Transnationaux les
immigrés de la deuxième génération
(Jeanne Hyvrard - 1983)
Cet article a été refusé par la dizaine de journaux et
revues qui font l’opinion. Deux en ont publié un seul paragraphe en en
changeant ainsi intégralement le sens.
TRANSNATIONAUX,
LES IMMIGRES DE LA DEUXIEME GENERATION
Ce n’est
plus en termes d’Humanisme ou d’Economie qu’il faut aborder la question de
l’immigration. Pourtant ce n’est malheureusement pas encore un lieu commun de
dire que les hommes égaux ont les mêmes droits, ni qu’en France - en majeure
partie depuis longtemps - c’est leur travail qui a fait notre prospérité.
Les
automobiles couteraient encore plus chères si elles n’étaient pas fabriquées
par ceux-là même que leurs acheteurs rejettent. La version douce (de gauche ?) du phénomène consistant à accuser les
grévistes de cette industrie d’avoir fait perdre des voix aux Municipales…
Mon propos
n’est pas d’en appeler à la Morale mais à la compréhension de l’enjeu. En effet
l’attitude qu’on a envers les Immigrés constitue un clivage fondamental non
seulement politique, social et culturel mais aussi et surtout par rapport à la
modernité.
Comment
qualifier encore de Maghrébins ou de ressortissants de l’Afrique Noire quand ce
n’est pas de melons, ratons, frisés,
bicots, négros etc, ces jeunes nés en France.
L’expression d’immigrés de la deuxième
génération ne convient pas non plus à moins de qualifier également Dupont
de Wisigoth de la quarante-cinquième génération car à quel numéro convient-il
de s’arrêter ?
La situation
qu’il faut maintenant admettre, c’est que la notion même d’immigré ne convient
plus pour rendre compte de la nouvelle réalité, qu’elle plaise ou non. Ces
jeunes dont les aînés ont atteint l’âge du service militaire et dont l’appel sous les drapeaux contresigne la
nationalité française n’ont plus d’attaches avec le pays d’origine que leurs
parents eux-mêmes ont quitté.
Ils n’en parlent
pas la langue, n’en connaissent pas la culture et n’ont aucune envie d’y être
déportés car comment parler de retour pour ceux qui sont nés en France ?
Ils ne peuvent pas non plus s’intégrer à la société française qui les rejette.
Ils constituent alors un groupe de gens sans identité ou plus exactement dont
l’identité ne peut pas s’exprimer dans les structures mentales et sociales
actuelles.
Il ne s’agit
pas d’apatrides dont on pourrait faire semblant de croire qu’ils ont commis une
faute bien lourde pour être ainsi rejetés ni de cosmopolites comme on dit avec
dédain et envie de ces marchands ouvrant des comptoirs partout dans le monde ou
de ces réfugiés politiques, intellectuels et artistes alimentant de leurs
souffrances, la culture de leur pays d’accueil.
Ni apatrides
ni cosmopolites, ils sont les vecteurs et les témoins d’un nouveau monde
décloisonné. Transitant d’une terre à l’autre, d’une culture à l’autre, d’une
époque à l’autre, ces immigrés de la deuxième génération sont des
TRANSNATIONAUX.
Non pas
qu’il n’y ait plus de patrie, notion chère aux nostalgiques de Pétain et aux
patriotes qui se demandent si cela a encore un sens, mais bien plutôt que
toutes ces petites patries sont en train de se fondre en une patrie unique LA
TERRE. C’est en ce sens que l’intégration des immigrés qu’elle soit volontaire
ou de fait, n’est pas seulement la victoire de la justice sur l’ingratitude, de
l’humanisme sur la barbarie, mais surtout celle de la renaissance sur la
sclérose qui menace.
Car cette
unité est déjà faite depuis longtemps par les firmes multinationales agissant
en termes de stratégie mondiale, salariant dans toutes les contrées du monde,
faisant la loi aux Etats, rendant caduques les frontières sans qu’on les
qualifie autant d’immigrées.
