Paris 2014 : Fluctuat nec mergitur
73
cm de large sur 63 de haut.
On
pourrait penser que cette tenture de Jeanne Hyvrard aurait pu être repassée
avant d’être photographiée pour être mise en ligne. On peut également continuer
à le penser à l’indicatif présent. Néanmoins s’il avait fallu repasser chacune
de ses œuvres dans cette perspective, on n’aurait rien fait du tout.
De
même que si elle s’était imposée de coudre rigoureusement ce qu’on appelle les appliqués
et d’utiliser avec soin toutes les ressources de la couture, l’auteure n’aurait
pas abouti. C’est que ce travail énorme a été à chaque fois accompli en état
d’urgence comme une réponse à une situation insupportable, en l’occurrence la
nécessité de projeter hors de soi ce qui encombre le cerveau. C’est dans ce
cas, son processus créateur lui-même.
En
pure perte d’ailleurs car l’espace mental ainsi libéré est bientôt à nouveau
occupé par d’autres fourbis. La masse des œuvres impliquant du coup pour qu’on
cesse d’en être encombré qu’elles soient rationnellement stockées dans ce que
l’auteure appelle des caisses, terme
générique regroupant tous les contenants dont la fonction est le rangement et
la conservation.
Coffre ou arche
conviendraient également mais seraient des vocables un peu prétentieux. Le mot caisse évoque plus justement les
transbordements à l’œuvre, ce que suggère d’ailleurs le rafiot symbole de la
Capitale, village de naissance non seulement de la réalisatrice mais aussi de
ses deux parents.
Comment
s’étonner alors lorsqu’on voit la dérive de l’agglomération au point parfois de
n’en pas croire ses yeux, que cette tenture là garde
non seulement les traces et les plis du stockage mais aussi bien de sa
fabrication à la va comme je te pousse …
C’est
que pas plus qu’il n’a été possible de repasser quoi que soit bien que
l’auteure possède encore une table à repasser bancale achetée sur catalogue à
une firme depuis en faillite et un fer acheté directement par elle-même dans le
sous-sol d’un magasin Darty, il n’a été réalisable de monter soigneusement et
rigoureusement la tenture …
Ainsi
le fond utilisé a t-il été un morceau de drap
quelconque hérité d’une mère, grand-mère ou belle-mère et conservé dans cette
perspective dans le tiroir central d’un bureau ayant appartenu à son beau-père.
Les appliqués provenant comme d’habitude de tissus ayant tous une
histoire propre qui pourrait être restituée en détail.
Ainsi
si la coque du rafiot provient d’un costume en velours côtelé de l’époux, la
proue d’une toile verte rayée ayant servie à rénover le fauteuil du Grand Père
Fontaine lorsqu’il gardait le Stade de la Belle Epine, le tissu doré ayant été
utilisé comme nappe lors de l’un des pantagruéliques réveillons de Noël offerts
par l’auteure à sa parentèle lorsqu’elle était encore opérationnelle et les
flots bleus de La Seine d’une jupe en velours portée par elle-même.
La
masse des boutons provient d’une part de l’amour que l’auteure éprouve pour eux
depuis son plus jeune âge lors duquel elle jouait avec à côté de sa mère et
d’autre part de la grande quantité de boites que depuis elle utilise pour les
loger en fonction de leurs catégories.
Ainsi
a-t-elle découvert qu’il n’était pas toujours opportun de mélanger le plastique
la céramique le bois le cuir et le métal avec le rien du tout et que la matière
se révélait être en fin de compte la caractéristique essentielle sans doute
parce que le Quoi Cela en est à ses
yeux, la question cardinale de la philosophie.
La
méthode employée dans cette tenture là a vu
apparaitre des créatures de plusieurs types indiquant une fâcheuse propension
de l’espèce à se couper en deux entre une prétendue élite auto proclamée - on se demande sur quels critères - et des
individus de deuxième ordre qui n’ont d’ores et déjà plus que l’existence
virtuelle du trait de l’auteur. De qui ou de quoi s’agit-il exactement ?
Et que dire de ceux passés par-dessus bord ou en passe de l’être ?
C’est
seulement après coup - considérant l’ensemble de son travail - que l’auteure
s’est rendue compte du malaise qu’il générait et a pu l’analyser comme la
contradiction existant entre la proue du rafiot donnant à penser que la
navigation se fait de la gauche vers la droite - ce qui n’est pas en soi une
aberration la réalité du monde étant ce qu’elle est - mais le gonflement des voiles
indiquant a contrario que le vent souffle de la droite dans cette contemporaine
nef des fous, poussant donc l’embarcation vers la gauche de la tenture.
En
réalité cela traduit bien le fond de l’air fait de décisions absurdes sans
arrêt rapportées ou abandonnées en tous cas sans rapport avec les problèmes
réels de la Capitale dont parmi eux la liste n’étant pas exhaustive : les
transports, les ordures, le mépris ostensible des travailleurs et le passage en
pertes et profits des personnes âgées auxquelles les toubibs recommandent en
vain la marche à pied tandis que les bancs publics sur lesquels elles
pourraient s’asseoir, sont tous les jours moins nombreux.
Il
est vrai qu’il est urgent d’empêcher les errants de s’y installer et qu’il vaut
bien mieux les laisser squatter les aménagements sociaux. Et puis les vieux – pardon les
vieilles personnes - sont de mauvaise vue dans cette période de jeunisme
fanatique… On a déjà réussi à les éliminer de la Télévision, reste à le faire
de la rue !
En
attendant qu’eux contrairement à
Paris, ils mergiturent…
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Mise à jour : décembre 2015