Saint Christophe Tête de chien

Tenture de Jeanne Hyvrard - 2018

Sur toile de lin récupérée d’un drap reformé.

 

Copie de 2018 06 30 - Saint Christophe (3)

Dimensions : Largeur 63 cm, Hauteur 83 cm - Broderie sur lin

 

 

Monsieur le Curé n’aime pas trop qu’on adore Saint Christophe ! m’avait dit un jour ma voisine à la villégiature dans l’un de ces villages troglodytes, l’un des plus beaux de France dont l’église mérovingienne elle-même à moitié enfoncée dans le rocher sédimentaire des Causses et fortifiée en raison de la conjoncture historique chroniquement troublée portait le nom de ce saint que pourtant Monsieur le Curé n’aimait guère …

Ce qui m’avait troublée dans ce que m’avait dit ma voisine avec qui j’échangeais à l’occasion de balcon à balcon quelques réflexions, était surtout le ton de sa voix. Maraichère courageuse elle cultivait en contrebas de nos maisons, dans cette bande de terre étroite et fertile d’être les alluvions apportées pas le Tarn, des légumes qu’elle vendait à Millau deux fois par semaine sur ce qui avait d’abord été la Place d’Armes entourée d’un péristyle composé de colonnes imposantes et qu’on avait avec l’apaisement des conflits, opportunément rebaptisée Place du Marché.

Cette femme était intelligente, généreuse juste ce qu’il fallait pour ne pas mettre en péril son exploitation et suffisamment dynamique pour entreprendre d’expulser sans ménagement les serpents qui s’aventuraient l’été dans son tuyau d’arrosage.

Du troupeau de moutons dont jeune mariée venue des hauts de la Lozère, elle avait eu la garde au temps où l’exploitation était encore en indivision avec son beau-frère dépensier, elle n’avait gardé que le chien, l’un de ces chiens jaunes dont l’ascendance est impossible à reconstituer et qui sans prétention sont les meilleurs amis de l’homme.

Je m’en voulais de lui avoir un jour écrasé les pattes comme rentrant en voiture, j’avais mal négocié l’étroit passage entre les deux murs qui permettaient d’accéder au village en débouchant brutalement sur la plateforme servant de parvis à celle qu’on dénommait simplement la vieille église pour la différencier de la nouvelle qui datait déjà elle-même maintenant de plus d’un siècle et qui si elle n’avait ni la beauté ni l’intérêt de l’ancienne était tout de même préférable en matière de confort.

Pour réparer mon impair, je m’étais dépêchée de le conduire chez le vétérinaire qui en ville avait développé toutes les subtilités de son art. Après tout ce clebs, ce cabot empêchant les entrées intempestives – y compris avait il cru la mienne - sur ce qui avait longtemps été son territoire de fonction n’avait fait preuve que de conscience professionnelle et il aurait été fort mal venu de le lui reprocher. Il n’était pas censé être compétent concernant l’histoire économique des productions rurales.

Ce qui était bouleversant dans ce que m’avait dit ma voisine, outre le ton de sa voix simple et quotidienne comme il l’était toujours, était cette hésitation de catholique modeste et loyale entre l’obligation de suivre les directives de l’ecclésiastique affecté à la Paroisse mais doutant dans son for intérieur de l’opportunité d’un tel renoncement tant il était évident que l’eau dont se servait le village qui n’était pas encore raccordé au réseau jaillissait là de derrière l’édifice avant d’être canalisée dans des installations qui permettaient aux habitants de remplir les seaux qu’ils rapportaient ensuite chez eux.

Ce n’était d’ailleurs pas la seule raison qui jetait le doute dans l’intégrité de cette âme lumineuse mais aussi la conviction unanime de l’ensemble des villageois que s’accomplissait là ce que personne n’osait nommer des miracles - car cela aurait été prétentieux - mais de simples ajustements nécessaires concernant l’état global de la matière vivante.

Dédiée à Saint Christophe, la réputée vieille église comme on l’appelait traditionnellement, la mérovingienne abritait en son enceinte une source qui non seulement donnait l’eau aux habitants de cette contrée reculée que n’avait pas encore investie le tourisme furieux et qu’ils se contentaient de conserver dans des jarres au sein des souillardes, mais produisait aussi des améliorations sanitaires décisives.

