ROME

 

 

Fait au crayon, ce dessin (format 20 cm x 15 cm) date des vacances de Pâques 1968.

 

La Toile qualifie Sainte Marie in Cosmedin d’église mineure. C’est qu’il y manque effectivement l’essentiel ! A savoir la plaque commémorative rappelant aux quidams ignorants que c’est là que l’été 1971 - âgée alors de deux ans et demi - la progéniture de l’auteure y passa une nuit baroque et progressiste sous la garde des Petites Sœurs de Jésus, religieuses engagées dans la vie sociale parmi - voire aux côtés - des travailleurs.

Elles y avaient alors une petite fraternité de trois ou quatre moniales qui à l’inverse de leurs homologues plus ou moins cloîtrées s’efforçaient - à Rome et dans le reste du monde - d’emboîter le pas à Charles de Foucauld, dissident notoire des guerres de religions de plus en plus à la mode.

Cette épisodique crèche de nuit à la demande - inventée à une époque où cela n’existait encore nulle part ailleurs - permit à ses parents de se rendre à la représentation d’Aïda, opéra de Verdi donné ce soir-là dans ce qui restant des Thermes de Caracalla lui fournissait un décor à la hauteur de son compositeur car - avec l’Architecture - l’Opéra est l’art suprême, le seul endroit où tout le monde peut parler en même temps sans que ce soit la cacophonie…

Du coup en y réfléchissant, il appert désormais que Mai 68 fut bien un opéra social. A condition de ne pas perdre de vue que l’essentiel n’en fut pas le déjà peu connu mouvement étudiant - énième mouture des échauffourées qui ont secoué sporadiquement le Quartier Latin depuis le Moyen Age - mais les neuf millions de travailleurs qui déclenchèrent la grève générale pour une durée de trois semaines dans une France couverte de comités de tous poils, débattant de l’organisation de l’autogestion qu’ils souhaitaient voir s’installer dans leur pays.

Qu’une légende urbaine propage que Jacques Chirac - alors Secrétaire d’Etat aux Affaires Sociales pour le compte du Gouvernement - négocia avec les Syndicats les Accords de Grenelle censés mettre fin au mouvement, un révolver dans sa poche en dit long sur ce qui dans la société française séparait et sépare les dominants et les dominés.

Qu’importe ! La population en a vu d’autres car son Histoire ne date pas d’aujourd’hui comme le croit la dernière vague de champignons apparus avec la pluie numérique, et l’avenir dure longtemps comme le disait déjà l’un des maîtres à penser qui donnait des leçons aux Intellectuels de Gauche avant d’étrangler sa femme et de bénéficier d’un non-lieu à titre psychiatrique…

Oui, la population en a vu d’autres et si les résultats de cet Opéra Social qui souleva l’Hexagone pendant le joli mois de Mai de Haute Mémoire - du moins pour ceux qui n’étant pas opportunistes n’ont pas rapidement tourné leur veste en filant le train à la nouvelle camarilla lancée à la conquête du pouvoir et de la répartition des prébendes - n’ont apparemment pas été ceux escomptés, ils ne furent pas non plus complètement négligeables …

Et même en ignorant les acquis sectoriels et pointus qui ne paraissent dérisoires qu’à ceux qui ne les vivent pas comme le droit pour les femmes de l’usine Wonder d’avoir enfin accès aux douches jusqu’à réservées aux hommes alors que c’étaient elles - en mettant la brai dans les piles - qui effectuaient le travail le plus salissant, ou l’autorisation pour les musiciens professionnels qui animaient les bals jusqu’au bout de la nuit, de cesser légalement de jouer de leurs instruments à neuf heures du matin, les conquêtes du mouvement social ne furent pas non plus minables, loin de là.

Non seulement les dix pour cent - en moyenne - d’augmentation des salaires qui furent accordés et les trente-cinq pour cent pour celui du minimum garanti paraîtraient aujourd’hui un franc succès quand nos maîtres organisent systématiquement la concurrence entre les pauvres dans des enchères à la baisse afin de maximiser leur profit à eux et que plus étonnant encore, n’en ont même pas honte, souvenons-nous de ces Septantes où le fond de l’air était rouge.

Et comme on peut le résumer pour les Jeunes qui découvrent non pas l’Amérique mais la France Profonde et à qui on explique à l’occasion de ci de là, ce que furent les fameux évènements ainsi que surtout leurs conséquences d’un « Pendant quinze ans, les patrons nous ont parlé poliment » … qui en dit long sur la revendication profonde qui anima toute cette affaire.

