JEANNE HYVRARD



NOUS, LES OBJETS VIVANTS


RECIT DE JEANNE HYVRARD

1996-1999




16 Novembre 1996

Pourquoi faut-il absolument et quelle que soit la situation, s’efforcer de nommer ce à quoi on a affaire ?

Non pas comme je le croyais autrefois pour que la chose, la situation ou le mécanisme ait un nom dans la perspective d’établir une nomenclature, mais pour s’en différencier. C’est l’acte de nommer qui permet d’une part d’établir sujet qui nomme et d’autre part objet, ce qui est nommé. Du coup la confusion n’est plus possible parce que les rôles sont différents.

Pourquoi ne l’avais-je pas compris plus tôt ? Privée – pour des raisons diverses - de la possibilité de m’affirmer, cela m’était inconcevable. Nommer ne pouvait signifier - dans mon univers mental - qu’être définie de et par l’extérieur. Ne plus être nommée représentait donc dans ce cas de figure une perspective d’amélioration au sens de la possibilité de se retrouver soi-même en échappant à ce qu’autrui a fait de vous au moyen de la force et de l’aliénation.

Par ailleurs, c’est au fur et à mesure que le totalitarisme s’est installé jusqu’à me broyer à la mi-Nonantes, que j’ai acquis la conviction qu’il fallait l’analyser et le nommer sur le modèle de ce que Bruno Bettelheim avait fait pour le camp de concentration dans son livre Le cœur conscient.

J’ai alors découvert que le problème n’était pas seulement de se sentir devenir une chose – thème qui apparaissait déjà depuis quelques temps dans mes écrits – mais que la difficulté était de renverser le mouvement pour se rétablir en position de sujet.

Cela s’avérait impossible parce que toutes les tentatives de s’affirmer par un agir - plutôt que par une action - dans les modes habituels politiques ou artistiques, échouaient. Y compris pour finir la littérature elle-même qui semblait purement et simplement en train de cesser.

C’est parce que je me sentais vaincue dans le combat quasi militaire de l’idéal républicain que j’ai découvert que psychologiquement, la dernière cartouche, c’était de nommer comme l’ultime moyen de rester sujet. Sujet vaincu certes, mais sujet quand même et non objet car c’est bien au stade, au rôle ou à la fonction d’objet vivant qu’autrui essaie en ce moment de réduire tout un chacun. Ce qui était intermittent voire quasi permanent mais chez certains individus seulement est devenu désormais - sauf remarquable exception – général ! Il n’y a plus entre les gens, d’autres relations que celle là. Hélas !

Je me surprends moi même en train d’abandonner mes anciens comportements pour selon les moments être dans un état végétatif dont toute intelligence autre que biologique semble s’être retirée – le corps ayant pris le commandement – et à d’autres, traitant effectivement les autres comme s’ils étaient les objets d’un moi-même objet. C'est-à-dire en fin de compte comme si nous étions nous tous les humains, devenus des objets ! Signe certain de l’ampleur de la crise du – au bas mot - lien social

J’ai lu cette semaine dans le journal Le Monde, un article critique concernant la nouvelle édition du chef d’œuvre de Robert Antelme L’espèce humaine que j’avais par le passé qualifié à une amie qui ne l’avait pas lu de dernier livre au sens du projet du livre enfin achevé, comme on dirait de quelque chose de premier, qu’il est primordial …

Cet article disait avec raison le trouble qu’il suscitait, la certitude qu’il manquait quelque chose à ceux ne l’avaient pas lu, une autre façon sans doute de dire la même chose. Mais il en résumait - si on peut dire - la teneur par la phrase : Quand le sujet est détruit, il reste encore la conscience et citant l’auteur lui-même lorsqu’il s’adresse à ses bourreaux : Comprenez bien ceci : Vous avez fait en sorte que la raison se transforme en conscience. Vous avez refait l’unité de l’homme. Vous avez fabriqué la conscience irréductible.

D’une certaine façon, même si la comparaison paraît scandaleuse, il me semble que dans ce que nous vivons (l’abolition de l’Homme) on en est là et que l’enjeu en est justement le maintien de la conscience.


18 Novembre 96

Au supermarché Ed, outre l’inversion que représente l’entassement de nourriture faisant penser que c’est la nourriture que va nous digérer et non l’inverse, ainsi que l’homogénéisation peu encourageante des emballages plastiques souvent mous, comme prédigérés, la caisse est le lieu de la destitution systématique. La plupart du temps, pas de barre pour séparer les achats des différents clients qu’on confond donc aisément. Les clientes et les caissières ont tendance à les évacuer parce qu’elles estiment que cela freine le mouvement et rétrécit l’espace utilisable pour entasser les marchandises sur le tapis roulant. Ce qui d’ailleurs est vrai…

De toute façon tout cela va trop vite, et une fois payé on n’a pas le temps d’emballer les achats. A croire qu’après le paiement, ce qui arrive n’a plus d’importance… On est rapidement recouvert par les affaires des autres. En général on fait alors l’unanimité de la désapprobation et presque figure de mauvaise citoyenne, en tous cas la preuve d’une incivilité avérée.

Aujourd’hui j’ai comme à chaque fois protesté d’un On n’est pas des machines et la caissière a répondu Moi, si ! J’ai alors dû renchérir d’un Mais nous on voudrait bien ne pas le devenir ! A cela on pourrait même ajouter d’autres analyses concernant les processus de digestion, réflexions particulièrement décourageantes.


19 Novembre 1996

Entre la station de métro Poissonnière et le Lycée, le faubourg est en permanence embouteillé, ce qui n’était pas le cas autrefois…. Les motos et les vélos roulent donc sur les trottoirs, sans que personne ne proteste, même s’il m’arrive encore de le faire quelquefois. Mais je n’en ai pas toujours le courage. Là l’objet vivant qui peut et doit se déplacer, ne le peut même pas. Il doit à la fois être là pour aller à son poste de travail et pourtant il ne le peut pas. Ce sont des injonctions contradictoires à l’intérieur d’un système déjà destitué.

Ni dans la Salle des Professeurs ni à la Cantine, il n’y a matière à reconstitution. Aucune humanité, affectivité ou parole qui prenne en compte la réalité. Ce n’est que matérialité, immoralité, mépris d’autrui, univers rétréci et tirant toujours vers le pire. Ce n’est même pas la peine de parler d’anti-intellectualité ou d’anti culture, car toutes ces idées là ont disparu. Il n’est même plus possible de réparer ses défectuosités au contact de la norme sociale, devenue elle-même la destruction.


