Jeanne
Hyvrard
Sommes-nous
bien loin de Montmartre ? *
(Version WEB)
Autographie
de la vie française
1981-2000
Pour la Librairie Jonas 14 Rue Maison Blanche 75013 Paris, victime d’un
attentat :
Cocktail Molotov
Plastic
Les librairies sautent
Une à une
Encre Noire
Millefeuilles
Phénix
Et quelle autre encore
Pseudonyme anonyme
Puisqu’il est nom de femmes
sans nom
Jonas maintenant
Jonas la vingt-troisième du
nombre
Et quelle autre encore
Dont le nom n’est pas venu
jusqu’ici
Faute de mot
Faute de temps
Faute d’espoir
Les librairies brûlent
Fahrenheit 451
Que dit cet homme qui croit au
roman
Que dit cet homme qui croit
encore à la fiction
Que dit cet homme qui veut
croire que c’est seulement un film
Et que les lumières vont se
rallumer
Sur les spectateurs criant
bravo
A l’abri des fauteuils rouges
Jonas
La librairie autodafé
La librairie bûcher
La libraire brasier de lumière
noire
Pour que tout mot
Tout texte
Toute parole
Se fonde en un fagot unique pour
que se taise toute voix
Se consume en une braise unique
pour que cesse toute clarté
S’éteigne en une cendre unique
pour que meure toute vie
Fahrenheit 451 la chair des
livres calcinés au crématoire de la pensée
Mais les lumières ne se sont
pas rallumées
Les spectateurs n’ont pas crié
bravo
Ils sont là dans la rue
Au milieu des gravats
Des meubles cassés
Des verres brisés
Ils sont là debout au milieu du
passage
En proie au redressement
J’ai proposé ce texte aux Nouvelles Littéraires, sans succès.
C’est déjà
pénible d’avoir honte de son pays, sans en plus, avoir honte de soi.
Fureur de voir que
non seulement le prix des gâteaux augmente mais qu’en plus, leur taille
diminue. Il devient presque ridicule de n’en acheter qu’un.
Placet à l’héritier du Roi, pour obtenir la
grâce des condamnés à mort à l’occasion des Fêtes de Pâques de l’an 1981
A cette femme qui demandait
l’abolition de la mort
Il fût répondu
Que Messieurs les assassins
commencent
Oui qu’ils commencent
Et qu’il nous soit donné de
leur redonner la vie
Puisqu’ils ont pris sur eux le
fardeau du meurtre
Nous prendrons sur nous le
fardeau de dire
Ils sont avec nous dans la même
espèce
Car celui qui Jeudi partagera
avec les murs
Le pain qu’il n’a pas eu et le
vin de l’amertume
Ne dira pas à ces gardiens
Prenez et mangez faites ceci en
mémoire de moi
Car ils n’auront cesse de
l’oublier
Comme le remords le plus
profond de l’échec de tous
L’échec du meurtrier d’avoir
commis le meurtre
Et l’échec des autres de
n’avoir su l’empêcher
Celui qui Jeudi vieillira seul
dans sa cellule
N’aura avec lui ni Pierre ni
Jean
Ils dormiront trop fatigués
qu’ils sont
Pour écouter plus fatigués
qu’eux-mêmes
Il n’écrira pas à sa mère lui
désignant son ami
Femme voilà ton fils
Car de mère il n’en a point eu
Autre qu’assistance et
nourrices
Et d’amis il n’en a pas gardés
Faute d’avoir été aimé
Celui qui Jeudi ne dormira pas
Entre révolte et consentement
Atteindra Vendredi le terme du
voyage
Parce que la foule aura crié A
mort
Et que celui qui avait le
pouvoir de gracier
A préféré rejoindre le
meurtrier dans le meurtre
Et pourtant la foule
Elle le gracie
Que son sang retombe sur nous
et nos enfants
Car celui qui est derrière les
barreaux nous ressemble
Et que sa mort assouvit la rancœur
Celui qui Vendredi va mourir
Ne portera pas sa croix
Parce que celui qui avait le
pouvoir de le faire mourir
N’a pas jugé ce pouvoir
abominable
Au point de refuser d’en user
Préférant perdre pour lui-même
ses racines
Et tout ce qui le liant à la terre
Le nourrit et l’agrandit
Celui qui Vendredi va mourir
Ne verra pas les deux larrons
dans la cour de la prison
Il ne les entendra pas dire
Nous nous avons la récompense
de nos actes mais lui il est innocent
Car il n’est pas innocent
Et ils détourneront les yeux
Parce que celui qui possédait
le pouvoir de faire vivre
N’a pas voulu tenter ce petit
miracle
Miraculeux d’être un miracle
d’homme
Celui qui Vendredi va mourir
N’aura pas le temps de dire
Mon Dieu, Mon Dieu
pourquoi m’as tu abandonné
Car il sera basculé sur une
planche
Mains liées
Cheveux coupés
Chemise ouverte
Parce que le Prince n’aura pas
osé dire
Vous réclamez sa mort,
mais moi, je veux qu’il vive
Pour qu’il n’y ait pas deux
morts, là où il y aurait pu n’y en avoir qu’un seul
Celui qui vendredi va mourir
Ne fera pas la nuit sur la
terre
La vie continuera comme si de
rien n’était
La foule exultera criant
Justice est faite
Celui là au moins ne tuera
plus
Et le Prince dans son palais
N’entendra pas siffler les
pierres
Parce que tenant le pouvoir de
la foule
Le pouvoir d’être plus fort que
la mort
Il n’a pas jugé bon de rendre
grâce au jour
Celui qui Samedi va refroidir
la tête séparée du corps
Ne sera pas pleuré par les
victimes tendres qu’il a tuées
Il pourrira convulsé sous les
crachats et l’insulte
Il ne trouvera pas la paix
Parce qu’ayant commis
l’intolérable
Il ne lui aura pas été donné de
recommencer autrement
Celui qui Dimanche ne va pas
ressusciter
Mourra désespéré de n’avoir pu
croire à la bonté des hommes
Car il sera mort parce que le
Prince ayant affamé le peuple
N’avait plus à lui jeter en
pâture
Que la tête pâle d’un condamné
Que Messieurs les Assassins
commencent
Oui qu’ils commencent
Et qu’il nous soit donné de
dire
Qu’ils sont toujours avec nous.
NB. Envoyé pour
publication au Monde et au Matin. Sans succès.
Stupéfaction de
cette guerre qui se noue : Voir les fronts s’ouvrir, l’Afghanistan, La
Pologne, La Syrie, entendre la propagande éhontée pousser la population à la militarisation
à outrance, et à l’idéologie la plus réactionnaire. Stupéfaction de voir
fonctionner des manipulations vieilles comme le monde et ne pas savoir comment
s’opposer à tout cela. Comme on comprend comment il a été facile à la
génération précédente de passer à côté de la Guerre d’Espagne, du Nazisme et de
la Collaboration.
L’action à mener
consiste à obtenir de notre gouvernement la rupture des relations commerciales
et techniques avec la Pologne, au cas de son invasion par l’URSS. Il y a
urgence de se mobiliser en faveur d’une Europe indépendante, sans pour autant
savoir comment faire pour y parvenir. Comme si tout était suspendu aux
Elections Présidentielles en France d’abord et à l’invasion de la Pologne par
l’URSS ensuite. Comme si tout était en place pour une nouvelle tragédie que
personne ne peut pour autant empêcher. La nécessité pourtant de croire qu’elle
peut l’être et de tout faire pour qu’elle le soit.
Leçon de désespoir
en entendant Marie-France Garaud dire : Il
n’y a que deux moteurs à l’activité humaine, l’intérêt et la contrainte.
Chagrin de constater l’entreprise de décervelage de la Télévision et la banalisation de l’horreur. Notamment cette tentative de faire apparaître la guerre comme finalement un bon moment. Bientôt 39-45 ne sera plus que le répertoire de ses chanteurs...
L’énervement de
cette campagne électorale durant laquelle la Droite ne parle que de guerre et
d’armement et la Gauche si peu du changement de la vie. L’angoisse augmente au
fur et à mesure que l’échéance se rapproche. L’image qui me revient sans cesse
est celle d’une fissure dans laquelle s’enfilerait une eau noirâtre.
J’ai la crainte de
ne pas pouvoir jouer avec ma partenaire la pièce de café-théâtre Le Con métaphysique que j’ai écrite cet
hiver, pour des raisons de censure et/ou de risque de bagarre physique. J’ai de
surcroît la crainte de perdre mon emploi d’enseignante au Lycée Technique,
celle de voir mes conditions de travail s’aggraver, de voir mon niveau de vie
baisser, et qu’en fin de compte ma progéniture ne puisse pas faire d’études.
Mais j’éprouve aussi l’excitation de savoir enfin ce que les gens valent
vraiment dans mon entourage et y compris moi même car je suis lasse de ces
prétendus gens de Gauche qui bien souvent me paraissent vivre à Droite.
Aux Galeries
Lafayette, en essayant de la lingerie, le bonheur d’entendre les vendeuses
espérer dans la réduction du temps de travail aux trente cinq heures
hebdomadaires sans oser vraiment y croire.
Le chagrin du temps
qui couve dans ce retour à l’ordre dans tous les domaines. Aujourd’hui dans le
costume. Le retour des gaines, des talons hauts, des ensembles stricts quand
ils ne sont pas kaki ou de cette forme informe que je ne sais pas comment
nommer, disco ou quoi d’autre, une sorte d’apologie du rien. Des vêtements qui
n’ont pour eux ni la coupe, ni le tissu, ni la forme, ni même la couleur. Une
tristesse de vêtements pisseux. Toute la débilité de l’Amérique sans son
génie...
Enervement accru à
l’approche des Elections Présidentielles. Partout on ne parle plus que de cela.
Aujourd’hui il n’y a pas eu moyen d’entrer dans une boutique, sans que la
question soit sur le tapis.
Paix quand même,
paix aujourd’hui ! Le bonheur de ce bureau de vote où défile un peuple.
Beauté du suffrage universel. Conquête de plusieurs siècles. Superposition des
images de l’Amérique Latine et de l’Afrique. Décidément l’Europe est un
jardin ! Mais en fait, c’est seulement en écrivant ces lignes que je me
rends compte que le suffrage n’est pas si universel que cela. Il y manque
décidément celui des Immigrés. Satisfaction minable d’avoir mes papiers en
règle. Une pensée pour tous les clandestins lorsqu’ils présentent les
faux !...
Dimanche aussi,
profanation d’un cimetière juif. Terrifiante inscription : Nuremberg, bientôt la revanche !....
Dimanche soir :
L’étonnement du résultat du premier tour des Elections Présidentielles.
François Mitterrand fait vingt six pour cent. Les journalistes ont la tête déconfite.
Fascination de
Georges Marchais à la tête du Parti Communiste disant Je n’ai jamais changé…. J’ai
toujours dit… et disant exactement
l’inverse de ce qu’il disait huit jours auparavant. De toute façon, la
situation est la meilleure qu’on puisse espérer. Je pense cette fois qu’on va
gagner.
Pour Mille cinq
cents francs de provisions à Euromarché
afin de commencer les préparatifs de la fête du 10 Mai qui aura lieu chez nous et
d’avoir de quoi faire face aux provocations qui risquent de se produire le
Premier Mai. Commande du dessert pour Dimanche, chez le boulanger.
Bobby Sands -
patriote irlandais - s’est laissé mourir de faim. C’est odieux et
absurde ! Grandeur pourtant de cette dignité qui seule, reste aux
Opprimés.
L’énervement
augmente en attendant les résultats de Dimanche. De mon côté, je me réjouis
d’avance en me disant qu’il sera toujours bien temps de pleurer Lundi. En fait,
si François Mitterrand n’est pas élu, j’espère qu’il y aura la Grève Générale
car je me vois mal continuer comme cela.
L’énervement est à
son comble. La moitié des gens croyant qu’il va passer, dont moi et l’autre
moitié alternant entre les hauts et les bas dont mon voisin et la marchande de
journaux… Naturellement je parle des gens que je connais ! Par ailleurs la
ville entière ne discute que de cela. On ne peut pas entrer dans un lieu public
ou rencontrer quelqu’un, sans que ce soit le sujet !
L’étonnement
finalement que cette campagne se soit déroulée sans que ce qu’on appelle les affaires
ne viennent en débat. C’est peut être à cela qu’il faut juger le peu de
démocratie de la France. La découverte aussi que finalement une partie de mon espérance
n’est pas à attribuer à des questions politiques. Mais que l’attraction
éprouvée envers François Mitterrand est aussi affective. Comme s’il y avait
enfin un Président que je puisse aimer. A cause de son éloquence d’abord - et
j’y tiens - mais aussi parce qu’il parle des oiseaux et des chemins.
Un livre, une
vie, un gué, un point de passage obligé, une convergence, un sommet, une
nécessité. Tous les amis étaient là avec leurs enfants. Et j’avais préparé le
verre de chacun avec une étiquette collée qui le décrivait. On a été violemment
heureux, comme l’avait annoncé le bateleur du Parvis Beaubourg, John L’Indien.
Cette journée qui n’en finissait pas.
L’attente meublée infiniment par l’épluchage des petits légumes, cette soirée
arabe par son hospitalité sans limite, mes achats excessifs commencés dix jours
auparavant, cette masse d’argent dépensée sans compter, cette vaisselle toute
entière offerte et j’en avais même rachetée pour la circonstance notamment un
plat rond exceptionnellement grand. J’avais tout sorti, les couis, les calebasses, les plats
tunisiens, tout le flamboiement de nôtre, de ma vie. Et par dessus tout, le
gâteau commandé pour cette occasion si particulière et sur lequel j’avais fait
inscrire au sucre glacé L’égalité ou
la mort !
Quelques minutes
avant le Journal de Vingt Heures, les invités debout devant la Télévision qu’on
avait pour l’occasion hissée sur le haut de l’armoire créole. Cette angoisse.
Cette ambiance de bistrot. Ce Soixante Huit moissonnant. Le parfait bonheur de
la conjonction de l’affectivité, du politique et de l’univers familier. Et
jusqu’au Tiers Monde qui était là, omniprésent par ses objets…
L’image est apparue
progressivement sur l’écran. D’abord le front et l’équivoque demeurée un moment
encore. Les yeux enfin et là il n’y a plus de doute possible. Le hurlement de
joie de tous ces gens qui étaient là. L’embrassement, la beauté, la chaleur, la
générosité coulant à flots…. Bonheur plus fort encore que celui que j’ai
éprouvé le Premier Mai avec mon masque de théâtre sur le parvis Beaubourg, ou
en dansant dans la rue du Renard…
Aussi fort qu’en Mai
68, l’explosion de la joie… et la soirée domestique écourtée pour sortir dans
la rue pour que notre bonheur soit plus fort encore… Et dehors, il l’était. Les
cris, les chants, les danses, les drapeaux, les farandoles, les baisers même
avec un inconnu et sur la bouche, le corps en délire au comble de l’explosion.
L’orgasme politique ! Et si le mot existe, pourquoi pas la chose ?
Cette nuit du 10
Mai, Place de la Bastille, cette farandole de mes amis, le drapeau brandi que
j’avais préparé/cousu pour l’occasion, drapeau noir portant en tissu à fleurs
le sigle féminin, et le slogan Nous
avons assez pleuré avec au revers la doublure blanche marquée en lettres
majuscules EGALITE ! La hampe était constituée d’un manche à balai que
j’avais passé à une peinture dorée qui a laissé sa marque sur ceux qui l’ont
porté… Ce drapeau sorti pour la première fois hors de la voiture
décapotée !
L’orage, l’orage
étonnant, l’orage ne changeant pourtant rien à la liesse. Ces cris animaux
venus du fond des corps. Ma partenaire théâtrale et moi même menant la danse et
les autres suivant nos bras ouverts. Cette soirée, chez nous et dans la rue,
une UTOPIE ! Une utopie en action !
La fatigue cuvée au
milieu des restes des victuailles trois fois trop nombreuses et des bouteilles
elles aussi en trop grand nombre. Une après-midi de chagrin car on entend déjà
la bourgeoisie libérale marquer les limites à ne pas dépasser alors même
qu’elle a elle-même voté pour François Mitterrand. J’ai planté une rose dans
mon chignon et m’en suis allée me promener par la ville…
Profonde
satisfaction de constater le tournant pris par les médias se mettant à cirer
les bottes de la Gauche avec la même servilité excessive que le pouvoir
précédent. Tel cacique socialiste posant la main sur l’épaule du présentateur
de la Télévision, dans un geste animal de possession.
Je suis obsédée par
cette phrase du Ministre de l’Intérieur nicaraguayen (Monsieur Georges ?)
disant à l’arrivée au pouvoir des guérilleros Notre vengeance sera le pardon alors même que sa femme avait été
tuée par les Fascistes. Ou bien dans L’Hernani
de Victor Hugo, lorsque Don Carlos qui vient d’accéder à la dignité impériale
demande conseil à Charlemagne dans son tombeau : Par quoi faut-il que je commence et que celui ci lui répond Mon fils, par la clémence ! Je souhaite profondément que tous ces présentateurs
ne soient pas licenciés, même si c’est une erreur politique car sinon à quoi
servirait il de gagner le pouvoir, si ce n’est pas pour faire mieux que la
Droite ?
La masse des
victuailles dont on ne vient pas à bout, ni non plus de la vaisselle. Symbole
du flottement. On s’étonne que tout se passe bien et de ce qu’on entend dire à
la Télévision. Des incongruités qui ont nom réduction du temps de travail et
nationalisations. La Bourse a baissé de 20% ce qui me paraît énorme.
Au Lycée
l’ambiance est un peu morne, en dépit du champagne qu’on boit presque par
devoir… Je propose sans succès qu’on rédige des Cahiers sur l’état réel de l’Enseignement ! Manifestement
personne n’a l’intention de faire quoi que ce soit dans le sens du changement.
Personne ne croit non plus à un danger de coup d’état fasciste. Cette fois
c’est sûr, le Corps Enseignant est un corps complètement mort, incapable de
quoi que ce soit, dans quelque sens que ce soit. Il me semble que le Ministère
de l’Equipement dans lequel travaille mon voisin est tout de même plus
dynamique.
Il reste encore
des victuailles qu’on ne parvient pas à finir et qu’il faut jeter parce
qu’elles sont pourries. Je suis sidérée de la disproportion entre ce que
j’avais prévu et ce qui a été absorbé ! J’en termine enfin avec la vaisselle
mais les bouteilles sont toujours sur le bureau…
La Bête relève la
tête : Dans la presse, l’affaire de l’Express
qui se restructure efficacement ou l’accord électoral signé entre les partis de
Droite, comme si la paix des deux jours précédents n’était pas à attribuer au
caractère démocratique des Français permettant une alternance sans heurts mais
qu’elle était plutôt à attribuer à un effet de choc, tout le monde étant groggy
et fonctionnant mécaniquement le temps de reprendre ses esprits. Je suis par ailleurs
étonnée de la focalisation de la haine sur les speakers de la Télévision. Je ne
la partage pas. Mon voisin dit qu’elle est due à l’impuissance des gens devant
ce qu’elle débite.
Légère mise en
mouvement au Lycée pour la rédaction d’un cahier demandé par le SGEN. Le
changement le plus notable - professionnellement parlant - réside dans le
renversement complet de la perspective. Depuis douze ans que j’enseigne, j’ai
toujours tenu un discours témoignage d’une autre parole que celle des
Dominants. Mon souci essentiel a toujours été de maintenir vivante cette
critique comme un trésor qu’il fallait absolument transmettre aux générations
suivantes alors que l’orthodoxie tentait de la faire disparaître et à un
certain moment y était presque parvenu. Le changement de Président de la
République rend brutalement caduc cet état de choses. De simples témoins, nous
sommes devenus gouvernementaux avec une responsabilité accrue. Je constate que
pour moi, ce qui change, c’est une exigence accrue de sérieux.
Au Lycée Jules Siegfried Paris dixième, la réunion prévue s’est tenue entre trois et cinq Collègues. La revendication qui a émergé est celle d’une Réforme de l’Orthographe. Il appert qu’il s’agirait donc d’une Révolution Culturelle car l’orthographe fait référence à un passé de l’Humanité qui ne les intéresse plus. Il resterait donc à débattre sur le fond de ce que peut une culture qui ne veut pas se souvenir ?
Pour le reste, si les Collègues veulent bien à la rigueur écrire leurs doléances, ils ne sont absolument pas prêts à la rédaction d’un état réel des lieux. Il est impossible de leur faire dire en public à plusieurs - dans un cadre socio politique - ce qu’ils reconnaissent pourtant en particulier. A savoir le fourbi qu’est devenu notre vie professionnelle et le désespoir qu’elle engendre. Bref l’opération vérité que je souhaite n’a pas lieu.
Le monde enseignant ne semble pas disposé à changer. La formule de Jacques Chirac La France a voté pour un changement de politique et non pour un changement de société serait elle exacte ? L’école me paraît totalement morte et non réformable. Les Professeurs en sont même à renier Mai 68 qu’ils ont pourtant fait ! Je me demande si le malentendu n’est pas encore plus profond que je le pense.
Les retournements de veste sont stupéfiants, mais c’est quand même la Télévision qui a le pompon, pour son naturel à passer la brosse à reluire dans l’autre sens. Le simple fait d’entendre le mot Droite employé à la Télévision, crée une drôle d’impression, celle d’entendre une vague de mots grossiers après une période de bonne éducation.
Encore un
acquittement scandaleux pour un policier qui a assassiné un Algérien. Espérons
que cette justice inique a rendu là, sa dernière injustice.
Journée
inaugurale. J’ai bien envie d’aller voir François Mitterrand aux Champs Elysées
mais je crains à cause de ma fatigue de ne plus pouvoir ensuite aller comme
prévu au Quartier Latin. Le dilemme est donc entre voir et participer. Mon
tempérament artistique me pousserait à me fabriquer une coiffure et un masque
spéciaux pour la circonstance mais je n’en ai pas vraiment le temps.
L’émotion ! Y
croire enfin, le voir dans un cadre où cela devient crédible et cela par la
médiation des symboles. Sans doute le reste de la ferveur sacrée qu’on pouvait
éprouver lors et pour l’avènement des rois. La mise en jeu de tous les
archaïsmes dans le rituel de l’intronisation permettant la sacralisation. Quel
code pour permettre la projection que le peuple fait sur le Roi et organiser sa
prise en charge ?
Déjà dans les
médias, dans les temps précédents, la mise à jour d’une légitimité, celle de la
Résistance et des Lettres. Jamais la France ne m’est apparue à ce point, coupée
en deux avec chacune son prétendant au trône. Il ne me semble pas qu’il faille
voir en François Mitterrand, le défenseur de la République, mais plutôt une
évolution vers la guerre civile, cette plaie permanente de la France agitée
depuis toujours de deux factions résolument ennemies. Comme s’il n’y avait pas
de désir de restaurer la République mais qu’il s’agissait de mettre en place un
autre chef, celui là aimé du peuple et incarnant la mémoire tout en conservant
la structure de la personnalisation.
Le prédécesseur de
l’actuel Président, Giscard d’Estaing était lui un amateur de chasse, et la
place qu’on avait faite à sa passion confinait au mythe. De son coté Mitterrand
préfère les tombeaux. Excessivement me semble-t-il. Dès la soirée de son
élection le 10 Mai, son premier discours a stupéfait lorsqu’il a dit Je rends hommage aux Morts dont je tiens le
simple amour de la patrie ! Je ne garantie pas le mot à mot du texte
mais l’idée. Ou bien Je rends hommage aux
miens ! Le lendemain, il s’est rendu sur la tombe de ses Parents et le
jour de l’intronisation, non seulement aux Champs-Elysées comme c’est la
coutume mais au Panthéon, lieu s’il en est, de bizarre déification de la mort.
Le soir, à la
cérémonie du Quartier Latin, je ne vois rien car je suis mal placée par
ignorance du trajet officiel. Mais cela n’a aucune importance, car ce qui se
passe ne se tient pas là. Il s’agit plutôt d’une réoccupation de la rue,
mémoire de Mai 68, dont le Régime nous avait chassés. L’essentiel est de
l’occuper à nouveau, un genre de grève sur le tas de la vie sociale, avec
occupation des locaux !
D’ailleurs, une fois
la cérémonie passée, les gens vont et viennent sur le Boulevard Saint Michel et
dans la Rue Soufflot. Cela tient de la manifestation, de la passagiata à l’italienne et du happening
artistique. Cela ne ressemble à rien de ce qu’on a déjà vu. Ce n’est plus
l’explosion de joie furieuse avec les cris qui avaient eu lieu lors de la
soirée du 10 Mai Place de la Bastille, mais ce n’est pas non plus Mai 68 car il
n’y a ni violence, ni prise de parole, ni slogans. Juste quelques signes
étonnants comme cette foule hirsute, barbue et encore un peu désordonnée qui
brandit ensemble le poing et les oriflammes tricolores en chantant la
Marseillaise qui a cessé, comme le drapeau national, d’être honteuse. On retombe
dans la symbolique du tableau de Delacroix, avec la République au sein nu et au
bonnet phrygien.
Je suis étonnée du
bouleversement des signes. La nouveauté me paraît être la danse. Si Mai 68
avait été la reprise de la parole, 81 me semble la reconquête du corps par les
cris et le mouvement, dans une ambiance évoquant les pays sous développés dans
l’esprit du carnaval. Une sorte de symbiose des cultures. Tout cela d’ailleurs
n’a pas ressurgi brutalement mais a été réintroduit petit à petit par le
Mouvement des Femmes depuis une dizaine d’années.
En ce qui me
concerne, j’ai dansé sur le Boulevard à visage découvert avec une couronne de
lauriers dorés que j’avais tressé avec des roses et quelqu’un a crié « Thalie » ! Bonheur, bonheur de
cette danse folle sur le Boulevard, la musique, la danse, le costume, le
politique, tout prenant en masse dans une sorte de révolution/retrouvailles
avec le temps des processions. C’est l’éclatement du grand bonheur !
Je n’ai jamais été
autant photographiée, et je n’en ai plus peur ! En ce Mai 1981, tout ce
qui m’importe se trouve réuni : Le théâtre, le sacré, le social, le
politique, l’affectif aussi. C’est enfin la réunion de tout ce qui a été
séparé ! J’ai vu passé deux fous qui portaient des parapluies cassés qui
ne les abritaient pas de la pluie ! On peut s’interroger sur la
limite entre l’Art et la Folie. L’Art a il lieu lorsque les signes culturels
sont reconnus par l’époque et la folie lorsqu’elle les ignore ?
Philippe Maurice, condamné
à mort, vient d’être gracié. Enfin un Président opposé à la peine capitale et
qui n’attend pas pour la mise en œuvre !… Jetons La Veuve au ravin, que
les bois de justice pourrissent, et qu’ils retournent aux ordures !
« Je lui ai dit : embrasse tout le
monde ! Je ne pensais plus que
j’avais affaire à un Ministre ». Ainsi s’exprime Amélie Kerloch, Maire
de Plogoff après qu’on lui ait annoncé l’abandon du projet de la construction
d’une centrale nucléaire sur sa commune. Projet qui avait été largement
contesté.
Un militant basque
n’est pas extradé. Rien que pour ces condamnés à mort graciés, rien que pour
les militants gardés, merci ! Comme si ces mesures là me suffisaient.
Pierre Mauroy
après les cinquante cinq pour cent de voix obtenues par son Parti Socialiste au
premier tour des Elections Législatives déclare L’espérance a force de loi !
N’y eut-il sous
la présidence de François Mitterrand que ce qui a déjà eu lieu, à savoir un
condamné à mort gracié, l’arrêt de l’extension du camp militaire du Larzac,
l’abandon des expulsions, des Ministres Communistes et Robert Badinter à la
Justice, cela suffirait à la justifier.
Aux Elections
Législatives, le Parti Socialiste a la majorité à lui tout seul mais il y a
quand même au Gouvernement, des Ministres Communistes.
Des rumeurs
circulent : Les ateliers de Rhône-Poulenc auraient été déménagés, machine
par machine pour vider de son contenu, la nationalisation. Un commencement
d’inquiétude se fait jour. Le Ministre Cheysson est d’accord pour livrer les
Basques réfugiés aux Espagnols. Quoi d’autre encore que je ne veux pas
entendre ? La haine viscérale des commerçants dont j’entends bien qu’ils
sont prêts à tout. On pense au Chili, c’est le savoir de l’intelligence et
contre ce savoir de l’intelligence, il y a l’espérance du cœur. D’autant plus
semble-t-il que les Russes pourraient renoncer à la Pologne, ce qui donnerait à
penser que les vieux schémas ne s’appliquent plus.
J’ai retrouvé un ami
connu à l’Université, je n’avais pas vu depuis dix ans. Nous avons repris la
conversation comme si nous l’avions interrompue la veille. J’ai eu le bonheur
de constater qu’il partageait mes analyses sur les sujets principaux qui me
préoccupent.
Il y a tout de même du
changement.
D’abord au Festival
d’Avignon, la Police était invisible sauf le jour de la visite de François
Mitterrand et cette fois là, elle était étonnamment courtoise. Nous avons même
pu, avec ma partenaire, jouer sur la place ma pièce alors même que le Président
de la République sortait du Palais des Papes et ce sans que les Policiers nous
chassent ! Rien que cela est le symbole du changement. Son discours sur
les forces de la création du 10 Mai n’était donc pas mensonger…
Changement aussi
concernant l’enquête de la tuerie d’Auriol. On est sidéré de voir le Chef du
Service d’Action Civique, incarcéré.
Changement aussi au
Ministère de l’Agriculture qui distingue désormais, les agriculteurs riches,
des pauvres en disant que les subventions ont été données aux riches et sans
qu’elles aient eu de l’effet sur l’orientation des productions.
Mariage du Prince
Charles, héritier de la Couronne d’Angleterre. C’est l’opéra dans la rue. Le
dernier degré avant la folie. Ainsi en est-il de cette famille régnante à
travers les siècles. Les landaus, les carrosses, les uniformes séchés sur pied.
Les roues tournent encore, mais pour combien de temps ? On entend déjà les
craquements.
Pathétique de cette
famille royale tentant comme elle le peut de maintenir une tradition qui croule
sous le poids des tempêtes. Grandeur de cette famille digne dans son malheur,
de ne pas se cacher la vérité de la fin d’une époque, mais coulant debout comme
un capitaine de bateau qui refuse de l’abandonner. Magie troublante de cette
famille support du sacré, continuant à le véhiculer envers et contre tous,
simplement parce que cette société là n’a pas encore trouvé à inventer une
autre forme de sacré.
Pathétique effort de
cette famille tendant de se conformer au rituel alors qu’elle crève d’angoisse
au milieu de la crise économique, des meurtres, des faubourgs en flammes et des
grévistes de la faim irlandais mourant les uns après les autres. Bientôt huit.
Pathétique leur cortège comme leurs regards à tous scrutent les façades des
immeubles qu’ils longent à la recherche des canons de fusils embusqués.
Pathétique la grandeur de la conjonction de cette angoisse et de leur sourire
de commande. Pathétique, la grandeur de ce sourire séculaire et de ces yeux se
demandant lequel d’entre eux, les balles allaient atteindre.
L’opéra plus fort
que la vie. Cette fois, la vie elle même plus forte encore que l’opéra.
Shakespeare de rouge et d’incarnat, dans la rue. Pathétique ce discours sur
l’amour, alors même qu’il s’agit d’un mariage arrangé. Pathétique cette lecture
de la Lettre aux Corinthiens : Quand
bien même j’aurais la foi qui déplace les montagnes, si je n’avais pas l’amour, je n’aurais rien. Pathétique
la grandeur de ce discours sans rapport avec la réalité de la situation, et
pourtant surréel parce qu’il parle de l’idéal du réel.
Pathétique le
discours de Léon Zitrone, le présentateur télévisuel patenté de ce genre de
cérémonie, tentant de faire croire au conte de fée, pourtant si manifestement
tragique et mensonger, comme s’il commentait la chute d’un homme jeté d’un
hélicoptère d’un Regardez comme c’est beau !
Tragédie, les
émeutes de la pauvreté et de l’exclusion. Tragédie l’Irlande et la Première
Ministre Madame Thatcher butée dans sa dureté. Ce problème qui nous tombe sur
les bras, au nom de l’Union Européenne qui se fait contre vents et marées.
Déchirement de cette tourmente, creuset d’Europe.
Déplaisir
d’entendre les Iraniens crier A mort
Mitterrand et A bas la France ! Khomeiny à la mémoire courte car
durant son exil, il a été autrefois accueilli à Neauphle-le-Château et il nous
réclame maintenant l’ancien Ministre Bani Sadr en fuite que nous accueillons à
son tour. Je m’inquiète de ne pas comprendre car leur comportement ne coïncide
pas avec ce que je crois savoir des autres cultures. Et de ne pas comprendre,
je suis désarmée…
La Droite relève
la tête. La Gauche s’impatiente. Je m’inquiète du manque de fermeté du
Gouvernement. Comment feront-ils face en cas d’agression?
Anouar El Saddate,
le Président égyptien a été assassiné. Paradoxe de cet homme qu’on n’avait pas
eu le temps d’aimer et dont on voyait chez soi, à la Télévision, la mort en
direct. Son éloge funèbre télévisé comme un nouveau genre des temps modernes.
Giscard pathétique, lançant un message comme s’il était encore Roi. Tragédie
shakespearienne des grands déchus qui n’ont pas la grandeur qu’on parfois les
petits.
Partout on
respire la haine et la peur et depuis quelques temps même des attentats par-ci
par-là, alors même qu’ils ne sont revendiqués par personne. La lecture de
certains journaux est irrespirable, les prix augmentent à vue d’œil, les
filiales de Paribas s’expatrient ouvertement, Guy de Rothschild accuse en
première page du Monde le
Gouvernement de le nationaliser, parce qu’il est juif. L’association Phénix qui a pour vocation d’aider les
suicidants a appelé la police pour faire expulser des accueillis
contestataires. La seule amélioration est celle de la Télévision. On n’en croit
ni ses yeux, ni ses oreilles….
A la Télévision,
au Journal de vingt heures, un reportage sur la vie dans une usine de femmes.
La déléguée du personnel explique on
était les immigrées de l’intérieur et dans ma fonction de déléguée, je m’étais souvent demandée si je
l’étais d’une entreprise ou d’un bordel ! J’exulte que tout cela soit
enfin dit publiquement. On a lutté depuis dix ans et ce n’est pas en vain. Ce
combat là sera-t-il spécifiquement celui de notre génération ? Regardant
avec moi la Télévision, mon voisin a l’air gêné.
Notre chat roux
est mort. Pour la mort, il n’y a pas de consolation. Rien d’autre que
l’endurcissement et le refoulement. Le désespoir de ma progéniture est
épouvantable et me fait vaciller dans les tréfonds.
Concernant ma
chronique hebdomadaire à Radio Paris, l’une des nouvelles radio libres,
elle n’est pour le moment qu’un témoignage subjectif et partial, une sorte de Dit du Capital, mais je sens bien que va
venir la question d’un engagement plus effectif. J’ai même l’idée d’aller dires
en public mes chroniques, sur fond d’orchestre africain, pour voir l’effet que
cela ferait. Mettre en quelque sorte mon talent d’éloquence littéraire au
service du changement social.
Je ne parviens
toujours pas à me faire une opinion concernant la question de l’armement, mais
j’en ai un peu assez de tous ces gens qui se contentent d’afficher l’attitude
de principe du contre la guerre sans
jamais s’engager sur les moyens de l’empêcher. Les questions m’apparaissent
moins simples que lorsque j’avais vingt ans, suis-je en train d’évoluer vers la
Droite ? Schéma classique du vieillissement et de la progression sociale.
Gangrène de
l’inflation. Chaque achat est un étonnement. Des luttes se nouent un peu
partout dans la société. Quant aux Collègues du Lycée, ils demandent une
aggravation du Règlement Intérieur….
L’atmosphère sociale
se durcit. La Droite manifeste ouvertement sa haine. Le Quotidien de Paris tire à vue sur le Gouvernement. Il est des
journaux que je n’ose plus lire parce qu’ils me soulèvent le cœur. Une sorte de
délire qui empoisonne l’ambiance. A Gauche, de l’attentisme, le désir de ne pas
se compromettre avec un Gouvernement dont on sent bien que son avenir n’est pas
assuré. Je m’efforce de résister à l’angoisse, prise entre les fascistes et des
punks pacifistes sans aucune conscience des problèmes, pour ne pas dire coupés
de toute information. Pour le reste, c’est le dénigrement systématique.
J’agis à la
mesure de mes forces. Je participe à une émission à France-Culture pour
soutenir les contestataires de l’Association Phénix, je rédige une Lettre
ouverte aux Ministres de ce temps et je continue mes chroniques à Radio Paris. Actions dérisoires du point
de vue collectif, mais importantes pour moi et peut-être même pas si dérisoires
que cela dans le contexte de la déstructuration de plus en plus pesante.
Proclamation de l’Etat de guerre en Pologne à
l’initiative du Général Jaruzelski.
Coup d’Etat
Etat d’urgence
Etat de siège
Etat de guerre
Quel est le mot
Pour dire l’état de violence
L’état de mort
L’état de désespoir
Quel est le mot
Pour dire
Les privilégiés veulent garder leurs
privilèges
Les nantis ne veulent pas partager
Les puissants ne veulent pas
Quoi donc ?
Seulement entendre
Qu’autrui est autrement
Je suis allée à
la manifestation dont le rassemblement a eu lieu devant l’Ambassade de Pologne
pour soutenir le mouvement Solidarnosc.
J’y ai rencontré les Professeurs Jankélévitch et Bartoli que j’ai remercié pour
tout ce qu’ils m’ont donné. J’ai retrouvé un ou deux militants de l’UNEF à qui
j’ai pu placer - en matière de blague - la question
rituelle pour connaître le rapport de forces, lors de nos Assemblées Générales
à l’AGEDESEP de la Faculté de Droit On
est mino ou majo ? Ils ont rigolé et je me suis réjouie de cette
conjonction du sketch et de l’Histoire. J’ai croisé une femme du Mouvement de
Libération des Femmes maquillée de façon théâtrale, l’équivalence de ma
couronne fleurie du 10 Mai.
Et surtout le
bonheur des drapeaux rouges en rangs serrés, il y a bien longtemps que je n’en
avais pas vu autant. La manifestation s’est mise en route. Beauté des slogans
dans la nuit tombante, les chants de La
jeune garde et de L’Internationale, des
gens aux fenêtres, la neige Rue de Rennes, la première de l’année, un
commencement d’hiver. L’escarmouche avec les militants du RPR venus là on ne
sait pas trop bien pourquoi. Bagarre entre les drapeaux rouges et les drapeaux
tricolores avec des lances en bois.
Comme d’habitude
j’ai eu peur de ces affrontements physiques. Boulevard Montparnasse, un passant
a fait le salut hitlérien en injuriant les manifestants qui défilaient. L’ordre
de dispersion l’a sauvé du mauvais parti qui l’attendait. Mes sentiments sont
partagés concernant la fameuse problématique de la liberté d’expression.
Parfaitement lucide sur le sort que nous promettent ces gens là, je n’en étais
pas moins prête à le défendre contre le lynchage.
Concernant
l’écrasement du mouvement Solidarnosc
en Pologne, florilège des radioteurs sur le thème : Enfin la normalisation, les affaires vont reprendre, pourvu que les
Polonais ne se révoltent pas ! Bref les grands classiques !… Le
mot qui me parait traduire l’ensemble, c’est bien – selon la formule consacrée - le lâche
soulagement. Il est clair que les idéologues sont encore plus anti-ouvriers
qu’anti-staliniens.
Rencontre d’un
vieil intellectuel chrétien très préoccupé et déçu par l’attitude de l’Eglise
polonaise et de celle de Monseigneur Lustiger ! Je suis étonnée de son
étonnement, tant il est évident pour moi que l’Eglise ne peut en aucun cas être
un élément de progrès. Je décide d’axer ma chronique de Radio Paris sur la Pologne.
Le soir dans les
médias, les radioteurs essaient de nous faire passer l’intervention de son
armée comme le moyen de sauver la Pologne sur le thème : D’une part, c’est
cette dictature qui protège contre l’intervention soviétique et d’autre part,
l’armée est la seule institution qui perdure dans un pays désorganisé. Pour un
peu, on nous dirait que ce Coup d’Etat militaire est populaire. Il me semble qu’on essaie de nous faire
avaler des couleuvres.
A l’oreille, les
nouvelles polonaises sont rares : Les ouvriers de l’usine Ursus (les tracteurs de la banlieue)
lancent un appel à la grève. Le Comité clandestin de Solidarité, nom français de Solidarnosc
lance le même. Etonnement de cette loi polonaise, qui pour la grève, prévoit la
peine de mort !
Ce jour de nouvelles
manifestations en costumes nationaux, nous dit la radio. De nouveau des
frictions avec les fascistes au cri de Les
fascistes au Chili ce qui est bien le pendant du traditionnel Les Cocos à Moscou. Dans la foule, je
vois pour la première fois un drapeau européen.
Des débats sur deux
des trois chaînes de Télévision. Finalement l’espoir de l’Occident se résume à
ce que les ouvriers polonais acceptent le Coup
d’Etat militaire et se soumettent… Il
me semble qu’une culture qui n’a pas plus de projet que cela, est une culture
déjà morte.
La situation évolue
en Pologne. Au sixième jour de l’Etat
de Guerre, il y a maintenant quarante cinq mille arrestations,
quelques morts et surtout une résistance manifeste dans tout le pays. Les
hommes se battent à la hache, les femmes offrent des gâteaux. En France
l’opinion évolue car le soutien est ressenti comme une nécessité. Par contre le
Parti Communiste et la Confédération Générale du Travail refusent de condamner le
coup d’Etat militaire.
Les hommes avec des haches
Les femmes avec des gâteaux
Les seigneurs de Haute Silésie
Avec une bravoure féodale
Les mineurs avec des pioches
Les ouvriers avec du chocolat
Les grévistes de la Pologne Egalité
Je sens venir l’œuvre
littéraire…
Au Lycée, les Elèves
manifestent un intérêt exceptionnel pour cette actualité là dont à l’unanimité
ils veulent débattre. Du côté professoral, c’est au contraire la lâcheté
complète. Je tente sans succès de les mobiliser à coup de tracts, d’affiches
murales et de conversations. Tout en admettant que j’ai raison, ils me
manifestent une franche hostilité, probablement parce que je mets en évidence
leur passivité.
Depuis hier soir, la
Pologne me devient une vraie souffrance physique. Je retombe dans les troubles
psychosomatiques, comme si c’était à moi que la Pologne arrivait. Nuit pénible.
Une émission de
Michel Polac sur le thème des Radios Libres. C’est comme d’habitude dans son émission,
la pagaille générale mais il apparaît que les Radios Libres n’ont pas
grand chose à dire en dehors de leur revendication de détruire les structures
officielles qui les emprisonnent. Je reconnais dans ce mouvement une parenté
avec ceux des Lycéens et des Pacifistes. Il ne s’agit pas de défendre ou
proposer quelque chose à l’intérieur des structures sociales existantes, mais
de les désorganiser. C’est en ce sens qu’elles sont révolutionnaires, sans jugement de valeur sur ce terme. Quant au féminisme littéraire, il doit peut-être être rapproché de ces courants.
Grève des femmes.
C’est une première et un échec. Une manifestation du Mouvement de Libération des Femmes, plutôt
triste. Je cherche en vain à y danser mais il n’y a ni costumes, ni musique.
Des salopettes vertes uniformes et des revendications avec lesquelles je ne
suis pas nécessairement d’accord. Toutefois ce que je ressens, c’est la perte
de l’écriture. Les militantes portent des panneaux illustrés et non des
banderoles.
Situation sociale
de plus en plus glauque. Fluide me
dit un vieil intellectuel chrétien mais je ne partage pas le bonheur de ce mot
car elle me paraît plutôt complètement bloquée. Tout le monde est mécontent et
le changement ne se fait pas. L’erreur du Gouvernement me paraît être qu’il
s’imagine qu’il va pouvoir contenter et les travailleurs et les patrons alors
qu’ils sont en train de contrarier les deux.
Par ailleurs, il me
semble qu’il ne prend pas le tournant qui permettrait la mise en place des
structures nécessaires pour la nouvelle organisation technique. Ma
préoccupation principale concerne les changements sociaux et mentaux
nécessaires pour entrer dans l’ère de la robotique/ télématique/génétique. Il
se joue là en un temps accéléré quelque chose de colossal et bien peu de gens
sont sensibles à ce problème. Il m’apparaît aussi que cette désadaptation de
plus en plus grande entre l’évolution technique et la sclérose sociale, est
grosse de toutes les catastrophes à venir.
Je ne sais pas si
c’est l’influence de Karl Marx théoricien bon chic, bon genre - quoique passé
de mode - ou si c’est parce que je constate cela tous les jours dans la société
mais je suis portée à croire que ce que dit Marx est vrai. Ce décalage avec
l’effondrement social que je prévois - sorte de régression comme on le constate
déjà dans certains secteurs (famille, enseignement) - est le sujet du roman que
j’ai en projet et que j’ai dénommé Les
bateliers de Tibère
Mon patriotisme
est de plus en plus mis à rude épreuve au fur et à mesure que je m’aperçois à
quel point la société française est archaïque, comparée aux autres sociétés
européennes, que ce soit dans le domaine technique, social ou intellectuel.
Cela s’est vu à l’occasion de ma Lettre
ouverte aux Ministres de ce temps qui envoyée à tous les Ministres du
Gouvernement ainsi qu’aux journaux Le
Monde et Le Matin n’a obtenu
qu’une seule réponse auto-justificative du Ministre de la Culture.
J’éprouve aussi
une certaine humiliation à constater l’absence de Mouvement Alternatif Français alors qu’il est développé
ailleurs et que j’ai bien le sentiment d’en faire partie. Il me vient parfois
des pulsions de quitter ce pays pour rejoindre les zones plus évoluées de
l’espèce.
A ajouter pour
terminer le tableau, que je n’aime guère le mensonge gouvernemental sur
l’imminence d’une reprise économique qui pourrait être volontaire et d’un
retour à la prospérité. Il est pourtant évident qu’elle ne reviendra pas et que
la tâche de nos Ministres serait plutôt de préparer nos Concitoyens à cette
nouvelle donne - à peine d’un grand désastre - pour ne pas dire une liquidation
pure et simple.
Pour moi,
l’élément majeur de la situation me paraît être la conjonction antinomique
entre un progrès technique sans précédent et une régression sociale due à la
perte du leadership par les Nations Européennes. Il me semble qu’il serait
possible de préparer nos compatriotes à l’inévitable diminution du niveau de
vie en les orientant vers des préoccupations qualitatives. Ce n’est peut-être
pas compatible avec le Capitalisme, mais c’est indispensable à la survie de
notre société.
Des grèves
catégorielles pour le maintien des privilèges. Une Police qui refuse d’obéir.
Le changement n’a pas lieu, en dépit des incantations.
Demain j’aurai
trente sept ans ! Une étonnante jeunesse pour entrer dans la vie
intellectuelle, surtout pour une Femme. Par contre sur le plan personnel, mes
choix sont clairs. Cette Europe sombre économiquement, culturellement et
politiquement. La tentation serait le repli, car le besoin de sécurité augmente
avec la déstabilisation. Mais y céder serait mortel. Il faut tout au contraire
déborder la situation par l’avant.
Atmosphère
régressive. Le Ministre Deferre fait des propositions encore plus
réactionnaires que celles d’Alain Peyrefitte et Jacques Delors morigène les
Syndicats tout en favorisant les Patrons. Bref, je ne suis pas loin de me
séparer de ce Gouvernement qui n’a pas un seul instant parlé des problèmes de
la Jeunesse et de l’Enseignement et qui ne doit pas considérer que les
Enseignants sont des salariés puisque nous n’avons pas bénéficié de la mesure
de réduction du temps de travail !…
Emission Apostrophes de Bernard Pivot :
Cohn-Bendit et Sapho descendant en flammes Jean-Edern Hallier.
A la Télévision
encore, une émission sur le droit de cuissage. On n’a pas lutté pour
rien depuis quatorze ans, et si le 10 Mai n’avait servi qu’à cela, ce
serait déjà bien ! Des vendeuses de supermarché en grève pour faire muter leur
directeur qui abusait de la chose. L’idée et l’envie d’aller pour les soutenir,
leur jouer avec ma partenaire, ma pièce de café-théâtre : Le con
métaphysique !...
A l’émission de
Polac Droit de réponse, une critique
cinématographique et littéraire, tonique et rafraîchissante dans la mesure où
elle fait un constat de décès du milieu littéraire à cause de sa corruption.
C’est la première fois que j’entends employer le mot, mais c’est bien de cela
dont il s’agit. Une Américaine explique qu’aux Etats-Unis, les critiques ne
sont pas en même temps les employés des Maisons d’Edition comme ici et qu’il
n’y a pas de système de renvoi d’ascenseur comme chez nous. Ce sont les
Professeurs qui exercent en même temps la fonction de critiques. Je comprends
donc mieux les lettres que je reçois d’Amérique du Nord et que je puisse y être
littérairement mieux entendue pour mes textes tels qu’ils sont, et non à
travers une grille préétablie de la répartition des rôles et des privilèges -
comme c’est le cas - dans le milieu d’ici.
Si on se rappelle
l’émission Apostrophes de la veille,
celle sur le Service d’Action Civique
de la semaine précédente et le spectacle radical de Guy Bedos attaquant sur sa
gauche le Gouvernement et le Parti Communiste, il faut reconnaître qu’à côté de
l’ambiance droitière de plus en plus délétère, il y a quand même des tentatives
de décapages mentaux. Pour un Gouvernement de Gauche, c’est peut-être un
minimum mais on pouvait s’attendre à mieux.
Guerre
anglo-argentine au sujet de la propriété des îles Malouines. Une vision de
folie. La Royal Navy prenant d’assaut un îlot désert au milieu d’une mer
démontée de vent et de froid. Pavoisement des journaux britanniques sur le
thème Victoire, l’affront est
lavé ! Madame Thatcher rayonnante et la foule argentine menaçant des
mains l’Angleterre.
Absurdité de
l’enjeu réel, des îlots du Pacifique pour y faire flotter des bannières de
chiffon. Ils sont pourtant bien capables de faire tuer pour cela. Et peut-être
même d’engager la guerre mondiale qui ne demande qu'à démarrer puisque l’URSS
soutient l’Argentine. Est-ce une raison pour suivre la Grande Bretagne ?
De toute façon on ne va peut-être pas avoir le choix, étant donné que les
Marchands de Canons n'attendent que l’occasion pour mettre le feu aux
poudres !
Au Lycée et chez
mon voisin, bellicisme. J’entends ce dernier traiter Reagan d’illettré !
Malséance de la
République mitterrandienne. Le déplacement du présentateur d’Antenne 2 Bernard
Langlois, pour s’être permis de rendre compte de la mort de Grâce de Monaco
avec prétendument un respect insuffisant. Pourtant à la lecture du texte
incriminé, on n’y trouve rien à redire. Inquiétante aussi cette condamnation du
journal Hara Kiri pour Offense à la douleur ? Et un peu
bizarre ce projet de réforme du Code Pénal pour y inclure le délit d’incitation
au suicide. La littérature peut facilement entrer dans ce cadre là...
La crise n’est
plus seulement une idée abstraite. Elle a maintenant des images. C’est écrit en
gros sur la devanture de la Charcuterie : Sandwich Hamburgers, articles qui ne s’y vendaient pas
auparavant parce que les clients salariés achetaient à midi des plats cuisinés.
De même cette
bande de clochards dans le quartier, sans compter les deux isolés, extrêmement
jeunes.
Enfin dans le
catalogue de vacances de la Ligue de
l’enseignement Vacances pour tous, une réduction du nombre des séjours et surtout de leur durée.
La norme devient la semaine alors qu’elle était auparavant, la quinzaine. Par
ailleurs la qualité matérielle des brochures elles-mêmes, diminue.
Dans le même
temps, le racisme et la méchanceté se généralisent dans les conversations.
Dans la mode tout
cela se traduit par des vêtements d’hiver qui ne sont pas chauds, des
mini-robes droites et des capes qui ne couvrent qu’une partie du corps, comme
s’il fallait vraiment économiser le tissu. On voit aussi depuis quelques temps
des enfants qui lavent les carreaux.
Hommage solennel à
Mendès France. Bizarre impact de cette mort qui ne correspond pas à ce que
l’homme fût de son vivant. Quel mythe la France est-elle en train de
s’inventer ? Hommage au Palais
Bourbon, musique, discours de François Mitterrand toujours avide d’éloge
funèbre et nous parlant encore une fois de Jaurès et de Lincoln assassinés.
Lecture de L’appel à la jeunesse de
Pierre Mendès France (1955).
Je suis frappée
de cette cérémonie qui me paraît complètement à côté de la plaque. Les Ecoliers
qui y participent ont d’ailleurs l’air de s’ennuyer ferme. Un appel pathétique
des adultes envers ces Jeunes pour qu’ils mobilisent leur enthousiasme envers
la République. Alors que manifestement, ils n’en ont rien à faire. Non pas
d’une amélioration collective, mais certainement pas dans cette forme là, celle
de l’ancienne société.
Il me paraît de
plus en plus net que nous allons maintenant vers une révolution profonde qui
n’a plus rien à voir avec les canaux et les concepts du monde que nous avons
connu. C’est plutôt parce que ces institutions là ne fonctionnent plus, les
valeurs et les modes de pensée étant caducs et les outils mentaux en vigueur ne
permettant plus de rendre compte de la situation réelle. On a parlé pour la
Révolution de 1789 de pays réel et de pays légal, il faudrait
maintenant parler de pays réel et de pays parlé.
Je suis de plus
en plus persuadée que les Socialistes vont échouer parce qu’ils sont
complètement tournés vers le passé, leur générosité n’a pas pris le tournant, ils
n’entendent pas ce que dit et veut la Jeunesse, même s’ils l’invoquent dans
cette cérémonie d’aujourd’hui.
Chez le Félix
Potin du quartier, un comble ! Le refus de la gérante de pratiquer les
prix affichés, au prétexte qu’elle les a mis comme ça mais que cela ne veut rien dire et que ce n’est pas
réellement le prix. On s’est fermement disputé. Cela donne une idée de
l’ambiance qui règne et de ce qui pourrait advenir si la situation continuait à
se dégrader. Est-ce ainsi qu’on en arrive aux rayons dégarnis et au marché
noir ?
Pierre Mauroy à
la Réunion La Réunion c’est la
France ! On se demande ce qu’ils ont ces Socialistes. Si cela
continue, aux Elections Municipales du printemps prochain, je m’abstiens !
Un commencement
d’agitation au Lycée à propos d’une suppression de poste. En fait c’est toute
la lassitude et l’exaspération qui commencent à faire surface. L’eau passe par
dessus les digues même si pour le moment, c’est dans la plus grande confusion.
Echec de la
Gauche aux Elections Municipales. Le racisme - jusque là ambiant - se
cristallise y compris au sein des gens de gauche qui au Lycée en rendent la CGT
responsable avec, je cite : leur
connerie de grève d’immigrés. A Marseille : Gaston Deferre, le Maire
et Ministre de l’Intérieur a appelé à voter pour lui avec un argument
étonnant : A savoir qu’il était
mieux placé que les autres pour refouler les immigrés. Au plan national Le
Pen a fait onze pour cent des voix. Je me sens de plus en plus prise à la gorge
et propulsée en avant plus loin que je ne l’aurais souhaité.
La Gauche fait
preuve d’une absence complète d’imagination et d’une impossibilité d’impulser
ou de catalyser quoi que ce soit. Elle semble politiquement morte. Ceci est apparu petit à petit dans les flottements des deux dernières
années et dans l’incapacité du Gouvernement à engager de vraies réformes contre
l’inégalité et la sclérose. Elle n’a pu que reprendre les thèmes racistes de la
Droite sans pouvoir les combattre, ni proposer autre chose.
La catastrophe ne
me semble plus très loin. J’éprouve du chagrin au spectacle qu’offre le Pays.
Je ne peux me détacher de cette notion et sans doute n’est-ce pas souhaitable.
Chagrin de ce Gouvernement accumulant les bêtises et calquant ses méthodes sur
celles de la Droite. Mensonges, virage à cent quatre vingt degrés,
improvisations, reculade, cela sur la forme. Sur le fond, je ne suis pas contre
le Plan de Rigueur mais trouve tout de même gênant qu’on le mette en place
juste après les Elections Municipales et qu’on fasse payer prioritairement les
salariés. Le tout avec une absence de projet concernant le chômage, la desindustrialisation et la préparation
au changement, les trois questions les plus importantes.
Je n’aime pas
davantage la Droite politique qui pilonne systématiquement tout ce que fait le
Gouvernement et qui tente de soulever les gens, comme aujourd’hui avec la grève
des Etudiants en médecine. Je n’aime pas non plus l’impudeur des Patrons réclamant
la liberté des prix, du travail et de l’embauche dans la plus pure tradition du
dix neuvième siècle où le syndicalisme était interdit. Je n’aime pas cette
Presse ameutant la population sur des questions sans importance et parlant de Goulag à propos des restrictions de
sortie de devises à trois mille francs par personne (alors que le SMIC
n’atteint pas trois mille cinq cents Francs). Je n’aime pas ces Salariés
refusant toute modification de leur situation et campant sur la notion
d’avantages acquis, s’imaginant que c’est cela qu’ils vont pouvoir répondre au
déficit extérieur et à l’endettement consécutif. Je n’aime pas ces Commerçants
tournant sournoisement les étiquettes dans leur coin et jurant la main sur le
cœur qu’ils n’arrivent pas à joindre les deux bouts. Je n’aime pas non plus
ceux que j’appelle les Bateliers de
Tibère qui recouvrent de l’appellation bon
sens, leur virage à droite.
Week-end en
Bretagne. Les restaurateurs et les hôteliers ne semblent pas vraiment suivre
les conseils du Gouvernement. Ils ne pratiquent guère la modération. C’est à se
demander si notre pouvoir d’achat n’a pas subi un rude coup !
Un effort
colossal pour écrire un article anti-raciste que j’envoie au Monde et au Matin. Je l’intitule Les
transnationaux. Il m’est
difficile d’écrire une langue qui ne soit pas littéraire, mais simplement
claire.
Haine de cette
Bourgeoisie soutenant les Socialistes parce qu’elle pense qu’eux seuls peuvent
faire accepter au peuple de supporter les privations. Haine de cette
Bourgeoisie critiquant le Gouvernement parce qu’il ne fait pas l’affaire, comme
un Maître morigène son majordome
parce que la maison va à vau-l’eau et menaçant de se passer de ses services en
l’absence de redressement de la situation. Haine de cette Bourgeoisie pour qui
la restriction des inégalités se limite à resserrer l’éventail des salaires en
laissant de côté les autres revenus et à fortiori les rentes et les dividendes.
Haine de ces Gouvernants se pliant à ses comédies de laquais trop heureux
d’être invités au Château. J’ai le pressentiment que ce Gouvernement ne tiendra
pas le coup, d’avoir trop fait pour amadouer la Droite et ne s’étant pas
suffisamment appuyé sur la Gauche.
Symptomatique et
écoeurante cette nouvelle reculade sur la restriction des devises touristiques.
Il a été décidé que pour les voyages à l’étranger dépassant les deux mille
Francs alloués, on ne marquera sur le carnet prévu à cet effet que mille sept
cent cinquante Francs !… Mesure illégale s’il en est ! Non seulement
les vacances à l’étranger ne concernent que seize pour cent de la population
mais en plus on décide qu’on n’appliquera pas la mesure pour les plus riches
d’entre eux… A savoir ceux qui partent en agences de voyages, décourageant
ainsi ceux qui auraient fait l’effort du camping ou de la diminution de leur
train de vie. Tout cela n’est qu’un détail, mais symptomatique de l’ambiance …
Finalement avec
ces ordonnances injustifiées, on a non seulement une politique de Droite, mais
des méthodes de Droite. L’absence de démocratie, l’absence de projet.
On entend parler
d’un Mai 68 à l’envers. C’est
vexant ! D’une part qu’on puisse comparer cette agitation corporatiste à
la générosité idéaliste soixante-huitarde mais aussi l’idée même qu’on puisse
abolir les résultats de cette quasi-révolution. Exemple le titre du Matin : Les femmes après le féminisme. A la réflexion ce qui me contrarie
dans tout cela, c’est qu’alors qu’on ne peut pas comparer, on compare quand
même et que ce à l’envers signifie dans la conscience collective, que ces
matérialistes pourraient bien nous faire rentrer les mots dans la gorge.
Humiliation aussi
de ce scandale de la dioxine, déchet toxique consécutif à l’accident de l’usine
chimique de Seveso. Il apparaît que différents pays - dont l’Italie - prennent
la France pour une poubelle, en tentant de se débarrasser sur nous, de leurs
produits nocifs. Tous les clichés sont battus en brèche. Notre pays apparaît la
lanterne rouge de l’Europe et le Wall
Street Journal va jusqu’à nous traiter du Mexique de l’Europe. Je suis d’autant plus enragée que mon cancer
du sein diagnostiqué l’été dernier et actuellement en traitement est peut-être
dû à une affaire de ce genre. J’ai le fantasme de créer une association de défense
des cancérigénés en rébellion contre
les Industriels.
2 Mai 1983
Ma partenaire
théâtrale a fait commenter dans ses classes du Val Fourré à Mantes La Jolie,
mon article Les transnationaux avec
dissertation de la phrase le terme même
d’immigrés. Un militaire, père d’Elève – vingt ans d’armée - est venu lui
demander des comptes… Quelle ambiance ! J’ai de mon côté envoyé ce texte à
une dizaine de journaux. Je suis triste de voir d’un côté tous ces interviews
de gens se lamentant sur le vide de la pensée, pendant que je ne parviens pas
moi-même à me faire entendre socialement, même si je le suis littérairement.
La littérature ne
m’intéresse plus dès lors qu’on m’enferme dedans et qu’on ne me tolère ni
politiquement, ni philosophiquement. Pour moi, l’écrit est un combat. Cela ne
manque pas d’exemples dans les pays de l’Est où on est expédié en Sibérie pour
un recueil de poèmes, sans compter la Roumanie où il faut une autorisation du
Gouvernement pour posséder une machine à écrire. Ici, ils refusent de publier
tout ce qui met en cause l’ordre établi. Tout cela fait finalement un syndrome
où mon combat d’écriture et mon combat politique se rejoignent.
Il ne s’agit plus
d’une revendication artistique mais de l’arrivée dans la lumière de mon
féminisme qui a toujours été politique et ce qui me tient debout aujourd’hui,
ce sont les essais que j’écris et non la littérature. Tenir un journal ne m’a
jamais intéressée ni non plus l’introspection littéraire. Mais je découvre
cette fois à la réaction qu’ils suscitent, que mes textes sont dangereux pour
la société. Bien qu’on me l’ait déjà dit, je ne l’avais pas réalisé. Mes
différents carnets de notes fusionnent en fait dans cette chronique politique.
Je suis frappée
d’entendre Edmond Maire parler avec insistance de la solidarité, sans doute en
relation avec le phénomène de la mondialisation. Solidarité, les partisans vivants de la mondialisation, contre la
politique des blocs et pour l’internationalisation. Solidarité est nécessairement un mouvement international.
La menace
protectionnisme m’étouffe. Je n’ai pas envie d’être enfermée avec ces sclérosés
qui refusent d’affronter les problèmes d’aujourd’hui, à savoir l’unification du
monde, la révolution télématique et robotique ainsi que la désindustrialisation
de la France. J’ai un peu le même réflexe qu’Assia Djebar - invitée avec moi
l’été dernier au Canada - qui expliquait que le problème des femmes
algériennes, était de sortir… J’ai horreur de cet ordre renfermé qui repose sur
l’écrasement des femmes.
Je suis écoeurée
de la réaction des Médias à la promulgation du Plan de Rigueur. La radio mène
l’agitation sur le thème, la restriction des libertés, les droits de l’homme
etc… et les journaux Le Matin et Libération sur celui de Comment frauder. Le consensus s’établit
en fin de compte sur la xénophobie pour ne pas dire le racisme et le désir des
Congés Payés au soleil. Il me semble que le désastre nous pend au nez.
Une rentrée
morose, même si on laisse de côté les effets terrifiants de mon traitement
médical, et les menaces de licenciement de mon voisin. Une rentrée inquiète
surtout. Un horizon international de plus en plus lourd, par la multiplication
des conflits et leur enlisement. On a l’impression d’une guerre mondiale commencée.
Un consensus semble s’être établi contre les Immigrés, sans que rien ne puisse
l’entamer car les gens se confortent les uns les autres, jusque dans notre
milieu, pourtant censé être progressiste.
On est d’autant
plus démuni que les problèmes du travail clandestin sont réellement menaçants
pour nous tous et quant aux femmes voilées, je ne peux pas les supporter. Tous
les beaux discours que je peux me faire sur le respect de l’identité de l’Autre
ne peuvent contrecarrer mon rejet profond et violent de cette pratique. Je sens
même venir l’incident, car je suis moi-même menacée dans la mesure où lors d’un
détournement d’avion, des terroristes islamiques ont obligé les femmes
européennes à se couvrir la tête.
Omniprésence de
cette question des Immigrés. Le problème est tellement épais qu’on ne voit pas
comment on peut le résoudre. Il semble qu’on ait bien tardé notamment, en ce
qui concerne les domaines de l’urbanisme (les Zones d’Urbanisation
Prioritaire/ghettos) et celui de l’Enseignement… L’unanimité s’est faite de
supprimer l’étranger en tant que tel, soit par l’expulsion et ce point de vue
paraît majoritaire dans le pays, soit en affirmant qu’ils ne sont pas à leur
place notamment dans l’Enseignement, soit par l’obsession de l’intégration
comme dans mon cas.
Un attentat à
Beyrouth contre la force multinationale française et américaine. Chagrin de voir ainsi la
France rejetée dans un nombre croissant de pays et l’inquiétude de constater
qu’il est difficile de résister à la propagande. Comme si l’intelligence et la
raison étaient submergées. Une certaine confusion est née du fait que les
catégories précédentes de la pensée ne fonctionnent plus et que les
interventions extérieures ne relèvent plus d’un simple impérialisme traditionnel
mais d’une tentative de prendre en compte un Tiers Monde qui s’impose de fait.
J’éprouve comme
une menace que Kadhafi retienne en otage nos compatriotes et qu’on tue nos
soldats à Beyrouth, non pour des raisons politiques mais par sentiment
d’appartenance au groupe. Le fait est là ! Ce sentiment d’ordre national
s’étend en ce qui me concerne, à l’Europe toute entière et a à voir avec mon
sentiment maternel, voire même avec mon inquiétude concernant la gestion des
corps. Il s’agit d’une réaction animale de défense de la horde dans le
dépassement complet des clivages et divergences. C’est en ce sens que je suis
maintenant moi aussi dans la sauvagerie, faute pour le moment de voir émerger
des valeurs nouvelles.
Débarquement des
Américains à Grenade pour s’opposer à un régime ultra cubain. Merci Monsieur
Reagan de nous rappeler que les Américains peuvent dans certains cas être aussi
inquiétants que les Russes. La différence étant tout de même qu’ils sont à même
de nous conserver nos privilèges, ce que ne sauraient pas faire les
Soviétiques.
Remise en liberté
d’un terroriste libyen, probablement échangé contre les otages français… Quel
aveuglement !
Je me sens de
plus en plus submergée par des pulsions complètement archaïques. Il me semble
que de même qu’on peut parler d’une économie
de guerre, je suis en train de m’installer dans un psychisme de guerre
qui me terrifie, au vu de ce que j’y découvre.
Dans les classes,
la situation est devenue intenable. De semaine en semaine, il me faut faire des
efforts croissants pour m’y maintenir, tant mon angoisse augmente. Des Elèves
m’ont même prise à partie sur le
contenu culturel de mon cours, selon leurs propres termes. C’est la
première fois que cela se produit!
Néanmoins je
continue ma campagne anti-raciste qui a quelques effets auprès des Collègues,
mais aucun sur les Elèves. Devant l’ampleur de la situation, nous avons invité
le Mouvement contre le Racisme et pour l’Amitié entre les Peuples à venir nous
faire une conférence. Le débat a été parfaitement minable et structuré autour
de deux hérésies : D’une part l’idée fausse que le Lycée serait une bulle
quasi familiale qui nous tiendrait à l’abri des conflits du monde et d’autre
part que cette association serait une
sorte d’assistante sociale qu’on pourrait vilipender de ne
pas faire son travail correctement !
Terrorisme des
Eleveurs de porc qui ont été le mois dernier, jusqu’à scier les voies de Chemin
de Fer pour obtenir pour leur production, des prix plus rémunérateurs. Le
Gouvernement a cédé à la pression et a même libéré leur leader emprisonné.
Cette semaine, ce sont les Routiers qui à leur tour bloquent les routes et
l’accès aux Stations de Sports d’Hiver, pour obtenir on ne sait même pas quoi
exactement. On a plutôt l’impression qu’il s’agit de se défouler des
désagréments consécutifs à la grève des Douaniers mais prenant cette fois une
tournure résolument anti-gouvernementale. Voir sur ce thème mon article De la main invisible à la main armée.
Dans les deux
cas, on trouve une lourdeur identique à celle que je rencontre dans les
Classes, lourdeur née du refus de prendre en compte la réalité, comme si la
violence pouvait suppléer aux nécessaires raisonnements économiques. Cela
suscite une inquiétude plus intellectuelle que politique, bien qu’on sente
sous-jacente aussi bien chez les Eleveurs de porc que chez les Elèves, une
certaine volonté de puissance, une régression infantile qu’on pourrait mettre
en relation avec la notion de Grande Bouche que le psychanalyste Gérard
Mendel développe dans son livre Cinquante Quatre Millions d’individus sans
appartenance.
Manifestement les
anciennes notions de l’Economie Politique ne fonctionnent plus, notamment celle
de la production, de l’échange et de la répartition. On assiste à l’éclosion de
tout autre chose. La mise en place de l’idée d’une économie qui ne serait plus
que distributive, la négociation
étant remplacée par la pression, l’Etat cessant d’être un arbitre régulateur pour
n’être plus qu’un distributeur. Ceci
expliquerait peut-être que les Elèves soient devenus totalement étrangers à la
notion de groupe et de légalité, pour finir par convertir tous les problèmes en
termes de subventions.
L’économie
fantasmatique en train d’émerger est celle dans laquelle les revenus seraient
sans rapport avec la contribution, ce qu’on peut encore à la rigueur
comprendre, étant données les modifications techniques en cours mais plus
gravement encore sans aucun rapport avec la réalité économique elle-même. Cela
se traduit dans la pratique par des revendications à la fois d’un surcroît de libéralisme et en même
temps de l’augmentation de la
Couverture Sociale. La contradiction n’est pourtant qu’apparente, si on veut
bien admettre que libéralisme veut simplement dire l’abolition des réglementations et Couverture Sociale non
pas nécessairement socialisme mais simple
augmentation du confort et de
la sécurité.
Tous cela recoupe
les analyses faites précédemment, à condition d’admettre que le nouveau
fonctionnement relève du racket et que ce qui apparaît comme des corporatismes
anciens est en réalité la possibilité de créer de nouvelles solidarités
destinées à être des Groupes de Pression. C’est à cause de cette nouvelle donne
que prend corps le fantasme du retour des Immigrés dans leur pays d’origine,
car ils apparaissent alors comme des concurrents dans une économie distribuante.
Dans un raisonnement d’économie réelle, le rejet ne serait pas le même, car on
comprendrait qu’ils consomment moins qu’ils ne produisent.
Dans le même
ordre d’idée, on observe la dérive complète du mot capital qui ne signifie plus du tout les moyens de production mais désormais uniquement une richesse
qu’il s’agit de répartir - ce qui est assez aberrant -
économiquement parlant…
Le Gouvernement a
cédé sur toute la ligne, ce qui n’empêche pas les barrages routiers d’augmenter
partout. L’angoisse de mort de ces jours derniers a disparu, puisque ce que je
craignais est arrivé. C’était prévisible puisque c’est désormais dès qu’il y a
un conflit, l’attitude du Gouvernement. J’ai l’impression qu’on me tire dans le
dos, tandis que je me tue à tenir le front
dans les Classes. Une sorte de trahison des Chefs, à l’arrière. Je suis
scandalisée d’apprendre qu’on va de surcroît verser des indemnités aux
Camionneurs au motif qu’ils n’ont pas pu travailler pendant les barrages…
Il sera versé
deux mille francs à chaque camionneur, au lieu de l’amende qu’ils auraient du
avoir si on avait appliqué la loi.
