PROJET DE
REDRESSEMENT DES FINANCES PUBLIQUES
Une œuvre politique et textile
Jeanne Hyvrard
2011
Cette
œuvre de petit formant (vingt-huit centimètres de large sur vingt cinq de haut)
a été réalisée par la couture - au moyen d’un surjet traditionnel au coton
carmin sur un carton de récupération de modèle courant - de quatre morceaux de
tissus de nature et d’allure différentes sur lesquels ont ensuite et pour
finir, été placés huit boutons. Accomplie de façon apparemment aléatoire cette
construction a après coup, démontré que les éléments choisis n’étaient non
seulement pas l’effet du hasard mais tout au contraire une nécessité non
seulement métaphorique et symbolique, mais réelle.
Ainsi
en est-il pour commencer du sentiment d’urgence que j’ai éprouvé dans la
nécessité de fournir une réponse à la débauche de mensonges et d’exactions
d’une partie des gens au pouvoir. Or il était impossible - ceux-ci étant
totalement décrédibilisés - d’utiliser des discours ou des démonstrations, ni
en ayant recours aux médias ou aux institutions quand bien même il aurait été
possible d’y accéder, tant ce sont ceux-ci qui leur ont permis - jusque-là en
toute impunité - de nous mener collectivement au bord du gouffre.
Einstein
lui-même faisait remarquer qu’il n’était pas possible de résoudre les problèmes
en utilisant la logique qui leur a donné naissance. Une rupture radicale s’est
donc avérée nécessaire et c’est probablement cette impasse qui m’a amenée à intensifier
ma production d’œuvres textiles que non seulement je n’ai jamais abandonnée
pour raison théorique et culturelle mais que je suis maintenant en train de
radicaliser pour raison à proprement parler politique.
A chaque
effondrement des preuves, le poète répond par une salve d’avenir nous enseigne
René Char, dont la participation à
S’imaginer la possibilité de représenter
un projet de redressement des Finances Publiques par une œuvre textile concrète
s’explique d’abord par la farouche volonté politique de rompre avec l’économie
d’un monde de plus en plus virtuel, virtualité permettant à la classe dominante
- médias comprises - non seulement tous les tours de passe passes et
malversations possibles, socialement et moralement condamnables mais au-delà,
une rupture de plus en plus grande et désormais pratiquement complète avec la
réalité.
Dans cette œuvre, le tissu social fait
alors retour de la façon la plus triviale et directe qui soit, à savoir par un
tissu et ce n’est pas un hasard si c’est le même mot qui n’est plus dans cette
œuvre utilisé au sens figuré mais directement au sens propre. Même s’il est
constitué de plusieurs morceaux de nature et de fonctions variées. Les trois
premiers éléments cousus sur le fond sont des rectangles parallèles qui à eux
tous couvrent la presque totalité du carton qui les sous-tend, à l’exception de
l’espace nécessaire pour les faire néanmoins apparaître comme des éléments
séparés.
Les
deux premiers des trois morceaux de tissu rectangulaire sélectionnés pour
mettre en route la construction de ce travail rendu nécessaire pour soulager
l’oppression résultant de la tournure extravagante et dangereuse que prenait
alors ce que les médias ont dénommée la
crise souveraine ont été à peine choisis, tout au plus plutôt saisis
parce qu’ils étaient les plus facilement accessibles dans les tiroirs du milieu
de la commode de style Restauration dans laquelle est rangé mon matériel de
couture ainsi que les matériaux dont je peux habituellement me servir.