Ainsi des paralytiques avaient ils retrouvé l’ambulation et on voyait même suspendues au fin fond de la grotte d’où provenait le bienfaisant liquide, leurs béquilles devenues du coup inutiles, même à une époque où l’homme bionique et ses jambes en titane n’étaient pas encore au goût du jour … Pourquoi donc alors n’aurait-il pas fallu adorer Saint Christophe puisque ses résultats visibles et tangibles étaient là ?

Et c’était au léger tremblement qu’on pouvait entendre dans la voix de ma voisine qu’il était possible de mesurer que cet étonnement philosophique perceptible à la plus simple des maraichères de ce village troglodyte dont l’église multiséculaire avait été dédiée à Saint Christophe n’était pas le produit de l’absence d’instruction supérieure ni non plus l’accès et la familiarité de la fréquentation de la fameuse Raison des Lumières, cette déesse moderne qui avait transformé le monde pour le meilleur et pour le pire, mais la rigoureuse perception de l’existence là d’une anomalie sur laquelle les véritables scientifiques se devaient de s’appuyer pour tirer au clair une bizarrerie capable de mettre en cause à elle seule, la théorie de l’évolution …

J’ai continué à fréquenter la villégiature alors même que la maison de ma chère voisine était préparée pour la vente comme sa propriétaire était avec son époux dans une maison de retraite située plus haut en amont dans la vallée du Tarn. J’avais formé le projet d’aller lui rendre visite mais la chose n’avait en fin de compte pas pu se réaliser, car le conducteur que j’avais pressenti pour cette fonction avait en fin de compte - à mon grand étonnement - déclaré forfait.

Quant au Curé qui n’aimait pas trop qu’on adore Saint Christophe, en amont ou en aval du Tarn, il avait été remplacé par un confrère plus jeune et plus dynamique qui avait pris le tournant de l’explosion du Tourisme comme la déclaration de guerre des fanatiques djihadistes à tout ce qui n’était pas eux-mêmes avait rendu dangereux non seulement les traditionnels séjours dans les stations balnéaires y compris à l’autre bout du monde mais même - voire davantage encore en dépit des progrès des transports - les voyages pour les atteindre.

On s’était donc replié comme on avait pu sur le patrimoine national et si dans la période précédente à la rentrée d’automne, l’aveu de vacances d’été passées dans le Massif Central déclenchait de petits sourires sous-entendus chez les gens qui ignoraient tout de la grandeur de cette formidable citadelle qui avait longtemps assuré la solidité du pays, avec la nouvelle donne là, c’était l’inverse !

C’était à qui avait pendant l’été découvert les lieux les plus étranges comme enfouis désormais dans les broussailles et les ronces une rangée de dolmens surplombant le Tarn et/ou les plus perdus abris de berger en pierres sèches – défi prométhéen aux règles de l’architecture – voire même une minuscule chapelle dont les inscriptions sur le portail répercutant les plaintes des défunts gisant dans le cimetière adjacent sentaient nettement le fagot, pourvu qu’ils aient été à l’intérieur des frontières de nouveau sacrées.

Restaient ensuite à trouver à tous ces vacanciers plus ou moins en mal d’excitation quotidienne des activités qui au-delà de la pétanque, l’aquagym et les différents modèles de rallyes voire de chasse au trésor pouvaient les occuper avec suffisamment d’intensité et de bonheur pour les convaincre de revenir l’année suivante dans les mêmes lieux.

Car ce n’était pas tout de faire venir les touristes une fois, encore fallait-il les fidéliser, ce qui était une autre paire de manches et d’autant plus pour cette région qui habituée à satisfaire elle-même quasiment en autarcie ses propres besoins, n’avait jamais eu à relever un pareil défi.

L’ecclésiastique qui avait désormais l’église mérovingienne dans sa paroisse en compagnie de quelques autres moins photogéniques n’avait pas eu peur d’avoir recours aux recettes éprouvées depuis longtemps.

Les cérémonies religieuses et les divers pèlerinages avaient toujours eu du succès auprès de la plupart des gens, même des athées qui y voyaient au moins l’occasion d’un parcours de santé voire pour les plus instruits un terrain d’observation anthropologique tandis que les âmes plus simples en espéraient des gratifications pour leur séjour post mortem.