20 Novembre 1996

Dans ce que j’appelle l’Ancien Monde, les Secrétaires de l’Administration ne mangeaient pas à la même table que les Professeurs. Leur proposer de le faire était interprété comme un acte amical qu’elles pouvaient - lorsqu’elles étaient seules - accepter. Cela signifiant alors une générosité réciproque. Depuis la destitution, non seulement elles se mettent sans vergogne au milieu de nous, mais de plein pied dans la conversation. Je dirai que ce n’est même pas tout à fait juste car en fait - s’identifiant au groupe des dirigeants - elles se situent comme telles en position d’être nos supérieures… Ce qui jusque là restait implicite créant tout de même un malaise de plus en plus épais.

Aujourd’hui ce qui couvait a explosé : Comme l’une d’elles qui excelle dans l’exercice décrit plus haut nous annonçait en jubilant qu’on allait nous installer un ordinateur en réseau dans la Salle de Professeurs pour qu’on y rentre les notes, j’ai – sachant l’opposition des Collègues à cette pratique - commencé par expliquer que la chose, déjà examinée par le Conseil d’Etat avait été jugée illégale comme je l’avais appris par le Censeur l’an dernier.

Comme cet argument semblait inopérant, j’ai donné les références de l’Académie de Clermont, et elle osa me dire qu’à Paris ce n’était pas la même chose, ce qui dans son esprit signifiait l’abolition de l’unité républicaine du territoire. Elle revint alors à la charge sur le thème qu’elle-même travaillait bien sur ordinateur et qu’il n’y avait pas de raisons pour que nous n’en fassions pas autant !

Comme je lui faisais remarquer que c’était le travail des Surveillants (disparus) et qu’on avait fait des Etudes Supérieures pour l’Enseignement et non pas pour le Secrétariat, elle le prit plutôt mal sur le thème habituel de mon agressivité et déclara qu’elle ne viendrait plus manger à la Cantine … La conversation s’engageant ensuite sur la sempiternelle condition des professeurs en Angleterre … Sous entendu De quoi vous plaignez vous ? Le modèle en question étant devenu la référence à laquelle il n’est pas question de se soustraire ! ...

Dans le journal un article sur une éventuelle réforme de la Loi Informatique et Libertés aggravant les inquiétudes concernant les nouvelles méthodes de travail.


Jeudi 21 Novembre 96

Prise de bec avec une amie qui persiste à regrouper sous le vocable immigré tout ce qui est racial, sans tenir compte de la nationalité. Elle va même jusqu’à y englober un curieux Tout ce qui a bougé dont on se demande quel sens cela peut bien avoir …


Vendredi 22 Novembre 96

Nouvelle algarade avec une collègue à qui je fais remarquer que le terme cohésion qu’elle emploie est celui du Traité de Maastricht, lui signifiant ainsi qu’elle se laisse prendre à la propagande. Elle me fait - avec justesse - remarquer qu’elle a le droit d’employer les termes qu’elle veut même ceux de la propagande, ce qui est par ailleurs exact.

On voit bien au bout du compte, quel genre de phrase on peut construire avec les termes d’immigrés et de cohésion … sans compter le terme de beur qui s’appliquant aux immigrés arabes de la deuxième génération persiste efficacement à empêcher toute intégration.

Au Lycée, des collègues dont une Guyanaise très noire sont à deux doigts d’en venir aux mains devant les élèves. En filigrane les conflits sur la malpropreté et le laisser aller des boutiques de leurs quartiers. Pétrifiée je ne dis rien, ne supportant plus du tout moi-même ni le désordre ni la crasse ni la dégradation …

A Dreux après aux élections, l’échec du Front National, un militant a été - selon le terme employé dans les médias - légèrement blessé à coup de couteau !


26 Novembre 96

Une publicité pour la marque Olympus : L’image montre un appareil photo sur une main et un chien new look dans l’autre avec ce slogan On n’arrête pas les progrès de la génétique. Quant à celle pour la Française des Jeux, elle nous propose au dessus d’un dessin de Staline Le grattage est l’avenir radieux de l’Humanité.


29 Novembre 96

Je constate avec déplaisir que je m’efforce d’apparaître moins émancipée que je le suis, tant l’environnement dans lequel je suis m’inspire de crainte, ce qui n’est tout de même pas bon signe ! ...

Quant au légèrement de la page précédente, il est typique de la langue de bois actuellement en formation. Cet adverbe est destiné à annuler l’horreur qu’on éprouve en entendant cette information. Par exemple, les lycéens s’entre-tuent au sein des établissements à coups de revolver ou de couteaux, mais … ils se blessent légèrement … donc il n’y a pas grand mal …

Et ainsi ce qui devrait susciter la plus ferme réprobation se trouve admis comme un banal fait de la vie quotidienne. C’est bien en effet par ce mécanisme qu’on accepte une dégradation constante de la vie et que sans même qu’on y prenne garde, la nouvelle norme se substitue à l’ancienne…

Achat de LTI - le livre de Klemperer - chez Albin Michel, bien que France Culture n’en ait pas dit du bien, le trouvant confus. Mais après tout, en pareilles circonstances, sans doute n’était-il pas possible de faire mieux ! Moi-même je suis tellement décomposée que je suis à deux doigts de ne plus pouvoir écrire du tout … et cela dans une situation apparemment moins dangereuse …

C’est peut être ce commencement de lecture qui me donne l’idée suivante : J’ai déjà dans mes journaux précédents noter l’importance du mot fin dans des expressions comme bonne fin de journée à la place du bonsoir habituel ou bonne fin de repas comme un appauvrissement de la langue.

Mais ce que je n’avais pas perçu - sans doute par excès de libertarisme - c’est que la substitution des expressions fin de à des choses de plus en plus nombreuses avait aussi pour but de détecter ceux qui ne se plient pas à cette forme d’adoration de la mort, à les isoler, voire même - plus inquiétant encore –visant à faire que leur isolement (là le mien) les oblige à considérer la mort comme bonne au moyen de l’idée baroque de bonne fin.

Sans compter qu’en lisant Klemperer, on peut se demander s’il ne s’agit pas là d’une tentative d’instaurer dans la langue français les structures de la langue allemande en tant que mécano.

J’ai déjà depuis quelques temps, constaté une certaine rationalisation volontariste de la langue, là où autrefois on avait toujours dit le Tarn et l’Aisne, on entend prononcer la rivière Tarn et la rivière Aisne … Ceci destiné certainement à faciliter le traitement informatique sans avoir recours à des connaissances particulières.

Il s’agit donc là d’adapter le langage aux idiots, ce que ne cessent de réclamer les élèves du lycée dans lequel j’enseigne depuis des années. C’est une fois de plus l’inversion du fils et de la mère.

Quant à l’expression en province, elle est désormais remplacée par en région, ce qui permet de se débarrasser de la tradition culturelle et historique qui lui est liée. La région est un découpage administratif hors sol qu’on peut modifier à tout moment. Il n’en est pas de même de l’idée de la Province.

Généralisation des mots sensible, problème, malaise chaque fois qu’il y a une réalité humaine ou sociale qu’il convient de traiter avec toute la délicatesse possible...


