Protestation contre la haine

 

Tenture de Jeanne Hyvrard

 

 

2015 12 25 - Tenture (15)

2015 12 25 - Tenture (20)

 

 

2015 12 25 - Tenture (21)

2015 12 25 - Tenture (23)_ extrait

 

Hauteur : Entre 95cm et 53. Largeur 93 cm.

 

 

Cet étendard, cette bannière, cet objet textile non identifié mais bien dans le style habituel de l’auteure qui en matière d’Art ne s’interdit rien pourvu que cela ait un sens a été fabriqué à l’automne 2012 comme l’ambiance sociale – si on admet ce concept - devenait irrespirable au point d’en être aussi incommodante que les particules fines ou non en suspension dans l’atmosphère.

Organiser une signature de pétition, des sit-in non violents dans les jardins publics ou un défilé contre la haine n’étaient pas nécessairement des idées idiotes mais peu dans son tempérament même si elle n’est pas opposée à leur principe.

Menacée d’asphyxie, afin de se dégager un espace de nouveau vivable, ce que les scientifiques appellent une niche écologique, il lui a paru plus immédiatement réalisable avec une perspective d’efficacité à peine moindre que ces autres moyens d’action envisagés, de confectionner une nouvelle tenture selon ses modalités coutumières … A savoir un rustique n’importe comment à base d’appliqués et de broderies diverses au gré des nécessités.

Cette tenture de forme improbable est le résultat de la conjonction de l’urgence d’agir et des moyens disponibles. Conjonction toujours d’actualité à la rédaction de ce texte avant la mise en ligne de l’ouvrage puisqu’il n’a pas été possible de repasser convenablement la pièce à peine - eu égard à désormais la masse des œuvres en stock - d’accorder à chacune un soin méticuleux en supplément d’un sommaire et efficace stockage.

S’il est visible pour tout un chacun que l’œuvre est à ranger dans la catégorie des triptyques qu’on peut voir dans beaucoup si ce n’est dans la plupart des églises, la forme approximative en est due à la nécessité d’agir avec les moyens du bord. Ne possédant pas le mètre carré de toile solide qui aurait assuré l’homogénéité de l’ouvrage, il a bien fallu se résoudre à procéder aux assemblages des tissus disponibles.

Le fond beige a été trouvé dans des morceaux récupérés sur la casaque de cavalerie de son beau-père constituant ainsi le socle terrien et terrestre sinon terre à terre de l’entreprise et les morceaux du costume violet porté par l’auteure au Salon du Livre de 1990 au Grand Palais de Paris lors de la publication de son texte La jeune morte en robe de dentelle représentant un espace sinon nocturne et céleste du moins hors sol.

Cet improbable triptyque se distingue des habituels non seulement par le fait qu’il est dédié à Ma mère la Soleille comme c’est écrit au milieu de l’œuvre sous la représentation de l’Astre ainsi évoqué mais qu’il présente également en son centre un peu en dessous tout en en étant séparé par un appliqué bariolé, la Déesse Mère ainsi que par les deux panneaux latéraux renvoyant l’un et l’autre à deux scènes essentielles s’opposant à la haine, à savoir La Transfiguration et la Rencontre d’Emmaüs.

Si la Divinité La Soleille n’est pas dans l’œuvre de l’auteure une réelle nouveauté elle ne l’est pas non plus dans l’anthropologique histoire religieuse depuis les Pharaons Egyptiens jusqu’à notre Roi Soleil … Et cela sans compter les subsistances païennes de tous poils et de tous les rituels qui ont perduré en dépit des manipulations des heures d’été et d’hiver. Chacun sait en effet que l’essence de Noël comme Fête du Solstice d’Hiver en est la marque concernant tous les Vivants qui tirent de la lumière de l’Astre, leur énergie ne serait-ce que par l’intermédiaire des végétaux.

Concernant ce sujet la nouveauté pourrait en être tout au plus non seulement la féminisation de la langue dans le cadre de la campagne linguistique initiée il y a un demi-siècle par les consœurs Québécoises mais aussi et surtout la jonction avec la représentation d’une Déesse-Mère, d’une Grande-Toute que les Croyants russes appellent joliment La Mère du Sauveur pour inscrire ainsi dans le Christianisme, sa nouvelle mouture.

Mais on peut aussi y voir la perduration de la Grande Déesse distributrice de la provende la Nature même, toute puissante dans la dépense de ses biens du moins avant la Révolution de l’invention de l’Agriculture et de l’Elevage, supplantant la Cueillette ainsi que la Chasse et installant probablement du même coup un nouvel ordre anthropologique.

On a assisté alors à un renversement des relations entre la Nature comme provende pour l’Homme qui y a trouvé une niche écologique permettant son développement et la maitrise de la Nature que celui-ci par la suite a réussi au fil des siècles à s’arroger jusqu’à s’imaginer qu’il en était en charge et en avait la possibilité au point d’inventer l’expression à la mode de Sauver la Planète … Comme si c’était Elle qui était menacée d’extinction sous la masse des ravages d’ores et déjà réalisés.

Que le Christianisme en est recyclé le dernier avatar sous la figure de la Vierge Marie ne change rien à l’affaire, hormis l’interrogation sur la dite prétendue virginité qui n’est en rien le sujet de cette tenture tout entière consacrée à l’idée de la vie même assez contradictoire en fait avec cette virginité là. Du moins jusqu’à l’avènement d’une reproduction artificielle à base de bocaux, d’éprouvettes et de gamètes en goguette hors des voies prévues pour elles au fil de l’évolution …

Cet agencement est par ailleurs peu convaincant lorsqu’il s’agit d’établir les solidarités qui permettent d’organiser et de maintenir la vie, le droit n’ayant pas en dépit du désir et de la volonté de certains réussi à nous faire prendre les vessies des trafics pour des lanternes de liens symboliques, ni apporté la preuve que les oukases juridiques et judiciaires suffisaient à installer des modes de fonctionnement pertinents et durables.

