excentrique
Règnent en maître
Ce n’est pas une
réserve ornithologique
Mais cela se pourrait
Viaduc de Millau (1)
Au-delà du grillage
vert
Des branches de figuier
S’étend de tout son long
Enjambant le Tarn
Le plus haut pont du
monde
Lumière le jour
Lueur la nuit
Car seuls sont éclairés
les piliers
Et non le tablier
Il relie à tout venant
De tous ses haubans
Tous les contrevenants
Du Nord au Midi
Et d’ici
Au-delà du grillage
végétal
Du figuier
Tendu à fleur de ciel
Le pont métallique
Bruisse d’un roulement
mécanique
Du tout-venant
contrevenant
Juste en dessous du
firmament
Chaque matin
le rouge-queue
Me rend visite
Et me
salue
Signalement
cybernétique
De son cliquet si
typique
Salut l’artiste
Aube
Entre le ciel et la terre
La nacelle de pierre
vogue
Sur les eaux de
l’entre-deux
Entre deux vies
Entre deux mondes
Entre deux rêves
Entre le ciel et la
terre
La nacelle de la maison
Entre coteau et vallée
Attend la colombe
La mère de tous les
oliviers
Entre le ciel et la
terre
Les vivants dorment
Terrassés par la fièvre
D’être et de paraître
Jusqu’au bout de leur
idée
C’est bientôt le jour
Le jour nouveau
D’Orion disparaissant
Au ras de la colline
Dans les trous de la
caverne
Les corbeaux s’activent
Nul ne peut précéder le
temps
Et surtout pas le jour
Même au commencement
Du jour commençant
Sur le
toit de l’église mérovingienne
Fortifiée de mince
éternité
Les corneilles veillent
Aujourd’hui le
pèlerinage
Car c’est la fête à
Saint Christophe
Le patron des voyageurs
Monsieur le Curé n’aime
pas qu’on l’adore
Le géant suave et
maternel
Protecteur et matriciel
Mais il est bien obligé
d’obéir
A la vox populi vox dei
Et de bénir
Les autos les vélos les
motos
Et tout ce qu’on lui
apporte
Fut-ce roller ou
planche à voile
Car de dessous le
rocher
Sourd une source
miraculeuse
Qui guérit
Les infirmes et les
fous
Là où les corneilles
veillent
Entre le ciel et la
terre
Perplexe
Le rouge-queue
Sur la rambarde du balcon
Me regarde rouler la dentelle
Achetée la veille
A la brocante
De Saint Jean-du-Bruel
Lavée
Et séchée dans la nuit
Perplexe
Le rouge-queue
Sur la rambarde du balcon
Me regarde idole monstrueuse
Géante tutélaire
Déesse barbare et casanière
Procéder aux rites de ma cérémonie
Terrienne et couturière
Perplexe
Le rouge-queue
Sur la rambarde du balcon
Me regarde
Mastodonte invalide
Dans l’antre du rocher
Oiselle clouée au sol
Par la malédiction
Viaduc de Millau (2)
Escadre
céleste
Corbeaux et hirondelles
La flotte aérienne
Escadrille volatile
Caravelles toutes
voiles dehors
Oisellerie d’élite
Labourant la mer
Du ciel
Entre viaduc et soleil
Le plus haut du monde
Scintille dans ses
haubans
Le nouveau monde est là
Piliers de béton
Tablier métallique
Nouveauté technologique
Escadre céleste
De la gent animalière
Oiseaux trapézistes
Devant le pont
équilibristes
Spectacle étonnant
Rituel matinal
Emouvant
Vingt-cinq ans
après sa mort
J’appris qu’il avait
été pêcheur
A la barque et à
l’épervier
Sur la rivière en
contrebas
Entre les flots du Tarn
Coulant de vignes en
amandiers
C’était donc cela
Le cœur de sa sereine
gravité
Qui tant de jours
Et tant de fois
M’avaient tant de jours
et tant de fois
Attirée tant de fois
Chez ce célibataire
taiseux
Comme j’étais moi-même
Encore jeune et
toujours enflammée
Une génération nous
séparait
Mais dans le haut de ce
haut village
Dans le cœur du creux
du rocher
Des deux côtés du même
mur
Lourd et irrégulier
De toutes les pierres
ocre et rosées
Qu’en ce lieu depuis
longtemps sédimenté
La terre aride avait
secrétées
Nous nous aimions
D’un amour singulier
Et pourtant
Je le connaissais à
peine
Sauf de temps à autre
Au gargouillis de son
évier
Car servitude des lieux
L’eau à découvert
En coulait dans ma cour
Pas même mitoyenne
La quantité d’un seau à
peine
Qu’il allait chaque
jour
Chercher à la fontaine
Pour lui-même et sa
mule
Dont je quêtais pour me
rendre à moi-même
Le bruit sourd du sabot
Frappant hiératique
Le sol meuble de son
