Mineurs chiliens (2010)

 

 

2010 11 29 - J Hyvrard _ (106) - Copie

2010 11 29 - J Hyvrard _ (101) - Copie

 

2010 11 29 - J Hyvrard _ (107) - Copie

 

2010 11 29 - J Hyvrard _ (101) - Copie

2010 11 29 - Mineurs chiliens _ (1)

2010 11 29 - J Hyvrard _ (101) - Copie

 

2010 11 29 - J Hyvrard _ (101) - Copie

 

2010 11 29 - Textile 4

 

 

 

« Eboulement à la mine de cuivre de San José au Chili. 33 Hommes emmurés. Tous sauvés les 13 et 14 Octobre 2010 après 69 jours passés sous terre par 700 m de fond. Cérémonie mondiale transmise en direct à un milliard de téléspectateurs. »

 

C’est ce texte qu’on peut lire sur cet objet textile qui célèbre l’aventure cybernétique de ces trente trois mineurs Sud Américains extirpés hors de leur prison souterraine en laissant du coup loin derrière, les sauvetages héroïques du passé ou les reportages inouïs dont l’étrange lucarne est pourtant habituellement fertile.

 

C’est qu’au-delà de la performance technique des sauveteurs qui ont creusé un nouveau puits permettant non seulement de les ravitailler en nourriture, boissons, médicaments et toutes les choses nécessaires à la survie - y compris des cahiers et des crayons - de les filmer sous terre mais aussi de les faire remonter à la surface dans une étroite nacelle rouillée fournie par la NASA, leur lente et cérémonielle sortie a eu lieu en la présence physique et réelle du Président du Chili qui les a accueillis au retour à la surface de notre Commune Terre en les serrant dans ses bras et en celle virtuelle d’un milliard de Terriens médusés devant leur petit écran retransmettant pendant deux jours les péripéties de cet Exode.

 

C’est l’Espèce Humaine toute entière – pourtant blasée – qui a été là concernée par cet événement d’un nouveau genre. Car si les accidents sont fréquents dans les mines, les sauvetages efficaces à cent pour cent sont rares, et plus encore dans de pareilles complications.

 

C’est que pour une fois, la technique était directement au service de la survie individuelle exposée là dans sa transcendance, faisant du coup coïncider la particularité des dangers de cette vie professionnelle là et l’universalité de la condition humaine, la singularité des aventures et la pluralité des destins, la partie du monde vivant et sa totalité connectée, inventant pour le siècle qui vient, la figure de la personne humaine globalisée dans toute la gloire dont il est aujourd’hui possible de l’investir.

 

Du coup chacun voulut EN ETRE et participer à cette nouvelle refondation de L’ESPECE et de son espérance. Libérés, les rescapés reçurent une multitude de cadeaux collectifs : Les Iles des Mers Chaudes leur payèrent des croisières, le Pape envoya des chapelets bénis et individuellement on leur expédia des colis spécifiques : des billets pour des matchs de foot à ceux qui avaient dit les aimer et une invitation à visiter l’habitation d’Elvis Presley pour celui qui en était encore et toujours de son propre aveu, l’inconditionnel admirateur.

 

Comment s’étonner que - dans ce contexte - de son côté l’artiste ait cherché à y mettre son grain de sel, c'est-à-dire à créer une œuvre ? C’est que lors de ce sauvetage, la tension était si forte qu’en perdurant, elle menaçait l’économie personnelle d’être submergée par les affects… Figurer la chose était donc le moyen de délester le circuit des émotions en en remettant – par art interposé - la gestion à L’ESPECE TOUTE ENTIERE puisque c’était bien en fin de compte, ELLE qui était concernée …

 

Ainsi me suis-je engagée dans cette réalisation qui a demandé beaucoup plus d’heures de travail que ce que j’avais d’abord envisagé, sans qu’il soit à aucun moment question de renoncer. Sorte d’Ex Voto païen par la gratitude implicite qu’il contient, bannière par la victoire sur la mort qu’il célèbre, cet objet textile s’apparente aux quilts mémoriels, tradition qui remonte au moins au Moyen Age dans notre Vieille Europe et qui sont devenus banaux en Amérique du Nord …

 

Pour la technique textile proprement dite, il emprunte aux Apposés de l’Afrique de l’Ouest sub-saharienne, technique exportée dans le Nouveau Monde à l’occasion de la Traite. C’est d’ailleurs lors de mon séjour dans la Caraïbe que je l’ai moi-même non seulement découverte, mais à mon retour, rapportée en France. Il s’agit de morceaux de tissus de nature et de couleurs variées découpés selon les formes souhaitées et cousus sur un fond, de telle sorte qu’une fois terminé, l’ensemble constitue une scène compréhensible. Au Bénin on inscrit de cette façon toute l’Histoire de la tribu et des artistes contemporains y perpétuent encore aujourd’hui la tradition représentent ainsi - entre autres - les déesses de leur panthéon local.