Notamment
un morceau de velours de Gênes (
Cette
explication par la facilité d’accès au matériau s’applique également à la
dentelle triangulaire cousue par-dessus les trois éléments de base, laquelle
était sur ma table de travail - faute d’avoir encore été rangée - après
l’achèvement d’une œuvre précédente mais n’est néanmoins pas généralisable à
l’ensemble de l’œuvre, car le tissu cousu à gauche du carton (
Il
s’agit là d’un reste de couverture plus ou moins nord
africaine ou saharienne reçue dans un tel état de déshérence que j’ai dû
me contenter d’en récupérer les éléments décoratifs intacts, en les stockant dans
une ancienne boîte à biscuits métallique avec d’autres ejusdem farinae, en
attendant d’en avoir l’usage. Il s’agissait là de reliefs textiles hérités de
ma belle-famille. Retrouver cette boîte n’a pas été facile, ni même de savoir
où je l’avais rangée et bien rangée car n’en ayant pas un usage
quotidien ! Il n’a pas été facile non plus de me la rendre opérationnelle
car l’extirper de la quantité de contenants de toutes sortes remplis d’objets
divers stockés sous le bahut de la pièce principale n’a pas été de tout
repos !
Pour
entreprendre ces fouilles presque archéologiques nécessitant un gros effort
physique d’autant plus difficile dans mon état de semi invalidité, il a fallu
que dans la genèse de ce travail, la nature de ce morceau-là ait été impérative.
C’est donc que contrairement à ce que j’avais d’abord imaginé, ces rectangles
de tissus cousus parallèlement les uns aux autres n’ont pas été choisis au
hasard. Il m’a bien fallu admettre qu’ils représentaient des éléments
décisifs !
Le fait est que depuis plusieurs
semaines, j’étais assiégée par une obsession d’œuvres textiles tournant
notamment toutes autour des dentelles dont je possède un plein tiroir et dont
il me semblait tout aussi incongru que cela soit la meilleure réponse à la
crise morale en cours. Cette intuition s’avéra pourtant finalement ne pas être
fausse lorsque surgit enfin la réalisation de l’oeuvre
dénommée
C’était bien la voie menant à une
nouvelle série, là aussi comme dans l’ensemble de mon œuvre, de la nature d’un
Traité d’Economie Politique.
L’amorce de cette série de travaux a été
à coup sûr, la collection des Embrouilles
début de siècle réalisée pour
le tirage de tête de mon vingt sixième livre Les Récits de la déshérence
transformant la toile Denim et les boutons roses en porcelaine, en paroles
politiques. Série elle-même précédée par des œuvres textiles construites sur
des idées analogues, notamment le mémorial de l’attentat de Londres
ou une autre réalisée sur un fond de tapis de table annonçant à l’aide déjà de
boutons de diverses catégories, la tension croissante du climat social …
Cette œuvre se différencie néanmoins des
précédentes dans la mesure où les éléments utilisés l’ont été dans une codification
plus stricte que les précédentes, même si celles-ci n’en étaient pas exemptes.
Du coup il est aisé de reconnaître dans les trois morceaux de tissus qui
constituent le fond de l’œuvre, trois catégories sociales qu’on peut
grossièrement identifier par référence à
Que le Tiers Etat d’aujourd’hui
comprenne les populations immigrées ouvrant sur la globalisation n’est que la
modernisation de son idée initiale. On se souvient de l’Abbé Seyes interrogeant : Qu’est-ce que le Tiers-Etat ? Rien ! Que veut-il ?
Etre quelque chose ! On est même étonné de mesurer à quel point cette
idée vieille de plus de deux siècles est encore d’actualité…
Ce que nos maîtres et détracteurs
nomment de façon méprisante le populisme, est en fait la revendication
de la classe populaire d’être prise en compte et d’autant plus que les années
récentes - notamment lors de son refus du Traité Constitutionnel - sa volonté
n’a pas été suivie d’effet alors même que légalement votée par voie de
référendum !
Ainsi la voie s’est-elle ouverte pour le
fantasme de la Classe Dirigeante fascinée par le modèle qu’elle appelle
elle-même du capitalisme autoritaire
de parvenir à revenir sur les acquis de la Révolution voire même de réussir à
revenir à l’Ancien Régime !