écurie
Horloge chaotique
A ponctuer le temps
Lui ne m’entendait pas
C’est ce qu’il me dit
un jour
Au cours d’un long et
unique discours
Dans lequel il
m’expliqua prolixe
Mystère préhistorique
Tout le bien qu’il
pensait de moi
Un nuage de cendres
recouvre la vallée
Cent et mille les
hirondelles
Volent de conserve en
concert
Tournant et tournoyant
sur elles-mêmes
Eployées déployées
A tire d’ailes
Au-dessus de la mêlée
De la buée grise et
rose
Qui nimbe les coteaux
Et les terrasses
abandonnées
La matière en fusion
Atteint le rebord du
Causse Rouge
Et la vive clarté qui
avait alerté la gent ailée
S’enflamme brutalement
Explosion volcanique
De lumière éclatante
Terreur incandescente
Se propageant d’un seul
coup
A toute la matière
vivante
Mais non
Au grand mais non
Ce n’est pas la Terre
terrestre
Qui se convulse
Terrienne révulsée
Croûte terrestre
tourmentée
Froide et contorsionnée
Mais l’astre solaire
Emergeant dans sa
royale majesté
Non ce n’est pas un
nuage de cendres
Mais un carrousel sacré
Celui de l’exercice
concerté
La manœuvre matinale quotidiennement
répétée
Car à chaque ronde à
front renversé
Et même ce n’est pas
encore assez
Pour parvenir à former
la colonne alignée
L’ordre de marche
D’envol plutôt
Lorsqu’il faudra partir
Bientôt sans doute
Puisqu’en ce milieu
d’Août
Tous les jours
Le temps hélas
Rafraichit
Le figuier va se
rompre
Et avec lui mes veines
et mes artères
Le sang va couler
Latex blanc de toutes
les angoisses
Secrétées par Notre
Dame La Terre
La tempête menace
Le vent m’affole
La douleur de l’arbre
Qui gémit et qui plie
Entre en résonnance
Avec ce qui en moi
Tente encore de vivre
Une corde épaisse le
retient
Ficelé le tronc calé
contre la balustrade
Accroché à la façade
Solidité solidarité
solidité
Mais le vent redouble
Comme jamais
Comme jamais on a vu ce
vent là
Ici là dans cette
vallée heureuse
De vignes en cerisiers
Encore un peu et en
s’arrachant
L’arbre premier va
peut-être
Avec lui emporter
l’ouvrage en fer
Mais pour moi-même en
tous cas
Rien à faire
Plante enracinée
Dans toute la paralysie
de ma chair
Au fil du temps je me
minéralise
A l’intérieur du carcan
carnassier
Qui me protège encore
Mais pour combien de
temps
Car je suis devenue
incapable du moindre geste
Fut ce même du très
simple
De fermer la fenêtre
De crainte d’achever
La rupture du lien
Qui toute ma vie m’a
maintenue
Ancrée dans la matière
vivante
Aimée du peuple des
insectes et des oiseaux
Perdue dans les
frondaisons et les taillis
Fussent les plantes
grasses et les ronces
Et craignant le lien
une fois cassé
L’écroulement de tout
le lieu
A commencer par le
causse
Et pour finir le monde
entier
Le figuier va se rompre
Comme à force de battre
la marche du temps
Le cœur trop lourd
D’un chagrin hérité
Il avait cru pourtant
Fidèle
Le long de la maison
On cueillait impatient
Ses fruits mauves les
bras levés
Debout sur le balcon du
premier étage
Comme les hirondelles
se rassemblaient
A la fin de l’été
Pour entreprendre leur
saisonnier voyage
Et lui qu’on avait vu
sortir de terre
Il atteignait
maintenant le second
Et porterait bientôt son
ombre amicale
Sur la terrasse
En plein ciel
Mais le climat change
Il n’en est pas la
cause
Et n’est pas fait pour
résister
Moi non plus
Mais ô miracle
La tempête elle-même
Marâtre magnanime
Me fait grâce
Au bénéfice de l’âge
Et dans ce recoin du rocher
A l’abri des
intempéries
Semble pour un moment
au moins
M’avoir oubliée
Avec mes
draps sales en bandoulière
Mon pain d’épices
Dans la main droite
Celui qu’on fabrique là-haut
A Veyreau
Sur le Causse Noir
Avec du gingembre et des amandes
Dans l’autre la gauche
Les manuscrits de mes divers écrits
Et dans les deux encore répartis
Pas tout à fait au hasard
Force barda et impedimenta
Lampe de poche
Pare-soleil
Pharmacie
Le tout dans trois sacs assortis
Solides et bien visibles
Vert printemps tirant sur le fluo
De chez Lancel
En solde évidemment
Avec sur le dos
Le sac à dos tout cuir