Naturellement mon
article De la main invisible à la main
armée m’est resté sur les bras. Mais il y a du progrès, car le Monde m’a répondu que c’était intéressant mais qu’ils n’avaient pas de
place !
La déconfiture
s’accentue tous azimuts. Tout le monde s’en moque car leur seule préoccupation
est de savoir si les approvisionnements en pétrole continuent... Une bataille a
fait vingt mille morts dans l’indifférence générale. Tous les jours, ces
cadavres sont pourtant jetés par la Télévision dans nos salles à manger. Ma
tentative de prendre de la distance par rapport à tout cela a duré huit jours
et ressort comme d’habitude en œuvre d’art… Cette fois un terrible collage sur
Beyrouth !
Le pire cauchemar
est tout de même celui de ces huit cents mille personnes dans la rue pour
s’opposer à la tentative de supprimer les privilèges de l’Ecole Privée. Il est
pénible d’entendre parler du lobby
de l’enseignement public. On croît rêver mais on ne parvient pas à enrayer
le processus. De reculade en reculade, le Gouvernement ne parvient pas à
s’imposer et la Droite s’enhardit en lui contestant de plus en plus sa
légitimité. C’est un peu comme dans les Classes, plus personne n’écoute alors
que le Professeur continue quand même à faire semblant.
L’Eglise reprend
du poil de la bête et se fait menaçante, confirmant la régression généralisée.
Tout se passe comme si l’avancée soixante-huitarde n’avait même jamais existé.
Une ambiance de mollahs et le tchador qui nous menace. Ni prêtre, ni pasteur, ni rabbin/ Producteurs sauvons nous nous
mêmes… Peut-on prétendre que ce combat là dont nous parle L’Internationale, soit dépassé ?
Plus étonnant
encore, le Gouvernement interdit une manifestation en faveur d’un dessinateur
soviétique emprisonné à cause de son oeuvre, sans compter il y a deux semaines,
l’interdiction de la conférence des opposants au Gouvernement de la Côte
d’Ivoire. Il est difficile de déterminer la vraie nature de ce régime qui tient
tant à faire respecter l’ordre à Droite et à L’Est. Est-ce simplement une
République de Copains, sans envergure ni projet ?
Complément de
désespoir si je peux dire, quelqu’un pour qui j’avais de la vénération prend
position pour cette manifestation prétendument bon enfant, en faveur de
l’Ecole Privée.
Indécente,
ridicule et dérisoire, grève des fonctionnaires pour protester contre les zéro
cinq pour cent de perte de pouvoir d’achat, subi par sa fraction la plus riche.
Les transports sont sans dessus dessous. Je fais pression pour empêcher les
hésitants de participer à ce mouvement que je réprouve. Obtenant satisfaction
sur ce point du service de l’Etat, je suis aussi fière que lorsque j’ai pris
mon premier poste à Rouen devant quitter Paris pour confirmer l’unicité et
l’unité du territoire!
La plaie est
désormais ouverte.
Au Lycée, les
Elèves ne reconnaissent plus notre autorité nous passant quasiment sur le
corps. On ne m’a jamais parlé aussi agressivement et en classe, d’une manière
aussi unanime. En TG2 - terminale comptable - la situation est totalement
bloquée, je ne fais plus cours depuis trois heures et je ne vois pas d’issue au
conflit. Mes Collègues cogèrent comme ils peuvent, pour garder une illusion de
pouvoir sur les événements. Je les trouve grotesques tant sur le fond que sur
la forme. L’hypocrisie est reine. Le radeau coule. La conséquence positive en
est le rapprochement affectif des Professeurs dans leur commun aveu de panique,
face à l’impossibilité de s’adapter tant à l’ordinateur qu’au magnétoscope. En
matière de plaisanterie, on parle de transformer le Lycée en Entreprise Privée.
A l’extérieur, il
n’y a plus ni quête idéologique, ni respect de la légalité. Ce ne sont plus que
des rapports de force, au sens strict. A l’incendie par les viticulteurs du
Midi, d’un supermarché, Leclerc riposte en affirmant qu’il ne vendra plus du
tout de ces vins là, sans aucune référence ni à l’ordre, ni à la loi, ni à la
morale !… Du côté des Sidérurgistes, ce sont les barrages routiers qui
cherchent à tirer de l’argent des automobilistes pour soutenir leur mouvement.
Chaque jour apporte des nouvelles de ce genre, le tout dans une passivité
manifeste de l’Etat qui cède systématiquement à la force !
Dans le même
temps, apparition d’une mutation sémantique. Le mot site remplace celui d’usine, à la notion de bassin d’emploi s’ajoute maintenant la série noire des déficits, les défaillances
d’entreprise, la notion de milieux
économiques apparaissant dans Libération
et dont on se demande à quoi ils l’opposent au juste. Il me semble que dans
tout cela est en germe, un changement dans l’économie et la société, sans que
je comprenne encore la nouvelle architecture.
Désenchantement
général. Bien que je sois par raison politique opposée à l’abstention, l’idée
m’en traverse en voyant se rapprocher les Elections Européennes. Je trouve cela
symptomatique, car plus civique que moi, tu meurs ! En ce moment il y a un
rejet général de ce qu’il faut bien appeler la politicaillerie et on sait très bien où cela mène...
On subit en ce
moment une propagande effrénée dont les gens ne se rendent pas compte. Ce
lavage de cerveau est pourtant sans équivoque pour les urbanistes québécois et
anglais que j’ai eu l’occasion de rencontrer et qui se moquent ouvertement du
concept de libéral libertaire que
j’ai - dès son apparition - dénoncé moi-même comme le nœud de la confusion. Il
pourrait se résumer ainsi : Pour la
Droite, la Gauche n’est jamais autant elle-même que lorsqu’elle est à droite,
et pour le Gouvernement c’est : nous n’avons pas changé, nous
appliquons le programme pour lequel nous avons été élu Tout cela est faux
et aboutit à un décervelage complet.
Quant aux anciens
Gauchistes, ils ont tournés à Droite, pour ne pas dire à l’Extrême Droite et
présentent leur évolution comme un progrès dans la voie du réalisme. De leur
côté, les racistes se présentent comme ayant
le courage de dire tout haut ce que tout le monde pense mais personne n’ose
dire… Il faudrait faire une analyse détaillée des ressorts de la
propagande, dont la palme revient tout de même à A.M. qui se présente comme un
homme de gauche, faisant l’apologie du travail clandestin et proposant
l’étrange notion d’un capitalisme
soixante-huitard.
Je ne parle même
pas du journal Libération dont les
positions me paraissent depuis longtemps douteuses. Tout cela participe à
l’émergence d’un climat corrupteur. J’en viens à penser que je vais m’abstenir
de lire les journaux et de regarder la Télévision pour échapper à cette
ambiance…. A signaler tout de même l’apparition du journal Vertiges qui n’hésite pas à dénoncer le dérayage complet ! On
se sent moins seul…
Morne campagne
électorale sans aucun intérêt. Jean-Marie Le Pen passe à la Télévision et à la
Radio, presque tous les jours. C’est trop pour être tout à fait un
hasard ! Il développe ses idées d’une fois sur l’autre. Le Gouvernement ne
m’intéresse plus du tout. Je regrette seulement d’avoir cédé aux pressions de
mon entourage pour me faire voter aux Elections Municipales, alors que je
désirais m’abstenir et que la suite ait montré que c’était bien cela qu’il
convenait de faire !
Je cherche
désormais à comprendre les mécanismes de la propagande et de ce que j’appelle l’enfollement. Notamment au Lycée le
sept Juin, lors de la réunion avec les Parents d’Elèves, lorsqu’on nous a
clairement annoncé la condamnation à mort de l’activité professionnelle que
nous avions jusque là connue. On nous somme de trouver des moyens pour réaliser
des objectifs qu’on ne nous précise pas. Dans tous les domaines apparaissent
depuis des années des formes vides de sens.
Trois nuits à
très mal dormir, grande fatigue, énervement, crise d’angoisse, probablement dues
à ces quatre jours successifs d’examen durant lesquels on m’a demandé de
fournir plus de travail que je ne le pouvais en raison des séquelles de ma
chimiothérapie. Mais il n’y a pas que cela.
C’est aussi et
surtout qu’on passe du quantitatif au qualitatif. D’une société glauque, émerge
maintenant quelque chose de nouveau que j’ai justement déjà vu fonctionner aux
dits examens et qui est maintenant en train d’envahir la société toute entière.
Non seulement la jungle déjà répertoriée depuis un bon moment mais aussi le non
sens absolu, le triomphe de la forme vidée de tout contenu. Cela dans le
consensus total qui s’est justement établi sur cette base. Ont disparu les
notions d’idéal, de morale, de métaphysique, d’humanisme, d’égalité, et jusqu’à
semble-t-il, de sexualité et de féminisme.
Une société
globalement impuissante, en train de devenir folle et sadique. On nous repasse
à la Télévision une deuxième fois au ralenti pour qu’on en profite bien les
images des plus spectaculaires des accidents. Cette technique se généralise,
qu’il s’agisse des sports ou des meurtres. Il ne s’agit plus de la mise en
place mais de l’installation achevée d’une société indifférenciée et/ou
d’indifférence. Le mot de totalitarisme
ne convient pas vraiment parce qu’il fait référence au nazisme, au stalinisme
ou à Khomeiny en Iran. Ou alors il faudrait parler d’un totalitarisme cool ou
soft dans lequel règne le conformisme.
Les Médias ont
fait le marche pied à Le Pen d’une façon éhontée. Soit
que les Médias lui soient acquises, soit qu’il s’agisse d’un calcul politicien
pour diviser la Droite. Ce calcul serait alors à courte vue et on se demande
comment les intérêts d’un groupe qui cherche à se maintenir au pouvoir
pourraient prévaloir contre les intérêts de la collectivité, car en ne rejetant
pas Le Pen de la vie politique, on admet que ses idées y ont droit de cité. Et
c’est là qu’est la perversité car la devise de la République comprenant
l’Egalité, le racisme en est par principe exclu.
Que faire de
cette ambiance fascisante entrée dans les mœurs ? Je n’ai plus envie
d’écrire des nouvelles dans le style de celles du premier trimestre. A la
Commission d’Admission dans les classes de Brevet de Technicien Supérieur, une
Collègue a trié les dossiers des étrangers en disant Ceux là on ne les prend pas ! Face à cette déclaration, la
littérature elle même est sans objet. Elle ne peut pas démasquer ce qui l’est
déjà. Je n’ai plus envie de répondre à l’agression politique, comme dans mon
sketch qui se terminait par Pas de poésie
politique et bien plus rien que de la politique ! Les comportements
anciens ne conviennent plus, il faut inventer une stratégie nouvelle.
Le plus
inquiétant est encore la réaction des gens sur le mode du N’en parlons pas ! Y compris dans les milieux
germanopratins. Cette attitude est d’ailleurs bien décrite par Bruno Bettelheim
dans son livre Survivre : Faute
de pouvoir mettre en œuvre ce qu’il faudrait si on prenait conscience de la
situation réelle, on préfère occulter le phénomène. Face à l’ahurissante montée
de Le Pen, la réaction est plutôt ni vu
ni connu. On quitte le domaine du politique pour celui de la névrose. Toute
l’année cela a été mon impression constante, ce vent de folie épaisse se
manifestant d’abord par la négation totale de la réalité. Même ambiance dans la
classe politique. Les gens sont sonnés ou complices et une fois de plus, ont
pris le parti de faire semblant.
Tout cela n’est
pas pour moi une surprise, à cause de la fascination que Le Pen a exercé toute
l’année sur les gens du Lycée mais aussi bien dans le milieu littéraire, avec
l’absence totale d’accueil du Silence et l’obscurité contrairement à mes précédents livres, sans compter l’impossibilité de faire passer un
article quelconque. C’est le refus absolu d’entendre un son de cloche
dérangeant, il est massif depuis un an. Le cri entendu chez Talbot Les Arabes au four était tout de même un
avertissement sans équivoque.
Les foulards
tricolores fleurissent avec les tenues ad hoc. Nous ne sommes pas au bout de
nos peines concernant la manifestation de Dimanche. Le gouvernement paraît
complètement dépassé face à l’hallali de l’ensemble de la presse écrite. Le Monde ne se contente plus de nous
bourrer le crâne et lâche ouvertement Mitterrand.
Sur cette toile
de fond politicienne sans rapport avec les problèmes réels à résoudre, le
matraquage brutal, aux usines Talbot du leader des ouvriers immigrés, Akka
Ghazi. Je me reconnais en lui, dans son combat pour ce qu’il appelle la
dignité. C’est le seul des leaders que je ressens justement comme un leader
auquel je peux adhérer et soutenir pleinement. Son refus de passer dans ce
qu’on nomme la cage à rats pour
entrer dans l’Usine et sa lutte pour passer par une porte normale. Un combat
pour la dignité que l’adversaire ne comprend même pas et auquel il ne peut et
ne sait répondre que par la force.
Une rentrée
épouvantable au milieu d’une bande de fous à lier. Je n’ai réussi à tenir le
coup qu’en photographiant à l’intérieur du Lycée ce que je suis parvenue à
nommer ensuite L’Asole. Une
conjonction d’enfermement et de néant. Ce n’est ni la lourdeur charnelle de la
prison, ni les terreurs de l’imagination à l’asile. L’Asole : Le vide, la mort, les formes, l’indifférence
affichée de l’Administration piétinant les circulaires pédagogiques au mépris
du sens. Le népotisme ouvert sur des bases plutôt pétainistes...
Le seul point
positif est l’éclatement de la vérité sur l’état de l’Ecole. Est-ce dû au
remplacement du Ministre Alain Savary par Jean-Pierre Chevènement qui remet au
goût du jour la nécessité de transmettre des connaissances et de combattre
l’illettrisme ? Je me méfie tout de même des discours sur l’ordre, la
discipline et l’exaltation de l’Histoire Nationale. Partant d’une volonté de redressement,
il peut très bien amener le pire. Quant au combat contre l’ignorance il
pourrait mettre en accusation les immigrés sur le thème : ils retardent tout le monde… Le problème
est de savoir si ce changement pourra infléchir quoi que ce soit. Au vu de la
situation du Lycée à la Rentrée, on peut parier que non.
A signaler
également la propagande militariste. On ne rate pas une occasion d’exalter ce
sentiment. C’était hier l’anniversaire de l’épisode des taxis de la Marne dont
on ne s’était jamais préoccupé jusque là. Quel décalage entre l’imagerie que
les réalisateurs tentaient de faire naître et la parole des survivants
interviewés. Ils pleuraient presque de chagrin au souvenir de la tuerie !
A l’Asole (contraction de l’Ecole et de
l’Asile) nécessité, après la visite de l’entreprise de camions Trailor à Soissons, d’ajouter l’Asine (contraction entre l’Usine et
l’Asile). Journée Portes Ouvertes dans l’établissement fermé et occupé par la
CGT. Les ouvriers font marcher l’usine comme lorsqu’elle fonctionnait dans la
réalité. Démonstration mimétique d’un monde mort. On voit accrochés aux
machines des panneaux qui disent je. L’un d’eux déclare On veut m’euthanasier mais je ne suis pas incurable ! Un syndicaliste nous fait visiter et tient un
discours incohérent. Il s’avère incapable de nous expliquer les causes de cette
restructuration à laquelle lui même n’a manifestement rien compris...
Ce qui frappe
chez Trailor, c’est la découverte
d’ouvriers non pas perdus mais abandonnés. Comme simplement jetés à la mer et
n’y comprenant rien. Leurs discours, leurs panneaux, leurs tracts, leurs
revendications ne s’exprimant qu’en termes de coûts des machines et de
manœuvres de travail, sans aucune compréhension même légère des problèmes
économiques. Les problématiques de la gestion leur sont totalement étrangères.
Nous leur posons quelques questions pour tenter d’y voir clair mais ils ne les
comprennent pas. C’est sans doute le résultat du taylorisme et de sa fameuse
formule Ne pensez pas, on pense pour
vous ! Non associés aux affaires depuis toujours, ils n’ont aucune
idée de ce qu’elles signifient. Il faudrait inventer un concept pour exprimer
ce résultat là, celui de la division sociale.
Encéphalogramme
plat de la vie politique. On a beau savoir rationnellement que cela serait pire
si la Droite était au pouvoir, on ne comprend pas en quoi ce pouvoir là est de
Gauche. On a l’impression d’avoir des morts à la tête du pays.
A l’initiative de
l’Association Adam, un week-end sur
le thème Les hommes et le sexisme. Fiasco
complet en dépit de l’attraction du sujet. Rien à dire sur l’organisation
matérielle mais le vide des interventions, laisse pantois. Des communications
invertébrées souvent sans rapport avec le sujet. Dans le meilleur des cas,
c’est la reprise des idées féministes d’il y a quinze ans ! On se demande
également quelle est la signification des propos de ces hommes qui tiennent le
discours des femmes.
S’agit-il de
l’apparition d’un tiers sexe, d’un monde de copains dont les sexualités sont
d’ores et déjà exclues au sens où le simple fait de rappeler des évidences
biologiques les fait ricaner ? J’ai ainsi
déclenché l’hilarité la plus complète en rappelant que l’œuf fécondé était le
résultat de la rencontre d’un ovule et d’un spermatozoïde. Par ailleurs, aucune
référence aux manipulations gestatoires en cours ni au fait qu’elles pourraient
bien rendre caducs les problèmes du féminisme, du masculinisme – en inventant ce néologisme - et jusqu’à l’ordre même
de la famille.
Je fais donc le
même sempiternel constat. A savoir que la décomposition sociale est toujours
plus avancée que ce que je crois et en même temps, celui de l’aveuglement
complet des gens quant aux modifications fondamentales en train de se faire, le
plus triste étant peut-être les soixante-huitards fossilisés. On se serait cru
à l’UNEF des années 1963/64 sans que le temps ait coulé. Un week-end stupéfiant
de paroles de mort, de vide, de non sens et de barbarie suicidaire. Le son de
cloche fondamental étant le refus d’enfanter, le refus de l’amour, le refus de
l’élément sexuel lui même. Les femmes qui étaient là n’étaient même pas
féministes et citaient Lacan, s’appropriaient les discours féministes sans pour
autant s’y impliquer.
La pression
augmente dans les conversations, non pas comme on en a depuis longtemps
l’habitude en faveur d’un retour à l’ordre mais pour empêcher certains propos
de se tenir. A la limite pour empêcher la vie elle même d’avoir droit de cité.
De semaine en semaine, l’espace se rétrécit. Le discours médiatique qui nous
tient lieu de politique affiche une banalisation complète du racisme (et à
cause de cela, je suis bien contente de la sortie de mon livre Auditions musicales certains soirs d’été
qui le dénonce). A constater aussi un virage à Droite des Socialistes qui
tiennent un discours de plus en plus démagogique et sécuritaire et une
propagande éhontée pour le libéralisme sauvage.
La seule lumière
de cette période a été le colloque tenu à Millau sur les problèmes fonciers.
Nous y avons rencontré des syndicalistes paysans radicaux, ultra vivants,
dynamiques, préoccupés de l’avenir de la société et de l’établissement des
Jeunes. Néanmoins leur projet de repeuplement agricole nous paraît une
aberration qui ne peut s’expliquer que par des préoccupations d’ordre
biologique. L’espèce, le groupe plutôt, s’inquiétant de la désertification et
cherchant par intérêt et/ou sécurité, à quadriller à nouveau son territoire.
Conversation avec
un chauffeur de taxi qui me reproche d’être une égoïste parce que je n’emploie
pas de femme de ménage et me refuse ainsi à donner du travail aux pauvres.
C’est la première fois que j’entends ce raisonnement en France, alors qu’il est
courant aux Antilles. Encore un signe de l’entrée de notre pays dans le
sous-développement. Désormais, il ne s’agit plus d’empêcher le dualisme de la
société mais de l’organiser, chacun ayant parfaitement conscience de sa place.
Au Lycée, le
bourrage de crâne de plus en plus pesant rend les échanges verbaux, de plus en
plus violents, invalidant les conversations qui étaient encore possibles il y a
seulement quelques semaines. Désormais chacun se tait pour limiter les risques.
Dire bonjour est devenu un acte courageux et y répondre une prise de position
politique. La vis est resserrée chaque semaine et l’ordre moral s’impose. J’ai
même dû y cacher le journal que je lisais dans la rue…
Le racisme et la
violence sont installés. Manifestation après l’assassinat d’un ouvrier turc.
Situation tragique de ces hommes qui ne pouvaient même pas crier des slogans
car quasiment incapables de prononcer les mots français, de la même façon sans
doute que nous, les mots turcs. Ils nous ont demandé au passage de leur
apprendre à prononcer les mots racisme
et fascisme. Il n’y avait
pratiquement pas de femme parmi eux, à part une qui baragouinait un anglais
aussi lamentable que le mien et qui nous a offert des bonbons !
Comment rendre ce
timide effort de fraternisation ? Curieuse manifestation avec les Français
d’un côté et les Immigrés derrière, avec des Français encore sur les trottoirs
comme s’ils n’osaient pas descendre dans la rue avec les Immigrés. Ma
partenaire de théâtre et moi, on s’était mises avec eux et ils en avaient de la
gratitude jusqu’à nous adresser la parole avant de découvrir le désastre du
silence qui s’instaurait parce qu’ils ne connaissaient pas la langue.
Difficulté
croissante de tenir en parallèle mes différents carnets. Je me repose à chaque
fois la question de l’écriture d’un journal pour conclure toujours à la même
impossibilité de le faire à cause des risques d’inauthenticité, sans compter
les erreurs consécutives au point de vue duquel il se situe, à savoir un excès
de subjectivité. J’ai en horreur ce genre littéraire, et pourtant je ne sais
pas comment rendre compte de cette étonnante réalité en train d’advenir.
Au Lycée cabale
contre Clément Rouhet, le Collègue réputé chinois. En fait métis vietnamien. Depuis
des années, des ragots courent à son sujet mais c’est maintenant une véritable
rumeur d’Orléans… Une pétition d’Elèves l’a fait sur le champ dessaisir d’une
classe. Les Professeurs se sont érigés en juges et sans le coup d’arrêt que j’y
ai fermement mis en jetant dans la balance tout mon poids moral - assez grand
il est vrai - c’était l’hallali. Mais il me semble que ce n’est que partie
remise… Ce sont ceux qui ont mené la danse qui ont repris les cours dont il
avait été dessaisi, alors qu’ils n’y avaient normalement aucun titre ni droit
pour le faire…
L’intéressé m’a
expliqué lui-même que c’était parce que nos Collègues ne parvenaient à le faire
destituer sur des bases pédagogiques que leur cabale avait inventé cette
histoire de mœurs, comme la seule possibilité de le faire révoquer. J’ai tenté
d’en impliquer dans la conversation quelques uns que je croyais honnêtes mais
ils se sont dérobés. On imagine aisément ce que tout cela peut donner en temps
de guerre...
Toujours est-il
que cette affaire nous a permis à Clément Rouhet et à moi-même de nous avouer à
quel point nous avions physiquement peur dans cet établissement et comme notre
lien nous permettait ensemble d’y résister. Il a résumé la situation par cette
phrase : Si je comprends bien, j’ai
une gueule de métèque et à toi on te reproche d’aimer les étrangers !
C’est exactement cela. Ma partenaire de théâtre me confirme la même chose dans
son établissement à elle. Tout cela traduit bien l’air du temps, l’exclusion du
racialement désigné. Mais comme tous ces gens se croient de Gauche, ils ne se
perçoivent pas comme racistes. On a affaire à une sorte de racisme forclos.
La société
extérieure a fini par entrer dans le Lycée mais d’une façon inattendue, à la
manière d’une inondation. L’angoisse de ne pas savoir qui est de quel bord et
de quel côté va tomber un tel lorsque la société va se partager. S’y ajoute un
sentiment nouveau de précarité et de prolétarisation accélérée qui n’apparaît
que cette année dans la conversation. Certains Collègues admettent même la
mutation technique et culturelle, ce à quoi - jusque là - ils se refusaient. On
observe aussi une diversification des attitudes qui vont de la réaction
tatillonne modèle dix-neuvième siècle, à la fuite, au cynisme et à la démagogie
en passant par une adaptation réelle à l’absurdité ambiante.
On assiste
également à un effondrement de d’identité nationale qui entraîne une sorte de
paralysie générale. Sans doute à la suite de la mondialisation et de la crise
économique. Le Pen apparaît dans ce contexte comme une réaction à cet état de
chose, l’égal de Khomeiny et sans doute pour la même raison.
Stage de
formation continue à la MAFPEN, dans les locaux de la Sorbonne. Ce lavage de
cerveau produit par une société d'ores et déjà totalitaire fera l’objet d’un
article à part. Il m’a rendu malade et je ne fais face que grâce à la méthode
Coué. Mais il y a plus grave, mon affliction profonde devant des prétendues
négociations avec le Patronat sur le nouveau concept à la mode : la flexibilité
du travail. Il me semble que c’est un
véritable démantèlement du Droit qui se prépare et je crains qu’on impose un
travail partiel aux femmes. Je ne comprends pas que les Syndicats se prêtent à
de pareilles guignolades.
Dans l’autobus, un
type s’adonnant à l’antisémitisme et disant qu’Hitler n’avait pas tort. J’ai alors ameuté tout l’autobus contre
lui…
En Nouvelle
Calédonie, les gendarmes désobéissent ouvertement au Gouvernement. A la
Télévision, on voit sur la route de Thio, cinq d’entre eux qui reculent
affolés, devant un Canaque brandissant un morceau de bois. La peur et la haine.
Le soir à la
Radio un invité fait purement et simplement l’apologie de la torture en
Algérie. Trop c’est trop !
Profonde tristesse
ces temps derniers, due à mes difficultés éditoriales, la censure exercée
contre moi par les revues littéraires, le Salon du Livre et le relatif silence
de la critique sur mes deux derniers livres publiés aux Editions des Femmes.
Dans le même temps
l’intensification de la Régression qui de semaine en semaine donne une
impression d’installation à vitesse accélérée dans Le meilleur des mondes
d’Huxley ou dans le 1984 d’Orwell. Tout cela s’appuyant sur une
propagande échevelée que personne ne dénonce puisqu’elle a pour fonction la
consolidation d’une nouvelle classe dominante celle des Communicateurs.
La manifestation
du MRAP du 7 Mai a rassemblé les deux cents derniers antiracistes de Paris.
Quant au Comité Stop Racisme, il est
déjà totalement pris en main par des apparatchiks qui manifestement ont tout
organisé, ne nous laissant comme possibilité qu’une adhésion totale. Tout était
déjà prévu : les cartes, le montant des cotisations et la structuration
verticale, bien entendu !
Impossibilité
complète de tenir une parole qui serait venue de la base et aurait tenté d’en
rencontrer d’autres dans leur expérience vécue. Il me semble qu’il y a là
aussi, régression et une impudeur totale dans la démonstration de l’appareil
qui ne cherche même pas - comme par le passé - à conserver au moins les
apparences d’un débat politique. Il s’agit là d’une pure forme, sans aucun
contenu politique et d’organisations qui règlent entre elles des problèmes de
préséances et de protocoles. La parole en est exclue, les individus et le
peuple, inexistants.
Quant au contenu
même des actions envisagées, j’ai été sidérée de les découvrir à côté de la
plaque. Il était question de faire des procès en s’appuyant sur la loi de 1972,
alors que Le Pen a gagné les siens neuf fois sur dix, de fonctionner comme
Amnistie Internationale, de faire pression par lettres sur le Gouvernement,
d’organiser des soirées musicales pour que les Communautés se connaissent entre
elles, alors qu’elles se connaissent très bien. Tout cela m’a donné
l’impression d’un humanitarisme mièvre sans rapport avec la tourmente dans
laquelle, ma partenaire de théâtre et moi-même, sommes engagées dans notre vie
d’Enseignantes. C’est d’ailleurs ce que nous leur avons dit avant de partir de
façon spectaculaire pour marquer le coup !… Il est d’ailleurs à noter que
sur les trente cinq personnes présentes, il n’y en avait que trois d’immigrés.
Après-midi bon
enfant à la Fête de Lutte Ouvrière à Presles.
Contentement d’avoir réussi à récupérer mon autonomie - marche et oxygénation -
perdues à cause de la maladie depuis trois ans. Ce que j’aime dans ce genre de
manifestation c’est la possibilité de rêver et d’être avec d’autres qui
partagent la même utopie. Ainsi au Forum de l’Education, quel soulagement de
rencontrer un groupe de gens pour qui il va de soi que l’autonomie des
Etablissements Scolaires les livre aux Patrons, tandis que l’absence de culture
générale est une mesure anti-populaire. La rencontre du même est un soulagement
qui repose le corps et le détend ainsi que l’absence d’agressivité. Une bulle
de bonheur et de paix dans la cessation de la tension quotidienne, ce cauchemar
qu’on trouve désormais partout.
Les trois dernières
affaires : La coupe d’Europe de Football, l’éviction des Arabes et des
Noirs à la Commission d’Admission en BTS dans mon Lycée et l’interdiction de
passer à la Télévision le film de Mosco : Des terroristes à la retraite. Trois affaires pour lesquelles j’ai
écrit des lettres de protestation.
La première à
l’Ambassadeur de Belgique pour protester contre le fait que le match
Liverpool-Turin ait quand même été joué au stade du Heysel après les quarante
morts causées à l’intérieur du stade par les bagarres des supporters anglais.
La deuxième à la
Directrice de mon Etablissement et la troisième pour protester contre la
censure à Antenne 2. Mais ces affaires exigent pour être traitées - et
nerveusement s’en remettre - plus de temps qu’il n’y en a, avant que ne se
produise une autre affaire nécessitant la même attention et le même traitement…
Ces trois
affaires expriment la même chose, à savoir l’établissement d’un nouvel ordre
d’oppression médiatique et technique avec éradication complète de l’idée de
l’être humain et des valeurs qui fondaient notre société. Telle qu’elle est,
notre lutte de résistance paraît inadaptée. D’abord elle est inefficace puisque
nous ne réussissons pas à empêcher ce qui survient et elle nous épuise à tous
points de vue en ne nous laissant pas le minimum de sérénité nécessaire au
travail principal, à savoir la création littéraire et artistique.
Quant à l’affaire
de la Commission d’Admission en BTS, elle m’occupe intégralement : Trois
jours de violence, de conflits et d’angoisses, sans compter ceux qu’il faut
pour pouvoir ensuite récupérer. Il n’est pas indifférent que ce soit trois
hommes qui m’aient molestée pour m’imposer leur refus de prendre des Elèves
noirs et arabes ! L’ordre extérieur de l’infériorité des femmes pénètre
désormais dans l’Education Nationale, au fur et à mesure qu’elle se privatise,
qu’en disparaît la culture spécifique et que la régression sociale généralisée
encourage l’entourage à augmenter la pression pour un retour à un ordre
domestique que je ne peux plus supporter.
Notre pouvoir
diminue dans tous les secteurs et on nous renvoie au néant dont nous avions
réussi dans la période précédente, à nous extirpées. Il semble y avoir catalyse
sur la question des rapports homme/femme. Est-ce parce que la Reproduction
Artificielle est en train d’évacuer les femmes ? Dans la rue, c’est le
retour de la brutalité de la drague qui avait cessé ces dernières années, et il
est de nouveau difficile d’entrer dans un café boire un demi au comptoir, ce
qui ne posait plus de problème dans la période que j’ai dénommée la Grande
Florescence. L’appellation Mademoiselle
fait un retour en force alors qu’elle avait disparue.
A propos de nos
Compatriotes retenus au Liban, l’horreur du mot disparu qui fait pour la première fois son apparition en
remplacement du terme d’otage.
Complication en
perspective autour de l’affaire Villemin, du nom de famille du petit Grégory
qu’on a retrouvé noyé, ligoté dans la Vologne. On est passé du fait divers au
drame social permettant à la société de se dire quelque chose à elle-même.
Cette affaire - déjà monstrueuse au départ - a enflé au point de devenir l’œil
d’un cyclone entraînant toutes sortes de vents dans son tourbillon, y compris
sur le sujet des femmes.
Tout a commencé
par un antagonisme croissant entre les diverses mouvances féministes sur lequel
s’est greffé une cabale contre Marguerite Duras. Chacun s’est mis à projeter
sur l’affaire Villemin ses propres fantasmes, au mépris tant des réalités que
des lois, afin de l’utiliser pour ses prises de positions idéologiques, sans
compter une controverse médiatique du type tempête
dans un verre d’eau probablement pour combler le vide estival… L’année
dernière le thème était le silence des Intellectuels…
Ce que Chantalle
appelle le dérèglement pour nommer ce
qui caractérise le Lycée, s’appelle dans ma terminologie à moi, le charnier,
voire encore pire. Le terme d’Asole
employé les deux années précédentes est lui même dépassé. Le vent de folie qui
y souffle ne me fait plus rire du tout, encore moins la méchanceté de la
Directrice qui tire sur tout ce qui bouge, ou l’agitation du Censeur passant
son temps à nous glisser dans les Cahiers de Textes des notes de service
surréalistes qui mériteraient qu’on les collectionne, si elles n’étaient
odieuses.
L’Intendante elle
même, de plus en plus malade et lointaine, m’abordant dans les escaliers pour
me dire que les Parents d’Elèves lui ont reproché la mauvaise qualité de la
cantine, insuffisante et froide, ce qui n’est pas vrai, je le sais parce que
j’y mange régulièrement. Je l’ai réconforté sur le thème Ne vous cassez pas à discuter avec des dingues, ils sont tous fous à
lier. Et je lui ai rappelé la Radio de Londres qui martelait pendant la
guerre L’ennemi essaie de vous accrocher,
décrochez ! Elle a ri et j’étais bien contente lorsqu’elle m’a dit Heureusement que je vous ai
rencontrée ! Elle a dit à quelqu’un d’autre à mon sujet Elle m’étonnera toujours parce que je
lui avais signalé que les marronniers de la cour ne donnaient plus de marrons
et qu’il fallait faire quelque chose pour eux….
Il avait un nom
évoquant les oiseaux aquatiques, un prénom qu’on aurait dit barbare ou viking,
il habitait à l’extrême bout du continent. Et tout à coup l’inattendu : J’ai cru que c’étaient des enfants qui
s’amusaient avec des pétards, je me suis retournée et j’ai vu Olof par terre
dans une mare de sang dit la femme du Premier Ministre suédois,
assassiné...
On peut mesurer
justement notre propre dérive actuelle, par rapport aux Suédois. Ce socialisme qui nous paraissait si
dérisoire dans les années soixante-dix et un sujet de plaisanteries dans nos
milieux, nous apparaît aujourd’hui comme désirable. On dit maintenant qu’on se
contenterait bien d’un socialisme à la suédoise,
comme le dissident russe Boukhovski disait par dérision à propos du projet de
l’éventuel socialisme à visage humain,
qu’il se contenterait bien du visage
humain.
Je ressens
l’assassinat d’Olof Palme comme une blessure personnelle, car vraiment si on
s’en prend aussi à ceux là… Pour le reste, mon détachement des questions
politiques est total car tout se fait en dehors de nous et dans la négation de
nos valeurs. Nous ne sommes comme concernés en rien.
J’ai été étonnée
de l’appel des Intellectuels et Créateurs
paru dans Le Monde du 2/3 Mars et
appelant à soutenir ce Ministère au motif que jamais aucun Gouvernement n’avait
donné autant d’argent pour la Culture. L’argument me paraît étonnant et
finalement bien à la mesure de la mélasse psycho-politique dans laquelle nous
vivons. Que les gens de culture appellent à soutenir les gens qui leur donnent
de l’argent est pour le moins surprenant. Une sorte de tête à queue idéologique
qui me laisse pantoise. Chantalle ajoute même Et pour les résultats que cela a donné !
Le fait est que
depuis que je m’intéresse à la politique, je n’ai jamais vu l’argent et
l’inégalité régner avec autant de cynisme. C’est tout de même un paradoxe pour
un Gouvernement élu sur un programme de Rupture
avec le Capitalisme… Et quand on sait que cet appel a été lancé par le
Directeur de l’Opéra de New York !…
Humiliation
redoublée comme ayant rendez vous avec deux amis canadiens, ils m’ont à peine
assis annoncé qu’une certaine radio allait me téléphoner pour que j’appelle à
voter Mitterrand au nom de la défense des valeurs de la Gauche. J’ai eu
l’impression que tout ce Comité nous considérait déjà comme des
sous-développés, ce que j’avais déjà ressenti lors de mon premier voyage en
1982 à l’invitation de l’Association des Professeurs de Français Canadiens. Je
leur ai répondu que non représentative et carrément marginale, mon appel
n’avait aucune signification.
Mais comme cette
première réponse n’avait pas suffi et qu’ils revenaient à la charge en me
disant qu’il fallait faire quelque chose pour le Gouvernement, j’ai été obligée
de leur dire que tous les jours dans mes Classes je combattais un fascisme
massif et que moi aussi j’aurais bien aimé que le Gouvernement me soutienne
autrement qu’en proposant des TUC aux Elèves dont j’avais la charge. Je crois
qu’ils ont compris sans que pour autant rien de blessant ou de décisif ne soit
dit de mon côté.
Les médias nous
annoncent à les entendre, une bonne nouvelle. Les deux terroristes qui avaient
été expulsés ont été graciés et ces deux hommes prétendument étudiants, sont
libres de venir reprendre leurs Etudes en France quand ils le voudront....
Munich, Munich ! Je me souviens des applaudissements de la population et
de cette remarque de nos dirigeants devant la ferveur populaire : Les cons, s’ils savaient ! C’est la
honte…
Le Liban est
devenu un vrai cauchemar depuis quatre ou cinq jours, à savoir depuis
l’assassinat de notre compatriote Seurat qui y a été enlevé. J’en rêve la nuit
et me réveille en sursaut, profondément angoissée à crier. Cela a pris à l’aube
le relais et/ou la place de mon cancer. C’est la première fois que j’éprouve ce
genre de chose pour des raisons politiques. Une angoisse à la mesure de ce que
fut la joie de 1968. Non seulement l’angoisse vient des périls réels mais du sentiment
d’être dans une société en pleine décomposition car comment comprendre que les
gens puissent se réjouir d’une capitulation ? On a pourtant bien vu ce que
cela donnait face au Nazisme. Comme je disais à mon voisin La mobilisation n’est pas la guerre, plus pessimiste que moi encore
il m’a répondu Le problème est que la
guerre soit la mobilisation.
Journée
extraordinairement pénible. Bien que je n’aie pas manqué au Lycée depuis mon
opération du cancer du sein il y a trois ans et demi, j'envisageais ce matin de
ne pas y aller, tellement j’étais accablée. De fatigue d’abord, de tension
nerveuse et de désespoir, à la limite de l’exténuation que j’ai connu à la fin
des Septantes. Je me suis alors aperçue que ce que je voulais fuir, c’était
l’ambiance de capitulation de l’avant veille, au Lycée. Pour me stimuler je me
suis dit qu’on allait basculer dans la guerre et que mon devoir était d’y
aller. Cela m’a paru insupportable mais j’ai compris que si je n’y allais pas
cette fois, il me serait encore plus difficile, voire impossible d’y retourner
ensuite.
Sortie du cours
de Gymnastique à quinze heures avec rien d’autre devant moi que les Elections
Législatives et leur prévisible, sinistre résultat. Une violente angoisse de
mort m’a prise, comme un véhicule dans lequel il allait falloir monter pour
aller s’écraser contre un mur, ou une trappe qui allait s’ouvrir et me laissée
pendue, la corde autour du cou. Je me suis sentie totalement désemparée.
J’ai acheté le
journal qui titrait Le Djihad Islamique
accentue sa pression sur Paris, à la veille des Elections. La détresse
étant alors insoutenable, j’ai reflué vers le Lycée, pour ne pas me trouver
enfermée seule chez moi. Dans l’escalier j’ai dit à une Collègue hésitante qui
avait son manteau sous le bras, comme un duvet Alors tu campes ? J’ai eu l’étonnement de l’entendre répondre J’ai peur si je m’en vais, de ne plus
pouvoir revenir. Cela exprimait tout à fait, ma propre difficulté.
En rentrant à
pied avec Chantalle, on s’est lamenté sur ce qui allait nous arriver et je lui
disais comme le triomphe de la Droite allait m’être insupportable. Sur le
trottoir un type qui nous doublait m’a entendue, il s’est arrêté et nous a
engueulé très agressif d’un Vous feriez mieux
d’aller voter ! On s’est trouvé interloquées, il voulait poursuivre
plus loin la conversation, mais je m’y suis refusée. Tout cela nous a fait
froid dans le dos, sans qu’on comprenne vraiment pourquoi. C’était comme si la
simple expression d’une émotion personnelle était interdite, car une ou deux
autres fois jusqu’au métro, il m’a semblé qu’on se moquait de notre désarroi
exprimé.
Grand titre
racoleur à la Une de France-Soir :
Ils supplient ! Avec la photographie de nos compatriotes otages
au Proche Orient. Comme Chantalle le désapprouvait également, je lui ai dit En temps de guerre, il y a la censure. C’est
d’ailleurs en écoutant dans les médias la femme de Seurat prisonnier, que j’ai
compris pourquoi. Près du kiosque il y avait un Arabe qui m’a jeté un regard
noir et j’ai eu peur. Dans le métro, un ouvrier en blouson et casquette m’a
regardé longuement. J’ai pensé que c’était lui qui allait payer le prix fort.
J’ai eu mal. Mon cœur s’est serré et j’ai eu pitié.
Contre-attaque ce
matin par une séance de piscine qui assure le bien-être, même dans les journées
difficiles. Nous sommes ensuite partis avec mon voisin visiter une exposition à
Beaubourg car mon instinct m’a conseillé de ne pas restée enfermée chez moi
mais la queue y était telle qu’on a laissé tomber.
Toute la journée j’ai continué à visser les boulons mais j’avançais comme dans
du béton. On a fini par aboutir au cinéma voir Les folles années du twist, un film algérien sur la Guerre
d’Algérie. Il y avait peu de monde dans la salle mais une moitié d’Arabes.
C’était la première fois que je voyais un public mixte dans des proportions
égales et cela m’a mis la joie au cœur. On a traîné pour ne pas rentrer.
Au téléphone une
conversation avec ma partenaire de théâtre a fait apparaître qu’on craignait
dès lundi d’être victime de quelques agressions. C’était la première fois que
l’on se le disait.
Longue journée,
tous boulons serrés. Au Théâtre La Bruyère : Largo Desolato de Vaclav
Havel que je découvre. Le théâtre en tant que représentation. Le cyclone
représenté, dans l’œil même du cyclone.
Les résultats des
Elections Législatives sont moins pires que ce qu’on pouvait craindre. Les
dégâts sont limités, les deux partis de la Droite (RPR et UDF) n’ont que deux
sièges de majorité et les trente et un pour cent du Parti Socialiste sont au
delà des espérances.
Je me suis mise
au lit avec une tablette de chocolat. J’avais refusé d’accompagner le reste de la
famille, partie au bureau de vote dépouiller les résultats, de crainte de ne
pas pouvoir me retenir de flanquer une gifle au premier qui laisserait éclater
sa joie.
Il semble au
Lycée que ma présence et ma parole sans équivoque ni faiblesse réaniment les
énergies défaillantes. Tout me pousse au combat extérieur, le repli sur
l’écriture allant de pair avec l’enfermement domestique. J’ai donc du mal à
tenir cette chronique historique car il est impossible d’en même temps, agir et
raconter. Il serait pourtant intéressant de garder trace des échauffourées des
Collègues banalisant le Front National et enchaînant sur des propos ouvertement
racistes.
La famille m’a
raconté l’ambiance de fraude au Bureau de Vote et l’effort de mon voisin pour
tenter de surveiller et de l’empêcher, sans pour autant y parvenir, ni prendre
sur le fait. J’ai été bouleversée d’apprendre que mon voisin avait appelé ma
progéniture à l’aide pour tenter sans succès d’exercer cette vigilance. Ayant
entendu au Lycée d’autres échos de fraude, j’ai été interloquée de découvrir
une situation encore plus dégradée que ce que je pensais. J’ai découvert alors
que la démocratie reposait sur le civisme et l’acceptation d’une certaine forme
de sacré républicain. Comme s’il n’y avait en quelque sortes pas d’autres
garantie de la République que l’existence des Citoyens et non l’inverse comme
on nous l’avait enseigné, ou tenter de le faire croire.
Curieuse ambiance
faite de l’effort de laisser naître en soi le Printemps, à la limite même de
tenter de l’impulser pour qu’il rejoigne le corps du vivant qui se manifeste
maintenant.
J’ai attendu
toute la journée d’hier la nomination du nouveau Gouvernement, retrouvant en
cela mes impressions de petite fille sous la Quatrième République. Je me
souviens même d’un tout premier poème (aujourd’hui perdu) sur ce sujet, avant
le 1958 de mes treize ans… Je m’en souviens à cause de la question que j’avais
posé à mon père, à savoir comment était-il possible qu’on remette les mêmes
ministres à des Ministères différents et de la réponse paternelle, à savoir que
c’était le Chef de Cabinet qui faisaient le travail effectif.
Depuis il m’a
fallu tout ce temps et notamment l’expérience socialiste pour comprendre le
vrai fonctionnement du monde politique, à savoir non pas l’affrontement des
idées pour la construction de la Cité, mais au contraire la défense de
positions choisies en fonction des arrivismes et des projets de carrière
individuelle. C’est le décalage entre la situation idéale de 1981 et l’accouchement
de la souris d’aujourd’hui qui a fini par m’ouvrir les yeux.
A la Télévision,
image tragique de ce Conseil des Ministres nouvellement nommé, sans qu’on y
voie une seule femme… Une trentaine d’hommes autour d’une table, avec des
visages totalement fermés. Au milieu d’eux un Mitterrand tout petit, comme déjà
prisonnier. Cette image en disait plus long que tous les commentaires On les
sentait à deux doigts de dégainer, un peu comme dans les westerns lorsque les
gangsters sont immobiles sur la place du village, juste avant la grande
bagarre. Aucun concept ne peut traduire cette idée mais l’image oui, c’est une
illustration de ce que j’appelle L’encept.
Le nouveau
Ministre de l’Education Nationale était garagiste et n’a que son BEPC ! On
a l’impression d’une provocation. Mon voisin a inventé une devinette « Quelle est la différence entre le Ministre
de la Culture et celui de l’Education ? »…. Réponse : Celui de la Culture sait lire !…
Toute la semaine, impression de camouflet et accablement.
Salon du Livre
1986. Morne et répétitif sans l’âme de l’an dernier, due au débat sur la
francophonie. Signature au stand des Editions
des Femmes. Les ouvriers de l’imprimerie sont venus me saluer en me disant
qu’ils parlaient souvent de moi et que j’écrivais beaucoup. J’ai été
bouleversée car souvent en corrigeant les épreuves et particulièrement celles
de Canal de la Toussaint, je me suis
demandée ce que pouvait en penser ceux qui matériellement fabriquaient le
livre. Je les aurais bien pris dans mes bras, mais je n’ai pas osé.
Sont aussi venus,
trois de mes anciens élèves. Nécessaire réunification des différentes facettes
de mon existence. Unification depuis longtemps désirée mais si lente à se
réaliser. Des lectrices aussi, la trentaine, toutes sur le même modèle et enfin
la pluie qui me tombait dessus à travers la magnifique verrière du Grand Palais que j’adore ! Oui la pluie qu’il n’y avait pas moyen
d’éviter. On a d’abord déplacé la table et les tréteaux avec les livres mais il
pleuvait toujours dessus et il a fallu se résigner. Interview d’un journaliste.
Conversation intense à laquelle je me suis donnée comme avec aucun d’entre eux.
Jacques Chirac
désormais Premier Ministre fait devant le Parlement un discours de politique
générale pour présenter son programme, totalement réactionnaire. Je retrouve
cette vieille France méchante, qu’élevée sous l’autorité d’un père tolérant,
j’ai mis si longtemps à découvrir, mais qui maintenant me glace la peau sans
que je puisse m’en débarrasser.
C’était même le
thème de mon malaise de lundi dernier, après le passage de mes habituels
examens médicaux à l’Hôpital et la tournée des Lycées ayant des Classes
Préparatoires pour tenter d’y faire inscrire ma progéniture. Malaise
particulièrement dû au discours de la secrétaire du Lycée Louis le Grand qui
m’a longuement expliqué comment faire pour tourner la loi.
Cette ambiance de
fraude ouverte me démoralise complètement. Depuis quelques temps déjà on
passait pour une idiote si on ne fraudait pas mais désormais cette intégrité
civique n’est même plus comprise. L’idée même de la loi est en train de
disparaître. Quant au programme politique c’est ni plus ni moins que celui des Chicago Boys mais quand je le dis à
l’entour, personne ne semble s’en émouvoir. Je m’interroge sur cette cécité
intellectuelle.
Mes Collègues ne
comprennent pas la signification ultra libérale de la haine des fonctionnaires
et du blocage de leurs seuls salaires, alors que tous les avantages sont accordés
aux entreprises. On dirait qu’ils se méprisent tellement eux mêmes qu’ils
trouvent normal d’être traités comme des moins que rien. J’ai annoncé dans un
article de 1975 dans le Monde de
l’Education, la fin de l’Education
Nationale et il me semble qu’elle est bien en train de se réaliser.
Je me découvre un
sens de la gestion de la vie quotidienne que je ne me connaissais pas parce que
je ne l’avais jamais pratiqué jusque là. C’est que nous n’avons plus les moyens
ni du désordre ni du gaspillage que j’assimile à tort ou à raison à mon cancer
du sein qui m’a laissée des forces moindres. Mais c’est aussi parce que la
maladie a accru ma lucidité et que la situation sociale et politique est
devenue tellement hostile qu’il est nécessaire de mettre en place un système de
défense qui puisse durer des années. Un peu comme j’avais en Juillet 1982 testé
la posture mentale qui me permettrait de faire face au terrible diagnostic,
avant même d’en avoir la certitude absolue.
Dans la Salle des
Professeurs, explosion de haine de certains Collègues contre Kadhafi, sans
doute à défaut d’oser affronter l’Iran trop puissant. A les entendre, je suis
frappée du manque de culture de mes Collègues qui ne connaissent manifestement
rien ni aux Arabes ni à l’Islam et ni au terrorisme.
Mon écriture part
dans tous les sens sans que je sache ce qui est le plus important, la
littérature, la philosophie ou cette chronique de la vie sociale. Chaque jour
une décision est prise, pire que la veille. Et que dire du ton employé?
Jean-François Kahn est licencié d’Europe N°1, et Michel Polac sans arrêt
menacé. Partout, on mène campagne contre les Intellectuels et les Etrangers. Au
Lycée, pas une seule journée sans incident. On est tout de même étonné de
constater que personne ne proteste, ni groupe, ni parti politique, ni
institution. On constate seulement les réactions individuelles de gens faisant
preuve d’un grand courage. Le Parti Socialiste est invisible….
Les mesures
économiques qui sont prises unilatéralement évoquent le XIXe siècle. Dans un
cours de Sciences Economiques, on croirait à un mauvais travail pratique.
Comment s’étonner qu’au bout de deux mois à peine, ce nouveau Gouvernement
paraisse déjà usé ?
Jeudi projet de
loi contre les Etrangers. Cela m’évoque le pire, je sens bien qu’il se passe
quelque chose, mais tout ce que j’arrive à faire, c’est à refuser net toute
discussion avec ceux qui pactisent avec le nouvel ordre qui se met en place. Ce
matin on apprend que des mineurs ont été arrêtés aux Halles et que leurs
parents n’ont pas été prévenus. Charles Pasqua nous explique que les Jeunes ne
doivent plus aller aux Halles et on nous passe le témoignage d’une des mères de
ces jeunes mineurs en état d’arrestation qui approuve la Police. Ma partenaire
de théâtre me dit qu’elle ne lit pas les journaux pour ne pas voir ce qui se
passe, ce qui me paraît tout de même bien dangereux.
Ce ne sont plus
des bavures, mais un système. Pas une journée sans une horreur policière. Ils
nous disent qu’ils aménagent les camps militaires parce que les prisons sont
trop pleines et je me dis qu’ils préparent des camps de concentration. Il y a
cinquante pour cent de détenus en trop par rapport au nombre de places, et les
nouvelles directives pourraient bien en augmenter le nombre. On a la sensation
qu’on transforme la population en bétail. Les lois ne sont même plus des
garanties puisqu’elles sont elles-mêmes fascisantes et destinées à intimider.
On se prend à avoir peur d’être simplement dans la rue mais c’est sans doute
l’effet recherché. Au Lycée la Culture Générale et l’Humanisme ont totalement
disparu. Je ne vois pas d’autre attitude possible que le boycott complet, à
peine d’être entraînée dans ce qui pourrait bien être de la Collaboration.
Meeting de
soutien à TF1, la principale chaîne de Télévision qui sort du Service Public,
Place de la République. Tous les Intellectuels n’étaient donc pas en week-end,
mais répartis sur l’ensemble de la place, cela ne faisait tout de même pas
grand monde. Dupond et Dupont, c’était bien la Bourgeoisie ! Celle de
Gauche est préférable à celle de Droite, c’est tout ce qu’on peut dire mais
j’ai tout de même été étonnée de les voir ainsi tous semblables sur le plan
physique, la même allure avec des femmes identiques…
C’était frappant
cette caste de Bourgeoisie Intellectuelle qui avait besoin de l’Etat mais qui
n’était pas socialiste pour un sou. On ne voyait ni jeunes, ni prolétaires,
quelle condamnation plus radicale ? Et comme on me demandait de signer une
pétition, ce qui n’est pas dans mes habitudes, l’envie me prît de leur dire
qu’ils ne s’étaient guère préoccupés de la population avant d’être touchés eux
mêmes par la répression et que le peuple était l’alibi de leurs privilèges. Je
n’en ai rien fait mais je sais désormais que le demos de démocratie ne veut pas forcément dire le peuple mais - je l’ai lu dans le
dictionnaire grec - tout aussi bien la circonscription
et dans ce sens là, c’est éclairant !
Deux otages ont
été libérés ! Jacques Chirac a donc cédé à l’Iran ! On ne peut même
pas dire que c’est Munich car il s’agissait alors d’abandonner des Alliés
tandis que là, c’est nous mêmes que nous abandonnons. Je ne me sens pas
défendue et c’est ce qui m’angoisse. Ce n’est pas qu’il y ait de l’inquiétude
sur le sort de la bataille mais plutôt la déréliction d’une capitulation sans
combattre.
Samedi, hier, les
otages sont arrivés à vingt heures pendant la retransmission du Mondial dans lequel la France était en
quart de finale. Une grande première médiatique car on a inventé pour cela de
projeter dans un coin de l’écran leur arrivée à Orly, dans un petit rectangle
pendant qu’on continuait sur le reste de la surface à visionner le football. Je
m’amuse de constater que l’art télévisuel a inventé deux ans après, ce que
j’avais déjà mis en place dans Canal de
la Toussaint pour tenter de dire le monde dans sa totalité. Cela m’a
terriblement émue et confirme bien que la scène médiatique est le nouvel espace sacré, rôle tenu
autrefois par le Théâtre. J’aime bien cet art là, fait du mélange de la réalité
et de l’imagination.
Horreur de
constater que désormais l’Iran nous donne des ordres auquel on obéit et dégoût
du ton sur lequel tout cela est fait. Il est clair que la libération des otages
est le premier terme d’un contrat dont les autres éléments nous seront révélés
peu à peu et dont le but est bien de conforter ce fanatisme totalitaire qui me
menace doublement, en tant que démocratie occidentale, mais aussi et surtout
comme femme.
Exclusions de
Basques, en vertu des nouvelles lois sur les Etrangers qui menacent l’Ordre
Public. Dans la torpeur estivale, le nouvel ordre se met en place dans le
démembrement des structures institutionnelles. Le bouquet étant l’invention du
licenciement à mi-temps, c’est à dire que le mi temps peut légalement être
imposé, et on sait bien d’avance à qui. L’ordonnance étant applicable dès
Septembre. Mlle C et moi nous nous sommes formulées des condoléances réciproques,
cherchant laquelle de nous deux était la plus menacée.
La Rentrée s’est
mieux passée que les années précédentes, car je suis moins fatiguée. C’est
malheureux à dire mais c’est parce que je n’avais invité personne cet été à la
campagne, et cela après avoir établi que cela m’apportait plus de déboires que
d’avantages et quelle que soit l’affection très réelle que j’ai pour mes
invités. Est-ce mon âge ou les nécessités de la littérature ? Peu importe
car dans mon cas, d’une certaine façon c’est pareil ! Donc rentrée
décontractée dans la mesure où les jeux sont faits et la rupture consommée avec
un monde en Régression. Je ne suis plus concernée et me porte beaucoup mieux.
Le terrorisme va crescendo.
Il y a un attentat tous les jours. Karachi, Istanbul, Paris. Je n’ai pas peur,
cela renvoie à une case connue et établie : la Guerre. Il y a quelque part
dans un coin de mon être cette phrase La
guerre, je sais la faire. C’est peut-être même ce que je sais le mieux
faire. Il me semble que c’est parce que j’en comprends les lois, au sens de la
logique de fonctionnement.
Trois attentats
dans la semaine à Paris, de préférence organisés dans des lieux et moments tels
qu’ils constituent une provocation à la suite des discours de Jacques Chirac
qui roulait les mécaniques On se sent un peu humilié et le nationalisme aurait
tendance à s’ulcérer. Dans la pratique, ce sont des fouilles avant d’entrer à
Beaubourg, dans les banques et Cie, c’est à dire dans des endroits de plus en
plus nombreux. Celles qui ont eu lieu à l’entrée de la Préfecture n’ont
pourtant pas empêché l’attentat d’y avoir lieu. Cela laisse rêveuse.
Le métro est
souvent interrompu, il faut remonter en surface, prendre l’autobus, toutes
sortes de dysfonctionnement de ce genre. J’ai plusieurs fois essayé de
plaisanter dans ce genre de situation pour ressouder le Corps Social en
opposant à l’adversité ma tranquille sérénité mais je n’ai pas été suivie.
Autre curieuse sensation, à la sortie du métro Saint Michel, des policiers
contrôlaient les gens mais ma vêture était telle (je sortais d’un cocktail)
qu’ils semblaient ne pas avoir osé. J’ai eu pour un coup le sentiment de faire
partie de l’establishment et un vague écoeurement de ce constat sans pudeur de
la hiérarchie sociale, éclatant là plus que jamais.
Je sais d’avance
ce que seront au Lycée les propos qui s’y tiendront, les fausses indignations
et les vraies démissions, la vulgarité mentale surtout, l’absence de perspectives
collectives, morales et historiques.
Mise à prix des
frères Abdallah pour Cent millions de centimes. Je découvre avec stupéfaction
que cette somme est assez importante pour faire envie…
Les Suédois
viennent de greffer des tissus fœtaux sur un cerveau atteint de la maladie de
Parkinson. Je m’interroge sur le fait de savoir si en 1983-84, comme j’étais
dans le marasme mental à la suite du traitement de chimiothérapie
anticancéreuse qui m’avait tout ravagé, y compris la tête, on m’avait proposé
ce traitement pour en réparer les effets néfastes, si je l’aurais accepté. Et
sans hésiter j’ai répondu oui ! Je me suis retrouvée sidérée de la
réponse.
J’ai ouvert un
nouveau carnet concernant les questions de terrorisme. Je l’ai nommé Fragments du tiers drame comme si gisait
là la fin des espérances de ce que j’ai appelé la Tierce Culture, dont on ne semble pas près de se rapprocher en
France. Chaque jour qui passe resserre un peu plus un insupportable garrot
qu’on ne sait plus comment analyser, parce qu’il semble que les idées elles
mêmes se rétrécissent au fur et à mesure que le garrot se resserre… On a bien
sûr des repères, et on les observe, terrifié. D’une semaine à l’autre la décote
est visible à l’œil nu.
Le Journal Le Monde
publie par exemple des articles médicaux de plus en plus féroces dans le sens
du tout biologiquement héréditaire, excluant et rejetant dans les fantasmes - selon leurs termes - toutes
les analyses prenant en compte les phénomènes psychosociaux. On s’effraie de
l’ampleur de la régression. Ce jour notamment, un article sur le suicide qui
ramène le phénomène à une maladie excluant les composantes de désespoir et
d’affectivité. On sent bien qu’on retourne vingt ans en arrière et on ne voit
pas comment faire face à un pareil raz de marée….
Manifestation
artistique dénommée Le génie de la
Bastille. De prime abord, une étonnante explosion artistique ! Tous
les ateliers sont ouverts au public. Les Artistes sont là, on peut discuter
avec eux ! Ils ont invité chacun un comparse et l’ambiance est un peu
soixante-huitarde, les gens se parlant sans intermédiaires Etc… On a le souffle
coupé, on n’aurait pas osé rêver de cela, et pourtant, cela est !
Et puis petit à
petit, au fur et à mesure des visites, on est imbibé de la misère de ces
ateliers équipés dans les décharges publiques, loués bon marché dans un
quartier appauvri par la faillite des artisans qui en constituaient le tissu et
que d’Art il n’y en a pas vraiment, mais plutôt un ressassement des inventions
de la Biennale de Pompidou, des
copies de copies, ce que n’importe qui finalement peut faire en ayant sous les
yeux des reproductions. Cela finit par générer un véritable malaise au point de
se demander ce qui se passe, avant de découvrir, que c’est là encore, le mime
caractéristique des sociétés démantelées.
Ici, on joue à
être à New York, au village des Artistes et on voudrait surtout ne pas laisser
passer le coche et ne pas en être. Louer une soupente dans ce quartier équivaut
semble-t-il à une patente artistique, si on affirme ensuite que c’est bien là
qu’habitent les créateurs de l’Art moderne. Il s’agit de saisir l’opportunité
immobilière de la construction d’un nouvel Opéra, Place de la Bastille, en
espérant qu’il y aura alors transformation du quartier en un deuxième
Beaubourg. Il ne faut pas rater le placement, dans tous les sens du terme…
En se laissant
encore imbibé davantage par l’ambiance, on perçoit dans tout cela l’existence
d’un lumpen-prolétariat chômeur, qui se lance dans n’importe quelle combine
pour tenter une intégration, récupérant et cumulant toutes les formes que nous
avons nous inventées pendant quinze ans. Une moisson de formes libertaires, sur
une absence totale de fond. Tout cela est navrant dans les tréfonds et la
sourde angoisse me reprend….
Je n’ai rien
écrit dans cette Chronique depuis un mois, pas faute pourtant d’avoir de la
matière. Mais ce trop plein s’en accommodait mal. Un mois d’agitation lycéenne,
débouchant sur une apparente victoire (retrait de la loi Devaquet). On ne peut
malheureusement pas considérer ce retrait comme une résolution des problèmes de
l’Ecole, qui demeurent entiers. D’où le profond malaise. Le mouvement qui était
par sa force en situation de renverser le Gouvernement n’a pas même été en état
de ne serait ce, que de demander la démission du Ministre de l’Intérieur après
l’assassinat du jeune Malik Oussékine dans un style policier à la chilienne.
En en ayant
discuté avec mes Elèves, il est apparu qu’en fait ils ne le souhaitaient pas,
appréciant ce ministre pour sa politique sécuritaire… Mon voisin a beau me
faire remarquer que mon Lycée n’est pas représentatif de la société française,
il me semble pourtant que ce qui s’y dit et vit, en concerne l’essentiel.
Les Elèves en
grève depuis plusieurs semaines avaient accepté de reprendre les cours au Lycée
lorsque débuta l’agitation du Secteur Public. D’abord la grève des Chemins de
Fer dura un mois, relayée par celle des Transports Urbains et de l’Electricité.
Cela a entraîné un bourbier social très pénible qui a duré jusqu’à maintenant,
la mi-janvier, date à laquelle elle semble cesser sans avoir posé les questions
politiques. Les grèves se sont terminées après avoir scandalisées une partie de
la Gauche, mécontenté les usagers comme jamais sans rien obtenir du
Gouvernement et nécrosant encore un peu plus, le tissu social.
La sociabilité,
voire la socialité elle même qui a été jusque là mon moyen essentiel de défense
est devenu pour moi un danger supplémentaire, dont il me faut désormais apprendre
à me protéger. De plus - détail désagréable - ma partenaire de théâtre et moi
même sommes apparues dans les manifestations comme des vieilles qu’on rejetait
pour obsolescence d’autant plus péniblement que nous persistons à penser que
ces mouvements ne sont pas progressistes.
Ils sont
incontestablement nouveaux mais plutôt du côté du conservatisme que de
l’amélioration sociale dont l’idée elle-même semble s’être perdue. C’est cela
qui me paraît le plus grave. Plus grave encore que l’idée de l’amélioration
sociale, c’est l’idée même de la société qui est en voie de disparition. C’est
ce qu’ils appellent l’apolitisme, la
valeur montante de tous ces mouvements…
Le Lycée de
Mantes est fermé. Les Professeurs et les Elèves ne viennent plus sans même
qu’on sache si c’est à cause des grèves de la neige ou bien du simple
découragement, les ateliers des Elèves n’étant pas chauffés. Depuis deux mois
déjà les cours n’ont plus eu lieu normalement, traduisant l’effondrement
social. Les gens ne supportent plus rien ni les intempéries, ni les lois, ni
même leurs congénères. Tout ce qui est autre que soi semble devenu un
implacable ennemi.
D’une semaine sur
l’autre le flot des clochards monte dans la ville. L’aumône n’enraye plus la
montée des eaux car on ne peut donner à tous, ni à chacun. J’éprouve une forte
hostilité envers celui qui est régulièrement assis dans le couloir de ma
correspondance au métro Opéra. Il est toujours à la même place et me met mal à
l’aise que je lui donne de l’argent ou non. Je ne peux pas l’éviter car il n’y
a pas d’autre cheminement possible et j’appréhende la rencontre. Donner ou bien
ne pas donner me plonge au fil des jours dans un arbitraire que je ne supporte
pas.
Trente mètres
plus loin, il y en a deux autres, garçon et fille de l’âge de la progéniture.
Les mains entrecroisées, se serrant amoureusement l’un contre l’autre,
décomposés, pauvres et blêmes, ils sont éperdus l’un de l’autre et perdus.
C’est la première fois que je vois des amoureux clochards, dans une auréole de
lumière, d’amour et de misère. J’ai été tellement impressionnée que je leur ai
dit Vous ne pouvez pas rester comme
çà ! Comme si dans mon imaginaire, un pareil amour excluait de
s’abandonner à la mort. Ce n’est pas
facile me dit la jeune fille quand
personne ne vous tend la main et à l’ANPE, il n’y a rien ! Je leur ai
donné cent francs en mémoire de notre propre jeunesse en lui disant Je vous donne cent francs, parce que
vous êtes deux ! leur offrant ainsi la
possibilité d’un moment de confort.
En arrivant dans
l’Etablissement, j’ai essayé de le dire mais j’ai rapidement renoncé face à la
volonté de mes Collègues de ne pas être incommodés par la misère. J’ai trouvé
qu’il y avait en eux quelque chose de Sud Américains qui m’a détaché d’eux. Et
pourtant quelques lambeaux de vérité apparaissent de ci de là, comme lorsqu’on
entend dire que la paralysie des trains, ce n’est pas seulement la neige et le
verglas.
Chaque matin on
ramasse des vagabonds gelés et des enfants asphyxiés par de vieux poêles
récupérés. La Communauté Européenne ouvre aux affamés les stocks dont elle ne
sait plus que faire, elle a six milliards de plaques de beurre et autant de
beefsteaks. Elle les propose sans limite aux organisations charitables. Dans le
même temps, l’Etat brade ses banques, Paribas se vend bon marché. Cheap dit on en Grande Bretagne. Mais au
marché parallèle, elle flambe et la Bourse bat tous les records de hausse
pendant que le peuple s’enfonce dans la misère.
La neige envahit
toujours les rues de la ville. Ni le Maire, ni le Gouvernement en cinq jours,
n’ont eu l’idée d’embaucher les chômeurs pour la dégager. Il y a dans cette
incurie et cette misère, les deux faces d’un même drame. La société ne
fonctionne plus, l’Etat ne dirige plus, et Sud Américain, il s’empiffre. Paris
compte quinze mille sans abris. Sans doute manque-t-on de pelles ou de quelque
chose de fondamental qu’on n’a pas de nom pour nommer. Le nom de la rose sans doute. Dans un cinéma, on pratique des prix
réduits à cause de l’absence de chauffage - dû
au gel - précise un petit panneau. Personne ne proteste. On se croirait en
Europe de l’Est, ou pire encore dans une contrée sous développée.
Tous les jours on
retrouve des vagabonds gelés dans des chantiers en construction ou des terrains
vagues. Des enfants et des hommes asphyxiés, des touristes ou des ouvriers
calfeutrés dans des caravanes. Le
froid ! Le froid ! dit on. Personne ne peut croire que c’est pour
cela que l’électricité elle-même… La
vétusté des câbles, le réseau de distribution…Personne ne peut le croire.
On doit arrêter la centrale nucléaire à cause de la prise d’eau gelée. On
semble ne pas avoir prévu que la Loire ait pu… On a arrêté Saint Laurent des
Eaux, et ceci et cela. C’est une litanie qu’on psalmodie d’une heure à l’autre
et qu’on a du mal à croire car le froid n’est tout de même pas sibérien. On a
plutôt l’impression d’une grève larvée de pans entiers de la société, de ceux
qui sont à la lisière et tentent encore de se maintenir.
La grande masse
des vaincus courbe l’échine dans le silence. On les voit dans les gares
attendre des trains qui ne viennent pas ou refuser dans les métros la montée
des poussettes. Chacun piétine son voisin sans rien y trouver à redire, un
nouvel ordre se mettant en place. Le froid le masque encore en perpétuant
l’illusion. Sous l’épaisse couche de neige, le chancre s’élargit maintenant à
la taille du pays. Au guichet des banques privatisables, les petits porteurs
s’inquiètent de savoir s’ils en auront…Sur
les trottoirs, des soldats déblaient la neige par groupes de six. On les a
également réquisitionnés pour donner leur sang.
On ne compte plus
les morts de froid, on en cite quelques uns en exemple en disant bien que ce
n’est pas exhaustif. On est obligé de pratiquer des coupures de courant pour
soulager le réseau. On s’étonne d’entendre en France des pratiques qu’on avait
apprise de l’Haïti de Duvalier.
Encore un vagabond
gelé, retrouvé à Courbevoie ou Armentières. On confond les noms, d’ailleurs
cela n’a pas d’importance, la mort est toujours la même insupportable. Aussi
insupportable que l’apparition de cette expression un vagabond gelé. Quatre-vingts quinze morts en quinze jours. On
fait semblant de ne pas croire un pareil chiffre, même s’il comprend aussi les
asphyxiés.
Les Collèges de
la Seine Saint Denis sont fermés. A Sevran, il fait sept degrés dans les
classes et deux degrés dans le Réfectoire. Depuis des années, le chauffage n’a
pas été entretenu et désormais, il ne fonctionne plus du tout. Cette affaire de
chauffage m’évoque la splendeur de l’architecture du Caire devenant peu à peu -
avec la pauvreté - Calcutta, avec des palais en ruines et des canalisations
éventrées baillant dans les carrefours. Cet hiver révèle les crevasses du sous
développement. Une splendeur décadente.
Un Conseiller
Général du département a expliqué qu’ils avaient fait le maximum mais que
lorsque la Région avait repris l’Etablissement, le délabrement dépassait tout
ce qu’on pouvait concevoir. Sans doute s’agissait-il de l’un de ces Collèges
construits à la Haute Epoque avec ce slogan Un Collège par jour ! Des Collèges de pacotille, de papier, de
carton que la crise fait s’effondrer comme des châteaux de cartes.
Au Pressing il
faut insister pour obtenir un papier autour des vêtements, car la norme a
changé. C’est un détail mais la vie quotidienne est faite de cette masse de
détails.
Les actions de la
firme de skis Rossignol ont perdu cent dix Francs à cause des contre
performances des skieurs français. Les gagnants helvétiques ont déclaré que
leur succès était dû à leur matériel Z, le concurrent autrichien du fabricant
français.
