Le sacrifice d’Abraham

Tenture de Jeanne Hyvrard (2015)

 

2015 12 25 - Tenture (41)

 

 

2015 12 25 - Tenture (48)

2015 12 25 - Tenture (44)

 

Largeur 107cm Hauteur 86 cm

 

Tout le monde connaît plus ou moins l’histoire du Sacrifice d’Abraham à qui Dieu avait demandé comme preuve de sa fidélité de lui sacrifier son fils Isaac, ce qu’il entreprit de faire avant qu’au moment décisif une main surnaturelle remplace la victime désignée par un mouton.

Au-delà de la croyance religieuse qui trouve sa source dans le récit relaté par la Bible, il n’en demeure pas moins qu’au Proche Orient dans l’Antiquité quelqu’un(e) ou un groupe ou une mouvance humaine a eu à un moment ou à un autre l’idée qu’il fallait en terminer avec les sacrifices humains …

Le Christianisme lui-même a ensuite renouvelé l’opération en remplaçant le dit mouton par une symbolique hostie faite de farine de céréale, renonçant à sacrifier les animaux et perdant ainsi peu à peu l’habitude de tuer … Comment ne pas s’en réjouir dans ces temps où la tuerie s’étend tous les jours davantage ?

Fixons à ce mythe, ce concept, cette idée, cette figure le commencement de l’humanisme, cette représentation du monde accordant de l’importance à la vie humaine individuelle. Et lui en donnant une telle qu’elle a fini par rassembler l’ensemble de sa philosophie au moins déjà dans l’injonction de ne pas tuer. Ce que suggère en filigrane la dite broderie.

C’est d’ailleurs ce dont se souvient cette même broderie lorsqu’elle réplique les origines de la civilisation européenne telles qu’elles apparaissent dans la fresque que Michel Ange a peinte à la Chapelle Sixtine de Rome.

Dans cette représentation là, l’humanité du premier homme l’ancêtre Adam - étymologiquement le limon – s’exprime comme transmise par la divinité. Conception culturelle de cette civilisation là inscrite là en pointillé.

Sur le plan de sa fabrication cette tenture mélange toutes les techniques habituelles que l’auteure utilise dans ce genre d’ouvrage.

Ses broderies la relie au monde végétal par l’intermédiaire des cotons DMC perlé, retors, mouliné, brillanté de toutes les couleurs dont la firme se vante un siècle et demi après sa création de pouvoir encore et toujours les fabriquer à nouveau exactement des mêmes coloris : Broderies au point de tige, point de chainette, point arrière, surjet, feston et quelques autres tels qu’ils ont été appris dans les Ecoles de Filles.

Mais aussi le point principal le plus fréquemment utilisé dans ce genre d’ouvrage est-il néanmoins une invention de l’auteure en fonction de ses besoins, le résultat en fait de son constructivisme couturier.

C’est que ce point là permet de couvrir rapidement le maximum de surface et que la réalisatrice l’emploie fréquemment pour augmenter la productivité de son ouvrage, point utilisé dans cette tenture là tant pour le visage de l’homme que pour le corps du mouton.

C’est celui qui à l’origine lui a été enseigné au Lycée mais tout au contraire de son emploi dans ce genre d’usage d’une façon très serrée permettant de reconstituer l’équivalent d’un tissu. Le professeur de couture l’avait alors enseigné à la fin des Années Cinquante comme le moyen de réparer les trous de cigarettes faits sur les vêtements et le linge de maison par des fumeurs maladroits.

Si l’auteure s’est ainsi servie de ce qu’elle avait appris au commencement de ses fonctions domestiques de femme mariée notamment pour réparer une nappe en tissu, l’évolution des mœurs s’ajoutant aux gains de productivité des machines et à la baisse des coûts des articles industriels a rendu pour elle ce genre d’activité moins fréquent.

Et d’autant moins fréquent que les campagnes anti tabac ont du même coup diminué les accidents subséquents. Enfin le surgissement du flot littéraire fin 1973 ayant orienté le temps disponible en dehors de l’activité salariée indispensable non seulement à la vie quotidienne mais à l’indépendance de la vie courante ainsi qu’à la réalisation d’un œuvre littéraire n’obéissant qu’à sa logique interne.

L’utilisation du point en question après sa modification constructiviste et constructive est donc réapparue bien plus tard lorsque l’auteure a vu survenir dans sa vie cette activité textile forcenée. Surgissement probablement provoqué pour et par des raisons matérielles comme sa semi invalidité l’a amenée à organiser la quasi-totalité de sa vie au sein de l’espace réduit de l’appartement.

C’est déjà cette raison qui l’avait obligée à renoncer à la pratique de la céramique qui avait débuté avec sa mise à la retraite. On peut penser que les tentures textiles en ont pris la suite. En effet les unes et les autres affichant une certaine parenté non seulement dans l’inspiration des thèmes traités mais aussi dans la facture esthétique de la réalisation.

Les appliqués, c’est ainsi qu’on appelle les morceaux de tissus sommairement cousus sur la toile qui sert de fond - là un morceau de drap quelconque - proviennent des sources habituelles. Il s’agit de vêtements familiaux des mari père et beau père, de ceux de l’auteure elle-même notamment le bord doré d’un boléro porté lors des folles années post soixante-huitardes sans compter les tissus d’ameublement, les restes d’un coussin à fils dorés et miroirs en provenance de Russie ou une nappe également mordorée ayant de son côté servie aux agapes de Noël.

Les cordons du bas de la tenture ont été récupérés non dans une perspective écologique mais plutôt pratique des sacs que donnent les boutiques de luxe lorsqu’on y fait des emplettes. S’y ajoute exceptionnellement cette fois, un morceau de ficelle de base qui a là servi à ligoter Isaac condamné comme Iphigénie à être sacrifié pour des causes qui l’un comme l’autre, les dépassent.

Restaient à ajouter parmi les matériaux utilisés, les boutons de nacre particulièrement chers à l’auteure qui les range dans deux boites à biscuits en fonction de leur modèle et de leurs coloris, passion particulière parce qu’ils la relient au quotidien au monde animal de l’océan primordial et exceptionnellement, le coup de peinture dorée brutalement appliquée.

Cette tenture pas plus que les autres mises en ligne à la même époque n’a pu être repassée avant d’être photographiée dans ce but. Pour les mêmes raisons déjà exposées concernant quelques autres clichés ejusdem farinae. Tant pis ! L’auteure ne pense que « fripé c’est mieux », c’est qu’elle n’est pas en situation de pouvoir faire les deux ….

 

Retour au sommaire de l’exposition

 

Mise à jour : janvier 2016