La scène de gauche visualise la Transfiguration épisode relaté par le Nouveau Testament Chrétien qui s’il a peu d’importance pour les Catholiques et pour les Protestants a pris dans l’Orthodoxie une dimension essentielle. C’est ainsi que l’évangéliste nous raconte que Jésus serait une fois apparu à trois de ses disciples leur révélant alors grâce à l’émission de sa lumière, sa nature également divine.

La brève apparition au fil blanc sur fond violet du firmament ayant eu lieu entre Moïse l’inventeur de la Loi et Elie le Prophète, lesquels ont bien été brodés entourant Jésus même si ils sont difficilement visibles sur la reproduction mise en ligne. Le tout est surmonté de l’injonction cardinale tirée des Tables de la Loi recueillies sur le Sinaï et transmise du Judaïsme, à savoir brodée là au coton bleu Tu ne tueras pas !

Si le terme de Transfiguration est la traduction française de l’idée de la métamorphose, il n’en demeure pas moins que la pensée russe la considère comme l’expression de la double nature de l’homme. En proie à une réalité terrienne et terrestre lourde de toutes ses pesanteurs, mais participant tout aussi bien à la Divinité par l’intermédiaire de l’Assemblée des Vivants qu’on dirait aujourd’hui en termes de Révolution Cybernétique Electronique, multi-connectée.

Ainsi le panneau de gauche de cette tenture qui se veut une protestation contre la haine, mobilise-t-elle le mythe ancien de la Transfiguration pour figurer des vivants endormis sur les rochers tandis que brille au cœur de l’être humain un appel à la transcendance et à son propre perfectionnement, ceux-ci excluant de toute façon la haine, cette version humaine de l’animale envie de tuer !

Comment ne pas évoquer à ce sujet le poète Pablo Neruda disant dans son Testament d’automne : Je me suis approché de la haine, ses frissons sont graves. Mais c’est bien la transcendance qui nous élève au-dessus de nous-mêmes et de notre condition en en rendant possible la modification, en nous tirant vers le haut. A condition bien sûr d’être dans un univers mental orienté et non pas dans celui dans lequel tout s’équivaut, la vie et la mort. C'est-à-dire un univers alors inerte.

Ainsi la tenture étant signée en bas de son panneau de gauche du nom de naissance de l’auteure ainsi que de son nom de plume, permet-elle de rendre visible l’aspiration de l’être à son propre dépassement ! Ne serait-ce que par la création de l’Art qui relie ipso facto l’individu aux autres.

Non seulement à ses prédécesseurs dont il a d’une façon ou d’une autre métabolisé les formes, les tenants et les aboutissants mais aussi à ses destinataires. A savoir les tout un chacun qui refonde par ce biais la Grande Communauté de l’espèce dans sa double condition que né comme tous de père et mère, il est à travers joies et peines destiné à la même mort, horizon indépassable autrement que dans les traditionnels fantasmes vieux comme le monde.

Quant au panneau de droite il relate toujours par la méthode des appliqués la rencontre d’Emmaüs qui nous est également transmise par le même ouvrage recueil de mythes selon les uns, croyance religieuse selon les autres, les deux abords n’étant pas incompatibles et paradoxalement encore moins pour un esprit scientifique en quête d’explications globales prenant en compte toutes les observations.

Ce mythe nous raconte comment après la mort de Jésus et son éventuelle résurrection le jour de Pâques, jour de la fête juive commémoration du passage de la Mer Rouge par les Hébreux fuyant selon la Tradition leur esclavage en Egypte, ses disciples tristes quittèrent Jérusalem et le rencontrant en chemin ne le reconnurent pas avant de l’avoir invité à leur table.

Autre version du même thème de la Transfiguration le nom de cette localité du Proche-Orient est devenu le vocable d’une opération spirituelle essentielle. Ce n’est pas par hasard que le fondateur de l’organisation charitable a nommé de ce nom l’association des chiffonniers trouvant dans la récupération des déchets les moyens de leur survie jusqu’à parvenir même en alliant leurs forces et en s’organisant efficacement, à en vivre dignement.

C’est qu’il faut l’avoir vécu pour le croire et ce dont peut témoigner l’auteure ! C’est dans la capacité de distinguer au sein du chaos, du fourbis et des ordures ce qui est vivant de ce qui est mort, ce qui doit être conservé et ce qui ne peut l’être, la matière pleine de sens et celle qui n’en a pas, que s’enracine la vie. Rencontre cardinale que l’on soit ou non croyant.

C’est ce qu’exprime le haut du panneau de droite sur lequel est inscrit cette injonction du Deutéronome Tu choisiras la vie ! Injonction brodée en bleu sous le firmament étoilé. La vie nouvelle est rencontrée à chaque épisode du déroulement du processus pourvu qu’on soit bien décidé à la distinguer de ce qui est mort et à repousser fermement la haine, cette manifestation de la pulsion de mort lorsqu’on ne sait plus que faire pour tenir à distance ce qui menace.

C’est peut-être pour cela qu’entre le panneau central et celui de droite, il y a une fente qui était là dans le tissu d’origine et qui peut au choix être ou non boutonnée. C’est en l’ouvrant mais seulement en faisant cette opération qu’on peut faire apparaitre le titre de la tenture Protestation contre la haine et découvrir - ce qui n’est pas un hasard - qu’elle ait été brodée à la Toussaint. Non pas comme certains à tort le croient Le Jour des Morts mais celui de Tous les Saints.

 

28 XII 2015

 

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Mise à jour : décembre 2015