Un chef d’œuvre
En peau souple
Sorti des mégisseries du bord de la rivière
Car j’achète tout ce qu’on fabrique ici
Avec cœur et beauté
Comprenant les cahiers et les livres
Et tout ce qu’il faut pour vivre
Et surtout pour mourir
En paix avec les autres
Sans m’être fuie moi-même
Du logis rural
Adossé au rocher
Marche à marche
J’essaie de descendre l’escalier
Royal et extatique
En pierre
La rumeur villageoise le dit
Magnifique
Et c’est vrai
Il pourrait sans détoner
Servir d’escalier dérobé
A Chambord
Ou à Chenonceau
A moitié infirme
Sans armes mais non pas sans bagages
Je tente de quitter la villégiature
Ou du moins son premier étage
Celui qui donne d’un côté sur le Tarn
Là-bas en contrebas
Et de l’autre sur la cour intérieure
En terrasse
Ouvrant elle-même à front renversé
Sur le rosier
Les iris au rebord de la citerne
Et le grand romarin maritime à fleurs bleus
Que j’ai planté
Et sur les grottes et sur le ciel
Car ici c’est l’empire des lumières
Des oiseaux et du rêve
Dans ce lieu là
Habité depuis les temps préhistoriques
Comme les rhinocéros divaguaient
Là où voguent désormais les barques des touristes
Ours et hyènes occupant indifféremment
Les caves et les étages
Il vaut mieux avoir jeunesse et souplesse
Mais avec l’âge
La raideur des genoux
Le dos voûté
L’arthrose l’arthrite et toutes les attitudes
Dues à la nécessité de l’art
L’artitude
Et les contractures
Faute d’avoir en temps utile
Suffisamment pratiqué cour et courbettes
Et autres compliments
Et courtisaneries ramollissant
La nuque la carcasse et le dos
La mère du temps et des mots
La divine nacelle
Que je balayais autrefois
En une cérémonie sacrée
Préambule à tout acte
Se referme en une matrice de pierres
Transformant ce qui fut naguère encore
Faute de lien maternel
Un refuge
En tombeau
Dans le
bahut de la Tante Marguerite
Dans cette maison
ancienne
Très ancienne
Plus ancienne encore
que le Chemin de Fer
La route
L’eau
L’électricité
Et le tout à l’égout
La vaisselle s’ennuie
et désespère
D’être si peu installée
Pour la cérémonie
vitale
Les verres roses de
l’Entre-deux-guerres
Péniblement rassemblés
un à un
Et au hasard de la
multiplicité des modèles
Parfois la paire ou
davantage
O le miracle
Les assiettes Arts Déco
aux motifs stylisés
Dédaignées des ogres et
des gloutons
Trop occupés à leur
dévoration
Pour louer la beauté de
leur auge
Les raviers marchandés
Dans les soupentes
sombres des brocanteurs avisés
Visités
Un service à café
fabriqué par un fou
Les anses sont des
tritons verdâtres
Parsemés de tâches noires
Et sur le flanc des
tasses
Toutes différentes
On voit des paysannes
en costume
Exhiber leurs rubans
Tandis que sur d’autres
Leurs compagnons
Vestes et chapeaux
Redressent fièrement
leurs têtes de seigneurs
Un plat long oblong
Où dans les frondaisons
bleues
Reposent de paisibles
oiseaux
Des bols tournés par
les potiers des environs
Vous
vous donnez la peine
De
les fabriquer leur dis-je
Je
peux bien moi prendre celle
De
vous les acheter
Ils s’étonnent
Mais moi non
Car je sais
Que leurs rires
désormais résonneront toujours
En écho
Dans leurs parois de
grès
Dans le bahut de la
Tante Marguerite
Dans cette maison
ancienne
Très ancienne
Plus ancienne encore
que le Chemin de Fer
La route
L’eau
L’électricité
Et le tout à l’égout
Qui ont sans faiblir ni
défaillir
Devant l’ampleur de la
transformation
Modernisé le rupestre
village
Tapi là depuis bien
avant nous
Dure et perdure
Ce trésor accumulé
Les œuvres de ceux et
celles qui tant ont œuvré
Ouvriers artisans
techniciens ingénieurs
Serviteurs de la
puissance de la matière
Humbles soumis à la
puissance matérielle
Dans les usines
fabriques ateliers remises ou hangars
Voués et dévoués à la
gloire de la forme
Et soufflant tout
au-dessus d’elles
Lorsque en raclant les
portes
Contre la paroi de bois
blanc
J’ouvre ce meuble
modeste et tutélaire
Le témoignage
De mon tenace et
pathétique effort
Pour conserver
Cette ultime trace
De la présence humaine.