Les petits
porteurs sont déçus parce qu’ils n’auront que cinq actions Paribas par
personne, au lieu des dix promises. Le Ministre de l’Economie découvre les Cercles de qualité à la
japonaise…
Il suffit d’être
dans la rue pour comprendre que ce que dit ce qu’on peut appeler La Grande
Voix est faux. Une misère sans nom
s’étale sur tous les visages… Mais il suffit de rentrer chez soi pour le perdre
de vue et croire à nouveau ce que dit la propagande.
On attend
fiévreusement la cotation des actions de Paribas privatisé. Finalement ce n’est
que quatre par souscripteur et l’affaire sent un peu la manoeuvre et plus
encore la mise en concession de la
Télévision… certain acheteur trouvant la mort dans un accident d’hélicoptère
tandis que d’autre se retire brutalement sans raison. Les journaux commencent à
parler d’un crack financier.
La Bourse
continue à monter au rythme fou de un pour cent par jour. On n’entend pas
parler des pauvres, ni de politique, ni d’aucuns des problèmes du pays…
Je vois dans tous
ces mouvements, une revendication de ce que Gérard Mendel appelle La Grande
Bouche. Une tentative d’obtenir une nouvelle répartition d’une production
automatisée, une tentative d’imposer une dissociation entre le travail et les
prestations obtenues, dissociation rendue nécessaire par le nouvel ordre de la robotisation.
En ce sens c’est nouveau historiquement et cela va dans le sens de l’avenir
mais peut-on comprendre de ce fait leur revendication d’apolitisme ?
Leur projet implicite
serait alors une mise à jour des institutions pour prendre en compte la
nouvelle donne technique, mise à jour de toute façon nécessaire indépendamment
des choix politiques. Cela expliquerait l’unanimisme des jeunes de Droite comme
de Gauche, unanimes dans leur tentative de faire évoluer les structures pour
promouvoir une nouvelle répartition du gâteau dont ils sont aujourd’hui exclus
puisque ne parvenant pas à entrer dans la production. A la limite, ce mouvement
n’est pas politique, il est économique et social.
Cette semaine
l’agitation sociale semble repartir. Il y a une tentative de rapprochement des
gens du Lycée mais dans une telle méfiance et une telle gangrène qu’on n’ose
pas s’engager vraiment. L’absentéisme et la désorganisation augmentent. On ne
travaille plus que dans les Classes d’Examen. Il semble qu’on ne puisse plus
empêcher l’entrée dans le sous développement et qu’en même temps, on espère
encore une révolution rendue possible par la maturation consécutive à l’échec
du mouvement hivernal.
A huit jours
d’intervalle, mon voisin et moi nous nous sommes fait remonter les bretelles
par nos supérieurs hiérarchiques et pour les mêmes raisons. Nous avons tous les
deux fait notre travail dans le but d’améliorer la situation du pays c’est à
dire à partir des conditions réelles de ce qu’il est devenu, tout en tentant de
toutes nos forces un redressement. On ne nous pardonne pas de ne pas cacher la
vérité sur la spéculation à l’œuvre.
Grand bruit cette
semaine en raison de l’offensive du Pouvoir contre la liberté d’expression en
attaquant dans le désordre. Le livre L’os
de Dionysos saisi et son auteur Christian Laborde enseignant, suspendu. Le
livre de Mathieu Lindon Prince et
Léonardours, menacé d’interdiction. L’argent
noir (sur l’affaire Abdallah) brûlé sans jugement à dix sept mille
exemplaires. Et une vague d’interdiction groupant Le Gay Pied, L’écho des savanes, Photo et de simples magazines
porno. Levée de boucliers ! Les Editeurs interviennent. Les Intellectuels
pétitionnent ! Le Ministre de la Culture et de l’Information essaie
d’étouffer l’affaire…
Malheureusement
la défense de la liberté d’expression prend rapidement une allure de défense de
la pornographie un peu choquante ! Les journaux ont publié des photos d’arrière-train
pour protester mais il n’a pas été question des livres politiques réduits au
silence. Cela est un peu gênant ! Pas un mot non plus pour le corps bafoué
des femmes ! On est acculé à défendre la liberté sans pouvoir mettre en
cause l’usage qu’en font certains hommes pour nous avilir.
Il me semble que
la démocratie qui a été respectée jusqu’ici commence à vaciller. Charles Pasqua
n’a t il pas dit ces temps derniers La
démocratie s’arrête là où commence l’intérêt de l’Etat ? L’étouffement
de la Radio et de la Télévision empêche qu’on s’y adonne, le couvercle est
maintenant vissé et on cherche plutôt des bouffées d’air. La seule réaction à
ce que nous débite l’Audiovisuel est la franche rigolade exempte elle même de
tout commentaire ! On a affaire à une clique désemparée régnant sur une
république bananière.
A la Piscine Montherlant les gens excédés des
mœurs barbares qui y règnent, réclament pour maintenir l’ordre, des maîtres
nageurs à poigne.
La mise au pas -
tous azimuts - se précise. On essaie de se tenir propre et de limiter les
dégâts. L’ancienneté dans le malheur et dans la lutte finit par donner de
l’expérience et permet de se garder des excès. Au Lycée, absentéisme, veulerie,
double langage, politique de l’autruche plus que jamais. Mais dans le même
temps, on dirait que face à la menace du loup, le troupeau tente de se
regrouper pour faire front.
J’échoue
totalement dans mes tentatives de faire prendre en compte les mécanismes de
sous développement qui sont en train de s’installer en France. Pourtant les
deux contrats prétendus du siècle, ITT-CGE et Disneyland, en portent bien la
trace. Mon combat politique aujourd’hui est de continuer à enseigner dans les
Classes la vérité de l’économie mondiale.
Il y vingt cinq
ans à l’Université, je me moquais déjà des fausses analyses de certains
professeurs et à cette aune, la situation actuelle a quelque chose de
pathétique. Mon histoire personnelle toute entière peut se comprendre comme un
effort pour parvenir à formuler une Economie Politique correcte.
Il semble que la
répression commence à s’abattre sur ceux qui persistent à dire les choses comme
elles sont ! Paris ressemble de plus en plus à Calcutta ou à une ville
d’Amérique du Sud. La reprise de la croissance qu’Ils nous avaient promise
tourne au sous développement.
Des choses
étranges dans la ville. Des curés en soutane, des processions, des CRS avec des
mitraillettes au bras contrôlant les voyageurs du Métropolitain. On voit
surtout tellement de mendiants qu’on finit par s’y habituer. On peut désormais
passer devant sans être ému, ni gêné, ni faire l’aumône. On peut même ne plus
s’interroger sur ce qu’il convient de donner, comme s’ils s’intégraient petit à
petit au paysage. J’essaie encore de lutter contre cet état d’esprit en me
fixant des règles. Par exemple donner à chacun un franc symbolique, grâce à des
pièces spécialement mises de côté dans ce but…. Mais je les ai oubliées.
Les actions de
Paribas commencent à baisser mais les épargnants avisés les ont déjà revendues.
En dépit de mes
tentatives, il devient impossible de pratiquer la règle d’une aumône minimum
mais régulière. En dépit de mes efforts, les mendiants deviennent transparents,
comme les immigrants qui prennent pied en vendant à la sauvette des fleurs et
des fruits, et tout cela les uns à côté des autres, dans une proximité
terrifiante car elle permet d’embrasser dans le même regard la déchéance des
uns et l’émergence des autres. Tous les jours dans les rues, dans les couloirs
du métro, on voit le pays sombrer comme un grand bateau. Des mesures
d’internement commencent à être prises en Bavière à l’encontre des porteurs du
virus du SIDA. A mette en rapport avec la Hollande dans laquelle se pratique
déjà l’euthanasie.
La Bourse baisse,
on n’y prend pas garde encore. On n’écoute plus les Hommes Politiques, zappant
d’une chaîne à l’autre dans un Paysage Audiovisuel Français qu’on ne reconnaît
plus. C’est ainsi qu’Ils nomment dans la boîte
magique, le défilé du monde. Le terme
d’américanisation paraît faible pour
nomme ce qui survient. C’est plutôt l’extension d’une chape de plomb. Il me
revient en mémoire l’analyse d’Albertini concernant le sous développement à
savoir les deux caractéristiques du dualisme
et de la désarticulation. On les voit
petit à petit se mettre en place, restructurant jour après jour la société
française qu’on a connue toute autre… On ne s’habitue pas encore à cette perte
et les nouveaux réflexes ne sont pas encore conditionnés.
Une atmosphère de
débâcle.
La classe
politique est complètement coupée désormais de ce que vit le peuple. Il n’est
plus question pour personne de résoudre le problème du chômage ni les
difficultés politiques ou sociales. Sur fond d’impuissance, la psychose du Sida
fait des ravages. Les interventions que j’appelle bionomiques se multiplient et on évolue vers un système médico-policier d’exclusion sociopolitique des malades.
Un procès en
cancérologie se solde par la désignation d’un arbitre… médical, le même qui
répartit le produit des quêtes entre les différentes équipes et qui transforme
le Comité d’Ethique en nouvelle institution politique, captant les pouvoirs judiciaires et parlementaires qui
étaient autrefois du domaine de la Constitution. Cela rejoint la pratique des Casques Blancs qui ont tenté cet hiver de s’interposer entre la Police et
les manifestants. Mais la confusion n’est qu’apparente car il s’agit bien en
fait de la genèse d’une institution bionomique
qui prend peu à peu le contrôle de la vie des individus.
Dans le métro, le
spectacle du sous-développement s’étale de plus en plus crûment. C’est
intolérable et intenable. Les mendiants couchés sur le trottoir ont augmenté au
rythme des profits.
Privatisée, la
Télévision diffuse des programmes dans lesquels la Publicité est tellement
imbriquée à l’émission elle-même, qu’on ne peut plus les séparer. Il coule
d’elle un jus morne qu’on a paré de strass pour nous le faire croire rutilant.
Quelle que soit l’heure, le jour et la chaîne, on ne trouve rien qui puisse
être regardé. On a l’impression d’avoir été brutalement privé d’alimentation
médiatique comme un enfant arbitrairement de dessert. En Septembre, le
licenciement de Michel Polac s’est fait comme on congédie un laquais et du
coup, le masque est tombé. On ne prend plus de gants pour condamner à des
amendes ceux qui osent encore faire grève et la France commence à baisser la
tête.
Je retrouve
enfouie en moi la terreur qu’exprimait ma grand-mère paternelle lorsqu’elle me disait
Viens ici, il y a les Chefs!
Lorsqu’elle avait prononcé cette phrase, elle n’était plus la même et le monde
se figeait me renfermant dans l’immobilité domestique.
Cette Rentrée est
plus sinistre que jamais. C’est Le Pen qui tient le haut du pavé en déclarant
que les chambres à gaz étaient un détail
de la Seconde Guerre Mondiale et en persistant et signant au cours d’une
Conférence de Presse dans laquelle il monte encore d’un cran. On a l’impression
d’une irrésistible ascension qui prend racine sur l’effondrement d’une société
mise en contact avec une réalité internationale qui la détruit.
On se demande
d’ou vient cette tentative de restauration du Régime de Vichy. Sans doute de la
droitisation générale de la société mais aussi de la nécessité de cette société
de nier le génocide pour refuser l’idée qu’on puisse abolir l’homme dans son
existence intrinsèque. Ceci parce que la mutation bionomique engagée ne peut
pas s’accomplir sans la perte même de l’idée d’être humain. Or le Tribunal de
Nuremberg en condamnant le nazisme a d’une certaine façon, confirmé la création
de l’homme. Ce qu’il faut abolir pour que la Révolution Bionomique puisse
passer.
La Télévision en
état de débâcle absolue. On n’en voit pas le fond. Chaque jour est pire que le
précédent. Une curée majuscule. J’écris à la direction de TF1 pour protester
contre le renvoi de Michel Polac.
Hier soir, à la
Télévision, cérémonie de la remise des Sept d’Or. C’est le journaliste Michel
Polac qui le remet à Alfonsi également renvoyé avec son excellente
émission Taxi. La situation
avait quelque chose de grandiose et de surréaliste. Les deux licenciés les plus
célèbres de la Télévision se congratulant. La salle trépignait et applaudissait
un Polac majuscule disant rayonnant J’ai
envie de vous dire, on les aura !
Les premières
bonnes nouvelles depuis des mois. D’abord la candidature de Pierre Juquin aux
Présidentielles de l’an prochain qui clarifie la situation démocratique et la
baisse de la Bourse après cinq années de hausse extravagante. Cette année elle
n’a même pas pris un kopeck !
L’indécence de ce
Capitalisme échevelé, arriéré, lié à l’Etat, tout cela est devenu si pesant,
l’atmosphère si lourde qu’on aspire à un orage pour qu’il y ait un
assainissement !
Pas un jour où ne
soit révélé un nouveau scandale montrant la collusion de l’affairisme et de la
Classe Politique. C’est sur cette toile de fond que Le Pen proclame son
anti-parlementarisme en dénonçant l’absentéisme des députés, dont je me suis
moi même depuis longtemps scandalisée.
J’ai récemment
compris l’aspect nihiliste du fascisme. Ce n’est pas tant que les gens adhèrent
à leur idéologie. C’est plutôt qu’exclus - et sans espoir d’être jamais réintégrés - ils deviennent nihilistes et souhaitent que
quelqu’un casse la baraque pour qu’au moins ceux qui les ont évincés ne
profitent pas en paix de leur forfait. A la limite, pas d’idées là-dedans mais
plutôt l’expression d’une force brutale pour mettre à bas la société.
Au Lycée, côté
Professeurs, la prolétarisation continue. On vient de voir arriver un ouvrier
ou un technicien de chez Alsthom. Je n’ose même plus me poser la question des
diplômes car pour enseigner les mathématiques, on ne trouve plus personne. En
Sciences et Techniques économiques, sur une vingtaine de Collègues, il y a
trois étrangers maghrébins et le dernier arrivé a été victime d’un bizutage
jamais vu dans l’établissement. Sont antillais, le lecteur anglais et la
concierge. Chaque année il y a de plus en plus de non Blancs et tout le monde
fait semblant de ne rien remarquer mais je sens cette scotomisation lourde pour
le futur de la menace du retour du refoulé.
Du côté des
Elèves, c’est pire que jamais, ils ne nous écoutent
pas et nous coupent la parole. Finalement, ils nous contestent le droit
d’enseigner, s’arrogeant une parole qu’ils décrètent à priori plus valable que
la nôtre. La forme en est un peu soixante-huitarde mais le fond médicalisant et
conformiste, faisant l’apologie de l’égoïsme petit bourgeois, centré sur des
valeurs exclusivement matérielles, et penchant de plus en plus pour l’exécution
des malades de tous poils. En fait le tabou du meurtre semble avoir disparu.
Pas un seul jour où le nouveau n’affleure de façon offensive.
La Bourse baisse
doucement depuis des semaines. On s’en réjouissait comme d’un avion qui
atterrit après un voyage extravagant dans les désordres de l’affairisme et de
la spéculation. On se prenait à penser qu’on allait arriver à la fin de cette
période d’humiliation et de broyage au cours de laquelle nous ne pouvions plus
que regarder, angoissés, le garrot se resserrer… Mais dans la semaine
précédente la descente s’est accélérée et on a commencé à laisser passage à la
frustration accumulée en se félicitant des turbulences, attendant le krach
comme on appelle de ses vœux l’orage, lorsque l’atmosphère est trop lourde.
En fin de
semaine, la Géofinance a pu respirer
mais en quelques lieux du Globe la baisse était si forte qu’on pouvait espérer
l’effondrement pour le lundi. Mais ce jour ne veut pas dire la même chose dans
tous les points du Globe. Il commence dans la nuit à Tokyo pour s’achever la
nuit suivante à Los Angeles, dans un fascinant décalage. La Géofinance a ainsi
établi non seulement le Marché parfait dont les économistes rêvent depuis deux
siècles mais aussi une continuité dont on n’avait jamais eu l’exemple. Sur cinq
jours, la séquence en durait six, et je ne me lasse pas de contempler médusée
le lieu où les mathématiques, la géographie et l’économie entrent en collision.
Ce que j’appelle la géonomie
prend corps sous nos yeux, me donnant contre toute espérance, raison.
Dimanche, on a
calculé fiévreusement l’heure d’ouverture de la Bourse de Tokyo, mais il
fallait quand même attendre le lundi matin qui finit par venir. On vit alors
autour de la planète, se courber les indices comme un champ se couche sous la
propagation du vent. A huit heures, des nouvelles du Japon, à neuf on apprend
que Hong-Kong a suspendu ses cotations. L’envie de dire Encore un effort ! Et en même temps
cette joie fait horreur, car je ne suis pas assez inculte et naïve pour ne pas
savoir qu’on serait tous emportés par la tourmente si elle avait lieu.
L’Histoire est là pour nous l’enseigner, la Deuxième Guerre Mondiale étant
sortie de la Grande Crise, et d’ailleurs dans le Golfe, la Guerre semble déjà
avoir commencé. Mais c’est plutôt que la dimension historique de la vie est
plus forte que tout cela et que depuis mon âge adulte nous vivons dans une
transcendance historique qui là nous rattrape enfin, nous soulageant du devoir
de la faire, tout en nous emportant. Une sorte de repos qu’on peut enfin
espérer...
Des
congratulations au déjeuner. On n’ose pas croire encore à notre revanche mais
on s’en réjouit déjà. Autrui s’étonne de notre contentement que je décode
comme C’est la guerre et on voit des
obus tomber sur le camp adverse. L’après-midi, la baisse s’emballe avec des
six, sept, huit et dans l’après-midi jusqu’à neuf virgule sept pour cent. Wall Street
prend le relais dans l’effroi. On voit Edouard Balladur, Ministre de
l’Economie, avec un air que rien n’ébranle - et on les entend sinon cyniques -
du moins indifférents ce qui d’une certaine manière est encore pire : La
ruine des épargnants qu’ils ont trompés ne les émeut pas !.. La Télévision nous montre Wall Street. On voit un
bâtiment qui ressemble à la Madeleine et je me fais la réflexion alors, c’est là ! Dans le Golfe,
les bombardements américains passent inaperçus…
Les cotations
sont suspendues à Wellington et à Sydney. La Bourse d’Hong-Kong est fermée pour
la semaine et Wall Street a perdu d’un seul coup vingt deux pour cent!
C’est le plus grand krach de l’Histoire ! Au Lycée les Collègues tentent
sans succès de débattre car la vérité qui essaie de se faire jour n’y parvient
pas. Le son de cloche moyen est plutôt Mais
non, ce n’est rien. Je suis médusée de cette capacité de refoulement de la
réalité qui n’est pourtant pas pour moi une découverte mais je ne soupçonnais
pas qu’elle résisterait à un krach boursier. Je lutte pour tenter de frayer un
chemin à la réalité mais c’est un peu incertain.
Dans les classes,
c’est le drame et les Elèves - totalement abattus - me
font voir les choses autrement. Durant la récréation, l’un d’entre eux me dit
avoir déjà perdu trois mille francs et avoir encore trente actions de la CGE
que je lui conseille de vendre. Dans les quatre Classes ils veulent - quasiment
à l’unanimité - parler du krach. Je suis stupéfaite de l’intensité de la demande
car d’habitude l’actualité ne les intéresse pas tant que cela et c’est plutôt
moi qui pousse à la roue. Mais lorsque j’emploie le terme de gogo, les réactions sont un peu hostiles
bien que je sois obligée de me situer dans cette perspective.
Le soir je suis
vraiment très fatiguée par la menace que recèle le déni de la réalité de mes
Collègues.
Je tente à la
Cantine d’alerter les Collègues sur l’état dans lequel sont les Elèves, à
savoir l’abattement et la démoralisation. Ils se moquent de moi, et tout en
étant tous d’accord sur la gravité de la crise à venir, ils sont unanimes P.B,
P.L, G.W et G, professeurs de mathématiques, d’informatique, de commerce ou
d’Anglais- ce n’est pas un hasard - à affirmer qu’il n’en faut rien dire aux
Elèves. Je n’en crois pas mes oreilles et je suis scandalisée de les découvrir
tous d’accord avec le mensonge et la désinformation qu’on entend à la
Télévision, alors même qu’ils sont conscients de sa propagande sur le thème du Tout va très bien, Madame la Marquise. Ces
Enseignants qui approuvent la propagande dont sont victimes leurs Elèves, me
paraissent disqualifiés d’enseigner. Je leur dit carrément ma façon de penser
mais m’étonne tout de même de leur mentalité. Comment en sont ils arrivés
là ?
Fermée depuis une
semaine la Bourse de Hong-Kong a rouvert en accusant une baisse de trente
quatre pour cent en une seule séance. A noter aussi dans cette première semaine
de drame financier, l’insistance avec laquelle les Collègues sont revenus sur
le thème de la différence entre la crise de 1929 et celle là, en ce qui
concernent les suicides, qu’ils semblent regretter comme L dit à M Tu ne t’es pas encore suicidé ?
Par ailleurs
fascination et exaltation de voir la mondialisation se réaliser sous nos yeux.
Le regret de
n’avoir pas le temps de tenir au jour le jour cette chronique et de perdre
ainsi quelque chose d’unique, historiquement parlant.
La descente
continue et les monnaies entrent à leur tour dans la danse. Stupéfaction de
continuer à entendre les Elèves solidement installés à répéter la propagande de
la Télévision. Les slogans sont Tant
qu’on ne vend pas, on n’a pas perdu ! Ca n’a rien à voir avec 1929 !
L’économie est saine. Je ne cherche même plus à les convaincre car c’est
impossible et j’ai plutôt recours à la dérision.
Je raconte la
plaisanterie classique de l’individu qui tombe
du vingt-cinquième étage et déclare en passant
devant le douzième que tout
va bien ! Leur assurance est ébranlée. Pourtant, cet enfermement
à l’intérieur de la fiction qu’il ne se passe rien d’important, me fait peur en
me faisant comprendre comment les Accords
de Munich ont pu ne pas être perçus comme un signal négligé.
J’invente le mot télémaginaire pour nommer cette situation
dans laquelle la réalité disparaît. Elle me terrifie parce que cette
disparition de la réalité signe ipso facto celle de l’imaginaire et de l’Art,
car ces derniers n’existent pas sans l’autre. Là on est dans une confusion qui
n’est plus ni l’un ni l’autre. Je me retrouve comme vingt ans en arrière. Du
côté du Corps Professoral, l’assurance commence à se ramollir et ils colloquent
sans moi sur ce qu’il conviendrait de faire.
Par ailleurs la
Télévision occulte - plus que jamais - avec la même
stratégie que celle de l’Hôpital, à savoir empêcher de penser. Il ne s’agit
même plus de faire adhérer à des idées politiques favorables ou à des leaders
mais de paralyser purement et simplement le fonctionnement de la pensée.
Empêchement de l’analogie (ce n’est pas 1929), empêchement de la protection (ne
vendez pas) empêchement de la prospective (cela n’aura aucun effet). A
l’Hôpital, des processus analogues empêchent de se maintenir sujet pour au
contraire se liquéfier dans la masse informe du Grand Réseau qui sera géré de
l’extérieur…
Hier, il m’est
venue l’idée que ma fameuse formule la
déchirure et la jonction annonçait déjà tout cela et que c’est maintenant
mon temps qui s’ouvre comme la littérature de Kafka annonçait le Nazisme dix
ans auparavant. C’est à la lumière de ce qui se passe que je comprends
maintenant complètement mon livre Le corps défunt de la comédie qui
tient me semble-t-il magistralement la route. De toutes façons cette invasion
du mensonge, cette interdiction de se vivre et de parler comme un sujet ayant
des intérêts différents que de ceux qui diffusent la Propagande, je l’ai déjà
vécu et c’est sans doute parce que j’en ai triomphé que je la maîtrise
aujourd’hui.
Au Lycée,
règlements de compte sanglant à la suite de la découverte d’une nouvelle
manœuvre du petit clan mafieux se répartissant entre soi - de façon clandestine
- les Classes du Diplôme d’Etudes Comptables Supérieures qu’on va bientôt
ouvrir dans l’Etablissement. Comme je protestais contre la méthode et tentais
de placer le débat sur le terrain politique, je me suis faite traitée de folle.
Il me semble que les deux gangrènes à l’œuvre sont en train de se rejoindre,
celle de l’affairisme ambiant dans la société et celle d’un Enseignement
complètement désagrégé. Et ce n’est donc pas par hasard que l’explosion et la
cassure ont lieu au sujet de l’ouverture d’une Classe d’Expertise Comptable. Le
service public se fragmente en fiefs qu’il convient de rentabiliser, et c’est
par la violence qu’on peut s’emparer des lambeaux arrachés à l’Etat. Tout cela
me donne la nausée ! Le soir me vient le mot lumpen-professorat.
Tout cela évoque
le film de Bertolucci Mille Neuf Cents
à cause du côté populace inculte et ces factieux me font froid dans le dos car
je les connais depuis trois ou quatre ans que je les vois faire, sans parvenir
à empêcher leur ascension qui s’effectue de plus en plus ouvertement. Il ne
s’agit pas d’un fascisme social et politique mais de quelque chose que je ne
parviens pas encore à nommer tandis que j’en vois déjà le dessin se former. Ce
sont des techniciens informatiques gestionnaires au petit pied qui imposent
partout l’ordre cybernétique capitaliste... Comment s’étonner alors qu’ils
empêchent la vérité de se faire jour, puisque le Capitalisme a toujours procédé
ainsi.
A seize heures
j’ouvre la Radio, entends parler d’intervention des CRS et de la chute de vingt
pour cent du dollar. On annonce une émission spéciale étant donnée la gravité
des événements. Sur les autres chaînes, rien du tout de toute la soirée. Le
soir je me sens très mal, renvoyée au monde de mon enfance de terreur et
d’humiliation, de mensonges, de privations et d’enfollement. Il y a en effet dans la crise sociale un élément de
folie.
Une amie me raconte
de son côté des histoires analogues qui montrent que l’affairisme ambiant rend
désormais impossible un certain nombre de choses qui l’étaient auparavant.
L’Histoire nous rattrape et nous emporte pour le meilleur et pour le pire.
Apparition des
termes Bourses asiatiques et Bourses
européennes…
La chute des
cours continue. Il est clair qu’il n’y aura aucune décision politique, depuis
trois semaines maintenant que dure la crise. L’expression lundi noir s’emploie désormais dans le sens d’une baisse importante
et généralisée. L’angoisse de la voyoucratie est toujours sous jacente, comme
si je savais que cet effondrement allait les rendre à mon égard encore plus
méchants.
Folie furieuse au
Journal Télévisé qui proclame que La
Bourse a le SIDA alors qu’elle a encore perdu six pour cent dans la
journée. On entend même poser la question
Va-t-on vers un krach financier alors qu’elle a perdu en un mois trente cinq
pour cent à Paris et quarante cinq pour cent à Hong-Kong. D’ores et déjà,
l’ampleur de 1929 est dépassée. Même chose chez les Elèves qui veulent qu’on en parle, mais refusent de m’entendre et
même de m’écouter.
La crise
financière et boursière dure depuis maintenant cinq semaines sans qu’on voit se
profiler de solutions ni d’accords internationaux pour tenter de l’enrayer. Les
choses se défont de tous les côtés. L’épais mensonge télévisuel se constitue en
dalle de béton qui empêche toute circulation. Une impression de cauchemar
publicitaire et cybernétique. Une espèce de grand réseau qui transforme
l’espèce humaine en un GRAND CA SOCIAL comme je l’ai nommé ce mois-ci. Il
semble qu’on n’ait plus de prise dessus et qu’il avance comme un rouleau
compresseur, désespérant les derniers humanistes qui luttent pour éviter la
totale exclusion.
Néanmoins cela
devient presque impossible matériellement et physiquement parce que les
agressions de ce ça social soft ont
lieu tout au long de la journée, sur tous les fronts. Les gens s’enfoncent dans
la dureté, l’amertume ou le cafard, selon leur tempérament. Une impression de
débâcle. Dans le même temps, des bruits assourdis proviennent des usines, des
violences, un mort assassiné par les CRS, un droit de grève que les Tribunaux
cherchent à limiter. Le tissu industriel se désagrège, la balance commerciale
s’installe dans un lourd déficit des échanges.
Le premier
clochard de la nouvelle saison est mort de froid. L’envie de hurler étant moi-même
à deux doigts de lâcher prise. Je le voyais venir depuis des semaines, avec
l’impression de ne plus pouvoir suivre, de ne pas pouvoir me tenir suffisamment
au courant dans ma partie professionnelle.
Les
manifestations lycéennes repartent. Offensive contre le droit de grève. Un
militant syndical tué par les CRS. Les Sidérurgistes attaquent les trains. La
crise financière s’enlise. Le bruit des usines nous parvient à travers un
rideau de fumée. En classe hier, pour la première fois je me suis sentie
dépassée. Le mot délitement ne
convient plus, il faut parler maintenant de disparition.
Un nouveau
mendiant au métro Opéra. Cela me bouleverse et je lui donne de l’argent, lui
caresse la tête et lui fait un brin de conversation sur le thème que ce n’est
pas possible que la société soit dans cet état… et que Paris devienne Calcutta.
Il me dit simplement qu’il a quarante sept ans et qu’il est conducteur-typo… J’en suis bouleversée et cela me rappelle la fameuse version
latine de notre enfance avec Verrès et son fameux Je suis citoyen romain. C’est à cause de choses de ce genre que je
ne parviens pas à prendre au sérieux cette notion de Droits de l’Homme.
Conséquence de la
reprise de mon service à plein temps au Lycée et de l’aggravation de mes
charges professionnelles, je ne parviens plus à tenir correctement mes
multiples carnets. Avant la crise mon service complet en Brevet de Technicien
Supérieur était de quinze heures réparties sur quatre classes, et maintenant c’est
seize heures sur six classes, parce que l’Administration a modifié la façon de
les comptabiliser pour obtenir ce résultat. Je suis donc à la limite de ce
qu’il est possible de faire et encore en suspendant toute activité en dehors,
mis à part le sport, la marche, les visites à F et la demi-journée de loisirs
par semaine. Je vois mes parents et mes beaux parents une fois toutes les trois
semaines, et ne dîne plus en ville ni ne reçoit à dîner.
Non seulement
tout ce qui n’a pas trait au travail a été supprimé mais il faut même
désormais, choisir à l’intérieur du travail, ce qui est une situation tout à
fait nouvelle et pas très encourageante. J’appelle cela en plaisantant la taxe
de crise, surtout pour pouvoir mesurer dans quelle proportion elle
augmente. Il faut fournir de plus en plus d’effort pour obtenir le même
résultat - à savoir ne faire que se maintenir - et encore ce n’est pas le cas
dans tous les domaines. On ne se maintient que sur le plan de la compétitivité
professionnelle mais politiquement et socialement, on est totalement isolé et
on ne représente plus rien.
D’une certaine
façon on pourrait parler d’une américanisation non pas des valeurs mais du mode
de vie, ce qui justement permet de surmonter la crise et de rester - alors que
se fait la fracture - dans la partie qui demeure reliée à l’extérieur et est
capable d’en épouser le mouvement. On a l’impression que la France devient un
pays sous-développé bien que ce terme ne me paraît plus opérationnel, sans que
le nouveau concept adéquat soit pour autant déjà apparu. C’est de l’ordre de La fractura dont m’ont parlée
l’été dernier les Chiliens et que je suis rentrée ici avec l’idée que cela nous
parlait de notre futur…
Le nouveau
concept opérationnel serait sans doute justement cette fractura si on parvenait à la traduire dans les termes culturels
locaux. Et il s’agit de tomber du bon côté de la fracture, non par idéologie
mais pour des raisons de survie…
Au Lycée, je sens
les Collègues à deux doigts de me taper dessus ou tout du moins de m’interdire
de parole car cela devient de plus en plus difficile au quotidien. Ce qu’on me
reproche - professionnellement parlant - c’est de continuer à dire la vérité
sur la situation dramatique du pays et accessoirement pour ceux qui ont eu
autrefois des idéaux progressistes, de ne pas comme eux, les avoir trahi. Je
suis en quelque sorte une butte témoin qu’Ils veulent anéantir.
Mon ancienne
partenaire de théâtre a les mêmes problèmes dans son lycée, avec les Elèves et
avec les Parents qui lui reprochent le contenu de son cours commençant même à
ne plus avoir besoin de respecter les formes traditionnelles. Cet état d’esprit
s’étend au reste de la vie, dans la rue, dans les boutiques et ailleurs on ne
supporte plus qui nous sommes et la pression s’intensifie pour nous faire nous
renier et cautionner ce marasme de la société française qui s’enfonce depuis
les Elections Municipales de 1983, dans le racisme.
Concernant nos
amis, les uns sont morts comme Bernard Briquet, Milène Dubois ou Lili ou trop
vieux et malades et les autres sont désormais ouvertement du côté du Pouvoir,
de telle sorte que les relations sont devenues impossibles. La dernière
catégorie comprend ceux qui ne se sont pas développés et à qui on n’a plus rien
à dire, l’âge ayant fait apparaître des clivages qu’on ne soupçonnait pas
lorsqu’on avait vingt ans. Heureusement le réseau intellectuel transnational
auquel j’appartiens a pris la place de ces liens affectifs devenus douloureux,
en dehors de mes rares mais indestructibles amis. En fait la situation est
devenue si difficile qu’il n’y a plus de place pour les états d’âme - ce qui
est déjà le cas depuis longtemps – mais désormais, même pour la vie privée.
A cela s’ajoutent
des difficultés financières en dépit de ma reprise d’un service à plein temps
rendue nécessaire. D’après la presse syndicale, on aurait déjà perdu treize
pour cent de pouvoir d’achat depuis 1982, tandis que les non salariés - de leur
côté - s’enrichissaient. Cela contribuant à la démoralisation. Et encore il
s’agit là d’un indice officiel car l’impression intuitive est plus désastreuse
encore. Un sentiment de précarité et d’appauvrissement se fait jour. On
entrevoit qu’on pourrait ne plus pouvoir se payer le remplacement du matériel
qu’on possède. C’est une situation totalement inédite !
La dégradation de
la vie civique est devenue intolérable. Après des vacances de Pâques dans le
Rouergue et avant mon voyage au Canada, j’ai failli ne pas pouvoir rester dans
le wagon du métro, tellement c’était sale. Il n’y avait pas un seul
compartiment dans lequel les sièges n’étaient soit lacérés, soit couverts de
graphitage de nature à souiller les vêtements.
Les codes sociaux
ont disparu ou du moins rendent les échanges quotidiens difficiles à cause de
nombreux malentendus, à moins que je n’aie pas réussi à comprendre en quoi
consistaient les nouveaux. Il semble que dans beaucoup de cas il ne s’agisse
que de rapports de force brute et d’un total cynisme dans lequel la seule valeur
soit l’argent, commun dénominateur de toutes les motivations. La société n’est
plus une affaire commune réclamant pour son fonctionnement un effort de civisme
sans lequel elle n’est pas mais un gisement dont on cherche à tirer le maximum
de satisfactions en un minimum de temps.
Le seul
contrepoint à ce noir tableau est le sondage qui donne François Mitterrand
gagnant aux Elections Présidentielles et permet d’envisager éviter le pire. Les
gens commencent à retourner leur veste.
Retour du Canada.
Je chois du Paradis en m’écrasant le nez contre la porte blindée du résultat
des Elections. Le Pen a fait quatorze et demie pour cent, encore plus que ce
que je pensais, mais je suis contente d’avoir fait un pronostic assez exact, à
savoir que beaucoup de ses électeurs se cachaient des sondeurs et que cela
entraînait une sous estimation. Mais les milieux sociaux sont si étanches que
ceux qui dissertent publiquement ne sont pas en relation avec ceux qui votent
Le Pen, d’où les erreurs d’appréciation. Rentrant dans cette atmosphère depuis
ma station littéraire orbitale transatlantique, j’hésite entre la détresse et
l’occultation, mais je sens bien que c’est cette dernière qui va l’emporter.
J’ai décidé de n’en pas discuter parce que de toutes façons les dés sont pipés
et d’user de la marche comme moyen d’action.
A la maison, je
trouve même le Herald Tribune pour la première fois.
De nouveau mes
divers carnets sont en train de fusionner, car il est impossible de prendre en
compte ce qui sépare le culturel, le professionnel, le politique et le
philosophique. Tout prend en masse ! Dans quel carnet dois-je écrire la
panique des Elèves face à la montée de Le Pen et me disant Vous avec le nom que vous avez, vous vous en foutez et moi de
marbre, leur répondant C’est le nom de
mon mari mais vous ne connaissez pas mon nom de jeune fille, la façon que
j’ai trouvé de les réconforter et de leur faire comprendre que j’étais dans le
même bateau qu’eux. Et j’ai ajouté Avec
les costumes que j’ai, je ne suis pas non plus forcément en sécurité. Mais
cette réflexion là était un peu trop compliquée pour eux…
Le fait est que
ces trois derniers jours je me suis consciencieusement appliquée à porter tous
les jours ma robe verte en velours avec les paillettes, manifestement
d’inspiration arabe et justement parce que ce n’était plus évident. Les gens me
regardaient de plus en plus de travers dans les rues et les boutiques et cela
demandait dans ces conditions là un effort pour maintenir mon Droit de Cité, si
douloureusement conquis. Le fait est qu’on a du mal à maintenir ce qu’on fait
habituellement et en même temps, il n’est pas question d’y renoncer. Justement
parce que cet Us de Cité nous est
maintenant, ouvertement contesté.
Le soir première
promenade en ville depuis mon retour du Canada et les Elections. Je découvre
avec stupéfaction que l’apartheid est déjà dans les têtes et que je ne vois
plus les Immigrés de la même façon
qu’autrefois, c'est-à-dire comme les pauvres de notre société, mais comme Les Autres,
c'est-à-dire l’autre groupe. La même attitude qu’on avait à
la Martinique en considérant Les Autres à savoir l’autre groupe
ethnique. Je trouve cela affreux !
On assiste par
ailleurs à la naissance d’un discours assez inquiétant dans le sens d’une
psychologisation du vote Le Pen, sur le modèle du Ils n’ont pas dis ce qu’ils ont dit - oui à l’apartheid - mais ils ont
des problèmes et on ne les a pas assez pris en compte… Un discours du genre
On vous a compris, on vous a
entendu ! Cette attitude se résumant dans celle de Marguerite Duras
disant pour finir Les électeurs de Le Pen
ont crié : Au secours !
Pour Monsieur T
cette prise en compte des laissés pour compte a plutôt pour fonction de pouvoir
être récupérés comme électeurs par la Gauche.
En classe, je
fais deux fois deux heures sur la situation politique et sociale de la France.
J’expose le régime de Vichy et l’Algérie comme produit de cette composante
permanente de la société. Je ne sais pas si c’est bien mais je constate que les
Elèves ignoraient tout de ces événements là et qu’ils m’ont dit que cela les
avait instruits. Je n’avais pourtant rien de préparé d’avance comme tel, tout
cela m’étant venu spontanément - comme une évidence - sans doute parce que
j’avais le sentiment qu’on voulait de nouveau nous jeter à la figure ces
horreurs là qui ont jalonné mon enfance.
Dans la foulée de
mes explications, m’est venue l’idée que le Mouvement de Mai 68 lui-même était
une réaction de vie (au sens de vitalité) contre le monceau de cadavres, de tortures,
de censure, de démissions et de mensonges de la Guerre d’Algérie, ce que jusque
là je n’avais pas forcément compris mais au moins éprouvé dans l’incapacité de
raconter 68, sans faire aussitôt référence au Gaullisme et en étant toujours
entraînée plus avant dans la nécessité de remonter en arrière, finalement
jusqu’à la Deuxième Guerre Mondiale dont je n’ai jamais pu guérir !
Dramatique
déjeuner chez ma mère âgée de 77 ans dont les censures lâchent et qui avec la
montée des voix en faveur de Le Pen s’enhardit à laisser enfin apparaître ce
qu’elle et moi savons bien, même si nous le refoulons depuis toujours. Son
penchant pour le Nazisme. A la façon dont elle parle des Immigrés comme d’une
matière dont certains sont capables de se débarrasser et pas les autres qu’elle
désigne comme les pauvres types, scandalisée, je suis obligée d’intervenir et
de lui dire Maman, ce dont tu parles,
c’est de la chair humaine ! Je ne peux même pas, étant donnée la
représentation qu’elle en a, lui dire des êtres
humains car elle ne sait pas ce que c’est, puisqu’elle n’a de rapport qu’à
la matière… J’ai seulement tenté de lui dire, cette matière là, celle là, est
sacrée….
Au défilé du
Front National on voit des gens ordinaires, dans le style de mes Elèves, de mes
Collègues, des gens du Quartier et même de ceux de l’Immeuble. Tout un chacun
en dehors de Saint-Germain des Prés. Le slogan unique est La France aux Français !...
Dans ma propre
observation, je suis surveillée moi-même par un homme un peu inquiétant qui me
rattrape comme je mets de la distance et qui m’accoste en me demandant si je
suis venue toute seule. Je lui réponds que je suis venue voir les costumes
folkloriques parce que j’aime cela et que c’est une occasion d’en voir mais je
prends peur comme il me demande à nouveau si je suis venue toute seule et qu’il
ne cesse de faire des exercices de musculations des doigts de ses mains gantées
de noir. Je ne m’enfuis pas mais lui réponds sèchement Ecoutez vous n’allez pas me
posez de questions parce que mon mari ne serait pas content qu’on m’accoste
dans la rue ! Il se produit alors l’effet que j’ai déjà cent fois
constaté. Il me dit Eh bien, si vous
dites cela, je vous laisse ! Je m’astreins à prendre calmement le
métro et y achète du muguet pour ma Belle Mère, en choisissant parmi la dizaine
de vendeurs, un arabe qui ostensiblement, jubile.
Comme j’arrive à
ma destination et m’apprête à sortir par les portillons prévus à cet effet,
l’ouverture fait apparaître un homme à peau sombre qui fonce sur moi pour
entrer en fraude par la sortie. Je continue fermement à avancer en faisant du
volume mais il me dit Recule que je
puisse passer ! Je tiens bon et ne bouge pas disant Je voudrais pouvoir sortir, ce que je
fais effectivement, le portillon se refermant derrière moi. Il lâche Raciste ! Je suis accablée de voir
la boucle se boucler…
Partout une
atmosphère fétide, difficile à analyser. La montée de l’Extrême Droite bien
sûr ! Elle est de plus en plus virulente et sans pudeur face à des petits
lapins fascinés et médusés qui regardent le cobra sans pouvoir le quitter des
yeux. Le Pen est devenu la vedette des médias, on le voit partout, comme la
nouvelle référence de la vie politique.
A côté, l’effort
d’alliance centriste développée par Mitterrand - qu’on peut comprendre comme
une dernière chance républicaine - et qu’on peut raisonnablement, à cause de
cela accepter. Tout cela est connu, c’est donc que le malaise vient d’ailleurs.
C’est plutôt le refus de débattre, car tout le monde est bien d’accord pour ne
pas mettre les véritables problèmes sur le tapis : le chômage, l’école, la
sexualité, la vie quotidienne et encore moins l’Europe, l’Economie-Monde ou le
multiculturalisme. Quant à parler de la Nouvelle Calédonie où c’est de fait la
guerre depuis le 24 Avril, c’est impensable, voire une grossièreté. Si ce sont
les Progressistes qui abordent la question, d’une certaine façon, on est encore
plus mal à l’aise et l’impression générale de gêne vient sans doute de là.
Les deux clans
qui luttent pour le pouvoir ont en commun le refus du changement. Les uns et
les autres se battent pour conserver leurs privilèges, chacun dans des espaces
différents de la société et avec des modalités différentes. Cela ne veut pas
dire que ce soit bonnet blanc et blanc bonnet mais plutôt que dans un cas comme
dans l’autre, il n’est pas question de tenir compte de nous, alors que dans le
même temps on se tourne vers nous pour mobiliser nos forces mais en nous
incitant à mettre notre énergie au service de causes dont on sait d’avance
qu’elles ne changeront rien pour nous.
Tout se passe
comme si cette période électorale se traduisait pour nous par une prédation
supplémentaire d’autant plus absurde que nous avons tout fait pour ne pas en
arriver là et que nous faisons partie des plus menacées. L’attitude la plus
appropriée serait de se tenir à l’écart de tout cela mais serait aux Antipodes
de nous-mêmes. Il n’y a donc le choix qu’entre deux mauvaises solutions et il
est bien difficile d’en inventer une troisième…
Ajoutons le
double drame de la libération des derniers otages. Un Munich lourd de menaces
qu’on essaie de nous faire prendre à coups de propagande et de veulerie pour
une victoire… Pas un mot n’est dit sur le prix payé, ni la signification
politique éthique et culturelle du dit prix.
Attaque sanglante
en Calédonie. On oublie même de donner le nombre des Canaques tués, comme si
les animaux n’avaient pas à figurer dans les bilans humains. Il y a de
l’apartheid, là dedans. Au triomphalisme de Messieurs Chirac et Pasqua - le
négociateur se vantant de l’avoir fait personnellement avec
tous les sous entendus que cela comporte - on sent
bien qu’ils pourraient en gagner les Elections.
Nous réagissons
sur le mode stoïque, moi-même autour des proverbes Quand le vin est tiré il faut le boire ou A la guerre comme à la guerre. En ce qui me concerne, la lutte
contre le cancer m’a donné une certaine adaptation à la vie difficile, les
années chimiques traversées en solitaire sans le secours de personne m’ont
blindée dans un mode de vie aussi dur que le fascisme et cela me permet une
certaine sérénité dont je voudrais bien profiter sans être incommodée des
lamentations environnantes. Notamment celles des Collègues et des Elèves qui
n’ont pas bougé le petit doigt lorsqu’il en était encore temps, ni
politiquement, ni pour me soulager, moi-même…
Je me pousse
difficilement en faisant de gros efforts pour maintenir ma demi-heure de marche
quotidienne d’autant plus nécessaire maintenant que la situation sociale se
dégrade. Je vais à la Mairie faire renouveler mon passeport. L’employé de la
Mairie a un côté machiste qui ne m’étonne pas vraiment. Je vois cela depuis
toujours chez les représentants de la bureaucratie et du maintien de l’ordre.
Par contre je suis stupéfaite de m’entendre dire que mon pseudonyme littéraire
à l’air d’origine anglo-saxonne et qu’on me demande des explications sur ce
qu’il en est.
Je me justifie
lamentablement sur ce nom qui est d’après les Archives lues au Musée de
Moustiers, le plus vieux nom de la Savoie, celui des marchands d’ambre. J’éprouve un profond sentiment
de honte et me demande s’il ne s’agit pas là d’une victoire du fascisme qui
oblige les gens à renoncer à eux-mêmes par mille tracasseries qui les tuent à
la longue. Aux mille difficultés déjà d’user d’un pseudonyme, aux diverses
avanies de tous ordres, aux combats pour arracher un nom à moi et pouvoir
circuler avec lui, la possibilité qui se profilait là de ne pas en obtenir la
réinscription sur mon nouveau passeport alors même que mon avenir en dépendait
m’ont amenée à cette lâcheté consistant à me justifier plutôt qu’à renvoyer
l’employé antillais dans ses buts.
Face à cela je
cherche à reconstituer ma dignité. A mon voisin de guichet qui désemparé
cherche dans son portefeuille quelle pièce il pourrait bien de son côté
fournir, j’ai proposé sur un ton provocateur qu’il exhibe sa carte de donneur
de sang. Quand on m’a enfin remis mon précieux nouveau document, j’ai clamé à
la cantonade un Il est beau non qui
n’a provoqué qu’un air dubitatif à un autre employé. J’ai dû rajouter Vous ne trouvez pas Moi si comme la
seule protestation possible de mon identité supra européenne me permettant
d’échapper à ce carcan local !...
Depuis plusieurs
jours déjà, une ambiance à couper au couteau, faite d’agressivité systématique
mal contrôlée, d’animosité, de mauvaise humeur et de refus de fonctionner. La
mauvaise ambiance qu’il y avait déjà l’automne 1986 un peu avant l’explosion
des mouvements lycéens. Une formule finit par m’apparaître pour la
traduire : Ils attendent avec impatience lundi matin pour savoir s’ils ont le droit
de nous mordre. Quant à
nous, on attend pour être fixé sur notre sort, au moins provisoirement.
L’atmosphère
s’alourdit encore après le retour inopiné du Capitaine Prieur, l’agent secret
qui avait participé à l’attentat du Rainbow Warrior de Greenpeace. Normalement
détenue sur l’atoll en raison d’un Traité avec la Nouvelle Zélande, son retour
est une violation d’un accord international. La planète entière vomit la
France, j’ai honte. D’autant plus que la tendance coloniale prend tous les
jours davantage le dessus… On est ramené trente ans en arrière et ne peux
exprimer la chose que dans un semi sanglot qui laisse échapper Mon enfance
d’Algérie. C’en est toute l’horreur
qui remonte et la soirée est pénible...
Nous sommes
décomposés en dépit de nos efforts héroïques, moi-même pour repeindre la
cuisine et mon voisin pour monter une armoire de toilette qu’il vient
d’acheter. La dernière couche de peinture dans la maison date de 1979…. Sans
commentaires !...
Je me traîne pour
aller voter. C’est la tête qui l’impose, parce que le cœur n’y est pas du tout.
Quant aux Electeurs de notre bureau du Dix Septième Arrondissement,
ostensiblement chiraquiens, ils bombent le torse, prêts à en découdre. Cela
sent le sang.
Déjeuner chez une
vieille connaissance. C’est le scénario habituel des discussions pipées. Il ne
s’agit pas réellement de débattre mais seulement d’en avoir l’air, tout en
propageant en fait la gangrène et en déstabilisant l’autre pour l’amener sur un
terrain sur lequel il n’aura d’autre issue que de se renier. Connaissant la
manœuvre, j’y coupe court dès le début, affirmant haut et clair mes positions
pour signifier qu’il n’y aura pas de renégociations à la suite d’une discussion
quelconque.
Sublime promenade
l’après-midi dans les bois. Sur cette toile de fond fascisante, les miens avec
qui je suis venue m’apparaissent fondamentalement et essentiellement poétiques.
L’annonce des
résultats à la Télévision est mise en scène de façon cybernétique. On voit le
portrait de l’élu apparaissant grisé et méconnaissable avant de pouvoir être
clairement identifié. C’est une autre formule que celle du 10 Mai 1981. Le
point commun en est tout de même l’annonce du résultat par l’image et non pas
par le nom ni la photographie. Le portrait informatisé de François Mitterrand
apparaît. Hurlements de joie et applaudissements….
En trois minutes,
on se décide à sortir. Je veux me déguiser mais on m’en empêche et ma joie en
meurt. Ce n’est pas vraiment une surprise, je sais bien que de toute façon, je
suis laissée de côté et que si cette victoire en quelque sorte NOUS SAUVE, ce
sauvetage, cette survie ne sont au mieux qu’un statu
quo et qu’en aucun cas, il n’est question en ce qui me concerne d’une
amélioration quelconque de ma vie. C’est sans doute pour cela que se mêle en
moi, contentement et tristesse.
La soirée est un
peu triste. Il n’y a pas beaucoup de monde Place de la République et les gens
ne se parlent pas. C’est aussi qu’il est un peu tôt. On prend une bière et on a
un peu de mal à retrouver la voiture en se trompant de Boulevard. Je rentre
très fatiguée mais soulagée quand même de pouvoir me laisser aller après une
douzaine d’années de rudes efforts. Il est de toute façon réconfortant de
constater que les coups tordus de ces derniers temps n’ont pas rapporté de
voix, sans doute parce que la population est déjà dans l’infra politique.
Flottement. Ce
qui domine ce matin c’est la gravité de la situation dans les différents
secteurs et ce n’est même pas la peine d’en dresser la liste autant intérieure
qu’extérieure, politique que morale, sociale ou médicale. Le discours de la caste
journalistique et politicienne est insupportable, il n’est question que de
report de voix et de combinaisons électorales, comme si la situation réelle
n’était pas parvenue jusqu’à eux. Il n’est toujours pas question du moindre
débat sur qui et quoi que cela soit et c’est cela le plus pesant. Comme
lorsqu’on prend des tranquillisants et que l’angoisse n’est pas éliminée alors
que les moyens de défense sont paralysés.
Je vais déjeuner au
Lycée et tester l’ambiance. J’y apporte la rose achetée chère la veille dans
cette perspective. L’ambiance est à couper au couteau et me glace. Les
Collègues sont dans une bouderie qui me stupéfait. Je m’attendais à les voir
tourner leur veste et à nier les opinions qu’ils avaient défendues les années
précédentes mais ce n’est pas du tout cela. On est obligé de se dire qu’ils ont
voté pour Jacques Chirac. Ils ont l’air défaits, au sens propre mais j’ai du
mal à y croire.
Cette impression
se confirme pourtant lorsque les cinq ou six personnes présentes me tournent le
dos tout en débattant de la situation. Je n’en reviens pas. Je ressens comme un
commencement de mise en quarantaine. L’instinct physiologique m’avertit d’un
danger grave et imminent, une perception brutale et glaciale d’une réalité plus
terrible que celle que j’avais prévue. Et pourtant j’en étais déjà à me dire
que si Jacques Chirac l’emportait, je ne pourrais plus rentrer dans la Salle
des Professeurs ni à la Cantine. Mais l’idée ne m’était pas venue qu’il
pourrait en être ainsi en cas de victoire de François Mitterrand.
Cette impression
est corroborée par A qui m’agresse à froid, cherchant manifestement le terrain
sur lequel il pourrait en découdre. Le déjeuner est désolant et tout le monde s’efforce
de parler d’autre chose tandis que moi-même je m’évertue à ne pas me trahir.
Après le
déjeuner, circule une pétition idiote d’Amnistie Internationale que je signe
tout de même pour ne pas multiplier les désaccords, tout en faisant quand même
remarquer qu’il est scandaleux qu’une pétition en faveur des Droits de l’Homme
n’évoque même pas la situation en Nouvelle Calédonie.
J’entends mes
Collègues dirent n’importe quoi qui ne colle pas du tout avec ce que je sais d’eux
et relève de la plus totale incohérence. Il ne me vient pas à l’idée qu’ils
bluffent. C’est Chantalle qui m’affranchit en me signalant avoir entendu Guérin
évoquer l’Occupation et dire que ce qui était alors le plus pénible, c’étaient
les gens qui jouaient double jeu. A la réflexion, cette grille d’explication me
parait exacte et il reste à déterminer ce qu’il convient de faire.
Ecoeurement
d’apprendre que Dimanche soir a eu lieu à la Maison de L’Amérique Latine, un
cocktail mondain de la classe politique au milieu des écrivains et des artistes
et que François Mitterrand a fêté là sa victoire sans prendre même la peine
d’aller Place de la République, où il n’existait que sur une gigantesque image
cathodique. Ce n’était pas cela qui m’était insupportable mais le raout
artistico politique…
Je me rappelle
alors la pétition qu’on m’avait demandé de signer sur l’excellent travail que Madame
Elisabeth Burgos avait fait à
la tête de la dite maison.
La dite dame étant l’épouse de Régis Debray conseiller spécial de François
Mitterrand, j’avais identifié cette manœuvre comme l’organisation du soutien à
Tonton, et n’avait pas donné suite. Sans doute aurais-je été invitée si je
l’avais fait et c’est bien cela qui me déplait. Après coup je me félicite
doublement de n’avoir pas répondu. Pas plus qu’en 1986 lorsque on avait voulu
me faire lancer un appel sur un radio périphérique.
Décidemment ma
place était bien à la République avec les anonymes. L’amusant de l’affaire
étant que Danièle Mitterrand l’épouse du chef de l’Etat y était aussi, déclarant selon le Canard
Enchaîné. En 1981 je n’ai pas pu aller à la Bastille, on m’avait envoyé au lit. Sans commentaire ! Disons plutôt que tout cela confirme ce qui
est déjà solidement établi par ailleurs….
Hier et
avant-hier situation difficile à analyser. Le double jeu des Collègues, leur
refus de prendre en compte la situation coloniale de la Nouvelle Calédonie,
leur attentisme pour savoir de quel côté est le manche. L’indécent retournement
de veste de la Directrice, l’incompréhensible hostilité dans les Classes sauf à
admettre qu’ils veulent nous débarquer, ce qui n’est pas impossible, tant la
situation de l’Education Nationale est bloquée. En Province, une Salle des
Professeurs a d’ailleurs été incendiée par les Elèves.
La nomination de
Michel Rocard comme Premier Ministre soulage un peu mais le refus des
Centristes de constituer une alliance de Centre Gauche renvoie à la situation
des Classes et de la Salle des Professeurs. Comme si l’ensemble de la
population était d’accord sur le refus de solutionner effectivement les
problèmes et d’éviter la catastrophe.
Cette sourde
inquiétude qu’on éprouve de tous les côtés, est ce le nihilisme qui brûle de
l’impatience de pouvoir librement déferler ? La digue est elle en passe
d’être emportée ? Mon livre Le Corps défunt de la comédie était il
comme toute la littérature, prophétique ?
Les Centristes ne
veulent décidemment pas de l’ouverture et le discours de Michel Rocard se fait
plus menaçant. On est tout de même un peu mieux d’entendre un Premier Ministre
parler de façon digne de la réalité. C’est au sens propre, inouï ! On a
l’impression que les journalistes lâchent le Gouvernement et l’isolement du
Parti Socialiste fait peine à voir, bien que ce soit eux-mêmes qui nous aient
renvoyées à la niche en 1982 lorsqu’on avait cru que leur victoire était la
Nôtre. Tout paraît bloqué et sent le Coup
d’Etat.
Une clocharde sur
un banc porte une coiffe en dentelle. Une coiffe d’intérieur et non celle des
jours de fêtes. Accablante et impitoyable image de la modernisation.
Vers dix sept
heures, deux clochards à vélo s’apprêtent à jouer de l’accordéon et à faire la
quête. Il s’agit d’un couple vraiment crasseux et émouvant, lui rigolard avec
une fleur artificielle à la boutonnière, sans doute trouvée dans une poubelle
et elle d’une grande beauté sous la saleté et les cassures de l’âge,
manifestement en dépression. Les gens ont protesté en les injuriant et leur
demandant avec des propos très méchants, de s’en aller. Je n’avais jamais vu
cela en France et je leur ai donné vingt francs.
Devant l’Eglise
il y avait encore deux autres clochards à qui j’ai donné également vingt francs
en protestant tout de même de ce que cela me coûtait car je ne me résous pas au
franc symbolique. Mais sur le Parvis de l’Eglise a surgi une horde de cinq ou
six avec des sacs en plastique donnant à penser qu’il est impossible d’en venir
à bout et que la société va couler. Impression d’accablement confirmée quelques
secondes après lorsqu’un grand gaillard jeune et blond crie Vive le
Pen !
La notion de sous-développement appliquée
à certains pays n’est plus vraiment opérationnelle à moins de reprendre
strictement l’analyse d’Albertini dans les Années Soixante – le dualisme
et la désarticulation - et d’admettre que le Chili et la France qui
jusque là avaient vécu retranchés derrière leurs frontières, se trouvaient
désormais en passe d’être digérés par l’Economie-Monde. Cette digestion implique que les
éléments utilisables soient intégrés à la société mondialisée tandis que dans
le même temps ce qui ne l’était pas était à proprement parlé, caducs et formant
ce qu’on appelle aujourd’hui les exclus. La fameuse fractura passant entre les deux groupes et déchirant ce qui était
autrefois une nation. Je me souviens
être rentrée du Chili l’an dernier en disant à l’entourage cette terrifiante et
sibylline phrase Le Chili vous parle de
votre avenir dont je ne comprenais pas moi-même à l’époque le sens. Or
maintenant je le décode !...
On comprend mieux
alors la panique généralisée et l’effort de chacun pour se brancher sur le
Centre, en proie à l’angoisse de mort du nourrisson, craignant et cette fois
avec raison, de manquer. On comprend également que toute une fraction, celle
représentée par Le Pen essaie par tous les moyens de s’opposer à la
mondialisation, compte tenu du sort qui lui échoit dans ce cas de figure. C’est
également dans cette perspective qu’on peut comprendre nos conflits quotidiens.
Nous avons en
effet fait ces dernières années des efforts extrêmes de modernisation avec un
coût humain extravagant, efforts nous permettant désormais non seulement
d’espérer le raccordement à l’économie mondialisée mais plus encore même d’en
tirer parti dans la mesure où en tant que femme, nous avons tout à gagner à
l’alignement de nos statuts sur l’extérieur, notre mode d’être paraissant
normal en Amérique du Nord, Grande Bretagne, Hollande Allemagne et pays du même
ordre, alors qu’il est scandaleux dans la société française...
A la limite même
on peut se demander si en tant que féministes françaises nous n’avons pas
purement et simplement intérêt à une fracture qui nous débarrasserait de cette
gluance qui ne cesse de nous tirer vers l’arrière et qui ne déclare jamais
forfait dans son entreprise de nous remettre au pas.
La situation est
affligeante concernant la campagne en vue des Elections Législatives et se
manifeste par le vide des panneaux prévus à cet effet. Les candidats n’ont pas
jugés bon d’afficher les leurs à l’exception de l’un ou deux. C’est seulement
ce matin que nous recevons les prospectus qui sont d’une confusion extrême. On a du mal à comprendre qui est candidat et pour le compte de
quel parti. Dans le journal, je ne lis même pas les articles les concernant,
cela ne m’intéresse pas ! A l’ORTF on ne peut que subir le minimum. Il
n’est jamais question des problèmes réels du pays, la Classe Politique
paraissant totalement déconnectée.
Il y a une sorte
d’indécence dans leurs débats publics au sujet de leurs manœuvres électorales
et de la répartition de leurs prébendes. Une impudeur complète à laquelle
répond l’indifférence de la collectivité. Cet état d’esprit de la classe
politique mettant la main sur des fiefs peut être symbolisé par la déclaration
de Florence d’Harcourt offusquée de voir un candidat parachuté dans sa
circonscription :C’est comme si
j’avais trouvé un squatter dans ma chambre à coucher ! dit elle
montrant bien la conception féodale qu’ils ont de la démocratie et qui va tout
à fait dans le sens de ce que j’analyse dans La Pensée Corps. Ce qui
n’empêche pas la possibilité par ailleurs de débattre des dits parachutages
ordonnancés par les appareils des partis…
Hier Dimanche au Musée
de l’Histoire Contemporaine aux Invalides pour une exposition anniversaire des
vingt ans des Evénements de Mai 68. On y voit des affiches, des photographies,
des panneaux explicatifs sur ce qui s’est passé et surtout des films vidéo
émouvants : Les murs ont la parole,
Le brigadier Mikono et La reprise du
travail aux Usines Wonder ainsi qu’un film de propagande de l’UDR avec un
commentaire de Michel Droit.
Dans le film Les murs ont la parole, l’ambiance
d’insurrection de la parole est très présente et peut se résumer par un CA
PARLE. Comme La Pensée Corps elle-même a en exergue Ca pense, jon suis, là CA
DEBAT PAR TOUS LES BOUTS, DE TOUT ET AVEC TOUS. Le film restitue très bien
cette atmosphère évacuée des actualités qui ne présentent que des scènes de manifestations
avec des violences et des bagarres avec la Police. Ce film est gai et tonique,
on y revoit même les gens du Comité des Abbesses où nous étions
nous-mêmes !...
Intense émotion
de reconnaître sans équivoque possible les membres du Comité en question :
le leader qui était ouvrier chez Renault, pour autant qu’on peut
employer ce mot là pour cette époque là. Il animait le groupe avec sa femme,
elle-même ouvrière dans la même firme. On y reconnaissait également, le fils du
teinturier du quartier chez qui on s’était réuni la première fois sans le
connaître, en montant de la rue Lamarck dans laquelle on se parlait. L’étonnant
était qu’il s’agissait exactement des images gravées dans ma mémoire et que j’y
vis ce que je n’avais pas compris sur le coup, à savoir l’aspiration à la
modernité.
Enfin dernier
point, et c’était la cause première de la visite de cette exposition, on avait
appris par mon ancienne partenaire de théâtre, que scandalisés par la
spéculation qu’avait entraînée la vente des fameuses affiches de Mai 68 à
Drouot, les étudiants des Beaux Arts avaient décidés d’en retirer et de les
donner aux gens. On avait trouvé l’idée épatante, étant depuis toujours
partisans de faire abonder l’offre pour couper l’herbe sous le pied du bizness
qui a l’habitude d’organiser la rareté.
On y a donc vu
des Jeunots tirant les affiches, et de loin on s’est réjoui. Mais de près le
modèle choisi pour le retirage ne nous a pas convaincus, parce qu’on ne l’avait
pas vu en Mai 68. Y avait il vraiment existé, mystère ! Il s’agissait
d’une croix de Lorraine vissée dans un crâne. Mais ce qui était encore plus
gênant c’était le coup de tampon au milieu de l’image sur lequel était
inscrit Mai 88, la copie
continue !
Dans la soirée le
malaise s’éclaircit. J’interprète la chose comme une sorte de nécrophilie de la
part de certains Jeunes qui ont déjà tenté de nous faire prendre des vessies
pour des lanternes lors de leur Mouvement de Décembre 1986 qu’ils ont tenté de
nous faire croire aussi important que celui de Mai 68. Dans un premier temps je
me contente de penser que c’est simplement l’habituelle opération de mime qui
continue puisque - c’est en ce moment la norme - mais ensuite en laissant la
pensée se développer, il m’apparaît que cette Croix de Lorraine est un peu un pieu
fiché dans le cœur des vampires pour empêcher que dans leurs retours nocturnes,
ils viennent tourmenter les vivants. Bref, je me demande si sous couvert de
réédition, cette affiche ne serait pas en fait le désir d’en finir
définitivement avec les Idées Soixante-huitardes, projet qui rencontrerait
d’autres idées à l’œuvre dans la société. Ce que confirme un ami qui croit
aussi que cette affiche est fictive.
Dimanche dernier
au soir, je me suis endormie sans même attendre le résultat des Elections,
tellement tout cela est affligeant. La suite de la semaine a été à l’avenant,
les joyeux drilles politiciens continuant leurs manoeuvres et la répartition de
leurs fiefs. Marseille est particulièrement sinistre. L’inattendue victoire de
François Mitterrand apparaît comme un coup d’épée dans l’eau… J’ai dû renoncer
à fréquenter mon cours de gymnastique car cela nécessitait trop d’effort.
Le Quartier des
Halles exhale l’ambiance de la République de Weimar et la situation dans mes
Classes dépasse la fiction. On se sent dans une société totalitaire remplie de
vide apparemment sans idéologie dominante. On voit des individus dont le monde
se borne à leur intérêt propre immédiat, chacun étant seul contre tous. La
notion même de société semble avoir disparu au profit de l’ensemble plus vaste d’une post-humanité mondialisée. Le clivage passe désormais
entre les partisans de la mondialisation et les autarciques.
Je n’écoute plus
ni la Radio ni la Télévision. J’ai rompu avec la vie extérieure politicienne
pour ne pas dire civique, car de civisme
et de cité il n’est plus question.
Une curée plutôt rose et noire tentant de s’arracher les dépouilles d’un grand
corps agonisant en voie de dissolution. On nous présente comme des grandes
nouvelles politiques des accords de détail passés avec un tel ou un tel. Dans
les transports en commun la situation est impraticable à cause de la crasse, la
misère et la pornographie. La vie professionnelle se résume elle-même à une
tentative d’adaptation à l’effondrement. La privatisation et le système
marchand s’applique petit à petit, par déformation minime d’une année sur
l’autre, à l’Education Nationale. Qui donc déjà disait Vient un moment où il n’y a plus de pardon ?
Dimanche,
accident d’avion sur le fameux Air Bus au sujet duquel les pilotes français
tentent encore de s’opposer au pilotage à deux néanmoins déjà mondialisé.
Lundi, un accident de train en Gare de Lyon : soixante morts. Dans un cas
comme dans l’autre, on a l’impression que c’est le manque de conscience
professionnelle à tous les échelons qui produit ce résultat là. Plus rien ne
fonctionne de la simple demande de renseignements, à la photocopieuse locale
mais la conséquence n’est pas immédiatement apparente parce que le travail non
fait, n’intéresse personne. On ne le met pas en relation avec la non
compétitivité de la France et à sa dissolution dans l’Europe.
Mais là, les
morts de ces accidents là matérialisent effectivement l’incurie généralisée.
Personne ni les responsables, ni les journalistes ne cherchent d’ailleurs à
masquer cet aspect de la question. Il y a là un changement de ton significatif
par rapport au précédent Gouvernement. Comme si l’atmosphère était tellement
irrespirable et malsaine qu’on aspirait à ce que le débat s’ouvre enfin.
Le nouveau
Gouvernement crée le malaise avec ses huit pour cent de femmes représentant
pourtant cinquante deux pour cent du Corps Electoral ! L’ouverture va donc
bon train. Y compris avec la tentative d’embaucher quelques Ministres de Droite
par ci par là.
Quant à nommer
Ministre de la Santé, le Docteur Schwartzenberg cancérologue et idéologue
patenté de l’euthanasie à l’initiative du médecin me parait bien hautement
symbolique de cette société du vrai/faux dans lequel nous baignions. Cela fait
froid dans le dos, bien que je m’y attendais, voire même parce que je m’y
attendais. L’évolution de la société va bien dans le sens de la bionomie…
Quant à
promouvoir Alain Decaux, Ministre de la Francophonie c’est bien la
visualisation de l’idée que les dominants se font de notre langue et culture.
La suite des
événements confirme bien cette ambiance d’un genre nouveau. Tous les jours une
nouvelle catastrophe fait apparaître la désinvolture généralisée. Le mépris de l’être
cantonné autrefois à la vie des femmes semble désormais s’étendre à tous.
L’être humain est devenu pléthorique, une matière abondante et sans importance.
Le mensonge n’a plus besoin d’être crédible. Les versions officielles ne font
même plus l’effort d’être cohérentes. Les Juges qui tentent de faire la lumière
sur les affaires sont brutalement dessaisis sans que personne hormis
quelques voix individuelles non significatives n’y trouvent rien à redire.
L’idéologie de l’Entreprise envahit maintenant tous les secteurs de la vie
culturelle.
Schwartzenberg le
Ministre de la Santé a été remercie au bout de neuf jours. Cela fait tout de
même désordre. Même si je n’étais pas d’accord avec les mesures qu’il
préconisait : Dépistage du SIDA chez tous les hospitalisés et les femmes
enceintes, distribution de drogue, carnet de santé avec diagnostic annoncé à
tous les malades…. Cela confirme qu’il mène bien un certain débat sur ce sujet
fondamental...
Quant à la notion
de Société Civile qui vient d’être inventée, elle est inquiétante comme si la Classe Politique déjà établie comme telle se constituait en caste
structurée, voire même en un ordre particulier et inamovible ne supportant pas
de ne pas avoir le monopole de tout. D’aucun n’y voit que la francisation des catégories
socio- professionnelles américaines.
L’indécence
sociale s’affiche de plus en plus nettement : Justice dessaisie, reportage
sur des catastrophes entrecoupées de publicités, émergence de nouveau concept
comme Les thérapies de la pauvreté,
Garden Partie à l’Elysée avec sept mille invités, la Télévision montrant la
ruée sur le buffet… ou la découverte du fait que le chiffre d’affaires du
Minitel Rose atteint à lui seul la moitié du montant de l’impôt sur la Grande
Fortune ! Et dès qu’on sort dans la ville, c’est la paire de claques. On y
croise non seulement ce que Le Monde appelle les mutilés de la
guerre économique et moi Les Indiens, mais désormais carrément des
épaves pas encore clochardisées fouillant déjà ouvertement dans les poubelles
du Quartier latin et cela en plein midi.
Depuis quelques
semaines, c’est la mode des cheveux teints y compris chez les hommes, ce qui
était autrefois très rare. C’est le produit de l’idéologie de la forme, la
jeunesse et la santé qui produit cette nécessité d’un camouflage
anti-sélection. Dans le Rouergue, des vagabonds le long des routes et à Millau
un misérable marché d’occasion de vêtements et de chaussures à des prix
dérisoires. Tout cela fait un drôle d’effet !...
