Le sacrifice d’Abraham
Tenture
de Jeanne Hyvrard (2015)
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Largeur 107cm
Hauteur 86 cm
Tout le monde
connaît plus ou moins l’histoire du Sacrifice
d’Abraham à qui Dieu avait demandé comme
preuve de sa fidélité de lui sacrifier son fils Isaac, ce qu’il entreprit de
faire avant qu’au moment décisif une main surnaturelle remplace la victime
désignée par un mouton.
Au-delà de la
croyance religieuse qui trouve sa source dans le récit relaté par la Bible, il
n’en demeure pas moins qu’au Proche Orient dans l’Antiquité quelqu’un(e) ou un
groupe ou une mouvance humaine a eu à un moment ou à un autre l’idée qu’il
fallait en terminer avec les sacrifices humains …
Le Christianisme
lui-même a ensuite renouvelé l’opération en remplaçant le dit mouton par une
symbolique hostie faite de farine de céréale, renonçant à sacrifier les animaux
et perdant ainsi peu à peu l’habitude de tuer … Comment ne pas s’en réjouir
dans ces temps où la tuerie s’étend tous les jours davantage ?
Fixons à ce
mythe, ce concept, cette idée, cette figure le commencement de l’humanisme, cette représentation du
monde accordant de l’importance à la vie humaine individuelle. Et lui en
donnant une telle qu’elle a fini par rassembler l’ensemble de sa philosophie au
moins déjà dans l’injonction de ne pas tuer.
Ce que suggère en filigrane la dite broderie.
C’est d’ailleurs
ce dont se souvient cette même broderie lorsqu’elle réplique les origines de la
civilisation européenne telles qu’elles apparaissent dans la fresque que Michel
Ange a peinte à la Chapelle Sixtine de Rome.
Dans cette représentation là, l’humanité du premier homme l’ancêtre Adam - étymologiquement le limon
– s’exprime comme transmise par la divinité. Conception culturelle de cette civilisation là inscrite là en pointillé.
Sur le plan de
sa fabrication cette tenture mélange toutes les techniques habituelles que
l’auteure utilise dans ce genre d’ouvrage.
Ses broderies la
relie au monde végétal par l’intermédiaire des cotons DMC perlé, retors, mouliné, brillanté de toutes les couleurs dont la firme se vante un siècle
et demi après sa création de pouvoir encore et toujours les fabriquer à nouveau
exactement des mêmes coloris : Broderies au point de tige, point de chainette, point arrière, surjet, feston et quelques autres tels qu’ils
ont été appris dans les Ecoles de Filles.
Mais aussi le
point principal le plus fréquemment utilisé dans ce genre d’ouvrage est-il
néanmoins une invention de l’auteure en fonction de ses besoins, le résultat en
fait de son constructivisme couturier.
C’est que ce point là permet de couvrir rapidement le maximum de surface
et que la réalisatrice l’emploie fréquemment pour augmenter la productivité de
son ouvrage, point utilisé dans cette tenture là tant
pour le visage de l’homme que pour le corps du mouton.
C’est celui qui
à l’origine lui a été enseigné au Lycée mais tout au contraire de son emploi
dans ce genre d’usage d’une façon très serrée permettant de reconstituer
l’équivalent d’un tissu. Le professeur de couture l’avait alors enseigné à la
fin des Années Cinquante comme le moyen de réparer les trous de cigarettes
faits sur les vêtements et le linge de maison par des fumeurs maladroits.
Si l’auteure
s’est ainsi servie de ce qu’elle avait appris au commencement de ses fonctions
domestiques de femme mariée notamment pour réparer une nappe en tissu,
l’évolution des mœurs s’ajoutant aux gains de productivité des machines et à la
baisse des coûts des articles industriels a rendu pour elle ce genre d’activité
moins fréquent.
Et d’autant
moins fréquent que les campagnes anti tabac ont du
même coup diminué les accidents subséquents. Enfin le surgissement du flot
littéraire fin 1973 ayant orienté le temps disponible en dehors de l’activité
salariée indispensable non seulement à la vie quotidienne mais à l’indépendance
de la vie courante ainsi qu’à la réalisation d’un œuvre littéraire n’obéissant
qu’à sa logique interne.
L’utilisation du
point en question après sa modification constructiviste et constructive est donc
réapparue bien plus tard lorsque l’auteure a vu survenir dans sa vie cette
activité textile forcenée. Surgissement probablement provoqué pour et par des
raisons matérielles comme sa semi invalidité l’a amenée à organiser la quasi-totalité
de sa vie au sein de l’espace réduit de l’appartement.
C’est déjà cette
raison qui l’avait obligée à renoncer à la pratique de la céramique qui avait
débuté avec sa mise à la retraite. On peut penser que les tentures textiles en
ont pris la suite. En effet les unes et les autres affichant une certaine
parenté non seulement dans l’inspiration des thèmes traités mais aussi dans la
facture esthétique de la réalisation.
Les appliqués,
c’est ainsi qu’on appelle les morceaux de tissus sommairement cousus sur la
toile qui sert de fond - là un morceau de drap quelconque - proviennent des
sources habituelles. Il s’agit de vêtements familiaux des mari père et beau père, de ceux de l’auteure elle-même notamment le bord
doré d’un boléro porté lors des folles années post soixante-huitardes sans
compter les tissus d’ameublement, les restes d’un coussin à fils dorés et
miroirs en provenance de Russie ou une nappe également mordorée ayant de son côté
servie aux agapes de Noël.
Les cordons du
bas de la tenture ont été récupérés non dans une perspective écologique mais
plutôt pratique des sacs que donnent les boutiques de luxe lorsqu’on y fait des
emplettes. S’y ajoute exceptionnellement cette fois, un morceau de ficelle de
base qui a là servi à ligoter Isaac condamné comme Iphigénie à être sacrifié
pour des causes qui l’un comme l’autre, les dépassent.
Restaient à
ajouter parmi les matériaux utilisés, les boutons de nacre particulièrement
chers à l’auteure qui les range dans deux boites à biscuits en fonction de leur
modèle et de leurs coloris, passion particulière parce qu’ils la relient au
quotidien au monde animal de l’océan primordial et exceptionnellement, le coup
de peinture dorée brutalement appliquée.
Cette tenture
pas plus que les autres mises en ligne à la même époque n’a pu être repassée
avant d’être photographiée dans ce but. Pour les mêmes raisons déjà exposées
concernant quelques autres clichés ejusdem farinae. Tant pis ! L’auteure
ne pense que « fripé c’est mieux », c’est qu’elle n’est pas en situation de pouvoir faire
les deux ….
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l’exposition
Mise
à jour : janvier 2016