3 Décembre 1996

Comme je suis assise dans le métro en lisant tranquillement, une mémé dans la soixantaine sans invalidité apparente avec un manteau de fourrure, s’accroche à mon bras. De mauvaise humeur, je la repousse en me secouant. Elle se raccroche à nouveau et je l’envoie valdinguer à la mesure de mon exaspération. Outrée, elle proclame qu’elle a besoin de se tenir et que sinon elle va tomber. Je lui réponds qu’elle doit le faire au poteau inerte et non à moi, une personne vivante. Elle s’assoit enfin et s’excuse, ce qui montre qu’elle a tout de même fini par comprendre ce qui était en cause…

A noter qu’il m’arrive de plus en plus souvent de devoir me dégager par la force, mais il est nouveau que l’agresseur récidive ! Autrefois si à la suite d’un coup de frein inopiné du véhicule dans lequel on voyageait, on avait été dans l’obligation de se raccrocher à quelqu’un par mégarde et par réflexe, le premier souci était - avant même de remettre de l’ordre dans sa tenue - non seulement de lâcher la personne qu’on venait d’empoigner, mais surtout de se confondre en excuses. On observe donc un renversement complet car c’est désormais la réclamation d’un droit.

Cela rejoint le comportement de mon acolyte qui en 1995 me soutenait mordicus que c’était pour elle un droit d’être reçue chez moi avec qui elle voulait. On est donc en train de passer de la position du squat de fait à la prétention à un droit à s’arroger qui me laisse perplexe…

Ce qu’il y a déjà une quinzaine d’années dans la fameuse émission télévisuelle Merci Bernard, Claude Piéplu résumait dans le créneau qu’il occupait, par l’expression chaque semaine récurrente C’est un droit et vous n’y pouvez rien !... qui concluait de façon parodique une scénette baroque évoquant le problème précédent…

Le soir, un attentat dans le métro à la station Port Royal. Commentaire du journaliste sur la quatre à 18 heures 08, heure française…  C’est bien la première fois que j’entends ce genre de précision pour un évènement qui a lieu en France et la concerne. Il s’agit bien là de nous faire penser en termes globaux, de gré ou de force….


5 Décembre 1996

Situation très pénible au Lycée où ce que Canetti appelle l’instinct de masse est en train de prendre le dessus. Ce ne sont même plus des tentatives d’emprise et de dévoration individuelle comme c’était le cas jusque là et comme je l’ai largement décrit dans tous mes carnets autographes. C’est désormais une tentative collective d’emprise sur tous. Comme si la masse était en train de se solidifier là où il y avait encore des tensions.

Faits symptomatiques, on oublie mon nom dans des listes où il devrait être, on l’ajoute ailleurs sans me demander mon accord, m’enrôlant comme signataire d’un projet qui ne me concerne pas. Dans un cas comme dans l’autre, c’est désormais la masse qui compte et non les individus. On est sans cesse - par la force - attirée dans l’univers d’autrui.

A aucun moment il n’y a de rites symbolisant la mise en relation des deux univers, des deux personnes. C’est une fusion extrêmement brutale. C’est ce que montre bien le film de Godard For ever Mozart à propos de la guerre de Bosnie. Les gens donnent des ordres qu’ils entreprennent de faire exécuter manu militari.

On ne peut plus se dégager que par la force, dont du coup, la pratique s’étend. Le langage semble avoir disparu en tant que code représentant quelque chose. L’espace acoustique est saturé de bruits verbaux, sorte d’aboiements et de paroles vides. Au point de me demander même s’il s’agit encore d’une langue et même de mots !...

De même que les images cybernétiques d’aujourd’hui ne représentent plus rien et n’ont plus pour fonction qu’aveugler en occupant le terrain, de même ces vocables ne représentent plus d’idées mais sont destinés à occuper le champ mental pour qu’aucune parole, conversation, pensée, débat puissent s’y tenir…

Le mot qui m’est venu, c’est slogan et en cherchant l’étymologie, je suis obligée d’admettre que j’ai mis dans le mille… Ce mot anglais datant du dix neuvième siècle signifie en effet cri de guerre du clan. Ces gens là en effet ne parlent plus, ils communiquent par slogans, au sens où ils fusionnent. Ils veulent, ma collègue et moi-même, nous absorber et se mettent donc régulièrement, lorsque nous sommes ensemble, de part et d’autre de nous deux pour communiquer par-dessus nos têtes !

Par contre, force est de constater que sortir de mon sac un livre (là Histoire d’une vie de Canetti) les fait reculer et se taire, comme des démons le signe sacré ou dans la mythologie le Diable et l’Eau Bénite ! Comment expliquer cette chose qui demeure incompréhensible ?

De son côté, ma collègue – enseignant les Lettres - me confirme que nos élèves ont peur des livres. N’est ce pas parce qu’ils ne savent pas s’en servir et que si quelqu’un lit – lisant vraiment – la fiction du Tous pareils, s’écroule ? Le livre étant le paradigme de la maîtrise de la grammaire ontologique…

Petit incident typique de l’univers quotidien avec une chauffeuse de taxi arabe qui ne connaît pas Paris et à qui j’explique où se trouve le Lycée auquel elle doit me conduire à savoir près de l’Eglise Saint Vincent de Paul, Place Frantz Liszt ! Elle me soutenant qu’elle s’appelle l’Eglise Frantz Liszt et comme je le démens, elle reprenant Nous, on dit Eglise Frantz Liszt !

Je tente alors une dernière mise au point avant de m’enfoncer dans un silence que je ne romps que pour demander qu’on ferme la fenêtre car j’ai effectivement froid !... Elle la remonte et me déverse alors son flot de mauvaise humeur sur le thème de Enfermée dix heures par jour dans deux mètres carrés, on étouffe !... J’y mets le holà en lui demandant de garder pour elle ses ennuis de boulot étant donné que j’ai aussi les miens…

Elle me traite d’agressive, j’essaie de lui faire comprendre ce qu’il en est de la situation, puis constatant que le ton monte et que j’avais pris un taxi parce que je n’étais pas en situation d’affronter le chaos régnant dans les transports en commun, je descends lui payant le prix de la course au compteur plus deux francs de pourboire métaphysique.

Comme elle continue sur le thème de mon agressivité j’envoie la flèche du Parthe On s’expliquera plus tard sur un autre terrain ! On imagine dans quel état – après avoir trouvé un autre taxi - j’arrive à mon travail retrouvant mes collègues et mes élèves pas vraiment républicains, ni les uns ni les autres…


8 Décembre 96

Ce qui tue, c’est que les incidents du type de ceux que je raconte ont lieu non pas exceptionnellement, non pas même une fois par jour comme je le faisais remarquer naguère, non pas même plusieurs fois par jour - comme je l’ai déjà écrit ailleurs - mais désormais continuellement.