Une agence immobilière
affiche Recherche appartements pour
clientèle sélectionnée…
On a l’impression
d’avoir déjà un trimestre de travail derrière soi alors qu’on n’est rentré que
depuis deux semaines. A pareille époque habituellement, le train professionnel
commence à rouler de façon soulageante. Cette fois, ce n’est pas le cas et on
en est d’autant plus accablé qu’il ne se passe rien de particulier, hormis le
fait que rien ne fonctionne et que cela ne préoccupe pas grand monde.
Croisière en banlieue tandis que je corrige mes copies. A Verrière Le Buisson,
on découvre un bidonville constitué par une agglomération de caravanes et de
cahutes soudées les unes aux autres. C’est la première fois, alors que toute
l’année écoulée mon attention a été attirée sur les embryons de cabanisation que j’avais repérés se
mettant en place entre Paris et Soissons.
Des choses
vues : des graphitages Vive la
mort ! Ne faites jamais rien contre votre
conscience même si l’Etat vous le demande ! A Longjumeau Droit de vote pour les immigrés/Egalité
pour les femmes. Un café ayant nom
Chez trop tard et sur un trottoir du dix-septième arrondissement, la
dénonciation des conditions exorbitantes de location dans l’immeuble en
question.
J’ai également vu
au métro Barbès un homme dormant étendu sur des sacs poubelle rembourrés
d’ordures. Chantalle m’a raconté en avoir vu un faire sa lessive, séchage
compris et ses ablutions dans le bassin de la rue Drouot. Enfin mon ancienne
partenaire de théâtre m’a raconté au Café Le Mazarin sur le coup de Minuit
l’agression d’un groupe d’homosexuels par une cliente, elle même l’ayant
ensuite été parce qu’elle leur avait porté secours… J.J.Hamm s’est fait arrêter
Avenue des Gobelins par quelqu’un qui lui a demandé s’il était français. Enfin mon Collègue P.L. m’a à
la cantine - ouvertement et à froid - fait comprendre que je n’y avais pas ma
place…
Apprenant la
rumeur que le SIDA frapperait par préférence Les Trois H - Homosexuels, Hémophiles, Haïtiens - je m’interroge sur la
signification de cette attaque contre cette fameuse lettre muette dont une
jeune personne de ma connaissance disait enfant qu’elle l’appelait La Conne
parce qu’on ne l’entendait jamais ! Je me demande enfin dans qu’elle mesure le SIDA qui
est en réalité une collection de maladies est réellement définissable….
L’ambiance de
maladrerie prend des proportions folles comme si tous les liens s’organisaient
désormais autour de la production du vivant et de son utilisation. Une nouvelle
économie se met en place celle que je nomme la
bionomie. Les gens semblent se
définir par leur pathologie. Ainsi à la reprise du cours de gymnastique, trois
des femmes m’ont-elles immédiatement informée des leurs. Dans ce cadre, le SIDA
serait alors le lieu de la déclassification
des pathologies dans un univers mental totalement biologique ?
A la Télévision,
la grève d’Antenne 2 depuis hier, porte le fer dans la plaie dévoilant non
seulement le niveau des salaires - Rochot enlevé au Liban gagnant quinze mille
francs et Christine Ockrent cent vingt mille - mais à partir de là, l’ensemble
des problèmes. Il est en effet curieux que cette speakerine à qui on fait un
pont d’or soit par ailleurs la femme de Bernard Kouchner Ministre des causes
humanitaires dans le Gouvernement Rocard. Tout cela laisse apparaître une
classe dominante géonomique,
médiatique et bionomique, bref cybernétique.
C’est ce que je
m’évertue à mettre en ordre mais dans l’Hexagone je n’ai pas d’interlocuteurs
en dehors des visites des Américaines et des conversations familiales. Je suis
comme sans point d’appui, ne sachant pas si La Pensée Corps sera
effectivement éditée, ni quand. Il est difficile d’aller intellectuellement de
l’avant dans ces conditions alors que les idées se bousculent, notamment dans
mes cours avec les Elèves. Je constate qu’en leur exposant les structures du
Capitalisme, là où autrefois je commençais par la propriété des moyens de
production, je me suis trouvée dès le début catapultée dans l’explication de
l’importance de l’audiovisuel et de
la bionomie.
Je commence
d’ailleurs mon enseignement cette année par la projection de trois films
retraçant l’Histoire du Siècle. Je débute même carrément par La Grève
d’Eisenstein, ceci constituant une sorte de nouvelle genèse d’un monde
désormais audiovisuel. A partir de là je suis bien obligée de continuer,
entraînée et tenue entre le réseau intellectuel et littéraire américain qui
d’un côté me tire et de l’autre les Elèves qui me poussent, ne rompant ni avec
les uns ni avec les autres et avançant à mon corps défendant dans la
modernisation.
Je n’arrive plus
à suivre pour me tenir au courant, notamment je ne parviens plus à lire le
journal Le Monde comme je devrais le
faire correctement. J’y arrive d’autant moins qu’on n’y parle pas de ce qui se
passe réellement et qui nous prend à la gorge à toutes les heures de la journée
à savoir la restructuration bio-cybernétique
et l’entrée de la France
dans le sous développement. De façon anecdotique
l’achat de nos fauteuils en bambou en Septembre en est l’expression. Quant aux
Collègues, ils sont partagés entre l’envie de l’aveu enfin nu du fait qu’ils
n’y arrivent plus et le pur et simple déni du débordement.
J’ai affiché dans
la Salle des Professeurs un article du journal Le Monde concernant le
procès de John Moore et deux Collègues m’ont soutenu mordicus que cela
n’apportait rien de nouveau. L’un d’eux m’a même dit tranquillement C’est comme une société, elle peut vendre
ses filiales !… Cela sans voir qu’il s’agit d’un être humain et non d’actions en tant que titre
de propriété.
En classe, quel
que soit le cours, on en revient toujours à la Télévision et à la bionomie. Comme s’il y avait là un
verrou à faire sauter, la Télévision étant les Ecuries d’Augias qu’il faudrait
déjà nettoyer avant d’envisager la résolution des autres problèmes. Je suis
accablée d’aller au Lycée et ne parvient même plus à tenir propre la grande
table centrale de la Salle des Professeurs. Ce qui pourrait se traduire par le
fait que je n’ai plus envie du tout de me sentir concernée par les
insuffisances des Collègues L’heure en est sans doute passée.
Vu un homme
quêtant au milieu des voitures un enfant dans les bras.
Dans les
toilettes du Drugstore Saint Germain, une fille adolescente secoue sa mère en
larmes en lui conseillant d’aller travailler à l’extérieur plutôt que de passer
sa journée à pleurer parce que son mari la délaisse. J’interviens dans la
conversation, disant ce que j’ai à dire. La femme est contente de mon
intervention poélitique – selon le
mot de Madeleine Gagnon - et de mon côté, je me sens mieux. La femme est d’une
grande beauté et je suis stupéfaite de l’entendre me dire que cela fait vingt
ans qu’elle n’a pas eu de relations sexuelles. Je me demande comment c’est
possible et en suis terrifiée. Elle me dit qu’elle a peur des hommes…
A pied de la
Porte Champerret jusqu’au métro Villiers où je prends l’autobus numéro trente
sans doute pour la première fois. Je crois que je suis en train d’abandonner le
métro tellement il est crasseux, mais aussi à cause du miroir social qu’il
représente, la part abandonnée de la société, un monde précolombien. Comme si
utiliser le réseau souterrain m’enfermait dans cette fraction échouée. Voilà
longtemps que dans ma pulsion de fuite ce changement de mode de transport était
en germe.
Je ne supportais
notamment plus dans les couloirs à la station Opéra – correspondance que
j’empruntais régulièrement - la vue de cet homme installé toujours à la même
place dans le couloir et qui s’il était comme nous au début, peut être même du même
groupe social, s’est tout au long de l’année, dégradé sous mes yeux, jusqu’à
devenir un clochard informe. Je n’en pouvais plus de ne pas savoir quoi faire,
aucune des solutions que j’avais pu envisager ne me donnant satisfaction. A
cause de cela j’ai fini par le repousser mentalement car il était le révélateur
de mon insuffisance sociale…. Et quand après le retour des Grandes Vacances, il
était encore là, à la même place exactement et encore plus dégradé, j’ai changé
de moyens de transports. Comme si cette goutte d’eau avait fait déborder le
vase social…
Au Lycée à la
cantine, la conversation roule sur la bionomie, le mariage, les allocations
etc… On sent qu’il y a des interrogations qui pourraient se faire jour. La
maladrerie continue. Chacun parle de ses petits maux quotidiens et tout le
monde de ceux de Madame Duranton, La Directrice qui s’est fait opérer de
l’intestin. Le mot cancer n’est pas prononcé. Pour encourager la bonne santé,
je propose qu’on taxe les maladies au lieu de les rembourser mais cette blague
n’évoque rien pour mes Collègues qui ne comprennent pas vraiment que le statut
de la maladie pourrait être modifié. Pourtant lorsqu’on voit le pouvoir que les
médecins sont en train de s’arroger, on en frémit.
Une Elève de
terminale me parle en classe de bien
humanitaire pour nommer les tissus
fœtaux utilisés pour la recherche médicale. On annonce qu’une Collègue est à
l’hôpital pour trois semaines. Quelqu’un demande si c’est à temps plein, et moi
s’il s’agit du SIDA. On me dit un attention ! sur un ton si sévère que
je comprends bien qu’il n’est pas question de plaisanter...
Sur l’armoire
consacrée aux Langues, un affichage en américain dénonce les conditions
d’enseignement aux Etats Unis. Le titre a été rajouté au feutre par Viviane France/Etats-Unis, même combat !
Bien qu’on ait
l’impression qu’une conversation sur le fond cherche à s’établir, il est
toujours impossible de discuter avec les Collègues du procès de John Moore
consacrant la propriété de l’individu sur son propre corps. Mme Arnaud tranche
froidement qu’on enseigne cela avec le Droit de Propriété après avoir précisé
que le cours doit commencer par les notions générales. Le décalage entre le
déni global du Corps Enseignant et la facilité avec laquelle non seulement les
Elèves comprennent mon discours mais me souffle même la nouvelle problématique,
me stupéfait.
Enfin une
discussion vraie avec un Collègue arrivé dans ce Lycée comme moi en 1975,
discussion dans laquelle il commence à admettre la réalité, à savoir qu’après
s’être servie de nous, la République Française nous laisse pour compte !
Nos diplômes ne signifient plus rien et nous ne faisons pas partie de la Classe
Sociale admise au nouveau banquet. Immigré italien, la façon dont il se dit
bien en France, me crève le cœur. Serait-il rejeté à Gauche, après avoir tenté
de faire carrière et n’y être pas parvenu en raison de ses origines ?
Est-ce sa blessure secrète qui le rapproche de moi ?
Un pot au café en
sortant du Lycée avec deux comparses. La conversation roule sur l’Audiovisuel
et la façon dont il faudrait s’y prendre pour établir la connexion avec
l’Enseignement. Je suis tout de même étonnée de voir à quel point, même la
fraction cultivée et progressiste du Lycée ne comprend pas ce qui se passe, ni
l’ampleur de la fabrique en cours de ce que j’appelle le Grand Corail, celle
qui liquide l’Ecole et notre classe sociale de Lettrés. High-Tea d’une tarte au
fromage. Là c’est la marchande qui entame le débat sur le fond et moi qui
freine pour économiser ma fatigue.
Un mouvement
social a l’air de démarrer. Les Gardiens bloquent les prisons, les Postiers les
Postes, et les trains et les avions le sont déjà depuis la semaine précédente,
ainsi que le Secteur de l’Audiovisuel depuis huit jours complets, ce qui est
énorme pour ce secteur. Les Infirmières s’y mettent aujourd’hui.
A la Télévision,
Yves Montand appuie l’opposition chilienne, après la bataille. Il y a là
quelque chose de presque aussi dégoûtant que ces prétendues informations
constituées presque qu’exclusivement de faits divers, alors que l’agitation se
généralise….
Tentative des
Intégristes Chrétiens de censurer par la violence le film La dernière tentation du Christ. Bombes lacrymogènes et bris de
vitrines sur les Boulevards. Messe de réparation au Sacré-Cœur ! Ca y est
le Chiites locaux sont là, depuis le temps qu’on les voyait venir ! Le
devoir commande d’aller tout de suite voir ce film, mais ce n’est pas ma tasse
de thé!...
Chez le marchand
de journaux à sept heures, la conversation roulait déjà sur les questions de
santé. J’ai mis mon grain de sel et je me suis fait envoyer sur les roses.
Comme la femme me demandait pourquoi j’intervenais, j’ai répondu que c’était Pour défendre la République.
A la Cantine,
l’atmosphère est tendue à cause d’une Collègue au comportement privatif qui
prétend travailler à table pendant le repas. Je fais quelques remarques acides.
A treize heures, le débat vient sur la grève des Infirmières. J’embraie sans me
méfier et me retrouve comme d’habitude face à ceux qui nomment légumes, les malades nerveusement
gravement atteints. Je défends le sacré de la vie et enregistre comme
d’habitude un échec sur ce sujet mais cela est si répétitif que cela finit par
n’avoir plus aucune importance. Je n’espère pas les convaincre mais occupe le
terrain et me rappelle les principes à moi-même, au fur et à mesure que se met
en place une idéologie totalitaire, dans laquelle la mort administrée à
l’Hôpital ne serait non seulement plus un meurtre, mais même à la limite plus
une mort du tout. Un simple acte médical…
Chadli me
reproche d’affirmer ce que je pense ce qui - dit il - empêche les autres de penser. Aussitôt je m’excuse, mais il ne
comprend pas que je me moque de lui.
Au cours de Gymnastique
comme le professeur, au sujet d’un mouvement complexe, nous dit Poussez, les autres femmes et moi même,
c'est-à-dire on embraie sur le
fameux Poussez, injonction récurrente
durant les accouchements et destinée à les faciliter. C’est la première fois
qu’il y a là ce que j’appelle ailleurs un
lavoir, c'est-à-dire une réunion
féminine sur les affaires domestiques pendant le Cours de Gymnastique et qu’il
a trait à la bionomie ambiante. Difficile de savoir s’il
s’agit comme je le sens à l’œuvre par ci par là, d’un débat sur la Procréatique et la Sécurité Sociale, ou
au contraire d’un regret nostalgique de la femme traditionnelle qu’il s’agirait
alors d’exorciser dans des cérémonies cathartiques qui auraient pour but de
rappeler comment les choses se passaient autrefois, avant la Grande Mutation. Serait-ce alors le commencement de la mise en place d’une
nouvelle fête dite Fête des Couches
qui s’instaurerait petit à petit pour permettre de supporter la nouvelle
donne ?
Ambiance tendue
chez Félix Potin où les Caissières en viennent - pour finir - au fatidique Retourne dans ton pays ! S’attirant
aussitôt en réplique le Je suis aussi
française que toi ! A leur tour, les clientes s’excitent contre le
Magasin qui vient d’être racheté alors qu’il était très cher et mal géré. Elles
s’en prennent également à un vigile sur le thème Allez fumer dehors, puisque c’est interdit
aux clients, cela l’est aussi pour le personnel ! Et l’homme de
reprendre en direction d’une femme de mon âge… Vous étiez peut être belle autrefois.. etc… Mon sang ne fait qu’un tour et je reprends à haute voix
pour que tout le magasin entende Mais
Madame est toujours très belle et j’ajoute en me tournant vers le gars et
en le prenant franchement à parti Et qu’est
ce que vous diriez si moi je vous traitais de vieux schnock ? Une
jeunette commente MLF ! J’ajoute
ce qui est la stricte vérité quotidienne Moi,
j’en ai assez de voir les femmes traitées comme cela !
Cette possibilité
de ne rien laisser passer du sexisme ordinaire, je la dois à mes liens avec les
Canadiennes et à la découverte crue de ce que serait la scène si elle
s’adressait à des Noirs au lieu de concerner les Femmes. Par ailleurs
l’ambiance générale de Réaction, au sens propre me rend folle furieuse et il
n’est pas question que selon l’expression consacrée Je rentre puisque c’est
ainsi qu’on nomme traditionnellement le retour à l’ordre établi.
Cette scène est à
rapprocher de celle du Samedi précédent où je me suis fait sortir d’un magasin
avec ma progéniture parce que mon costume et mon attitude n’étaient pas ce
qu’on attendait dans ce lieu là d’une femme de mon âge, exaction à laquelle
j’ai verbalement réagi brutalement.
Je déplore de
n’avoir pas le temps de consigner toutes ses actions ponctuelles, plusieurs
dans la même journée et qui me semblent aussi intéressantes que mon œuvre
écrite, dans le genre de ce qu’on pourrait nommer le Théâtre Social fait de littérature orale. C’est
un lieu poélitique de perpétuelle
création. Je me surprends même à faire aux gens des réflexions que je n’aurais
pas cru possible - trop respectueuse que je suis de l’individualité de chacun -
mais me légitimant aujourd’hui du fait que c’est la Sécurité Sociale qui pour
finir, paie. C’est sans doute un effet de l’émergence d’un nouvel ordre.
Samedi Champerret
Denfert-Rochereau à pied. On peut traverser la ville en restant dans ces
quartiers que je ne sais pas comment qualifier. Mais ce qui est sûr c’est que
Paris éclate en plusieurs villes séparées : La Médina, le Quartier Chinois
et faut il alors parler de Quartiers Blancs ? Trois villes juxtaposées qui
ne communiquent plus. A Beaubourg même - l’aire des loisirs - une fragmentation
de l’espace apparaît avec des zones variables selon les Tribus. Quant au
Septième Arrondissement, il est quadrillé par les Policiers comme s’il
s’agissait de protéger un palais et c’en est accablant. Dans le Dix Septième
Arrondissement dans lequel j’habite, on n’a pas cette impression. C’est un
quartier résidentiel aimable où les familles sont préservées. C’est le lieu des
femmes inactives et des enfants qu’elles élèvent, ainsi que des vieillards. Une
manifestation y est impensable et il n’y a aucun désordre. Les clochards y sont
insolites, mais dans le Septième, ils en seraient chassés.
Paris ressemble
de plus en plus à une ville sud américaine et la classe moyenne disparaissant,
il faut tomber d’un côté ou de l’autre. La course est ainsi engagée entre
l’effort nécessaire pour se maintenir dans l’agrégation du réseau pensant
mondialisé et due à l’âge, la diminution des forces ainsi que la maladie et la
lassitude de la confrontation aux blocages d’une société. C’est dans ce
contexte que se situe l’automne 1988 lors duquel beaucoup de problèmes sont
devenus caducs sans pour autant avoir été résolus.
Un clochard est
venu vers moi me demandant de l’argent et disant Je suis du nord de la Somme, je dors dans un terrain vague et je ne
connais personne à Paris. Je lui ai donné la monnaie que j’avais dans ma
poche, sans un mot. Je ne donne plus qu’à ceux qui me demandent directement et
encore pas toujours, tellement il y en a et tellement c’est intenable !...
Dans l’autobus,
des fraudeurs se font prendre et comme ils refusent de présenter leurs papiers
aux contrôleurs, ceux-ci font arrêter le véhicule devant la Chambre des
Députés. Ils font alors monter deux gardes mobiles avec leurs mitraillettes
collées contre le torse pour demander leurs papiers à des contrevenants qui les
sortent alors de leurs poches sans difficultés. On est terrifié ! Ces
hommes en armes dans un autobus un dimanche après-midi à Paris Rive Gauche
avaient quelque chose d’insoutenable. Plus tragique encore le constat qu’il
avait fallu en arriver là pour que la loi soit respectée et plus insupportable encore
le constat de la docilité de l’homo sapiens fraudeur face à son frère en armes !...Image surréaliste d’un
marteau pilon écrasant une mouche. En tous cas prémonitoire de l’horreur
sociale.
J’arrive en
retard au cinéma pour revoir Le Septième Sceau de Bergman. Je trouve avec beaucoup de mal l’une des toutes
dernières places. Personne ne se lève pour me laisser passer. J’attends debout
mais le code traditionnel ne fonctionne pas. Je dis alors je voudrais passer et avance résolument. Les hommes
se lèvent de mauvaise grâce et je leur lance perfide pendant qu’ils se
déplacent lourdement Je peux bien sûr me
laisser tomber dans vos bras mais je ne suis pas sûre que cela vous plaise
tellement. Je suis stupéfaite de m’entendre dire cela…
Je ne suis pas
plus tôt installée que les voisin(e)s de derrière me tapent sur l’épaule en me
demandant Vous pouvez pas vous baisser un peu ? Et moi
de répondre froidement : Coupez moi
carrément la tête déclenchant quelques rires qui me soulagent. Mais pendant
le début de la projection tout cela m’a quand même tourmentée parce que
finalement ce qu’on me demandait c’était de ne pas avoir ma taille ou bien à
défaut de m’asseoir avachie sur les reins comme on le voit faire à beaucoup
d’autres. Et quel accablement pour bénéficier simplement d’une place assise
dans une salle de cinéma ! Je sens contre moi une menace que je ne
parviens à enrayer que parce que je montre les dents.
Multiplication
des incidents intégristes pour empêcher la projection de La dernière tentation du Christ jusqu’à une bombe incendiaire qui
a détruit un cinéma à Besançon. Tous les soirs depuis Mercredi il y a de la
bagarre. Concernant la question religieuse, c’est une nouveauté. Et à Lille,
durant le week-end, les Skinheads ont tué un clochard…
Par la ville
toujours ces mêmes scènes choquantes de trois à cinq policiers entourant un
seul homme à la peau basanée. Aujourd’hui c’est aux Champs-Elysées, parce que
c’est par là que je passe aujourd’hui.
Sept heures
trente cinq. Dans les couloirs de la station de métro Opéra, l’homme que j’ai
vu au fil des mois devenir clochard est toujours à la même place. Il est devenu
fou. Il dodeline de la tête en faisant des grimaces. J’avais déjà dû changer
d’itinéraire incapable de passer devant lui sans le regarder ou m’épuiser à
faire la charité dans le tonneau des Danaïdes. J’aurais pu bien sûr le relever
et l’installer chez moi où il aurait tenu la maison pour le prix de sa
nourriture. Cela aurait été un acte de chrétienne et j’en suis incapable. De
toute façon, le film de Luis Bunuel, Viridiana
a déjà fait avec pertinence, le tour de cette question.
Huit heures
vingt. Une Collègue a quasiment approprié la petite Salle des Professeurs
attenante à la grande en nous fermant brutalement, bruyamment et ostensiblement
la porte au nez, comme s’il s’agissait du bureau d’un personnage important face
à une piétaille l’admirant respectueusement. J’accuse le coup et affiche un
petit panonceau Privé !
Dans un monde
absurde, il faut pratiquer le sacerdoce de fonction. Enseigner absolument.
Folie généralisée
à la Cantine. Si on écoute ce que les Collègues disent, on est terrifié.
Finalement leur vrai problème est que les frais fixes d’un cabinet comptable
sont trop élevés pour qu’ils puissent le cumuler avec un emploi de professeur,
la dite charge ne permettant pas alors de traiter assez de dossiers pour
répartir convenablement les frais en question. Bref, de leur point de vue, il
est scandaleux qu’on ne puisse pas cumuler deux emplois à plein temps. C’est à
cela qu’on voit qu’il y a encore un petit peu de marge avec les pays sous
développés dans lequel cela se fait sans que personne ne s’en offusque parce
qu’il n’est pas exigé qu’on y soit présent !...
Et comme ils
parlent de l’un des leurs qui veut quitter l’Enseignement parce que vraiment ce
n’est pas possible, je dis Qu’il foute le
camp! Quand ils seront tous partis, on pourra commencer à perler des vrais
problèmes. J’enchaîne sur le thème de l’improductivité globale du système
scolaire. Et en insistant je demande : Qu’est-ce
qu’ils apprennent réellement en quinze ans d’école ? Et Bolo à cette
réponse étonnante : Ils ne sont pas
là pour apprendre mais pour savoir faire ! Fermer le ban !...
Ce matin
photographie de la classe à laquelle je me suis forcée à aller, pour que les
Elèves ne croient pas que je me désintéresse d’eux. Et comme je demande au
photographe à quel endroit je dois me placer, il me répond négligemment Où il restera de la place. On ne peut
pas mieux dire en quelle haute estime on tient le Corps Enseignant qu’on
faisait autrefois asseoir à la place centrale, les deux places d’honneur étant
de part et d’autre à ses côtés. Je n’ai pas aimé non plus la façon dont il
tutoyait les Elèves qui dans la foulée se sont mis aussi à me tutoyer. J’ai dû
y mettre un coup d’arrêt
Renault commence
une grève aujourd’hui. Celle des Gardiens de prisons s’étend, ainsi que celle
des Infirmières, mais toujours rien chez les Enseignants. Le couvercle est bien
vissé sur la société car bien que les moyens de diffusion n’aient jamais été
aussi puissants, jamais le black out n’a été aussi total. Rien ne passe de la
réalité. Cette impression s’étend aussi aux inondations de Nîmes dont on
comprend qu’on ne nous dit pas ce qui conviendrait.
Dans les
boutiques, c’est intenable. Dans une boulangerie j’entends une femme qui
raconte Pour nous la réunion, c’était de
nous demander qui voulait être licencié ! Ce propos me crève le cœur
et j’interviens sur le thème de la possibilité et la nécessité de se défendre,
de la situation qui n’est pas possible, en faisant un peu d’agit-prop sur le
terrain comme j’en ai l’habitude depuis des années. La serveuse embraie, mais
malheureusement l’entrée d’un homme fait tourner court la conversation entre
les Femmes car je prends peur. Il me semble aussi qu’au Lycée quelque chose
démarre entre elles, même si cela prend des allures domestiques. J’ai
d’ailleurs vu pour la première fois dans la Salle des Professeurs des journaux
de tricot.
Je poursuis mes
efforts pour faire comprendre à mes Collègues ce qui se passe dans le domaine
de la bionomie et rend caducs nos
habituels cadres de pensée, notamment en ce qui concerne les conceptions
juridiques de la personne humaine telle que nous la connaissons. J’en discute à
la Cantine avec un Professeur ayant prétendument une formation juridique. Il
soutient que c’est aux banques de données
de nous fournir une réponse mais que le Lycée n’en ayant pas, on n’est pas
obligé de se tenir au courant puisque l’Education Nationale n’a pas donné
d’argent. Je reste confondue d’une pareille bêtise !
D’autres
Collègues femmes affectueuses et généreuses me semblent en pleine crise
nerveuse et tentent de se raccrocher à moi, sans qu’on puisse pour autant parler.
Elles n’entendent pas ce qu’on dit. Je me souviens de l’analyse qui prenait
comme critère de la folie le fait de s’ennuyer en écoutant quelqu’un. Sans
doute parce qu’on sait qu’il n’y aura pas d’échange.
Dans la Rue
Laugier, parallèle à la mienne, un Policier met des contraventions aux voitures
garées à cheval sur les trottoirs, le mal étant chronique. Il m’est même arrivé
de dire aux conducteurs Garez vous
carrément sur le trottoir, comme cela on pourra marcher dans la rue ! Sans
qu’ils semblent comprendre l’humour noir du projet… J’encourage donc vivement
le gardien de la paix à poursuivre son action, et même à l’intensifier.
Mais il est
complètement désabusé, sinon déprimé et il me dit Mais ce sont des « Gros » ! Ils ne paient jamais !
Quand je leur en mets qu’est ce que je me fais engueuler le lendemain !
Vous n’avez pas remarqué, ce sont toujours les mêmes… Vous vos contraventions
vous les payez ?... J’abonde dans son sens constatant qu’il faisait
lui aussi comme moi de l’agit-prop à sa façon et je lui dis : Pourquoi vous ne vous appuyez pas sur les
Citoyens ? Ils sont peut être les plus Gros mais nous, on est les plus
nombreux !... Les Citoyens vous soutiennent. Ceci me parait être un
signe des temps.
La planète me
parait être engagée dans une crise majeure. Les nationalités explosent en Union
Soviétique et en Yougoslavie. Des émeutes en Algérie. Il y deux ou trois ans
mon voisin en était revenu médusé par le poids démographique de la Jeunesse,
dont il avait prédit que cela engendrerait des bouleversements, sans savoir
exactement lesquels, occidentalisation ou intégrisme. Les manipulations
génétiques vont bon train.
Le Comité
d’Ethique vient de donner son accord pour les pratiquer sur des malades même
pas dans un but thérapeutique mais simplement dans une perspective
d’augmentation des connaissances ! Tout cela est présenté à la Télévision
à grand renfort de propagande et je n’entends guère de voix s’élever en dehors
de celle du Pape. On peut déplorer qu’il soit le seul mais c’est un fait !
A des amis canadiens qui s’étonnent que mon livre Le Cercan n’ait eu
aucune critique, je suis stupéfaite de m’entendre répondre avec violence que
cela ne m’étonnait pas, que j’avais d’abord cru écrire un essai sur la maladie cancéreuse
avant de découvrir qu’il s’agissait en fait d’un livre politique. Je n’ai pas
osé employer le mot insurrection, or
c’est pourtant ce que je pense.
Finalement j’en
arrive à remplacer l’expression d’Economie Politique par la Géonomie Biolitique. Dans une planète géonomisée
le nouveau politique c’est le biolitique.
Je ne vois personne philosopher dans ces termes et cela me met mal à l’aise. Je
ne parle pas de mon réseau américain mais le dualisme entre mes activités
intellectuelles au sein de cette mouvance
transatlantique et une société
française sclérosée dans laquelle le Monde des Lettres lui-même semble avoir
comme fonction d’empêcher toute circulation d’idées, a quelque chose
d’intenable. De ne pouvoir parler à personne de cet essentiel en dehors de mes
tout proches, rend pour moi toute autre conversation idiote, odieuse et
absurde.
Désagrégation de
la société française à un rythme assez lent mais il naît deux ou trois conflits
sociaux pendant que le Gouvernement en règle un. Le même nous explique qu’il
faut se sacrifier dans la Fonction Publique. Ce cynisme politique a quelque
chose d’obscène. Les laissés pour compte sont désormais Les Travailleurs de l’Humain
à qui on demande d’accepter de mourir comme l’idée de la personne humaine
elle-même apparaît caduque.
Le SNES, syndicat
enseignant majoritaire a lancé un mot d’ordre de grève. C’est du moins ce qu’en
dit la Télévision. Samedi on nous présente cela comme une décision ferme mais
aujourd’hui Lundi cela n’apparaît plus que comme une simple menace. C’est
l’information manipulatrice, démoralisante et en fin de compte, humiliante sans
compter la censure. Mais dans le même temps, si je trouve les revendications
salariales inopérantes et déplacées, le mépris dans lequel est
tenu le Service Public et ses salariés, me paraît insupportable.
En Algérie,
tueries de manifestants de la faim, intégristes et affamés. Explosion également
de ceux de Paris. Je téléphone à l’Ambassade d’Algérie sur le thème des
familles de mes Elèves. L’employé me répond qu’eux-mêmes à l’Ambassade sont
tous inquiets. Et quand je lui demande de dire à l’Ambassadeur d’Algérie que je
souhaite qu’il intervienne auprès de son Gouvernement pour faire cesser ces
massacres, il me répond Mais bien sûr que
l’Ambassadeur fait tout ce qu’il peut pour faire cesser ça ! …
Hier au Lycée, la
journée a été apparemment sans aucun incident mais en fait un cauchemar
totalitaire continu si bien huilé qu’il n’en apparaît même plus. Dès mon
arrivée à sept heures cinquante, j’ai affiché un papier sur lequel j’avais
écris : Si vous voulez protester
contre les tueries, écrivez ou téléphonez à l’Ambassadeur d’Algérie suivi
de l’adresse et du numéro de téléphone adéquat. Et j’ai signé.
Personne n’a rien
dit ni de près, ni de loin qui y fasse allusion. Quand on pense qu’il y a eu
cinq cents morts, on est terrifié. Dans le même temps dans mes Classes, j’en ai
parlé à propos d’une question ou d’une autre. Quoi qu’il se passe on retrouve
donc cette dichotomie : Des Collègues sclérosés et une jeunesse en
mouvement comme deux mondes qui n’ont plus de fonctionnement commun, hormis la
délivrance de diplômes qui sont devenus des formalités administratives avec
quota minimum mais ne sanctionnent plus aucun savoir, sans même parler de
culture.
A la Récréation,
les Collègues échangent frénétiquement des conseils de tricot et de projets de
prêt ou d’achat d’aiguilles de certains numéros. Il est surtout question du
cinq. J’essaie en vain d’imaginer de quelle taille il s’agit.
En 2eTSC1
je fais de fait le même cours à chaque fois. Les Elèves n’ont rien appris ni
rien retenu du cours précédent en dépit d’une intelligence certaine. Mais ils
refusent la réalité, enfermés dans ce que Freud appelle le principe de plaisir.
En 1eTSC2,
ils sont gentils mais à aucun moment ils n’ont l’idée qu’ils pourraient
effectivement chercher la réponse à la question que je pose. Cela glisse
complètement sur eux. L’idée même de l’enseignement semble avoir disparu. Et
pourtant ils écoutent et notent. Mais il s’agit d’autre chose, une sorte de
branchement cybernétique dont je n’ai pas encore analysé la matière, de l’ordre
de biberonner et de la drogue.
En Terminale, je
m’escrime sur Les Structures du Capitalisme ! En
dépit de leur bonne volonté, de mes efforts pour simplifier et pour être drôle,
le sujet leur passe au-dessus de la tête et cela en est pathétique. Il n’y a
plus le chahut et l’épouvantable climat qu’il y avait autrefois. Ils sont
appliqués et savent des choses mais il n’est pas question d’obtenir une
opération de réflexion.
Le gros titre du
journal Le Monde annonçant enfin le vote hier du principe du Revenu
Minimum : Le RMI sera versé dès
Février ! Ce dès me laisse
pantoise. On en imagine toute la portée pour ceux de plus en plus nombreux qui
mangent ouvertement dans les poubelles. Tout se tient décidemment dans la
langue. On mesure toute la différence qu’il y a entre dès Février et Pas avant
Février. Surtout en ce qui concerne
les mois les plus terribles, Novembre, Décembre et Janvier. L’envie me prend
d’écrire à Michel Rocard ou au Directeur du Monde.
Mercredi encore,
le Collègue Rouhet a cherché à justifier la position du Gouvernement concernant
l’Algérie à savoir qu’il ne
condamnait pas la répression alors que pour le moindre Pinochet ou
Jaruzelski, il verse habituellement une larme de crocodile symbolique en
rappelant Les Droits de l’Homme, ce qui n’a bien sûr aucun effet
mais tient lieu de formule de politesse équivalent au Mes condoléances qu’on dit traditionnellement aux enterrements, en
serrant la main à la famille. Je suis scandalisée de cette prise de position Nous ne condamnons pas la
répression !... On croit rêver, il s’agit quand même de cinq cents
morts !
Mercredi encore
la conversation des Collègues roule sur le prix des lampes halogènes et des
tuyaux pour les avoir moins chères. NB demande naïvement C’est quoi les lampes
halogènes et moi de lui dire un Fais semblant
qui jette un froid. Arrivée du nouveau Professeur de Philosophie qui avec
Francine, Professeur de Lettres embraient sur le faire semblant de faire cours et
le dormeur éveillé se rêvant en train de faire cours. Le décalage entre la
sinistre réalité et leur cynisme absurde m’a été insupportable et j’ai explosé
sur le thème du Vous feriez peut être bien
de leur apprendre quelque chose. Et là FP superbe, déclare Croire qu’on peut leur apprendre quelque
chose, c’est de la paranoïa. Rageuse alors je leur explique que la veille,
je leur ai enseigné le sens de l’expression Par
l’intermédiaire de et de Grâce à
ce qui somme toute n’était pas si mal…
Vendredi dans
l’autobus Trente, comme j’écrivais ce carnet, un homme dans nos âges s’assoie à
côté de moi avec un sac de voyage et louchant ostensiblement sur ma feuille
engage la conversation sur le thème Ecrire
dans les Transports, je ne pourrais pas ! Et je lui réponds que j’ai
tellement de travail que c’est cela ou rien ! Il me demande alors ce que
je fais et je précise que je suis Professeure, sans parler du reste. Nous nous
exposons l’un à l’autre nos conditions de travail.
Il est cameraman
à TDF et il se plaint de tourner pour les émissions Avis de recherches et Champs-Elysées. Je lui
dis aussi que j’utilise pour mes cours les films de la Télévision mais
qu’actuellement il n’y a plus rien et que c’est le cœur de tout. De son côté il
me dit Je prends l’autobus pour rester en
surface… dans le métro ce n’est plus possible, leurs têtes !... J’en
reste pantoise. Je ne lui ai pas soufflé mais son itinéraire était exactement
le mien et le dualisme lui aussi le séparait du souterrain. Le clivage entre
les salariés du métropolitain et ceux de la surface, est-ce Métropolis ?
La grève des
Infirmières continue de plus belle. Elles se sont affublées
de grandes cornettes comme celles qu’on voyait autrefois aux Sœurs de Saint
Vincent de Paul…. Cela fait un drôle d’effet.
Week-end de
pause. J’observe que l’activité se suspend de plus en plus en fin de semaine au
fil des années.
Samedi à la
Pyramide du Louvre qui a ouvert la veille. L’après-midi est radieuse car dans
le même temps on inaugure le nouveau tronçon de RER qu’on prend à Pereire pour
descendre devant le Musée d’Orsay… Cette vieille baderne de gare qu’il fut si
longtemps question de démolir… On mesure à quel point la ville a changé en
bien. Elle est en passe de devenir une ville superbe. Il n’y a qu’un hic, les
tarifs des logements sont à la limite de ne plus pouvoir s’y maintenir. Autour
de la Pyramide du Louvre, les citadins émus se sont rués pour admirer, ils font
le tour, jaugent, jugent, penchant la tête exactement comme aurait pu les
représenter Daumier dans le geste millénaire des co-urbains signant par cette
démarche commune, leur co-citadinité.
L’actualité des
médias, c’est la phrase du Ministre du Budget Charasse qui a dit au sujet des
trafiquants de drogue On va les leur
faire bouffer ! Ils parlaient des couilles
(sic)… Etonnant tout de même alors que le pays est en proie au chaos social
des grèves dans le Secteur Public et chez Renault. Le décalage est hallucinant.
Il ne s’agit même plus d’une Classe Politique coupée du Peuple mais de deux
sociétés qui n’ont plus de communication. L’expression nouvelle de Société Civile exprime t-elle l’idée d’une Nation veuve d’un Etat ?
Dans Le Monde de Samedi, une pleine page sur L’Affaire…. Celle de ce qu’a dit Charasse…
Dans le même
temps à la Télévision, la fameuse dictée de l’animateur Bernard Pivot est faite
dans les Anciennes Colonies et autres lieu de la Francophonie. En vingt ans
rien n’a évolué d’une situation qui déjà en 1970 paraissait archaïque !
A noter à propos
du Ministre Charasse, le fait que la presse a fait semblant de croire elle-même
et a tenté de faire croire qu’il avait dit On
va LA leur faire bouffer en parlant de la drogue. Personne n’a relevé la
modification qui me paraît plus intéressante que l’affaire elle-même, ou plutôt pour moi, l’affaire serait là. Pourquoi alors qu’en passant plusieurs fois la
bande, on entendait très clairement le terme LES ? Aucun des commentateurs ne s’est aventuré à commenter…
Quant à la minute féministe elle pousserait à dire que les
Hommes ont entre eux parfois une bien curieuse façon
d’envisager le règlement de leur problème…
Graffiti Rue
Boissière, en gros sur un immeuble sans plaque, genre siège social Ici record des pompes à fric !
Place
Denfert-Rochereau, sur un monument quelqu’un a écrit Malik 22 ans (assassiné
en Décembre 1986 par les Escadrons de la
mort).
Dans le métro
bondé, depuis la rame dans laquelle je suis en station, j’ai vu sur l’autre
quai mon ancien excellent Elève Inizan que j’aimais tant. Je lui ai envoyé un
baiser.
Ces vérités qui
socialement parlant ne peuvent plus être dites d’abord parce que c’est devenu
inutile mais aussi parce qu’elles ne sont pas comprises. Non pas que les gens
ne veuillent pas se remettre en cause ou en entendre parler comme c’était le
cas autrefois, mais elles sont devenues incompréhensibles. L’Etat, le Public,
le Politique n’ont plus de sens. La mondialisation n’en a plus pour eux si la
France n’y est pas en position de leader dans une représentation coloniale.
Quant à l’éradication de l’humain qui est pourtant en cours, ils n’entrevoient
même pas de quoi il est question… On est tellement amené à parler à côté de la
réalité qu’on a plutôt envie d’y renoncer et pourtant la Grève Générale de la
Fonction Publique montre bien la complète lassitude des serviteurs d’un Etat
qui n’en peuvent mais.
Graphitage Cet emplacement n’est pas un WC pour chiens.
En Terminale G1
comme je demande ce qu’est un médiateur
on me répond que c’est quelqu’un qui passe bien à la Télévision. Passé le
premier choc, cela contient une part de vérité, du moins de la nouvelle réalité
cybernétique. La Télévision en est bien effectivement le Centre.
Par ailleurs les
Elèves font pression sur les Professeurs pour qu’ils se mettent en grève sur le
thème Il n’y a que vous qui venez… Ne
venez pas... On ne va pas venir pour deux heures... Etc
Comme
habituellement je ne prends pas les Elèves en retard, hier en raison de la
grève ils hésitaient à entrer dans la classe. J’avais donc écris sur la porte
WELCOME. Certains l’ont bien compris mais pas les autres. Dans l’après-midi
certains avaient ajouté FOR THE PLEASURE OF DOME. Mon sang n’a fait qu’un tour
dans la mesure où je ne comprenais pas le sens de ce qui était écrit sur MA
porte. Je me renseigne auprès du dictionnaire qui parle du haut du ciel, d’un
bâtiment, et du crâne pour les chauves. Consultée l’Assistante Anglaise me
donne la clé. DOME signifie alors le paradis auquel on accède en fumant. On
pourrait alors traduire BIENVENU AU NIRVANA et prendre cela pour un compliment
dans la mesure où l’aspect drogue n’a jamais été ni de près ni de loin une des
problématiques du cours…
Une mère d’Elève
accompagnant son fils se fait mettre dehors par le Censeur qui se lamente de
devoir refuser les Elèves. Elle nous appelle à l’aide et nous lui proposons de
mettre complet sur la porte. La mère
finit par lâcher Vous n’êtes pas humaine
et se plaint de n’avoir pas été informée de la nécessité de s’adresser en
premier au Rectorat.
Le débat s’engage
sur la grève du vingt Octobre. La tendance globale est de ne pas la faire
puisque s’il y a des augmentations de salaires, on en bénéficiera de toute
façon. Une Collègue se déchaîne comme jamais en treize ans que je la connais.
Francine me reproche de manquer de modestie - ce qui est vrai - mais en
l’occurrence le son de cloche général de toutes ces Femmes est un discours de
maintien de l’ordre, de soumission et de néant.
J’explose
d’autant plus qu’elle m’avait déjà dit l’an dernier Je ne sais pas si tu es la mieux qualifiée pour enseigner la culture
et lui expose ma situation réelle affirmant qu’il n’est pas question que je me
laisse emmerder. Tout cela m’apparaît comme un commencement de guerre ouverte
entre les Intellectuels qui n’ont pas démissionné de leur culture et les
autres Collègues entre guillemets….
Jeudi encore un
incident en ville. Une boutiquière me moleste gravement physiquement croyant
que je lui ai volé quelque chose, alors qu’il ne s’agissait que de mon mini sac
à main protégé à l’intérieur de mon manteau. Je suis traumatisée par cette
violence sociale dans laquelle chacun s’arroge maintenant le droit de porter la
main sur le corps et les affaires d’autrui.
Vendredi au Lycée
une ambiance intenable. NB développe des thèses sur l’inégalité d’intelligence
des Elèves. Je me sens obligée de protester tout en me sentant piégée et
instrumentalisée pour faire croire à un débat qui en réalité n’existe pas.
Cette impression continue comme je suis prise dans la nasse des revendications
du lumpen-professorat qui proteste contre ses conditions de travail.
J’en arrive à
mettre les pieds dans le plat concernant la question taboue des diplômes, car
depuis quelques jours on commence à sentir monter l’aigreur des Professeurs de
l’ancien modèle (dans mon genre) détenteurs des diplômes tels qu’ils étaient il
y a vingt ans c'est-à-dire sanctionnant une instruction réelle. Le lumpen au contraire n’a été titularisé
qu’en raison du manque de Professeurs et sans qualification réelle, ni même
parfois de diplôme effectif. Ils jalousent l’ancienneté de notre aristocratie
professorale.
La violence du
discours s’installe et on exige de moi une solidarité professorale à laquelle
je me suis refusée en déclarant brutalement que je n’étais en rien liée à tout
ce marasme que je n’avais jamais cessé de combattre et que je ne me sentais
solidaire que de ceux qui partageaient les mêmes valeurs que moi. Tout cela a
jeté un froid et je me suis sentie très mal et très tendue ce qui est rare chez
moi, au point même de ne pas pouvoir travailler correctement.
Depuis quelques
semaines déjà, les Intégristes Catholiques empêchent la diffusion de deux films
Une affaire de femme de Claude
Chabrol et La dernière tentation du
Christ de Scorcèse. Il y a déjà eu un mort il y a quinze jours. On voit à
la Télévision ce matin un exploitant raconter qu’hier soir son cinéma Le Saint
Michel a été incendié en faisant dix
blessés. On se décide à aller le soutenir. Quelqu’un fait des photos ce que l’exploitant
prend plutôt mal et que je mets sur le compte du traumatisme, comme après un
viol, on ne souhaite pas ébruiter l’affaire pour ne pas aggraver l’effraction
subie. Je lui explique mon interprétation. L’entrée du cinéma est calcinée et
offre un spectacle de totalement brûlé qui renvoie à la notion d’Holocauste -
dont c’est le sens - et au Nazisme.
On éprouve de la
rage, de l’humiliation et de la révolte ainsi que la compréhension qu’il se
passe quelque chose de très grave, car après tout c’est bien ainsi que les
Sections d’Assaut ont commencé. La conviction qu’il faudrait aller voir le film
pour le soutenir et en même l’absence de courage - non pas par lâcheté - mais
parce que j’en ai déjà beaucoup fait dans d’autres domaines d’une égale urgence.
Dimanche tout de même la réaction du Ministre de l’Intérieur Joxe, furieux, de
la Gauche et de la Société des Réalisateurs qui appellent à une manifestation
Lundi.
A Soissons sur un
mur, ce graphitage Mort aux Jui… Que pensez
de ces points de suspension. Peut-être ont-ils seulement été interrompus dans
leur action.
Je retrouve une
connaissance à la manifestation Place Saint Michel. Mon ancienne partenaire de
théâtre ne peut pas y aller car elle répète un spectacle. Je suis choquée de
cet ordre de priorité dans la mesure où moi même j’aurais bien besoin aussi de
préserver mon confort à la veille de mon départ pour le Canada. Plus
démoralisant encore, le peu de monde. Devant la fontaine, le terre-plein n’est
même pas rempli. Il n’y a aucune personnalité germanopratine et les discours
sont sans intérêt. Ils font référence à l’Inquisition, ce qui ne me paraît pas
juste. Le meeting est rapidement expédié, un peu trop même à mon goût comme si
ce rassemblement était contraint et forcé et qu’on n’ait pas eu vraiment envie
de le tenir.
La conversation
s’engage entre les manifestants qui sont plutôt des athées militants qui font
mouvement vers Saint Nicolas du Chardonnet - la base militaire cléricale - mais
se heurte à un cordon de policiers et doivent emprunter les petites rues de la
Huchette et de Saint-Séverin. Il y a quelque chose de saisissant dans ce
groupe, cette meute de jeunes et de moins jeunes slalomant au pas de charge
entre les terrasses de restaurants, les queues devant les installations et les
badauds pour donner brutalement à ce quartier de la douceur de vivre, des
loisirs et de la mémoire étudiante intellectuelle et contestatrice, un air
d’échauffourées soixante-huitarde.
On se retrouve
environ deux cents devant Saint Nicolas avec des slogans sans conviction Le fascisme ne passera pas ou Hitler on t’a eu, Le Pen on t’aura. Plus
étonnant, au cordon policier qui protégeait l’Eglise et la Salle de la
Mutualité dans laquelle avait lieu un meeting socialiste sur la nouvelle
Calédonie et sur invitation CRS au
cinéma ! Un peu démoralisés de tout ça, on va dîner au restaurant Le
Khalife.
Ce qui ressort de
tout cela, c’est que l’idée même de laïcité est en voie de disparition, ce qui
m’apparaît être une des conséquences de l’effacement de l’Etat. J’ai
l’impression que ces regroupements religieux sont de la même veine que les
regroupements ethniques des ensembles culturels qui forment de nouvelles
entités au sein d’une Economie Monde homogénéisant l’Economie et la Technique.
Mes tentatives d’agitation ont tourné court, car si les gars qui étaient là
étaient bien d’accord pour défendre la liberté d’expression, ils ne l’étaient
pas pour que moi-même j’en bénéficie…
Au Lycée,
indifférence tranquille des Collègues à qui cette affaire n’apparaît pas
prioritaire. Au mieux ils déplorent mais ne se sentent pas concernés sans
compter la voix qui rappelle la nécessité de la Censure à partir du moment où
les gens ne s’autocensurent pas eux-mêmes….
Retour du Canada.
Trois jours entre le marasme et le sommeil. Bonheur de renouer avec les
processus de récupération, la santé même, le maintien de l’équilibre.
Je commence à en
avoir assez de leurs histoires d’argent et affiche mon bulletin de paie sur la
porte de mon casier…. Un professeur de mathématiques PL passant dans
l’Enseignement Supérieur, ce qui est désormais rarissime comme promotion, les
Collègues s’agglutinent autour de lui en lui faisant une cour d’Enfer, comme
des mouches autour d’une tartine de confiture. Sans doute s’imaginent-ils
qu’une fois en place, il va leur faire la courte échelle ! Il y a quelque
chose de répugnant dans cette ambiance sociale. Il ne s’agit plus - comme ces
dernières années - de cynisme et d’affaires en tous genres, mais de surcroît
ces derniers temps de veulerie, de totalitarisme et de chasse à tout ce qui vit
encore…
Je n’arrive pas
toujours à esquiver et finis même par leur dire A quel point ils me font dégueuler et que revaloriser la merde, je n’en
vois pas l’intérêt ! Je vais même jusqu’à leur dire que je suis leur ennemi politique et mille
autres choses plus désagréables encore, tentant toujours d’établir une certaine
distance entre eux et moi. C’est sans succès car ils veulent absolument
m’absorber dans leur magma. C’est une sorte de totalitarisme doux dans lequel
il faudrait que je dise la même chose qu’eux.
Je ne suis ni
contre ni pour le mouvement en cours mais HORS. Cela se passe dans un lieu que
je sais déjà caduc dans une France qui se laisse mourir et même se suicide dans
une sorte de folie généralisée. Les journaux - même imprimés - ne sont pas
distribués et cela fait un effet glacial. Privée de ses structures, il faut
produire soi même sa culture et la tirer de soi.
J’achète des
santons Place Saint Sulpice. Les prix ont augmenté grâce à une manoeuvre de
changement de catégorie. Je proteste violemment mais achète quand même bien
décidée à me constituer une collection complète de toutes les activités
disparues. J’en ai actuellement vingt quatre, soit pour plus de mille Francs.
Cette année j’ai acheté le vitrier, le cordonnier, le mineur en pensant à une
jeune femme de ma connaissance installée à Lille et même le clochard à pensant
à la société toute entière. Ces santons sont devenus pour moi des Dieux Lares,
des représentations d’Ancêtres. D’une certaine façon, ils le sont.
Le bazar social,
cela suffit. Il faut maintenant que cela s’arrête, ou bien que cela
explose !...
Cela doit être aussi
l’opinion du Gouvernement qui envoie la Police contre les garages des
PTT tout en affirmant que non, elle n’est pas intervenue, se contentant
d’être présente, tandis que les camions étaient débloqués par les cadres de la
Poste. Cette duplicité du langage est typique de la situation actuelle et à
tous les niveaux. La notion de mensonge ne convient pas, tant le contact est
coupé avec la réalité.
Comme si après
avoir pendant de longs mois, travaillé du chapeau, le pays était maintenant
devenu psychotique. On mesure le résultat des lâchetés accumulées depuis 1982,
ce que les médias appellent la confusion. Quant à s’imaginer que le
travail va reprendre efficacement, c’est mal connaître le monde du travail. On
s’enfonce en fait dans un monde à la Soviétique.
Je suis excédée
par le refus des Elèves d’apprendre quoi que ce soit et décide de ne pas
corriger les copies au-delà de la première question, s’il n’y obtiennent pas au
moins la moitié des points car elle ne concerne que des définitions
élémentaires. Quant à leur galimatias, il n’exprime que l’idée de faire de
l’argent avec le moins d’effort possible et appelle de ma part l’écriture de
cette appréciation La correction de cette
copie du capital humain n’est pas rentable. Il ne tire aucun profit de mon flux
pédagogique. Ce faisant je ne fais que leur appliquer leur propre logique,
et j’en éprouve le soulagement de l’assainissement.
Trois garçons de
2TSC1 me tiennent le discours habituel ….vous
êtes excessive etc…Ils sont du genre de ceux qui interdisent les femmes de
parole. Je les remets en place d’un Le
discours que vous me tenez, même les hommes qui sont mes égaux ne me le
tiendraient pas, alors vous pensez si je vais les accepter de jeunes
hommes !...
Je refuse de
quitter la Salle des Professeurs pour aller prendre un café à l’extérieur avec
mon amie. Cela me pèse de plus en plus au fur et à mesure que la situation
politique se tend et que la lutte se durcit, alors qu’elle ne bouge même pas le
petit doigt ne serait-ce qu’en participant à une discussion publique sur les
problèmes sociaux.
Ma Collègue
d’Italien Mademoiselle D traite Canal de la Toussaint de charabia et se
dit blessée que j’écrive des choses qu’elle ne comprenne pas… Je m’en excuse
ironiquement ce qu’elle saisit encore moins. Je lui explique alors qu’elle a la
position du Réalisme Socialiste, qu’en art, cela ne mène à
rien et que de mon côté je ne suis pas blessée de ne pas pouvoir lire Deleuze
étant du coup obligée de demander à une amie de m’en faire un résumé. Elle
reprend alors Mais moi je n’ai personne à
qui demander !... Je ne peux retenir la flèche du Parthe Mais moi je suis dans un milieu
cultivé !... Ce qui finalement est vrai et verbalise toute une partie
de mes difficultés au Lycée car je n’ai pas de mon côté renoncé à la Culture.
La conversation s’envenime évidemment et je finis par dire que Les Artistes, les Intellectuels, les Juifs,
et les Noirs... on sait où cela mène quand on s’en prend à eux et que cela pue
le fascisme.
Bonheur avec ma
classe de 2TSC2. Dans l’escalier montant vers eux, la phrase qui me vient,
c’est Bonjour mes chéris.
Je suis avec mon
amie plus fermée que jamais, et lui explique que j’ai physiquement besoin
d’être avec les Collègues parce que quelque chose est en train d’advenir, que
je suis dans ce corps qui accouche ressentant chacune de ses contractions. Les
conflits n’en sont que les convulsions. C’est sans doute ce que j’expliquais à
Jennifer lorsque je lui disais qu’en France on s’engueule comme dans les Pays
Arabes on marchande et que le refuser équivalait à s’exclure de la Communauté.
C’est en fait un moyen d’éviter le repli individualiste.
Elle le comprend
mais son indifférence par rapport à ce qui se passe me choque. Elle dit n’avoir
plus aucun langage commun avec nos Collègues et cela me parait inquiétant soit
qu’on l’analyse en termes de mépris dû à un sentiment de supériorité ou à une
asocialité de mauvais aloi. Or j’ai le troupeau consubstantiel, ce n’est pas
une nouveauté. Je l’ai dans le même mouvement métaphysique et social, métabiologique
et militant. Aux Antipodes de ce qui est au minimum chez elle de la froideur et
qui me pèse tant, surtout lorsqu’elle dit concernant le SIDA Si je l’avais je le filerais à tout le
monde.
La poste
fonctionne, ô surprise mais les cabines téléphoniques n’ont plus de portes et
cela interdit les conversations privées. Cette ambiance totalitaire fait froid dans le dos.
L’Eglise tonne
contre l’usage des préservatifs, alors même qu’on apprend qu’un tiers d’entre
eux sont inefficaces. On se sait plus comment la sexualité pourrait continuer à
travers tout cela... Ambiance d’ordre moral et d’intégrisme.
Mois de la
Photographie dans le Quartier de la Bastille. En suivant la liste des adresses
fournies par le journal Le Monde. Toutes les galeries en question
sont fermées le dimanche avec la plupart du temps, des gens à l’intérieur. J’y
vois une sorte de comportement hystérique et un apartheid social en train de se
mettre en place. Fermer le dimanche, c’est interdire le lieu aux Travailleurs
occupés toute la semaine et permet de rester entre soi dans le petit milieu ad
hoc. J’ai fini par dire à l’un d’entre eux On
ira chez les Japonais. Mais ils ne réalisent pas ce que cela veut dire
tellement leur dimension hexagonale est profonde. Leur pensée en termes de fief
est tellement ancrée qu’ils n’envisagent même pas que le dit fief puisse leur
être retiré. Or c’est ce qui est en train de se passer avec la pénétration du
monde dans l’Hexagone et la fracture qui en découle…
En sortant du
métro une bande d’une dizaine d’adolescents noirs bloquaient toutes les issues
en demandant de l’argent. J’étais avec quelqu’un mais je me demande si j’avais été seule, s’ils ne m’auraient pas dépouillée. Je
n’ai pas peur, je sais de quoi il s’agit et que c’est inévitable….
J’ai enfin trouvé
ce qui rend le fond de l’air si irrespirable lorsqu’on marche dans la rue. Les
gens ne se regardent pas, et il me semble que ce n’était pas ainsi autrefois.
Ceci est une Unité de collecte de sang. Notre
mission est de prélever les Donneurs en bonne santé. Si vous jugez que la
transfusion de votre sang peut nuire à un malade, ABSTENEZ-VOUS. Merci ! Ce panneau est affiché sur l’autobus à la
sortie du Lycée pour la Journée du sang.
Avec Chantalle nous protestons et le type nous explique que les malades en
question sont les Drogués et les Homosexuels… On répercute l’affaire dans la
Salle des Professeurs et le Collègue de Gymnastique renchérit sur le thème Oui, il y a une liste… les Drogués, les
Homosexuels et ceux qui ont été en Afrique du Nord.
J’hésite entre
rire et pleurer. On a en effet désormais l’impression que la sexualité est
devenue une maladie, que les gens qui en montrent les symptômes sont malsains
et que c’est en tant que tels qu’ils sont victimes de tracasseries parce qu’on
peut se défouler sur eux sans risques… Tout cela par un détour assez complexe.
Le fait est que la sexualité est devenue socialement négative, voire même plus
comprise du tout…
Je parviens quand
même à faire entendre à l’employé du car que les revendications salariales des
Infirmières sont discutables, tant que la question de la pratique réelle de
l’euthanasie dans les Hôpitaux n’est pas posée. Il rentre ensuite dans la Salle
des Professeurs pour recruter des donneurs de plaquettes. Mme B – professeur
d’allemand - exprime par les mouvements de son corps et un Brrrrrrr de terreur qui me donne à penser que je ne suis pas isolée
dans les sentiments que j’éprouve.
Du coup je
réponds que si c’est pour faire des
expériences ce n’est pas la peine etc… Comme il me répond qu’il le faut
bien, que ce n’est pas son problème, et que cela ne le regarde pas (les
arguments habituels) je lui dis Quand
même lorsqu’on ferme les portes d’un train, on peut se demander si le terminus
de la ligne ce n’est pas Auschwitz !...
Le lendemain le
Censeur a mis dans les Cahiers de Textes des Elèves la note de service suivante
Bravo, vous avez été soixante deux à
donner votre sang en dépit de l’attente et du froid… Mieux que les
Professeurs ! Les Collègues sont furieux voire même déchaînés et
envisagent une protestation ce qui est assez rare, étant donnée leur apathie
habituelle… Je ricane depuis six ans que je me bats en solitaire… et dit à
Chantalle Enfin vous êtes concernés par
la Bionomie !...
Achat du livre Les
Cobayes humains traitant des expérimentations médicales, absolument
terrifiant. J’y constate que non seulement je n’ai pas rêvé mais que la vérité
est encore pire que ce que j’ai déjà pu établir…
Pendant le
week-end, je range de fond en comble la bibliothèque en me laissant porter par
l’intuition. Les catégories qui sont apparues sont les suivantes :
1.
Encyclopédies
et Dictionnaires.
2.
Linguistique
et Grammaire des différentes langues rangées côte à côté exprimant ainsi une
sorte de Translangue.
3.
Les
Rêves (fiction) Littérature Générale.
4.
La
Philosophie rangée par ordre alphabétique et faisant ainsi apparaître des
voisinages inattendus. Les livres de sciences rangés par ordre alphabétique
dans cette catégorie permettant de relativiser le discours scientiste comme un
discours parmi d’autres … ni plus ni moins… et mettant sur le même plan la
science et la philosophie. Cette rubrique comprenant également les Pères
Fondateurs de la Psychanalyse.
5.
Psychanalyse.
C'est-à-dire les Successeurs des précédents.
6.
Sciences
Sociales, réduites à pas grand-chose dans la mesure où la plus grande partie a
été versée dans la catégorie suivante :
7.
Histoire.
Par ordre chronologique depuis la porte jusqu’à la fenêtre, de la Préhistoire à
l’an 2000. Se retrouve sur ce rayon ce qui autrefois pouvait figurer dans la
rubrique Politique.
8.
Récits
de voyage des navigateurs, guides touristiques et manuels de Géographie.
9.
La Géonomie comprenant aussi bien les
ouvrages de savoir vivre (Collection Historique), les manuels de sexologie et les
épigones les plus dénaturés de la Psychanalyse, dynamique de groupes, voyances,
relaxation aux confins finalement des nouvelles pratiques et comme des additifs
à des techniques ménagères, déjà éprouvées. Y figurent également les guides en
tous genres et les traités d’économie ménagère et politique.
10. Les livres d’Art.
Une fois cela
accompli, j’en éprouve beaucoup de satisfaction.
Au Lycée, folie
et régression généralisées. Les femmes discutent tricot. Sont omniprésentes les
questions d’argent et de santé qui depuis quelques temps font une entrée en
force et deviennent obsessionnelles aussi bien chez les Adultes que chez les
Jeunes. Mardi il manquait sept agents pour cause de maladie. Les élèves
quittent les cours plus souvent qu’avant pour aller à l’Infirmerie et les
Collègues se plaignent d’être malades.
Au Conseil de
Classe, comme j’étais en proie à leurs discours des deux côtés à la fois, j’ai
dû changer de place…C’est alors que le Professeur de Philosophie qui a l’air en
sinistre état m’a dit J’ai le SIDA
sur un ton intermédiaire entre la provocation et la réalité.
La Directrice est
arrivée et a attaqué sur les maladies des gens, non pas dans un sens d’esprit
critique, mais pour justifier que rien ne fonctionne. Je dis donc tout fort Moi je suis en pleine forme… Il faut dire
qu’avoir eu le cancer, ça aide…
Elle finit par me
dire sur le ton de la confidence qu’elle vient d’être opérée du colon, que c’en
est un, ce que tout le monde sait... Et qu’elle ne veut plus entendre ce mot.
J’en reste sidérée et me retrouve rejetée six ans en arrière, lorsque je
tentais de faire admettre le mot à l’entourage qui ne voulait pas me laisser
dire la vérité. Je retrouve donc spontanément la même attitude en disant Si il y a quelqu’un qui peut employer le
mot, c’est bien moi !
J’ajoute que j’ai
eu la chimiothérapie. Elle me dit qu’elle n’en aurait pas eu le courage. J’en
suis si décontenancée que je ne parviens pas à faire ma marche à pied réglementaire,
déjà bâclée la veille… les grèves larvées de Transports, des Postes et des
Infirmières durant depuis deux mois, secrètent une ambiance anormale.
Mercredi la
situation a encore empiré. J’ai mis dès le matin sous le nez des Collègues le
livre Les cobayes humains dans l’espoir qu’on me l’emprunte. Déjà la
veille, j’avais été déçue, mais là Christian A me dit brutalement qu’A 8 heures, ça fait un peu tôt pour attaquer
aussi agressivement… Il a sans doute raison. Pour finir Noël demande quand
même à l’emprunter. Pour un peu je le lui offrirais.
Petit raout de
Collègues pour critiquer les insinuations racistes de la Directrice qui affecte
de ne pas savoir prononcer les noms étrangers ni si les prénoms sont ceux de
garçon ou de filles… Je saute dans la brèche pour faire remarquer que si nous
étions plusieurs à avoir le courage de protester, elle ne se le permettrait
pas….Je déclenche un silence glacial.
Le fait est qu’en
dépit de mes efforts, j’échoue à engager les Collègues dans un redressement
quelconque des comportements… Je ne parviens pas à enrayer la dégradation
croissante. A la cantine NV me lave le cerveau sur le thème de ma pensée lisse et globalisante qui selon
elle ne convient pas. J’ai l’impression depuis deux jours d’être enfermée dans
un asile de fous qui délirent de plus en plus ostensiblement.
Leur radotage
m’épuise au point que je ne les supporte même plus physiquement parlant, ayant
envie de leur dire simplement Fermez là ! Et comme deux d’entre eux
recommencent l’après-midi à m’engluer dans les histoires de maladie en
justifiant le comportement de la Directrice je m’enfuis dans la deuxième pièce
en disant, ce qui les satisfait et me blesse, que je leur abandonne le terrain.
Comme on
s’enfonce et qu’on ne voit pas le bout du tunnel, je m’applique à faire cours
en me disant il n’y a rien d’autre à faire et qu’il sera bien temps d’arrêter.
La Documentaliste et le Censeur ne parviennent pas à organiser ni réguler
l’usage de l’unique magnétoscope, je leur propose des solutions pratiques.
C’est d’ailleurs la nouvelle attitude que j’ai décidé d’adopter pour ne pas
entraver une restructuration possible que gêneraient mes comportements trop
rigides.
A la Télévision
journée spéciale sur le SIDA. Sur la Cinq, le Professeur Rosenbaum fait un
fameux lapsus. Comme il s’apprêtait à dire Vous
ne risquez pas d’attraper le SIDA, il dit Vous ne risquez pas d’attraper …l’Homme. Tout est dit ! Le
SIDA, c’est l’homme et rien d’autre. Il s’agit bien du fléau de la
transformation en bouc émissaire de ceux qui ne peuvent renoncer à l’Homme pour
accepter la genèse de la Post-humanité, ce sont ceux là qui développent la
maladie.
J’affiche dans ma
salle de cours et en Salle des Professeurs, la liste parue dans le journal de la
veille, des préservatifs garantis sans défauts et de ceux auxquels il ne faut
pas faire confiance.
A déjeuner avec
des chers amis et leurs deux enfants. Pas un seul instant il n’a été possible
de parler de la situation réelle. Une fermeture hexagonale en béton,
accompagnée d’un dénigrement systématique de la culture française. Ils ne
veulent rien entendre à mon histoire de contrelangue
qui s’est pourtant confirmée à la Toussaint lors de mon séjour à Victoria sur
la côte Ouest du Canada. Je m’en suis sentie humiliée et/ou démoralisée.
Dans la période
actuelle, la plupart de mes relations hexagonales ne peuvent plus rien
m’apporter. Elles me freinent et me font perdre des forces qu’il n’est plus
possible de voir dévoyer… Mes efforts pour éviter ce type de situation ne sont
pas toujours suivis d’effets à cause des multiples pressions sociales
quotidiennes contre lesquelles je dois sans arrêt me défendre sans compter que
dans le même temps le fait que ma propre sécurité commande de ne pas me laisser
isoler, car c’est le premier pas dans le processus de destruction.
La terreur de
retourner au Lycée se verbalise par la formule Ils nous aliènent. Ce que corrobore mon ancienne partenaire de
théâtre qui me certifie avoir écrit la même chose dans son propre journal.
Notre discussion sur ce thème nous amène à comprendre qu’ils nous imposent de
prendre leur folie furieuse comme la nouvelle réalité sociale à la place de
celle qu’ils sont effectivement réussi à refouler.
Vraies/fausses
grèves tournantes durant lesquelles quelques individus bloquent des véhicules
pour paralyser les communications sans que pour autant les Salariés mis dans
l’impossibilité matérielle de travailler puissent être considérés comme
grévistes et soient sanctionnés par des retenues d’argent. On continue à
s’enfoncer dans ce qui ressemble à un suicide collectif ou à une catatonie qui
relèverait d’un traitement psychiatrique ou psychanalytique.
Je me souviens
avec attendrissement du début des années Soixante Dix lorsque l’Institution
elle-même nous payait des Psychosociologues qu’on dénonçait comme des Policiers
tentant de nous imposer un retour à l’ordre, ce qui d’une certaine façon était
vrai. Quel soin avait on alors de la personne humaine, et comme tout cela est loin !
Agitation des
Collègues sur la rumeur vraie ou fausse du refus de la Directrice d’accepter
l’ouverture d’une Section Commerciale. Cela fait penser à Clément Rosset disant
que d’une certaine façon la folie, la
bêtise et la haine sont la même chose. Je pense que le terrorisme a aussi à voir avec tout cela et que les mouvements sociaux à l’œuvre sont de cet ordre. Un agrégat de tout cela. Le
nœud du blocage est autour des véhicules et donne à penser que la France refuse
de s’ouvrir. Ce refus étant assez général, les usagers eux-mêmes - bien que
gênés - ne protestent pas.
La Science est
constamment invoquée ces temps ci pour dégager voire abolir l’idée même de la
responsabilité sur le thème récurrent du C’est
biologique, on n’y peut rien !
allant encore plus loin que dans les Septantes durant
laquelle la Psychanalyse fut dévoyée par et pour cette instrumentalisation dans
le but de promouvoir l’irresponsabilité. Perversion que j’avais violemment
dénoncée à l’époque sans pour autant comprendre que le biologisme en était la succession. Sont-ce ces idées qui sont
regroupées sous la métaphore de la mort de Jean Paul Sartre, c'est-à-dire la
faillite de l’humanisme athée ? Cette biologie à laquelle on ne peut rien
et dont on ne veut pas avoir à rendre compte débouche évidemment sur une
idéologie de l’impuissance qui n’est pas sans rapport avec la désexuation généralisée. L’être vivant
peut il avoir une autre finalité que sa reproduction ? La question se
pose.
Des Collègues me
disent avoir vu dans le métro sur la ligne Vincennes-Nation, des gens voyager debout sur les boggies entre les wagons. Cela me
donne envie de pleurer.
A pied depuis le
Lycée jusqu’à l’ancienne Ecole Polytechnique sur la Colline Sainte Geneviève
pour assister à une conférence A quoi
pensent les Philosophes ? L’amphithéâtre est plein à craquer, il y a
des gens assis dans les allées et d’autres debout de toutes races et de tous
âges. Il y a quelque chose de sublime dans cette foulée religieuse et pressée.
Paris compte donc au moins ce plein amphi de gens qui se sont déplacés pour
être là. Plus que jamais je perçois la marche comme la démarche - et à quel
point il est essentiel de la faire – ainsi que comme une posture d’humilité.
Au Palais de
Tokyo, la Photographie m’interpelle quelque part comme on dit maintenant. Car ce sont les seuls artistes dont
je sois jalouse. Cet art là à quelque chose de particulier. Ce n’est pas un
art, mais une nouvelle écriture.
La Crise est plus
que jamais visible. Non pas à cause des mendiants auxquels on finit par
s’habituer - sauf s’ils pleurent - dernière différence avec ceux des Pays du
Sud. Ils ne sont que rarement en bandes et pas vraiment menaçants. La sensation
de la Crise est due à la survenue constante d’éléments nouveaux qu’on n’avait
pas vus la fois précédente et qui montre l’évolution qu’on ne peut pas se
cacher. Cette fois ce sont dans les vitrines des charcutiers et des boulangers,
les amoncellements de sandwiches qui remplacent les autres modes de restauration
dans la nouvelle organisation des repas, tant pour des raisons sociologiques
qu’économiques.
