Le
huitième jour
Tenture de Jeanne Hyvrard (2014)
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Si la hauteur de
l’ouvrage est incontestablement de 80 centimètres, il est plus difficile d’en
déterminer exactement la largeur qui dépasse en haut de deux ou trois les 120
centimètres et davantage encore dans sa partie basse. C’est qu’il a été réalisé
sur une épaisse toile de chanvre ou de lin après le découpage d’une ancienne et
remarquable chemise achetée dans une brocante.
L’auteure aurait
aimé qu’elle serve davantage mais cela n’a pas été possible. Dans l’obligation
de densifier son invraisemblable barda pour l’adapter aux mutations
consécutives à la Globalisation, il a fallu en changer le statut et l’usage.
C’est ainsi que cette toile rêche et solide a servi de fond au récit de cette
nouvelle création et a obligé du coup à la reconsidérer toute entière.
Ce n’est pas
seulement depuis cette date que l’auteure s’est intéressée à la Genèse, récit
de la Création du Monde selon la Bible. Ainsi se souvient-elle parfaitement
avoir reçu lors de sa fréquentation du Catéchisme - indispensable pour préparer
la Communion Solennelle qui à l’époque dans cette famille là n’était pas une
option en raison des menaces des deux grands-mères - un Premier Prix d’Histoire
Sainte qui lui avait réellement fait plaisir bien qu’elle n’ait pu par la suite
ni retrouver le livre qui en était la concrétisation - et déjà la récompense -
ni même se souvenir de ce qu’il était devenu.
Mais c’est
seulement une vingtaine d’années après que l’essor de sa réflexion a eu lieu au
contact de la lecture d’une nouvelle traduction de la Bible réalisée par André
Chouraqui. Pour le premier mot de ce livre - à la place du traditionnel Béréchit habituellement traduit par la
locution Au Commencement – celui-ci avait alors proposé le néologisme Entête - en un seul mot - révolutionnant ainsi la perspective en
en suggérant la réflexion intérieure plutôt que la description d’un mythe voire
encore moins d’une réalité scientifique.
L’auteure lui a
alors emboité le pas lors d’un voyage dans le pays Egypte dont le paysage lui
est apparu porteur d’une remarquable particularité à savoir une telle
différence entre l’étroite bande verdoyante des bords du Nil et la brutalité du
passage au désert que l’auteure frappée par cette observation considéra qu’il
n’était pas envisageable que cette particularité de l’éco-système n’est pas eu
un effet sur l’agencement de la pensée de ce peuple là.
C’est ce qu’elle
s’évertua alors à démontrer ou plutôt à montrer en décodant – selon ses termes – les métaphores employées dans ce
texte considéré comme l’un ou le plus ancien de notre culture.
Contrairement à
ce qu’on pourrait croire l’opération n’a pas été difficile et s’est conclue
assez rapidement dans un fonctionnement reposant sur des agencements
s’emboitant parfaitement.
Ainsi le premier
vers de la Genèse est-il devenu dans la version de l’auteure : Entête l’esprit conçut les négations et
l’affirmation / L’affirmation était chaotique, la fusion sans fond, le souffle
de l’esprit couvant sur les contraires / L’esprit dit « La clarté
sera » et la clarté est ...
Puis en
respectant les relations existant entre les différentes métaphores du texte
biblique tout au long des strophes, suit ejusdem farinae la description des
différentes opérations successives qui organisent les subtilités et les
finesses de la pensée rationnelle en vigueur.
Ce texte
cardinal peut être le plus important écrit par l’auteure a été publié comme un
préambule à son troisième livre La Meurtritude aux Editions de Minuit en
1977 et a été traduit ensuite en anglais aux Edinburg University Press sous le
titre de Waterweed in the wash-houses.
Par la suite
l’intérêt de l’auteure pour les textes les plus anciens ne s’est pas démenti
dans une époque où le mouvement des idées n’a pas été perçu par elle comme une déconstruction mais tout au contraire
comme une nouvelle visite voire même parfois une révision des fondations
culturelles, opération nécessaire pour pouvoir prendre en compte la nouveauté.