Le galon représentant le Clergé, le fait
au sens large non seulement dans les termes religieux traditionnels de notre
société mais plus largement en référence à ce que certains appellent
Quant au morceau de dentelle
triangulaire qui recouvre ces trois rectangles textiles qui cousus
parallèlement n’ont aucun contact, il exprime comme dans l’œuvre précédente
A ce stade de la réalisation de l’œuvre,
le Projet de redressement des Finances
Publiques est déjà constitué par la
revendication de réinstaller un appareil institutionnel global qui prenne en
écharpe la totalité de la société, toutes classes et castes confondues.
Revendication de cette institutionnalisation cachant la brutalité de l’état de
nature et médiatisant la dévoration. Ce qui du même coup organise un troisième
terme qui rompt le face à face pour le juguler grâce à des institutions qui
transcendant l’individu, le protégeant et le soumettant, lui permet d’adhérer à
l’idée et au fonctionnement de la société.
C’est ce qu’on pourrait appeler
l’indispensable refondation sociale. Cela fait, la société existant
de nouveau en tant que telle, les boutons permettent d’indiquer ce que sont
réellement les grandes lignes des actions propres directement au Projet de redressement des Finances
Publiques.
Tous les boutons sont en céramique. Elle
est à la mode et bénéficie même d’un tel engouement qu’on ne peut pas ne pas y voir
une aspiration profonde à renouer avec la pesanteur de la terre, comme Chagall
s’en explique pour lui-même lors de son retour en France après son exil
américain lors de la deuxième guerre mondiale …
Le bouton bleu (
Réaffirmer la valeur travail est donc non seulement un des
éléments du Projet de redressement
des Finances Publiques mais
la mise en lumière de cette nécessité primordiale hors de laquelle aucune
amélioration n’est possible. Et ce n’est bien sûr pas par hasard qu’il a été
cousu sur le morceau de velours de Gênes non représentant mais montrant la
classe prospère qui s’est bizarrement auto proclamée Elite sans que personne n’y trouve rien à redire puisque
l’expression s’est depuis enracinée dans le corpus de la langue…
D’une façon voisine, toujours en
porcelaine un gros bouton blanc (D :
Ainsi peut-on s’imaginer qu’il n’y aura
pas de redressement des finances publiques sans une réaffirmation des valeurs
de vie et de mort clairement différenciées, la vie dominant la mort, dont le
statut peut - étant donné ce qu’elle est - demeurer dans une situation semi
institutionnalisée, refusant de ce fait une légalisation de l’euthanasie qui
aboutirait à la négation du commandement fondateur de notre civilisation Tu ne tueras pas ! Affirmation de
la dignité de la personne humaine, contrepoint de la valeur travail fondant
l’homme en sujet et non en informe gisement de matière première, ce qu’il est
devenu aujourd’hui ! …
Dans cet espace sous-tendu par les
piliers de la valeur travail, de la
différence et de l’articulation de la vie et de la mort peut alors survenir le
long de l’hypoténuse de la dentelle exprimant l’institution culturelle et
sociale, cinq petits boutons roses - toujours en porcelaine - qui servaient
autrefois dans la lingerie féminine notamment à régler la longueur des attaches
en caoutchouc. A l’abri de l’institutionnalisation de la dentelle sociale et
culturelle, une nouvelle affirmation de la différence sexuelle peut alors
survenir rompant avec l’indifférenciation et la confusion ambiante.
A mi-chemin de la valeur travail et de
celle de la vie, cette petite série de cinq petits boutons roses figure la
visibilité d’une activité féminine, sexuelle et maternelle permettant de
constituer un liant entre la cléricature et la classe prospère tout en ayant
également prise sur la fragmentation ambiante qu’elle remet en cause.
Tous les éléments matériels de cette
œuvre sont de qualité, ce n’est pas un hasard ! A une époque de production
d’objets de plus en plus médiocres, destinée à permettre la baisse de leurs
prix requise par celle des salaires européens, baisses concertées, toutes les
deux également induites par
A l’homme jetable j’oppose par cette
œuvre textile, le matériau durable.
Jeanne Hyvrard Septembre 2011
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Mise
à jour : décembre 2015