 

Dans cette conjoncture, l’urgence créative et créatrice ne m’a pas laissée le temps de déménager le divan du salon pour accéder aux caisses qui contiennent - bien rangées - mes réserves de tissus, réserves accumulées au fil des années en récupérant sur les vêtements hors d’usage ou les tissus domestiques, les surfaces encore opérationnelles comme je l’ai vu faire dans mon enfance à la sortie de la Guerre par mes ancêtres, mes mancêtres plutôt puisque c’étaient les femmes qui étaient en charge de cette fonction.

 

Etant donnée la situation, j’ai dû parer au plus pressé en ayant recours à la procédure d’urgence, à savoir le tiroir de la commode dans lequel sont là stockés plutôt que rangés les lambeaux de secours immédiatement accessibles, sorte de pharmacie pour les lubies artistiques dont je suis coutumière car intégralement subjectives, elles peuvent être n’importe quoi, tant se rencontrent là les hasards et les nécessités de ma vie quotidienne.

 

Le morceau beige qui sert de fond à cette tenture est ainsi le reste d’un de mes costumes usés au travail. C’était le seul disponible qui pouvait convenir tant par la taille que par la consistance, les autres s’avérant trop petits ou trop grands, trop mous ou trop rêches. Je n’ai pu qu’en constater l’inconvénient de ne pas être rectangulaire puisqu’il s’agissait d’une jambe de pantalon, mais n’ai pas pu pour autant trouver de solution, car en rectifier la surface l’aurait dangereusement réduit au point de ne plus être adéquat puisque ces trente trois corps allaient tout de même prendre une certaine place … les premiers essais l’avaient déjà démontrés.

 

Les tissus constituant les Apposés sont variés. A gauche de l’image principale, le pied de poule bleu et noir doit sans doute provenir des restes d’une jupe droite de ma sœur. Je n’en suis pas tout à fait sûr car il ne faut pas demander à la mémoire plus qu’elle ne peut fournir. Je suis par contre certaine de la provenance du nid d’abeilles brique, tissu du divan de la salle à manger du logement que j’ai occupé durant mes onze premières années. Le tissage de laine est le reste d’un coussin acheté à Saint Beauzély sur le Levézou, lors d’une exposition artisanale qui annonçait dès les Septantes la vogue écologique sinon la vague écologiste.

 

A droite, le velours vert foncé de la vignette ne permet pas d’apprécier pleinement les grosses fleurs qui ornaient ce pantalon avec lequel j’ai enseigné ma discipline dans les Nonantes. Le velours gris d’une de mes jupes longues étant de son côté le dernier avatar de la mode hippie qui a longtemps été celle de ma Génération. Quant au tissu rayé, il est impossible d’en retrouver une genèse autre que celle de l’héritage, sans pouvoir trancher entre celui de ma mère et celui de ma belle mère ayant eu dans les deux cas, la charge et l’honneur de trouver pour les tissus qui avaient été les leurs - et qu’on retrouve encore de ci de là dans les autres apposés sans qu’ils aient été reproduits dans les vignettes - le meilleur destin possible.

 

Quant aux boutons qui servent de têtes aux mineurs, il m’a fallu en sacrifier quelques uns que j’aurais pourtant aimé conserver mais il faut savoir ce qu’on veut. Il est vrai que je m’en sers d’habitude comme le mathématicien de son boulier, les classant, les réunissant et les reclassant à nouveau grâce à toute une série de boîtes métalliques consacrées à cet usage philosophique, pour déterminer à chaque époque et pour chaque problème à résoudre, quelles sont les catégories pertinentes !

 

Enfin le texte - dont on peut voir un échantillon au dessus de l’image principale - a été très long à broder au Coton d’Egypte (gaze mercerisée dénommée GONG) fabriqué en Italie pour la firme Plassard, acheté au Bon Marché à Paris et d’autant plus qu’il a dû ensuite pour davantage de lisibilité, être rehaussé au Coton Perlé DMC rose N°8 Made in France, acheté lui par boîte complète aux Puces de Saint Affrique en Aveyron sans avoir - étant donné l’occasion - le choix de la couleur. Heureusement le renforcement du pourtour a eu lieu plus rapidement !

 

Hauteur de 36 à 54 cm - Longueur 84 cm

 

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Mise à jour : novembre 2010