Une autre image
matérielle de la Crise est aussi la stupeur que j’ai éprouvé hier soir à vingt
heures trente, Place du Panthéon. Une impression de luxe inouïe était dégagée
par cette colline couronnée de monuments historiques illuminés. La Mairie du
Cinquième Arrondissement où je me suis mariée, la Faculté de Droit où j’ai
étudié, la Bibliothèque Sainte Geneviève qui me paraissait déjà vieillotte à
l’époque, L’église Saint-Eustache, le Lycée Henri IV et je ne parle pas du
Panthéon ni de cet immeuble du Quatre Bis Rue d’Ulm qui me fit là un effet
d’opulence et de puissance sud américaine et dont j’ai habité un temps les
chambres de bonnes.
Il m’a semblé que
s’était écoulé depuis mille éternités ! C’est l’expression qui m’est
venue, comme si il y avait eu moins de différence entre le Moyen-Age et 1968
que depuis les vingt dernières années écoulées. On avait l’impression d’être
dans un centre ville historique, un pur joyau artistique, un chef d’œuvre
d’architecture relevant de la richesse nationale. Et au-delà de la nostalgie de
la jeunesse écoulée, la désagréable impression que cette solidité matérielle
était désormais hors d’atteinte.
D’année en année
on fait de la grippe une maladie de plus en plus grave. Dans notre jeunesse ce
n’était rien et maintenant c’est devenu une affaire d’Etat !…
La Télévision ne
parle pas de la situation sociale de plus en plus occultée, ce qui aggrave la
sensation de folie. Je sais d’expérience que la dérobade de l’Autre exacerbe ce
que j’appelle l’enfollement. C’est ce
qui est en train de se produire entre la Société Civile et le Gouvernement, médiaklatura comprise.
Mon voisin et moi
le matin nous partons au travail ensemble comme des paysans attellent de
concert la charrette pour aller aux champs. Même archaïsme de la mémoire
paysanne.
Hier, Michel
Rocard parlant de la situation intenable de l’Enseignement a déclaré qu’il a
trouvé la situation plus grave qu’il ne
l’avait estimée. On est heureux que la vraie réalité soit enfin dite. Il
envisage semble-t-il de nous faire faire du travail supplémentaire, mais ne
nous dit pas s’il sera payé.
D’après mon
ancienne partenaire de théâtre, les chauffeurs d’autobus parlent de casse dans
les dépôts et ailleurs. On ne trouve aucune trace de ces nouvelles dans la
presse qui parle de moins en moins de la situation au fur et à mesure qu’on s’y
enfonce. Elle DISPARAIT au sens des disparitions Sud Américaines… On apprend au
Journal Télévisé en deux minutes qu’il y a eu des bagarres dans le métro, que
les gens sont tombés sur les voies et on enchaîne sur autre chose…
On nous parle
pendant des heures de Sakharov et de Walesa invités pour le quarantième
anniversaire de la Déclaration des Droits de l’Homme. Cela me convainc une fois
de plus qu’il ne s’agit que d’une idéologie logonomique.
Il est vrai qu’être transporté dans les transports publics dans des conditions
acceptables ne fait pas partie des droits proclamés par la Déclaration
Universelle des Droits de l’Homme. On peut à partir de cet exemple essayer de
comprendre la signification de la notion de droit.
Le plus
insupportable, c’est bien sûr le quartier de la Place de la Victoire où
s’étalent des magasins de vêtements
d’un prix inouï et qui se présentent comme des salons dans lesquels on peut
s’asseoir et bavarder. C’est la version chic du slogan du supermarché Mammouth lieu de vie. Si les Septantes
virent comme la réussite de l’époque, l’achat d’une vieille bâtisse à retaper - selon la formule consacrée - là il importe de s’afficher avec un look urbain
des Octantes dans le quartier de la Bourse et des Banques.
La débauche de
voitures frappe tout particulièrement, leur standard ayant augmenté, un peu
comme les gros calibres dans les films de gangsters. Ma fameuse formule Somme du fond et de la forme égale
constante me paraît plus juste que jamais ! Ce qui donne dans cette
circonstance: Plus le mensonge social
augmente, plus les apparences sont importantes… et plus on me bouscule !...
Un panonceau
surréaliste : Les lignes A et B du
RER et les lignes 1 et 11 du métro ne seront pas exploitées ce week-end…
Comme j’ai raison de répondre Joyeuses
Pâques lorsqu’on me dit Bon
week-end !
Réveil de terreur
après un cauchemar mélangeant les difficultés du Lycée et les gens tombant sur
les voies. Depuis la Rentrée j’ai l’idée qu’ILS n’ont plus besoin de nous et
que cet effondrement du Service Public dans des conditions dangereuses les
arrange, dégraissant - selon leur
propre terme - les gens et les organisations pour faire de la place pour le
monde nouveau, celui de la Cybernétique.
On me dit que
j’invente une langue agglutinante, une nouvelle grammaire française, une
nouvelle façon de les assembler pour se passer des articulations qui me dit on,
sont en grec, les plus nombreuses.
Au Cinéma
Soviétique Le Cosmos, le dernier film de Paradjanov Achik Kerib. Une imagerie
de la maladie mentale, comme un délire de symbolisme et de couleurs.
Retour en
métro : trois lignes fermées sans compter le RER !
Tremblement de
terre en Arménie. Entre Cinquante et Cent Mille victimes. Une ambiance
d’Apocalypse entre les pogromes, la Perestroïka,
l’incurie et pour la première fois le renfort des Européens, accepté. La
mondialisation s’accélère par des voies qu’on n’avait pas nécessairement
prévues. Cela confirme mon idée qu’elle se fait de façon irrésistible et
irrémédiable sur un mode qui nous échappe parce qu’elle est d’ordre
sociobiologique n’en déplaise à la Gauche. Sur cette toile de fond, les communicateurs médicaux ont des allures de charognards. La dernière blague qui
court sur Kouchner le compagnon de la speakerine Ockrent est Un tiers-mondiste et deux tiers mondain…
Des personnalités se font photographier sur fond de ruines, c’est carrément
indécent !...
Quant au chanteur
Charles Aznavour qui a dit - il y a une paire d’années
- qu’autrefois il était français mais maintenant arménien à cause de Le Pen
excluant les immigrés, il a créé une association Aznavour pour l’Arménie se présentant comme un pôle qui recoupe là aussi mes analyses
de La Pensée Corps. D’abord par le regroupement en ethnie, lorsqu’il
demande qu’on lui envoie les Orphelins plutôt que de les disperser en Union
Soviétique mais aussi par l’expression elle-même d’Aznavour pour l’Arménie dans laquelle le nom du
crooner se transforme en une articulation
entre l’ancien et le nouveau monde en
passant du spatial au temporel,
des Temps Modernes aux Temps Cybernétiques.
A Midi au Lycée,
les Collègues signaient une pétition dénonçant le comportement inqualifiable de
la Directrice lors du Conseil d’Administration. J’ai distribué mes cartes de
vœux que j’ai fait faire à l’intention des Collègues à partir d’une
photographie du Lycée se reflétant dans la vitrine du magasin de musique d’en
face. Ils étaient très contents. Et ils ont eu raison, car il s’agissait d’un
très beau cliché comprenant divers éléments dont les portraits en couleur de
Lully et de Verdi, mélangés à l’image de la façade de notre Etablissement…
Soirée à la
Librairie des Femmes dans la problématique habituelle. J’ai quand même eu
l’occasion de demander à Antoinette Fouque la date de parution de ma Pensée
Corps. Elle me dit qu’on l’aura pour le Salon du Livre du Printemps !
La Télévision
projette la carte des lignes de métro qui sont fermées. On annonce que Le RER est dans un état stationnaire,
étonnante métaphore bionomique !
Le Parlement a
voté une loi autorisant les expériences médicales sur les malades en coma
dépassé, ce qui aux dires de la Télévision elle-même est en contradiction avec
les recommandations du Comité d’Ethique.
La déréalité, c’est ce mot qui me vient à
la lecture de L’Asole, mon texte sur
le Lycée. Ce terme permettant de dire ce qu’on constate, à savoir cette impossibilité
de prendre en compte la réalité. La panique vient aux Collègues sous la forme
cette fois d’une information concernant des Lycéens de Louviers qui se sont
cotisés pour payer des produits chimiques à l’un deux, avec mission de les
jeter à la face d’un Professeur de Mathématiques. Là, la réalité, ils
l’entendent fort bien et se sentent sans doute menacés. Moi pas.
Deuxième série de
distribution de cartes de vœux miniatures. Celles-ci ont été réalisées
directement par mes soins grâce à une l’imprimerie minute informatisée – le
nouveau gadget qu’on voit en ville - avec le texte suivant … écrivain STE vous souhaite un Joyeux Noël et une Bonne Année 1989.
Lycée Siegfried. Ils ont tous été agréablement surpris et très heureux, à
l’exception de Francine qui a eu le mauvais goût de me demander Combien je te dois ? Je lui ai alors répondu Rien !
Suivi de propos très cinglants, sur la condition inhumaine de l’artiste...
La pétition
contre la Directrice a déjà recueilli quinze signatures. Le nouveau Permanent du Syndicat SNES essaie de
mettre tout le monde au pas, dans un style pas tellement habituel encore que
franchement nomenclaturiste.
Conversation avec
Madame Mevel sur la situation réelle. Elle en revient aux questions de santé
d’où il appert que faire corps commun serait la nouvelle convivialité, dans le pur plus style
bionomique.
Du rififi à la
BNP qui en six semaines n’a pas trouvé le moyen d’encaisser mes chèques de
Montréal et me conseille de me faire payer en liquide… Je leur réponds qu’en
1993, lorsqu’il y aura l’ouverture du marché bancaire à la concurrence, je
m’adresserai ailleurs… Etc… Je suis trop fatiguée pour raconter même
succinctement, la suite de la conversation....
On apprend qu’il
y eu des bombes à la station de métro Miromesnil. Les speakers prennent un ton
enjoué pour parler de bombinettes.
C’en est écoeurant ! Sur la deuxième chaîne, au Journal Télévisé, vingt
minutes sur l’Arménie et une et demie sur le métro. On n’y parle plus de bombe.
Ce black out de la réalité n’a jamais atteint un tel niveau même sous les
Gouvernements de Droite. Dans le métro il y a maintenant quatre lignes fermées
et deux qui vacillent. Tout le monde fait comme si de rien n’était.
Ce matin je suis
allée à la Piscine et ensuite restée à ranger et à récupérer. Dans
l’impossibilité toutefois de réaliser les corrections prévues.
En arrivant au
Lycée, j’informe les Collègues sur la question des bombes, mais cela tombe complètement
à plat.
A dix heures la
pétition contre la Directrice continue à circuler avec désormais vingt et un
signataires (sur une soixantaine). Besson n’hésite pas à dire qu’il va en
changer le texte, ce qui me laisse pantoise. A treize heures, il continue ses
manipulations sur ce thème, affirmant que notre supérieure hiérarchique devrait
se faire hara-kiri etc. Je suis choquée de découvrir que mon amie l’a signé.
Les Collègues
fument depuis quelques jours comme des troupiers, y compris certains qui ne
fumaient pas auparavant.
En ce qui
concerne la Poste, il y a désormais dix huit millions de lettres en souffrance
dans les Bouches du Rhône et un demi-million à Paris.
Au sujet du
métro, on apprend que les Forains se sont battus avec les Ouvriers de
l’Entretien des Garages car la fermeture de la Ligne n°1 empêche d’accéder à la
Fête Foraine qu’ils ont eux-mêmes installée aux Tuileries en barrant les routes
pour faire céder le Gouvernement qui s’y opposait. Ce qui a provoqué la démission
du Directeur des Jardins Parisiens au motif que ceux-ci ainsi traités, en
mourraient.
Cinq lignes sont
fermées, et il paraît impossible de faire fonctionner le Lycée dans de telles
conditions car on nous demande de maintenir des structures que l’ensemble de la
société s’ingénie à mettre à bas. Quoi de plus antinomique que ce chaos et l’Instruction dont mon ancienne
partenaire de théâtre me fait remarquer qu’elle contient le mot structure !... Quant à cette
expression de fermer une ligne,
elle contient sans doute le secret de notre angoisse croissante. Cela rejoint
le thème de mon Canal de la Toussaint dans lequel il est question d’une
ligne infinie qui ne ferme rien, l’horizon ne parvenant pas à enclore la
rotondité du monde.
A la Télévision,
une émission sur les Sans Domicile Fixe, suivie d’un débat. L’Abbé Pierre y
dénonce l’absurdité de l’expression Fin
de droits. Alain Touraine très beau, met de son côté en évidence
l’apparition d’un dualisme qui relève du sous-développement. C’est la première
fois que j’entends quelqu’un de l’establishment le faire. On peut toutefois
s’étonner qu’il ne soit pas aussi radical lorsqu’il publie dans la presse
écrite mais peut être est-ce dû à la censure des journaux. Quant à Philippe
Séguin dont l’air accablé suffit à le rendre humain, il dénonce d’une phrase le
décalage existant entre le reportage et la réponse donnée par l’Etat. Tout
était dit !
La pire fut quand
même Georgina Dufoix qui fit semblant d’être émue en découvrant l’ampleur du
drame, alors qu’elle avait été pendant des années la Ministre des Affaires
Sociales. Elle disait d’un air faussement dynamique Allez on va faire plein de choses pour arranger ça maintenant
qu’on l’a découverte ! Elle en était écoeurante… Une des constantes de
l’émission en question était que c’était désormais aux familles de prendre les
choses en charge et d’assurer les secours à leurs membres. Mais ils ne
parlaient pas pour autant de diminuer les impôts. On a de plus en plus
l’impression que les impôts sont une sorte de tribut à payer et que pour
couvrir les besoins de la solidarité, il faut s’organiser de surcroît…
Je vais au Lycée
à pied tant je prévois une journée dure… Marcher est ma réponse magique à tous
les problèmes. Plus c’est dur et plus je marche… Mon temps quotidien de ce que
j’appelle le marchoir ne cesse de
s’allonger…
J’ai prévu de
donner le choix aux Elèves entre un film et un débat et j’ai même obtenu du
Censeur la disposition d’une deuxième salle pour pouvoir séparer les deux
groupes. Face au non fonctionnement avéré, j’innove en solitaire et me prépare
à sauter dans le vide cybernétique. Malheureusement le débat n’a intéressé
qu’un seul élève. J’avais déjà observé en 1986 que c’étaient les films qui
permettaient le mieux aux Elèves de juguler leur angoisse sans doute parce que
cela leur permet de s’enfermer dans une bulle.
Quelques
nouveautés : A la Télévision pour la première fois un planisphère est
présenté avec l’Océan Pacifique au centre et l’Europe sur le bord gauche. La
firme Heudebert fait de la publicité en utilisant la charité sur le thème Pour chaque paquet de biscottes acheté, un
kilo de farine sera envoyé en Arménie ! En République Fédérale
Allemande, dans les Universités on utilise pour les étudiants des cadavres
provenant encore des camps de concentration ! Des publicités utilisent des
phrases qui ne veulent rien dire, sans même nommer le produit concerné ni ses
caractéristiques ni son prix. Des accents suisses et belges sont présentés
comme des accents provinciaux du Français.
L’affaire
Péchiney montre à quelle vitesse se mondialisent les Institutions. On éprouve
une forme d’humiliation de voir ainsi violer de l’extérieur aussi brutalement
notre caractère hexagonal et porter au jour une gangrène de la société économico-politique encore plus profonde qu’aurait pu l’imaginer les plus
pessimistes. C’est peu dire que selon l’expression le poisson pourrit par la
tête car on entend même parler de la loge P2 !... A l’humiliation se
mêlent la peur et l’espérance d’être débarrassé de tout cela.
Stage à visée
pédagogique concernant la rénovation du Brevet de Technicien Supérieur
Comptable au Lycée Louis Armand. On nous propose de traiter un cas pratique à
savoir l’informatisation d’un problème d’Economie de l’Entreprise appliqué à la
diminution de la fréquentation des transports urbains provinciaux. On doit –
selon l’énoncé – appliquer comme remède un programme de communication aux
chauffeurs pour les amener à modifier leurs comportements afin qu’ils se
transforment en propagandistes des Transports Publics.
Je déclenche bien
évidemment le scandale en faisant remarquer que s’ils ont vraiment un problème
de rentabilité, la solution qui se dessine est plutôt l’embauche de
Travailleurs Pakistanais. Je vais même jusqu’au bout de l’exemple pour proposer
qu’on utilise ce cas pour expliquer aux Elèves, la Systémique qui est au
Programme et comment la pression de la mondialisation désintègre l’Hexagone
comme on le voit faire en ce moment, notamment avec la SEC américaine qui se
substitue à la COB pour veiller à la régularité des opérations de Bourse
française.
Ma provocation
tombe bien sûr à plat et je suis obligée de m’énerver en disant que si on
faisait devant nos Elèves un cours comme celui que nous imposent les
formateurs, on aurait le chahut depuis longtemps. J’affirme également que c’est
cette négation de la réalité qui a fini par la rendre caduque et qu’on ferait
mieux de profiter du fait qu’on est là à plusieurs pour essayer de voir comment
on pourrait tirer effectivement parti du nouveau programme.
Malheureusement
les Collègues ne veulent pas se laisser distraire de cette étude de cas qui
leur est proposée. Ils commencent à élaborer une analyse logique du cas mais
échouent sur la façon d’inscrire en termes informatiques l’action de
modification du comportement des chauffeurs. C’est là que je demande
hypocritement à aller au tableau pour achever de torpiller cette caricature de
mauvais cours. J’y dresse un schéma que je commente au fur et à mesure.
On y voit les
trois niveaux : Capital Humain (les Elèves et les Chauffeurs de bus), les
communicateurs (les Professeurs et le Responsable du Stage), le Grand Réseau
Cybernétique séparés par une information/propagande avec des parlottes en
dérivation. Et je vais jusqu’à les dessiner – alambiquées - en expliquant
qu’elles servent à alléger l’angoisse qui autrement contaminerait tout le
système. C’est un véritable coup de tonnerre !
Deux de mes
anciennes condisciples de l’Ecole Normale Supérieure de l’Enseignement Technique,
CC et FH s’exclament que je suis géniale et que je n’ai pas changé ! On
entend quelques borborygmes chez les Professeurs de Comptabilité pour essayer
de me faire croire qu’ils sont d’accord avec moi avant de se remettre à leur
étude de cas, comme si rien ne s’était passé. Puis vers la fin, les paroles se
perdent dans les sables avant de changer brutalement de nature. Sans aucune
cohérence ni lignes directrices, on les entend se mettre à parler de Pascal, de
Descartes, des Grecs et de je ne sais pas trop qui comme si des bribes du
corpus mal assimilé remontaient à la surface chez des cancres à l’occasion
d’une interrogation surprise. C’était consternant et à faire peur !
L’après-midi,
j’assiste pour voir au cours d’informatique, plutôt étonnée d’y comprendre
quelque chose. Je quitte pourtant les lieux à la pause. Mais le marchoir
Rue Lecourbe ne suffit pas hélas, à me laver de la souillure ambiante…
Par ailleurs le
formateur dirigeant le stage étant en grève le lendemain, il nous a déclaré
lock-outés. Quelle ne fut pas alors ma surprise, en retournant dans mon Lycée
de trouver un papier qui stipulait qu’on me considérait moi-même comme
gréviste…. Il aurait fallu selon le Censeur que je prévienne moi-même pour
qu’on puisse prévenir les élèves… qui avaient sans doute déjà eux-mêmes pris
leurs dispositions… D’où il apparaît que dans la nouvelle norme, les ordres et
les contre-ordres n’ont aucune importance et que les gens sont censés être
constamment disponibles, que ce qu’ils font de leur temps, leur vie et leur
ordre n’ont aucune importance.
Au Lycée, deux
classes sur quatre ne fonctionnent pas et les conversations sont impossibles
avec les Collègues. Elles tournent mal rapidement parce qu’ils veulent
absolument me faire dire comme eux. De plus ils entrevoient que contrairement à
leur espérance, leur salaire ne va pas être revalorisé et ils deviennent
mauvais. De mon côté j’ose croire que l’effondrement de leurs illusions va
ouvrir de nouvelles perspectives et que les analyses marxistes ont encore
quelques beaux jours devant elles.
Sur l’ensemble du
pays TOUT est devenu impraticable. La Culture Officielle bouche toutes les
issues et le luxe des nouveaux enrichis est de plus en plus arrogant. Les
masques tombent et on sent bien que pour la France, la mondialisation se
traduit par la dégénérescence en république bananière. Il n’y a plus d’espoir
de réforme dans aucun domaine. Chacun campe sur sa situation acquise, toute son
énergie étant employée à ne pas céder d’un pouce. TOUT EST BLOQUE à un point
qu’on n’aurait jamais pu imaginer durant les Trente Glorieuses et La Grande
Florescence qui l’a accompagnée et
suivie.
On ne fait plus
que travailler et se défendre des emprises totalitaires et/ou dissolvantes.
Les Collègues
sont en proie à une rumeur concernant le versement d’une éventuelle prime de
Cinq Cents Francs... Dans la réalité, les salaires nominaux nets baissent à
cause de l’augmentation des Cotisations Sociales. On est entouré de spectres
qui serrent dans leurs mains des morceaux d’épave qui ont eu du sens autrefois
mais ne produisent plus aujourd’hui que des répétitions vides. On hésite alors
entre couper les ponts avec eux pour se protéger soi même ou au contraire se
souvenir qu’étant la mieux armée pour affronter ce qui se passe, on a le devoir
de prendre en charge l’organisation collective…
Les deux
syndicats SNES et SGEN ont lancé un sondage pour envisager une grève
administrative contre l’instauration d’une rémunération au mérite dont il est
question ainsi que pour l’augmentation indiciaire et la baisse des effectifs.
J’ai développé mon opposition au mouvement dans un dazibao en technicolor, de
toute beauté. On m’a dit que c’était jeter
des perles aux cochons. Quelques autres Collègues sont également
opposés à cette grève mais pour des raisons différentes des miennes. Néanmoins
avec trois quarts de partisans, elle se prépare…
La grève des
Gardiens de Prison change de nature et ils s’en prennent désormais aux Détenus
avec une grève du zèle qui a pour objectif avoué de pousser les établissements
pénitentiaires à l’explosion !... S’y ajoute des retentions de courrier et
le fait de servir froid les repas. Le caractère fascisant de ce mouvement se
précise. Il n’y a même plus de revendications ni même d’alibi de maintien de la
qualité du Service Public mais plutôt l’expression d’une rage féroce de
monnayer ce qu’on a sous la main. Une sorte de rentabilisation du Capital
Humain qu’on détient. Le journal Le
Monde somme le Gouvernement de
débloquer la situation soit en échange d’avantages matériels, soit en employant
la force en tous cas en cessant de prendre selon son expression cet air figé du lapin fasciné par le
serpent ! Il semble donc que cet aspect fasciste ne leur a pas - à eux
non plus - échappé.
Dépouillement du
vote concernant le projet de grève administrative. Vingt Trois Pour, Six Contre et Deux Abstentions.
Atmosphère de débâcle en Salle des Professeurs. Les Collègues tentent de faire
appliquer des textes dont ils ne sont jusque là jamais préoccupés et ont ainsi
l’impression que cela leur sert à exorciser leur angoisse comme s’ils
récitaient leur chapelet. Cela se tourne ensuite contre la Directrice à
laquelle ils reprochent de lire les bulletins de paye et d’avoir ainsi des
informations concernant leurs enfants illégitimes ou leurs saisies sur
salaires !...
Dans le même
temps la Télévision et les Radios ne parlent pas de la Police entrant dans la
Prison de la Santé dont les Gardiens étaient en grève, ce qui n’est pas tout à
fait rien et fait le gros titre du Monde.
L’Iran met à prix
la tête de l’écrivain Salman Rushdie pour la publication de son livre Les
versets sataniques traitant de la vie de Mahomet. La prime est promise à
qui le tuera. On le voit avec émotion à la Télévision. Il tape à deux doigts
sur sa vieille machine à écrire rétro. Face à cet événement d’un genre inédit,
les réactions sont diverses. Les Etats-Unis envoie l’Iran sur les roses, la
Grande Bretagne cache et protège l’écrivain annonçant que le rétablissement des
relations diplomatiques en cours n’ira pas plus loin. L’Allemagne et l’Espagne
renoncent à publier son livre, alors que l’Italie va le faire la semaine
prochaine et qu’il est déjà en vente en Suisse. Quant à la France, l’éditeur
Christian Bourgois se rétracte et on a honte avant d’apprendre le seize au soir
où on reprend courage qu’un pool de confrères le coéditera. Le dix-sept on
entend qu’ils attendent l’autorisation du Ministère de l’Intérieur, ce qui est
au bas mot, déconcertant. Dans un genre humoristique le journal Le Figaro publie plusieurs pages sur le
sujet et quelqu’un autour de moi suggère qu’on offre la même prime pour tuer
Khomeiny.
En classe, je me
heurte à des situations absurdes. Impossibilité de faire comprendre aux Terminales
que les coûts salariaux sont proportionnels aux quantités produites parce
qu’ils rémunèrent un travail fourni. L’opinion générale de la classe est plutôt
que le salaire est une sorte de pension due sans aucune contrepartie. Il est
alors impossible d’enseigner l’économie de l’entreprise et d’autant plus que
par ailleurs, ils n’ont aucune idée de ce qu’est une proportion.
En BTS ils
confondent comprendre et aimer. On assimile ce qui plait et on refuse
d’assimiler ce qui ne plait pas comme quelque chose qui ne passe pas, qu’on n’avale pas ou dont on ne
veut pas. C’est la passivité de La
Grande Bouche dont parle Gérard Mendel.
Sans crier gare,
le journal Le Monde publie des
informations concernant les nouvelles possibilités de recrutement pour les
Enseignants, des Contractuels et des Vacataires qui tout en étant moins
diplômés que nous pourront néanmoins être mieux payés. Il s’agit en fait d’un
brutal passage des Lycées du Secteur Public à un genre d’Economie Mixte. Même
si on savait bien que cela allait se terminer ainsi, on ne pouvait pas penser
que ce serait si rapidement, brutalement et sans aucune négociation. Ajoutons
même, eu égard à la nature de la société française et sans même l’hypocrisie de rigueur ! Il n’y
a même pas les formes habituelles dont personne n’est dupe mais qu’on rappelle
au moins comme des valeurs auxquelles on saurait qu’on peut et qu’on doit se
référer.
Prises ainsi
pendant les vacances de Février, ces mesures ont un côté sournois qui n’est pas
très plaisant mais qui rend caduque cette grève des notes prévue pour la
rentrée. Elle était en effet destinée à vaguement protester contre une réforme
prétendant instaurer l’Enseignement au Mérite alors qu’il s’agissait simplement
de payer davantage les Enseignants partants pour le Changement. Tout cela est
devenu brutalement terriblement désuet.
Atmosphère de
veillée d’armes. Des Collègues ont chahuté Michel Rocard qui parle de retirer
la Réforme. Les Collègues ne voient pas que c’est leur opposition à celle-ci
qui rend obligatoire l’emploi des Contractuels et Vacataires… Leur aveuglement
me fait frémir…
Le mot fascisme
ne convient pas pour dire ce qui se met en place parce que le rôle du guide est
là remplacé par une mère mythique dont nourricière, on exigerait qu’elle
materne et câline en en ayant la plus grosse part. Les revendications sociales
ne portent plus que sur des questions d’argent, à l’exclusion des conditions
d’un travail qu’il ne s’agit même plus d’accomplir. Quant aux préoccupations
politiques ou civiques, elles ont disparu. Je ne me sens pas concernée par ces
mouvements dont celui des Lycéens en Décembre 86 était le prototype et dont mon
ancienne partenaire de théâtre et moi-même, avons tout de suite décroché
lorsque nous en avons découvert sa nature.
De plus en plus
glaciale, une ambiance de croisade consécutive à l’affaire Rushdie. A Barbès
Rochechouart, une manifestation d’Islamistes fanatiques réclamant à corps et à
cri le meurtre de Salman Rushdie… et se prosternant à genoux, Place de la
République… On peut encore l’admettre, mais je m’étonne d’entendre le Ministre
de l’Intérieur Pierre Joxe se féliciter que cette manifestation n’ait pas donné
lieu à des violences… Des manifestations analogues ont fait des morts à Bombay
et au Pakistan. La question qui est posée est celle de l’application de la loi
islamique en dehors de ses
frontières, à savoir encore une fois un aspect de la mondialisation, même si
elle est inattendue. On entend même des Chiites d’Europe ( !) expliquer
que les monothéismes doivent s’allier contre l’athéisme…
De nouvelles
catégories de pouvoir sont en train de se constituer sur des bases culturelles
et religieuses. La laïcité disparaît parce que l’Etat lui-même disparaît. Quand
je repense à la société multiculturelle comme je la concevais dans mon article
sur Les transnationaux en 1983 ou
celui sur l’Afghanistan publié dans les Nouvelles Littéraires je serais
presque tentée par l’amertume.
Au Journal
Télévisé un nouveau logo représentant l’Europe et le nombre de jours avant d’y
parvenir….
Scène de genre
sur la ligne de métro numéro trois. Je veux m’asseoir à une place libre sur
laquelle un gros malabar a mis ses pieds. Comme je m’approche résolument prête
à attendre le temps qu’il faudra, ce qui habituellement suffit… La suite donne
lieu à la rédaction d’une nouvelle dénommée Le Métropolitain écrite
intégralement au traitement de texte pour la première fois, sur un ordinateur
qui a été installé à la maison mais pas à ma demande.
Depuis plusieurs
semaines le Censeur – femme - du Lycée me fait presque tous les jours des
réflexions sur ma tenue.
Catastrophique
Colloque à la Sorbonne. Mon seul bonheur est d’y avoir contemplé les fresques
de Puvis de Chavannes dans le Bois Sacré, l’éloquence et la poésie.
Dans le Jardin du
Luxembourg, l’éclatement majuscule des bourgeons, à en être soulevée. L’un des
plaisirs de l’hiver défolié est de pouvoir repérer sans difficultés les cèdres
parisiens. Il y en a un au Centre Culturel Américain Boulevard Raspail et à la
Concorde mais je n’ai pas vu où !...
La semaine de la
Philosophie à la FNAC est ouverte par Antoine Spire qui attaque sur la question
fondamentale Personne n’a encore fourni la
réponse à la question essentielle : D’où vient que le nazisme soit sorti
de la terre la plus avancée philosophiquement ? J’ai l’idée de lui
envoyer La Pensée Corps qui a mon avis fait avancer la compréhension
dans ce domaine. La salle est pleine à craquer. Comme au Collège de
Philosophie, il y a quelque chose d’émouvant dans cette demande de gens
écoutant debout, religieusement. Malheureusement une somme d’inconforts
physiques m’empêche de rester. J’ai néanmoins la satisfaction d’entendre se
dire des choses qui parlent de la réalité.
Dans la Salle des
Professeurs, cela ne s’arrange pas. Aujourd’hui c’était la nostalgie des
Comptoirs des Indes et les charmes de la Colonisation. J’y ai mis un coup
d’arrêt !
Au Lycée la
conversation suivante :
Le Censeur : Il me semble que vous naviguez
beaucoup !
Moi : Pourquoi c’est contingenté ?
Elle : Oui, ça use les escaliers !
Sans
commentaire !...
Conversation
émouvante comme souvent le mercredi avec les trois Collègues Autret, Bosetti et
Bassot sur le thème de nos difficultés réelles et des moyens de les surmonter.
Comme souvent depuis quelques mois je tente de faire avancer l’idée d’un
Directoire pour pallier la carence de la Direction. Je suis stupéfaite de
constater que cela ne se heurte plus à la rigolade, l’incompréhension ou le
refus hâtif que cela provoquait habituellement. Comme si nœud à nœud la
situation avait entrepris de se dénouer.
Je me surprends à
leur dire que j’ai besoin d’eux pour surmonter mes difficultés et Noël me dit Nous aussi on a besoin de toi pour être. Ces
propos me bouleversent absolument. J’essaie de leur montrer que les fantoches
qu’ils craignent sont sans pouvoir ni prise parce qu’ils ont déclaré forfait depuis
longtemps. Je me souviens de Marie France Garaud disant ce que je pense depuis
toujours Le pouvoir ne se prend pas, ne
se conquiert pas, il se ramasse ! C’est exactement ce qu’il y a à
faire au Lycée et peut être aussi ailleurs…
Pour me nommer,
il me vient l’expression de Florescence
insurrectionnelle permanente !
Je reproche à une
Collègue de ne pas me répondre comme je lui dis bonjour. D’un air faussement
outragée, elle répond perfidement Moi ?
Mais je dis bonjour, même aux femmes de ménage ! Je trouve ce même absolument épouvantable…
En classe comme
je parle de réduire les biens de consommation en tentant de faire réfléchir les
Elèves sur ce qu’il serait possible de changer sans trop de difficultés ni de
dégâts, j’entends Ahmed qui susurre à mi-voix Les Femmes. Sa voisine se
trémousse d’aise de ce bon mot. Ce spectacle m’est insupportable et je dis à
voix haute, en m’adressant à la fille Vous
feriez mieux de lui mettre une tarte !
Un protocole
d’accord en passe d’être signé entre les Syndicats Enseignants et le
Gouvernement aboutirait à des augmentations de cinq cents à mille Francs par
personne. On apprend incidemment que l’argent viendrait de ce qui avait été
prévu pour la rénovation du système
éducatif ! Ce qui signifie qu’ils vont une fois de plus privilégier la
consommation aux investissements.
Après le déjeuner
une heure et demie de lecture de Drieu La Rochelle, seul moyen de supporter
l’ambiance mortifère de la Salle des Professeurs. Qui aurait pu penser qu’il en
aurait été ainsi ? Je découvre un auteur que je ne connais pas et la
pertinence de certaines de ses analyses. Etonnement aussi de la pureté de cette
langue impeccablement écrite et des mots employés manifestement dans leur sens
correct mais des mots dont je ne comprends pas forcément le sens. La langue a
donc muté. Celle du dix-huitième siècle on ne la comprend plus du tout et là on
a déjà l’impression d’être à mi chemin.
Je suis de plus
en plus frappée par la coupure qui existe chez Les Collègues entre la
génération des Quarante Cinq ans et celle des Trente Trente-Cinq. J’en
comprends la cause aujourd’hui. Il ne s’agit pas seulement du contexte social
de l’expansion connue par la première ou de la régression subie par la seconde.
L’essentiel me paraît plutôt être cette transgression que nous avons dans ma
génération, accomplie en commun. La théorie freudienne du meurtre commis de
concert pour fonder une nouvelle société, en rendrait sans doute compte. Depuis
cette transgression soixante-huitarde en effet, nous sommes seuls avec la Mère,
La Grande Toute Cybernétique hors du logos.
Une campagne
publicitaire cauchemardesque pour la crème dessert Mamie Nova. Elle représente un
enfant dans le genre du monstre de Frankenstein âgé de sept ou huit ans avec
alternativement trois slogans : La
mamie que je préfère elle est dans le frigidaire. J’ai une mamie riche en
calcium. J’ai une mamie qui se parfume à la banane.
Je projette aux
Elèves un film sur la modernisation du travail et son nécessaire aggiornamento.
Il apparaît complètement désuet dans la mesure où il traite des problèmes de
l’efficacité de la production et de la recherche de remèdes à ses insuffisances
et ses ratés. D’après ce film datant de 1986, ce monde là serait plus près de
celui de 1968 que de celui de maintenant. On peut donc penser que la cassure
s’est effectuée entre 86 et 89….
En Corse,
l’agitation continue parfaitement démoralisante comme tout ce qui relève de la
logique de la main armée pour obtenir la plus grosse part de la manne. Comme chacun exige que
celle-ci compense les difficultés de la vie, on finit par avoir l’impression
que la Nature elle-même est une anomalie qui doit être compensée par cette
distribution gratuite. Il y a là une espèce de tête à queue de l’Economie qui
humilie et déstabilise.
Le Collègue Bolo
- informaticien dans les trente cinq ans - nous entretient à la Cantine de la
Bataille de Stalingrad et du Siège de Leningrad dont il n’avait jamais entendu
parler. En nous racontant que les gens ont mangé la colle des tapisseries, il
nous demande comment cela a été possible. Son étonnement n’est pas feint et son
questionnement tragique. Comme il demande Comment
c’est possible de résister comme ça passivement ? Je lui réponds Regarde moi ! Lui de reprendre Depuis combien de temps ? L’échange
se termine par ma réponse Quarante quatre
ans !
Sur le front
pédagogique amplification des difficultés concernant les notes. J’ai déjà
rempli comme d’habitude les bulletins, les livrets d’examen et les dossiers de
DECS, ce qui fait déjà beaucoup. Le lobby des Collègues Comptables exige alors
que je fournisse photocopie de mon carnet de notes. Je suis sidérée de leur
prétention et leur oppose une fin de non recevoir qu’ils ne comprennent même
pas. Je leur explique qu’il n’est pas nécessaire de faire proliférer des formes
vides et qu’ils ont déjà toutes les données nécessaires à tous les calculs
qu’ils souhaitent, que je ne suis pas concernée et que je n’ai pas l’intention
d’être entraînée à leur suite.
J’ajoute que
s’ils souhaitent tout de même que je fournisse une forme en supplément de
celles qu’on pratique depuis des années y compris des graphiques hallucinants, ils n’ont qu’à me fournir un papier écrit du
Censeur, mon chef hiérarchique paroles que je prononce dans le style du Vade rétro
Satanas ou de Moïse brandissant les tables
de la Loi. Ils rétrogradent
alors, Bolo disant que c’est un malentendu, version que j’accrédite pour
faciliter son repli. Mais cela montre à quel point le totalitarisme informatique
quantitatif continue à se développer
pour son propre compte en aspirant et dissolvant les êtres constitués. Ce
processus est partout à l’œuvre.
Emotion de voir
PL né à Djibouti (indien ou somali) mon meilleur élève de cette année me
demander de lui dédicacer Les Prunes de Cythère qu’il sort de sa sacoche
comme une merveilleuse surprise. Le fait est que c’est une surprise mais merveilleuse reste à démontrer car je
suis très mal à l’aise. Je ne tiens pas du tout à ce que mes Elèves
m’identifient comme écrivain, bien incapables qu’ils sont de comprendre ce que
cela signifie et encore moins au sujet d’un livre que je n’aime pas, comme
d’ailleurs La Meurtritude ou Le Cercan et sans doute pour
les mêmes raisons.
Même si cela a
été mon meilleur succès commercial, il résulte d’un malentendu. Enfin, ces
vieilles lunes de la folie et de l’exotisme me paraissent désormais très loin.
Il y a plus de quatorze ans entre Les Prunes de Cythère et La Pensée
Corps, c'est-à-dire un monde !
Monsieur mon passé, laissez moi passer… J’ai comme une envie d’oublier ma vie Léo
Ferré dit tout cela très bien. Mais la publication rend l’opération impossible,
ou plutôt pour prix de cette apparente impossibilité, le passé peut donc être
effectivement dépassé et rendre difficiles, ses manifestations.
Je dis quand même
à cet élève que c’est souvent grâce à lui que j’ai trouvé le courage de faire
cours, tellement c’était impossible autrement. Je ne sais pas s’il me comprend.
Toujours est-il que j’ai toujours eu dans chaque classe un élève pour qui - ne
fut ce que pour celui là, je pensais que sa présence justifiait que je fasse
cours ! Par la suite ils m’écrivent, quelquefois ils viennent ma voir et
un lien très fort se noue alors pour moi, un amour violent qui s’autorise enfin
à être ce qu’il est parce que la déontologie ne le bride plus. Et puis hélas
ils disparaissent et je ne les poursuis pas. Ils sont comme des comètes qui
traversent mon ciel et cessent de briller. Toujours des garçons !
J’ai vu pour la
première fois un affichage en anglais sur la façade de la Société Générale en
face du Printemps Haussmann. J’ai aussi vu par ci par là depuis quelques mois
des mots imprimés avec des lettres à contre sens comme par exemple des R
retournés comme les ia russes. Plus généralement le langage
devient de plus en plus incompréhensible. On m’a également fait remarquer que
de plus en plus de phrases commençaient par un QUE, devenu une cheville
essentielle de la pensée. Comme si on ne pouvait plus s’exprimer directement et
que ce QUE exprimait finalement la disparition du sujet. A noter également
l’apparition d’une forme neutre.
Quant au premier
sigle & qui a eu pour fonction de remplacer un mot, c’est le ET. Ce constat
me parait essentiel et on peut repartir de là pour ce fameux travail qui reste
à faire sur l’effondrement de la langue. D’autres observations me donnent à
penser que tout est en train de se transformer en sigles et en lettres, un peut
comme le Capitalisme a de son côté tout transformé en argent. Le code en train
de s’établir serait donc l’argent de la langue. L’argent comme l’élément
d’indifférenciation du monde. Le code (lettres, signes et sigles) comme le
vecteur de l’indifférenciation de la langue…
Je suis à peine
monté dans un taxi, une superbe voiture ultra propre que le chauffeur
m’explique qu’étant Front National, ce qu’il reproche à Le Pen c’est de ne pas
annoncer qu’il va selon sa formule foutre
les Français au boulot ! Il me montre alors son briquet sur lequel on
voit un superbe cheval blanc ainsi que les lettres CAC. Comme je lui demande ce
dont il s’agit, il me répond qu’il était dans l’armée et que c’est un truc
d’Anciens Combattants.
Il embraie sur
1962, la prison de Tulle m’expliquant que tout cela n’a rien de politique et
qu’il s’agissait seulement d’une histoire de parole donnée, sacrée pour
l’officier. Il m’explique encore qu’il faut faire la différence entre un
militaire qui fait carrière et un soldat qui se bat. Je suis émue de cette
distinction qui m’évoque quelque chose concernant d’autres secteurs d’activités
comme par exemple l’Enseignement ou la Littérature.
Il me raconte
ensuite qu’en prison à Lille, on lui a proposé d’effacer son dossier s’il
partait mercenaire au Viet-Nam en 1965, ce qu’il a fait ensuite en devenant
béret vert instructeur parachutiste au Sud, sous la direction des Américains.
On en reste pantois, mais on est quand même content d’apprendre cela, surtout
un matin à l’heure du petit déjeuner en montant par hasard dans un taxi. Il
termine en m’expliquant qu’en plus de faire le taxi, il est pigiste au Journal Minute. Pas à l’Humanité dit-il parce
qu’on s’est quand même taper sur la gueule. Je constate qu’on trouve
souvent ce genre de personne atypique parmi les chauffeurs de taxi.
Mercredi en fin
de matinée comme je suis en pleine action avec les Elèves de Terminales on
frappe à la porte. C’est une élève de deuxième année qui tient à la main son
livret scolaire pour passer le BTS et qui commence à ergoter sur le trois que je lui ai mis au premier
trimestre en raison d’un zéro que j’avais maintenu comme d’habitude mordicus. Je lui fais remarquer
fermement que ce n’est ni l’heure ni le lieu de me déranger pour une pareille
question, sans me prononcer sur le fond que je n’aborde pas. J’entreprends de
refermer la porte, mais elle met son pied dans l’espace pour m’en empêcher. Non
seulement cela ne m’est jamais arrivé dans un établissement scolaire mais
ailleurs non plus. Pour aboutir, je suis obligée de pousser violemment la jeune
personne par les épaules vers le couloir. C’est donc la première fois que je
suis amenée à bousculer physiquement un(e) élève.
J’analyse cet
évènement comme la réplique logique de ce qui se passe actuellement dans la
fonction publique dont les manifestations de fonctionnaires ont pour objectif
d’obtenir des augmentations de salaires sans rapport avec le travail effectué.
Ainsi de leurs côté les Elèves croient ils pouvoir obtenir des augmentations de
notes sans rapport avec ce que vaut un devoir… Et qu’il suffit d’être
suffisamment tenaces… Ce qu’ils sont de plus en plus d’ailleurs, devenant même
collants et agressifs.
Il y a quelques
années, j’ai été expulsée manu militari des Commissions d’Admission des
Elèves en classe de BTS par le lobby comptable qui entendait appliquer un
système de quotas sur une base clientéliste alors que je préconisais qu’on
sélectionne les candidats sur la base des notes de Français obtenues à
l’épreuve du Baccalauréat. Expulsion validée par la Direction qui ne m’a plus
convoquée par la suite… Et voilà qu’au Conseil de Classe des dits BTS celui qui
avait été le chef de la cabbale dirigée contre moi CF lâche Aux commissions d’admission en BTS, on prend
les élèves en établissant des quotas pour chaque lycée !… Je ne
m’étais donc pas trompée….
Etablir des
quotas pour les différents lycées équivaut en fait à renoncer à toute tentative
de sanctionner quoi que ce soit dans un sens ou dans un autre. Faire passer un certain
pourcentage dans la catégorie supérieure sans autre critère est du parfait nomenclaturisme. Je suis stupéfaite
d’entendre la vérité remonter comme cela brutalement à la surface pour éclater
publiquement. Je ne rate pas l’occasion de les épingler et brame Ah bien, je comprends mieux ! JPH –
membre essentiel du même lobby - découvre alors qu’il vient de faire une gaffe
et tente de la rattraper avec une malhonnêteté évidente dans le style Mais qu’est ce qu’il raconte, ce n’est pas
vrai. Je rigole ostensiblement…
Le Conseil de
Classe est le lieu de toutes sortes d’escarmouches et j’essaie de ne rien
laisser passer, y compris lorsque la Directrice qualifie de crotte, la classe de commerciaux qu’on
aura l’an prochain. Je lui demande ce qu’elle entend par là mais elle refuse de
répondre et les autres Collègues ne comprennent rien à ma protestation. Je suis
stupéfaite du manque d’humour et de distance des uns et des autres.
Seize heures
dix : Un jeune homme BCBG, cheveux bruns, très désagréable prend à parti
le grand contrôleur de la RATP qui vient de lui mettre une contravention parce
que son véhicule est garé devant le Printemps de l’Avenue des Ternes. Il est
juste dans le tournant. Le gars lui jette la contravention en pleine figure et
le boxe de deux coups de poing. J’interviens sur le thème Je suis le témoin de la République. Mais il a fallu que j’insiste
pour que le plus petit des deux contrôleurs qui étaient là, écrive mon adresse,
comme s’il n’avait vraiment pas envie qu’il y ait des suites. Je suis accablée
de sentir à quel point la loi est caduque et le fascisme quotidien quasi
ouvert, mêlé à une fusion de la nature d’une coraillisation de cauchemar !
Au Lycée
apparition d’une ambiance homosexuelle masculine ouverte, inconnue jusque là.
Tendance nouvelle
à abréger les noms de famille. Que faut-il en déduire ?
Une ambiance à
couper au couteau entre ceux qui n’y arrivent plus et ceux qui y arrivent
très bien, sans compter ceux pour qui l’expression y arriver est incompréhensible. Une armée en déroute.
Les Elèves n’ont
aucune idée ni de la notion d’Espèce Humaine, ni non plus de celle de
l’Histoire. J’en suis si angoissée que j’en hallucine la sonnerie dix minutes
avant l’heure, et que je m’éclipse avant la fin officielle de la séquence….
Ce n’est pas
seulement que plus rien ne fonctionne car c’est comme cela depuis cet hiver. Ce
n’est pas non plus que cela se sclérose et se nécrose car il en est ainsi
depuis plusieurs années. Non, c’est autre chose qui nous échappe et que tentons
de cerner avec mon ancienne partenaire de théâtre. Une paralysie qui nous gagne
et que cosigne deux jeunes Collègues pour qui l’expression Le béton prend évoque quelque chose. Je ne partage pourtant pas
tout à fait la vision de mon ancienne comparse pour qui l’absence de
perspectives se traduit par la formule d’un A
quoi bon ? qui me parait obscène. Voilà de
mon côté plus de dix ans que j’ai réglé la question en la retournant. Qui va me donner la force devient alors
un A qui vais-je donner la force ?
plus spirituel et dynamique...
Un Collègue
agrégé dont la femme est psychologue scolaire explique en pleine Salle des
Professeurs qu’il a quarante cinq mille Francs de découvert bancaire à 19%
d’intérêt. Je lui donne alors de façon solennelle - avec mise en scène adéquate
- dix centimes au titre de la solidarité….
Je suis troublée
de voir à la Télévision sur Canal Plus dans L’émission Les Arènes de L’Info
à l’intérieur de celle de Nulle Part Ailleurs,
les marionnettes représentant les célébrités qui au départ étaient cantonnées
dans un pastiche du Journal Télévisé, se répandre dans tout le reste de
l’émission. Notamment le dédoublement qui apparaît lors de la conversation
entre la marionnette et la célébrité qu’elle représente. Cela a commencé avec
Gainsbourg dialoguant avec sa marionnette pour une publicité pour la FNAC. Dans
la même fonction, tout cela prend la place de l’ancienne Minute de Monsieur Cyclopède du regretté Pierre Desproges qui vient de mourir d’un
cancer, comme Gainsbourg atteint d’une cirrhose alcoolique vient de se faire
opérer du pancréas.
A la Bibliothèque
du Lycée - déjà largement pillée depuis plusieurs années - le fichier des
auteurs a été relégué dans un coin inaccessible, derrière le panneau
d’affichage… On ne peut plus en tirer les tiroirs… Ni non plus ainsi même
constater la disparition des livres. J’ai fait un scandale devant les Elèves en
priant la Documentaliste de le changer de place….
Au Lycée,
atmosphère tous les jours plus irrespirable. Je lutte encore et me fais rouler
sur le scandale de Disneyland. Comme je vante la revue Etudes Foncières qui a
dénoncé le scandale, CA et NB me coupent d’un Ce n’est pas cela qui fait arrêter les travaux. Il semble que le
combat politique lui-même ne soit plus compris. Je réponds sur le mode
métaphysique, mais me demande s’il ne serait pas mieux de rompre purement et
simplement. Pourtant je ne peux pas me déprendre de cette Salle des
Professeurs, et pourtant on ne cesse d’y être symboliquement mis à mort. Le
Neuf finalement je suis allée lire dans la cour, et c’était la première fois
depuis 1975 date à laquelle je suis arrivée dans cet Etablissement. Je n’y ai
pas trouvé le soleil escompté mais au moins la présence des arbres qui m’ont
toujours sauvé la mise.
Le Dix, en Première
Année, les racistes et les anti-racistes en sont presque venus aux mains. Le
raciste disant à l’antiraciste Je vais te
niquer au milieu d’autres menaces diverses. J’ai été obligée de
m’interposer et d’en exclure un juste avant qu’il se mette à cogner.
Pour le Salon du Livre, la Quinzaine Littéraire a publié un numéro Où
en est la littérature française ? très
provincial. Ce qui est stupéfiant, c’est le décalage croissant entre une
mondialisation dont Gorbatchev dit Au fur
et à mesure que la perestroïka prend de l’ampleur et une fermeture
croissante de la société française. On a une espèce de cour de Louis XVI de
plus en plus sophistiquée dans ses formes de plus en plus vides de sens. La
question se pose de savoir quand la superstructure de la société française va
casser sous le poids de la modification de l’infrastructure mondiale. Il
semblerait que quelque chose de cet ordre soit déjà à l’œuvre.
On apprend que
certains Jurys des Examens de Bureautique,
options Traitement de Textes,
n’ont pas pu se tenir parce les Collègues ne se sont pas rendus aux
convocations et qu’il a fallu annuler. Comme je m’enquiers du nombre de Jurys
touchés par cette disparition, en proposant un chiffre de dix pour cent, la
Collègue l’a admis.
Les Conseils
d’Enseignement ont déjà disparu, ainsi que certaines disciplines dont les Arts,
le Français, les Sciences Naturelles et on se demande si l’Education Nationale
peut se terminer ainsi par la perte de ses éléments, les uns derrières les
autres. On voit d’ailleurs déjà en librairie un livre de science fiction titrer
L’impossibilité matérielle de faire passer le Baccalauréat en 1992 parce
qu’on n’a pas réussi à faire partir les convocations dans les délais. Tout cela
ne me paraît pas tellement incongru.
Au Conseil de
Classe des TG3, les Collègues racontent que la Directrice était comme
d’habitude en retard et s’est cette fois justifiée d’un Je me faisais livrer des surgelés Picard, et ça ne pouvait pas
attendre. Quelqu’un a par la suite affiché au panneau administratif de la
Salle de Professeurs, une caricature anonyme de la Directrice en livreuse de
surgelés.
Quant au Collègue
gauchiste qui est venu avec une veste Mao, tout le monde s’est moqué de lui, y
compris moi.
Je suis - en tant qu’écrivain - dans le Nathan du vingtième
siècle et cela a de l’effet sur mon comportement vis-à-vis de la Littérature.
Je me mets au Lycée à parler de mes difficultés d’auteure en tant que personne
et aussi de mes succès jusqu’à exhiber ma bibliographie plutôt
impressionnante…Je retrouve le même comportement de la part de mes Collègues
qui lors de la parution de la publicité dans Le Monde pour Canal de la Toussaint, ont dit être contents
qu’ON y soit.
L’existence de ce
ON est incontestable et à chaque fois m’a montré que je ne me trompais pas sur
sa problématique. Je constate que c’est mon introduction dans le Manuel des
Elèves qui m’a donné une légitimité d’accession à un nouveau statut
d’auteur/professeur orthodoxe patentée et non plus d’artiste. C’est cela qui
permet d’ouvrir la conversation. On me prend désormais en considération sans
méfiance puisque je suis patentée, et je n’ai plus l’odeur sulfureuse des
marginaux et contestataires, mais au contraire le côté rassurant de
l’institutionnalisation. ON m’écoute. ON est fier d’avoir un auteur à bord. ON
veut afficher le prospectus publicitaire sur lequel il y a ma photographie.
Bref on est plutôt heureux !
Se greffent
là-dessus plusieurs conversations de fond, y compris avec Vitorge qui m’est
habituellement hostile. Conversation dont émerge l’antagonisme que je sentais
depuis cet hiver, entre la génération des soixante-huitards et la génération cocon. Je vais
même jusqu’à mettre les pieds dans le plat sur le thème Nous on a transgressé. AM Mazzega m’emboîte le pas en rigolant d’un
Au prix qu’on l’a payé, il n’y a pas de
quoi se vanter ! Je reprends alors ce que je dis d’habitude lorsqu’on
parle de Mai 68 : C’est là que mes
ailes se sont ouvertes, et elles ne se sont pas refermées depuis.
Tout cela dans
une ambiance d’excitation raccrochée au manuel de chez Nathan qui présente le
combat féministe. Je précise que ce n’est pas dur après coup d’apparaître comme
un mouvement politique et littéraire, mais que sur le coup ce n’était as si
évident que cela de le faire, que les luttes féministes, il a fallu les mener,
et qu’en Mai 68 on ne rigolait pas tant que cela quand on croyait que les chars
étaient aux portes de Paris et qu’on ne savait vraiment pas comment cela allait
tourner. C’est un élément qu’on a souvent tendance à oublier. Ajoutons que
c’est là que j’ai brûlé mon journal d’adolescence pour ne pas donner la preuve
de mon caractère résolument révolutionnaire. Enfin pour finir je leur rappelle
que la DST avait d’ores et déjà établies des listes et une logistique d’internement.
De son côté un Collègue Antillais dit craindre
que la Pérestroïka débouche sur une
guerre et qui m’explique qu’en cas d’attaque on peut toujours se défendre avec
une bouteille de gaz allumée en lance-flammes !! Il précise Tu ne peux pas avoir de révolver chez toi,
ce sont les enfants qui l’utilise !...
Dimanche soir à
l’émission télévisuelle Sept sur Sept,
Alain Minc au sujet de la conjoncture française parle d’un miracle économique.
Lorsqu’on pense que cette expression recouvre dans la réalité la baisse de nos
salaires, l’extension du chômage, l’entropie généralisée, la disparition du
droit, la corruption et la gangrène… On a l’impression d’être cravaché en
pleine figure…
Au cours de
Gymnastique au Centre Valeyre de la Ville de Paris une femme arabe avec un
maillot sur lequel est marqué La démocratie ressuscite accompagnant le visage d’un leader maximo visuellement inconnu. Je m’abstiens donc d’engager la
conversation pour éviter tout impair dont pourrait sortir le pire… stupéfaite
de rencontrer ensuite la femme dans le couloir, avec un tchador sur la tête…
Dans la même
rubrique, on apprend que le nouveau président de l’Argentine est un musulman
venu de Syrie qui a renoncé à sa religion, tandis que sa femme y persistant,
s’est contentée de renoncer au port du tchador… On croit rêver.
Nouvelle grève
des Cheminots démarrant à la suite de l’agression de deux contrôleurs qui
tentaient de faire leur travail. La chose est devenue fréquente. Dans mon cours
de Terminale j’ai pris cet exemple pour clarifier les rapports de la force, du
Droit, de l’uniforme et du symbole déclenchant la moquerie des élèves qui
trouvaient qu’il n’y avait pas de quoi en faire une histoire, que c’était
plutôt drôle que les fraudeurs s’enfuient… Je l’ai fort mal pris, et ma colère,
à défaut de mes arguments leur a donné à réfléchir…
On comprend que
les contrôleurs en aient assez de se faire molester mais on demeure étonné de
leur revendication, à savoir ne pas être obligés de contrôler les billets
lorsqu’ils sont seuls… Comme si nous même on demandait de ne pas être obligé
d’enseigner parce que les conditions de l’exercice de la profession ne sont pas
réunies. Demander à ne pas faire son travail équivaut en fin de compte à
revendiquer de toucher une rente sociale sans aucune fonction. On a là un
exemple de revendication individuelle, qui si elle est justifiée en
microéconomie, apparaît macro économiquement, une aberration ! Remarquons
au passage, que cette nouvelle grève comme les précédentes
est dans le secteur des communications.
Mercredi la grève
paralyse la totalité du réseau de la banlieue, et on sent qu’on est à deux
doigts de l’émeute. A la porte de la Chapelle, des CRS en armes à l’entrée de
l’autoroute, ce qui visuellement fait un drôle d’effet, parce que l’échangeur
surplombe la Porte et que les Policiers se détachent sur le fond des grands
immeubles du quartier, le tout dans le soleil levant. Il y a des Policiers avec
des talkis walkies tout le long de l’autoroute et du Boulevard qui la
surplombe, comme s’ils craignaient le pire. Le fait est que c’est intenable.
Ambiance
irrespirable au Lycée en raison de la désagrégation complète du fonctionnement
du formatage des salles. Les Elèves ne sont pas là où on croit, ni où ils
devraient être. Dans la Salle des Professeurs, une feuille affichée qui
appelait à une conversation de fond sur les difficultés pédagogiques réelles de
l’Enseignement des Sciences et Techniques Economiques a été arrachée, alors
même que ce ne sont pas les moeurs habituelles… Qui est ce que cela
dérange ? Une syndicaliste tente de son côté d’accréditer la version d’une
maladie mentale de la Directrice ce que j’analyse comme le refus complet de la
problématique politique.
Jeudi,
arrestation de Paul Touvier caché dans un couvent catholique à Nice ! On
en est sidéré et on pourrait parler de complicité, mais en fait quand on voit
l’intégrisme se fasciser crescendo, on trouve que le mot collusion conviendrait mieux. On est terrifié de constater ce qu’on
sait par ailleurs, à savoir que ce courant n’a pas cessé depuis la Guerre et
que la Bête Immonde est toujours là. Le nazisme qu’on nous avait présenté comme
vaincu par la victoire de 1945, non seulement ne l’est pas, mais ne l’a jamais
été. C’est bien ce que je sens de si pesant et pénible avec ma mère, et
ailleurs aussi quelquefois… Du coup ma réponse est d’attaquer ce jour la mise
en forme de mon livre La Jeune morte en robe de dentelle.
Un vigile de la RATP
a tué dans le métro - à la station Opéra - un loubard qui venait d’agresser une
femme. Il ne s’agit pas d’un fait divers, mais d’un état social. Comme les
agents barrent les couloirs de ma correspondance habituelle, je tente de leur
expliquer que dans mes classes j’échoue complètement à faire comprendre à mes
Elèves ce que devrait être un fonctionnement normal et qu’ils vont même jusqu’à
se moquer de moi. Les agents de la RATP ouvrent des yeux bovins qui me donnent
à penser qu’eux non plus ne comprennent pas vraiment de quoi il s’agit. Pour
tout dire, leurs réactions me font peur.
C’est d’ailleurs
l’impression que donne au Lycée la génération des Trente Trente Cinq ans avec
qui la coupure est aussi forte qu’avec les Elèves. Ils veulent seulement ne pas
être dérangés, recueillant les avantages égoïstes du laxisme, sans être le
moins du monde intéressés à la transgression
libertaire qui fut la nôtre. J’ai
entrepris le grand ménage de la Salle des Professeur pour lutter contre le
fourbi qui va crescendo.
J’ai jeté les
pots de fleurs en déshérence qui étaient là depuis des années, les vieux tubes
d’encre utilisés pour les Gestetners
et fait ranger les cartes roulées dans un coin. Mes tentatives de faire rendre
utilisable l’armoire qu’il y a dans le petit couloir d’accès a échoué,
l’employé d’Intendance contacté ayant remis l’opération à la Saint Glin-Glin.
J’ai rangé à fond mon propre casier que je purge de plus en plus radicalement
au fil des années, car cela ne sert à rien de garder des choses qui ne peuvent
pas resservir d’une année sur l’autre.
En Conseil de
Classe de 1e TSC2, classe qui n’a pas marché de toute l’année je
déclare froidement Et tant qu’on ne
regardera pas en face ce qu’au bas mot on peut appeler le double langage, on ne
pourra pas entamer la Perestroïka ! Cela ne fait rire personne, et la
Directrice me morigène d’un On n’est pas
à Moscou.
Un vent de
panique chez les Professeurs est déclenché par la rumeur des rapports écrits
que la Directrice ferait faire aux élèves, concernant les Collègues.
Un député traite
Mitterrand de Caligula, ce dont j’avais eu l’intuition avec mon projet de livre
avorté Les Bateliers de Tibère. Quant au courageux journaliste Michel
Polac, il jette l’éponge disant que ce n’est vraiment pas possible. On se sent
accablé.
Mardi à Saint
Antoine, la population du pavillon où j’ai mes habitudes pour les bilans du
cancer a encore augmenté, beaucoup plus que progressivement. Il y a beaucoup
d’hommes jeunes. On est au bord de l’explosion. Je suis très impressionnée par
le nouveau costume des infirmières, une sorte d’imperméable vert par-dessus
leur blouse, des gants en caoutchouc, et un masque devant la bouche ! Je
comprends qu’il s’agit de ma première rencontre avec le SIDA. J’essaie de le
faire savoir à ronde, comme d’habitude sans succès.
Profond marchoir jusqu’au Musée d’Orsay, mais
ces marches ne suffisent plus comme je l’espérai à relier les différents
quartiers. La ville éclate comme celles qui peuvent se construire les unes à côté
des autres. Santiago du Chili abandonnée aux métis tandis que se construit à
côté une autre agglomération juxtaposée. Et Fez avec ses trois villes
distinctes, témoignage des modernisations successives. Ainsi sous nos yeux
Paris se casse t il en trois entités : la Médina, la Ville Blanche et la
Chinatown. Mes marches ne suffisent plus à relier les quartiers de la ville,
parce que ce ne sont plus des quartiers, mais des villes et elles sont
incompatibles.
Les affiches de
Le Pen pour les élections européennes : RPR, PS, UDF etc…dites leur les cinq lettres LE PEN ! Je suis
sidérée de voir pour la première fois quelqu’un s’identifier publiquement à de
la merde, et présenter cela comme quelque chose de positif… Ceci confirme
l’évolution de la société française vers la scatologie, évolution que j’avais discerné pour la première fois lors du mouvement des
étudiants en 1986. Je comprends cela comme une envie d’envoyer chier la réalité et
cela me parait redoutable pour l’avenir, car nos Concitoyens n’y ont déjà que
trop tendance, aussi bien en ce qui concerne l’Europe que le reste du monde.
En Chine,
intervention de l’Armée pour réprimer les manifestations populaires. Le
spectacle écoeurant de la classe politique française prononçant les paroles
d’usage concernant Les Droits de l’Homme qui ne
signifient rien dans ce contexte, mais surtout pour enchaîner sur le fait qu’il
n’est pas possible de prendre des sanctions économiques parce que ce pays
représente un marché d’un milliard trois cents mille hommes et qu’il n’est pas
question de le perdre. On en est confondu !...
La Guerre Civile
en Chine ! On n’aurait pas pu la soupçonner il y a quelques jours, ce qui
donne à penser qu’il y a des éléments qu’on ignore. Des massacres ethniques
dans le sud de L’URSS. L’enterrement de Khomeiny dans un invraisemblable délire
de douleur contorsionnant les corps. La foule arrachant le linceul et le
cadavre dégringolant par terre. La nécessité de faire reculer la foule à coup
de canons à eau pour pouvoir récupérer la dépouille. Des scènes hallucinantes.
Le climat mondial
est plutôt lourd, et c’est la première fois qu’on peut écrire une expression de
ce genre.
C’est le début
des épreuves du Baccalauréat. La situation est intenable en raison d’une
tension tous azimuts. J’ai de grosse difficultés à m’y rendre, car mon être
tout entier renâcle sans que je comprenne pourquoi, autrement que l’impression
d’un danger immédiat. La tension avant l’orage. De fait j’y suis incapable de
faire le travail que j’avais emporté pour meubler la surveillance, tellement ma
co-surveillante est hostile et tant les sujets proposés aux Elèves sont
abscons, si loin de leur vie voire même dénués de toute réalité. On en éprouve
un malaise.
Je me sauve en
courant jusqu’à la librairie du Faubourg Poissonnière quêtant le secours de la
Littérature. Je mets beaucoup de temps à trouver le choix qui convient, là De
l’inconvénient d’être né de Cioran, qui me soulage enfin. J’écrivais la
semaine dernière Contre la dislocation,
la lecture, contre le totalitarisme, l’écriture et contre la résignation, la
marche…
Chez le Censeur,
j’apprends comme elle par téléphone, les résultats de nos Elèves au BTS. En
2TSC2 nous avons cent pour cent de reçus dès le premier groupe d’épreuves et en
1TSC1 quatre vingt pour cent. Quand on sait qu’habituellement, le résultat
final après les épreuves de repêchage est de cinquante à soixante pour cent, il
y a de quoi s’étonner! Je félicite un élève qui passe et qui ne se rend même
pas compte que je me moque. Je lui précise que tout de même je suis contente
pour lui, ce qui est authentiquement vrai, comme je le serais de voir quelqu’un
libéré d’une prison dans laquelle je serais encore moi-même. Je me demande quel
sens cela peut avoir d’aller faire passer les oraux avec des résultats pareils…
Pourquoi ne pas attribuer tout de suite les diplômes à tout le monde, on
économiserait de l’énergie !...
Il n’y a même
plus le sentiment de profonde humiliation qu’on pouvait avoir ces dernières
années mais plutôt la conscience d’une défaite qui pour la première fois donne
l’envie de démissionner comme une ultime objection
de conscience, ou plutôt même de déserter lâchement en se disant que
tout est accompli et que cela ne sert à rien d’être faite prisonnière….
J’ai déchiré la
convocation qu’on m’avait envoyée de façon chaotique pour me faire corriger in
extremis par raccroc, une épreuve écrite après qu’on se soit aperçu qu’il n’y
avait pas assez de correcteur, ceci étant la conséquence de l’entropie croissante,
le Service des Examens ne fonctionnant plus du tout. Il semble même que ce ne
soit plus de lui qu’émanent les convocations mais de lobbies fragmentaires qui
prennent les choses en main en s’arrogeant le droit de convoquer les autres
Collègues. J’ai donc ainsi été convoquée A
tout hasard par le lobby
comptable pour évaluer les rapports de stages pour lesquels je ne suis pas
censée être compétente !
Dans le renouveau
culturel que j’observe depuis un an ou deux, l’idée me vient après avoir lu
deux autres livres qui utilisaient ce concept, que cette nouvelle renaissance
devrait directement s’appeler L’ENTETE et notre mouvement Génération ENTETE. Le
fait est que si on lit André Chouraqui en Amérique du Nord, c’est grâce à moi
par l’intermédiaire du réseau féministe. Je lui ai d’ailleurs envoyé mon livre La
Pensée Corps avec comme dédicace Avec
ma reconnaissance d’avoir pris sur
vous L’ENTETE.
Je repense à ce
que nous avait dit le Professeur Vilain qui animait le Ciné Club du Lycée
Voltaire où on nous avait projeté Nuit
et Brouillard : Prenez
garde à l’accoutumance disait il. Et je cherche le terme qui conviendrait
pour nommer la situation. République bananière contient une partie de la vérité
mais laisse de côté autre chose dont la Télévision et le langage sont les
vecteurs et qui a rapport au livre que je termine La jeune morte en robe de
dentelle.
Quand on lit que Pierre Mauroy tire la sonnette d’alarme parce les
membres du Parti Socialiste tapent dans la caisse et qu’à la Radio il parle de tolérance
à propos des opérations sur fausses factures et bureau d’études, on est
confondu de cette disparition de la notion de Droit. C’est ce que résume le Syndicat de la Magistrature Sous la Droite on était des bouffons et
maintenant on est des Guignols !...
Quant à Michel Rocard, quelle autosatisfaction pour proposer une
amnistie des fraudes parce que les deux côtés ont autant de choses à se
reprocher l’un que l’autre ! Il n’est question là dedans ni de
citoyenneté, ni de République, ni même du Droit.
EUX SEULS sont sujets et nous rien, voilà la nouvelle donne !
C’est notre annulation...
Ces fêtes du Bicentenaire de la Révolution laissent non seulement à
désirer mais manquent même de sens pour ne pas dire qu’elles sont dans le
contresens absolu. Le schéma de base étant que les festivités sont réservées
aux riches et que pour qu’ils soient plus à l’aise pour pouvoir en jouir dans
la Capitale, il convient d’en boucler les habitants. Ainsi le Louvre fut il
fermé quatre ou cinq jours, mesure qu’ils ont été obligés de rapporter devant
la protestation générale y compris celle du journal Le Monde. De même pour
les autoroutes d’accès à Paris et le stationnement au Centre Ville, mesure
atténuée par la suite. Mais le bouquet est tout de même la décision d’installation
par le Général responsable de la défense de Paris, de missiles anti-aérien sur
le Pont de Tolbiac pour parer à une attaque aérienne kamikaze. On hésite entre
la panique et la rigolade, avec quand même une furieuse envie de s’en aller…
Dans les toilettes d’un bistrot à Mamers, un distributeur de
préservatif affiche le slogan suivant Croquez
la vie sans pépin : Récupérez le produit !...
Laissé aller général. Les shorts sont devenus le nouvel uniforme
obligatoire. Dans les publicités les paires de fesses remplacent les bas
ventres. Toute la ville est quadrillée de Police interdisant non seulement les
festivités de fête mais même la circulation.
Dans des réservoirs juxtaposés… C’est ainsi que le Grand Coordonnateur de la
Sécurité parle avec satisfaction du conditionnement qu’il a prévu pour la foule
et dont il expose les principes à la Télévision à midi. J’en ai froid dans le
dos. On ne parle plus de canaliser la foule comme c’était le cas autrefois, ni
non plus de la contenir. Il s’agit maintenant d’une espèce de gestion d’une
matière liquide qu’il faut installer dans le décor, mais à condition qu’on la
maîtrise et qu’on puisse la disposer avec Art. Une sorte de sauce. L’équivalent
social du ketchup qui va désormais avec la nourriture…
Ni Place de la République ni Place de la Bastille, il n’y a le soir la
moindre danse. Une musique nulle, à la limite de celle du cirque dans laquelle
la mince qualité musicale est cachée par un débit sonore intolérable. Cette
absence de danse une pareille date en rajoute à l’impression de malaise
général. Comme si à la limite on ne savait même plus pourquoi on était là, ce
qui parait d’ailleurs le cas, quand on voit la masse de policiers et de femmes
voilées qui font qu’on est en fin de compte à contre sens…
Le malaise se maintient au-delà des fêtes du Bicentenaire. La ville est
toujours interdite dans son axe principal Châtelet Etoile alors qu’il n’y a même
plus l’excuse de la nécessité du défilé. On a décidemment l’impression d’une
Race de Seigneurs qui prend possession de la ville et on éprouve un sentiment
d’humiliation car les autobus ne peuvent plus fonctionner. Ce ravalement sous
terre des habitants évoque depuis plusieurs jours le film Métropolis. Mes nouvelles en avaient l’intuition. Aux Halles à la
Fontaine des Innocents, des rassemblements de plus en plus crasseux et
visqueux.