C’est que ses
activités philosophiques étaient le soubassement indispensable à la
constitution d’une analyse - sinon d’une théorie - plus conforme à
l’observation qu’elle avait faite de la Réalité. Enseignant en effet la
prétendue Science Economique, elle s’était bien rendue
compte que celle-ci véhiculait une doxa qui n’y correspondait pas.
Il lui était
alors apparu que paradoxalement, c’était la littérature qui était la plus apte
à exprimer effectivement celle-ci. Ainsi a-t-elle par la suite tout au long de
la masse des livres qu’elle a publiés, développé un œuvre dont Monique Saigal
critique étasunienne a dit qu’il s’agissait globalement d’un Traité d’Economie Politique.
Lequel peut en effet être lu comme des tomes séparés, chaque publication traitant
d’un sujet déterminé ou comme une succession de chapitres d’un ensemble qui
aurait comme sous-titre La Nouvelle Economie Politique.
C’est qu’il
s’agit bien en effet de celle du Nouveau Monde né de la révolution de la
matière vivante intégrée plaçant en son centre La Grande Machinerie et rejetant au pourtour la
matière vivante fragmentée et recomposée dans une abolition de l’être humain
tel que l’humanisme européen l’avait conçu et propagé.
Conception
philosophique dont le symbole persiste dans le fait que l’Europe est le seul
continent ayant effectivement aboli non la mort, mais au moins la peine
de mort. Cette civilisation est aujourd’hui battue en brèche par tous
ses détracteurs non seulement extérieurs mais même intérieurs pressés qu’ils
sont de pouvoir disposer librement des ressources sans être contraints de
respecter des règles ou des limites quelles qu’elles soient …
D’où l’état
d’urgence dans lequel a été réalisé cette tenture là.
Non seulement
elle n’a pas été plus repassée que les autres également mises en ligne et pour
les mêmes raisons mais de surcroit la forme de tronc de cône ouvert consécutive
à la nature et la fonction de la chemise qui lui a servi de fond a produit lors
de la pose des appliqués un effet de grignage qui n’a pas pu être empêché. On
peut s’en consoler en se disant que la Création elle-même grigne elle aussi à beaucoup d’endroits… et souvent encore plus
gravement.
L’espace central
de la tenture en est comme on pouvait s’y attendre - si on connait l’univers
mental de l’auteure qui a déjà plusieurs fois écrit ou plastiquement œuvré sur
ce sujet – le Jardin d’Eden à la différence près qu’il n’échappera à personne
qu’il y manque hormis le Créateur, deux des trois protagonistes, le reptile
sans doute plus tenace - ou tout du moins moins tourmenté que ses deux
bucoliques interlocuteurs - n’ayant pas encore disparu.
Le mystère s’en
éclaircit à la lecture de l’inscription brodée qui commence en haut à gauche
dans un lieu sans appliqués ni
bordures de feston. Ainsi est-il écrit : Sourdement depuis longtemps, l’électricité parcourait la matière
lorsqu’un court circuit se produisit. La lumière jaillit, étincelle de
l’organisation, jour unique ! L’obscurité pour toujours séparée de la
clarté. Mais le lendemain concernant les eaux, l’opération échoua. Elles
refusèrent de s’écarter.
De toute sorte
de tissus bleus, elles sont donc massées et rassemblées dans le coin de
l’ouvrage en bas à gauche.
Puis le texte
reprend à gauche de l’arbre principal : Le troisième jour dans l’espace réputé Terre, la vie se prit à végéter.
Au-delà de
l’arbre et du reptile séduisant les plantes en les attirant à lui, on lit dans
la partie droite : Les astres, les
oiseaux et les objets volants occupèrent les champs célestes, alors l’être en
proie à son êtrance inventa l’écriture, l’imprimerie, la machine, l’internet …
Et un peu plus
bas Le huitième jour, il s’installa dans
tout le reste de l’étant.
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l’exposition
Mise
à jour : décembre 2015