Quant aux télécommunications,
elles ont unifié la planète en la rétrécissant. La mondialisation en train de
se faire, porte avec elle le décloisonnement que propagent les industries
nouvelles.
La
Télévision d’abord faisant défiler dans la maison - salle à manger, living ou
loft - les peuplades du monde entier, animant des débats dont les participants
sont répartis dans le monde à plusieurs heures de décalage, projetant sans
arrêt des images du passé interférant avec celles du présent, qu’il s’agisse
d’archives ou de reconstitution. Comment peut-on croire que cela n’aura pas un
effet profond sur les modes de pensée et qu’on pourra conserver les mêmes
notions du temps et de l’espace ?
Il en est de
même de la télématique et de ces connexions multiples avec la bureautique dont
on peut dire pour simplifier qu’elles relient tout, à tout moment ! Quel
changement demain dans le travail quotidien et dans tout ce qui en
dépend !
De son côté,
la robotique délivre l’homme des tâches matérielles de production. Même si pour
le moment cela se passe mal - induisant un chômage structurel - dans l’avenir
il est inévitable que se produise de ce fait même, une réduction du temps de
travail, quelles qu’en soient les modalités libérant du temps à consacrer à des
activités artistiques, sociales, politiques, sportives etc… dont on imagine
bien qu’elles remettront en cause l’organisation sociale des chasses gardées
professionnelles ou permanentes au détriment des amateurs.
Quant aux
biotechniques que ce soit le génie génétique, les greffes, les manipulations
gestatoires – j’appelle ainsi toutes les prouesses techniques concernant la
conception, la gestation et la mise au monde des enfants – non seulement elles
vont bouleverser les notions d’hérédité, de sexualité et de famille mais aussi
l’économie des sentiments et la philosophie même.
Qu’en est-il
déjà de l’être dont la médecine ne voit plus que les organes mal branchés,
qu’en sera-t-il de la notion même d’individu dans la technique du clonage ? Ne devra-t-on pas un jour
parler de bouture humaine ? Il ne s’agit pas de science-fiction mais d’un
monde déjà né comme le savent ceux qui se préoccupent du devenir des embryons
congelés - et décongelés ? - dans les laboratoires.
Pour achever
le décloisonnement, il restera à connecter
l’informatique et la génétique. Ce sera bientôt fait puisqu’on est en train
de mettre au point des ordinateurs utilisant des protéines. Imagine-t-on la
révolution mentale dont il s’agit ? Non décidément non, les cloisonnements
ne sont plus de saisons ni dans les lettres, ni dans les sciences, ni dans la
poésie, ni dans la politique, ni encore moins entre les nationaux et les
nouveaux nationaux transnationaux.
Le monde qui
vient est celui du décloisonnement tous azimuts. La TIERCE CULTURE est en train
de naître sous nos yeux. La vivent déjà tous ces exclus d’une société qui s’est
construite sur le refoulement de la fusion. Mais le mode fusionnel est en train
de remonter à la surface car comment penser convenablement le décloisonnement
en train de se produire, sans penser en même temps la totalité à laquelle il
mène ?
Mais la
philosophie démunie l’a négligée, la politique l’a honnie par crainte - à tort
ou à raison - du totalitarisme et les hommes
réputés normaux l’ont confinée dans l’univers de la folie pour être bien
sûrs de ne rien avoir à faire avec elle.
Cantonnée
dans l’archaïsme, la question de la fusion a toujours été celle des immigrés.
Immigrés du Tiers Monde réputé primitif, immigrées de l’intérieur les femmes
trop souvent à l’écart de la pensée et des décisions, immigrés de l’être les
suicidaires sans droit à l’existence.
Penser en
termes d’identité est même déjà dépassé car c’est encore une pensée cloisonnée.
La tierce culture qu’inventent en symbiose les transnationaux et les éléments
les plus déstructurés de la culture occidentale n’en est déjà qu’une
manifestation. A l’égard de cette révolution mentale, le racisme n’est pas
seulement odieux, il est dérisoire.
Jeanne Hyvrard 1983
Mise à jour : octobre 2014