Dans la ville, disparition des frontières entre les corps. L’obscénité
se généralise. Ca bouffe, ça rote, ça pète, ça pisse, ça se reculotte et ça se
déculotte partout à temps et à contretemps surtout. Il n’y a plus ni code, ni
règles. Pendant le Défilé du 14 Juillet, une jeune femme a pris sans me
demander ni mon autorisation, ni me dire quoi que ce soit, un lourd appui sur
mon épaule pour se hisser plus haut sur un balcon. Je l’ai envoyé dinguer.
Sixième jour de dérangement des bus. Comment ne pas voir ce qu’on
voit ? C’est plus que du dualisme mais un commencement de liquidation.
J’en avais déjà eu l’intuition cet hiver lors de la longue grève du métro
durant laquelle il était clair que ni la classe politique, ni les grévistes du
métro n’en avaient rien à faire des souffrances de la population et des accidents
qui survenaient.
L’inutilité de notre travail professionnel, inutilité sociale et non
politique ou culturelle nous déstabilise profondément car c’est autour de lui
que mon ancienne partenaire de théâtre et moi, nous nous sommes construites.
L’expression qui m’est venue, c’est Nous
sommes caduques alors que durant l’hiver, je ne parlais que
d’obsolescence. J’ai surtout l’impression du caractère irrémédiable de la
situation sociale.
De l’aveu même d’un conducteur du bus quatre vingt douze, les chauffeurs
n’avaient pas été prévenus de la non circulation de leurs véhicules hier. Ils
l’ont découvert comme nous au dernier moment…
Le dirigeable qui survole la ville pour la surveiller, est toujours là
particulièrement stressant. La semaine dernière déjà m’était venue l’idée qu’il
pouvait ne plus repartir… On l’entend avant de le voir et on n’est pas toujours
sûr que ce soit lui. On espère d’abord que cela ne l’est pas et puis on le voit
et il ne fait plus de bruit.
Accélération dans l’extension de la mode élastique. Les bonnes femmes
se promènent en short ou en culotte cycliste ultra moulante. Certains shorts
dégagent même le bas des fesses et une partie du ventre en haut des cuisses. Le
tout en plein Paris. Quand aux petits hauts, elles n’en n’ont pratiquement pas,
la poitrine à l’air. On évolue vers un système de gaine moulante mettant
particulièrement en valeur le postérieur recoupant l’ambiance scatologique déjà
analysée.
Dans un restaurant un homme particulièrement prévenant, pour être
galant m’accompagne aux toilettes, m’allume la lumière et m’indique les lieux…
Intolérable spectacle de la ville à la vue de la dégaine qui partage
les loosers et les winners, les
immigrés étrangers à ce jeu, d’une certaine façon moins loosers que les Blancs
vaincus. Ce ne sont pas leurs propres valeurs qui se retournent contre eux.
Quant aux femmes elles semblent attendre de savoir quels sont les vainqueurs,
tant il est vrai que c’est vers eux, qu’elles iront. Je suis accablée du
sentiment de l’irrémédiable n’étant ni winner
ni looser et faute de pouvoir empêcher la fracture, m’occupant surtout de ne
pas être désintégrée. L’américanisation de la France, c’est sa
Sud-Américanisation. Les grilles qu’on commence à voir apparaître sur les
vitrines et sur le Ministère de la Femme en sont un signe…
Dans un bistrot un panneau On est
prié de tirer la chasse après usage ce qui prouve que cela ne va plus de
soi étant donné la mode scatologique et que cela a besoin d’être précisé.
Depuis quelques semaines invasion brutale et massive de mots allemands
dans la presse écrite.
A Millau, la serveuse de l’Auberge Occitane donne sur l’organisation de
la soirée cabaret des explications impossibles à comprendre, en dépit de mes questions
pour essayer de tirer au clair les renseignements pratiques. Je suis effarée de
constater que cette jeune personne qui n’a pas vingt ans n’est pas capable
d’utiliser la parole pour transmettre des informations fonctionnelles. Après
traitement dans ma tête de ce galimatias, il apparaît que son discours est
incompréhensible parce qu’elle ne se différencie pas elle-même des autres
personnes, confondant les consommateurs et le spectacle dans une même absence
de sujet. Ce qui finalement ne m’étonne guère car il me semble que la mutation
de la langue à laquelle on assiste en ce moment, c’est cette disparition là.
A la Radio, la propagande est telle que je me demande s’il ne faudrait
pas s’en débarrasser.
L’annonce que le Carmel construit au Camp d’Extermination d’Auschwitz
ne sera pas déménagé me bouleverse absolument. J’y vois un totalitarisme
chrétien de mauvais augure…
A France Inter on entend ceci : Cosmétiques vient de cosmos qui veut dire parure »
A Pézenas au Palais de la bière, sur la porte extérieure, juste en
dessous d’une publicité pour les cigarettes cette injonction Interdit aux toxicomanes.
La France envoie à Beyrouth en ruines, Alain Decaux en tant que
Ministre de la Francophonie pour faire pression sur les Syriens pour qu’ils
arrêtent les bombardements… Dans le même temps qu’on envoie un porte avion
militaire… De qui se moque-t-on ?
Agitation chez les Gendarmes. Cela manquait! Tous les corps des
Services Publics errent depuis le Mouvement Etudiant de Décembre 1986. Sans se
prononcer sur le fond, il est instructif de noter la différence d’image des
revendications selon les médias. Pour la Radio, le mouvement s’analyse comme
celui Des jeunots qui ne veulent plus
bosser autant que les anciens et sur un mode spartiate. Pour le
journal Le Monde, c’est plutôt la
base qui ne veut plus servir de valets aux Officiers qu’ils accusent par
ailleurs d’utiliser les moyens publics à leur usage exclusif, ce qui est assez
différent et plus sympathique et recouvre ce qu’on vit au Lycée dans lequel la
Directrice considère l’Etablissement comme une propriété privée destinée
uniquement à son usage.
L’analyse de tout cela est facile à faire. Les anciennes structures
n’ont plus de fonctions. Elles sont utilisées par ceux qui sont en situation de
le faire sans qu’ils fournissent la contrepartie publique qui n’a plus de sens
dans le cadre de l’obsolescence de l’Etat National. Je comprends mieux la fin
de l’Ancien Régime. Ce n’est pas que l’autorité ne veut pas faire de Réformes,
c’est qu’elle ne le peut pas. Les structures sociales ne peuvent pas être
abolies, elles peuvent seulement se nécroser.
Dans le même temps, les Gendarmes ayant décidé une grève des
contraventions tentent d’utiliser les circuits d’information interne pour se
coordonner. On ne voit d’ailleurs pas comment on pourrait les empêcher… Même si
le Ministre de la Guerre a mis aux arrêts celui qui a lancé le mot d’ordre de
grève. C’est comme un littoral entre deux ordres qui s’affrontent, les
Institutions du Service Public et l’Ordre du Grand Corail qui veut se mettre en
place. Tout cela est nerveusement épuisant et on aspire à une solution.
La guerre est déclarée. Dans une commune de l’Isère (Charvieux) un
maire RPR a fait détruire une mosquée à coup de bulldozer. Les protestataires
ont incendié la mairie, le gymnase, la pelleteuse et ont mis à sac la maison de
l’entrepreneur.
Aux Halles, c’est la deuxième fois que je vois un chanteur de Coran.
Dans le bus quatre vingt douze un groupe iranien - ou en tous cas du
Golfe - comprenant cinq adultes, huit enfants, et trois poussettes avec des
femmes voilées dans de superbes robes en soie aux couleurs magnifiques.
On reçoit des images de Neptune, expédiées par la sonde Voyageur Deux mise en route il y a douze ans… Il y a huit ans, elle a
survolé Saturne….
La flotte de guerre envoyée au Liban fait partiellement demi-tour.
La façade de la société dégringole et le sale visage du Régime de Vichy
réapparaît y compris chez les Socialistes. Il n’y a pas deux France - celle de
Vichy et l’autre - c’est la même en deux versions différentes, c'est-à-dire la
version originale ou la sous titrée. L’hypocrisie, les rodomontades, le trafic
d’armes, le colonialisme. Je me demande quel rôle joue dans tout cela le fait
d’être géographiquement situé au bout du continent. C'est-à-dire de ne pas être
un lieu de passage, comme bien d’autres pays mais au contraire une permanente
phase terminale.
L’expression qui me vient face à la déstructuration qui s’étend c’est le devoir de beauté. Cette notion
couvrant à elle seule et les liens et le sens. C’est cette beauté qui me semble
de plus en plus interdite, comme s’il s’agissait d’en perdre jusqu’au souvenir…
Et c’est cela maintenant qui me parait le plus révolutionnaire, l’Art et
l’Absolue Culture comme la seule réponse possible à cette défécation sociale.
La tiers - mondialisation en train de se faire,
déboussole et rend caducs nos outils mentaux. Il ne suffit plus d’être des
Blancs pour être garanti contre le malheur. Le cliché des Blancs conquérant le
monde et imposant leur domination génératrice de désastre ne fonctionne plus.
Le tiers-mondisme n’est plus valorisant. Cette posture du Blanc généreux de
remettre en cause ses privilèges, ne va plus de soi. On assiste tout simplement
au remplacement d’une population par une autre. On a beau le savoir de la
Démographie, ce que la Démographie n’enseigne pas, ce sont ces scènes de rue
quotidiennes qui rendent visible ce remplacement.
On ne parvient à le penser qu’abstraitement dans une zone du cerveau
qui relève de l’intelligence, de la lucidité et de la prospective. L’expérience
au présent - avec ses affects irrationnels et instinctifs - c’est une toute
autre histoire ! Ce remplacement d’une population par une autre, c’est une
angoisse de mort qui s’installe… Quel différentiel de vitalité entre ce groupe
hexagonal sclérosé et cette vitalité dynamique des groupes asiatiques,
islamiques et africains. Ce qui meurt, c’est nous ! Il faut être aveugle pour
ne pas le voir. Ce délabrement est bien le nôtre.
Cette sensation est renforcée par l’écroulement de l’appareil d’Etat
qui nous laisse démunis et professionnellement au bout du rouleau. La sclérose
et l’incurie sont telles de tous les côtés qu’on ne peut même plus lever
le petit doigt avec efficacité. Depuis vingt ans nous avons professionnellement
continué tout droit notre chemin, sans cesser de nous moderniser et de nous
mondialiser, même si cette mondialisation relevait d’abord de la tradition tiers-mondiste
et coloniale. Mais maintenant que cette mondialisation s’achève sous forme
d’une Economie Monde établie et de la désuétude de l’Etat français, la rigidité
du pays nous empêche d’en récolter les fruits.
La Révolution Cybernétique nous rend caducs en tant que courroies de
transmission. S’il s’agit de la formation de la population, la Télévision et
les ordinateurs peuvent le faire plus efficacement que nous, quant au reste,
ils n’en ont guère besoin. Et pour la propagande, le Grand Réseau est plus efficace
que tous les Corps Constitués. Ainsi donc tout ce groupe professionnel
instruit, diplômé au service de la collectivité se trouve jeté dans les
oubliettes de l’Histoire comme la Révolution Industrielle en a disqualifié un
certain nombre et que cela n’a pas cessé depuis. Dans le même temps il faut
faire un effort colossal pour intégrer une modernisation technologique qui de
toute façon nous exclut.
Autre signe objectif de la Régression en cours : J’ai entendu à la
Radio une émission des Temps Modernes avec Sartre et toute sa bande,
mettant en cause l’ordre établi avec une radicalité impensable aujourd’hui.
Partie d’une série diffusée en 1947, elles furent d’ailleurs suspendues et on
comprend bien pourquoi !... Quant aux trois derniers enregistrements, on
ne les avait jamais programmés et on les a entendus pour la première fois,
cette semaine. On comprend mieux ainsi le rôle politique que cet homme de
lettres a pu jouer à l’époque, alors qu’avec le purgatoire dans lequel
il est tombé, on ne comprenait plus rien.
A la Télévision, je vois des hommes à qui j’envoie mes livres et qui
certaines fois me répondent et d’autres non. Ce Dimanche, il s’agit de ceux qui
répondent. Bonheur !...
Une émission sur les Hassidim. On nous montre la fin des cérémonies
avec chants et danses. On voit un gros plan sur le visage d’un adolescent
complètement enamouré de la Divinité. Non pas une transe africaine ou caraïbe,
non pas une ascèse désertique du Proche-Orient mais un autre rapport au divin,
la suavité de l’être dans les bras d’un amant créateur. Je ne peux me déprendre
de la beauté de ce visage et de ce corps dansant. Il dansait à la fois comme
moi et en même temps, de tout ce qui me manque…
Signe objectif de la baisse du niveau de vie et de notre relative
prolétarisation sociale : Les Grands Magasins, Galeries Lafayette et Printemps semblent désormais interdits
comme trop chers pour nous, ce qui était loin d’être le cas,
auparavant !...
J’ai toujours été en mauvais état à toutes les rentrées scolaires mais
jamais comme cette année. Pas même en 1983 avec la Chimiothérapie, en 84 avec
la mononucléose ou en 87 avec l’affection inconnue que j’avais rapporté du Rio
de La Plata.
Dans le métro un jeune père avec son enfant dans une poussette.
Accrochée à celle-ci une monstrueuse radio dont il monte le son dès qu’il est
installé dans le wagon. Je me force à aller lui dire de le baisser, ce à quoi
je parviens difficilement. Cet enfant parlera-t-il ? Le langage humain
peut-il disparaître ? De surcroît la nature de cette musique laissait
artistiquement à désirer pour ne pas dire davantage.
Au Lycée, prérentrée.
Sécrétion par tout mon être d’un brouillard amniotique qu’on pourrait peut être
aussi paradoxalement prendre pour de la distance, du silence et du retrait. Il
n’est rien d’autre de possible, à peine de contracter la gangrène.
Madame la Directrice est égale à elle-même psychologiquement parlant,
mais on est tout de même étonné de la voir de jour en jour, passer un cran dans
l’absurdité rhétorique. Ainsi évoquant le fameux Projet d’Etablissement -
cette nouveauté instituée par le Ministère, Madame La Directrice s’empresse de
refermer la porte à peine entrouverte d’un : Pour un Lycée Technique, c’est tout fait, le train est sur les rails,
il n’a qu’à continuer !...
Elle nous présente la nouvelle Intendante en nous vantant son esprit
d’entreprise et enfin le last but not
the least nous dit que Les
problèmes que les professeurs lui soumettront ne seront pris en considération
que pour autant qu’on y apportera des solutions !
On apprend également que l’ancienne documentaliste Mme L dont l’incurie
notoire a été la cause principale du pillage inouï de la bibliothèque, est elle
même passée Principale… Personne ne proteste !
Rentrée. Je crains de ne pas tenir le coup et de m’enfuir purement et
simplement. La vérité commence néanmoins à émerger en forme d’un article en
première page du journal Le Monde pour dire que les examens ne
recouvrent plus aucun savoir ainsi que quelques autres vérités concernant la
réalité du fonctionnement de l’Institution. Je n’en crois pas mes yeux et
redoute en même temps l’usage antisocial qui sera fait de la chose…
Le Ministre de l’Education Nationale Lionel Jospin limoge le Président
du Jury du CAPES d’Espagnol, au motif qu’il n’y a pas assez de reçus alors même
qu’on manque d’Enseignants ce qui provoque le mécontentement des Parents et des
Elèves. A la suite de cette mesure les langues commencent à se délier et le
débat commence sur la notion de bon Professeur. La réalité va-t-elle enfin
être dite, à savoir la faillite de l’Ecole et le mensonge qui la masque
jusqu’au cauchemar ?
Au Lycée j’ai l’impression d’être une méduse coincée dans un tas de
pierres.
Un clochard est installé à demeure dans le petit renfoncement où est
située la sortie de secours du Lycée.
A l’intérieur, il y règne une atmosphère irrespirable due
principalement à la surpopulation physique. On ne peut pas circuler dans les
escaliers aux heures des sorties d’où déjà une certaine angoisse physiologique.
Vu dans une Agence Immobilière un six pièces à Saint Germain des Prés
pour un Milliard d’Anciens Francs. C’est la première fois ! Je me souviens
du mot fameux concernant le Budget de l’Etat présenté une année du dix neuf
siècles devant les Parlementaires avec cette phrase devenue célèbre Saluez ce milliard Messieurs, vous ne le
reverrez pas ! Et en effet on ne l’a pas revu mais pas dans le sens
qui était prévu.
Climat très malsain autour de la Shoah.
Graphitage dans le métro Vive la
France, la RATP et la Paix !
Installation de la grève aux Usines Peugeot. Celle des Services des Impôts
dure depuis le début de l’été. Mécontentement ailleurs.
Ouverture du Rideau de Fer
livrant le passage à vingt mille réfugiés de la République Démocratique
Allemande.
Extension du débat sur l’antisémitisme. En apparence seulement car en
réalité il me semble que le but est au contraire de casser le tabou de la Shoah
et on sent bien qu’il est en train de céder. Le Carmel chrétien construit sur
le Camp d’Extermination d’Auschwitz où périr les Juifs serait-il le pôle de la Pérestroïka européenne ?
Il n’est pas étonnant alors que l’Allemagne soit au coeur du problème
et sa réunification en train de se faire de
facto, même si c’est de façon
informelle. Elle a lieu sous le poids des modifications de l’infrastructure
diraient les marxistes qui n’auraient pas nécessairement tort, tant la
mondialisation tous azimuts est éclatante !..
De nouveau je rêve des camps de concentration nazis comme lorsque
j’avais une quinzaine d’années.
Le Professeur de Biologie quitte la Salle des Professeurs à dix heures
quarante en disant Bonne fin de
journée ! Je ne peux m’empêcher de faire remarquer cette anomalie.
Un car de jeunes touristes portant chacun une cagette garnie de trois
ou quatre douzaines de canettes de bières et d’autres avec un grand sac
plastique de boîtes vides. Hallucinant…
A la Cantine, la conversation ne roule que sur les cambriolages. Je
n’ouvre pas la bouche.
Aujourd’hui, c’est sur la division Charlemagne etc… Je suis alors tout
de même obligée de préciser qu’on avait quand même aussi le choix de prendre le
maquis et j’ajoute sans compter les six millions de morts de la
Shoah qui n’ont pas eu de choix du
tout. Les Collègues n’apprécient guère mais changent de conversation. Le but
est tout de même atteint de ne pas laisser dire certaines choses sans réagir…
Dans l’heure qui suit, une quasi émeute en
Terminale au sujet du contenu de mon cours qui ne correspond pas à ce qu’ils
ont l’habitude d’entendre ou de faire. Une quinzaine de jours seulement après
la Rentrée, c’est un record ! Il m’arrive parfois d’être contestée sur le
contenu de mon enseignement mais habituellement seulement au bout de plusieurs
mois. A l’entendre, la Classe ne voit pas le rapport entre la situation aux
Usines Peugeot et l’Economie de l’Entreprise, la Générale et le Droit, alors
même que les conflits du travail sont au programme… On ne sait plus quoi faire
devant l’inéluctable… J’attends de pied ferme la pétition et même le
licenciement…
Je comprends les choses comme l’avènement de l’ordre bionomique qui
implique que saute le tabou du nazisme. Sa réhabilitation est même nécessaire à
la mise en place de l’eugénisme qui se profile.
Rue de Belzunce à l’Ecole Religieuse à côté du Lycée, un vaste filet
léger et fin, à peine visible, recouvre la cour de l’immeuble. J’en déduis à
tort ou à raison que c’est une mesure anti-oiseaux, la topographie interdisant
de penser que c’est une protection contre les jets des Elèves depuis les
fenêtres de l’établissement. De notre côté, il y a quelques années les nôtres
avaient lancé des boulons par nos fenêtres ouvertes DANS l’immeuble voisin…
De l’autre côté de la rue, le Surveillant Général ou le Proviseur de
l’Ecole Rocroy Saint-Léon à huit heures quinze attend debout tout réjoui sur le
trottoir lançant à deux jeunes retardataires dont un basané un Dépêchez vous je vous attends ! et les deux élèves tout heureux accélérant leur course mais
sans excès…
J’éprouve une violente jalousie envers cet homme qui arrive à exprimer
ainsi sereinement son amour pédagogique et sa résistance inexorable au laxisme
des mœurs. J’en suis d’autant plus émue que je l’ai déjà vu à l’œuvre au moment
de la Rentrée des Classes rayonnant du plaisir de retrouver ses Elèves. Cet
amour pédagogique je l’éprouve mais la structure m’interdit de le manifester
puisqu’il n’est plus question dans mon propre établissement d’enseigner et
encore moins - et depuis encore plus longtemps - d’éduquer. Mon affection pour
les Elèves reste donc suspendue et se déverse en vrac
en classe.
Un clochard est installé depuis des mois sur les marches de la dite
école. On le voit depuis la fenêtre de notre Salle des Professeurs qui donne
sur la rue. Je me demande si c’est le même que celui qui dort dans notre sortie
de secours.
En Terminale, je crois avoir le matin récupéré la situation grâce à la
lecture du Programme accompagnée des instructions ministérielles qui - comble
d’ironie - ne commandent rien d’autre comme méthode que ce que fais dans ma
pratique quotidienne. Montrant ainsi aux Elèves que l’étude de l’affaire
Peugeot est en tous points conformes aux consignes de développement de l’esprit
critique - comme nous l’enjoint notre hiérarchie - je crois avoir rassurée la
classe… Que nenni ! L’après-midi, le bazar recommence dès que je demande
un effort de réflexion sur la réalité. Des Elèves vont jusqu’à prétendre qu’on
leur a dit que le programme de Terminale est le même que celui de Première et
qu’ils ne comprennent pas pourquoi je fais du nouveau ! Je ne vois donc
pas d’issue à la situation !
Cette impression d’aphasie sociale qui peut durer éternellement est
confirmée par mes proches, mon ancienne partenaire de théâtre parle même de son
côté de dévitalisation. Quant à moi, il me semble qu’on me demande de jouer le
rôle de couveuse de chairs mortes ou fœtales, incapables de vivre par elles
mêmes…
La grève dure depuis un mois chez Peugeot - les ouvriers occupant les
forges - ce qui entraîne du même coup la paralysie de Mercedes et de BMW. La
Direction fait diffuser par haut parleur de la propagande antigrève y compris
la météo destinée sans doute à créer un sentiment d’impuissance vis-à-vis des
événements comme du temps. C’est ce même bourrage de crâne que je subis de mes
Collègues qui veulent absolument me convaincre que je suis comme eux,
c'est-à-dire qu’être écrivain n’est rien.
En Salle des Professeurs on
entend une Collègue dire Il y a un
problème dans cette classe, il y en a la moitié qui savent déjà la sténographie
que je dois leur enseigner, mais ce n’est pas tragique.
En Classe, les Elèves sont sidérés par le niveau de salaire du PDG de
Peugeot, Calvet : Cent quatre vingt cinq mille francs par mois. Je les
affranchis sur le montant des à côté, notamment la prime de Pebereau chez
Alcatel Cinq cents mille Francs annuels, sans compter les avantages en nature,
les dividendes, les tantièmes etc… Ils sont d’autant plus médusés que je leur
explique qu’il s’agit d’un salaire très moyen à ce poste, Ford gagnant dix fois
plus. Le plus étonnant, c’est leur étonnement. Je découvre à mon tour à quel
point ils sont ignorants d’une réalité sociale et politique qui n’a plus de
secret pour moi. Du même coup cela légitime pleinement la publication que Le
Canard Enchaîné a fait des revenus du dit Calvet et valide à posteriori
tout ce permanent effort d’instruction populaire que je fais. Ma foi en elle
n’est donc pas vaine. A la limite pour un peu ils auraient commencé à me
regarder en se demandant si je n’avais pas raison… Ce qui serait une agréable
surprise, plutôt inattendue.
En Première année de BTS vaste demande pour qu’on parle de la Drogue.
J’amorce le débat en disant que je ne me
suis jamais droguée et que j’en suis fière ce qui fait que la classe se
rétracte. Je comprends avoir fait une erreur pédagogique mais analyse ma
réaction ex post comme l’annonce haut et clair que je n’avais pas l’intention
de prendre en charge ce surcroît de problèmes. Néanmoins l’urgence et le
caractère massif de la demande me fait comprendre d’où vient cette aboulie
généralisée qui rend l’enseignement impossible.
Un homme est tombé par deux fois devant moi : Un ouvrier agricole
ou un chômeur de longue durée âge de soixante trois ans. J’ai dû pour pouvoir le
relever, sommer de m’aider quelques passants. D’abord une femme qui s’est
récusée, puis un homme avec une grosse voiture. Le pauvre hère n’a pas voulu
qu’on appelle la Police a dit qu’il était tombé parce qu’il n’avait pas mangé
depuis trente six heures et qu’il allait se rendre en stop au sanatorium de
Munster, après être venu de Lille de cette façon là ! J’ai dit alors que
ce n’était pas possible dans l’état dans lequel il était et que Monsieur et moi on allait lui payer chacun
la moitié du voyage. Devant mon insistance inspirée, le Monsieur en
question a tiré de sa poche une folle liasse de billets de cinq cents francs,
plus que je n’en ai jamais vu et m’a donné Cent Francs en me disant Emmenez le manger !
J’ai repris que je voulais bien l’emmener manger, mais que dans ce cas
là, c’est lui qui devait payer la totalité du voyage parce que sinon cela me
ferait trop. Je lui ai fais remarquer qu’il avait une grosse voiture, que le
type était dans un triste état, que la situation du pays, ce n’était plus possible,
et qu’en conséquence de quoi il devait ou payer ou bien emmener lui-même le
gars à la gare dans son propre véhicule. Il a ressorti sa liasse de billets,
j’ai revu la pile de ceux de cinq cents francs et il m’en a redonné cinquante
de mieux. Je l’ai engueulé sur le thème de l’insuffisance de sa contribution
par rapport au prix de sa voiture. Il s’est défendu en disant qu’elle ne valait
rien.
J’ai emmené le pauvre homme manger dans une
croissanterie de la rue Turbigo. Il a mangé avec plus que de l’avidité sans se
servir de sa main, le mufle directement dans le carton qui soutenait la
pâtisserie qu’il dévorait après le sandwich. J’ai été bouleversée, ai pensé
bien évidemment à la Shoah et lui ai caressé la tête. Je l’ai emmené ensuite en
taxi à la Gare de l’Est. Je lui ai acheté le billet et lui ai laissé les
quarante cinq Francs de monnaie. Je lui ai fais marquer les horaires du train
sur une feuille au guichet des renseignements, et je la lui ai laissée. Il veut
m’embrasser pour me remercier. J’accepte en lui disant Je ne peux même pas vous dire qu’on les aura, on sait bien qu’ils sont
les plus forts !...
Par la suite l’idée m’est venue que c’était peut-être un truand en
cavale, mais en fin de compte, cela ne change rien.
Ca y est, c’est parti ! A la grève de Peugeot qui dure depuis un
mois, s’ajoute maintenant celle des Gardiens de Phares… Mutineries également dans les prisons, avec la grève des Gardiens
qui empêchent les parloirs de se tenir ! Ajoutons les Agents des Impôts
qui le sont depuis un trimestre, les Cheminots et Agents de la RATP qui
viennent de s’y mettre…A huit heures du matin à Barbès, rassemblement des
camionnettes de l’EDF et des employés tous vêtus du même uniforme bleu. De
jeunes hommes d’environ vingt cinq ans.
A neuf heures au Lycée un ancien communiste me dit sans aucune entrée
en matière Toi qui t’intéresse au
lexique, je te signale que j’ai en vain dans Le Robert ou Le Larousse
cherché le mot « Diaspora » ! Je ne réponds rien, mais il me
vient l’idée que cette agitation médiatique prétendant lutter contre
l’antisémitisme ne fait que l’attiser. A neuf heures cinq je vérifie et bien
sûr il n’en est rien, le mot est bien dans Le Robert… Il ne s’agissait
donc en fait que du pur plaisir de parler de « CELA ».
Toute la nuit chez Peugeot, il y a eu de la bagarre à la Forge. Ce mot
me plait, et sans doute mon idée du Roi-Forgeron vient elle de ce qu’il
s’oppose de toutes ses forces à l’avènement du plastique, le choc pétrolier
étant choisi pour symboliser l’ouverture de la crise. Dans Le corps défunt
de la comédie toute cette Cantate au Roi Forgeron et ce Requiem
en aciérie mineure se terminant par A
la sidérurgie défunte la Révolution Industrielle reconnaissante. C’est sans
doute aussi dans le même esprit que j’ai eu un moment l’idée de faire un livre
sur la faillite de Creusot Loire, surtout parce que j’avais entendu la Collègue
GD quasiment crier dans les couloirs du Lycée : Creusot Loire, ma mère, tous ses fils licenciés d’un seul coup. La
forge de Peugeot serait alors le paradigme de tous les affrontements en train
de se nouer.
Apparition de nouveaux concepts assez étonnants. On n’entend plus
parler d’Usine, mais de Centre de Production
avec le sigle correspondant de CPS pour le Centre
de Production de Sochaux. Dans le même mouvement apparaît une nouvelle
catégorie qui regroupe en un seul lot les employés, techniciens et agents de
maîtrise…
Mon ancienne partenaire de théâtre partage mes analyses sur l’ambiance totalitaire
dans laquelle il est quasiment impossible d’être en relation avec la plupart
des gens qui ne cherchent le contact que sur le mode fusionnel, confusionnel,
voire coalescent non pour participer à un échange mais pour s’installer dans le
magma. On assiste à une sorte de liquidation de l’individualité et de
l’humaniste comme notre génération pouvait le concevoir. L’idée me vient que
dans ce Grand Corps Commun entré en fragmentation et en reconstitution sur le
modèle d’une ruche d’insectes, les gens se mettent à adopter des fonctions
biologiques différentes en devenant les nouveaux organes de cette grande
organisation. Ainsi pourrait-on articuler là cette sensation d’être confinées
dans le rôle de couveuses.
J’ai déjà quelque part parlé d’humanière
comme d’une termitière ou d’une ruche, dans laquelle nous serions les nourrices
des larves, non plus sur le plan institutionnel, mais désormais physiologique.
Tout cela me fait horreur et n’a bien sûr rien à voir avec ce que je voyais se
mettre en place et appelais il y a quelque temps Le Grand Corail. Je prévoyais bien la
caractéristique post humaine mise en place par le réseau cybernétique mais
n’imaginais pas cette liquidation de la matière humaine à la fois fragmentée et
agglomérée tout autrement. Au point d’en être saisie.
Nous tombons d’accord encore sur les difficultés rencontrées au
quotidien puisque plus rien ne va de soi et sur l’épuisement de nos forces.
Jusqu’au point de devoir faire beaucoup d’effort pour s’habiller correctement,
ce qui jusque là ne nous avait pas effleurées. Soit parce qu’on s’en moquait
complètement, soit parce qu’on le faisait naturellement. Il semblerait que la
société n’oblige plus comme par le passé à ce qu’on se tienne. Non seulement
elle tolère parfaitement qu’on coule mais même, elle s’en moque. On mesure
ainsi tout le poids de la pression sociale.
Nous constatons aussi que ce travail salarié que nous avons vécu durant
les Septantes comme un choix - un engagement politique et moral à côté de la
vie artistique - nous est maintenant imposé comme la condition normale de notre
classe sociale. L’année dernière il fallait faire des efforts pour être du bon
côté de la fracture avec des questionnements politiques et moraux qui sont
désormais inutiles. Il est clair que nous ne sommes pas du bon côté de La Fracture.
Il y a dans la morgue de nos maîtres quelque chose d’absolument insupportable,
à savoir la brutalité avec laquelle ils nous traitent.
Petites humiliations quotidiennes dues aux dysfonctionnements sociaux.
Hier, c’est le journal Le Monde qui n’a pas été distribué
- ce qui arrive assez souvent - et aujourd’hui, c’est le courrier qui
n’est pas arrivé. Plus humiliant encore, ces évènements qui me paraissent très
graves semblent à la ronde sans importance. C’est que le courrier et la Presse
ne font pas partie d’un outil de travail vital mais d’un divertissement bouche
trou qui peut être remplacé par n’importe quoi qu’équivalent.
Au Lycée hier, première conversation sur Peugeot avec H stupéfait de
découvrir la misère ouvrière. Il a trente ans et sa naïveté m’émeut ! J’ai
l’impression d’avoir des choses à lui apprendre et qu’il le souhaite. Sans
doute comme autrefois MB et moi. Je sens ainsi que je change doucettement de
catégorie et lorsque je suis bien, cela ne me déplait pas ! Celle où la
jeunesse s’échange contre le savoir, mais maintenant dans le sens inverse….
Le Corps Enseignant hésite entre le franc délire individuel ou le
cynisme d’une Economie Distributive en train de se mettre en place. Des rumeurs
fantasmatiques parcourent les couloirs - il faudrait les collationner - mais je
n’en ai pas le courage. Ainsi dit-on qu’à Aubervilliers les Elèves de
Terminales Techniques Tertiaires interdisent d’entrer dans les classes et qu’on
ne peut pas faire cours. On s’étonne de la même façon que le Ministère continue
à y nommer des Enseignants… De mon côté je leur demande perfidement s’ils ne
souhaiteraient pas que le Ministre paie les Enseignants sans exiger qu’ils
fassent leur cours... Eux le confirment et j’en suis confondue… Le Professeur
de Mathématiques propose qu’il n’y ait plus de titulaire de mathématiques nommé
au Lycée Siegfried.
Le fantasme court aussi de changer d’emploi, d’être embauchée dans les
entreprises, certaine Collègue précisant qu’il n’y a pas dans les entreprises
que des emplois minables, comme ceux des grévistes de Peugeot. Les Collègues se
fantasment comme les cadres supérieurs d’il y a vingt ans, avant la
Mondialisation, alors qu’ils sont devenus des OS techniques aux aspirations
d’Employés.
L’exhibitionnisme se développe, les gens parlant de plus en plus fort y
compris lorsqu’il s’agit de propos qui relèvent normalement du domaine privé.
Particulièrement dans les autobus et spécialement lorsqu’il s’agit d’idées
racistes. Je me demande le soir s’il ne s’agit pas d’une technique appliquée
systématiquement par les militants du Front National pour leur propagande - ou
bien plus angoissant encore - qu’il faut en tirer la conclusion que la norme a changé. Désormais on devrait (on doit) parler fort pour que
le reste de la société (devenue elle-même totalitaire) puisse contrôler ce qui
se dit. C'est-à-dire que ces conversations qui s’imposent comme publiques ne
seraient pas le fruit d’un simple sans gêne mais tout au contraire, l’adhésion
à de nouvelles normes visant justement à empêcher les communications privées,
ceci étant cohérent avec la constitution d’un Grand Corps Commun.
Joseph Wybran, le Théo Klein belge qui a été assassiné en Belgique
était le Président du Comité contre le Carmel d’Auschwitz. Ai-je eu raison dans
mes pressentiments les plus sombres ?
En raison d’un nouveau mode de fonctionnement, en ville les boîtes à
lettres sont complètement pleines et il est impossible d’y en faire entrer une
supplémentaire !
Hier à la Télévision, Pierre Bérégovoy, ce fils de garde barrière muni
d’un CAP et parvenu Ministre des Finances s’appliquant à donner des gages de
loyaux services à nos maîtres. Je dis à mon voisin Nous au moins, on a refusé de leur cirer les bottes !...
Les Collègues s’affolent au Lycée. Notamment Liliane qui ne quitte
jamais sa classe à la cloche m’obligeant en prenant sa suite, à entrer en force
à chaque fois. J’ai fini par lui dire en plaisantant Paie-toi une SEIKO à Quartz… Elle me répond d’un ton très sec -
alors qu’elle doit gagner autant d’argent que moi - Je n’en ai pas les moyens ! Cette occupation absurde du
territoire, les Professeurs dans les salles et les Elèves vautrés dans les
escaliers, a quelque chose d’insupportable et de pathétique, épuisant
physiquement parce qu’il faut sans arrêt se frayer militairement un chemin. On
a l’impression d’avoir à faire à des corps décérébrés qui s’abandonnent. Privés
de volonté propre, ils sont comme sans moteur devenus des tas qui s’éboulent.
On dirait que l’âme arrachée, ils fondent. Ce ne sont déjà plus des hommes et
des femmes mais une espèce de chair surnuméraire, des gisements de matière
carbonée amorphe.
Cela rejoignant le processus de la Télévision qui capte notre âme en
représentant pour chaque situation les sentiments qu’il convient d’éprouver sur
le thème de Vous n’avez
pas besoin d’éprouver tel ou tel sentiment, puisque la Télévision le fait pour
vous. La où la tragédie antique permettait de faire porter aux Acteurs un
certain type de sentiments plus ou moins tabou et d’en décharger ainsi la
Communauté, la Télévision décharge désormais de TOUS les affects. Là où
l’Organisation Scientifique du Travail avait comme slogan principal Ne pensez pas, on pense pour vous on a
l’impression que le slogan télévisuel actuel pourrait être N’éprouvez pas, on éprouve pour vous !
On essaie comme d’habitude de m’entraîner dans une conversation
malsaine pour y diffuser un racisme rampant. Je rembarre le Collègue qui se
livre à cette manœuvre. Cette fois j’ai dû alerter les deux Collègues arabes et
eurasien pour débattre avec eux de l’attitude à adopter.
L’après-midi deux colonialistes viennent me tenir la jambe et diffuser
leur propagande sur le thème : Ce n’est pas la peine de faire l’appel,
c’est trop fatigant. Et comme je protestai sur le mode du fait qu’on était payé
pour faire un certain travail et que cela s’avéra sans effet, j’ai du quitter
la place arguant que je ne pouvais continuer
à supporter le discours de ce monsieur, car je voulais conserver les qualités
que m’avaient donné mes parents.
Angoisse de mort le soir, à l’annonce en une seule fois des dix mille
transfuges de l’Allemagne de l’Est vers l’Ouest portant les chiffres à
cinquante mille en un seul mois. De profonds bouleversements sont engagés sans
qu’on en ait forcément les grilles d’interprétation intellectuelles et
culturelles. Il semble que tous nos savoirs suffisent à peine pour comprendre
ce qui se passe.
Au Lycée, les hommes ont pratiquement disparu de la circulation et les
conversations des femmes sont celles qu’on entend habituellement dans les
salons de coiffure. J’ai un coup de colère à la Cantine sur le thème de la
déculturation et de la voyoucratie ambiantes, essayant de faire advenir une
parole publique sur notre prolétarisation en général et le trucage des examens
en particulier. Cette reconnaissance étant de toute façon un préalable à une
action politique mais sans doute me trompe-je sur ce sujet. C’est que je me
refuse à jouer le rôle qu’on veut m’attribuer, caution et animation.
J’aboutis tout de même dans la mesure où deux Collègues admettent les
fraudes et dévaluations des diplômes. Ce qui est une avancée importante dans la
mesure où nos nouveaux Collègues réclament sans cesse avec les diplômes en
question le statut économique et social auxquels ils donnaient droit, il y a
vingt ans. Autrement dit étant payés en monnaie de singe, ils exigent désormais
que cette monnaie de singe soit convertie en or et c’est cet état d’esprit qui
est au cœur du malaise actuel... Au milieu de cette grande fiction, de ce
mensonge généralisé dont la Télévision est le Centre, leur action à eux vise à
essayer de faire conforter cette fiction en réalité. C’est le mot FACTICE qui
conviendrait et l’idée du tripotage, au sens où des bonimenteurs arrangeraient
des coups à leur profit.
Concernant les transfuges de l’Allemagne de l’Est, la Télévision les
met en scène dans ce qui apparaît comme un Grand
Théâtre. On essaie de nous faire
croire à des scènes d’horreur, on nous parle de wagons plombés, de coups de
matraques, de rangées de policiers, d’enfants s’accrochant à leur mère et…
alors que même le journal Le Monde relate des témoignages de
fugitifs, il n’y a aucun reportage direct d’un journaliste accrédité,
c'est-à-dire crédible…
Certains vont même jusqu’à tenter de nous faire croire que les convois
comprennent chacun mille réfugiés, comme durant la Shoah. Je ne crois pas un
mot de toute cette mise en scène car cette représentation que la société se
donne à elle-même me paraît de mauvais augure, obscène. C’est que je sais trop
bien ce qu’il en est de l’hystérie. Ce mouvement fait il partie de ce qu’on
pourrait appeler Le fabuleux théâtre de
l’abolition de la Shoah auquel il faut également semble-t-il, raccrocher
l’affaire du Carmel d’Auschwitz.
Je suis étonnée de constater que tous ces réfugiés ont le même âge.
Cela me parait bizarre et anormal, comme si on avait affaire à un objet social
non identifié, comme c’était le cas lors du mouvement lycéen de 1986. On voit
arriver des gens drogués à la Télévision Occidentale qui n’ont pas d’autres
images de l’Europe de l’Ouest et qui prennent cette fiction pour de la réalité.
Je me demande aussi dans quelle mesure on n’assiste pas là à un
regroupement de populations européennes trop clairsemées pour pouvoir dans la Pérestroïka ethnique mondiale défendre
un Territoire! Ce regroupement de population permettant de faire efficacement
face à des affrontements continentaux. On n’ose le croire et pourtant, le théâtre
de l’abolition de la Shoah
trouverait sa place dans cette grille là aussi. Cette ambiance de mort, de fin
de règne, de fin de parcours aurait à voir avec la somme totale juste et ronde
de ce groupe qui face aux autres n’a plus assez d’enfants pour maintenir son
extension. Cette dénatalité tragique entraîne-t-elle cette contraction, le
repli sur soi sur cette zone extrême du continent de l’Eurasie pour laisser aux
autres les plaines vides ?
Quant à Michael Gorbatchev, l’initiateur de la Pérestroïka elle-même, est-ce à cela qu’il pense lorsqu’il parle de
Maison Commune ? Veut-il dire Economie Commune ? Ce ne serait pas
impossible ! De même que ne serait pas impossible non plus, une sorte de
pillage de cette abondance comme on le sent si souvent ici, dès qu’il s’agit de
consommer le capital accumulé par les Ancêtres et non plus de poursuivre la
société qu’ils ont inventée. Est-ce cela que recouvrait l’expression No future qu’on voyait partout ces
dernières années ?
Cette contraction européenne serait elle accompagnée d’un rejet des
Islamistes ? On a bien vu se réaliser des échanges de populations, par
exemple - Arméniens/Azéris, Sénégalais/Mauritaniens - ces mois derniers,
pourquoi la chose ne se produirait-elle pas ici ? J’en viens même à penser
que cette terre serait alors considérée comme zone chrétienne
ainsi que que les tentatives de Christianisation de la Shoah ont à voir avec
cela et que de nouveaux pogromes se préparent….
Les trois derniers jours ont été passés à corriger les copies. Une
satisfaction, six ans après la fin du traitement de chimiothérapie de parvenir
enfin à tenir à nouveau assise sur une chaise à travailler sans que la fatigue
m’oblige à m’allonger… Mais les difficultés personnelles et sociales continuent
à augmenter et je ne peux plus comme par le passé mener de front l’écriture, la
vie littéraire et le Lycée qui ont chacun et chacune - mais pour des raisons
différentes - cru en volume. Les compressions sont donc de plus en plus
drastiques.
Dislocation violente de l’Empire Soviétique et cela fait un drôle d’effet.
A l’étonnement et la joie se mêlent une sorte de peur. La République
Démocratique Allemande est en ébullition.
Au Lycée, les Collègues ont toutes les dents dehors. JP.H. en
difficulté sur une question d’informatique se fait piétiner par la horde. La sauvagerie
de la situation m’a émue, confirmant les fonctionnements bio-cybernétiques dont
j’avais l’intuition. Cette chefferie barbare a des aspects terrifiants et
pathétiques. Ces hommes jeunes qui il y a quelques années roulaient les
mécaniques et prétendaient faire la loi au mépris de toute déontologie sont à
leur tour, balayés par ceux qui tiennent mieux le coup sous le poids de
l’accélération technique!
Mon l’émotion l’a emporté d’autant plus que se sont jetés sur lui des
Collègues qui n’avaient jamais fait aucun effort pour se tenir au courant ne
serait-ce que de l’actualité. Je me suis alors payé le luxe de dire Est-ce que tu veux que je te défende ?
à ce type qui autrefois m’avait dit Je
vais te claquer la gueule et tu
as intérêt à demander ta mutation sans compter les violences physiques
subies lors de l’exclusion des Commission d’Admission au BTS ainsi que les
attaques en Conseil de Classe en 1984 avec les Elèves contre le contenu de mon
cours qu’ils trouvaient trop culturel….
Le spectacle de ces jeunes loups qui s’efforcent de plus en plus
difficilement qui de ne pas perdent une minute et travaillent dans les
transports en commun, plongés dans la Revue
Fiduciaire ou d’autres ejusdem farinae rébarbatives et néanmoins indispensables. Par ailleurs de
plus en plus d’Indiens, comme je les appelle par référence à ce que fut La Conquête
de l’Ouest, qui s’enfoncent tous les jours davantage, sans être déjà
devenus clochards. Des corps abîmes et vaincus qui se tiennent encore mais pas
pour longtemps….
Dans le métro à Denfert-Rochereau, une publicité pour le magazine Match avec Dechavanne et Anne Sinclair
en couverture et entre les deux au feutre, une étoile de David avec inscrit Dehors ! Terrifiant…
Le journal Le Monde est de
plus en plus répugnant avec ses campagnes de promotion de l’euthanasie, de
l’assainissement biologique des populations et à l’antisémitisme larvé sous
couvert de dénoncer la tentative de banalisation de la Shoah, à laquelle
s’ajoute maintenant la réhabilitation de la Collaboration…
LE SPLEEN TOTALITAIRE. C’est cette expression que j’ai trouvé pour
nommer cette angoisse de mort qui nous étreint dans notre petit milieu. Elle
est faite d’une angoisse précise quant au destin qui va être le nôtre, une suspicion
généralisée d’être espionnés et dénoncés, une interrogation permanente pour
savoir si c’est nous qui délirons ou si c’est la société elle-même qui a perdu
ses repères.
Quinze Heures : Fin des six heures de cours avec une heure
d’interruption pour le déjeuner. L’étonnement étant qu’on n’en meure pas.
L’impression d’une raclée qu’on connaît par cœur et qu’on s’étonne finalement
qu’elle soit de plus en plus forte, car à chaque fois on croît qu’on ne pourra
pas en supporter davantage… On ne s’habitue pas et c’est tant mieux mais on
trouve à chaque fois de nouvelles postures qui permettent pour finir de tolérer
ce qui de prime abord avait paru intolérable. Et cela parce que la vie est en
jeu. Ainsi de nouveaux savoirs faire apparaissent. J’apprends à percevoir
les voix de mes Collègues dans la Salle des Professeurs, comme le bruit de la
mer. Je contemple alors le paysage, n’écoutant pas ce qu’ils disent et me
laissant bercer par les inflexions.
Il est devenu impossible de regarder les gens dans les yeux, sans que
je parvienne à déterminer si cela vient d’eux ou de moi. Mais j’ai déjà
constaté cela au Chili en 1987, et cette référence à elle seule, dit tout.
C’est l’amour heureux avec la classe de Terminale. Je suis bien dans
les normes habituelles que j’ai observé au fil des ans, une classe qui marche
très fort et avec laquelle on est vraiment heureux d’être, une dans laquelle on
échoue complètement et les autres avec qui c’est quelconque. Celle-ci est
composée de nombreux Elèves caractériels et géniaux et on peut dire au bas mot,
qu’elle est haute en couleurs. Depuis le début de l’année, c'est-à-dire il y a
cinq semaines, je n’y ai pas entendu une seule question idiote, ni une
réflexion médiocre ou accablante, comme c’est le lot habituel de ma vie professionnelle
d’Enseignement…
Par contre en Deuxième Année de BTS c’est la catastrophe ! Il est
habituel que ces Elèves là -issus des Baccalauréats Généraux donnent rapidement
des Elèves odieux mais cela dépasse ce qu’on voit d’habitude. Il y a là dedans
une bande de garçons immatures qui n’ont pas l’air décidé à accepter le genre
de femme que je suis, ni le discours que je tiens. Si ils ne se sont pas encore
révoltés, c’est parce que cela leur demanderait un effort qu’ils ne sont pas
capables de fournir.
Quant aux Deuxièmes Années issues des Baccalauréats Techniques, ils
s’enfoncent dans un silence comateux déjà amorcé en Première Année et qui
désormais recouvre tout comme une chape de plomb. Je n’ai jamais vu en vingt
deux ans de carrière, une classe qui participe – comme on dit – aussi peu. On
ne peut même pas dire que le contact s’est rompu, il ne s’est jamais établi et
on est resté dans leur passivité fœtale. Il ne faut pas croire que je pourrais
me contenter d’un cours magistral universitaire, une conférence ou un monologue
car ils n’ont plus les moyens de tirer parti d’une solution de ce genre. Mon
angoisse augmente dans cette classe, je vois le moment où je vais parler toute
seule - ce que je fais déjà pratiquement - et qu’ils ne prendront plus du tout
de notes, ce qu’ils ont déjà tendance à faire. Je me demande alors qu’elle sera
la signification de mon activité.
A la Cantine durant tout le repas, la conversation roule sur les poux
des enfants et le commentaire satisfait du titre du Journal Libération : Les poux font de la Résistance. S’exprime également une plainte sur
le prix des places de spectacles. Je mets comme d’habitude les pieds dans le
plat sur le thème que si les Professeurs ne peuvent pas se payer les
Spectacles, il y a quand même quelque chose qui cloche…et qui donne raison à
ceux qui pensent que l’affaiblissement du niveau de vie des Professeurs est une
des causes de leur déculturation.
Au Lycée, on a des échos du spectacle Morts sans sépulture auquel certains de nos Collègues ont emmené
nos Elèves et qui représentaient des scènes de torture insoutenable aux dires
des adultes qui en avaient été bouleversés alors qu’elles avaient laissé les
Jeunes, de marbre. Je leur explique alors que c’est parce que personne ne leur
a jamais expliqué qu’il ne fallait pas torturer, ce que j’avais déjà observé
dans mes classes. Je développe l’idée autour de l’Education aux Valeurs et de
la nécessaire proclamation du tabou Tu ne
tueras point. J’ajoute que nos Elèves n’ont même plus conscience que
l’euthanasie, c’est tuer et là la conversation tourne à la catastrophe !
Je lis le Journal d’Ernest Junger et j’y trouve du grain à
moudre lorsqu’il parle des Lémures. Je
me suis imposée au Lycée une demi-heure de lecture après le déjeuner et
l’impose aussi de la même façon aux autres dans la Salle des Professeurs, en ce
sens que je ne réponds pas du tout si on me dérange pendant cette Cérémonie. Comme je me tiens au haut
bout de la table, à heure et jour fixes pour cette activité absolue, je ne
désespère pas de parvenir par cette méthode à lui rendre DROIT DE CITE dans
cette école qui l’a bannie. Ces trois fois une demi- heure de lecture sont
devenues au Lycée ce qu’il y a pour moi de plus important. Je n’y lis pas des
textes débridés, encore moins des poètes, m’imprégnant de cette écriture
soutenue. Je trouve par ailleurs ce texte là intolérable mais il éclaire, comme
la littérature de Drieu de la Rochelle sur les mécanismes sociaux qui mènent
aux résultats qu’on connaît.
Laurent Bolo, pour me dire du bien d’un élève dont il craint que je ne
sois pas satisfaite verbalise ainsi Il a
du mal à s’exprimer, il montre, il fait ce qu’on lui dit, à la limite, il
communique tout seul. Je lui fais alors remarquer l’absurdité de ce qu’il
me dit pensant à l’intérieur de moi-même qu’il y a là matière à réflexion pour
comprendre le sens profond du mot à la mode, communiquer et que d’une certaine façon se dit là, la vérité.
Au Cinéma je vais voir Histoires
d’Amérique qui bien que m’ayant vaguement
déçue, m’a émue. C’est un recueil d’Histoires
Juives tournées sans excès de mise en
scène ni de travail ou de décors. On y reconnaît une forte influence de Woody
Allen et de Luis Bunuel. Je suis un peu mécontente de cette collation à plat du
capital spirituel d’une culture, sans y mettre
rien de créatif de soi même. On détecte même un aspect mortifère dans ces
fragments présentés comme quelque chose de clos, de terminé, de fini, de défunt
et uniquement comme quelque chose qui serait en bout de course, ce qui n’est
pas la réalité historique et géographique new-yorkaise. Il y a tout de même un
aspect sympathique dans la tentative de transmette de façon cinématographique
un paquet d’idées, en pensant que certains n’auront jamais d’autre accès à la judéité
que cela et s’il est indispensable que cela soit en pellicule couleur, pourquoi
pas ?
Dimanche, promenade aux Etangs
de Hollande en forêt de Rambouillet. Splendide lever de soleil dans
les brumes. Pour une fois, je regrette de ne pas avoir persisté dans mes
efforts photographiques.
Achat aux Puces de plaques photographiques représentant des gens. Je
les préfère aux épreuves sur papier parce qu’elles ne les représentent pas, ne
les montrent pas, se contentant de les évoquer. D’une certaine façon, c’est
l’âme insaisissable qui est là transcrite.
Le Ministre déclenche une enquête dont les dés sont pipés sur le mode
qu’on pourrait résumer vulgairement par Comment
faut il faire pour pouvoir vous blouser ? Je m’apprête à y répondre,
ne serait ce que pour voir ce qui se passe. Disons qu’il s’agit d’une
investigation scientifique… J’enquête dans mon Etablissement pour savoir s’il
est possible d’avoir le fascicule qui permettrait de répondre aux questions. Du
Secrétariat, on me renvoie à la Direction qui parait-il, n’en a pas pour tout
le monde. C’est déjà révéler l’esprit de l’enquête… Comme je la demande à la
Directrice, elle refuse de m’en fournir un. J’avais donc bien raison de tenter
l’expérience, ne serait ce que pour constater à quel point l’enquête était dès
le départ biaisée, et bien plus fondamentalement encore que par la nature des
questions. Il apparaît donc qu’il est impossible pour le Ministre de
communiquer effectivement avec ses Fonctionnaires subordonnés. Ce que les
Gendarmes avaient déjà dénoncé pour eux-mêmes, comme l’existence d’un
étouffement de la réalité par la Hiérarchie...
Avec les Elèves, inévitable débat sur l’euthanasie. C’est tous les ans la même chose, dès qu’ils voient un
film de propagande à la Télévision sur ce sujet. Les premières années, j’en
discutais réellement, c'est-à-dire que je tentais de les faire réfléchir dans
les authentiques termes dans lesquels se posaient les problèmes. Puis au fil
des années, je me suis rendue compte que ce n’était plus possible, tellement
les dés étaient pipés et nos valeurs devenues incompréhensibles.
J’ai peu à peu arrêté d’en discuter et de tenter de les convaincre,
pour me contenter d’un témoignage absolu dans les valeurs du caractère sacré de
la vie. Non pas que je considère cette façon de faire comme supérieure, mais
parce que professionnellement il n’y avait plus moyen de faire autrement. Cette
façon de faire avait comme objet de me protéger moi-même de l’horreur ambiance,
grâce à ce BOUCLIER.
Puis les choses se sont encore dégradées lors de l’interrogation de
Juin au Brevet de Technicien Supérieur Comptable où en interrogeant un Elève
dans le cadre de ce que le Programme appelle Les Grands Problèmes du Monde Contemporain, j’en ai retenu un
pendant vingt minutes, uniquement pour réussir à lui faire dire qu’il
s’agissait de tuer. J’avais trouvé là
les choses assez avancées et considérais comme une action résolument politique,
le simple fait de parvenir à faire employer ce terme dans ce contexte là. Il
faut se souvenir que les nazis interdisaient l’emploi de ce mot dans les camps,
ainsi que celui de cadavres. Il est à noter que cette année la déperdition de
sens, de signification de la chose, atteint l’ensemble de la classe et non plus
seulement un individu isolé. Ils vont même jusqu’à de bonne foi considérer
qu’il s’agit d’un acte d’amour, d’une aide. On mesure le chemin parcouru par
rapport à il y a quelques années où il ne s’agissait que d’obtenir de n’être
pas poursuivi par la Justice.
Leur revendication est devenue désormais sémantique. Il s’agit
désormais de faire que leur désir soit la réalité et ce qu’ils veulent, c’est
que j’adhère avec eux à cette déréalité.
C’est la nature du totalitarisme d’aujourd’hui, faire que ce qui est, ne soit
pas. UN GRAND DENI. Décidément c’est autour du langage, qu’aujourd’hui tout se
joue.
Les Elèves de Deuxième Année de Techniciens Supérieurs Comptables,
issus des Baccalauréat Généraux m’attendent à quatre dans le couloir le
programme à la main pour me demander des explications au motif - parait-il -
que je ne le suis pas ! C’est bien la première fois en vingt deux ans de
carrière, que je suis confrontée à un pareil Comité d’Accueil d’Elèves devant
la porte de ma classe. De plus la posture de leurs corps donnait à penser
qu’ils allaient m’interdire l’entrée de ma salle si je ne donnais pas des
explications satisfaisantes. J’entre de force, fais l’appel, prend mon temps et
mon souffle en me souvenant de ce qu’avait raconté l’Oncle Henri, à savoir
qu’une fois dans une situation difficile avec un Elève, il avait déjà pris le
temps de se raser pour avoir le temps de réfléchir et que cela avait été
profitable à un dénouement heureux.
J’ai droit à une heure et demie de sérénade. Je suis obligée de leur
lire les instructions pédagogiques qui sont inscrites à la suite du Programme
et qui me donnent intégralement raison sur la façon de procéder… Je connais le
coup, car je le fais chaque fois que je suis contestée, mais il est tout de
même démoralisant d’être en but à l’hostilité de la Communauté Scolaire,
Collègues, Administration et Elèves alors qu’on respecte pleinement les
consignes pédagogiques ministérielles ce que ne font pas les autres, bien au
contraire.
Je parviens donc à rétablir la situation à mon profit, grâce à toutes
mes techniques professionnelles depuis longtemps éprouvées mais que j’applique
là mécaniquement et comme en dehors de moi-même dans tous les sens du terme.
C’est une sorte de combat militaire et rien d’autre. Je me suis tout de même
félicitée d’avoir fait dès le matin, ma marche à pied quotidienne pour arriver
en forme, comme je me doutais que cela ne se passerait pas bien.…
Par la suite, durant la dernière demi-heure, je parviens à faire tout
de même un embryon de cours structuré sur la notion de système, en prenant
comme exemple ce qui venait de se passer. Mais je sais que rien n’est résolu et
que la situation ne peut faire qu’empirer… Je suis stupéfaite de découvrir
qu’après toutes ses pérégrinations pour ne faire que réunir les conditions
matérielles et physiques de l’Enseignement (l’énergie nécessaire pour les faire
asseoir et les faire taire - comme je le leur fais remarquer - aboutissant
simplement à maintenir le système) mes Elèves tentent de me faire dire que je
les aime et que je suis contente d’être avec eux.
Je remets les pendules à l’heure en leur expliquant froidement que je
gagne ma vie et ne suis tenue à discuter avec eux que par ma conscience morale
professionnelle. Ils ont l’air étonnés et tentent à nouveau sans succès, de me
forcer la main pour entendre ce qu’ils veulent. L’une d’entre eux va jusqu’à
assiéger le bureau et je coupe court d’un La
cloche a sonné, c’est fini, je n’ai plus rien à dire…
Je me rends compte dans la soirée qu’il s’agit du même comportement que
celui observé la veille lorsque ceux là ou d’autres ont tenté de me faire
passer l’euthanasie comme un acte d’amour alors que je m’évertuais à maintenir
contre vents et marées la notion de meurtre. Ces deux versions d’un je t’aime, je te tue sont à mettre en
connexion avec le sadisme ambiant qui fait confondre l’attraction (le désir et
l’amour) et la destruction, comme si celle-ci était la marque d’un intérêt
réel. Cet état d’esprit s’étend maintenant à la société entière, la Télévision
en étant le Centre, comme le donne à penser la métaphore de La Jeune morte
en robe de dentelle. Je trouve tout cela de bien mauvais augure.
Dans la même semaine éclate l’affaire dite des Voiles Islamiques. Jusque
là on avait entendu parler de difficultés de ce genre comme des cas isolés, les
Professeurs se vantant plutôt de s’en être débarrassés. Mais là, tout à coup
l’affaire prend en masse à l’initiative du Proviseur Antillais de Creil
(transnational ?) d’exclure au nom de la laïcité, trois jeunes élèves voilées
pendant les cours.
Sommé de se prononcer, le Pouvoir Politique se dérobe en la personne de
Lionel Jospin qui se tourne vers le Conseil d’Etat. L’affaire va crescendo
comme on entend avec stupéfaction Michel Rocard et Madame Mitterrand appeler à
la tolérance, soutenus par l’ensemble des clergés qui en cette occurrence, se
prêtent main forte. Peu de voix s’élèvent dans un premier temps pour émettre
une protestation contre le voile et parmi elles, aucune femme… La légèreté avec
laquelle le Cardinal Lustiger prend l’affaire laisse pantois. Il assimile le
voile islamique aux coiffures afros
ou au style baba cool… On se demande s’il n’y a pas là une part de
machiavélisme et de perversité….
Une manifestation d’Islamistes Intégristes que je vais observer pour me
faire ma propre opinion. Bien m’en a pris. Le spectacle, la vision même étant
saisissante. Il y avait quatre pelés et trois tondus (et encore c’est une façon
de dire) qui descendaient le Boulevard Magenta depuis Barbès. Le style de la
manifestation des pauvres gens Algériens de Paris qui le 17 Octobre 1961
manifestaient contre le couvre-feu qui leur était imposé de façon
discriminatoire avant d’être jetés dans la Seine.
En tête, marchaient une cinquantaine de femmes voilées du simple
foulard au tchador intégral et avec elles des petites filles - presque des
bébés - également voilées. Un service d’ordre les entourait intégralement,
composé d’hommes résolus à faire le coup de poing, comme chez nous le service
d’ordre de La Ligue Communiste. Ce tableau était d’autant plus étrange que le
Boulevard était désert…. Ce service d’ordre protégeant ces VIP voilées avait
quelque chose dans un premier temps, de surréaliste. Par la suite, on ne
pouvait que tenter de comprendre de quoi il s’agissait.
Comme ces hommes n’avaient pas l’air farouche qu’ont les Iraniens ou
les Afghans, l’idée m’est venue qu’ils étaient en grande détresse craignant
surtout qu’on leur vole leurs femmes qu’ils gardaient manu militari comme un
pathétique Trésor. Le fait est que si ces femmes viennent à s’émanciper ce ne
sera pas ces hommes là – ouvriers - qu’elles vont épouser mais ceux d’une
catégorie supérieure qui les choisiront pour leur caractère exotique et soumis.
Et comme inversement les femmes d’origine française n’épouseront certainement
pas ce genre d’hommes, le principe de l’échange des femmes sera là mis en échec
et se traduira pour eux par une simple perte…
Quant au slogan répété : Rachel,
Marie, Fatima même voile ! il fait froid dans
le dos. Le Touche pas à ma frangine va
dans le sens de mes analyses ou plutôt, c’est cette formule qui m’a permis de
les élaborer ainsi que Ma sœur ton hijab
est notre honneur ! ou Toucher à la femme voilée, c’est déclarer la guerre aux Croyants.
Ce qui frappait c’était à quel point ces gens étaient simples, disciplinés,
tranquilles et vraiment pas féroces, tout cela sans contredire pour autant le
fanatisme islamique montant. C’est plutôt qu’il s’agissait là de quelque chose
de beaucoup plus archaïque, primaire, primordial en tout cas protohistorique.
Un agencement de groupe préservant ses femelles comme la chose la plus sacrée
et cela m’a émue.
Une jeune femme d’une radio AFP faisant un reportage, j’ai voulu dire
un mot dans son magnétophone. Elle m’a d’abord demandé qui j’étais, j’ai
répondu que j’étais écrivain et comme elle me demandait ce que je voulais dire
j’ai formulé que Pour une question
concernant les femmes, on ne les entendait pas beaucoup ! Elle a alors repris que les
femmes islamiques s’étaient exprimées et que cela suffisait ce qui se comprenait
en sous entendu comme n’étant pas intéressée à enregistrer ma déclaration.
Comme elle avait l’âge d’être ma fille j’ai rétorqué : Quand vous aurez des emmerdements, vous ne
viendrez pas vous plaindre accompagné d’un geste de tendresse de la main, qu’elle
a repoussé. Je me suis sentie tout à coup très fatiguée et je suis rentrée en
me couchant à seize heures trente… un record absolu qui en disait long sur le
malaise…
Dans le journal Le Monde, au
bout de huit jours de déferlement médiatique, on entendait enfin Le Grand
Orient de France dire qu’il
s’agissait en fait de la discrimination des femmes… Mais toujours pas de
paroles venues de l’une d’elles. Je me suis apprêtée à envoyer des
remerciements au Grand Maître qui prenait enfin la parole pour défendre les 52%
du Corps Electoral interdit de parole publique… Le Dimanche tout de même
quelques timides citations de la Ministresse des Droits de la Femme, d’Yvette
Roudy ou de Gisèle Halimi. Rien d’Antoinette… qui doit avoir la même position
que moi….
Au Lycée, violente conversation avec mon amie qui déplorait elle aussi
qu’on n’entende pas les femmes dans cette affaire. Je n’ai pas pu m’empêcher de
lui faire remarquer qu’elle n’avait guère combattu pour cela. La cruauté de
cette période, c’est la fracture tous azimuts, l’effondrement social de la
France comme la conséquence de tous les mensonges et démissions.
J’ai été en fait encore plus choquée par la réflexion qu’elle a faite
qu’il ne lui serait pas venu à l’idée
d’aller voir sur le terrain alors que pour moi, cela allait de soi !
Ce qui était choquant là dedans ce n’était pas qu’elle ne veuille pas se
confronter à la rue - car cela je le sais depuis longtemps et peux l’admettre -
c’est qu’elle attendait de moi un récit de témoin oculaire de première main
avec des émotions et des pensées déjà décodées alors qu’elle refusait pour elle
d’acquitter le prix de cette opération essentielle. J’avais l’impression d’être
parasitée.
Situation tragique de l’Arménie, de fait indépendante, en état de
guerre avec les Azéris, dans le désintérêt de Moscou. A la lecture de l’article
du journal Le Monde, on n’apprend
rien qu’on ne sache déjà mais on est bouleversé de voir écrites des expressions
telles que aux confins de l’Europe ou
encore dans les décombres de l’Empire
Soviétique, l’Europe de 1914 commence tout juste à sourdre. C’est bien ce
qu’on ressent quand on tente depuis quelques semaines de rassembler ses
souvenirs concernant le Saint Empire Romain Germanique et l’Empire Austro-Hongrois. Je ne me
trompai donc pas, lorsque je parlai de regroupement ethnique à Victoria au
Canada en 1988. L’idée d’aller en Arménie rembourser Manouchian.
Au Centre de Vacances, on parle la même langue que celle de l’Hôpital.
Elle se limite à des informations techniques plus ou moins pratiques qui par
ailleurs manquent un peu de rigueur. Il y a autant de ratés dans ce code
technique que dans une langue normale qui supporte tout de même des ambiguïtés
et des incohérences. Ainsi la Natation peut tout aussi bien se dire Plouf que Lavage…Pourquoi donc l’ai-je rapidement transformé et homologué en Aquaplouf ? Sans doute pour essayer
de garder quelque chose de la vieille langue et de la logique du sens. Dans la
langue qui se parle ici, il est interdit d’exprimer des idées, des sensations
ou même pire encore des sentiments. Il y a là quelque chose de terriblement
oppressant, qui n’apparaît pas au premier coup d’œil et qu’il m’a quand même
fallu une semaine pour percevoir.
Le costume qui s’impose est le même pour tous : Il s’agit du
fameux jogging qu’on appelait autrefois survêtement mais qui n’est plus une
tenue pour faire du sport (car à la limite, on peut ne pas en faire pourvu
qu’on en reconnaisse la suprématie et ces survêtements sont désormais tous du
même style de couleurs fluo avec des rapiècements savamment élaborés jusqu’à
constitués de véritables œuvres d’Art. On voit même des survêtements qui en
raison de leur beauté et de leur luxe peuvent même être qualifiés de survêtements
du soir aussi paradoxal que cela paraisse.
Ce vêtement à pris la relève du jean, si ce n’est qu’il s’étend
uniformément à toutes les classes d’âge, à toutes les situations et qu’il est
pénitentiaire là où le jean était l’enseigne d’une libération/libéralisation.
En coton mou, uniforme, le survêtement ne peut plus rien exprimer de propre
auquel le corps adhérerait comme un signe qui lui permettait d’exprimer ce
qu’il a en lui et veut dire. Ce vêtement n’en est pas un au sens où il ne peut
plus servir à communiquer, ni à s’extérioriser et encore bien moins à se
singulariser.
Enfermés dans ce costume pénitentiaire sans tenue mais permettant de
faire tous les mouvements, le corps ne peut que s’agglomérer aux autres monades
sur le mode du techno sportif. Il n’a plus d’autres fonctions que cette
agglomération. La sexualité en est impérativement exclue dans la mesure où le
vêtement étant le même pour les hommes et les femmes, il n’y a plus
d’attraction de la différence affichée et revendiquée comme telle. Préparée de
façon homogène, la monade peut s’intégrer n’importe où ! Quel que soit le
lieu, ce costume a tendance à devenir de
rigueur et à abolir la reconnaissance
du lieu comme emplacement affecté à telle ou telle fonction. Le jogging comme
vêtement est l’affirmation de la négation de la fonction du lieu, son
homogénéisation, son abolition.
Enfin à tous moments le corps est en position SPORT, c'est-à-dire
magma technique aggloméré où des moniteurs (et ce ne sont plus les animateurs
de l’époque précédente) diffusent et entraînent à des activités techniques qui
ont de plus en plus tendance à se confondre avec le contrôle médical… Du moins
sur le plan du mime… Ainsi ici, alors que la gymnastique qu’on y fait est
anti-pédagogique - pour ne pas dire nocive - elle est habillée d’une allure
techno médicale. On y parle de déficit musculaire et d’autres choses
aboutissant à un discours quasi incompréhensible, ce qui accroît la terreur,
car ce qui est incompréhensible ce n’est pas la motivation du discours, mais sa
grammaire et son vocabulaire. Il ne s’agit pas d’emploi de mots inconnus qu’on
pourrait intégrer après en avoir appris le sens, mais de mots connus employés
les uns pour les autres.
L’idéologie médicaliste
dépasse même le secteur du Sport pour contaminer tout le reste. Ainsi lors de
la visite d’une confiserie, le groupe parle d’EUCALYPTOL au lieu d’eucalyptus,
le nom traditionnel de la plante médicinale et on entend le Confiseur tenter de
nous faire croire que le glucose qu’il met dans ses bonbons le met sur un pied
d’égalité avec les médecins des hôpitaux qui en mettent dans leurs perfusions.
Le dernier point est bien sûr l’expansion folle de la technique et des
cycles. On note l’apparition des vélos tous terrains VTT qui sont des vélos qui
permettent de descendre à travers les pâturages. La manœuvre consiste alors à
se faire monter les vélos en camions et à descendre ensuite à travers champs,
dans une sorte de ski d’été. On rencontre également des skis à roulettes sur
les routes, sans doute pour ne pas perdre le pli. Les marches et les promenades
ont disparu et sont considérées comme des activités marginales pour handicapées
qu’on essaie d’expédier le plus rapidement possible en kinésithérapie…
Il y a derrière tout ce technicisme totalitaire une entreprise marchande
mais ce qui est pire encore c’est la négation de l’autonomie du corps qui est à
l’œuvre. Il n’est plus que le moyen d’assimilation au Grand Réseau après avoir
été fragmenté et qu’on ait pu un récupérer les éléments utiles. Ce que confirme
une affiche sous le porche de l’église de la Bresse et en faveur du don
d’organes Si tu pars, laisse moi les
clés !...