Parmi les
tâches primordiales
Primaires et
principales
Qu’il me faut désormais
accomplir
Comme je reviens dans
ce lieu
Que je dispute au temps
Au vent
Et aux oiseaux
Outre le nettoyage
surhumain
D’escaliers en pierre
Avec des marches à
foison
Des dalles moyennes-âgeuses
Posées à même le sol de
la souillarde
Du peuple des insectes
Qu’il me faut déloger
Pour qu’ils reviennent
bientôt
Derrière mon dos tourné
Il me faut maintenant
me préoccuper
Du romarin maritime
Lui seul a pu pousser
au haut fond de la cour
Dans ce plat replat du
rocher
Modeste satisfaction
Au bout de tant
d’années
A tenter de faire
croître là
La vie végétante
Là où tout
Faute de terre et d’eau
S’étiolait
Il s’est bien rattrapé
depuis
Couvrant au fil des ans
La paroi caillouteuse
Là où autrefois était
le premier établissement troglodyte
Lorsqu’il fallut
arracher l’usage de ce lieu
A l’ours des cavernes
L’ancien propriétaire
Pourtant pas le premier
Peu décidé pourtant
A nous céder la place
Désormais aux tâches
primordiales
Primaires ou
principales
Ingrates et nécessaires
S’ajoute maintenant
celle humble et baroque
De secouer et peigner
Cet être multiple et
rampant
Dont les petites fleurs
bleues fleurissent
Une à une
Timides et puissantes à
la grande Août
Dessus les longs
filaments longs
Qui descendent en
cascade
Sur la paroi rocheuse
C’est qu’en mon absence
Partageant mes goûts
Puisque c’est bien lui
Mon préféré
D’entre tous les
végétaux
Arides et cramponnés
Menthes
Iris
Et même un très ancien
rosier
Buisson de fleurs à
cent feuilles
Apporté là par les
envahisseurs
Des toiles d’araignée
Heureuse de
l’opportunité
S’y sont tissées
On l’attendait dans
l’après midi
Et venant en voiture
Elle n’avait pas
précisé d’heure
Je lisais dans la cour
A l’abri du rocher
Lorsqu’elle surgit au
balcon
Se détachant dessus la
pierre
Debout
Devant la rambarde de
fer
Et le figuier
Derrière elle
On voyait le plus haut
pont du monde
Surplombant le causse
Et le ciel
Dans la pénombre du matin
Dans la souillarde de
campagne
Au fin fond de l’évier
fin profond
Un insecte terrifié
Faisait dos aux flots
d’eau
Versés et renversés
Coulant et s’écoulant
A intervalles
irréguliers
Comme mal réveillée
Et assez peu valide
En raison de l’âge et
aussi des tourments
Me manquant déjà
surtout un peu de à moi-même
Je m’appliquais surtout
A mes propres affaires
Assez peu encline
A lui porter secours
Dans la pénombre du
matin
Au crépuscule des rêves
Et des angoisses
nocturnes
Rebuté par la paroi
glissante de l’évier
Dans la souillarde de
campagne
Un matin d’été à la
villégiature
Un insecte trempé ne
s’envolait
Et ne s’écoulait pas
non plus
Quand dans ce lieu
ancestral
Le visage lavé
Et la vaisselle faite
Celle de la veille
réservée pour la nuit
Et mise là à sécher
Ayant renoué un à un
tous les fils de moi-même
Me penchant sur le
monde qui m’apparaissait alors formé
Je découvris stupéfaite
Installé au cœur des
eaux
Pas même égaré
Un grillon
Je le ramassai à la
cuiller argentée
Avant de le jeter
Tous les dédales de la
conscience redressés
Par la lucarne du
réduit
A cette fin
Entrouverte
La rivière
ce matin là
Avait une teinte
anormale
Un vert d’opaline
Un peu céladon
Et presque Véronèse
Animé de surcroît d’une
blanche lueur
Inhabituelle
Presque phosphorescente
Un rien évanescente
Ce n’était pas la
transparence
Bonheur des baigneurs
kayaks et pêcheurs
Ni celle de tous les
verts confondus
Propres aux algues
parasitaires
A l’assaut de l’espace
tout entier
Encore moins le flot
puissant et brun
Des jours de pluie
Où d’orages fréquents
dans cette région là
Quand descendant de la
profondeur des gorges
Faille historique entre
les hauts plateaux calcaires
Elle en garde le
souvenir aquatique et funèbre
Ni non plus celle des
tempêtes
Et des crues séculaires
Où sortant de son lit