Ceci m’est bien confirmé par ceux à qui j’ai pu en parler, éliminant ainsi l’hypothèse de la paranoïa… C’est sans doute cela l’état de guerre sociale généralisée ! Chacun est l’ennemi de chacun et le considère comme une proie. Toute l’énergie est utilisée à s’en défendre et il ne reste rien pour faire autre chose…

Dans Histoire d’une vie de Canetti, la description que celui-ci fait de Berlin en 1930 évoque la période actuelle… Il va jusqu’à écrire que les hommes étaient devenus des choses… et que chacun devait s’imposer aux autres… Par ailleurs, la taxinomie du début de son ouvrage Masse et puissance permet de classer exactement ce qu’on vit dans notre Salle des Professeurs. Ce sont selon cette terminologie des cristaux de masse- une meute, une masse en formation fermée et lente…


12 décembre 96

Dans la langue de bois, on connaissait déjà dégraisser les salariés pour licencier, toiletter pour retirer tout ce qui gêne dans les lois et la Constitution, et maintenant c’est d’épousseter le Code du Travail qu’il s’agit… alors qu’en fait c’est une abolition complète qui est en cours… J’attends la suite pour aujourd’hui notant pour mémoire la tentative de déstabilisation islamiste permanente en Première TSC1 et le récurrent sabotage du bureau installé sur l’armoire en salle 13… Bien que d’après les horaires, cela ne soit pas particulièrement dirigé contre moi !...


17 décembre 96

Les éleveurs français ont sauvagement déchargés leurs carcasses de veaux importés de Hollande, en ont brûlés et installés d’autres sur les escaliers du Ministère des Finances à Bercy. J’ai vu à la Télévision cette image terrible.

On y montrait les escaliers filmés d’en bas comme une pyramide aztèque avec l’immeuble dressé vers le ciel. En haut des marches, un cordon de CRS en gardait l’accès. De haut en bas des carcasses avaient été installées, non pas jetées au hasard, mais intentionnellement disposées par des éleveurs français qui continuaient leur tâche.

Ceci faisant suite à une autre séquence dans laquelle on avait vu à Rungis les camionneurs déplacer péniblement des carcasses assez lourdes, les arroser d’essence et y mettre le feu, tout cela évoquant un autodafé auquel la scène de Bercy comme sacrifice primitif à une divinité barbare – là l’Union Européenne et ses ruineuses subventions aux bataves– faisait écho.

Tout cela est traumatisant car dans l’ordre de la nourriture, la fiction est que la carcasse débitée n’est pas un cadavre, mais bénéficie d’une sorte d’immunité symbolique. On fait semblant de passer de l’animal habitant chez l’éleveur, à la viande de boucherie dans les rayons, en se gardant bien d’établir une continuité quelconque qui rendrait intolérable la dévoration. Là tout au contraire, elle est non seulement rétablie mais on s’attarde dessus, dévoilant et même mettant en scène ce qui ne doit pas être vu !

Pire redevenue cadavre, la carcasse elle-même est profanée. C’est ainsi qu’on lui fait ce qu’on ne doit pas faire – ce brûlement - depuis la guerre de 39-45. Ces scènes déchirent le cœur car cette nourriture est malmenée, souillée et détruite alors que l’angoisse de mort - socialement omniprésente - la fait considérer comme le dernier lien avec la vie.

Ainsi peut-on dire qu’après avoir souillé la médecine, la politique, le langage, la sexualité, c’est maintenant la nourriture elle-même qui est atteinte par ce ravage de l’époque. Non seulement dans son aspect sanitaire vital comme c’était déjà le cas avec la maladie de la Vache Folle mais aussi dans son aspect symbolique.

Ainsi depuis une dizaine d’années s’est propagé non seulement la destruction de la société mais aussi désormais celle des individus. C’est sans doute ce qui explique ce qu’on constate au quotidien : à savoir la prise en masse, la main portée sur l’autre pour le saisir et s’en emparer.

Campagne de publicité de Télérama, particulièrement obscène ! On y voit trois modèles de corps en complète symbiose avec la Télévision : D’abord de petits postes greffés un peu partout sous la peau, ensuite une main terminée par une télécommande et enfin un corps féminin comprenant sur le côté un poste à moitié démoli. Il y a quelques semaines déjà on avait vu une firme électronique nous présenter une sirène terminée en fil électrique raccordé à un appareil.

Quant au supplément du journal Le Monde, il regroupait samedi dernier toutes les prothèses pensables et imaginables. Ce numéro était pornographique, sado masochiste, hard et moderniste dans l’introduction d’une matière inerte techno-médicale. Mais tout cela sous entendu comme par la présentation d’un dentifrice noir pour évoquer l’idée de faire manger de la merde, et toutes les prothèses de contention qu’on peut à l’avenant, imaginer… Jusqu’au panier à provision maquillé en faux ventre enceint… avec tenant lieu de fœtus, un poulet à moitié engagé dedans…

Et bien entendu tout cela concernant un corps photographié de telle sorte qu’on ne puisse pas déterminer s’il s’agit d’un homme ou d’une femme. Le thème de l’homme enceint s’impose d’ailleurs ces temps ci dans l’imagerie. Tout cela devant être mis en relation avec l’affaire des vaches folles, la confusion de l’enfantement, de la digestion et de la sexualité, l’ensemble aboutissant à une sorte d’alterofusion.


19 décembre 96

Concernant la destitution à l’œuvre, on observe que les ordres qui sont donnés aux élèves sont de moins en moins suivis d’effets, même lorsqu’il s’agit de situations qui n’ont rien de conflictuelles et ne concernent pas les personnalités caractérielles.

De simples injonctions au sujet des fenêtres à ouvrir ou fermer ou les déplacements à l’intérieur de la salle de cours, ne sont plus considérés comme devant être exécutées. Force est de constater que les Collègues doivent bien le tolérer puisque je dois, moi m’y reprendre à trois fois pour que mes ordres aboutissent et le dernier avertissement devant avoir lieu sur un ton menaçant !...

On assiste maintenant à un nouveau dispositif inédit concernant l’installation des tables dans les classes. Les premiers rangs ont été pressés les uns contre les autres avec la mise en place d’une rangée supplémentaire. Dans le même temps, un fond de classe ainsi institutionnalisé peut s’organiser très à l’aise et pour avoir assez de tables pour tout ce nouvel agencement, ils ont évidé le centre de la pièce juste sous le bureau professoral. Cela aboutit à un véritable chaos matériel qui se rajoute au reste et aggrave le malaise ambiant…

Naturellement je commence le cours par le nécessaire rétablissement de la forme convenable…


24 Décembre 1996

Un attentat contre l’INSEE est commenté par les médias comme étant selon leurs termes sans gravité. Incident à ranger dans la même rubrique que celui de l’élève légèrement blessé à coup de couteau ou hier encore celui qui est signalé comme ayant eu un problème de méningite, alors qu’il en est mort !