Pendant les vacances de Toussaint un Appel à résister à l’entrée du voile islamique à l’école a été signé par Régis Debray,
Alain Finkielkraut, Elisabeth Badinter et deux autres inconnus de moi. Je suis
prête à leur emboîter le pas tellement cette idée me fait horreur. Je me dis
aussi que la Bourgeoisie Nationale s’oppose là à la Bourgeoisie Compradore qui
elle n’en est pas gênée. Ces catégories traditionnelles des pays sous
développés me semblent désormais convenir pour nous même.
Le premier effet pratique de cette affaire
dite des voiles, c’est le classement que j’entreprends et la mise en ordre
de dix ans de notes et d’écrits sur l’Enseignement, comme une urgence absolue.
Alors que ce monceau magmatique d’écrits ne me dérangeait guère auparavant, il
m’est devenu tout à coup insupportable, sans doute de s’avérer brutalement
complètement périmé. Il est à noter que c’est souvent ainsi que se passe la
mise en forme, lorsque l’ordre s’impose en proportion du fait que le problème
en question est dépassé.
Effondrement des appareils politiques dans les pays de l’Est à une
vitesse insoupçonnable auparavant. Les Allemands de l’Est passent à l’Ouest à
une cadence de dix mille par jour. Le Bureau Politique du Parti Communiste
envisage de démissionner et le Gouvernement l’a déjà fait. Une réunification
sauvage des deux Allemagnes ne parait plus impossible même dans les jours qui
viennent. On imagine possible l’unification de la Grande Europe y compris même
avec la Russie. Et cela m’émeut, tant la littérature russe a compté pour moi.
Scène de genre sur le Boulevard que goudronnent quatre ouvriers.
Les bras ballants, un Blanc regarde faire un Arabe à genoux qui tartine le sol
avec son outil, et les deux Noirs qui font le va et vient entre le chantier et
le camion avec leurs seaux fumants.
Cette nuit même, ouverture du Mur de Berlin. A la Télévision de très
mauvaises images tournées dans l’obscurité. On voit les gens debout sur le mur
mais on entend surtout les clameurs qui ne sont ni les you-you guerriers, ni
les élancements chiites, ni les cris de la fête. Quelque chose d’inconnu que je
ne percevais ni comme dangereux, ni comme mien.
Fatigue énorme due sans doute au fait que l’Europe entière se soulève
dans un mouvement de liberté et de changement et que la France reste à l’écart
de tout cela, de plus en plus sclérosée. On se prend à espérer que la Révolution
aussi nous atteigne – le mot a été prononcé ce matin à la radio – reléguant
toutes ces années écoulées sous le vocable générique de Galère. L’espoir aussi que cette Pérestroïka permettra de résoudre les problèmes accumulés ces
dernières années. La sensation qu’il s’agit de tenir ce qu’on appelle
traditionnellement le dernier quart
d’heure. Nous fêtons l’Evénement en
achetant un gâteau Forêt Noire hautement symbolique. Et le
slogan soixante-huitard Nous sommes tous
des Juifs Allemands prend dans ce contexte un étrange relief.
Au cours de Gymnastique du quartier où j’ai mes habitudes, j’ai mis
pour des raisons pratiques de confort un pantalon bouffant. Durant tous les
cours les mémés n’ont cessé de demander sur tous les tons, si on pouvait amener
son tchador ? Et ceci alors même qu’on observe au fil des années et mêmes
des mois, un recouvrement de survêtements, chaussons et chaussettes etc… et
qu’on sent bien qu’on n’est même pas à l’abri des passe-montagnes !...
Lors de la même séance, deux Bourgeoises évoquant l’Affaire des Voiles de Creil disent Cette histoire de tchador, j’en ai vraiment
rien à foutre. Tout cela, c’est bien des histoires de l’Ecole Publique.
Comme quoi, cette dimension essentielle de l’Affaire
m’avait complètement échappée. La réalité est bien en effet que ces gens là
n’ont pas l’usage ni l’utilité de cette Ecole là… Leurs enfants vont dans des
écoles dans lesquelles ils ne risquent pas d’en rencontrer… Cette évidence
m’avait pourtant échappée et j’en suis doublement humiliée. Finalement leur
appel à la tolérance, c’est le sermon qu’on fait aux domestiques pour qu’ils
arrêtent de se bagarrer dans les Communs. Il arrive de nouveaux serviteurs, il
faut leur faire de la place, c’est tout… Et sans histoires !... Pauvres
cloches que nous fûmes d’avoir cru un moment que nous étions chez
nous !...
Aux alentours de la Place de l’Etoile, des autocars et des touristes
allemands qui viennent fêter… on n’ose pas dire la victoire ou la défaite ou
tout simplement la fin de la Guerre !
Le lendemain de l’ouverture du Mur qui servait de frontière,
l’expression qui surgit est celle de La
fin de la punition européenne qui traduit la longue douleur qu’on s’interdisait de ressentir.
Ce soulagement, c’est donc LA PAIX après quarante cinq ans passés dans la
précarité d’un simple armistice sans traité. En mon for intérieur, la sensation
que c’est là que se clôture le nazisme avec tout ce que cela signifie
d’émancipation personnelle hors de mon enfance toute entière centrée sur cette
horreur.
Le premier soulagement de l’ouverture du Mur, c’est cela LA GUERRE EST
FINIE ! Du même coup, on mesure qu’elle ne l’était pas… Terreur
rétroactive, douleur et enfin soulagement. Les gens ont attaqué hier le Mur
pour en commencer la démolition, mais la Police de Berlin Ouest est intervenue
pour rétablir l’ordre à l’Est !... Comme quoi !... Pourtant sous la
poussée croissante des Berlinois de l’Est qui veulent absolument passer, ils
ont pratiqué une seconde porte assez large, les six ou sept points qu’on devait
ouvrir d’ici mardi étant insuffisants…
Bref depuis huit jours, les mesures de libéralisation croissante chaque
jour annoncées plus fortes que la veille, sont obsolètes avant même d’avoir été
mises en application !... Nous sommes entrés dans un processus qui s’auto
accélère et s’emballe. Le flot veut passer, c’est tout ! On est donc
obligé d’ouvrir les brèches comme lors d’une inondation qui emporte les
barrages. On se réjouit de voir cela et je regrette que Bernard Briquet et
Mylène Dubois, mes amis et compagnons de combat - parce qu’ils se sont tués -
ne le voient pas.
De ci de là, on entend des gens s’inquiéter. D’autres dans le style
comique, comme Cohn-Bendit proposant puisqu’il n’y a pas assez de place pour
les réfugiés, passés à l’Ouest, de les loger dans les casernes d’Alsace
Lorraine. Le speaker s’est dépêché de le faire taire comme s’il s’agissait
d’une grossièreté.
Scène hautement symbolique : Dans la brèche du Mur nouvellement ouverte
les Policiers de l’Est et de l’Ouest se serrent la main, ainsi que les deux
bourgmestres. Reconnaissance symbolique, on ne peut plus symbolique, au sens
étymologique de deux moitiés s’emboîtant parfaitement… Pas besoin de
Réunification de l’Allemagne, elle apparaît même désuète tant elle est déjà en
train de se faire économiquement. Pas besoin de réunification politique, on a
déjà entrepris de rouvrir les stations de métro qui étaient fermées pendant la Guerre Froide, et de prolonger à l’Est, les lignes d’autobus de l’Ouest.
Cela me rappelle qu’il m’est arrivé d’expliquer mi figue, mi raisin aux Elèves
que si les Français n’étaient pas capables de faire fonctionner leurs
transports en commun, les Allemands s’en chargeraient. Je ne croyais pas si
bien dire.
Quant au taux de change du Mark de l’Ouest contre celui de l’Est, il a
lieu à un contre dix… Contre la réalité, on ne peut pas grand-chose et c’est ma
joie !...
Commencement d’agitation au Lycée, dans le style d’une fourmilière
dérangée. Brouhaha et va et vient affolés. Des conversations individuelles qui
parlent vraies parviennent à s’engager avec Nicole. Quand à Marie-Thérèse, ce
que les Evènements de Berlin lui inspirent, c’est Qu’est-ce que la Liberté ? Les deux reprochent surtout aux Allemands
de l’Est d’avoir été à l’Ouest voir les prostituées et chercher de la drogue…
J’en tombe raide, et me mets du coup à défendre les libertés bourgeoises mêmes
dépravées contre cet assaut de puritanisme inquiétant. Non que je sois
partisane de la prostitution et de la drogue mais ce n’est vraiment pas le
problème dans cette Révolution Européenne en train de se faire…
En cherchant dans le Littré le sens du mot Allemand, fidèle à ma méthode d’investigation par l’étymologie,
j’ai découvert que ce vocable signifiait Mêlement
ensemble d’hommes venus de divers endroits. Comme quoi le slogan
soixante-huitard Nous sommes tous des
Juifs Allemands n’était pas si faux, ni dans le même esprit ce titre d’un
article du journal Le Monde
Nous sommes tous des Allemands.
A la limite au sens strict
sémantique, l’Europe en voie d’intégration est une Europe allemande et
l’Allemagne a vocation pour le faire. J’y apprends
aussi avec étonnement, l’existence du terme allemanderie
qui signifie un atelier où l’on forge l’acier pour le calibrer….
Dans les toilettes de la Salle des Professeurs, deux agentes
d’entretien antillaises discutent entre elles, en créole.
De nouveau, le deuil panique,
cette sensation nouvelle non identifiée et nommée de ce curieux vocable,
lui-même non élucidé mais qui recouvre la pulsion de fuite parce qu’on a le
sentiment que tout est complètement défait et qu’on n’y peut plus rien. Le fait
est que de jour en jour, entre une hiérarchie qui nous pressure tous les jours
davantage et la pression des Elèves pour installer un régime fœtal dans lequel
ils n’ont plus aucun effort à fournir, notre marge de manœuvre diminue
drastiquement.
Quant aux nouveaux programmes de Brevet de Technicien Supérieur, ils
sont inapplicables et cela génère une angoisse de mort… Ce n’est pas que je ne
sois pas capable de traiter les programmes proposés, c’est que c’est impossible
avec les Elèves qui sont les nôtres et dans le contingent d’horaires attribué.
Il prend donc des envies de démissionner alors qu’on est compétent, parce qu’on
nous demande des choses impossibles à réaliser tellement règne le mensonge du Grand Leurre. Est-ce de là que vient ce deuil panique ?
Scène de violence à la Cantine du Lycée. Me croyant à tort ou à raison
victime d’une provocation du Lobby Techniciste qui sans me demander mon avis,
me balance une tranche de pâtée dans mon assiette, laquelle tombe à côté et
provoquant son hilarité et sa désinvolture, je réagis par une punition double,
en exerçant contre l’un des types une violence inconnue dont je ne me serais
jamais cru capable, servant l’un d’eux volontairement à côté de son assiette.
Ce qui n’est assurément pas convenable mais comment le rester lorsqu’on fait la
guerre à la Voyoucratie ? Ce qui m’a traumatisé dans l’engagement de cette
bagarre physique, c’est qu’elle ait eu lieu au sein de ce que Lionel Jospin
appelle joliment L’équipe
pédagogique ! Ce n’est pourtant pas la première fois… Déjà lors des
Commissions d’Admission en BTS, il y avait eu des voies de fait contre moi.
C’est aussi la nécessité d’un certain courage pour faire la guerre car on
s’expose soi même à la violence et à ces conséquences parfois terribles …
Réunion d’une vingtaine de Professeurs sur cinquante. Contre toute
attente, c’est un succès… Qui s’explique rationnellement parce qu’elle a lieu à
la place des cours. Elle a pour objet de répondre au questionnaire du Ministre
au sujet de la grande concertation
nationale afin de préparer la nième inapplicable Réforme de l’Enseignement.
Comme il n’y avait pas assez d’imprimés pour tout le monde, la Directrice a
proposé des regroupements par matières, dans les divers secteurs de
l’Etablissement. J’ai proposé qu’on se réunisse tous ensemble dans la Salle des
Professeurs en insistant sur le caractère symbolique, et ceci dans le cadre de
ma lutte pour maintenir les lieux reliés à la fonction.
Le Censeur fort mécontente qu’on n’ait pas suivi les ordres de la
Directrice, tente en vain de nous faire obéir, mais nous résistons et cela
permet de rouvrir entre nous une vraie communication qui n’a plus lieu du tout - depuis deux ou trois ans – ainsi que de
reconstituer un semblant de Corps Enseignant car cette fois l’étonnant est que
personne n’ait menti.
Les gens parlent de la situation telle qu’elle est et le lobby
techniciste est isolé et désapprouvé par l’ensemble de ceux qui sont là et
considèrent globalement - selon leur expression - qu’on se fout de nous ! C’est quand même la première fois qu’ils
font aussi loin dans la contestation de ce que nous subissons. J’ai de mon
côté été réconfortée de voir que j’étais moins seule que je le pensais, même si
j’en avais déjà l’intuition n’ayant jamais cessé d’encourager les partisans du
Service Public.
Quant au Lobby Techniciste, très satisfait d’eux-mêmes ils nous ont
expliqué qu’il fallait prendre modèle sur l’efficacité de la Télévision et
qu’on pouvait parfaitement apprendre le Français à partir de la Comptabilité et
de l’Informatique… Ils nous ont affirmé également que c’étaient les Experts
Comptables qui avaient organisé le nouveau BTS, en tentant de nous faire croire
que c’était une garantie de professionnalisme. En fait eux-mêmes ont l’air
d’être prisonniers d’un mythe.
Concernant la Révolution Européenne, Madame Simone Veil se déclare
enthousiaste Nous sommes le centre du
monde. Elle dénonce également les pisse-froids qui ne veulent pas sauter
sur l’occasion pour accélérer la Construction
Européenne.
Conversation avec mon ancienne partenaire de théâtre sur l’à-plat qui s’est désormais instauré
dans les classes, détruisant le postulat pédagogique et rendant - techniquement
parlant - impossible le fonctionnement même de l’enseignement, qui repose sur
la double immunité créant un espace sacré dans lequel il peut avoir lieu. Celle
du professeur d’être crû sur parole, sa compétence ne pouvant pas être mis en
doute - même s’il est chahuté - et celle de l’élève d’être garanti de toute
blessure ou humiliation, car ce n’est pas à la personne totale de l’Elève que
l’Enseignant s’adresse mais à une personne partielle. Ainsi même le Vous êtes nul professoral, en réalité ne
met il pas en cause l’Elève lui-même dans sa personne humaine, mais seulement
la compétence concernant la matière enseignée..
Désormais cette immunité est cassée car désacralisé le Professeur ne
peut plus de son côté, la conférer. Les critiques qu’il fait, blessent et tuent
entraînant alors les deux protagonistes dans une spirale d’agressivité et de
rejet qui petit à petit paralyse tout. Ce que le droit d’asile ou d’hospitalité
étaient autrefois à la sécurité individuelle, le privilège pédagogique - on
peut l’appeler ainsi - l’est à l’esprit. Lui disparu, règnent l’insécurité et
l’arbitraire de l’Instruction. Ce qui va d’ailleurs avec la barbarie montante
de cette Voyoucratie qu’on ne peut plus considérée comme étant notre Collègue.
C’est contre elle et ce qu’ils font de l’Ecole que la guerre est engagée.
Au Journal Télévisé projections de clips fabriqués sur les Evénements
d’Allemagne. Ils tiennent la route.
Certaines absences des Collègues STE n’étant pas remplacées, je propose
au Censeur d’utiliser les heures vacantes pour l’innovation pédagogique, à
condition qu’on m’y laisse une liberté totale dans le cadre de ce que j’appelle
le soutien et la restructuration. Elle me demande de faire un rapport mais je
lui réponds que j’en ai passé l’âge, que mes états de service m’en dispensent
et que de toute façon les dits rapports vont à la poubelle nos supérieurs
hiérarchiques se moquant complètement de la Pédagogie. J’ajoute que je ne suis
pas disposée à faire du travail supplémentaire pour faire tourner à vide la
machine de l’Education Nationale et qu’elle peut bien - comme cela est prévu -
embaucher des mères de trois enfants sans diplôme mais que par contre je suis
prête à m’investir pour débloquer la situation. Je suis stupéfaite de ma
violence et de mon culot. Je l’attribue à la récente conversation avec mon
ancienne partenaire de théâtre.
Nous avons également évoqué avec celle-ci notre ancien Proviseur du
Lycée Honoré de Balzac, Monsieur Bouchara à qui nous faisions - lorsque nous
nous rencontrâmes dans son Etablissement - la guerre politico pédagogique, sans
cesser pour autant le moins du monde de le respecter et sans jamais mettre en
cause le sacré de son autorité quasiment militaire. Finalement je crois que
j’en veux beaucoup aujourd’hui à l’Administration et aux Inspectrices d’être de
pareils pantins. Ils ont toujours leur existence légale mais sans aucune
crédibilité et sont délégitimés. Nous sommes ainsi comme des samouraïs errants
honteux de leurs daïmios. Des soldats sans cause à défendre. Je comprends
maintenant ce qui a pu arriver en Algérie Française. Est-ce le ressort des
coups d’Etat dans la société française et le secret de cette semi-démocratie ?
Une société féodale militaire qui ne peut fonctionner que sur ce modèle
et qui donc est obligée chaque fois qu’elle est en crise, d’avoir recours à une
dictature militaire ? Il y a déjà quelques temps que j’ai compris comment
la société française est toute entière organisée autour de sa colonne
vertébrale Etatique/Administrative/Militaire/Féodale faite de liens personnels
comme le sont les féodalités et c’est la dégénérescence du système qui donne
actuellement bureaucratie et prébendes.
Je rêve de parvenir à écrire ce livre de Sciences Sociales : La société française expliquée aux
Américains ou Heureux comme Dieu en
France. En attendant, je me demande si la Perestroïka va parvenir
jusqu’ici. Je m’y emploie. J’ai même enjoins à mes Collègues Perestroïkons ! et
trouvé beaucoup de bonheur au verbe qui permet les formes suivantes Qu’ils pérestroïkent ou bien soutiennent l’espérance d’un résolu : Je perestroïkerai.
Magie de la grammaire, la porte du rêve, de la puissance et de la subversion…
A la Cantine du Lycée, je faisais mon agit-prop culturelle habituelle
sur le thème de l’autarcie mentale de la France, quand AMM m’exprima son
profond désaccord croyait elle d’un Mais
non voyons, la culture française est universelle ! Fermez le
ban !
Chez Darty où j’allais pour remplacer notre cafetière électrique très
dégradée, il y avait trente cinq modèles tous plus laids les uns que les
autres. Très mal à l’aise de cette prolifération, je me suis sauvée…
Cette Chronique commence à décrocher car la violence quotidienne
augmente à un point tel qu’il n’est plus possible de l’y relater. Il y faut une
médiation pour laquelle la littérature traditionnelle ne fonctionne pas parce
qu’elle refoule. Comme je me demandais d’où venait cette impossibilité, il
m’est apparût que c’était parce que les scènes ne pouvaient être rendues que
par le Cinématographe, les regards, les gestes et les mouvements y étant
essentiels. Quant à mon ancienne partenaire de théâtre, elle me dit que c’est
ma familiarité avec le monde des symboles qui me permet de décoder et de relier
toutes ces choses qui se passent mais qu’elles ne peuvent pas être transmises à
autrui par des canaux qui ne les utilisent pas.
Le décrochage a commencé lundi dernier comme je ne pouvais regarder en
face ma violence répondant à celle que me faisait subir le Lobby Comptable.
L’entrée en guerre physique - parce que c’était cela - ou la domination et la
mort. Cette brutalité elle-même précédée la semaine d’avant d’un de mes
scandales habituels, cette fois dans un autobus avec l’impression tout de même
cette fois d’avoir passé la mesure et le sentiment nouveau d’en souffrir
moi-même.
Avec dix jours de recul, je mets cela en relation avec les Evénements
de Berlin, ce qui ne m’apparaissait pourtant pas lorsque cela s’est produit.
Sans doute l’espérance de la Pérestroïka
donne t-elle des forces militaires inattendues sur le thème que le rapport des
forces pouvait changer et donc qu’il n’était pas déraisonnable d’engager le
combat comme cela l’était encore dans la période précédente où on était
quelquefois obligé de fuir pour des raisons stratégiques. Cette violence
guerrière n’entrait donc pas dans le cadre de cette Chronique
Mardi : Scène tragique au Jardin du Luxembourg. D’abord la
remarquable conversation que j’ai eu avec un berbère avant qu’il me demande de
nous enfuir ensemble parce qu’une bande de punks était venue s’asseoir à côté
de nous et nous regardait avec des yeux allumés comme des enfants malfaisants
se réjouissent de découvrir dans les herbes, l’insecte auquel ils vont arracher
les pattes. Et mon propre soulagement de cette fuite…
Mercredi : Une idiote nous répercute la propagande télévisuelle en
nous expliquant que les Evénements de Berlin confirment la supériorité de notre
idéologie. Je m’énerve de mon côté en lui rappelant pathétiquement toute la
mort que le capitalisme a déversé sur l’Amérique et l’Afrique…
Jeudi : La scène dans ma classe de Terminale Comptable où quatre
ou cinq garçons ont chahuté Yasmina en la traitant de MLF et même l’un d’eux en
proférant gestuellement des menaces de mort d’une main tranchant la gorge… J’ai
donc dû l’expulser et les tremblements que cet évènement a causé en moi tout le
jour et le lendemain étaient encore plus tristes car l’élève renvoyé était noir
ainsi que sans doute le menaçant et la menacée tous les deux musulmans. Ce
drame est il à remettre dans le contexte de l’Affaire
des voiles ?
Le même matin, Madame Ponsart Professeur de Comptabilité a
tranquillement déclaré sans plaisanter qu’On
ne tue pas les malades assez vite dans les Hôpitaux ! Et moi je lui ai
répondu d’abord que Je savais bien qu’on n’avait rien de commun mais que maintenant je savais pourquoi et je lui ai demandé ensuite
froidement Si elle avait de la
famille en Allemagne? Cette façon de faire est sans doute ce que d’aucuns
appelle mon élitisme. Pourtant j’ai
eu l’impression (peut-être totalement fausse) qu’elle me comprenait…
En Deuxième Année de Brevet Supérieur Comptable les Elèves protestent
que je dois parler français parce que j’ai employé un Warum pour une question concernant les problèmes allemands, comme
je le fais aussi habituellement en questionnant d’un Why lorsqu’il s’agit de la mondialisation. Ceci pour tenter de
la leur rendre plus sensible… J’ai dû exclure un bavard impénitent en lui
disant pour la première fois de ma carrière que puisqu’il n’y avait pas de
sanction de l’absentéisme il n’avait qu’à rester chez lui. Ce qui est bien
évidemment la négation même de l’Enseignement…
Vendredi : Au cours de Gymnastique, scènes de chasse autour du
Professeur. La semaine dernière, c’était ma fête à moi et pour la même raison.
Une vitalité de corps féminin que ces femmes mutilées et momifiées à trente ans
ne peuvent supporter. Cela sent tellement le sang dans ce cours qu’on en est
terrifié !...
Vendredi soir au Restaurant l’Orestias
à Saint Germain des Prés, la serveuse porte un badge sur lequel on lit Mets ta capote mon pote, t’auras la
cote ! Quant à la conversation engagée à la demande d’un voisin
portugais sur l’avenir de l’Europe, elle fait apparaître qu’il s’inquiète des
problèmes démographiques de la France. Je lui réponds qu’on va importer des
Arabes et que la France étant le pays le plus arriéré d’Europe en ce qui
concerne le statut de la femme, on est les seuls capables de les intégrer,
tellement le statut de la femme française en est déjà proche. C’est ce que
toute cette histoire de voiles a montré…
Samedi à l’émission Répliques sur
France Culture je suis choquée d’entendre les termes élite et masse complètement
entrés dans le discours, alors que je suis habituellement d’accord avec ce que
dit l’animateur Alain Finkelkraut. Lundi dernier, mes Collègues les employaient
déjà au Lycée et choquée en dépit de la convivialité, je le leur avais fait
remarquer…
Dans un restaurant aux Halles, des logos d’infirmerie (croix) sur la
porte des toilettes. Cela aura-t-il lieu bientôt sous contrôle médical ?
On me dit que c’est déjà le cas au Japon.
A l’Est, déjà Cinq morts, sans compter les suicides de Communistes en
RDA.
Je suis très frappée de réaliser que l’effondrement de la digue
entraînant l’inondation, est le thème central de mon livre Le Corps défunt
de la Comédie. Et plus troublée encore d’y découvrir que cela se termine en
guerre. Cet aspect m’avait jusque là échappé.
Samedi encore au Carrefour de l’Odéon un homme étendu sur le trottoir
dans son urine ruisselante le pénis à l’air, en train de se masturber…
Conversation sur le statut des femmes avec mon ancienne partenaire de
théâtre. On finit par se dire qu’on ne souhaite pas l’intégration des
Musulmans, justement à cause du statut des femmes et comme on constate qu’on
est alors objectivement les alliées des racistes, on ne peut que le reconnaître
et le déplorer. Mais que faire ?... Tout cela n’a pas plus été résolu que
bien d’autres problèmes socio-bionomiques et le vocable qui
aujourd’hui recouvre tout, c’est TROP TARD. Il est trop tard aussi bien dans
nos vies professionnelles que dans nos vies domestiques acculées à des
radicalités croissantes. Nous n’en avons plus rien à faire des solutions
négociées de la part de ceux qui sont nos antagonistes. Nous avons également le
sentiment que la Révolution est commencée.
La Tchécoslovaquie en insurrection. Je suis bouleversée de cette
clameur qu’on entend dans tout l’Est du Continent et ne supporte plus d’en être
à l’écart. Je suis rentrée exténuée après une journée dont on pouvait penser
qu’elle ne s’était pas si mal passée puisque depuis huit jours, un léger vent
de détente souffle au sein du Corps Enseignant, à l’exception du Lobby
Comptable évidemment. Je me suis endormie comme une masse exténuée à dix-neuf
heures. Après dix heures de sommeil, ce matin l’idée m’est venue que si j’étais
bouleversée à ce point par ce soulèvement populaire et transnational à l’Est,
c’était parce que nous-mêmes Femmes nous étions dans la situation des non
citoyens de cette Europe là. Comme eux nous n’avons de fait ni liberté de
circulation ni d’expression, ce que j’explique par ailleurs autour du thème de L’Us de Cité !
Il n’y a que ma classe de Terminale qui fonctionne correctement, c’est
à dire dans laquelle on peut faire la classe,
comme on le faisait autrefois partout. Et encore… Comme je leur expliquai
qu’on pouvait peut être par priorité s’intéresser aux exclus et augmenter les
salaires des plus pauvres en acceptant le tassement de la hiérarchie ils se
sont moqués de moi, comme si je tenais des propos absurdes et en effet, ils ne
les comprenaient pas. Il semblerait alors que toute humanité au sens où on
l’entendait autrefois ait disparu, tant comme bonté vis-à-vis de son semblable
que comme Corps socialement organisé.
L’idée n’en est même plus comprise.
Manifestation ininterrompue depuis quatre jours à Prague. Un Mai 68 d’automne.
Les manifestants agitant leurs clefs. Autour de moi les gens ont peur de la
Réunification de l’Allemagne, ce qui n’est pas mon cas car je pense que nous
même allons l’être. J’envoie à la ronde quelques cartes postales sur ce thème.
A la limite on ne peut avoir peur de soi même et La Mittle Europa n’a cessé depuis un siècle ou
deux de changer de configuration. L’impression que notre vaisseau hexagonal va
s’arrimer bientôt à cette vaste station européenne….
Curieuse conversation dans la Salle des Professeurs. Je pousse les
idées féministes sur le thème Ce sont les
mêmes changements techniques qui causent la Révolution Européenne et
l’émancipation des femmes. Et comme on m’interroge, je poursuis en disant C’est peut être aussi qu’elles en avaient
marre de se faire castagner. Contre toute attente plusieurs Collègues
femmes m’approuvent d’autant plus qu’il y a eu une émission à la Télévision sur
ce thème et disent Je suis sûre qu’il y
en a parmi nos élèves dont les Parents se battent et moi j’ajoute Et sans doute aussi parmi les Collègues.
Madame Ponsart reprend Oui les
statistiques disent que c’est dans tous les milieux sociaux ce que je confirme en rigolant : Le jour où les Collègues diront dans la Salle des Professeurs qu’elles
sont battues… ce sera bien la Révolution…
Je me demande si cela ne l’est pas déjà, étant donné que c’est la
conversation la plus avancée que je n’ai jamais entendue entre les Collègues
concernant la question des femmes. Je crois comprendre qu’une sorte
de féminisme est en train de survenir chez Elles non pas pour des raisons
idéologiques ou idéales mais pour des raisons techniques, sans que je sache
trop ce que cela recouvre. Comme un Collègue masculin s’intéresse sérieusement
à la conversation et que je lui dis que les Droits des Femmes ne recouvrent pas
les Droits de l’Homme, je les lui formalise déjà comme celui de ne pas être
violée et de pouvoir élever ses enfants, ce qui est notre souci principal. Ma
modération le convainc.
Ce qui m’apparaît dans cette Révolution Européenne, c’est à quel point
le marxisme le plus trivial est opérationnel. Dans le même ordre d’idée, la Révolution Mondiale de Trotski était la formulation dans les termes anciens de
ce qui se passe aujourd’hui. Autrement dit le marxisme a-t-il été l’intuition
de cette Révolution Cybernétique en train d’advenir ? Ont-ils dit avec les
termes de l’époque ce qui survient aujourd’hui et que nous n’avons pas encore
de mot pour dire ? C’est sans doute le plus grand étonnement de ma
vie !
On comprendrait mieux alors pourquoi toutes ces mémères sont en train
de devenir féministes alors même qu’elles ne le sont pas. La redistribution de
ce que j’appelle les nomes et la grande manne distributive risque bien de les laisser sur le carreau ! La revendication
qui semble émerger ces temps-ci c’est qu’on leur paie leurs services !
C’est l’équivalent du mouvement des REAL WOMEN des Etats-Unis.
En termes de luttes de classes
bionomiques - comme cela semble en
prendre l’allure - cela se comprend parfaitement. Facteur de production de la
matière vivante dans un statut actuel de travail gratuit, on comprend qu’elles
cherchent à obtenir rémunération de leur production. Là où je m’insurge
finalement contre l’idéologie de la marchandisation générale de la matière
vivante à laquelle elles, elles adhèrent. Encore des malentendus en
perspective… Mon texte la La Newcité a comme ambition de donner des
grilles pour penser tout cela.
Vaclav Havel et Dubcek sabrant le champagne sur la Place Wenceslas de Prague !
C’est notre récompense ainsi que la chute du Gouvernement qui les avait
maltraités et exclus en 1968. Dans tous les Pays de l’Est, ceux qui il y a
quelques mois encore étaient en prison ou en exil, sont désormais aux marches
du Pouvoir. D’où le proverbe que j’avais inventé l’an dernier Un an à Gorki, un an à la Douma pour
exprimer à propos de Sakharov cette instabilité historique des destins
politiques. Ce que j’avais également exprimé en retournant la formule Le Capitole est près de la Roche Tarpéienne.
Exaltante période qui nous soulève et nous emporte !...
Au Lycée la nouveauté est désormais que les attitudes autoritaires qui
permettaient autrefois de restructurer la classe pour réunir les conditions de
l’Enseignement, ne fonctionnent plus du tout. Comme si on tentait de visser des
boulons alors que le pas de vis n’est plus le même. On est épuisé à la longue
par un travail à la chaîne dans des conditions pareilles.
Comme j’attirais l’attention des Elèves sur les conséquences de
l’aggravation du chômage prévisibles étant donnée la décompétitivité de la France et que je leur demandais ce qu’ils
allaient faire… il y en a un qui m’a froidement répondu Mais on prendra votre place ! Pas même estomaquée d’une
attitude désormais généralisée, je lui réponds Mais vous n’êtes pas capable de faire ce que je fais !
C’est là qu’une blonde qui passe son temps à bavarder retournée vers le
rang de derrière, m’attaque tête baissée en se trompant de plan A vous entendre il n’y a que vous qui êtes
bien, nous on est nul etc. Ils s’attaquent à ma fonction et non à ma
pratique. Cela a été rendu possible par la désinstitutionnalisation
réalisée et on est toujours à deux doigts de basculer dans le psychodrame…
C’est l’ambiance Jeu de la vérité mis
à l’honneur par le film de Marcel Carné Les
Tricheurs en 1958 et à la mode à cette époque là…
La désagréable jeune personne vient encore
m’entreprendre après le cours et je suis obligée de m’en débarrasser violemment
comme je le fais désormais de plus en plus souvent. Le retournement de la
situation pourrait bien s’exprimer ainsi : Autrefois on était content que
les Elèves viennent nous voir après le cours et on leur donnait le meilleur de
nous même. Maintenant on est obligé de s’en défendre….et de les tenir à
distance. Cela achève de faire naufrager la classe, même dans le meilleur des
cas comme dans celle là où eux et moi faisons le maximum pour éviter la
rupture.
Dans cette Classe se sont néanmoins les corps qui donnent l’alerte.
Ainsi l’Elève installé agressivement avec sa table au milieu de l’allée. C’est
leur corps à l’affût du mien que je ne supporte pas, cette impression d’être
une proie qu’ils sont contrariés de ne pas savoir comment saisir parce qu’elle
est manifestement plus coriace que ce qu’ils pensaient. Le seul point positif
de cette classe est de constater que le trublion que j’avais expulsé en lui
demandant de rester définitivement chez lui pour la première fois en vingt deux
ans de carrière, était cette fois installé au premier rang et ne perdait pas un
mot de ce que je racontais. Mieux, il répondait fort justement à mes questions.
En Terminale Comptable, la conversation s’est établie sur la question
des immigrés. Majoritairement, ces
enfants de la dite Deuxième Génération quand ils ne sont pas
eux-mêmes des immigrants croient tous de bonne foi que les Noirs et les Arabes
ont toujours été en France. Quelle n’est pas leur surprise lorsque je leur
explique qu’on a été les chercher dans les années Soixante… Ils n’en reviennent
pas ! Quant à l’arrivée contemporaine des Tamouls et des Turcs, c’est à la
limite de l’incrédulité. Je constate une fois de plus la déperdition d’Histoire
dont ils sont comme tous mes Elèves, victimes mais qu’elle s’applique de
surcroît à eux-mêmes à ce point là, a quelque chose d’hallucinant. On retrouve
d’une autre façon le syndrome antillais…
Dans ce contexte, si je me réjouis qu’on me pose des questions sur la
langue, j’en suis un peu incommodée, et d’autant plus que mes autres Collègues
ne disent pas les mêmes choses que moi. Mon Collègue NB leur interdit notamment
l’usage du terme Octantes, d’un Vous êtes Belge méprisant qui m’oblige à
faire un cours sur le libéralisme appliqué à la langue et la transnationalité des Français
pluriels. Tout cela tout en admettant
la parfaite validité de l’attitude de ce Collègue qui issu d’une famille
d’immigrants italiens, leur conseille par mesure d’intégration de se cantonner
à l’usage du Dictionnaire. Par bonheur à la faveur d’une mise en scène je leur
montre qu’Octantes est bien dans le Dictionnaire au sens de Quatre-Vingt. Du
coup nos communs Elèves décident de lui rentrer
dans le chou...
A la Cantine les Collègues m’écoutent un peu plus, non pas dans le sens
d’adhérer à mes valeurs morales mais parce que leurs rêves d’arrivisme sont bel
et bien terminés et qu’ils constatent par eux-mêmes que ce que je dis est vrai.
La Crise les atteint tellement qu’ils perdent pied. Confirmation du marxisme
trivial en ce qui concerne le processus de la prise de conscience… D’autant
plus que les femmes plus jeunes que moi se trouvent dans la situation de
cumuler La Crise et la nécessité d’élever leurs enfants dans ce contexte là…
Nuit du 9 au 10 Novembre : Ouverture libre de Charly Point.
Le 11 : Ouverture d’une deuxième porte, la première n’étant pas
assez large. Les gens ayant entrepris de démolir le Mur, la Police de l’Ouest
intervient à l’Est pour les en empêcher.
Le 12 : Réunion symbolique entre les Policiers de l’Est et de
l’Ouest et même chose entre les bourgmestres qui se serrent la main.
Le 15 Nov : Il y a vingt deux points de passage dans le Mur. Les
caméras de Télévision installées devant la porte de Brandebourg en attendant
l’ouverture. Un journaliste français relié à des câbles, escalade le Mur sur
une échelle en direct, après avoir interviewé les Vopos.
Le 16 Nov : Volkswagen a mis sur pied vingt quatre heures sur
vingt quatre, un réseau de dépannage des Trabans (voitures Est Allemandes) qui
tombent souvent en panne.
Le 18/11 : Trente cinq points de passage à Berlin et quatre vingt
au total entre les deux Allemagnes. Le change monétaire a lieu vingt marks de
l’Est contre un de l’Ouest. La vente de fragments du Mur a commencé aux
Etats-Unis.
Le 19 Nov : Deuxième week-end de ceux de l’Est à l’Ouest. Ils
n’ont plus droit à la subvention du week-end précédent. Ils vendent à l’Ouest
les denrées subventionnées ou moins chers que celles de l’Ouest. C’est au sens
strict l’Etablissement du Marché
et non comme le dit à tort la Télévision, le Marché Noir. Première
manifestation commune à l’Ouest et à l’Est. Elle a lieu à l’Est à l’initiative
des Verts de l’Ouest. Ceux là même qui dans la semaine, ont fait campagne
contre les Trabans trop polluantes….
Je suis du parti de Vaclav Havel ! C’est ce que j’ai crié à la déléguée du SNES
qui prétendait qu’il fallait être syndiqué pour avoir le droit de donner son
avis sur nos problèmes professionnels. S’en est suivi une de mes colères noires
qui sont de plus en plus fréquentes, au point d’en être moi-même, incommodée.
Le paysage social et mental a complètement changé. Les Octantes sont belles et
bien terminées, la corruption a achevé son œuvre. Le pays est décomposé, notre
groupe social effondré et avec lui ses valeurs. Il n’y a plus de relais entre
la Bourgeoisie qui n’en ayant plus besoin, a décidé de se passer de nous et le
peuple de plus en plus prolétarisé avec lequel on se confond désormais, dans
tous les sens du terme.
Face à l’intégrisme
islamique qui occupe le terrain laissé libre comme le raconte finalement Canal
de la Toussaint, je me demande si nous ne sommes pas en train de mal
tourner. Un sentiment que l’irréparable est accompli. Que la pellicule est
impressionnée et qu’on n’y peut plus rien changer. Qu’elle va seulement être
développée et tirée et qu’on regardera ce dont il s’agit. Peut-être une
Révolution déjà commencée à l’Est, ou peut être le pire déjà en germe ici. De
toute façon, je ne vois pas comment j’aurais pu ou pourrais faire davantage que
tout ce qu’ai fait depuis vingt ans, une sorte de soixante-huit ininterrompu…
Là est la source de mon espèce de stoïcisme. Et si c’est le pire qui advient,
on pourra toujours se dire qu’on aura tout fait pour l’éviter et qu’il faut en
prendre son parti.
Lundi, conversation
avec Nicole sur la situation des femmes. Une espèce d’émotion de me sentir
comme sa sœur aînée. Cette épouvante résignée qu’elle a de se sentir sombrer
dans sa vie de mère de famille popote, consciente qu’elle boit la tasse et
qu’elle ne s’en sortira pas. Mon émotion pour sa jeunesse. Cette tranche de
Collègues de trente trente-cinq ans qui étaient ces adolescentes que nous
avions au Lycée quand soufflèrent furieusement les bouffées des Septantes. Le
vague sentiment d’être responsable d’eux.
La mémoire de cette
classe de Seconde, odieuse et déchaînée au Lycée Honoré de Balzac et que nous
avions (tout le Conseil de Classe unanime) fait passer en Première plutôt que
de les mettre à la rue avec l’argument que nous avions à l’époque que sinon ils
allaient devenir délinquants et faire des casses ! Le Proviseur avait été
outré de notre attitude mais avait cédé devant l’unanimité du Conseil.
C’était en pensant à
eux que j’avais écris sous le pseudonyme de Jeanne Dherbécourt, l’article paru
dans Le Monde de l’Education : Un métier qui n’existe plus… Maintenant ils ont grandi, et ce sont
ces espèces de Collègues d’un nouveau type, prolétarisés, hédonistes, centrés
sur leurs vies privées, méfiant vis-à-vis de tout ce qui est collectif et sans
aucune valeurs ni culture ni points de repère…
Là où notre
génération est structurée par l’adolescence vécue durant la Guerre d’Algérie et
culminant dans le triomphe lyrique des Evénements de Mai 68, ils ont fait un
chemin inverse de flottement précipité dans la crise. L’impossibilité pour ces
femmes découvrant la réalité misérable de leur situation, de lutter et de la
surmonter. Gonflées de propagande, elles découvrent qu’elles ne sont ni si
libres, ni si égales, ni si fraternelles ( !) que la publicité leur fait
croire. Et elles prétendent que c’est plus difficile que pour nous, ce qui est
peut être vrai ! Mais n’est ce pas plutôt que l’idéologie à laquelle nous
avions affaire était d’un autre ordre ? Le devoir de sacrifice, dévouement
et douceur n’était ce pas tout aussi mutilant et qui sait davantage que
l’idéologie du libéralisme ? Enfin - en essayant d’être pratique - je lui
ai dit : Est-ce que tu as déjà porté
une gaine ? Elle dut convenir que non, ainsi qu’à mon autre
question : As-tu commencé ta vie
sexuelle sans contraception ? Ces deux thèmes là suffisant à résumer
NOTRE DRAME !
Drame aussi avec le
Professeur de Biologie qui occupe indûment la salle après la cloche sans faire
évacuer ses propres élèves. Cela fait déjà plusieurs fois que cela se produit
et j’ai déjà protesté. J’entre dans la classe dans un état d’énervement
d’autant plus grand que mes Elèves de Terminales (la seule classe qui
fonctionne) attendaient dans le couloir alors que je leur avais expressément
demandé la fois précédente d’entrer, pour faire accélérer le mouvement.
Je les pousse donc
dans la salle en entrant avec eux, attrape les affaires du Professeur qui
étaient sur le bureau, les met par terre sur l’estrade, ramasse au fond de la
pièce celles des élèves, les pousse dehors, les accompagne dans le couloir ou
je les leur jette, accélérant ainsi la sortie de la Collègue en marchant
derrière elle. Elle sortie, je claque la porte très violemment. Je n’en reviens
pas de ma propre fureur mais me l’explique par la suite. On a déjà parlé
souvent au téléphone de ce problème avec mon ancienne partenaire de théâtre qui
a dû me raconter des choses du même genre, qu’elle avait elle-même déjà
pratiqué avec succès.
Par ailleurs, mis à
part cette insupportable désorganisation croissante qui paralyse peu à peu tout
fonctionnement et engendre une fatigue terrible si on s’obstine, au point qu’on
ne plus fournir davantage… le contentieux sous jacent avec le professeur de
biologie est son refus d’enseigner la bionomie alors que je la bombarde
d’articles sur ce thème. La dernière fois d’ailleurs, elle paraissait avoir sur
ces sujets là, des positions d’une bêtise confondante.
Une fois mes Elèves
installés, je suis de nouveau la proie d’une de ces colères qui m’agitent
plusieurs fois par jour, et leur développe le thème que s’ils ne m’aident pas,
je ne pourrais rien, tellement le poids de la désorganisation s’alourdit chaque
jour. J’ai été obligée de leur expliquer que moi, je luttais alors pourquoi pas
eux ? Et comme ils me rétorquaient bien évidemment qu’ils ne pouvaient
rien faire face à des Professeurs, j’ai dû mettre les pendules à l’heure sur le
thème que moi aussi, j’étais constamment en but à la répression des supérieurs…
Mercredi 29/11/89
En Deuxième Année de
Techniciens Supérieurs Comptables, un tchador est porté par un type, le seul
arabe de mes Elèves du Supérieur. En fait, c’est son cache nez qu’il s’est
roulé autour de la tête mais cela fait un drôle d’effet. Mon premier mouvement
a été le rire sur le thème Très amusant
et nous avons tous ensemble, les autres, lui et moi, rigolé. On en est resté
là, mais lorsqu’on connaît l’ambiance absolument raciste qui règne dans cette
classe, on se pose des questions dont on connaît malheureusement les réponses.
Déjà il y a quelques
semaines, comme je demandais qu’on aille mouiller l’éponge du tableau, la
classe avait hurlé en chœur Ahmed !
sur un ton tel que j’avais dit Dans ce cas là, je préfère y aller moi-même ! Et à la fin de
l’année précédente, il y avait eu un commencement de bagarre entre les racistes
et les autres… J’avais dû exclure l’agresseur.
En Terminale la
conversation se poursuit sur la lutte et la prise de conscience. Les Elèves me
répercutent les sottises qu’ils ont entendu à la Télévision et qu’il n’est pas
facile de démonter car même les meilleurs Elèves de cette classe - et il y en a
d’excellents - sont sans aucun repère concernant nos valeurs, nos traditions,
notre culture et nos combats. Je leur explique les mécanismes de l’aliénation
et les choix entre la lutte et l’individualisme égoïste.
Les meilleurs Elèves
tentent de faire le lien avec le libéralisme étudié la semaine précédente.
C’est difficile car ont disparu et la notion d’individu et celle de collectivité,
au profit d’un magma aggloméré et indifférencié dont les sujets ont été
volatilisés. On retombe toujours sur cette horreur que j’ai déjà analysée. En
cas de disparition du sujet, toute autre chair humaine est identifiée comme DE
LA MERE dont on va exiger qu’elle nourrisse et mette en commun les ressources
dont elle dispose…
Cette analyse est
pour moi désormais une certitude intellectuelle. C’est sans doute de tout cela
dont parle depuis le commencement ma littérature, en forme passive et intuitive
mais je voudrais maintenant l’exprimer en forme de Sciences Sociales,
académiques et économiques.
Légère détente en
Deuxième Année de Techniciens Supérieurs Comptables issus des Bac Généraux. Il
était temps ! La panique me prenait chaque fois qu’il fallait entrer dans
la classe ! Ils ont fait de gros efforts et moi aussi pour dépasser la situation
cauchemardesque qui ne pouvait mener qu’à la rupture dont - à la limite - ils
ont plus peur que moi. La situation historique réelle me donne raison. L’Affaire des Voiles et celle de
l’Europe de l’Est leur donnent quand même à réfléchir. Ils voient bien que les
choses changent et se sentent de plus en plus menacés.
Ont sans doute
également contribué à la détente mes explications sur l’entropie des systèmes
qui se font et défont, explication apparaissant suffisamment pertinente pour
les soulager. La distribution d’un polycopié haute technologie a fait
l’excellent effet symbolique de Maman donnant la nourriture…
Malheureusement dans
la classe de ceux issus déjà d’un Baccalauréat Comptable, c’est le clash. Comme
j’avais passé la veille le film sur la famine au Brésil - film qui les années
précédentes faisaient prendre conscience aux Elèves des problèmes de
sous-développement - les réactions m’ont estomaquée. La petite minorité
fascisante qui s’exprime n’a vu du film que le fait de ces gens qui n’ont pas de quoi manger font quand
même des gosses…
Comme je tentais de
faire comprendre qu’une remise en cause des structures existantes pouvait peut
être faire apparaître les choses autrement, la Planète Globalisée étant capable
de nourrir l’ensemble de l’espèce, une élève- par ailleurs ultra raciste - me
pose une question sur la pollution à l’éthanol par rapport à l’essence….
J’explose de rage
comme désormais presque à chaque séquence…Cette fois sur le thème de
l’incompatibilité de leur vision du monde et de la mienne, tant qu’ils mettront
sur le même plan les voitures et la mort des gens. Peut-on en effet continuer à
faire cours à des post-humains qui ne font pas la distinction entre eux-mêmes,
les autres et les machines, à l’opposé de notre organisation mentale à nous les
quadragénaires ? Notre structure en termes homme/machine,
individuel/collectif nous permet de résister en termes politiques et moraux à
cette barbarie new-look d’une consommation égoïste introvertie digérant peu à
peu le monde entier à l’exclusion de soi-même. Une espèce d’autarcie cannibale
dans un rapport incestueux à la mère, tout cela me faisant horreur.
Dans la semaine,
évolution de la conversation globale avec les Collègues que j’arrose en samizdat de mes articles sur La
Newcité que je ne désespère pas de faire publier à la faveur du Vent d’Est.
Le débat se situe entre les retrouvailles de l’Extrême-Gauche propre à notre
Génération et la Dévoration. Je m’enhardis jusqu’à parler avec eux de ma littérature
dans sa vérité de censure, d’exclusions et de pressions auxquelles il a fallu
résister.
Je leur ai également
expliqué que l’écriture était une sorte de malheur dont je me serais volontiers
passée si je n’y avais pas été acculée. Et comme je leur dis pour finir que mon
dernier livre La Jeune morte en robe de dentelle se termine par la
phrase La cendre de mes jours monte au
ciel de la littérature ils se moquent vulgairement de moi, en disant que je
bas tous les records de l’orgueil. Cette franche rigolade me donne l’impression
d’une douche glacée.
Le lendemain les
difficultés ont repris avec une Collègue de Lettres qui comme je débattais de
ce qu’il était possible de faire pour tirer le Lycée de l’ornière, m’a répondu
que tout était de ma faute et je n’ai pu faire cesser cette agression qu’à
coups de poing. Non comme une image, mais comme une plate, brutale et triviale
réalité. Comme je lui précise qu’elle n’a pas intérêt à déchaîner ma violence
qu’elle connaît, elle en convient mais lâche un Oui, mais tu es complètement isolée, personne ne te parle stupéfiant
quand on sait que c’est moi qui suis obligée de tenir mes Collègues à distance.
Chaque fois que je le peux en effet, je préfère lire. Néanmoins je considère
cette inversion d’interprétation comme le signal d’une menace. Assurément
l’hostilité à mon égard est loin d’être exclue.
J’apprends par
ailleurs qu’il y a le feu à la Section Bureautique et que les Collègues en sont
à se taper dessus sans comprendre dans ce cas là, s’il s’agit d’une réalité ou
d’une métaphore. Leur panier de crabes a l’air à l’égal de celui que je vis
dans la Section Comptable. On me dit aussi qu’il n’y a plus moyen de parler à
Christian.
A la Cantine,
conversation de bonnes femmes sur le voile. Elles ne connaissent en fait ni l’Histoire,
ni la réalité sociologique actuelle. Elles récitent le catéchisme des années
Soixante sans percevoir qu’en vingt ans, le monde a changé…
Ce qui est
confondant, c’est que ces femmes s’imaginent que les Musulmans nous considèrent
comme un modèle qu’ils envient et veulent imiter. Elles croient que l’Islam est
une queue de phénomène qui ne concerne que les Vieux et dont les Jeunes se
détournent. Enfin, elles s’imaginent que le voile est en train d’être
abandonné.
On comprend bien
qu’il faudrait leur enseigner au même titre qu’aux Elèves ! Mais c’est
impossible parce que ces gens se croient cultivés et instruits !... Elles
ne voient pas non plus les connexions avec la question du statut de la femme
qui leur échappe intégralement.
L’argument suprême
pour elles étant la menace de l’ouverture des écoles coraniques qu’elles
semblent redouter plus que tout. Est-ce la crainte de la concurrence ?
Comme je leur dis pour finir que de toutes façons je n’ai jamais été pour les
Ecoles Privées et que donc tout ce marasme n’est pas le mien, elles deviennent
furieuses… Cela tourne mal et me met en colère.
Déjeuner chez MCB et
GL qui nous apprend ce qu’il ne nous a pas dit en vingt-sept ans d’amitié, à
savoir que sa mère était allemande. Il parle aussi de son amour de la Russie.
C’est la première fois que j’entends un autre français de notre milieu le dire,
alors que c’est un sentiment très fort chez moi. Pour le reste il semble qu’on
tourne autour du pot et que la question de la Perestroïka Européenne
soit une sorte de trou noir dont on ne veut pas débattre. Là comme partout on
raisonne dans des termes caducs ou sans vouloir prendre en compte leur
caducité.
Dans le même ordre
d’esprit, l’incapacité d’entendre la spécificité de ma position et de mon combat
dans l’Affaire dite des Voiles. A savoir que je n’en fais pas une affaire de
liberté religieuse mais un refus de discrimination des femmes. Il est à noter
que je n’entends personne dans le pays, à part Gisèle Halimi qui a la même
position que moi à savoir Non au voile,
non à la répudiation, non à la polygamie, non à l’apartheid de la femme.
Quant à Antoinette Fouque, personne ne lui a donné la parole.
GL me dit aussi
qu’il avait en 1961/62 eu comme Professeur de Philosophie, Emmanuel Levinas
sans savoir bien qu’il le deviendrait…. Mais du coup, je comprends qu’attirée
par Guy à la rentrée de 1962 à l’Université, c’était en réalité par le Levinas
dont il était imbibé ! Je me suis souvent demandé par la suite comment
chez GL fonctionnait cette spiritualité à éclipse accompagnée si souvent d’une
grossière trivialité !
Des jours
précédents, à signaler à la Télévision Vendredi Soir à l’Emission Apostrophes le Docteur Jasmin,
cancérologue à l’Association La Ligne Bleue osant quand même dire qu’on est obligé de changer la
définition de la mort pour pouvoir prélever les organes sur les vivants et
qu’il faut du courage pour le dire. Ce que j’approuve parce que je n’arrête pas
de le signaler depuis des années et de mener campagne sur ce thème. Le fait est
que c’est la première fois que j’entends quelqu’un le dire publiquement en
ville ou à la Télévision. On en conclut que les idées avancent. Je crois lui
avoir envoyé Le Cercan mais je n’en suis même plus très sûre.
Si mes Collègues
n’ont pas encore eu ma peau ce n’est pas faute de l’avoir tenté mais parce
qu’ils n’y sont pas parvenu en proportion justement que me sauve ma violence
radicale.
Pour le reste il y
aurait tant à écrire que c’est matériellement impossible. Le cahier de textes
de Terminale lacéré au cutter avec tous les noms de matières arrachés.
Autrefois, il était au pire, perdu, c’était du désintérêt et non de la haine.
Cette blessure symbolique évoque les mœurs rurales comme on tue un chat ou un
chien pour avertir. On entend dans la Salle des Professeurs, l’écho d’autres
actes de vandalisme sur le matériel professionnel.
Mes Elèves jurent
leurs grands dieux que ce n’est pas eux et je les crois car cette classe est
excellente. A la fin du cours, conversation avec une partie d’entre eux noire et
arabe sur le thème de la fascisation du Corps Enseignant ainsi que de la lutte.
Je leur dis mon propre dénuement et mon isolement. Nous sommes tous très émus.
A la Cantine,
atmosphère de plomb : Aucune conversation. Tout le monde fait semblant. Ce
silence se confirme dans la Salle des Professeurs. Pas un mot sur le score
électoral du Front National à Dreux, avec ses 61,3%. Ils sont occupés à remplir
les imprimés du SNES pour se faire pistonner au Hors Classe qui leur permettra
d’obtenir en fin de carrière quelques sous supplémentaires à la tête du client.
Je leur lance un Vous n’avez pas honte
qui n’a bien sûr aucun effet.
Conversation avec le
Professeur d’Histoire sur le thème de la République de Weimar. Je lui dis que
c’est seulement maintenant que je comprends les fonctionnements historiques,
notamment le fait que les Evénements qui surviennent sont les résultantes de la
période précédente qui les a effectivement générés. Ainsi l’avènement d’Hitler
doit il être compris comme la désagrégation de la société allemande sous la
République de Weimar. Lorsqu’ Hitler est arrivé, le mal était fait.
Comme je demande au
Collègue pourquoi nos Professeurs ne nous ont pas expliqué cela - à savoir le
fonctionnement même de l’Histoire - il me répond que c’est le discours
idéologique fascisme = capitalisme qui les a empêché de faire une analyse
correcte. Ce qui confirme ce que je pense à savoir la propagande a comme effet
d’abord, d’abêtir l’intelligence puis de la paralyser. Cela va également dans
le sens de ce que je dis, à savoir que l’Histoire rewritée dont on nous a
abreuvés n’en finit pas d’être décrassée pour tenter de retrouver en dessous,
l’Histoire réelle. Cela a commencé en 68.
A la Télévision Le
Pen se déchaîne contre Stoléru lui conseillant d’organiser une rafle dans Le
Sentier et lui demandant s’il a la double nationalité ? L’état du Lycée me
donne à penser que le leader du Front National pourrait bien finir par arriver
au pouvoir.
Au Lycée, la
désorganisation continue. L’Administration a disparu et les Collègues ne
parviennent plus à faire face. Alternent les moments de vérité plate - nue et
désemparée - et ce que j’appelle Les
moulins à prières pédagogiques, c'est-à-dire un ressassement de propos qui
miment un fonctionnement réel qui n’existe plus. Par moment cet épais
brouillard se dissipe et on voit apparaître derrière un grand vide, un IL N’Y A
PAS d’enseignement. Il n’y a plus. Plus rien qu’une forme en carton pâte qui va s’écrouler un
beau jour sous la brise d’un évènement complètement inattendu.
L’espoir de voir les
Professeurs emboîter le pas au Vent d’Est a maintenant disparu. Il semble
pourtant que les choses continuant à se décomposer vont amener d’elles mêmes
les changements nécessaires que je ne cesse pas, d’au moins tenter de provoquer
de façon militante et régulière.
Doit-on voir là
l’application concrète de la fameuse théorie marxiste sur l’inévitabilité des
changements des superstructures pour accompagner celles des infrastructures et
en même temps le rôle moteur et volontaire de ce qu’il appelait
l’avant-garde ? L’étonnant dans toute mon expérience politico-sociale des
vingt dernières années est non pas de m’être inspirée de Marx mais d’en avoir
constaté la validité, compte tenu bien sûr de la mise à jour historico
technique.
Au point même de me
demander si le terme trotskystes ne
signifiait pas seulement transnationaux
dans une idée qui était alors encore impensable mais déjà avec justesse, en
germe. Les déviationnistes de gauche du temps de Staline se faisant partout
traiter de trotskystes pouvant alors
se comprendre ainsi. D’une certaine façon, si on traduit ou équivaut trotskystes à transnationaux, ils le sont. Je m’explique ainsi la sympathie pour
Arlette Laguiller et cette mouvance.
Au Lycée,
l’Enseignement atteint son butoir comme en Deuxième Année (2TSC1) on confond
l’entreprise et le système de gestion informatique de la dite entreprise. Il
n’y a pas moyen - même aux Elèves motivés - de faire comprendre la différence.
Tout ceci s’inscrivant de surcroît dans une vision de l’Economie en tant que grande manne distribuée, et dans une inversion des rapports au cours de
laquelle certains Elèves se placent en position d’être nos supérieurs
hiérarchiques.
En Terminale - comme
complément à mes explications sur l’immigration - je raconte aux élèves comment
j’ai été exclue de la Commission d’Admission en BTS et les menées de mes
Collègues destinées à empêcher les
étrangers d’y entrer ! Mais ils
se mettent alors à paniquer. J’essaie alors de les rassurer sur leur propre
passage dans les classes supérieures. Pour finir je leur dis que le Corps
Enseignant du Lycée est virtuellement fascisé et je demande aux Arabes et aux
Noirs ce qu’ils en pensent. Ils me disent qu’ils hésitent à le penser parce que
cela fait peur mais qu’il y a de cela.
Dans une autre
classe de Deuxième Année (2TSC2) dans laquelle l’année a été totalement ratée,
la pression continue pour m’obligée à tenir le discours qu’ils ont envie
d’entendre, celui de la propagande qui consiste à dire que tout va bien, qu’il y a un pilote dans l’avion,
que l’Union Européenne va nous tirer de là et qu’il n’y a pas à modifier quoi
que ce soit dans les comportements ou les mentalités...
Comme je leur ai
projeté mes films habituels sur l’Arabie et le Japon donnés par la Télévision,
ils s’en sont moqués avec une violence et une vulgarité surprenantes. Quelque
chose de primaire ou primal que je n’avais jamais rencontré en vingt deux ans
de carrière et qui mettait en cause l’Enseignement et l’Education elle-même. Ce
que Léo Ferré exprime dans sa forme poétique Un peuple heureux rotant tout seul dans sa mangeoire, auprès d’une tête
de roi !... Il y a quelque chose d’obscène dans leur refus de
changement, alors que l’Histoire cogne de plus en plus fort à nos portes. Une
folie de négation de la
réalité de plus en plus agressive au
fur et à mesure qu’elle a du mal à se maintenir.
J’ai déchaîné
l’émeute en annonçant la probable Réunification de l’Allemagne et la caducité
de l’Union Européenne. Certains ont refusé d’être mis en cause au motif qu’ils
n’étaient pas nés lors de la signature du Traité de Rome en 1957. D’autres ont
tenté de paralyser le cours par une revendication d’être tenus à l’écart de
l’Histoire et d’être considérés comme hors
du monde, non pas pour le dominer mais pour ne pas y être du tout,
dans une fiction de non existence qui m’a rappelé l’univers de mon livre La
Jeune morte en robe de dentelle. Le plus furieux d’entre eux a exigé
violemment que je lui réponde dans les termes qu’il avait lui-même définis et
j’ai dû planter là la classe, alors qu’il me restait encore une heure et quart
à effectuer…
Dernier carnet de la
décennie. Septième de la Chronique de la Société française. Le temps qui couve,
le temps qui vient, le temps qui glue, le temps qui poisse, le temps qui fond,
le temps qui souffle. Les Octantes s’achèvent avec le temps qui menace. Tenir
cette chronique suffit maintenant à occuper tout mon temps libre sans pour
autant parvenir à en épuiser la matière. La journée est une succession
d’événements intolérables exigeant un ferraillage humainement épuisant. On a le sentiment d’une défaite militaire que tous les courage
et intelligence du monde ne parviennent même pas à enrayer. Chaque jour, c’est
pire et pour se maintenir, on est obligé de laisser de côté quelque chose pour
sauver l’essentiel…
La décision
d’accélérer la construction monétaire de l’Europe ne produit pas l’apaisement
espéré car elle n’apparaît pas comme un renforcement politique progressif
raisonné avec des objectifs et des valeurs mais comme une fusion/confusion
réalisée en catastrophe, comme on saute dans le dernier train avant que les
voies soient coupées. On sait le rôle que joue l’Allemagne dans l’institution
monétaire et le communiqué admet la réunification de ce pays dans les
frontières héritées de la Seconde Guerre Mondiale. La charte sociale adjacente
est un simple vœu pieux. On se demande si en fait d’Union Européenne, il ne
s’agit pas d’une simple grande Allemagne qui va nous absorber.
On assiste à des
pertes de souveraineté qui ne sont remplacées par rien… Un aplatissement
général de notre univers sans que rien d’autre ne surgisse dont on puisse se
sentir membre. Seulement le Grand Réseau Cybernétique qui a entrepris de nous
digérer en tant qu’être individué. Il semble que ce soit la même chose pour la
France en passe de disparaître dans la Perestroïka
mondiale. La sourde angoisse qui pèse sur le pays, est-ce la crainte de la
disparition de l’Etat, l’Institution à l’état pur ? Et que dire alors de
notre activité de Lettrés qui a pour mission de le servir ? On peut
résumer notre situation comme celle des samouraïs errants que leurs daïmios
auraient abandonnés. L’image d’une féodalité qui s’achève. La France en voie de
dissolution entre-t-elle enfin et seulement maintenant dans le
Capitalisme ?
Vendredi dernier,
incident antisémite dans l’autobus Quarante Trois.
Au Lycée, en Conseil
de Classe de Terminale Comptable, prise de bec anti-raciste avec la Directrice,
depuis le temps que cela couvait, il fallait bien que cela explose ! Je
n’en suis pas mécontente même si c’est coûteux nerveusement ! Aucun
soutien de la part des Collègues dont certains sont d’ailleurs des racistes
avérés. Je l’ai fait pour montrer aux Elèves qu’on n’était pas obligé de se
laisser humilier - racialement parlant - sans réagir. J’ai par ailleurs
publiquement félicité une Elève en termes féministes, pour avoir réussi à
imposer sa parole au milieu d’une bande de garçons tonitruants. Naturellement
la Directrice y est allée de son couplet sur le thème qu’on avait beaucoup
perdu à la mixité…
Au coin de ma rue il
y a maintenant trois clochards, contre un seul la semaine dernière. Et de plus
en plus dans les stations de métro intra muros, de deux à cinq dans chacune. De
tous les côtés des scènes de violences et l’envie d’abandonner cette chronique
pour sauter à nouveau sans filet dans la littérature.
En Terminale les
Elèves m’accueillent avec des applaudissements dont je ne comprends pas d’abord
la cause, alors qu’il s’agissait de mon attitude en Conseil de Classe. Je leur
explique que c’est normal et qu’il faut demander des comptes à ceux qui ne le
font pas. J’explique encore que c’est la mollesse de certains qui a favorisé
l’arrivée d’Hitler au pouvoir et qu’il en est de même aujourd’hui... Ils me
demandent si ce qu’on vit aujourd’hui au sujet de l’Europe sera dans les livres
d’Histoire. Je le confirme et ils me rétorquent que cela vaut le coup de
l’apprendre. Quel hommage au Livre, à l’Histoire, à l’Enseignement, à la Parole
et à la Fiction !...
Conversation avec
mon amie sur la nouvelle réalité pédagogique. Nous vivons le même effondrement
de l’Institution entraînant dans sa chute notre effondrement professionnel et
pour les femmes de notre génération celui de leur socialisation précaire et mal
assurée jusqu’à celle de notre identité. L’effondrement identitaire
rejaillissant sur la relation domestique. Elle me dit que son mari est devenu
antisémite, ce dont ni l’une ni l’autre nous ne revenons.
En Salle des
Professeurs mon Collègue NB enseignant l’Histoire me dit : Quand je pose pour la quinzième fois la
question à laquelle j’ai déjà répondu quatorze fois et que les élèves me
regardent avec leurs yeux globuleux, je sors mon mirliton. Joignant alors
le geste à la parole, il souffle dans une
langue de belle-mère (j’apprends là un nom que
j’ignorais), ce cotillon de base des réveillons.
Dans le métro un
trio de jeunes nénettes entonne dans le wagon à dix huit heures trente, une
chanson féministe pornographique résolument anti mec et proclame aux voyageurs
que si ils veulent que cela s’arrête, il faut qu’ils donnent de l’argent. Je
suis stupéfaite de cet avatar inattendu de la libération des femmes et envisage
de rester dans la rame au-delà de ma station, pour voir comment cela va
évoluer. Mais étant donnée ma fatigue, je recule devant les complications en
perspective.
Dans ma rue, durée
anormale des vociférations d’une femme qui porte des sacs en plastique divers
et nombreux et signe ainsi sa condition de nouvelle pauvre expulsée pas encore
clochardisée. Elle a une belle barrette dans les cheveux et un manteau de
vison. C’est la première fois que je vois cela… L’étonnant de l’affaire est
qu’elle vitupère au sujet du prétendu suicide du Ministre Boulin dont tout le
monde est convaincu qu’il a été assassiné.
Au Lycée, les
Professeurs ne peuvent plus suivre l’arrivée des nouveaux logiciels comptables
dont il leur faut - disent ils - de trois à six mois pour pouvoir les maîtriser
alors qu’ils ne sont en usage qu’une seule année avant d’être remplacés par
d’autre. C’est encore pire que ce que j’imaginais….
Dans le métro entre
Porte de Champerret et Poissonnière - mon domicile et mon travail - on compte
neuf clochards sur un seul côté des quais. Tout cela m’est intolérable. J’ai
l’idée de tenir un agenda et d’en faire des photographies.
On me raconte qu’à
Montreuil les Professeurs sont bombardés avec des yaourts, des œufs et des gaz
lacrymogènes.
En Deuxième Année
(2TSCl), on étudie la Réforme de l’Entreprise en Chine avec un salaire touché
en proportion du travail fourni. J’explique qu’on ferait bien d’en faire autant
ici et le discours de la classe est alors qu’on commence ainsi pour finir par
tuer les Handicapés. Comme si la paresse était une maladie génétique qui
donnait droit à une rente d’invalidité ! Le Tout Génétique et La Grande
Manne vont encore bien au-delà de tout ce que je pouvais imaginer.
L’Economie Politique dont j’ai la charge ne peut plus être enseignée. On est
dans une impossibilité technique de fonctionnement.
Le soir CF
absolument bouleversé - et on mesure ce que cela veut dire lorsqu’on sait que
c’est le Collègue le plus sérieux, le plus calme d’entre nous et le plus
raisonnable à tous points de vue - parce que les vitres du troisième étage
menacent de tomber hors des battants des fenêtres, que la Région est prête à
payer les travaux mais que ni la Directrice ni l’Intendante ne sont prêtes à
s’en occuper. Il me propose de faire une pétition pour informer le Rectorat de
la situation. Pour que cet homme là propose cela, on mesure où on en est !
Il pleurait presque en disant On ne peut
pas continuer comme cela.
Est-ce l’écho de
Michel Rocard disant O n ne pourra pas
aller très longtemps comme cela ! Tous ces hommes - dans la
conjoncture - ont quelque chose de tragique. Comme dit Chantalle C’étaient les meilleurs de la Génération.
Et il y a là dedans quelque chose de vrai d’où cette impression. Nous sommes
tous défaits mais notre défaite à nous était programmée, elle est comme dans
l’ordre des choses, aussi scandaleuse que cette affirmation paraisse. Leur
défaite à eux ne l’était pas et cet élément inattendu redouble en quelque sorte
notre drame.
Au Supermarché,
encore de la violence, la caissière encourageant les clients à se voler entre
eux. Je proteste ! La queue tente de faire mettre une femme arabe la
dernière et elle menace d’une bouteille brandie au-dessus de leurs crânes. Je
ne sais pas si elle est dans son droit ou non mais de toute façon, le climat
social se caractérise par cette impression générale et permanente que les gens
vont se taper dessus.
Mort de Sakharov. Je
pense à l’éloge funèbre que pourrait lui faire ma mère Il n’avait qu’à se tenir tranquille !
Dans les Transports
Publics, de plus en plus de gens qui travaillent dans notre genre, des obsédés
de la mise à jour. On y sent de la tension car à terme c’est l’insertion et la
vie même qui en dépendent. Ce travail là, n’est pas le fait de poseurs soucieux
de leurs allures ni non plus des maniaques du travail mais il y a là dedans
comme une ambiance de commencement de servage. On sent le poids des Maîtres, le
poing des Maîtres de plus en plus exigeants comme si eux-mêmes - face aux
difficultés croissantes de la mondialisation - pour ne subir aucune
modification négative de leur train de vie, en reportaient la charge sur
autrui. Et l’autrui en question, là, c’est nous !
A la Télévision on
apprend qu’à l’Est, les Communes cherchent à vendre leur statue de Staline qu’ils
veulent déboulonner. Je dis à un ami qu’on ferait bien d’en acheter une parce
que cet art officiel a du génie, je le dis depuis longtemps et nous cherchons
où on pourrait la mettre à Paris, avant que je trouve dans la franche hilarité
que l’endroit adéquat serait Place Kossuth devant l’ancien siège du Parti
Communiste. L’idée me parait si parfaite que j’envisage un moment d’écrire à
Jack Lang pour le lui suggérer !
Une image hallucinante de la Salle des Professeurs à la
récréation : Moi à ma place habituelle, Chantalle à côté de moi, sur le
coin. Tous les autres agglomérés en un paquet tassés dans l’autre bout de la
pièce, à côté de la fenêtre dans une formation humaine d’un nouveau type. Les
moules sur un rocher, et encore ce n’est même pas cela ! C’est plutôt un
compost, car dans le Grand Corail que je prévoyais, les individus étaient
entiers dans les nœuds du Réseau Cybernétique. Là ce n’est pas le cas. Les
êtres constitués ont disparu effrités, fécalisés et menaçants ne constituant
plus une forme que pour autant qu’ils s’y mettent eux tous. Il y a là quelque
chose d’obscène, de pathétique et d’inquiétant. Et à l’autre bout de la pièce,
tout seul à une petite table… le Collègue arabe.
