En 1984 notre hiérarchie de l’Éducation Nationale proposa aux Enseignants de lui soumettre des propositions de recherches spontanées qui si elles étaient acceptées donneraient lieu à des décharges de service afin de pouvoir les mener à bien.

Saisissant l’occasion, j’ai immédiatement proposé la mienne sur un sujet qui me préoccupait à l’époque, à savoir le constat de l’échec de la pédagogie traditionnelle. J’ai rédigé cette note qui n’a pas dépassé le Bureau de la Direction de mon établissement Le Lycée Jules Siegfried dans le Xème arrondissement de Paris, non pas pour des raisons de censure quelconque, mais simplement pour des questions administratives. Légalement je n’étais pas éligible à ce dispositif.

Je l’ai profondément regretté d’autant plus que la MAFPEN qui dans cette période prétendait assurer la formation continue des Enseignants, non seulement n’avait pas conscience du problème mais semblait même en rajouter dans la confusion que j’avais commencé à détecter.

J’ai donc poursuivi la recherche par mes propres moyens. A savoir la littérature. Il en est sorti ce que j’ai l’habitude de nommer « mon grand œuvre alchimique » Canal de la Toussaint traité de philosophie en deux parties. Lequel peut être décodé dans sa première dénommée « Traité du Désordre » comme un cours d’Économie Politique tel que je l’aurais préparé pour mes élèves et une seconde appelée elle-même « Terra Incognita » relatant ce qu’il en a été dans la réalité pratique vécue, lorsque le dit cours a eu lieu.


JEANNE HYVRARD



TRANSMISSION DU SAVOIR ET MUTATIONS CYBERNETIQUES



Projet de recherche spontanée Mars 1984



On observe d’année en année chez les élèves particulièrement dans les Lycées Techniques et les milieux populaires une incapacité croissante à comprendre des raisonnements pourtant simples dès lors qu’ils nécessitent une certaine articulation du langage. Cette incapacité rend en particulier impossible un enseignement convenable des Sciences Économiques.

Les Enseignants qui reconnaissent l’existence du problème sont naturellement enclins à l’exprimer en termes de dégradation de l’Enseignement, de disparition du sens de l’effort, d’effectifs, de locaux etc … Bref en termes moraux et institutionnels.

Une autre approche est possible.

Se placer sur un plan scientifique et prendre le problème socio-linguistique qu’il s’agit d’abord de décrire correctement puis de mettre en relation avec d’autres phénomènes de société. Par exemple l’incapacité de manier certaines conjonctions « OR » ou « CAR », de maîtriser les notions de cause, de conséquence ou de modalité, l’ignorance de concepts tel que « le rôle » relèvent-elles d’une absence de formation intellectuelle convenable ou de la généralisation de l’audio-visuel n’articulant pas les images ou encore de modifications dans les fonctionnements économiques et sociaux.

On se demandera également à quoi correspondent les erreurs (par exemple l’extension de la notion de « Capital » ou l’idée que nos élèves se font des subventions etc ..). Enfin au niveau de la forme on s’interrogera sur la présence de plus en plus fréquente de schémas dans les devoirs et l’impossibilité d’y trouver des plans autres que des listings.

La méthode utilisée sera :

- L’étude systématique des erreurs des élèves, de leurs implications et de leur portée. Une enquête sera faite sur leur vocabulaire et les modes de raisonnements qu’ils utilisent.

- Une autre aura lieu auprès des Collègues.

- La mise en ordre des observations faites depuis dix ans dans le même Établissement. Ceci permettra de dégager les tendances lourdes constantes.

Le rapport sera établi pour la rentrée 1985. Il décrira l’apparente dégradation du langage et l’évolution des modes de raisonnements. En ce qui concerne plus particulièrement l’enseignement de l’Économie, il déterminera les notions qui ne sont plus comprises. Il en déduire l’image du monde économique et social qui semble être perçue par les élèves.

Il s’agira de déceler si cette image correspond à une réalité nouvelle non encore intégrée par les théories mais déjà confusément perçue par les plus jeunes. Si cette image ne correspond pas à la réalité, il cherchera à établir les causes de la déformation de sa perception et les moyens d’y remédier.

On étudiera enfin dans quelles conditions il est possible pour les enseignants de transmettre un enseignement aux élèves. Il proposera éventuellement des actions pratiques.


Jeanne Hyvrard (25 Mars 1984)




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Mise en ligne : Décembre 2019