Quoi qu’il se passe aujourd’hui, il s’agit d’abord d’en abolir le côté négatif ou que cela apparaisse au pire comme un petit dysfonctionnement qu’on maîtrise. Ainsi on gagne sur les deux tableaux On censure partiellement les horreurs de la guerre sociale qui enfle de tous les côtés. On apparaît comme quelqu’un de très bien, se préoccupant des petits malheurs de tout un chacun et de surcroît suffisamment assez puissant pour pouvoir efficacement les juguler comme sans gravité….

Autres observations confirmées : Les prépositions EN et SUR ont tendance petit à petit à remplacer toutes les autres. Est-ce qu’il s’agit des deux positions par rapport au corps de la mère, EN (à l’intérieur prisonnier et dépendant) et SUR comme sur son sein, se nourrissant de la mère) ?

Si on admet ma nouvelle création conceptuelle, il y aurait donc sans tiers, une emprésentation de la mère et de l’enfant. Une dualité/totalité sans tiers-terme. Selon les besoins du dominant, il est SUR lorsqu’en faisant sa proie, il en utilise les ressources ou bien EN,  lorsque le (ou la) dominé (e), proie cernée est contrôlé de toutes parts, englobé et réduit à être dépendant de l’autre dans toutes ses fonctions.

Ce peut d’ailleurs être le même processus à deux étapes différentes. A savoir celui du sous développement qui est finalement celui du développement tout court et a à voir avec celllla. C’est passer du tiers inclus des auteurs présocratiques à la dualité qui évacue la conception génitrice de la mère (en relation avec le père) au profit de celle d’une proie purement nourricière.

On passe d’un monde d’enfantement à un monde de digestion ! Il ne faut pas s’étonner alors de voir les mères tomber malades alors que ceux qui sont dans un univers digestif se portent de mieux en mieux.

On peut se demander finalement si tout cela n’a pas à voir avec l’émergence d’un athéisme radical, de la représentation démocratique et théâtrale. Et aussi avec le révisionnisme que je prends là dans son acception la plus large possible, celui de la matrice vide, de la suppression de l’idée même de l’enfantement! L’histoire terminée est un thème récurrent de la propagande. C’est l’abolition de toute précédence ! Désormais on se bouture soi même....


28 décembre 96

A propos des Sans Domicile Fixe qui ne veulent pas aller EN foyer (au lieu de DANS les foyers) on peut se faire la réflexion que ce EN signifie dans ce cas là le placement en institution plutôt que le lieu, voire même la position concentrationnaire. C’est cet écho qu’on entend aussi dans l’idée que les vaccinations ont lieu EN mairie et non à la Mairie, mutation organisant la rigidité dans la confusion du lieu et de la fonction…


30 décembre 96

A force de se servir pour les identifier des numéros de département plutôt que de leurs noms - je l’expérimente hélas moi-même - je ne sais plus du tout où ils sont situés et constate ainsi effarée, l’effacement de la réalité terrestre et terrienne…


Premier Janvier 1997

Un ciel sans nuage est qualifié de franc.

On nous raconte comme un évènement banal et presque normal qu’un jeune ait été poignardé sur le parking de Vélizy. Un jeune d’une bande de Chatenay-Malabry poignardé par un de celle du Plessis-Robinson. Lorsqu’on pense à ce que ces noms véhiculaient auparavant d’accordéon, de vin blanc et de Dimanche de nostalgie, on est sidéré !

On apprend incidemment – ce qu’on nous avait caché – que les zozos en question avaient déjà attaqué un bus de la RATP et qu’un jeune passager avait perdu un œil dans la bagarre… On entend les responsables, non pas s’en émouvoir… mais se déclarer dépassés.

On apprend lors des conseils pour la conduite sur verglas que si on freine, on perd le pouvoir directionnel pour le cas ou on aurait cru qu’il s’agissait seulement de la direction du véhicule…


3 Janvier 1997

Aucun trafic dans la vallée du Rhône !! Chemins de fer et routes à l’arrêt. Dix mille voyageurs bloqués dans la région Rhône-Alpes. La SNCF ayant abandonné des trains entiers à leur sort … Les médias présentant leur chauffage comme le comble du luxe retirant ipso facto tout droit de se plaindre. Le discours sous entendu étant que la norme étant de n’être pas chauffé, ce serait une sorte de privilège … On ne peut exclure un sabotage pour éventuellement accélérer la fermeture de la firme nationale ou bien en raison de la haine suscitée par la toute petite minorité partant en vacances aux Sports d’Hiver.

Sur le plan du vocabulaire, la dernière innovation est l’apparition de l’expression la deuxième partie de journée pour remplacer le simple après midi. De son côté le terme de basculement est mis à toutes les occasions et il n’est pas anodin de découvrir son étymologie et battre le cul rejoignant d’une certaine façon le fameux fuck it ambiant qui depuis longtemps fait des ravages.

Concernant la fameuse période des Soldes, soixante dix pour cent des produits n’étaient pas en rayon il y a trois semaines et de mauvaise qualité ont été spécialement fabriqués pour ce prétendu événement.

Bilan des publications de La Quinzaine Littéraire en 1996 : 467 articles publiés dont 42 - moins de dix pour cent - concernant les œuvres de femmes … 28 sur la poésie, aucun de celle des femmes ! ...


4 Janvier 97

Depuis trente-six heures, plus de trains du tout dans la Vallée du Rhône et ce sera la même chose aujourd’hui. Force est de constater que la Haute Technologie ne résiste pas à un froid entre moins dix et moins quinze, ce qui n’est pourtant pas même exceptionnel. On a plutôt l’impression d’une négation de la réalité matérielle….

Quant à l’aspect humain, la SNCF admet n’avoir pas informé les voyageurs parce qu’elle était dans l’impossibilité de leur dire la durée de la panne. On est donc bien dans une gestion virtuelle. Le simple remboursement des billets est présenté comme un beau geste commercial auquel il n’est pas obligatoire de procéder, puisque la force majeure pourrait même être invoquée… Ce qui de mon point de vue de juriste reste à démontrer…

Un adolescent est dans un état critique pour être passé au travers de la glace d’un lac gelé. On nous dit qu’aucun organisme n’est habilité à mesurer sa hauteur ! Sans commentaires…. Autrefois on apprenait qu’il ne fallait pas y marcher du tout, sans même avoir à se préoccuper de l’épaisseur….

Dans les médias, on attire notre attention sur les décalages de température entre le Nord de la France et la Corse !.... tentant d’accréditer l’idée qu’elle devrait être la même partout...


8 Janvier 97

En début de cycle de vie… Cette périphrase pour signifier la jeunesse. Sur zone signale l’arrivée des secours près d’un naufragé de la course Vendée Globe.


Janvier 97

Désormais les nouvelles des différents endroits de la Planète sont sur le même plan, il n’y a plus ni intérieur ni extérieur du pays.

