Saint Christophe Tête de chien
Tenture de Jeanne
Hyvrard - 2018
Sur toile de lin
récupérée d’un drap reformé.
Dimensions :
Largeur 63 cm, Hauteur 83 cm - Broderie sur lin
Monsieur
le Curé n’aime pas trop qu’on adore Saint Christophe ! m’avait
dit un jour ma voisine à la villégiature dans l’un de ces villages troglodytes,
l’un des plus beaux de France dont l’église mérovingienne elle-même à moitié
enfoncée dans le rocher sédimentaire des Causses et fortifiée en raison de la
conjoncture historique chroniquement troublée portait le nom de ce saint que
pourtant Monsieur le Curé n’aimait guère …
Ce qui m’avait
troublée dans ce que m’avait dit ma voisine avec qui j’échangeais à l’occasion
de balcon à balcon quelques réflexions, était surtout le ton de sa voix.
Maraichère courageuse elle cultivait en contrebas de nos maisons, dans cette
bande de terre étroite et fertile d’être les alluvions apportées pas le Tarn,
des légumes qu’elle vendait à Millau deux fois par semaine sur ce qui avait
d’abord été la Place d’Armes entourée d’un péristyle composé de colonnes
imposantes et qu’on avait avec l’apaisement des conflits, opportunément
rebaptisée Place du Marché.
Cette femme était intelligente,
généreuse juste ce qu’il fallait pour ne pas mettre en péril son exploitation
et suffisamment dynamique pour entreprendre d’expulser sans ménagement les
serpents qui s’aventuraient l’été dans son tuyau d’arrosage.
Du troupeau de moutons dont
jeune mariée venue des hauts de la Lozère, elle avait eu la garde au temps où
l’exploitation était encore en indivision avec son beau-frère dépensier, elle
n’avait gardé que le chien, l’un de ces chiens jaunes dont l’ascendance est
impossible à reconstituer et qui sans prétention sont les meilleurs amis de
l’homme.
Je m’en voulais de lui avoir
un jour écrasé les pattes comme rentrant en voiture, j’avais mal négocié
l’étroit passage entre les deux murs qui permettaient d’accéder au village en
débouchant brutalement sur la plateforme servant de parvis à celle qu’on
dénommait simplement la vieille église pour la différencier de la nouvelle qui datait déjà
elle-même maintenant de plus d’un siècle et qui si elle n’avait ni la beauté ni
l’intérêt de l’ancienne était tout de même préférable en matière de confort.
Pour réparer mon impair, je
m’étais dépêchée de le conduire chez le vétérinaire qui en ville avait
développé toutes les subtilités de son art. Après tout ce clebs, ce cabot
empêchant les entrées intempestives – y compris avait il cru
la mienne - sur ce qui avait longtemps été son territoire de fonction n’avait
fait preuve que de conscience professionnelle et il aurait été fort mal venu de
le lui reprocher. Il n’était pas censé être compétent concernant l’histoire
économique des productions rurales.
Ce qui était bouleversant dans
ce que m’avait dit ma voisine, outre le ton de sa voix simple et quotidienne
comme il l’était toujours, était cette hésitation de catholique modeste et
loyale entre l’obligation de suivre les directives de l’ecclésiastique affecté
à la Paroisse mais doutant dans son for intérieur de l’opportunité d’un tel
renoncement tant il était évident que l’eau dont se servait le village qui
n’était pas encore raccordé au réseau jaillissait là de derrière l’édifice
avant d’être canalisée dans des installations qui permettaient aux habitants de
remplir les seaux qu’ils rapportaient ensuite chez eux.
Ce n’était d’ailleurs pas la
seule raison qui jetait le doute dans l’intégrité de cette âme lumineuse mais
aussi la conviction unanime de l’ensemble des villageois que s’accomplissait là
ce que personne n’osait nommer des miracles
- car cela aurait été prétentieux - mais de simples ajustements nécessaires
concernant l’état global de la matière vivante.
Dédiée à Saint Christophe, la
réputée vieille église comme on l’appelait traditionnellement, la mérovingienne abritait en son enceinte
une source qui non seulement donnait l’eau aux habitants de cette contrée
reculée que n’avait pas encore investie le tourisme furieux et qu’ils se
contentaient de conserver dans des jarres au sein des souillardes, mais
produisait aussi des améliorations sanitaires décisives.