On entend le flot
tenace et rageur
Briser d’un coup sec
Les arbres de l’autre
rive
Tandis que passent
ballotés en surface
Au gré des moments et
des courants
Les dépouilles des
troncs et des camions arrachés
Non c’était un vert
inquiétant
Un vert pas même
glauque
Tirant sur le jaune
De la paille tôt vannée
Ou le bleu délavé mémoire
du firmament
Non c’était une
incongruité
Lourde d’un sombre
pressentiment
Au jour des lézards
Je me ferai rocher
Tuf Brèche Conglomérat
Calcaire sédimental
En mémoire du géosynclinal
Où gestèrent et l’espace
et le temps
Et le rêve et l’espoir
Et les dieux et le vent
Au jour des lézards
Je me ferai rocher
Comme au jour du rocher
Je deviendrai calcaire
Retournant lascive et sans regrets
Aux sédiments
A la nacre
Et au vent
Je rêve
de m’étendre là
Un bel été
Dans la nacelle de
pierre
Surplombant la rivière
Dans les cris des
baigneurs
Debout entre les îles
Ecoutant la voix des
voyageurs
A l’ombre du figuier
Rutilante voûte verte
Entre le balcon et le
ciel
A l’abri du rocher
Au milieu des oiseaux
Je rêve de m’étendre là
Un bel été
Le temps de contempler
Tout s’éteindre en moi
Tout continuant
Tout autour de moi
Quand j’ai
ouvert la porte de l’étage
Le rouge-queue s’est
dans la cour
En contrebas
Jeté du toit
Dessinant à la
perfection
Une parabole
Alliance de la
géométrie
De la physique
Et de la philosophie
Médusée du spectacle
Saluant à son juste
mérite
Ce signal
Ne sachant quel parti
prendre
J’ai marqué un temps
d’arrêt
Mais déployant toute
son énergie
Remontant à coups
d’ailes
Au faîte de l’édifice
Il avait déjà rejoint
Le bord d’en face
Un peu
plus haut
Que la villégiature
En remontant vers la
source
Notre ancien voisin
Monsieur Courtines
En sa retraite
A Rivière-sur-Tarn
Coulant des jours
Pas tranquilles du tout
Manque Paulette
La poulette
Qui m’accueillit dans
ma jeunesse
Sa femme
Les bras ouverts
A Rivière-sur-Tarn
Manque Paulette
Et qui me manque bien
A moi aussi
La vaillante poulette
Comme dans un tableau de
Félix Vallotton
Elle était sur la
terrasse
Les cheveux cette fois
Rare exception
Remontés en chignon
Les bras levés de
gestes élégants
Tournés tantôt vers le
ciel
Tantôt vers la maison
Pour décrire le plus
simplement du monde
Sa joie d’être ainsi
Là
En contrebas
Dans la vallée
Sur la rivière
Les baigneurs
chahutaient
Et les pagaies
mouvantes
Au flanc des canoës
Dépassaient sur la rive
Les vacanciers
paisibles
Ou d’autres plus hardis
Allongés sur la plage
Avançant en épi
Tout au milieu de l’eau
Les uns et les autres
Dans une huile de Paul
Signac
Héros des loisirs
Repos enfin des
travailleurs
Palette de couleurs
vives
Elle était dans la cour
Sur la terrasse
Et eux en contrebas
Moi tour à tour
De Vallotton en Signac
Pleine de gratitude
Pour eux tous
Et dans l’enthousiasme
De mes réminiscences
picturales
Célébrant la vie
M’abandonnant aux vapeurs
De ces évocations
fertiles
J’exultais
De l’autre
côté du Tarn
Au-delà du lieu-dit La Barque
L’oustal
s’est fait villégiature
Une piscine s’est
creusée
Des arbres plantés
Alignés
Et sous les ombrages
Des chaises longues
Invitent à la
tranquillité
Pays de magnitude
Où toute ruine est
relevée
Toute draille conservée
Toute trace sanctifiée
Là où autrefois
Au rebord de la colline
A l’aube
Avant l’aurore
Surgissait Orion
Avec son baudrier
Se dresse maintenant
Totem post moderne
Gloire cybernétique
La grand-vergue
De Sir Norman Foster
Petit architecte de l’univers
L’un de ses mats maîtres
Sur le haut tablier
De sa nef volante
Dans les haubans du ciel
Rubans de défi
Homo faber je suis
De la terre à la terre
Entre les eaux du ciel
Et celles de la rivière
Là où autrefois
Au rebord de la colline
Je rendais grâce au matin
A la cosmogonie
A la cosmographie
A la forme
A la langue
A mon père
Ce grand instructeur