Une publicité pharmaceutique annonce que Solutricine zappe la douleur… sans doute sur l’Homme-Télé ! Et une autre concernant un modèle de voiture nous explique: Les fonceurs à qui la Ponto ne suffit pas ont encore la Punto ou quelque chose de ce type… A noter également cette pancarte : Fermez la porte derrière vous ! L’hôtesse et la consommation d’énergie vous en seront reconnaissantes…

Partout de plus en plus de lettres imprimées à l’envers rendant du coup les mots presque incompréhensibles…


24 Janvier 97

Comme certains collègues ne savaient ou ne voulaient pas saisir leurs notes directement sur l’ordinateur qu’on nous a installé dans la Salle des Professeurs, le Censeur est venu nous dire que dans ce cas là, c’était aux autres de le faire, inventant ainsi la responsabilité collective chère au totalitarisme. Ce qui est sans doute le pendant des médecins qui vont subir des sanctions financières collectives pour leur dépassement individuel des prescriptions.


2 Février 97

Conclusion du Forum de Davos Il faut moderniser le modèle européen pour l’adapter au monde extérieur !.... Sans commentaire ou alors à hurler.

A l’association des artistes en lutte contre les restaurations abusives… on en entend se plaindre du mélange des défilés de mode au milieu des œuvres des musées. Et comme je leur demande pourquoi c’est si troublant, on me répond de façon pertinence que c’est le mélange du sujet et de l’objet. C’est sans doute en effet l’essentiel de l’époque et particulièrement sensible aux plasticiens (plus qu’aux écrivains)…


13 Février 1997

Quand on se demande pourquoi je n’ai pas tenu de journal exhaustif de ce qui se passait et de ce que je voyais, il faut se souvenir que c’est parce que toute mon énergie était employée non pas même à résister à ce qui survenait mais à le refouler pour éviter de disparaître devant l’ampleur du désastre. Et le peu d’énergie me restant étant utilisée à continuer à œuvrer faiblement mais à œuvrer quand même !...

Mise à la retraite anticipée des médecins libéraux à cinquante six ans avec leurs pleins salaires dans le but avoué et proclamé de diminuer les prestations de la Sécurité Sociale ! D’autant plus étonnant que la dite préretraite à cinquante cinq ans a été refusée aux traminots…

Non augmentation systématique des fonctionnaires pour réduire le déficit budgétaire et atteindre les Critères de Maastricht. Le facteur humain a changé de place, il est devenu un moyen…

Quant à la Cour de Cassation, elle a jugé que les pots de vin versés par une entreprise à un ministre pour obtenir une remise de dette fiscale, n’est pas un abus de bien social car c’est bien – quoique qu’illicite - dans l’intérêt de la firme….

Là encore on constate que l’utilité est devenue la valeur prioritaire sans que jamais ne se posent semble-t-il celle de la morale voire même de la loi. On peut connecter cela à d’autres observations du même genre et se souvenir que cette avidité envers la proie, c’est la Nature elle-même. Il est bon de savoir que le judaïsme intercale entre les deux, la loi, moi la forme ou la constitution et l’un de mes élèves A.G le principe !


15 Février 97

Contestation contre la Mairie de Toulon tenue par le Front National. Ce sont les Artistes qui mènent la danse à coups de pétitions. Ils se présentent comme étant aussi légitimes que les Députés… Il ne s’agit plus là d’une opposition aux Autorités élues mais d’une substitution…


21 Février 97

Dans Le Monde des Livres d’hier soir, pour la première fois à ma connaissance, la critique d’un livre anglais non traduit avec le prix indiqué en livres, comme quelque chose d’absolument normal, le tout sur le même plan que les autres articles. Comme si le bilinguisme était la norme qu’il n’y avait même pas à en discuter.


26 Février 1997

Les campagnes publicitaires sont de plus en plus agressives depuis plusieurs saisons, représentant les corps humains déformés, humiliés et défaits. Une agence de voyage présente un gros type avec la chanson bien connue Toute ma vie j’ai rêvé d’être une hôtesse de l’air… Ikéa déploie une ménagère de trente cinq ans qui fait l’amour avec le mobilier du magasin… Quant à l’ordinateur il fournit désormais le professeur intégré, le type en question enfermé dans un carton qui ne laisse apparaître que sa tête…

Clonage d’un mouton. On entend parler des applications à l’espèce humaine tout en rappelant que c’est interdit. Tout cela me laisse de marbre depuis que j’ai décidé en 1985 de survivre aux séquelles de la chimiothérapie anticancéreuse.

La propagande nous répète en permanence qu’il n’y a pas d’autres politiques possibles que celle en cours. C’est l’idée totalitaire par excellence dans cette absence d’alternative. Nos maîtres règnent sur cette prétendue unicité. Il n’y a plus de point de passage entre eux et nous. C’est la pièce principale du dispositif qu’il faudrait analyser et qui rejoint ce que je constate chez certains de mon entourage : à savoir le refus de se mettre en cause…


3 Mars 97

La firme Klein affiche des hommes et des femmes portant les mêmes slips, plutôt du modèle masculin…


13 Mars 97

Ne perdons pas de vue que le fascisme, c’est d’abord la vulgarité. Au sens de trivialité, c'est-à-dire l’immédiateté dans la satisfaction des besoins, même si des films comme La nuit de saint Lorenzo ou Les damnés de Visconti ont fini par en donner une vision esthétique trompeuse.

Les comportements continuent à évoluer dangereusement. On a l’impression qu’il s’agit du dernier degré avant qu’ils portent effectivement la main sur moi. C’est bien l’occupation omni présente et au sens fort. C'est-à-dire d’occupatio s’emparer dans son étymologie latine.

On a effectivement l’impression qu’ils vont s’emparer de nous physiquement alors qu’ils l’ont déjà réussi psychologiquement avec leurs permanentes vociférations, langue de bois et propagande, saturant désormais tout le champ et obturant toute possibilité de respiration, d’échange et même, pour finir de pensée…

C’est tout au long de la journée dans l’espace commun, une moulinette glapissante et triviale débitant comme un moulin à prière, un catéchisme pédagogo gestionnaire qui tend à faire croire que le système scolaire fonctionne à plein alors qu’il est de plus en plus déstructuré, voir aboli.

Les tentatives des uns et des autres pour s’accrocher à moi me navrent. Ma réaction n’est même plus ce qu’elle était autrefois et dont j’ai parlé dans Au présage de la mienne comme un mélange de stoïcisme et d’anesthésie. Là c’est maintenant une mécanique qui s’est mise en marche et à laquelle on ne peut plus rien.


14 mars 97

Partout des affiches publicitaires avec des horreurs : des femmes à genoux, molestées, humiliées, enchaînées, torturées. Des têtes sans corps. Des morceaux de corps autonomes. C’est insoutenable !