Ainsi des paralytiques avaient
ils retrouvé l’ambulation et on voyait même suspendues au fin fond de la grotte
d’où provenait le bienfaisant liquide, leurs béquilles devenues du coup
inutiles, même à une époque où l’homme bionique et ses jambes en titane
n’étaient pas encore au goût du jour … Pourquoi donc alors n’aurait-il pas fallu
adorer Saint Christophe puisque ses résultats visibles et tangibles étaient
là ?
Et c’était au léger
tremblement qu’on pouvait entendre dans la voix de ma voisine qu’il était
possible de mesurer que cet étonnement philosophique perceptible à la plus simple
des maraichères de ce village troglodyte dont l’église multiséculaire avait été
dédiée à Saint Christophe n’était pas le produit de l’absence d’instruction
supérieure ni non plus l’accès et la familiarité de la fréquentation de la
fameuse Raison des Lumières, cette déesse moderne qui avait transformé le monde
pour le meilleur et pour le pire, mais la rigoureuse perception de l’existence
là d’une anomalie sur laquelle les véritables scientifiques se devaient de
s’appuyer pour tirer au clair une bizarrerie capable de mettre en cause à elle
seule, la théorie de l’évolution …
J’ai continué à fréquenter la
villégiature alors même que la maison de ma chère voisine était préparée pour
la vente comme sa propriétaire était avec son époux dans une maison de retraite
située plus haut en amont dans la vallée du Tarn. J’avais formé le projet
d’aller lui rendre visite mais la chose n’avait en fin de compte pas pu se
réaliser, car le conducteur que j’avais pressenti pour cette fonction avait en
fin de compte - à mon grand étonnement - déclaré forfait.
Quant au Curé qui n’aimait pas trop qu’on adore Saint Christophe, en amont ou en aval du Tarn,
il avait été remplacé par un confrère plus jeune et plus dynamique qui avait
pris le tournant de l’explosion du Tourisme comme la déclaration de guerre des
fanatiques djihadistes à tout ce qui n’était pas eux-mêmes avait rendu
dangereux non seulement les traditionnels séjours dans les stations balnéaires
y compris à l’autre bout du monde mais même - voire davantage encore en dépit
des progrès des transports - les voyages pour les atteindre.
On s’était donc replié comme
on avait pu sur le patrimoine national et si dans la période précédente à la
rentrée d’automne, l’aveu de vacances d’été passées dans le Massif Central
déclenchait de petits sourires sous-entendus chez les gens qui ignoraient tout
de la grandeur de cette formidable citadelle qui avait longtemps assuré la
solidité du pays, avec la nouvelle donne là, c’était l’inverse !
C’était à qui avait pendant
l’été découvert les lieux les plus étranges comme enfouis désormais dans les
broussailles et les ronces une rangée de dolmens surplombant le Tarn et/ou les
plus perdus abris de berger en pierres sèches – défi prométhéen aux règles de
l’architecture – voire même une minuscule chapelle dont les inscriptions sur le
portail répercutant les plaintes des défunts gisant dans le cimetière adjacent
sentaient nettement le fagot, pourvu qu’ils aient été à l’intérieur des
frontières de nouveau sacrées.
Restaient ensuite à trouver à
tous ces vacanciers plus ou moins en mal d’excitation quotidienne des activités
qui au-delà de la pétanque, l’aquagym et les différents modèles de rallyes
voire de chasse au trésor pouvaient les occuper avec suffisamment d’intensité
et de bonheur pour les convaincre de revenir l’année suivante dans les mêmes
lieux.
Car ce n’était pas tout de
faire venir les touristes une fois, encore fallait-il les fidéliser, ce qui
était une autre paire de manches et d’autant plus pour cette région qui
habituée à satisfaire elle-même quasiment en autarcie ses propres besoins,
n’avait jamais eu à relever un pareil défi.
L’ecclésiastique qui avait
désormais l’église mérovingienne dans sa paroisse en compagnie de quelques
autres moins photogéniques n’avait pas eu peur d’avoir recours aux recettes
éprouvées depuis longtemps.
Les cérémonies religieuses et
les divers pèlerinages avaient toujours eu du succès auprès de la plupart des
gens, même des athées qui y voyaient au moins l’occasion d’un parcours de santé
voire pour les plus instruits un terrain d’observation anthropologique tandis
que les âmes plus simples en espéraient des gratifications pour leur séjour
post mortem.
