Le huitième jour

 

Tenture de Jeanne Hyvrard (2014)

 

2015 12 25 - Tenture (33)

2015 12 25 - Tenture (35)

2015 12 25 - Tenture (40)

2015 12 25 - Tenture (39)

 

 

Si la hauteur de l’ouvrage est incontestablement de 80 centimètres, il est plus difficile d’en déterminer exactement la largeur qui dépasse en haut de deux ou trois les 120 centimètres et davantage encore dans sa partie basse. C’est qu’il a été réalisé sur une épaisse toile de chanvre ou de lin après le découpage d’une ancienne et remarquable chemise achetée dans une brocante.

L’auteure aurait aimé qu’elle serve davantage mais cela n’a pas été possible. Dans l’obligation de densifier son invraisemblable barda pour l’adapter aux mutations consécutives à la Globalisation, il a fallu en changer le statut et l’usage. C’est ainsi que cette toile rêche et solide a servi de fond au récit de cette nouvelle création et a obligé du coup à la reconsidérer toute entière.

Ce n’est pas seulement depuis cette date que l’auteure s’est intéressée à la Genèse, récit de la Création du Monde selon la Bible. Ainsi se souvient-elle parfaitement avoir reçu lors de sa fréquentation du Catéchisme - indispensable pour préparer la Communion Solennelle qui à l’époque dans cette famille là n’était pas une option en raison des menaces des deux grands-mères - un Premier Prix d’Histoire Sainte qui lui avait réellement fait plaisir bien qu’elle n’ait pu par la suite ni retrouver le livre qui en était la concrétisation - et déjà la récompense - ni même se souvenir de ce qu’il était devenu.

Mais c’est seulement une vingtaine d’années après que l’essor de sa réflexion a eu lieu au contact de la lecture d’une nouvelle traduction de la Bible réalisée par André Chouraqui. Pour le premier mot de ce livre - à la place du traditionnel Béréchit habituellement traduit par la locution Au Commencement – celui-ci avait alors proposé le néologisme Entête - en un seul mot - révolutionnant ainsi la perspective en en suggérant la réflexion intérieure plutôt que la description d’un mythe voire encore moins d’une réalité scientifique.

L’auteure lui a alors emboité le pas lors d’un voyage dans le pays Egypte dont le paysage lui est apparu porteur d’une remarquable particularité à savoir une telle différence entre l’étroite bande verdoyante des bords du Nil et la brutalité du passage au désert que l’auteure frappée par cette observation considéra qu’il n’était pas envisageable que cette particularité de l’éco-système n’est pas eu un effet sur l’agencement de la pensée de ce peuple là.

C’est ce qu’elle s’évertua alors à démontrer ou plutôt à montrer en décodant – selon ses termes – les métaphores employées dans ce texte considéré comme l’un ou le plus ancien de notre culture.

Contrairement à ce qu’on pourrait croire l’opération n’a pas été difficile et s’est conclue assez rapidement dans un fonctionnement reposant sur des agencements s’emboitant parfaitement.

Ainsi le premier vers de la Genèse est-il devenu dans la version de l’auteure : Entête l’esprit conçut les négations et l’affirmation / L’affirmation était chaotique, la fusion sans fond, le souffle de l’esprit couvant sur les contraires / L’esprit dit « La clarté sera » et la clarté est ...

Puis en respectant les relations existant entre les différentes métaphores du texte biblique tout au long des strophes, suit ejusdem farinae la description des différentes opérations successives qui organisent les subtilités et les finesses de la pensée rationnelle en vigueur.

Ce texte cardinal peut être le plus important écrit par l’auteure a été publié comme un préambule à son troisième livre La Meurtritude aux Editions de Minuit en 1977 et a été traduit ensuite en anglais aux Edinburg University Press sous le titre de Waterweed in the wash-houses.