2 Avril 1997

Dans le métro des affiches tous les jours plus abominables de violence et de pornographie. Je commence même à ne plus les voir par un processus psychologique qui doit avoir un nom et être homologué… Quant aux tas d’ordures et de chiffons hélas je les vois toujours et me demande angoissée, s’il y a dedans un homme… Et de fait c’est assez souvent le cas !...

Au Lycée après le Congrès du Front National où ont été dépassées toutes les limites dans le déferlement de la haine, les collègues (?) sont de leur côté déchaînés dans le racisme et l’antisémitisme. On me crie désormais directement la propagande pédagogique dans les oreilles et j’ai dû pour la repousser, pousser physiquement celle qui effectivement se collait contre moi !... Cette prise et emprise physiques survenant sans doute parce qu’il n’y a pas d’espace où débattre, et pas de langue qui le permette…


24 Avril 1997

Publicités ordurières pour Contrex avec le slogan Il n’y a pas que vous qui fassiez l’effort d’être belle ou une campagne de la FNAC montrant un visage de femme avec une fermeture éclair à la place de la bouche, une planchette en bois clouée sur l’oreille et un troisième corps avec un bouton de mise en marche et d’arrêt sur le haut du crâne. L’être humain est désormais représenté comme un objet vivant mais un objet…

Autre publicité pour le café Carte Noire, un café nommé Désir : Il y a deux modèles. Le passé qui est représenté par un homme et une femme tendrement enlacés, comme une statue romantique en marbre. Et une autre affiche qui évoque le présent en couleur, avec un homme d’une trentaine d’années bouche à bouche avec un éphèbe… suffisamment androgyne pour que la firme puisse – en cas de protestation - arguer de sa bonne foi !… Cette perversité étant bien dans l’air du temps !

Dissolution surprise de l’Assemblée Nationale ouvrant une campagne électorale d’un mois dont trois ponts sur des jours fériés. Cela ne va pas dans le sens de la reconstitution des individus et de la société de plus en plus réduite au silence. C’est maintenant le style talon de fer et on a l’impression que la conservation de la façade n’est même plus nécessaire…

On ne voit plus de clochards, comme la pauvreté augmente force est de constater qu’ils sont ramassés.

Les téléphones portables sonnent maintenant dans les bus et on est envahi par l’existence des autres qui font d’un lieu autrefois public, un espace désormais par eux, approprié…


26 Avril 1997

A France Culture, dans l’émission Les Temps Modernes, j’entends pour la première fois - en dehors de moi - employer le terme d’objets vivants.


29 Avril 97

En une semaine, s’est imposé l’emploi du verbe tourner dans un nouveau sens. Je l’avais déjà remarqué au Marché de la Poésie, lorsque je demandais des nouvelles de mes manuscrits, on me répondait ça tourne ou un ils tournent là où autrefois on aurait dit qu’ils étaient en lecture …

Mais cette réponse n’aurait pas été adéquate car en fait il s’agit là de manipuler les textes comme une masse de manœuvre dont on n’a pas nécessairement l’intention de faire quoi que ce soit de précis et qui constitue une sorte de réserve dont on pourrait avoir plus tard l’utilité, sans plus… L’expression ça tourne servant alors à faire écran et à laisser croire que tout cela fonctionne normalement alors que ce n’est pas le cas.

Le terme a resurgi hier chez les Collègues s’interrogeant d’un Tu tournes à combien concernant l’assiduité et signifiant Quelle est ton nombre d’élèves moyen ? L’expression renvoyant alors à une sorte de moteur de machinerie qui fonctionnerait sur le mode du ça va. Peut être l’équivalent du RAS (Rien à signaler) du temps de la guerre d’Algérie.


5 Mai 1997

Guy Sorman à France Culture : L’émergence du terme Le périmètre de l’Etat!


12 Mai 1997

Lumineuse évidence : Les objets vivants ce sont les esclaves.


22 Mai 1997

Dans la rubrique Aujourd’hui la langue de bois surgissement du terme précadavres pour désigner les réfugiés agonisants de l’Est du Zaïre…. Il s’agit par ailleurs de réduire le nombre des fonctionnaires par la fonte naturelle des effectifs c'est-à-dire la mise à la retraite ou la mort…

J’ai lu dans le Journal de Tchoukovsky que dans les années vingt les Bolchéviks disaient A plus tard ! là où normalement on aurait dû dire Au revoir !... Je comprends cela comme le signe qu’on était sûr qu’on allait se revoir parce que la cause était commune et les liens virtuellement totalitaires alors qu’au revoir indique simplement un espoir et un souhait. On pourrait aller jusqu’à dire que au revoir est la parole d’un individu, là où à plus tard est le signe de ralliement d’un fragment d’un ensemble totalitaire vis-à-vis des autres considérés comme un tout.

Dans cet ordre d’idées, on est obligé de conclure que ce que nos petits camarades d’aujourd’hui emploient habituellement le fameux A plus ! est un signe non seulement de soudure, de connivence et d’affirmation d’appartenance au même tissu totalitaire mais encore de surcroit de complicité dans l’accumulation. Ce A plus de mauvais augure, obscène au sens étymologique est à prendre au pied de la lettre comme un projet, une décision, un signe de collusion pour chercher à avoir plus.

C’est à rapprocher du fameux Bonne journée qui se dit également là où on devrait entendre bonjour ou bonsoir mais qui est une absurdité car journée signifie collecte récolte au sens de la journée d’un ouvrier à savoir le produit de son travail. Bonne journée signifiant alors bonne collecte, bonne récolte, bon pillage… C’est en effet bien l’économie de jungle dans laquelle nous sommes installés.

Initier signifie aujourd’hui avoir l’initiative et non plus dans l’expression être initié(e) acquérir de nouveaux savoirs ou techniques, avec une connotation sacrée. C’est donc un véritable changement de sens. De son côté, Alain Minc emploie basculer dans le sens de ne pas réélire… ce qui va bien avec l’étymologie déjà évoquée.


24 Mai 1997

La RATP en offrant une rose à chacune des mille premières femmes qui entrent dans le métro a décidé de commémorer la Fête des Mères … doit-on en déduire qu’elle a disparu?


18 Juin 1997

L’évolution de la langue se poursuit… Certains de nos compatriotes en difficulté dans une boucherie du Congo-Brazza ont bénéficié d’une extraction (grâce à nos troupes d’élite). Concernant l’ambiance anti française qui règne dans le pays, une personnalité locale se veut rassurante en assurant qu’il n’est question que de stériliser la communauté française…

Par contre des pédophiles ramassés dans une opération d’envergure, ont été qualifiés de cibles tandis que leurs victimes qui ont tourné dans les films à destination de la Justice, ont été qualifiés de figurants.