De mon enfance stellaire
Aujourd’hui je le fais
A l’acier
Au béton
A la Physique
A la Géométrie
Et quand même à la Mythologie
Car on ne se refait pas
Et du dieu des constructeurs
Je cherche en vain le nom
Ne retrouvant que celui de son prophète
Prométhée
Là où autrefois
Orion apparaissait
Chaque matin avec son baudrier
Décochant ses flèches
Horloge céleste
A remonter le temps
Le retourner
L’escamoter
Désormais
Comme j’ouvre ma fenêtre
Avant l’aube
Il me faut fouiller
Au travers des eaux du ciel
Mêlées au plus haut du très haut
Du pont qui clignote
Dans le ciel sombre du firmament
Avertissant la quincaillerie céleste
Des nouveaux argonautes
Chaos d’explorateurs
Pas un seul mais plusieurs
Homo sapiens nous sommes
Pour apercevoir
Barrant maintenant l’embrasure
Toujours bien ordonné
Au-dessus du grand œuvre
Du très grand concepteur
La forme immarcescible
De ma prédilection
Les lauriers
roses sont morts de froid
Et les pierres n’ont
pas pu
Les consoler
Les lauriers roses sont
morts de froid
La maison a gémi
Comme toujours
Comme autrefois
Les lauriers roses sont
morts de froid
Et dans les trous du
rocher
Pétrifiés
Les oiseaux ont en vain
Quêté leurs proies
Trente-six ans ont passé
Ici
Ou plutôt
Nous avons passé ici
trente-six étés
Au milieu des oiseaux
Entre le figuier et la
roche
Puis sont venus les
voyageurs
Les maçons
Les serruriers
Et les installations
Sur les plages de la
rivière
Le cri des baigneurs
A remplacé la vase
verte
Et les bateaux à moteur
Les rustiques et
baroques radeaux
Trente-six étés ont
passé
Dans cette citadelle
Ce ksar
Ce château fort de rêves
et de lumière
De mots et de
déchirements
De plénitude et
d’attente
Et par moments
De désespoir féroce
Des murs ont été
abattus
Et pour cantonner les
eaux
Les neuves et les usées
Une souillarde
construite
Avec en pierres sèches
Un pavement romain
Les escaliers
monumentaux
Sont devenus à mes
jambes raides
De vaines tortures
Mais pourtant
Dans tout mon être
claudicant
La vénération demeure
la même
Et de la chambre
malcommode
A l’atelier désert
Entre le romarin
maritime
Et les jurassiques
galets
Entre l’air et l’ocre
rocher
La célébration continue
Intacte et volubile
La rose
gallique a résisté à tout
A peine enracinée dans
le rocher
Derrière le mur du
clapier
Mais quand je viens la
visiter
En plein été
Elle est déjà fanée
Traces cabalistiques
De la bave d’escargots
Argentée
Croisant sur les
grandes dalles de pierre
Dans le soleil levant
Les zébrures régulières
De la balustrade
Du balcon
Traces cabalistiques
De la bave argentée
D’escargots
Rencontre de deux mondes
Au passé métallisé
Traces cabalistiques
De la bave d’escargots
Argentée argentique
L’instant métallique
De là ce fut
Et pas pour toujours
A peine pour maintenant
Car déjà le rayon
irradiant
N’est plus le même
A un ou deux gradients
près
On ne voit plus
Et pourtant là
Quelque chose a eu lieu
Entre le
manoir et la rivière
Les uns au-dessus des
autres
Descendant sur la route
Cyclopéens
Les trois murs
calcaires
Surplombent le Chemin
de Fer
Progrès inouï d’une
époque révolue
Le rideau d’arbres
D’aulnes et de vernes
Et de quelques
peupliers
Ignorant leur nom de
trembles
Car ce n’est pas le
style
De ce pays résolu
Dans le triangle
herbeux
Entre le manoir et la
rivière
Ce ne sont pas les
javelles céréalières
Qu’il faudra mettre en
gerbe
Ces petits tas souples
qui s’amoncellent
Derrière l’engin qui
tourne et retourne
Traînant derrière lui
la faucheuse rotative
Tranchant toute vie
Entre manoir et rivière
Un paysan dans son
champ
Fait les foins
Je le regarde de loin
Il va tourne et revient
Il va et vient
Il va
Sans être aux aguets
Les oreilles maternelles veillaient
Ecoutant le biotope
Non pour prévenir
Mais pour endiguer ses dysfonctionnements
Elles mettaient du cœur à l’ouvrage