Par la suite l’intérêt de l’auteure pour les textes les plus anciens ne s’est pas démenti dans une époque où le mouvement des idées n’a pas été perçu par elle comme une déconstruction mais tout au contraire comme une nouvelle visite voire même parfois une révision des fondations culturelles, opération nécessaire pour pouvoir prendre en compte la nouveauté.

C’est que ses activités philosophiques étaient le soubassement indispensable à la constitution d’une analyse - sinon d’une théorie - plus conforme à l’observation qu’elle avait faite de la Réalité. Enseignant en effet la prétendue Science Economique, elle s’était bien rendue compte que celle-ci véhiculait une doxa qui n’y correspondait pas.

Il lui était alors apparu que paradoxalement, c’était la littérature qui était la plus apte à exprimer effectivement celle-ci. Ainsi a-t-elle par la suite tout au long de la masse des livres qu’elle a publiés, développé un œuvre dont Monique Saigal critique étasunienne a dit qu’il s’agissait globalement d’un Traité d’Economie Politique. Lequel peut en effet être lu comme des tomes séparés, chaque publication traitant d’un sujet déterminé ou comme une succession de chapitres d’un ensemble qui aurait comme sous-titre La Nouvelle Economie Politique.

C’est qu’il s’agit bien en effet de celle du Nouveau Monde né de la révolution de la matière vivante intégrée plaçant en son centre La Grande Machinerie et rejetant au pourtour la matière vivante fragmentée et recomposée dans une abolition de l’être humain tel que l’humanisme européen l’avait conçu et propagé.

Conception philosophique dont le symbole persiste dans le fait que l’Europe est le seul continent ayant effectivement aboli non la mort, mais au moins la peine de mort. Cette civilisation est aujourd’hui battue en brèche par tous ses détracteurs non seulement extérieurs mais même intérieurs pressés qu’ils sont de pouvoir disposer librement des ressources sans être contraints de respecter des règles ou des limites quelles qu’elles soient …

D’où l’état d’urgence dans lequel a été réalisé cette tenture là.

Non seulement elle n’a pas été plus repassée que les autres également mises en ligne et pour les mêmes raisons mais de surcroit la forme de tronc de cône ouvert consécutive à la nature et la fonction de la chemise qui lui a servi de fond a produit lors de la pose des appliqués un effet de grignage qui n’a pas pu être empêché. On peut s’en consoler en se disant que la Création elle-même grigne elle aussi à beaucoup d’endroits… et souvent encore plus gravement.

L’espace central de la tenture en est comme on pouvait s’y attendre - si on connait l’univers mental de l’auteure qui a déjà plusieurs fois écrit ou plastiquement œuvré sur ce sujet – le Jardin d’Eden à la différence près qu’il n’échappera à personne qu’il y manque hormis le Créateur, deux des trois protagonistes, le reptile sans doute plus tenace - ou tout du moins moins tourmenté que ses deux bucoliques interlocuteurs - n’ayant pas encore disparu.

Le mystère s’en éclaircit à la lecture de l’inscription brodée qui commence en haut à gauche dans un lieu sans appliqués ni bordures de feston. Ainsi est-il écrit : Sourdement depuis longtemps, l’électricité parcourait la matière lorsqu’un court circuit se produisit. La lumière jaillit, étincelle de l’organisation, jour unique ! L’obscurité pour toujours séparée de la clarté. Mais le lendemain concernant les eaux, l’opération échoua. Elles refusèrent de s’écarter.

De toute sorte de tissus bleus, elles sont donc massées et rassemblées dans le coin de l’ouvrage en bas à gauche.

Puis le texte reprend à gauche de l’arbre principal : Le troisième jour dans l’espace réputé Terre, la vie se prit à végéter.

Au-delà de l’arbre et du reptile séduisant les plantes en les attirant à lui, on lit dans la partie droite : Les astres, les oiseaux et les objets volants occupèrent les champs célestes, alors l’être en proie à son êtrance inventa l’écriture, l’imprimerie, la machine, l’internet …

Et un peu plus bas Le huitième jour, il s’installa dans tout le reste de l’étant.

 

 

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Mise à jour : décembre 2015