Ce n’est pourtant pas là que l’auteure a pris son envol car il avait déjà depuis longtemps eu lieu et pour cause ! Mais c’est bien là qu’elle a découvert dans le commencement des dites conséquences - à savoir une sorte de Révolution Culturelle lors de ces trois étés 1970,71 et 72 qu’elle a globalement appelés La Voie Lactée que quand bien même la grève générale avait cessé le week-end de Pentecôte où comme par miracle, l’essence était revenue dans le pompes - que la suite du cheminement lui appartenait individuellement et en propre, la résignation n’étant pas à l’ordre du jour …

Pourtant elle ne savait pas encore que la déjà maternité radieuse qui était la sienne allait bientôt politiquement déboucher sur le maternalisme dont il lui fallut d’abord inventer le terme pour nommer cette variante méconnue et discriminée du féminisme qui était le sien car sans doute bien trop révolutionnaire en ces temps où la moitié de l’espèce humaine a le choix entre être bâchée ou à poil, en attendant d’être transformée en usine à GPA.

C’est que cette maternité radieuse – ne l’empêchait pourtant pas de persister dans son crapahutage au ras du terrain dont elle n’avait pas encore découvert que des Auberges de Jeunesse écossaises (voir en ligne le voyage de 1963) à l’Urubumba dont elle ignorait à l’époque que c’était l’Amazone en passant par le lac d’Orhid et la navigation sur le Niger, elle n’avait pas cessé de poursuivre et d’inventer sa propre conception de l’anthropologie dans la mouvance des récits des explorateurs qui en matière d’écriture furent ses maîtres, à savoir l’observation de la réalité et non l’obéissance au dogme menant à la confusion.

C’est que ce crapahutage commencé enfant solitaire à travers bois et torrents l’avait déjà menée par monts et par vaux taillant la route sous tous les cieux, refusant l’asservissement et lors duquel il apparaissait que sa nouvelle condition de mère - si elle rompait pourtant l’égalité entre l’homme et la femme - n’était non pas un handicap mais tout au contraire une raison de plus de persister dans ce qui allait devenir La Grande Florescence ce moment de l’Histoire où il a été possible de tutoyer les dieux …

C’est que même si elle n’en avait encore aucune conscience, germait déjà au fond d’elle son premier livre Les Prunes de Cythère publié aux Editions de Minuit en 1975. Il allait dénoncer la colonisation tous azimuts et dans ce début de la nouvelle décennie - après un séjour de deux ans aux Antilles – se préparait comme métabolisant les nouvelles découvertes Outre-Mer des mangroves martiniquaises aux hauts plateaux boliviens, elle tentait de reprendre pied dans sa Mère Matrie - sillonnant de pique-nique en vadrouille et de quête poétique en découvertes de constructions inouïes - en tous sens l’Hexagone qui lui avait tant manqué avec ses brouillards et ses hivers verglacés, même si dans cette affaire le pays sien s’étendait jusqu’au Tibre puisque parait il tous les chemins mènent … à Rome !

Ce refus de l’avilissante colonisation parce qu’elle transforme le un et le deux en premier et second, c’est l’essence de la désobéissance civile. Ce n’est pas Thoreau qui l’a théorisée mais La Boétie en invitant à refuser ce qu’il appelle lui, la servitude volontaire.

La désobéissance civile c’est l’ancien nom de l’Autogestion, cet Opéra-Fiction du bonheur social. Dut-il passer dans cette étape-là du perpétuel pèlerinage mystique de l’auteure en proie à sa constante alchimie intérieure par cette fois-là le dessin d’un campanile et la fréquentation des ruines …

Et que dire du Chef d’Orchestre Riccardo Muti qui en présence de Berlusconi le 12 Mars 2011, dirigeant le Nabucco de Verdi à l’Opéra de cette même Rome, après le fameux Chœur des Esclaves, en empathie profonde avec un public de plus en plus révolté par les mauvais traitements, bien que relevant d’un très pénible accident pour reprendre son travail contre l’avis même de ses médecins, à 69 ans pour seulement la seconde fois de sa brillante carrière s’arrêter dans la conduite des musiciens pour lui demander de le bisser avec ceux qui se tenaient sur la scène, afin de protester contre la politique d’avilissement systématique du peuple italien dont on démolissait la culture.

Ce qui fut fait ! Chœur et public reprirent debout à l’unisson le Chœur des Hébreux déportés à Babylone renouant ainsi avec la désobéissance civile radicale en marche vers sa souveraineté.

En matière de non-violence autogestionnaire, qui dit mieux ?

 

Jeanne Hyvrard 27. 8. 2017

 

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Mise à jour : septembre 2017