Sur les conseils de la cellule
de communication du Diocèse qu’il avait à ce sujet consulté, le clergyman new look en avait élargi le concept en en proposant chaque
année au milieu de l’été aux vacanciers et résidents de la région une
bénédiction générale des animaux domestiques invitant chacun à venir avec son
chien, son chat, son furet voire même son rat et le fait était que l’Eglise
avait pris le pari moderniste et ne reculait plus devant rien car même à
écouter ce qu’on racontait il n’était pas exclu de venir avec son serpent
pourvu qu’il ne fut pas venimeux …
D’ailleurs les fidèles sans
être forcément eux-mêmes zoologues mais les plus au fait des mœurs de ces
animaux-là savaient bien que dans les pays Baltes, il y avait des couleuvres
domestiques dans le rôle que jouent chez nous les greffiers qui pour nous
débarrasser des rongeurs indélicats nous filent le train avec une obstination
accrue depuis qu’on a inventé l’Agriculture !
Les Scouts et les Guides du
district avaient été réquisitionnés pour assurer le succès de l’opération. Ils
avaient largement distribué des prospectus d’information et placardé partout des
affiches pour informer de la date de cette bénédiction générale de la matière
vivante devant la grotte du dit Saint Christophe connue du coup même bien
au-delà de la vallée.
Sur ces notices il était même
précisé dans cette période où il était normal d’avoir les idées larges car on
avait historiquement constaté où menait l’étroitesse d’esprit que ceux qui
n’avaient pas d’animaux mais des engins de transport auxquels ils tenaient
particulièrement tels que patinettes motos vélos tricycles pouvaient également
les apporter pour qu’ils bénéficient eux aussi du saint fluide.
On évoquait même cette
possibilité concernant les automobiles dans la mesure où il était possible de
les garer sur le parvis étroit de ce monument - incontestablement autant
légendaire qu’historique - ce qui à coup sûr en limitait le nombre!
Saint Christophe n’était-il
pas après tout de notoriété publique le patron des voyageurs et combien avaient
dans la boite à gants de leurs automobiles voire même scellée sur le tableau de
bord au milieu des autres manettes telle que celle annonçant la vitesse
atteinte ou le niveau d’essence encore dans le réservoir, une médaille du saint
dont ils espéraient - à tort ou à raison - qu’en cas de pépin cela leur
permettrait de se tirer d’affaire sans trop de complication et en évitant
l’appel au garagiste …
Dans les boutiques de
bimbeloterie à l’usage des touristes, on vendait toutes sortes de déclinaisons
de ces portraits dont l’iconographie avait fini par admettre qu’il portait dans
ces bras un jeune enfant dont on nous disait qu’il s’agissait de Jésus,
lui-même tenant entre ses petits bras un globe terrestre surmonté d’une croix,
le tout constituant une sorte d’énigme hermétique que médiatisaient à peine les
modèles les plus sophistiqués. Ceux-là portaient de surcroit cette inscription
devenue traditionnelle Regarde Saint
Christophe et vas t’en rassuré !
J’avais formé projet de me
joindre à la troupe des amateurs de ce genre de cérémonie comme une ultime
façon de donner droit de cité aux interrogations légitimes de mon ancienne
voisine dont je n’avais jamais réussi à savoir si oui ou non elle avait choisi
d’obéir à son curé ou au contraire préféré être fidèle à ses intuitions
profondes à savoir l’importance de ce saint de notre panthéon chrétien dont
paradoxalement l’Eglise - qui aurait pourtant dû le valoriser - ne
reconnaissait ni la grandeur ni l’utilité.
Comme j’invitais l’un de mes
amis du coin à m’accompagner à la bénédiction le jour dit à l’heure dite, les
hauts cris qu’il poussa en entendant ma proposition, glapissements qui
accompagnaient son refus de venir avec moi m’alertèrent sur le fait que
l’intérêt que je portais à ce géant n’était pas nécessairement partagé par
d’autres avec qui pourtant il me semblait avoir beaucoup en commun.
Et d’autant plus qu’on pouvait
penser que ce comparse qui tenait une place importante dans ma vie, libre
penseur qu’il était aurait pu sans difficultés prendre de haut toutes ces
simagrées et ne s’offusquer de rien. Le fait était que ces dernières années, on
en avait vu bien d’autres ! Néanmoins sa réaction m’alerta, les choses ne
devaient donc pas être si simples.
Je décidais alors de creuser
une fois pour toute la question afin de tirer au clair ce que je ressentais à
mi-chemin du paradoxe ou de l’anomalie, pas tout à fait la même chose.
Cherchant des documents pour éclairer ma lanterne, ma première surprise fut de
n’en pas trouver me laissant sur ma faim, interloquée et inquiète car non
seulement mes ouvrages traditionnels mais la Toile elle-même restait quasiment
sans voix sur un sujet qui pourtant ne manquait pas d’intérêt.