Sur les conseils de la cellule de communication du Diocèse qu’il avait à ce sujet consulté, le clergyman new look en avait élargi le concept en en proposant chaque année au milieu de l’été aux vacanciers et résidents de la région une bénédiction générale des animaux domestiques invitant chacun à venir avec son chien, son chat, son furet voire même son rat et le fait était que l’Eglise avait pris le pari moderniste et ne reculait plus devant rien car même à écouter ce qu’on racontait il n’était pas exclu de venir avec son serpent pourvu qu’il ne fut pas venimeux …

D’ailleurs les fidèles sans être forcément eux-mêmes zoologues mais les plus au fait des mœurs de ces animaux-là savaient bien que dans les pays Baltes, il y avait des couleuvres domestiques dans le rôle que jouent chez nous les greffiers qui pour nous débarrasser des rongeurs indélicats nous filent le train avec une obstination accrue depuis qu’on a inventé l’Agriculture !

Les Scouts et les Guides du district avaient été réquisitionnés pour assurer le succès de l’opération. Ils avaient largement distribué des prospectus d’information et placardé partout des affiches pour informer de la date de cette bénédiction générale de la matière vivante devant la grotte du dit Saint Christophe connue du coup même bien au-delà de la vallée.

Sur ces notices il était même précisé dans cette période où il était normal d’avoir les idées larges car on avait historiquement constaté où menait l’étroitesse d’esprit que ceux qui n’avaient pas d’animaux mais des engins de transport auxquels ils tenaient particulièrement tels que patinettes motos vélos tricycles pouvaient également les apporter pour qu’ils bénéficient eux aussi du saint fluide.

On évoquait même cette possibilité concernant les automobiles dans la mesure où il était possible de les garer sur le parvis étroit de ce monument - incontestablement autant légendaire qu’historique - ce qui à coup sûr en limitait le nombre!

Saint Christophe n’était-il pas après tout de notoriété publique le patron des voyageurs et combien avaient dans la boite à gants de leurs automobiles voire même scellée sur le tableau de bord au milieu des autres manettes telle que celle annonçant la vitesse atteinte ou le niveau d’essence encore dans le réservoir, une médaille du saint dont ils espéraient - à tort ou à raison - qu’en cas de pépin cela leur permettrait de se tirer d’affaire sans trop de complication et en évitant l’appel au garagiste …

Dans les boutiques de bimbeloterie à l’usage des touristes, on vendait toutes sortes de déclinaisons de ces portraits dont l’iconographie avait fini par admettre qu’il portait dans ces bras un jeune enfant dont on nous disait qu’il s’agissait de Jésus, lui-même tenant entre ses petits bras un globe terrestre surmonté d’une croix, le tout constituant une sorte d’énigme hermétique que médiatisaient à peine les modèles les plus sophistiqués. Ceux-là portaient de surcroit cette inscription devenue traditionnelle Regarde Saint Christophe et vas t’en rassuré !

J’avais formé projet de me joindre à la troupe des amateurs de ce genre de cérémonie comme une ultime façon de donner droit de cité aux interrogations légitimes de mon ancienne voisine dont je n’avais jamais réussi à savoir si oui ou non elle avait choisi d’obéir à son curé ou au contraire préféré être fidèle à ses intuitions profondes à savoir l’importance de ce saint de notre panthéon chrétien dont paradoxalement l’Eglise - qui aurait pourtant dû le valoriser - ne reconnaissait ni la grandeur ni l’utilité.

Comme j’invitais l’un de mes amis du coin à m’accompagner à la bénédiction le jour dit à l’heure dite, les hauts cris qu’il poussa en entendant ma proposition, glapissements qui accompagnaient son refus de venir avec moi m’alertèrent sur le fait que l’intérêt que je portais à ce géant n’était pas nécessairement partagé par d’autres avec qui pourtant il me semblait avoir beaucoup en commun.

Et d’autant plus qu’on pouvait penser que ce comparse qui tenait une place importante dans ma vie, libre penseur qu’il était aurait pu sans difficultés prendre de haut toutes ces simagrées et ne s’offusquer de rien. Le fait était que ces dernières années, on en avait vu bien d’autres ! Néanmoins sa réaction m’alerta, les choses ne devaient donc pas être si simples.

Je décidais alors de creuser une fois pour toute la question afin de tirer au clair ce que je ressentais à mi-chemin du paradoxe ou de l’anomalie, pas tout à fait la même chose. Cherchant des documents pour éclairer ma lanterne, ma première surprise fut de n’en pas trouver me laissant sur ma faim, interloquée et inquiète car non seulement mes ouvrages traditionnels mais la Toile elle-même restait quasiment sans voix sur un sujet qui pourtant ne manquait pas d’intérêt.