Car le pépiement des espèces à plumes et à ramage
Le coassement des grenouilles
Se mêlaient sans s’emmêler
Aux plaintes des Anciens
Renâclant à tout
Et aux élans des Jeunes
A l’assaut de leur place au soleil
Il fallait aussi compter
Avec le clapotement des canots sur la rivière
Le rare roulement d’une voiture
Plus rarement encore un passage ferroviaire
Et beaucoup plus près
Le craquement des poutres
Ou dans les porcelaines
Le refoulement des eaux
Le gémissement des insectes pris au piège
Et l’autan dans le figuier accoudé au balcon
Les grandes oreilles maternelles
A plein temps vigilantes
Etaient toujours prêtes à faire face
De la façon la plus appropriée
C’est alors que la chose se produisit
Dans la pièce d’à côté
Un divan fut brutalement tiré
Ses pieds de bois blancs crissant
Sur le rose pavement
Posé là deux siècles auparavant
Ce n’était ni le matin ni le soir
Ni l’heure de la sieste
Ni un moment de malaise
Ou de retrait
Le ménage était rare
Et en tous cas jamais fait
Dans de telles proportions
Aucun doute
Quelque chose survenait
La tête pivota d’un quart de tour
Centrale de contrôle
En quête d’informations
Prisonnier de sa curiosité
Le rouge-queue
cherchait en vain
L’issue de la cuisine
Dans laquelle il était
En toute connaissance
de cause
Du moins le croyait-il
Entré
D’abord assommé en
plein vol
D’avoir heurté sans
égard
Le plus à l’Est des
carreaux
Celui toujours fermé
Reprenant ses esprits
Il bondit sur la
cuisinière
Me permettant de
vérifier
Avec soulagement
Qu’il n’était pas
blessé
Et tenait bien
Sur ses pattes droites
et parallèles
Comme c’est la norme
chez ces oiseaux là
C’est alors qu’il se
percha près du plafond
Sur le cadre noir
Du verre crasseux
Protégeant une estampe
De drapeau tricolore
De femmes en gloire
De char tiré par deux
lions
Annonçant polychrome
La
France proclamant la Liberté
Au-dessus de la
cheminée
Qui elle non plus
N’avait depuis
longtemps
Pas été ramonée
Mais non rien à faire
C’était chez lui une
idée fixe
Il se jeta à nouveau
Contre le même carreau
Pourtant toujours aussi
fermé
Je peinai d’autant plus
pour lui
Que sa visite me
plaisait
Voire même m’émouvait
Comme bien au-delà
De nos saluts habituels
Ponctuellement échangés
Dans la cour de
derrière
Comme il patrouillait
tout le jour
D’un rebord de toiture
A un autre
Je ne bougeai pas
Pour ne pas aggraver
son inquiétude
Voire même sa panique
Je pris bien garde de
n’appeler personne
Evitant ainsi tout
signalement
Aux conséquences
aléatoires
Et pourtant paradoxe
La dite cuisine ne
manquait pas d’ouvertures
La baie du balcon
Donnant en contrebas
sur la rivière
Baignant le Plateau de
France
Et au fond du paysage
d’autres causses encore
A l’Ouest
Une enfilade de portes
Traversait divans et
tentures
Permettant de s’en
aller
Comme si de rien
n’était
Sans avoir l’air de
s’enfuir
Et derrière mon dos à
l’arrière
Celle par laquelle il
était entré
Baillait plus que
jamais
Entre le ciel et les
rochers
Causses et
vallées
Tarn
et Rougier
De page en page
Défilent les titres
Des rubriques du
journal
Blancs sur fond rouge
Le
Midi Libre
A de bien drôles
catégories
Est-ce sa faute à lui
S’il y a des millions
d’années
A l’insu du rédacteur
en chef
De jurassique en
crétacé
Le terrain s’est
effondré
J’aime voir
défilant
Le tout venant
Des estivants
Prenant le vent
A contre temps
Prenant leur temps
A contre vent
J’aime le tout venant
Des estivants
Qui vont de l’avant
Les bras ballants
J’aime voir les
estivants
Circulant
A tout moment
Installé dans
l’embrasure
De la porte fenêtre
grande ouverte
Allongé de tout son
long
Un peu trop long
Sur la banquette en
bois
Ses deux pieds reposant
sur l’accoudoir
Côté vallée
La nuque sur l’autre
A l’exact opposé
Côté rocher
Un coussin protégeant
son torse
De la dure réalité
Face aux dalles de