J’y appris tout de même qu’il
s’agissait d’un saint plus ou moins légendaire, l’un des tous premiers barbares
à devenir chrétien dans les premiers siècles de l’ère commune et que c’était
sans doute pour cela qu’on le représentait avec une tête de chien. Une façon de
dire ou plutôt de montrer qu’il était comme nous sans l’être tout à fait.
Processus bien connu !
Il semblait avoir fait partie
des populations dénommées globalement Les
Peuples de la Mer dont on ne connaissait pas
exactement l’histoire avant qu’ils ne se soient répandus en Asie Mineure et en
Syrie ravageant les civilisations précédentes comme c’est l’habitude - sinon la
norme - et peut être même avaient-ils été parmi les Alliés de la Cité Mère lors
de la fameuse elle-même pourtant légendaire Guerre de Troie!
Plus étonnant encore certaines
indications glanées par ci par là présentaient la dite tête de chien des
représentations de Saint Christophe comme le rappel de la tête de chacal du
dieu Anubis divinité égyptienne gardienne du passage entre la vie et la mort,
huissier de le pesée des âmes, préambule à leur survie dans l’autre monde,
inventeur de la momification – métamorphose - promesse d’éternité et en fin de
compte l’accompagnateur des défunts dans l’au-delà … Ce qui n’était tout de
même pas une mince fonction …
J’appris également avec
stupéfaction que non seulement au fur et à mesure que le Christianisme s’était
répandu en Egypte, les habitants de cette contrée s’étaient opposés à sa pénétration
en convoquant la mémoire d’Anubis qui leur paraissait plus conforme à leur
tradition et à leur aspiration. Et pourquoi donc ?
Qu’en est-il au fond de ce
géant plus ou moins légendaire dont la vocation semble avoir été de faire
passer à gué d’une contrée à une autre les voyageurs de tous poils ?
Ai-je rêvé ou lu effectivement
quelque part que si le Dalaï Lama est dans la
religion tibétaine l’incarnation du chainon manquant entre les animaux et nous,
en fin de compte une sorte de représentation au présent de l’ancêtre de la
matière vivante commune, notre Saint Christophe est de son côté l’un des
avatars de ce qu’on nomme ici le loup
garou, ce cousin jouant un rôle analogue et qu’on ne s’est pas tout à fait
résolu à oublier car il nous arrive encore de le croiser certains soirs dans la
forêt de Chaux …
Ou bien plus moderne est-ce la
nouvelle version d’Hermès ce dieu de la Communication si nécessaire à tous ceux
qui voyagent emportant avec eux les chiffons éclatants de ce qui fut leur vie
pour s’en inventer une autre puisqu’il n’en est qu’au-delà de l’enjambement de
la partie morte de soi ? Heureux ceux qui n’ont pas rompu leurs liens avec
le reste de la matière vivante, car elle est Une.
Saint Christophe est-il notre
commun ancêtre et qu’en est-il de ces géants hantant de ci et de là la mémoire
des icônes, des légendes et des carnavals ? S’ils n’étaient pas aussi
sectaires les réputés savants sauraient que trouvant de ci de là des fossiles
qui dépassaient manifestement la taille des squelettes des hommes dont ils
avaient connaissance les hominiens furent convaincus qu’effectivement des géants les avaient précédés.
Reste à déterminer le sens du
mot. Tout n’est pas toujours aussi nouveau que le croit nos fanatiques
modernistes sans arrêt près à enterrer le monde ancien comme s’il était la
menace principale, et aujourd’hui la toute spéciale dignité unique de l’être
humain visage du Christ dans l’incarnation, inventant l’humanisme européen.
Ainsi si autrefois pulsion de mort se disait Satan
et inconscient destin, les géants étaient-ils le nom de toute cette
engeance de dinosaures qui nous avaient précédés et dont on retrouvait la trace
au moyen de leurs ossements qui n’avaient pas tout à fait disparu ?
La lutte contre le spécisme est à la mode car le rêve de l’ultra
capitalisme est d’inventer un monde de concurrence pure et parfaite dans lequel
l’atomicité, la fluidité et la transparence doivent régner en maitresse de
l’utopie de la fin de toute singularité. Cela implique l’oubli voire la perte
définitive de tout ce qui de près ou de loin s’apparente au passé.