J’y appris tout de même qu’il s’agissait d’un saint plus ou moins légendaire, l’un des tous premiers barbares à devenir chrétien dans les premiers siècles de l’ère commune et que c’était sans doute pour cela qu’on le représentait avec une tête de chien. Une façon de dire ou plutôt de montrer qu’il était comme nous sans l’être tout à fait. Processus bien connu !

Il semblait avoir fait partie des populations dénommées globalement Les Peuples de la Mer dont on ne connaissait pas exactement l’histoire avant qu’ils ne se soient répandus en Asie Mineure et en Syrie ravageant les civilisations précédentes comme c’est l’habitude - sinon la norme - et peut être même avaient-ils été parmi les Alliés de la Cité Mère lors de la fameuse elle-même pourtant légendaire Guerre de Troie!

Plus étonnant encore certaines indications glanées par ci par là présentaient la dite tête de chien des représentations de Saint Christophe comme le rappel de la tête de chacal du dieu Anubis divinité égyptienne gardienne du passage entre la vie et la mort, huissier de le pesée des âmes, préambule à leur survie dans l’autre monde, inventeur de la momification – métamorphose - promesse d’éternité et en fin de compte l’accompagnateur des défunts dans l’au-delà … Ce qui n’était tout de même pas une mince fonction …

J’appris également avec stupéfaction que non seulement au fur et à mesure que le Christianisme s’était répandu en Egypte, les habitants de cette contrée s’étaient opposés à sa pénétration en convoquant la mémoire d’Anubis qui leur paraissait plus conforme à leur tradition et à leur aspiration. Et pourquoi donc ?

Qu’en est-il au fond de ce géant plus ou moins légendaire dont la vocation semble avoir été de faire passer à gué d’une contrée à une autre les voyageurs de tous poils ?

Ai-je rêvé ou lu effectivement quelque part que si le Dalaï Lama est dans la religion tibétaine l’incarnation du chainon manquant entre les animaux et nous, en fin de compte une sorte de représentation au présent de l’ancêtre de la matière vivante commune, notre Saint Christophe est de son côté l’un des avatars de ce qu’on nomme ici le loup garou, ce cousin jouant un rôle analogue et qu’on ne s’est pas tout à fait résolu à oublier car il nous arrive encore de le croiser certains soirs dans la forêt de Chaux …

Ou bien plus moderne est-ce la nouvelle version d’Hermès ce dieu de la Communication si nécessaire à tous ceux qui voyagent emportant avec eux les chiffons éclatants de ce qui fut leur vie pour s’en inventer une autre puisqu’il n’en est qu’au-delà de l’enjambement de la partie morte de soi ? Heureux ceux qui n’ont pas rompu leurs liens avec le reste de la matière vivante, car elle est Une.

Saint Christophe est-il notre commun ancêtre et qu’en est-il de ces géants hantant de ci et de là la mémoire des icônes, des légendes et des carnavals ? S’ils n’étaient pas aussi sectaires les réputés savants sauraient que trouvant de ci de là des fossiles qui dépassaient manifestement la taille des squelettes des hommes dont ils avaient connaissance les hominiens furent convaincus qu’effectivement des géants les avaient précédés.

Reste à déterminer le sens du mot. Tout n’est pas toujours aussi nouveau que le croit nos fanatiques modernistes sans arrêt près à enterrer le monde ancien comme s’il était la menace principale, et aujourd’hui la toute spéciale dignité unique de l’être humain visage du Christ dans l’incarnation, inventant l’humanisme européen.

Ainsi si autrefois pulsion de mort se disait Satan et inconscient destin, les géants étaient-ils le nom de toute cette engeance de dinosaures qui nous avaient précédés et dont on retrouvait la trace au moyen de leurs ossements qui n’avaient pas tout à fait disparu ?

La lutte contre le spécisme est à la mode car le rêve de l’ultra capitalisme est d’inventer un monde de concurrence pure et parfaite dans lequel l’atomicité, la fluidité et la transparence doivent régner en maitresse de l’utopie de la fin de toute singularité. Cela implique l’oubli voire la perte définitive de tout ce qui de près ou de loin s’apparente au passé.