pierre du balcon
A sa balustrade de fer
repeinte par mes soins
Il y a bien des années
C’était encore l’Ancien
Monde
Au fidèle figuier
Et à la rivière tant
aimée
Tous ces plans
précédant dans le panorama
Le viaduc inventé par
Foster
Sir Norman
Sir Norman Foster
Et même au-delà du
Plateau de France
Face encore au Causse
du Larzac
En dépit de l’adversité
Plus que jamais habité
Tenant bien droit entre
ses mains
L’objet auquel il avait
affaire
Mon petit fils âgé de
quatorze ans
Poursuivait sa carrière
De lecteur au long
cours
Au vu de sa passion
Pour la chose imprimée
On ne pouvait nier
L’influence de
l’hérédité
Mais assise en retrait
Face au même paysage
Je découvrais là
S’affirmant avec l’âge
Son goût pour la
célébration du monde
Dans des postures
baroques
Bruits sourds
Sur le balcon de pierre
Bruits mats
Sur les dalles du temps
Les premières figues
sont tombées
Non pas celles tendres
et juteuses
Roses et lilas aux
reflets violacés
Sublimes joies du
palais
Dans leurs sombres
vêtures de grenat
Mais de tout petits
sacs végétaux
Vides et verts d’eau
A la peau rêche et
desséchée
D’avoir malheur été
Trop tôt arrêtés
Dans leur propre
développement
Au-dessus de la rivière
Le rodéo des volatiles
Dans le soleil levant
N’est pas encore un
évènement
Mais seulement à venir
Ce carrousel sidérant
Cette parade
extravagante
Géométrique
Logistique
Et prophétique
Qui intelligence animale
Soulève en moi
l’admiration
Projetant hors de moi
Toute ma vénération
Mais bien encore
Un simple désordre
ordinaire
Devenant petit à petit
Un chaos de battement
d’ailes
Et de pépiements
Signe de franchissement
Du haut de l’été
De l’au-delà du Quinze
Août
Dans le retournement du
vivant
Non pas là
Au haut bout de sa
course
La matière animée
Fatiguée de s’étendre
n’importe où
Mais en proie seulement
Cette fois là
A son inéluctable
Au fil du temps
Grand reordonnancement
Les beaux jours sont
passés
Il ne fait plus aussi
chaud
Ce n’est pas encore
l’automne
Mais seulement
Tendue entre deux
obscurcissements
La question funambule
Que se pose entre deux
moments
Chaque être vivant
Que sera cela
Quoi cela
Mais quoi donc
En montant vers le Lévézou
Au-delà de Saint Beauzély
Sur la route de Comberoumal
Les talus fleurissent de bruyères
Flore rare et pacifique
Poétique aussi
Dans ce pays austère
Tout de causse de pierres et d’herbe rase
Incendié là tout d’un coup
Dans cette étendue mauve insolite
Née du schiste et du calcaire
Pour métamorphiques inventer d’autres formes
Et mettant le feu à mon cœur
Jamais tout à fait comblé
Dans les lieux de la sécheresse
En raison de la déraison
De la mémoire de la séparation
Des eaux primordiales
Dans lesquelles j’ai autrefois gestée
Blessure incurable inconcevable
Enflammée là par les braises
Comme elles s’étendent là dans le sous-bois
Les flammèches léchant les troncs
Des conifères mes amants
Mes amis gardiens fidèles et consentants
De ma vie sauvage et altière
M’entrainant plus loin dans la futaie
Bien au-delà de moi-même
Dans cette extase de résine
Et de végétation persistante
Toujours recommencée
Au point qu’au haut bout du chemin
En arrivant enfin au prieuré
On ne sait plus trop
Dans son cœur chaviré
Ce qu’il faut préférer
Du déchirement de s’arracher
A cette foule compacte sombre et violacée
Ou du soulagement d’avoir enfin quitté
Ce nœud d’une telle intensité
13
Novembre 2017.
De la villégiature, d’autres poèmes
que ceux-là ont déjà été publiés sur des supports papier notamment dans les
recueils Resserres à louer aux Editions An Amzer
en 1997 et Carafe d’eau à volonté aux Editions Pleine Page en 2006 ainsi
que dans diverses revues sans compter le livre Les doigts du figuier
(Editions de Minuit 1977) qui y a tout entier trouvé son inspiration.
Jeanne Hyvrard
Mise à jour : janvier
2018