Ainsi a contrario cette
tenture est-elle composée des lambeaux de tissus rescapés de ma vie passée. Un
morceau de la casaque d’équitation de mon beau père pour en faire la chevelure
éclatante de l’enfant Jésus dont le corps lui-même est composé des tissus à
fleurs trouvés dans les malles du grenier de chez mes beaux-parents
lorsqu’après leur mort il a fallu vider l’hôtel particulier y découvrant des
trésors insoupçonnés précautionneusement mis de côté.
Aux morceaux de costume de mon
époux, s’est ajouté fort rouge un large lambeau de ce qui fut l’un de mes
pantalons préférés tant il affirmait la joie, l’amour et en fin de compte la
vie même. Avec tout de même un reste de mon gilet blanc à fleurs acheté dans je
ne sais quelle brocante à l’époque où elles pas encore devenus des marchés pour
les très pauvres.
Quant aux mains en cuir ce
sont les restes d’un ancien portefeuille fabriqué par un artisan de Millau et
dont - comme il était usé - j’ai dû racheter son double dans une autre couleur
avec comme globe terrestre tenu entre les dites mains un bout de napperon
récupéré et stocké, là à la mode écologique avec ses végétaux et insecte pour
la diversité globale puisqu’elle est à la mode !
Enfin la tête de chien voire
de chacal est-elle même porteuse de la mémoire des transats qui à la
villégiature permettaient en surplombant le Tarn qui coulait en contre bas de
goûter la douceur du soir lorsque la chaleur était retombée. Dans la journée,
on les repliait et les laissait debout les uns contre les autres derrière la
porte fenêtre le long du mur extérieur.
Parfois sous le poids des
estivants ou à la défaveur de leur agitation voire de leur simple faux
mouvements - l’usure faisant le reste - la pourtant solide et rustique toile
qui les constituait se déchirait. A la période de ma vie où je croyais encore
pouvoir enrayer la destruction à l’œuvre, j’avais racheté du tissu adéquat pour
les réparer.
A l’époque on en trouvait
facilement. Et au Centre-Ville de Millau des commerçants étaient spécialisés
dans les tissus que j’ai quelque part qualifiés de domestiques et pour lesquels j’ai toujours eu une authentique
vénération parce qu’ils participent de l’âme
du foyer, cette vieille lune qui persiste à donner la lumière !
Hélas les réparations prévues
n’ont pas pu avoir lieu car petit à petit le monde devenu tout autre ne le
permettait plus. J’ai gardé la toile roulée dans l’un des tiroirs de la commode
héritée de ma belle-mère et dans laquelle je stocke dans la grande pièce à Paris,
les matériaux nécessaires à mes œuvres textiles.
Qu’elle brille à jamais cette
toile de transat à tête de chien comme l’essence du bonheur de la villégiature
irradiée déjà par la légende du saint. C’était déjà lui qui nous permettait
d’enjamber en contrebas la rivière où autrefois avaient pâturé rhinocéros et
mammouths dans des temps très anciens. Et que dire de l’ours des cavernes qui
occupait sans doute lui-même la grotte réputée miraculeuse ?
… Monsieur le Curé n’aime pas trop qu’on adore Saint Christophe Et
pourquoi donc ? Est-ce parce qu’il est le dernier refuge de ceux qui
s’oppose à la liquidation générale et à l’abolition de la spécificité de
l’espèce humaine, cette espèce qui spéciste
ou pas a ordonnancé le monde traversant gué à gué
tous les passages et toutes les ruptures … De la sédimentation dont on voit
encore la trace au fond de la cour de la villégiature à demi troglodyte au
début du creusement des gorges du Tarn il y a cent millions d’années …
Ce n’est pas demain la veille
qu’on verra une otarie écrire A la recherche du temps perdu et pas
seulement faute de bras. Que cette différence entre elle et l’homo sapiens chasseur - cueilleur – fraiseur comme dit un comparse paraisse sans importance signifie
seulement que ce chef d’œuvre de la littérature ne signifie rien pour cette
nouvelle engeance uniquement préoccupée de traîner devant les tribunaux les
réputés spécistes qui persistent à
prétendre que la Bête à Bon Dieu est seulement un insecte à dos rouge et à
points noirs dont on peut penser sans grand dégâts philosophiques ou moraux
qu’elle porte bonheur lorsqu’elle s’envole au bout du doigt pourvu qu’il soit
dressé pour montrer aux artisans de paix la route de l’harmonie avec le
monde !...
Jeanne Hyvrard –
juillet 2018
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l’exposition
Mise
à jour : juillet 2018