Ainsi a contrario cette tenture est-elle composée des lambeaux de tissus rescapés de ma vie passée. Un morceau de la casaque d’équitation de mon beau père pour en faire la chevelure éclatante de l’enfant Jésus dont le corps lui-même est composé des tissus à fleurs trouvés dans les malles du grenier de chez mes beaux-parents lorsqu’après leur mort il a fallu vider l’hôtel particulier y découvrant des trésors insoupçonnés précautionneusement mis de côté.

Aux morceaux de costume de mon époux, s’est ajouté fort rouge un large lambeau de ce qui fut l’un de mes pantalons préférés tant il affirmait la joie, l’amour et en fin de compte la vie même. Avec tout de même un reste de mon gilet blanc à fleurs acheté dans je ne sais quelle brocante à l’époque où elles pas encore devenus des marchés pour les très pauvres.

Quant aux mains en cuir ce sont les restes d’un ancien portefeuille fabriqué par un artisan de Millau et dont - comme il était usé - j’ai dû racheter son double dans une autre couleur avec comme globe terrestre tenu entre les dites mains un bout de napperon récupéré et stocké, là à la mode écologique avec ses végétaux et insecte pour la diversité globale puisqu’elle est à la mode !

Enfin la tête de chien voire de chacal est-elle même porteuse de la mémoire des transats qui à la villégiature permettaient en surplombant le Tarn qui coulait en contre bas de goûter la douceur du soir lorsque la chaleur était retombée. Dans la journée, on les repliait et les laissait debout les uns contre les autres derrière la porte fenêtre le long du mur extérieur.

Parfois sous le poids des estivants ou à la défaveur de leur agitation voire de leur simple faux mouvements - l’usure faisant le reste - la pourtant solide et rustique toile qui les constituait se déchirait. A la période de ma vie où je croyais encore pouvoir enrayer la destruction à l’œuvre, j’avais racheté du tissu adéquat pour les réparer.

A l’époque on en trouvait facilement. Et au Centre-Ville de Millau des commerçants étaient spécialisés dans les tissus que j’ai quelque part qualifiés de domestiques et pour lesquels j’ai toujours eu une authentique vénération parce qu’ils participent de l’âme du foyer, cette vieille lune qui persiste à donner la lumière !

Hélas les réparations prévues n’ont pas pu avoir lieu car petit à petit le monde devenu tout autre ne le permettait plus. J’ai gardé la toile roulée dans l’un des tiroirs de la commode héritée de ma belle-mère et dans laquelle je stocke dans la grande pièce à Paris, les matériaux nécessaires à mes œuvres textiles.

Qu’elle brille à jamais cette toile de transat à tête de chien comme l’essence du bonheur de la villégiature irradiée déjà par la légende du saint. C’était déjà lui qui nous permettait d’enjamber en contrebas la rivière où autrefois avaient pâturé rhinocéros et mammouths dans des temps très anciens. Et que dire de l’ours des cavernes qui occupait sans doute lui-même la grotte réputée miraculeuse ?

Monsieur le Curé n’aime pas trop qu’on adore Saint Christophe Et pourquoi donc ? Est-ce parce qu’il est le dernier refuge de ceux qui s’oppose à la liquidation générale et à l’abolition de la spécificité de l’espèce humaine, cette espèce qui spéciste ou pas a ordonnancé le monde traversant gué à gué tous les passages et toutes les ruptures … De la sédimentation dont on voit encore la trace au fond de la cour de la villégiature à demi troglodyte au début du creusement des gorges du Tarn il y a cent millions d’années …

Ce n’est pas demain la veille qu’on verra une otarie écrire A la recherche du temps perdu et pas seulement faute de bras. Que cette différence entre elle et l’homo sapiens chasseur - cueilleurfraiseur comme dit un comparse paraisse sans importance signifie seulement que ce chef d’œuvre de la littérature ne signifie rien pour cette nouvelle engeance uniquement préoccupée de traîner devant les tribunaux les réputés spécistes qui persistent à prétendre que la Bête à Bon Dieu est seulement un insecte à dos rouge et à points noirs dont on peut penser sans grand dégâts philosophiques ou moraux qu’elle porte bonheur lorsqu’elle s’envole au bout du doigt pourvu qu’il soit dressé pour montrer aux artisans de paix la route de l’harmonie avec le monde !...

 

Jeanne Hyvrard – juillet 2018

 

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Mise à jour : juillet 2018