22 Juin 1997

Concernant la différence entre zone et espace, il semble que les zones aient vocation à être privatisées, tandis que les espaces font fonction d’ensembles publics… Site nommant un endroit dans lequel on peut prélever des ressources tandis que le centre est un lieu de gestion de la matière humaine…

L’obésité étant désormais considérée comme un fléau, l’expression masse corporelle remplace le terme corps et le place tout de suite sous contrôle médical… Mutation bien dans l’air du temps puisque nous le présentant justement comme un objet extérieur générant ce type de phrases Faites du bien à votre corps … Votre corps et vous… Sans compter un article technique, médical et juridique que j’ai refusé de lire en raison de son titre Les utilisations du corps après la mort


18 Novembre 1997

Jacques Julliard explicite les élites comme les dirigeants ... et on entend dire qu’il y a un projet de donner une formation à vingt cinq pour cent des chômeurs … Que faut-il comprendre au sujet des autres ?…


24 Novembre 1997

L’expression Premier mariage est en train de s’imposer, entraînant dans son sillage l’idée que d’autres suivront…. Cela dans la même série que les familles monoparentales le tout s’acheminant vers une relative polygamie amorcée par la répudiation qu’instaurait en fait la nouvelle pratique du divorce automatique après quelques années de fin de l’habitat commun … dernière étape avant même la disparition du juge … protection de la victime éventuelle.

Ajoutons le Contrat d’Union Civile pour les homosexuels et comprenons qu’il n’y a plus d’institutions protégeant les femmes. Les monades nomades n’ont plus d’autres lois que le désir masculin …


25 Novembre 1997

Un agent de sécurité nous explique que la règle est qu’un malade doit être conditionné en trente minutes maximum, ce terme signifiant en fait qu’il doit dans ce laps de temps, être installé dans un hôpital… dans lesquels par ailleurs les salles de réveil sont devenues post-interventionnelles … On n’est d’ailleurs pas obligé non plus de s’y réveiller effectivement …


3 Mars 1998

A la papeterie du quartier, un grand calicot dans la vitrine annonce des Produits informatiques … La moitié de la vitrine est occupée par des rames de papier entassées.


20 Mai 1998

Extension brutale du mot Laboratoire employé dans le sens d’un fonctionnement social nouveau. Appliqué par exemple à la distinction nouvelle entre les cadres encadrants et les cadres à statut…. Cette expression étant désormais considérée comme négative. On considère également comme laboratoire avant généralisation, cette pratique des trente cinq heures hebdomadaires accompagnées d’une réduction des salaires et du dégrèvement de charges pour les patrons qui embauchent.

Émergence également de la notion de Paquets concernant un ensemble de règles ou de normes dont on ne connaît exactement ni le contenu ni les procédures de décision. L’opacité en est l’élément dominant ainsi que le caractère inéluctable de l’application.

Surgissement également de l’expression Termes de référence imposant dans un contrat une problématique donnée, signifiant concernant les affaires internationales jusqu’aux termes à utiliser, en tant que normes de techniques intellectuelles. Dans cette perspective, cette notion est à rapprocher du référentiel de l’Education Nationale.

Ce terme nous a en effet été imposé à la place du programme habituel, le référentiel étant alors non seulement la liste des sujets à traiter mais des contenus à transmettre impérativement. Cette fermeture grâce à la fusion de deux idées différentes rappelle les référents des procès staliniens. Lesquels étaient - comme chacun le sait - les inquisiteurs chargés de faire avouer les prisonniers…

Quant aux élèves, dès qu’on leur demande quelque chose, ils emploient de plus en plus souvent la formule Pourquoi vous m’agressez ? la notion d’agression signifiant dans cette affaire la tentative d’entrer en contact avec eux et partant, de crever la bulle autarcique.


9 Juillet 1998

A la Télévision l’expression de gens déchirés signifiant en mauvais état…

La pensée continentale s’opposant à celle de l’Amérique


15 Juillet 98

Centre d’internement de Drancy, remplace camp … le même mot centre pouvant également s’appliquer à centre hospitalier, culturel, d’examen... Tout cela sur le même plan, ce qui n’est pas le cas pour l’expression camp qui se connecte ensuite à de concentration.


24 août 98

Le marché actions remplace Le marché des actions cassant un lien de plus !


6 septembre 98

Dans la même disparition générale des articulations Un bulletin alerte pluie…

Quant au quasi unique sujet de la Télévision La mort que je considérais jusque là comme le résultat d’actions individuelles inconscientes, il m’apparaît aujourd’hui beaucoup plus structuré dans le genre ceux qui attachent de l’importance à la mort sont des archaïques car elle n’en a aucune …

C’est tout juste si on ne dit pas qu’il faut faire intervenir un ethnologue pour expliquer les étranges comportements de cette tribu primitive. Je sens que tout cela est préparatoire au Grand Massacre qui d’ailleurs tout autour de la Méditerranéen a déjà commencé. On voit dans les magazines des mannequins jouant les morts… On tombe du côté vers lequel on penchait…


29 octobre 98

A la Radio, on entend parler de la moelle épinière dans les abattoirs comme d’un matériau.


3 Mars 1999

Le terme nouvellement à la mode est substantiel. Apparu il y a un mois à propos du projet occidental pour le Kosovo pour lequel on demandait une autonomie substantielle il a à partir de là essaimé dans le reste de la langue. Il signifie seulement réel, laissant penser que le reste est un simulacre.


30 Mars 1999

Après les sujets qui fâchent pour parler de ce qui peut être un thème de conflit de classes sociales ou de guerre, on voit apparaître les dégâts collatéraux pour nommer les morts civils qui ont eu le malheur d’être à côté des frappes chirurgicales qu’on avait d’ailleurs inaugurées à propos de la Guerre du Golfe.


25 Mai 1999

Petit signifie désormais individuel et grand, collectif lorsqu’il s’agit de changer l’ordre établi.


13 Juin 1999

Recadrer UCK signifie désarmer les Albanais.

Je réalise avec horreur que les élèves de mon Lycée n’auront sans doute jamais entendu le mot bibliothèque.


29 Juin 1999

Au Lycée de Courbevoie, les notes étant particulièrement basses en dépit du barème déjà clément du Baccalauréat, j’ai eu la surprise de voir surgir l’expression Appliquer la TVA. On est dans la droite ligne sémantique de la Corvée de bois de la Guerre d’Algérie. Laquelle je le rappelle pour les plus jeunes, signifiait l’abattage sommaire des prisonniers … à quelques encablures du poste …


Eté 1999

Apparition de la notion de traçabilité, concernant la nourriture empoisonnée. Pour signifier que contrairement à l’habitude, on peut dans ce cas de figure établir un lien. Quant à compliqué, cela indique qu’on en débattra pas et voir même qu’on n’en parlera pas du tout.


Septembre 99

Votre session d’informations est terminée … Quant aux Ils, il s’est imposé partout, même lorsqu’il s’agit de femmes.




Mis au propre et élagué fin 2012. Le carnet manuscrit comme tous les autres de cette catégorie été détruit.



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Mise à jour : juillet 2019