Lundi soir dans le couloir du troisième étage, un élève
asiatique fait des pompes (jusqu’à cinquante) devant la classe de 2TSC2 qui
comptent ouvertement. Je me demande s’il ne s’agit pas d’une brimade tellement
le racisme est ouvert dans cette section. Je convoque le supposé boat people
qui m’explique que c’est un pari. Je lui précise qu’ici, on n’a pas l’habitude
de faire des pompes dans les couloirs.
Au non fonctionnement du Lycée s’ajoute une chaleur d’enfer
qui - ce jour - atteint un point culminant. A six collègues, nous envahissons
le Bureau de l’Intendante pour exiger la fermeture du chauffage. Nous y
apprenons que cette situation est due au fait que le Conseil d’Administration a
refusé le Contrat d’Entretien de la Région, qu’une des deux chaudières du Lycée
est cassée à la suite des fermetures abusives des valves par les Collègues et
les Elèves luttant pour leur compte contre la surchauffe et que cela ne
servirait à rien de fermer le chauffage parce qu’au troisième étage c’est le
circuit de l’appartement de la Directrice et que c’est celle-ci qui décide de
la température ! En résumé on cuit pour qu’elle soit elle-même
confortable.
En Terminale, c’est la panique parce qu’en plus de
l’excessive chaleur, les Jeunes m’apprennent qu’il pleut dans l’escalier de
secours (en bois), en fait le seul escalier pour accéder au Troisième Etage
depuis que la Direction a privatisé le principal, celui du centre. Les fils
électriques sont plus ou moins bien raccordés et peuvent à tout moment être
inondés. Ils me demandent ce qu’il faut faire, tentant eux-mêmes d’engager un
mouvement de reconquête de l’escalier principal, non seulement plus praticable
mais plus sûr et dont la confiscation directoriale a symboliquement transformé
l’Etablissement en un hôtel particulier dont il apparaît désormais que les
Elèves et les Professeurs sont des gêneurs à peine tolérés.
Cette privatisation de l’escalier central le seul vraiment
efficace, a inauguré l’ère des sinécures
au sens propre, à savoir la rente qui permet de toucher les avantages matériels
d’un établissement sans avoir dans le même temps à fournir le travail
correspondant. Cette Madame Duranton a donc pour elle seule un vaste
appartement chauffé et desservi à sa guise au mépris du refoulement et
compostage des autres usagers de plus en plus tassés dans les marges négligées
de l’établissement les uns sur les autres, en voie de liquidation…
D’enseignement il n’est plus question… Nous sommes maintenant dans
l’exploitation économique des ressources de ce que j’appelle les nouvelles nomes taillées et appropriées dans le
démembrement des Institutions ruinées, obsolètes et hors d’usage.
J’ai toujours perçu la reconquête de l’escalier central
comme essentielle non seulement du point de vue symbolique et pratique mais
politique. Je n’ai cessé de faire de la propagande sur ce thème. J’explique
néanmoins aux Elèves que ce n’est pas à moi à les pousser à une action de ce
genre. Je développe la notion de déontologie professionnelle et l’impossibilité
dans laquelle les Professeurs sont de soutenir les actions qui ne comportent
pour eux aucun risque contrairement aux Elèves….
Je vais avec Yasmina - la déléguée des Terminales -
constater de visu la situation de l’escalier de secours en bois qui recèle bien
effectivement du danger. Je dis aux Elèves que je ne sais pas ce qu’on peut
faire, que je vais réfléchir, me renseigner et que j’en reparlerai Mercredi. A
dix sept heures, je vais informer le Censeur qu’il pleut dans l’escalier de
secours et nous allons avec elle et Yasmina chez l’Intendante qui nous dit
qu’elle a bien l’espoir de faire venir un couvreur…
J’achète un thermomètre pour avoir une idée objective de la
température du Lycée. J’en aurais voulu un en bois, je n’en ai trouvé qu’en
cuir au Monoprix de Saint-Germain des Prés !
Je prépare le texte d’une pétition que je fais lire à un
ami qui m’en reproche les considérations générales et lors de la lecture duquel
il m’apparaît qu’il s’intéresse finalement fort peu à la situation du Lycée.
Mais il me donne quand même un ou deux conseils judicieux. La totalité de l’énergie
étant absorbée par les difficultés professionnelles, je prends sur moi de
préparer une action et j’arrive au Lycée avec ma feuille rédigée au Traitement
de Texte.
A l’exception d’une seule, les Collègues se dérobent et je
n’en reviens pas de la lâcheté ambiante alors que dans les conversations, les
gens sont unanimes à critiquer ce qui ne va pas. Leur peur finit par
m’angoisser parce que ce qui m’apparaissait d’abord comme simplement naturel,
devient à leur contact dangereusement révolutionnaire. Ce que j’appelle le deuil
panique (le sauve qui peut en fait) reprend le dessus et j’en
arrive à craindre d’être révoquée. Ceci pour témoigner de l’ambiance de mon
lieu de travail !
Nous discutons avec Chantalle de cette stupéfiante lâcheté des
Collègues, ce qui déclenche chez elle, haine et aversion pour ne pas employer
des mots encore plus violents, et chez moi la compassion. C’est un sentiment
nouveau de cette année, sans doute le reste de l’affection ancienne que les
nouvelles conditions rendent impraticable. Compassion d’être avec eux dans la
même espèce et que cette espèce, ce soit cela… Mais je ne perds pas de vue que
ce sont mes ennemis politiques et qu’ils n’hésiteront pas à mener la curée.
Dans la Salle des Professeurs, mon thermomètre affiche
vingt cinq vingt six degrés. Je n’en reviens pas, c’est pire que ce que je
pensais ! J’annonce la température aux Elèves et avec emphase leur lis ma
pétition préparée. Ils applaudissent. Je leur dis que je préfère ce bruit là à
ce que j’entends d’habitude.
Depuis plusieurs jours, grève de la distribution des
journaux qu’on ne trouve plus et qui rajoute à la vie quotidienne, une
humiliation supplémentaire. On n’a déjà pas beaucoup de plaisir et on nous en
retire encore… On a l’impression que les grèves sont de plus en plus déviées de
leur cible et que le public est transformé en un bétail de plus en plus mal
traité. Pour trouver la Presse, je fais une dernière tentative à Saint Lazare,
couvrant cet ultime échec d’une parodie de la mantra
de la méthode Coué Tous les jours à tous
points de vue, ça va de mieux en mieux !... Le vendeur me répond
tranquillement On attend l’Armée.
Cela me fait froid dans le dos mais je ne suis pas vraiment étonnée. Les
kiosques fermés au milieu de l’effervescence des achats de Noël ont quelque
chose d’absolument sinistre qui sent déjà la dictature….
La situation des 2TSC1 est si critique que je leur donne le
choix entre un débat et la projection du film d’Eisenstein La Grève. Je partage la classe en deux, installe la cassette et me
replie au fond avec ceux qui veulent débattre. Echec complet de la projection
que les Elèves ne regardent même pas, préférant se masser au sein d’un
conglomérat en bavardant devant ce qui est pour eux un simple mur d’images. Je
ne vois même pas - face à leur désintérêt - comment je pourrais leur parler du
film et il me vient l’expression de perles
aux cochons et encore cette expression me parait elle injurieuse pour les
porcs !
Dans l’autre partie de la salle, le débat révèle une situation
mentale et morale pire que ce que j’en sais. Je résume la situation le soir à
mon ancienne partenaire de théâtre, par un Ils
sont en cendres et sans avoir brûlés. Elle me confirme chez eux une
tristesse qu’elle n’a jamais vue ailleurs et dont la cause est - pour ce que
j’en comprends - qu’ils voient se dérober pour eux ce qu’ils appellent
pathétiquement en reprenant les termes de la propagande : Le Gâteau.
Je leur explique que ce qu’ils prennent pour un gâteau
n’existe pas et qu’ils croient être du domaine de l’AVOIR est ce qui relève en
fait de l’ETRE. Mais ils reprennent de plus bel sur le thème qu’ils craignent
de ne pas avoir leur part du Gâteau des
Libertés. Je tente de leur expliquer que si l’expression Je suis libre comme adjectif a du sens,
qu’avoir des libertés je ne sais pas ce que cela signifie.
A partir de là je développe le thème de la manne
tentant de restaurer la nécessité de produire plutôt que d’attendre que cela tombe
du ciel. C’est un propos d’économiste parce que chemin faisant en leur
expliquant qu’en hébreu le terme manne
signifie Qu’est-ce ? j’en
découvre moi-même, la profondeur du sens. A savoir qu’on doit s’interroger
justement sur la nature de ce de gâteau
nouveau qu’on reçoit. C’est
exactement ce que je fais en voyant les Elèves avides, s’inquiéter de leur part
de gâteau. Ma réflexion à moi est Ce gâteau, qu’est-ce ? Et c’est
bien en effet ce que je me demande. Ce gâteau
dont ils craignent d’être privés, qu’est-il ?
J’ai pour la première fois l’idée affreuse que ce que je
pressens de l’évolution sociale, à savoir la disparition de l’être humain
intégré en sujet relié aux autres - ainsi que nous l’avons connu - eux le
vivent peut être déjà. Le gâteau qui
se dérobe, est ce le lien avec LA MERE, c'est-à-dire en fin de compte le lien
même avec le monde dont ils entrevoient qu’en effet, ils ne l’ont et qu’ils ne
l’auront pas d’où ce goût de cendres. Sont ils donc au présent social dans
l’état que décrit La Jeune morte en robe de dentelle à savoir de purs
objets gérés démembrés, lieu de la gestion d’un système informatique qui les a
d’ores et déjà, digérés. Ils sont dans la confusion du compost auquel ils ont
été réduits.
Pour finir le cours, un élève qui me cherchait depuis
longtemps des noises prétendant qu’un juif athée n’est pas un juif, me conteste
le droit d’affirmer qu’on n’a pas le droit de tuer… en arguant que je suis
chargée de leur enseigner l’Economie de l’Entreprise et rien d’autre et qu’en
tant que telle, je ne dois pas dire cela. Ce qu’évidemment je répète
illico ! Il insiste alors sur le thème qu’étant mon égal, il peut penser
tout le contraire… Je précise que cette égalité n’existe pas puisque je suis le
Professeur et lui l’Elève mais il n’en veut rien savoir car les rôles ont
disparu.
Je suis donc une fois de plus rejetée dans l’aplat qui se
généralise, les Elèves ne cherchant plus qu’à tirer de nous des informations
techniques dénuées de la parole personnelle qui nous permettrait de nous
maintenir en tant que sujet. Ils nous fécalisent et nous détruisent, d’où cette
horreur dans les classes. Mais je tiens bon en parlant de ma conception sacrée
de l’Enseignement et de mon don total à la fonction. Ils ont quand même l’air
de comprendre avec les faibles moyens culturels dont ils disposent puisque l’un
d’eux dit On n’a pas l’habitude !
C’est plutôt d’habitude TU VEUX UNE BAFFE ?
Avec les Allumés de
la classe de Terminale, on flambe tous ensemble d’amour et de politique. J’ai
apporté des chocolats et nous sommes emportés par une situation qui nous
dépasse et qui est en train de mettre le feu aux poudres. C’est bien en effet à
partir de mon émotion pédagogique que je me suis mise en mouvement.
L’altercation avec
la Directrice le huit Décembre était bien pour défendre mes Elèves aimés contre
la discrimination raciale. Cette action ponctuelle leur a donné le courage de
se révolter et à mon tour, je suis poussée et bousculée par cette révolte que
je n’ai ni voulu ni souhaitée ni même le moins du monde encouragée pour des
raisons déontologiques. Mais C’EST ! L’Histoire qui passe est plus forte
que les volontés humaines. A trente degrés dans ma salle de cours, vérifiée
jeudi matin au thermomètre, la déontologie est laissée au vestiaire pour
défendre avec eux - en nous unissant - nos corps physiques !
J’ai leur ai lu la
pétition et leur ai dit que manquant de courage, peu de Collègues l’avaient
signée. Ils se sont proposés pour leur demander ce qu’il en était. J’ai bien
sûr refusé de donner les noms, ce n’est pas là par déontologie mais par réflexe
laïque et républicain. Certains Collègues finissent d’ailleurs par signer de
façon illisible, gluante et écoeurante, plutôt pour éviter la bagarre et parce
qu’on ne sait pas de quel côté la balance va finir par pencher... Quant à moi,
j’ai besoin des dits Collègues dans la perspective de la reconstruction d’un
réel Enseignement dans le Lycée.
La décennie se
termine avec en Roumanie, la chute de Ceaucescu, le tyran des Carpates.
Guerre Civile en
Roumanie. Les gens agitent des drapeaux dont ils ont découpé l’emblème central.
Ce rond vide au milieu du tissu fait un drôle d’effet. C’est au milieu même de
l’Europe qu’il y a maintenant un drôle de VIDE.
Je ne supporte plus
le dénommé réputé culturel. Il
m’ennuie ! Nous sommes entrés dans une période du tout politique qui est en train de - non questionner nos vies - ce
qui ne cesse de se faire depuis le début de la réflexion mais de les
bouleverser. La Révolution Cybernétique passe sur nous comme un rouleau
compresseur et tente de nous incorporer dans le compost des inutiles, digérés.
L’effondrement de l’Education Nationale nous laisse - mes pareilles et moi-même
- vacantes.
Mais ce temps n’est
pas disponible pour autre chose. Car il faut parallèlement fournir de plus en
plus de travail professionnel pour n’être pas complètement exclues. Pour se
tenir simplement au courant, la lecture correcte du journal Le Monde - y compris le Cahier
Economique - nécessitant à elle seule
plus d’une heure quotidienne ! Simplement pour se maintenir à l’identique…
Travail supplémentaire auquel il faut désormais ajouter l’effort pour se mettre
à l’ordinateur.
Je travaille depuis
le mois de Mars au Traitement de Textes et suis bien loin encore de le
maîtriser tout à fait. Dans le même temps, il faut à la fois acquérir des
techniques nouvelles et s’en défendre… En effet ce Traitement de Textes - s’il
est un incontestable outil d’accélération pour les Sciences Sociales - il est
dans le même temps une machine à détruire la littérature, parce que s’il permet
de traiter un texte existant, il ne permet pas de le composer.
Mon livre La
Jeune morte en robe de dentelle en a réchappé de justesse, se faisant en
dépit du Traitement de Texte et non avec. Pour ce texte là, ce n’est pas encore
trop grave parce que cette tentative de digestion est le sujet même du livre et
qu’il y a toujours dans mon cas, adéquation entre le fond et la forme comme
provenant du même lieu. En fin de compte apparaissant comme une métaphore de la
Télévision, ce livre exprime bien cette passe affreuse où j’ai failli être
digérée par la Révolution Cybernétique.
En écho à la
fascisation croissante de certains Collègues du Lycée, alors que d’autres se
rapprochent de mon point de vue sous le poids de leurs difficultés techniques,
j’apprends qu’au Lycée de Torcy, c’est la même cabbale qui englobe juif, arabe
et boiteuse, le casier du dit Collègue juif ayant été saccagé.
Pogromes dans le
Caucase. Moscou se décide bien tard à envoyer des troupes. Commentaire à la
Radio : L’Empire contre-attaque
du nom de l’un des films de La Guerre des
Etoiles. Je suis scandalisée de cette permanente tentative de déréalisation à l’initiative des médias
qui propagent constamment le message d’Il
n’y a pas de monde extérieur ! C’est ce que met en évidence le livre La
Jeune morte en robe de dentelle décrivant l’enfermement entre la mère et la
fille, dans un aplatissement du temps et de l’espace sans plus aucun lieu pour
projeter une représentation.
Nécessité de penser
la situation en termes exclusivement politiques puisque l’heure est
exclusivement politique mais dans le même temps, difficulté de penser ce
politique là parce qu’il est comme d’un ordre nouveau BIOLITIQUE. Mais sur ce
sujet nous n’avons ni outils ni expériences, au sens de culture et de lutte. Il
y a eu bien sûr Le Cercle des Dix Mille
qui a donné naissance au livre Parole de suicidaires (cette vie passée à la
sauver) ainsi que Le Cercan rendant compte des travaux du groupe Les Cancérigênés en lutte issus tous les
deux des activités associatives, le premier du Phénix et le deuxième de La
Ligne Bleue.
Dans les deux cas,
la rupture du groupe contestataire que j’ai animé d’abord au sein de
l’Institution, a eu lieu de la même façon et sans doute pour la même raison. A
savoir le désir de ces Institutions-là - incontestablement charitables - de
formater les assistés dans le cadre de l’ordre ancien, alors que l’opposition
que nous constituions représentait au contraire un ordre biolitique différent. Mais dans les deux cas, il s’agissait de
cercles de réflexion sans vraiment d’articulation sur la vie réelle.
Inversement il faut
se souvenir que l’explosion de Mai 1968 fut précédée de milliers de brochures et
de cercles identiques au nôtre – celui là dénommé Société, Economie et Non
violence qui se réunissait dans une
mansarde Rue d’Ulm. Nous croyions à l’époque notre groupuscule unique et isolé
alors que ce n’était vraiment pas le cas et qu’ils ont collectivement débouché
sur les transformations que nous savons. Peut-être en sera-t-il de même pour la
Révolution qui a commencé et va-t-on s’apercevoir bientôt que ce genre de
groupes a fait fermenter depuis longtemps la société.
Mais il n’y a pas de
culture d’actions biolitiques comme on en a eu pour les
actions politiques traditionnelles pourrait on dire, si on peut nommer ainsi la
culture des luttes socialistes du dix neuf et vingtième
siècles. Disons même que nous héritions de tout un appareillage comprenant les
Syndicats, les Comités, les Manifestations, les Assemblées Générales, les
Bureaux, les Motions, les Tendances, les Auteurs, les Journaux et les
Expériences Historiques. Bref nous naquîmes tout armés de et dans cet
appareillage. Ce n’est pas le cas maintenant où nous n’avons rien.
Les luttes contre le
suicide et contre la maladie ne se rattachant au contraire à rien de
traditionnel, ce sont des résistances ponctuelles individuelles que les groupes
se limitèrent à mettre en commun pour en tirer des réflexions générales mais
rien au-delà. De même en ce qui concerne les luttes domestiques où là, il n’y a
même pas - ou plus ou moins jamais eu - de lieu où les résistances pouvaient se
mettre en commun.
La Révolution en
Roumanie se limite à l’adoption d’enfants roumains par des familles françaises.
Pire, les images trafiquées des évènements - eux-mêmes résultat d’une
manipulation visant à faire passer un coup d’Etat militaire pour une
insurrection - ont jeté un discrédit complet sur le travail des reporters. Ils
semblent de plus en plus atteints maintenant du syndrome de dislocation qu’on voit partout et du
compostage.
Les reportages en
provenance du Caucase en feu sont sans signification. On retrouve maintenant à
la Télévision la caractéristique des copies d’élèves à savoir des phrases
incohérentes qui ne s’articulent même plus entre elles. Ce sont des espèces
d’images de guerre passent partout qui ne disent plus rien.
Dans le même temps,
les événements mondiaux donnent à penser que Marx avait raison dans ses
prévisions de crise générale du Capitalisme. On se
demande si la Pérestroïka engagée
n’est pas cette Révolution communiste dont il parlait… avec l’abondance des
biens, leur gratuité et la disparition de l’Etat. L’imaginaire fou des Elèves
percevant l’Economie comme une manne
gratuite à laquelle ils avaient droit et qui rend depuis des années de plus en
plus impraticable l’Enseignement de l’Economie, aurait il été l’annonce de
cette nouvelle donne ?
Le Communisme alors
ne serait pas et n’aurait pas été l’utopie politique d’une meilleure Citoyenneté comme l’a cru notre
Génération mais une sorte de monstruosité psychologique en relation avec
l’univers économique nourricier de la Mère. La mise en commun n’étant pas celle
des efforts mais des produits, l’Homme tétant à mort la Nature par l’usage de
la technique. Et quand je dis l’Homme, c’est l’homme masculin à
l’exclusion de la femme.
Ceci expliquerait
l’articulation de nos luttes féministes et domestiques sur l’Economie et le
Politique global. L’heure serait peut être venue de tenter une articulation marxo-léniniste dénonçant l’économisme
dans lequel nous baignons comme l’exploitation de la Mère. Ma démarche
psychanalytique actuelle, mon combat biolitique,
mon effort de sévration prendraient
ils ce sens vers lequel j’aurais marché depuis toujours sans le savoir ?
Comme je testais
dans la quinzaine écoulée l’idée de l’actualité de cette phase authentiquement communiste de l’Histoire (pour des
raisons de robotisation de l’appareil technique avec abolition des structures
obsolètes) j’ai eu tant des élèves de Terminales que d’un adulte autour de moi,
des confirmations…
Rencontre avec des
militants polonais à l’initiative des Editions Spartacus. J’ai été scandalisée
de l’accueil que leur ont fait les Militants Anarchistes qui tiraient à vue -
n’écoutant rien, ne sachant rien - finalement uniquement préoccupés du jeu de
massacre consistant à démontrer que les
camarades polonais n’avaient pas la ligne juste ! Plus qu’un malaise,
j’ai eu une fois de plus le constat mille fois recommencé de l’autarcie mentale
de la France… J’avais apporté deux exemplaires de mon livre Le Silence et
l’obscurité et je leur ai donnés.
Conversation avec
Chantalle sur l’impossibilité dans laquelle nous sommes de corriger les Bacs
Blancs en tant que symbole de la mascarade éducative dans laquelle nous sommes
enfermées. L’envie d’en jeter les copies dans la cour ou dans le hall…. Je lui
dis que le Corps Enseignant ne s’en sortira pas tant qu’il ne réussira pas à
transgresser. C’est aussi ce que je vis dans ma vie privée et recouvre du
bizarre néologisme de transfraction.
Le vingt cinq
Janvier, une tempête a emporté le toit en zinc du lycée, la gouttière et le
drapeau pendant qu’une pierre s’est écrasée sur le trottoir. Le Corps
Enseignant a alors manifesté sa joie et sa haine se préparant à une mise à sac
éventuelle. Le temps de la tempête était aussi celui de la vérité entre deux
séquences de mensonges parfaits. Mais dans le même temps, l’envol du drapeau
provoqua un cri déchirant archaïque qui exprimait bien l’effondrement de
l’Institution et de l’Ordre Républicain. On ne peut pas s’en réjouir car cela
évoque le vers du poète Quelque part ça
commence à n’être plus du jeu…
Arrivée d’un
magnétoscope non désiré.
Nos Elèves ont par
leur action malfaisante, eu la peau du Professeur de Philosophie, partie sous
une dérisoire cérémonie de fleurs qui évoquait plutôt un enterrement. Ils n’ont
pas l’ombre d’un remords. Même mes TG2/2 avec qui c’est l’amour fou. Et comme
je leur demande comment ils voient la suite, ils m’affirment rayonnants On va
en avoir un autre ! Sous entendu un neuf …
Il ne leur vient pas à l’idée que ce qu’ils prennent pour de la Télévision
pourrait cesser d’émettre. J’ai quand même expliqué que moi-même je pourrais
bien démissionner, par solidarité et que ce qu’ils faisaient aux autres
Professeurs - en ma fonction - ils le faisaient aussi à moi-même… Ont jailli
alors des plaintes sur le thème Vous
n’allez pas nous laisser tomber ! J’apprends le même jour que les Seconde années de
Techniciens Supérieurs Comptables ont séché le devoir
surveillé préparé pour lequel on était quand même d’accord la veille. Je suis
accablée de ces deux mauvaises nouvelles mais bien décidée à tenir, de toute
façon !
Affichage d’une
lettre de trois pages par moi-même rédigée pour DIRE/PRONONCER ce qui se passe,
afin que cela ne disparaisse pas comme si de rien n’était. Je l’ai lue dans
trois de mes quatre Classes pour restaurer une parole politique. Jacky mon
collègue disait autrefois que j’étais L’AMER. Et c’est même lui qui m’avait
appris le mot. Il s’agit là de fournir aux Collègues et aux Elèves un
agencement d’idées à partir desquelles ils peuvent se situer, non pas
nécessairement pour être d’accord avec mais pour redevenir des Citoyens. La
mise en forme a été catalysée par une conversation sur la transformation des
foyers en internement à domicile, contrôlé par la Télévision qui en tant que
Mère Artificielle obture tout, surveille et anime. Impression que j’avais déjà
eu lors des fêtes du Bicentenaire lors desquelles on était consigné chez soi.
J’ai apposé mon
texte dans la Salle des Professeurs. Il a été arraché pendant le week-end. Je l’y
ai réinstallé avec une protestation incendiaire. Dans les classes cela ne
fonctionne plus. Pour rétablir l’ordre je suis même obligée de remuer le bureau
et de leur dire Je vous préviens que
sur le plan de la violence et du boxon, je vous bats tous ! Ils ont
été médusés. Je leur ai alors lu le texte de ma lettre ouverte et une élève a
failli pleurer. Après j’ai eu la paix!
Le Professeur de
Philosophie n’étant pas encore remplacée, mes Elèves de Terminales
s’inquiètent. Ils me demandent d’utiliser les deux heures libres pour faire des
cours supplémentaires d’Economie et germe même l’idée que je pourrais faire le
Cours de Philosophie ! Ils s’inquiètent pour leur Baccalauréat mais je
leur dis qu’ils seront reçus quand même, ce qu’ils ont du mal à croire…. Et
pourtant !
Je renonce à donner
suite à la proposition des Elèves de Terminales car la situation est si
dangereuse que ce n’est pas le moment de faire cavalier seul. Il s’agit de
tisser du nouveau, et cela ne peut pas se faire individuellement.
Le cuisinier de la
cantine craque et refuse de nous faire à manger. On attend au Réfectoire qu’il
veuille bien se mettre à ses fourneaux. Il y consent in extremis et non pas
pour les Epinards/Côte de veau
prévus mais pour des Haricots en conserve
et Steaks Hachés froids et à peine cuits… Je fais remarquer qu’il n’en fait
pas moins que la Directrice et que si on pose la question de ceux qui ne font
pas leur travail dans l’Etablissement, il faut le faire pour tout le monde…
Naturellement dans l’après-midi, l’histoire fait le tour du Lycée…
Ce cauchemar social
est ce le communisme, au sens où on ne peut plus rien avoir en propre ; Ni
sa place dans les transports en commun occupé par le sac et la chair d’autrui.
Impossible également d’avoir une pensée propre ou une conversation particulière
qui doit concerner tout le monde !! Les vêtements de sports sont les mêmes
et il est interdit de faire preuve d’une singularité quelconque. En fait CA
s’oppose à l’instauration de toute structure, de tout projet et de toute
représentation.
Dans la vie
domestique, la situation serait alors particulièrement critique parce qu’on est
coincées entre un enfermement ancien avec lequel en dépit de nos efforts
d’émancipation nous n’avons pas encore réussi à rompre et un new communisme
invasif qui s’impose. L’espace
télévisuel n’est pas comme on aurait pu ou pourrait le croire, l’espace public c’est l’espace commun du domestique.
Il n’y a plus ni privé, ni public, il
y a
du commun.
De même que les
idées libérales avaient gagnées la société avant même la Révolution de 1789 qui
assura son triomphe (et la prise de la Bastille la symbolise), de même les
idées du communisme cybernétique sont en train de gagner la
société dont les luttes cherchent ensuite comme en 1986 et depuis, à imposer de
nouvelles structures new-communistes telles que le refus de la
sélection et l’Economie Distributive de la Grande Manne. D’où la prolifération des fameuses Coordinations ainsi que la généralisation de la conjonction ET comme liaison unique. Apparition
également d’un tutoiement regroupant
la pluralité des corps à qui on s’adresse !
Toutes mes
recherches sur la fusion et la séparation seraient elles aussi en
liaison avec l’émergence d’un communisme
psychologique ? La chose me parait
maintenant évidente. Un élément de la situation intenable réside dans le fait
qu’on fête l’abolition du communisme, alors qu’en fait c’est son triomphe.
La crise financière
mondiale, s’ajoute désormais au désastre ambiant.
Une belle journée
d’été procure un bonheur inattendu mais saturant brutalement les médias produit
paradoxalement un effet glacial en occultant par des futilités l’Histoire qui
commence à faire peur tant elle s’accélère. Ainsi les reportages sur les
séances de bronzette dans tout Paris, reportage tout de mièvrerie et de
complicité.
La prétendue
réunification de l’Allemagne est en fait la reprise d’un Etat, la RDA en
faillite que chaque jour, fuient deux à trois mille personnes qui profitent de
l’ouverture des frontières. L’intuition qu’un pillage a commencé et que nos
Institutions ne sont plus en mesure de nous défendre, ce qui est pourtant
normalement la contrepartie de la légitimité de l’obéissance qu’elles
obtiennent de notre part.
Après l’affaire du
Benzène dans la source Perrier, éclatement du scandale de la pollution des
eaux, y compris celle du robinet aux nitrates. Pour la première fois une voix
officielle Brice Lalonde met en cause les Agriculteurs.
L’employé du
marchand de journaux, le petit blondinet fascisant avec qui j’ai déjà eu des
conflits, m’annonce qu’il est ruiné en me sortant de dessous sa caisse la
photocopie d’un article sur la Bourse. Je l’envoie sur les roses en lui disant
que c’est la règle du jeu et que je ne vais pas pleurer sur lui qui a contribué
à cette gangrène… Je pense alors que je suis d’une méchanceté excessive mais
comment ne pas l’être lorsque je pense à mes Elèves dont le climat social
défigure l’adolescence et aux clochards tous les jours plus nombreux.
On peut néanmoins
renverser la problématique en comprenant que cette obsession des questions de
pollution et de météorologie est significative en elle-même ! Elle exprime
un accablement concernant ces sujets à mettre en relation avec l’effet de serre
et le trou dans la couche d’ozone, tout cela étant peut être à l’origine de la
vague de folie actuelle. Et le fait est que cet été précoce a quelque chose de
parfaitement anormal que personne n’a encore relevé. Les nouveaux événements,
ce sont peut être en fait ceux-là.
L’angoisse
concernant l’eau sous tous ses aspects, y compris les autres eaux minérales qui
rappellent leurs bouteilles et les stations thermales - elles mêmes polluées -
serait elle alors une angoisse de mort d’autant plus forte que les Agriculteurs
en étant la cause, tout repli sur le secteur traditionnel est interdit ?
Au Lycée, un panneau
du Professeur de Sciences Naturelles sur les effets des Nitrates, attire
l’attention sur les risques de l’impuissance qui semble se développer. Bien que
je ne comprenne pas tout à fait de quoi il s’agit, la pollution généralisée me
parait être l’événement en devenir comme le prévoit sans doute les métaphores
du Corps défunt de la comédie Canal de la Toussaint et même de Que se
partagent encore les eaux et Les Prunes de Cythère.
Mais l’horreur
innommable est en URSS, celle des pogromes annoncés. Après la Shoah, ce n’est
pas seulement le cœur qui chavire mais aussi l’esprit. Il semble que l’Europe
n’attende qu’un signal pour décharger toute cette extrême tension qui dure
depuis trois mois. Toute espérance a disparu, l’unification s’accélère en
Allemagne sans que quiconque soit consulté. La crise financière et le
changement brutal de l’ordre du monde, tout cela c’est trop !
Nous avons crû
assister en direct à un soulèvement populaire qui fit soixante mille morts,
mais nous avons appris depuis qu’en Roumanie, le renversement de Ceaucesco
était l’œuvre de Gorbatchéviens, que les charniers de Timisoara qu’on nous
avait complaisamment projetés avec ses quatre mille morts était en fait une
mise en scène et qu’au total il n’y avait pas plus de sept cents morts dans
tout le pays. Là, quelque chose s’est cassé.
Quoi ? On ne saurait pas le dire aujourd’hui.
Non pas comme on
pourrait le croire, l’idée d’une Révolution sans violence - bien que les
pogroms d’Asie Centrale en aient sonné le glas - mais plutôt l’idée d’une
Révolution dont les Peuples seraient les acteurs. C’est plutôt comme si ON
ETAIT AGI non pas comme objet ni non plus seulement manipulé par la propagande
- ce qui est déjà une vieille tradition - mais agi comme une masse dont le
logiciel cybernétique serait extérieur, la Télévision étant une espèce de rêve
dans lequel cette biomasse se
projetterait.
La Télévision n’est
plus un espace de communication ou une ouverture sur le monde, mais le cerveau commun dans lequel se passe la rêverie fantasmatique. La partie de
l’intelligence diurne logique et active étant assurée de son côté par le réseau
informatique. ON EST AGI, comme un géo-corps reçoit des influx d’un système
nerveux qui l’organise et le maintient. Cela rejoint l’idée de la chaorganisation et de la terre comme
organisme vivant.
J’avais déjà informé
les Elèves de ce phénomène nouveau et leur avais simplement dit à propos des
faux charniers de Timisoara Je ne sais
pas ce que c’est, mais j’ai peur ! Je crois que maintenant deux mois
après : je sais ce qu’il en est et je n’en ai pas moins peur. Cette
Révolution Européenne a cessé d’être heureuse et ne représente plus une
espérance. Pourquoi ? Le frémissement qu’on avait senti à l’Automne ne
s’est pas concrétisé, et ceux qui auraient accepté de suivre ne souhaitent pas
être moteur, ni encore moins remettre en cause les fonctionnements de
production, de consommation ou d’agencement du mode de vie.
Nous sommes dans une
société de plus en plus sclérosée à tous les niveaux et qui se nécrose sous la
pression d’une modernité avançant comme un rouleau compresseur. A la tête de
l’Etat, une classe politique dépassée par les événements et ne se préoccupant en
rien des problèmes réels du pays (Fonction Publique, Ecole, Santé, Prison,
Postes, Transports et Télévision) ni des périls extérieurs (Europe, Sud, Femmes
Voilées etc..) pour s’adonner en fait à ses amours incestueuses, son
narcissisme, sa vanité et sa vacuité. Elle fait surtout preuve d’un désintérêt
complet de la fonction étatique voire même simplement idéologique, au profit de
guerres fratricides évoquant la Cour des Borgia.
Le pays observe
goguenard l’effondrement de l’appareil politique, tous partis confondus. La
conséquence en étant l’abstention pour des raisons de sécurité, le vide gagnant
du terrain et dans cette béance bien sûr s’installant petit à petit l’ordre
nouveau. Au Lycée l’INTEGRISME INFORMATIQUE emporte les Professeurs et les
Elèves qui ne viennent plus, dans la même folie. Il est devenu impossible
d’enseigner, sans que cela soit vraiment ni la faute des uns ni des autres.
C’est une sorte de chômage technique d’un genre nouveau, contaminant le reste
de la vie d’une extrême fatigue, crise d’identité et angoisse de mort.
Nous ne pouvons plus
nous considérer en voie d’intégration à un monde constitué, alors même qu’elle
n’a pas été complètement réalisée et apparaît - de plus en plus - avoir été un
processus de destruction dont j’ai d’ailleurs eu - sans doute depuis le séjour
à la Martinique - l’intuition. Il y a d’autre part la pression du Sud qui
s’installe tous les jours davantage et bien qu’on sache en termes abstraits que
cela soit inéluctable (taux de croissance et pauvreté de la population),
produit dans la vie quotidienne des effets dévastateurs.
La crasse se
généralise, les gens se soulagent n’importe où, les Puces de Montreuil tournent
au dépotoir dans lequel farfouillent des épaves tous les jours plus nombreuses.
Les fraudes massives tournent à l’Economie
Distributive par l’intermédiaire
d’une manne que de tous les côtés, on
cherche à s’approprier. Le métro est transformé en Cour des Miracles et les
couloirs en souks. La discrimination des femmes est de plus en plus visible
avec l’accroissement du nombre de celles qui sont voilées et ne semblent
émouvoir personne. Les petits commerces de fruits proliférant s’avèrent la
plupart du temps des tentatives de commercialiser des rebuts immangeables. Les
kiosques à journaux sont tenus par des Tamouls. Tout cela dans une vitalité
offensive qui fait ressentir comme encore plus tragiquement, la dégénérescence
des nôtres.
Notre groupe
lui-même étant en proie à des Jeunes qui manifestent clairement leur désir de
se contenter de consommer le capital sans participer à son remplacement et
encore moins à son extension. Ce projet s’accompagnant d’exigence de rigueur
dans la gestion technique et la qualité de vie qui rend tout cela
insupportable.
En Mars les émeutes
ont gagné l’Ouest, à Berne contre les fichiers informatiques qui ont également
provoqué des tollés en France et en Grande Bretagne où une nouvelle imposition
par tête a soulevé les foules. La Capitale a été plusieurs jours en proie aux
émeutes et au pillage. Emeutes également en Afrique et en Amérique et
déclaration d’indépendance de la Lituanie, un dimanche ordinaire. Le premier
état de l’URSS s’en séparant…
Bagarre raciste,
meurtre et saccage à Saint Florentin dans l’Yonne. Le propriétaire d’une
pizzeria a tué et blessé des Arabes qui se plaignaient de ne pas pouvoir se
faire servir à l’intérieur de l’établissement et devaient manger dehors sur le
trottoir. Ils ont par représailles, saccagé le restaurant. Le soir à la
Télévision, Le Pen s’est déchaîné à l’émission Le Club de la Presse.
Le journaliste Elkabbach a fait front assez seul, finalement.
A l’émission Apostrophes, le dissident soviétique
Zinoviev s’est plaint d’être à cinquante six ans, expulsé de l’URSS alors qu’il
s’avère de son propre aveu, incapable de s’adapter à la vie en Occident. Il dit
son isolement et sa tentation de la mort. Son regard plein de cendres est
absolument pathétique. J’aurais tendance à dire nous entrons dans les temps où
il n’y a plus de pardon. Qu’est ce que cela veut dire ? Non la lassitude
car je n’en ai aucune, non le désespoir car il est là depuis le commencement,
non l’espérance d’une certaine façon elle est plus forte que jamais mais
l’AINSI SOIT-IL au sens de CELA EST, cela ne peut être réparé.
L’accablement. En fait,
ce n’est pas ce week-end un crime raciste, mais deux. A Roanne, aussi un Arabe
a été volontairement écrasé et la semaine dernière encore un autre assassiné de
balles dans le dos alors qu’il avait les menottes. L’idée vient que la question
des ethnies va atteindre la France qui va se couper en deux, le Nord rattaché à
une grande Allemagne et le Sud tourné vers une Mare Nostrum. Mémoire de
la proclamation de l’Unité Allemande dans la Galerie des Glaces en 1870 comme
signification - dès sa constitution - que l’Allemagne va bien jusqu’au bout du
continent. La Perestroïka mondiale est le nouveau partage des terres.
14 Mars 1990
La Lituanie ayant
proclamé son indépendance, la Banque de France propose de lui rendre les deux
tonnes d’or qu’elle lui avait confiées en 1939 avant d’être annexée par l’URSS…
Au Lycée, mon projet
de débat avec les Collègues et éventuellement les Elèves après une projection
de la cassette du débat télévisuel Zinoviev/Eltsine tombe à l’eau, les quatre
plus cultivés qui auraient pu en être le noyau m’ayant déclaré qu’ayant vu
l’émission, ils ne sauraient pas quoi en dire puis se mettant à me réciter un
catéchisme dont ils ne se rendaient nullement compte à quel point il était
obsolète.
Hier j’ai appris par
téléphone à douze heures cinquante cinq que La Jeune morte en robe de
dentelle sortait pour le Salon du Livre qui a lieu dans dix jours. J’étais
sans nouvelles du manuscrit déposé en Juillet. A quatorze heures vingt, le
coursier remporte de chez moi une quatrième de couverture malheureusement
bâclée dans les conditions pareilles. Quant au texte nécessaire pour le
Catalogue, je le rédige dans le métro - l’achevant dans un bistrot - après
avoir pris moi-même l’initiative de le porter dans l’après-midi pour éviter de
pires complications. On me dit que j’aurais les épreuves à corriger le soir
même et que je devrais les rendre le lendemain matin…
Terrifiant suicide
de Bruno Bettelheim s’asphyxiant à quatre vingt six ans, la tête dans un sac en
plastique. Je continue à penser que c’est le péché absolu contre l’esprit. J’y
vois aussi symboliquement la remémoration des chambres à gaz appliquée à la
plastification du Capital Humain. La lecture de ses deux livres Le Cœur
conscient et Survivre ont été pour moi, fondamentales. Je crains
aussi pour quelques amis me demandant si cette vague d’antisémitisme et la
Révolution Européenne vont balayer ces aigles
qui ont été nos phares...
Dix neuf heures
quarante cinq. Arrivée enfin des épreuves de La Jeune morte en robe de
dentelle au soir du Quatorze Mars, alors que je n’ai été informée que la
veille de la sortie du livre. Je suis donc obligée de décider de ne pas aller
au Lycée le jeudi Quinze pour pouvoir les corriger.
Le feuilleton
Gallimard repart avec la contre attaque de la sœur Françoise qui fait mettre
sous séquestre. Un article important dans Le
Monde. On est malheureux d’apprendre
que Bouygues, le propriétaire de TF1 se porte candidat au rachat de la maison
d’édition et on se demande si c’est pour contrôler le gisement de romans qui
lui permettront ensuite de produire ses films entrecoupés de publicité…
Pourtant cette logique n’est pas nouvelle mais seulement aggravée par la
Révolution Cybernétique et la Mondialisation. On repense un moment avec émotion
au discours du publicitaire qui pour procéder à la vente des actions de la sœur
Françoise faisait valoir comme argument financier que Gallimard représentait un
portefeuille important d’auteurs, à la suite de quoi la presse avait été
arrosée de leurs protestations effarouchées… Eux qui de toutes les Octantes
n’avaient pourtant guère lutter contre le
pourrissement de la société française.
Amère vengeance de
les voir eux aussi à leur tour précipités dans les abîmes extérieures comme
j’ai souvent pensé que je retrouverai un jour en prison ou dans un camp, ceux
qui m’avaient autrefois censurée… Mais en poursuivant la lecture on apprend que
ce qui intéresse Bouygues en fait, c’est l’achat de l’immeuble de la rue
Sébastien Bottin ! Là ce n’est plus une claque qu’on prend mais on éclate
de rire… Il n’y a plus à avoir d’inquiétude pour le sort du milieu littéraire
français, il est réglé ! C’est un naufrage à la mesure de l’époque…
Franche rigolade sur le thème des fameuses jaquettes dans une benne à gravats,
jaquettes dont l’établissement ne cesse de se regorger.
Douze heures trente
cinq aux Editions des Femmes, on me présente G le correcteur qui vient de son
côté de lire La Jeune morte en robe de dentelle et me dit Vous frappez quand même un peu fort !
Vous donnez de mauvais conseils aux jeunes filles ! C’est subversif !
Je retourne aux Editions pour terminer le travail après un parfait bonheur à la
terrasse du Mabillon (Petit Salé aux
Lentilles et Charlotte aux Poires). Je défends fermement ma phrase Quand on était petit, mais maintenant on est
grande comme n’étant pas une faute mais un vouloir dire au plus près du
réel, petit se rapportant au nourrisson et grande aux jeunes filles enfermées. Je suis contente
d’entendre G le correcteur me soutenir d’un Ah
oui, c’est un neutre ! Alors que je le vois émerger depuis 1988 à
Victoria. Je suis heureuse aussi qu’il ait apprécié mon néologisme de TOTALNITE
et rassurée de voir qu’il ait si bien fonctionné.
Lapsus de Pierre
Bérégovoy au Congrès de Rennes Le
compromis avec le racisme n’est pas facile avant de se reprendre n’est pas possible ! Qui dit
mieux ?
Vague angoisse
concernant l’évolution de la RDA dont les Elections sont perçues comme un
scrutin intérieur dont notre propre sort à terme, dépend. MB a fait depuis le
mois dernier une complète volte face et partage comme Zinoviev et moi l’idée du
pillage à défaut de la possibilité de remettre en route une économie qui ne
veut pas fonctionner. Il est par ailleurs à la limite du racisme qui gangrène
de son côté notre classe sociale, comme si cette nouvelle donne en RDA
inaugurait une reconstitution en Europe d’une sorte de Saint Empire Romain
Germanique. Comme je lui soumets l’idée d’une France qui se couperait en deux,
le Sud étant laissé aux Arabes, il me dit que c’était déjà le projet d’Hitler
dans Mein Kampf. Quant à ce virage de MB habituellement plus humaniste,
faut-il l’attribuer à des difficultés qui atteindraient à son tour la
Bourgeoisie perdant des parts de marché ? Cette classe sociale serait elle
comme nous en voie d’effondrement ?
Exposition Filonov.
Une fois de plus l’humiliation de la pensée qui plafonne et dans un deuxième
temps, de la reconnaissance pour qui m’a conseillé d’aller la visiter.
Durant le week-end,
j’ai encore trouvé cinq tomes des Œuvres Complètes de Victor Hugo dans
la Collection Nelson qui en comprend cinquante et un. Il ne m’en manque que
deux !
Aux Halles, les
femmes sont de plus en plus nues dans un déferlement pornographique asexué, si on
peut dire. Un mime scatologique, alimentaire et fusionnel.
Beauté somptueuse du
Louvre et de sa Cour Carrée plus belle encore depuis qu’elle a été restaurée.
Malheureusement elle est occupée la moitié du temps par des salons du prêt à
porter et on n’y a plus accès. Encore un des signes de cette confiscation de
l’espace par une classe dont nous ne sommes pas et qui nous composte de plus en
plus ostensiblement.
Dimanche soir, fin
du Congrès du Parti Socialiste qui pour la première fois depuis 1972 n’est pas
parvenu à dégager de leader. Ceci est d’autant plus démoralisant qu’il ne
s’agit que de clans et de querelles personnelles car il n’y a là dedans aucune
idée ni programme de Gouvernement pour la société française. La Télévision a
répercuté des images de chahut, de charivari, de camouflet des militants
vis-à-vis de l’appareil nomenclaturiste.
Tout cela sans compter que le parti rival n’est pas une meilleure posture,
tandis que semble se reconstituer une grande Allemagne non exempte de danger.
Le Front National prospère dans ce vide.
Ambiance
particulièrement pesante dans les classes dans lesquelles deux Elèves de
Techniciens Supérieurs me collent pour déverser sur moi leur propagande. L’un
va jusqu’à me dire J’aimerais bien que
vous soyez moins pessimiste. Comme je connais par chœur ce cas de figure,
je décroche en lui caressant la tête et en lui tapotant dans le dos, dans le
style caricatural des consolations maternelles.
Les Evénements
continuent de s’accélérer. Prévue seulement pour le mois de Juin, l’unification
monétaire des deux Allemagnes est maintenant décidée pour le mois prochain.
Obscénité de notre classe politique qui ne parle pas de l’Europe ou pratiquant
la méthode Coué incantatoire d’une construction européenne néanmoins caduque en
raison de l’effondrement de l’URSS. Leur tentative de nous faire croire que
rien n’est changé est au choix inquiétante, angoissante ou pathétique. On y
retrouve ce que je connais si bien et que j’ai mis si longtemps à élucider, le
mensonge dans lequel baigne ce pays et qui s’était déjà résumé par l’idée que
la France avait gagné la Guerre alors qu’en fait, elle l’avait perdue. La
nouvelle coupure n’est plus Droite/Gauche mais fiction/réalité, tant le
mensonge et la déréalité alimentent
désormais une propagande de plus en folle et menaçante.
Première émeutes
ethniques en Europe Centrale. En Roumanie, les Hongrois contre les Roumains.
Seule la poésie est
à la hauteur de la situation mais elle ne se décrète pas.
Les choses étant
devenues un handicap dans la mesure où elles occupent toute la place et
empêchent physiquement d’exister, j’ai dû pour n’en être pas prisonnière me
séparer brutalement de la moitié de ce que j’avais. J’ai eu après ce drame
cybernétique la surprise d’entendre des Collègues débattre de ce sujet dans la
Salle des Professeurs et constater que les gens se divisaient entre ceux qui
jettent et les autres. J’ai alors pu leur expliquer que la difficulté venait du
fait qu’on avait des comportements issus de la pénurie alors qu’on était
désormais dans la pléthore.
Débat au Centre
Beaubourg entre HDV et TS sur le thème des Médias menaçant la Démocratie. J’ai
l’impression d’avoir été manipulée dans la mesure où il s’agissait surtout pour
les protagonistes de vendre leurs derniers ouvrages. Le propos de HDV
consistant à dire qu’il fallait s’auto-réformer avant d’être renversé et de TS
développant de son côté celui du Quatrième
Pouvoir évinçant les autres, bien que sans légitimité ni responsabilité.
J’ai eu l’impression
que j’en savais davantage qu’eux sur ce qui se tramait. Je leur ai notamment
raconté comment j’avais dans mes classes, utilisés les charniers de Timisoara
avec toutes les difficultés pédagogiques que cela représentaient, avant de
devoir dire aux Elèves que c’était une fausse information et comme ils m’en
demandaient la cause avoir dû leur avouer que - comme Jonas allant à Tarsis - Je ne sais pas, mais j’ai peur.
J’ai sorti tout cela
d’un trait à HDV qui était très fier de lui et de la couverture des événements
réalisée par le magazine Le Nouvel Observateur, à quelques bavures près. L’expérience m’a montré que
ce que les dominants appellent les bavures
est en fait l’essence du système, sans compter le caractère étonnant de cette
notion de bavure qui est en
réalité le mensonge destiné à la propagande. HDV m’a répondu de façon
humiliante comme si j’étais une petite fille qu’il fallait sécuriser sur le
thème Ne vous inquiétez pas, je
suis là avant de reprendre avec son comparse, la récitation de leur catéchisme.
Néanmoins au milieu
de tout cela, quelques idées intéressantes comme le constat de la disparition
du pouvoir intellectuel des notables qui auparavant effectuaient un
premier tri dans les sottises, ainsi que celle du remplacement des institutions
par un aplatissement généralisé ne rendant plus de comptes à personne tout en
s’accompagnant d’un fonctionnement informel et d’une irresponsabilité générale.
Néanmoins je pense que cette irresponsabilité est organisée à la faveur de la
mise en place d’un nouvel ordre, sans encore savoir s’il s’agit de provisoire
ou de définitif.
Conseil de Classe au
cours duquel je peux entretenir avec une Professeure d’Espagnol, une
conversation comparant la poésie chinoise et celle de Neruda. On débat des
difficultés de la Déléguée de la classe qui excellente élève arabe doit lutter
contre sa famille qui la retient au foyer pour y effectuer les travaux ménagers
en l’absence de la mère hospitalisée. La Directrice et moi-même, nous
l’encourageons à ne pas se laisser faire et à privilégier son travail scolaire.
Malheureusement deux de nos autres Collègues NB et Mme LB nous volent dans les
plumes de façon assez violente, sous couvert de défense de la vie privée…
Je ne souhaite pas
signer les soixante dix exemplaires du premier tirage de La Jeune morte en
robe de dentelles auquel il manque deux pages, en plus des erreurs de
découpage du texte. Le livre n’est même plus un objet marchandise et les
auteurs sont directement exposés au Public. Je signerais Mardi Soir en
nocturne, si d’ici là la logistique à réussi à suivre, ce à quoi je m’emploie
le samedi soir de mon côté et le dimanche avec l’une des femmes des Editions à
qui j’en profite pour dire les difficultés. Je lui explique notamment que
Monique Saigal en Californie ne parvient pas à se faire livrer des exemplaires
de mon livre Le Cercan qui y a pourtant du succès.
Dimanche, nous
retournons au Salon et j’assiste comme un crève-cœur au supplice de mes
confrères. A celui d’André Chouraqui en proie à une conversation idiote avec un
lecteur qui ne l’a pas lu et auquel il ne parvient pas en dépit de sa dureté, à
échapper. Ziegler installé en vue sur le perron du grand escalier sans
précaution contre les tueurs qu’ils dénoncent et dont il m’a semblé qu’il avait
envie de pleurer. Et un peu partout des auteurs en brochette serrés au coude à
coude, les uns contre les autres sans qu’on ne fasse même plus l’effort de leur
aménager un coin sympathique, un peu comme des pierres précieuses montés par
l’éditeur dans un bijou qui lui serait propre. C’est seulement le soir que j’ai
réalisé mon refus comme un acte politique alors que je l’avais initié comme un
simple refus corporel, comme toujours. C’est qu’en fait il s’agit d’une action biolitique.
Le Mardi soir, je
suis prévenue au dernier moment de l’impression des livres. Et désormais plus
prudente, je n’ai pas repassé mon costume violet ni ne suis allée chez le
coiffeur, et j’attends même la visite d’un antiquaire à qui j’ai proposé mon
immense bureau biplace désormais inapproprié. La soirée est heureusement très
réussie et j’en invente pour la conceptualiser la formule Le Capitole est près de la Roche Tarpéienne. Mes amis sont là.
Surgissent des hommes aimés pas vus depuis des années. Des lecteurs inattendus
et enthousiastes. Mon étonnement allant tout de même aux amateurs de La
Baisure. Les échanges sont d’une gravité extrême, notamment avec l’écrivain
Jay avec qui nous parlons de l’antisémitisme de certain grand quotidien.
La conversation avec
le peintre James Bloede dont les thèmes de travail sont semblables aux miens
propose la notion d’immobilisation
pour nommer ce qui se passe et cela me parait assez juste. Cette notion est en
effet plus facile à concevoir par un plasticien par nature plus sensible à
l’allure des corps que par un écrivain lui-même dans l’immobilisation de sa
création.
Mon impression
globale est celle d’une soirée absolument sacrée dans le style des films Le manuscrit trouvé à Saragosse ou encore La voie lactée, chaque lecteur défilant devant le stand exprimant
un pan de la vie, un angle de regard sur l’être ou sur l’œuvre. Une somptueuse
musique éclate à vingt trois heures pour indiquer la fermeture, j’en suis
heureuse avant de découvrir qu’il s’agit d’une bondieuserie confirmée par les
bougies à la sortie du Palais.
Douzième jour de
grève intégrale des radios d’Etat, sans même le Programme Minimum. Du jamais
vu ! Un couvercle de plus en plus épais sur une marmite de plus en plus
terrifiante.
Dimanche chez GL.
Ambiance à couper au couteau car il ne partage pas notre accablement
patriotique. Il est vrai qu’il est arrivé en Zone Sud (ou en France, je ne sais
plus) à travers un bois, un canon de révolver sur la tempe. Promenade au Parc
Montsouris avec nos enfants. Mitraillage de photographies, je laisse faire me
disant qu’après tout, c’est peut être Août 14, le dernier dimanche paisible. On
y voit surtout un dimanche de pauvres avec l’extrême entassement de la
population sur une pelouse minable. Quand on pense aux datchas de la classe
politique qui nous a mené à la faillite, on est écoeuré, ballotté entre la
haine et la rage prenant bien soin de ne céder ni à l’une ni à l’autre, comme
étant toutes les deux des attitudes inadaptées à la situation.
Mardi à la Poste où
je me rends pour retirer de l’argent comme j’entends dire qu’une grève
démarre : Je veux prendre dix mille Francs de liquide mais les fonds sont
rationnés. C’est la première fois que je vois cela et cela me fait un drôle
d’effet. Devant moi dans la queue trois hommes d’environ trente cinq ans font
de l’agitation anti-fonctionnaires, anti Ecole Publique et anti femmes. Je
contre attaque tranquillement sur le thème Vous
ne croyez pas que le pays a assez de problèmes pour qu’on s’épargne la démagogie
et qu’on cherche ensemble des solutions ? Et comme ils n’ont cure de
ces propos pourtant raisonnables, je leur dis que J’aimerais bien que nous les mères ne soyons pas les seules à discuter
avec les enfants des problèmes de la vie et qu’ils s’occupent aussi de cet
aspect de l’éducation… Là, ils ont pris un air piteux et je n’ai plus
entendu un mot. Ceci confirme mon intuition que seul le maternalisme militant
peut triompher du fascisme. Arrivé au guichet, l’un d’eux refuse une lettre
recommandée en provenance du Groupement
des Huissiers. Ce qui donne à penser
que c’est une affaire de surendettement, les gens déboussolés n’espérant plus
qu’en un brouillage général, pour se tirer d’affaire.
Le soir au Journal
Télévisé de TF1 de Poivre d’Arvor, on voit apparaître l’expression Français de souche complémentaire de la
notion de Français d’origine étrangère apparue
elle-même pendant le week-end. L’émission nous montre un trio de Jeunes : Une Française de souche blonde aux yeux
clairs, un fils de harki légèrement basané et une immigrée grassouillette
réputée de parents immigrés. On nous explique bien la différence, sur le
thème pour l’une pas de problème, française sans y penser mais pour les autres
il y en a, ils se font refuser dans les boîtes de nuit et pour la dernière on
nous parle du regard de l’autre. Cela
m’évoque l’exposition didactique Apprenez
à reconnaître un juif…. J’éteins le Poste.
Amnistie en rafale
concernant les crimes et les délits de la classe politique. La justice n’est
plus rendue.
Le soir, à la
Télévision déferlement de paroles concernant le Maire Médecin aux prises avec
une affaire d’antisémitisme dans son Conseil Municipal sur le thème de
l’adéquation des notions de juif et d’argent. Nous en sommes sidérés, bien
que les attaques aient commencé l’été dernier avec la construction d’un Carmel
à Auschwitz. Sur la Cinquième Chaîne, un journaliste courageux attaque Laurent
Fabius sur l’amnistie de Nucci concernant le scandale du Carrefour du
Développement.
On est ému de voir
tous ces journalistes dont la façade professionnelle craque et qui prennent
enfin une véritable parole à l’antenne - comme moi-même dans ma classe -
renouant avec leurs préoccupations de Citoyen. Une forme d’engagement et de
combat politique d’investissement personnel dans la situation. Il est
particulièrement frappant d’entendre Michel Drucker et Jean Pierre Elkabbach
concernant la situation du Service Public qui n’en est plus un. C’est donc
bien le même syndrome dans tous les secteurs. Les revendications portent sur le
sens et le refus de confondre la réalité et la fiction. Cela s’oppose à ceux
qui veulent abolir la réalité et s’installer dans le déni de l’Il n’y a pas !
En Terminale
Comptable, un élève arabe se fait refouler d’une place et rejeter au dernier
ban. Je lui demande s’ils veulent mon arbitrage. La victime fait profil bas
mais les de souche le veulent. Je
fais donc revenir l’arabe à sa place - et comme il avait peur - les autres
basanés ont fortement insisté avec moi jusqu’à ce qu’il ait le courage de
changer de place. NOUS parvenons à l’obtenir et je rassure tout le monde sur le
plan affectif sur le thème de Vous êtes
tous mes petits chéris… Je vous aime tous autant… Faisons que cette classe
reste l’oasis de bonheur qu’elle est !...
Le Vendredi Saint a
été intégralement consacré à déplacer le lit de la Grande Pièce vers le bureau
et à transformer le tout en Bibliothèque. Cela impliquant que j’achève de jeter
la plupart de mes affaires (ce que j’avais commencé à faire en Février) et à
privilégier le rangement des livres désormais par ordre alphabétique des
auteurs, tous genres et toutes langues confondues. Cela a été rendu
indispensable par la pression du magma
cybernétique et entraîne une
réorganisation de l’espace domestique, modifié par l’envahissement absurde et
mortel de la Télévision ainsi que l’arasement publicitaire
Dimanche de Pâques
complètement envahi par la religion. Monseigneur Lustiger à la Télévision, à
midi et le soir, comme invité principal. On est mal à l’aise de son narcissisme
et du mépris qu’il témoigne à la speakerine. Discours sur la coïncidence de la
Pâque catholique protestante et orthodoxe mais pas un mot sur la Pâque Juive.
Après l’affaire du Carmel d’Auschwitz, on voit l’antisémitisme croître à vue
d’œil dans le cadre d’un Occident chrétien totalitaire qui déferle sur les
ruines du communisme et de la déstabilisation européenne. Face à cela on se
sent seul d’une solitude sociale. La conviction maintenant que les Jeunes ne
s’établiront pas et que leur consommation effrénée sans être le moins du monde
concernés par la perduration sociale n’est pas mauvaise volonté mais conviction
qu’un autre monde est déjà là.
Lundi de Pâques. Fin
de l’ultimatum de la Russie à la Lituanie. Elle l’a menacée de lui couper les
approvisionnements. Le Parlement lituanien s’est exceptionnellement réuni et
l’Eglise a demandé à la population de ne pas céder à la panique. L’Histoire
s’accélère et la France reste à quai. L’honneur est dans le maintien de la
créativité intellectuelle. Nécessité d’inventer un autre mode de vie.
La guerre larvée
entre la Russie et la Lituanie ressemble à la guerre entre les sexes. L’effort
pour acquérir l’indépendance étant puni de représailles pesantes dans la vie
quotidienne.
Comme si je devais
m’inventer une vie dans la nouvelle donne d’un pays disparu. Je n’ose dire dans
une France déjà islamisée. La chose ne parait plus impossible. Est-ce cette
angoisse d’entendre les appels au secours des femmes algériennes en proie à
l’islamisation accélérée de leur pays, les secours qu’elles demandent à un
étranger qui ne les entend pas dans le double aveuglement de croire que d’une
part ce qui se passe sur la rive Sud ne nous concerne pas, et d’autre part que
la résistance de ces femmes et leurs luttes ne sont pas politiques ! Elles
DISPARAISSENT (celles qui refusent de porter le voile qu’imposent les
Islamistes) Tout comme dans l’Argentine fasciste ou sous le nazisme. D’une certaine
façon, cette féroce répression qui d’habitude s’applique aux militants
politiques devrait faire admettre enfin la nature de leur lutte. Et en fait
non ! Là est la source du cauchemar.
Aux dires de MB, il
n’était pas facile à l’époque du nazisme de s’y reconnaître, le culte de la
jeunesse et de la vitalité apparaissant comme une régénérescence par rapport à
des régimes corrompus. On peut se poser là la même question par rapport à la
contestation du matérialisme et de l’Occident, au moment où le gros de la
troupe - par pollution et chaos interposés - commence à découvrir que ce n’est
pas la panacée.
Gorbatchev a coupé
le pétrole à la Lituanie ! Comment croire encore à la
démocratisation ? En même temps comment pourrait-il accepter la désintégration
de l’URSS ? Mais si cela n’est pas possible, quelle évolution l’est ?
J’ai écrit à mon
ancienne partenaire de théâtre :
Bravo pour ta petite carte rouge presque illisible, elle dit l’essentiel :
« Toute relation devient une véritable épreuve ! C’est comme une
maladie dans l’air et pas seulement en nous ! » C’est tout à fait
ça ! Je m’organise pour tenir dix mille ans au milieu des cendres. Quoi
d’autre ? L’angoisse est devenue mon pain quotidien. C’est à cela que je
sais que je suis encore vivante.
Dans Le Monde,
récit de la situation en Algérie. Les femmes sont condamnées au couvre-feu dès
dix-huit heures. Les appartements de celles qui vivent seules sont saccagés,
les visites interdites en résidence universitaire et tout cela en plus du
voile….
A Midi, on apprend
que la Russie a aussi coupé le gaz à la Lituanie. On est pris entre une
curieuse envie de dérision de sanctions qui évoquent les échauffourées entre
locataire et propriétaire et l’angoisse là aussi car depuis 1990 et la sombre
affaire de Timisoara, on ne croit plus à l’heur d’une Révolution Européenne.
Pour tout dire, je crois que nous sommes déjà en Guerre sans le savoir tant
l’Histoire s’accélère et ne cesse d’accuser le coup ! Tragédie de cette
rétorsion de l’ordre du froid et de la nuit. La Première Ministre de Lituanie
est une femme. On la voit allant en Norvège négocier des achats de pétrole et
de gaz. L’idée d’une gestion féminine du drame et qu’elle a des armes que
Gorbatchev n’a pas. L’intelligence domestique de la situation, j’entends par
là, la prise sur la réalité.
Débarras du grand
sommier et du petit matelas après avoir appelé SOS objets encombrants la veille
et obtenu l’assurance qu’ils venaient les ramasser si c’était sur le trottoir à
six heures du matin ! Cela sur les conseils d’Emmaüs qui les avaient
refusés la veille, se contentant d’emporter le bureau, ce monument inamovible
qui n’avait pas bougé depuis vingt ans !
A la sortie du
garage - pour aller à la piscine - comme s’ouvre le rideau métallique qui ferme
le passage, on voit un clochard installé dans son sac de couchage avec ses œufs
durs et son pot de fromage blanc… le tout assez confortablement et presque
esthétiquement… Toujours le même sentiment d’aggravation de la situation de
jour en jour dans une société française qui sombre, nous laissant le temps de
nous adapter mais pas davantage. On doit le réveiller pour pouvoir passer et
c’est là qu’émerge de son couvre-pieds à fleurs, une tête de vieil arabe très
digne qui sur le coup n’a pas trop l’air de réaliser la situation et qui fixe
ahuri les phares de notre voiture tentant de sortir du parking souterrain…
Je dois lui
expliquer ce qui se passe, mais il n’a pas l’air de comprendre. Est-ce un
clandestin fraîchement arrivé ? Il réalise enfin et sans amorcer le
moindre mouvement pour se lever – bien que je continue à lui dire fermement
avec la foi du charbonnier Il fait jour,
il faut vous en aller ! - il se contente de rapprocher de lui les
œufs, le fromage blanc et le reste de ses sacs en plastique. On roule donc à
côté de lui toujours dans son paquetage et un moment je crois qu’on va lui
écraser les mains. Des fantasmes de Guerre d’Algérie m’assaillent et il faut
que je me surveille pour ne pas lui donner d’argent. Comme je repasserai à
midi, il sera toujours là tapi dans le renfoncement noir du porche et cela fait
quand même un drôle d’effet.
Aux nouvelles du
matin sur les manifestations islamistes prévues aujourd’hui en Algérie,
Antoinette Fouque interrogée dit la même chose que moi, l’horreur de ce qui
arrive là aux femmes. Racontant qu’on a mis le feu aux maisons des femmes
seules et - ce que le journal ne disait pas - qu’un enfant est mort brûlé dans
ces incendies. Je ne me trompe pas en maintenant aux Editions des Femmes ma
fidélité, nous menons bien le même combat. Par ailleurs faut-il que le
Gouvernement se sente menacé pour aller quêter le soutien d’Antoinette,
habituellement interdite d’antenne sur les autres sujets.
Les Vacances de
Pâques s’achèvent, toutes entières passées à corriger les Bacs Blancs et à
chambarder la maison pour échapper au pire. Il m’apparaît que la moitié de
l’appartement cybernétique doit être considéré comme public, le privé se
limitant à la pièce arrière. On peut donc dire que j’ai été expulsée de chez
moi pour faire place au pool du progrès technique, mais en même temps en lui
abandonnant le terrain et en me retirant, je ne me suis dérobée à son emprise.
Je ne suis pas sûr qu’il s’agisse d’une défaite.
Un orage bien étonnant
en Avril, surtout après deux jours de froid de presque hiver. La météo toujours
comme un des éléments de l’angoisse. Je me demande d’ailleurs, s’il n’y a pas
là quelque chose qui rend fou !
A l’UGC Opéra, on entend le gérant qui dit à une ouvreuse que Rappeneau a
fait saisir son film Cyrano de Bergerac projeté
au Cinéma Bretagne parce qu’il le passait à la vitesse de vingt huit images
par seconde au lieu de vingt quatre… Cela dans le but de faire cinq séances
dans l’après-midi, là où tout le monde - disait le gérant - en faisait
quatre ! Et de les traiter de marchands
de soupe ! On ne sait pas s’il faut se mettre en colère du pas de plus
franchi dans la volonté de rentabiliser ce qu’on appelle désormais les produits culturels, se
féliciter de la pugnacité du metteur en scène ou du contentement du gérant
qu’il y ait eu une sanction ! Son commentaire suivant sur le débit des
alexandrins, m’a mise en joie !
Dans le Jardin des
Batignolles, une femme raconte une hallucinante croisière sur le Niger où le
village attendait en rond qu’ils aient fini de manger, les animateurs
distribuant ensuite les épluchures et les boîtes de conserve… le tout sans la
moindre émotion.
Dimanche au Marché
du Livre comme tous les dimanches studieux. J’entreprends de photographier un
peu n’importe comment avec le Konica que mes parents m’ont offert pour mes
quarante cinq ans.
A la Brocante des
Batignolles, cohue à ne pas pouvoir circuler. Je n’y entends que des propos de
haine et d’argent. Il semble qu’il n’y ait même plus de place pour les
amateurs, sans doute parce qu’il y a le mot AIMER. Il n’est question que de
savoir si l’achat serait une bonne affaire et de beaucoup de regrets lorsqu’on
se souvient avoir donné pour rien à des nièces des choses dont on découvre
qu’elles valent trente ans après, un billet de banque…
Accablement de ce
climat général qui peut se résumer ainsi : En tout c’est notre monde qui
meurt ! On pourrait s’en consoler si c’était au profit d’une modernité qui
donnerait de l’aisance et du confort, mais non ! Notre monde meurt en tout
et ce qui survient, c’est un nouveau Moyen Age totalitaire et terrifié. Il y a
là dedans quelque chose d’absolument insupportable. Comme si on s’apprêtait à
cumuler le pire du progrès technique et de l’archaïsme.
On commence à voir
dans les arbres parisiens, des sacs en plastique.
J’ai quarante cinq
ans. On m’offre un grand coffret en bois peint qui me va droit au cœur. Il y a
de la différence entre les valises qui sont faites pour être défaites entre
deux logements et les coffres qui servent en même temps de meubles dans la vie
des nomades. Je fais le lien avec les boîtes en bois/papier plié des Indiens de
Colombie Britannique et je ressens bien cet objet comme dans cette perspective.
Nous nous installons à l’intérieur de la maison comme pour une vie nomade.
Etait-ce déjà cela qui était en jeu, lorsque je me suis débarrassée de la plus
grande partie de mes affaires, du trop grand bureau, du sommier du lit et en
ramenant sous –devrais-je dire La Tente - la malle bleue achetée en 1967
au Mali.
Le donateur me dit
en plaisantant que cela suffit pour contenir les affaires d’une souris partant
en Amérique, et j’ajoute que cela convient pour un écrivain partant en exil…
Posée sur la table, le coffret ne fait plus du tout européen et on peut se
demander si cette opération du week-end de Pâques n’était pas en fait celle
consistant à lever le camp. Je pourrais même inventer le néologisme de
TRANSCAMPEMENT pour traduire le terme de PERESTROÎKA
Arrivée au Lycée.
Dans la loge de la Concierge, une Collègue téléphone avec devant elle, déployé
un commandement d’huissier. Cela rejoint les observations déjà faites mettant en
connexions leur intégrisme avec la panique des dettes qu’ils ne parviennent pas
à rembourser. Dans cet écroulement je me félicite de la ligne austère que j’ai
adoptée dans ce domaine, fut ce au prix de cet exténuant plein temps.
Conversation avec
mon amie sur un départ éventuel et ce coffret symbolique. Je lui dis que je ne
parviens pas à savoir si je dois acheter les quatre cassettes du film de Claude
Lanzmann Shoah, non seulement à cause
de leur coût de mille Francs, mais aussi parce que si c’est un départ en exil,
il faudra les emporter, cela représentant alors une charge matérielle
extravagante.
Et elle de me
reprendre d’un Si on les achète,
c’est qu’il faut partir ! Je
trouve cette réponse très juste et on s’en explique. Tant qu’il y a une société
instituée - un STA - il n’y a pas à avoir soi même une pareille chose car elle
relève alors des fonctions sociales et des gardiens sacrés des œuvres d’art. Si
on les prend avec soi c’est que le STA en question a disparu, que les fonctions
sont confondues et donc qu’il faut partir parce que plus rien n’est possible.
Vu un homme portant
un keffieh en forme de hidjab. Sa femme en portait un.
A propos du Contrat
naturel de Michel Serres, en répondant à Jennifer Waelti-Walters, l’idée me
vient qu’en France, le DROIT joue le rôle que joue la littérature en Amérique. Resterait
à ajouter que ce qu’on prend ici pour de la littérature, n’en est pas mais est
du côté du politique.
A propos de Julien
Sorel - à mon avis métaphore cléricale de la vie de l’écrivain - dans Le
Rouge et le Noir je me demande si la littérature ne tiendrait pas dans la
société française la place de la théologie d’autant plus nécessaire que le
pouvoir est laïque. On pourrait même développer l’idée dans le sens que si la
grammaire a servi - comme le dit F - à noter les chants sacrés et qu’elle a été
établie par les prêtres, on retombe sur nos pieds…
Jacob héritier de rien d’autre que l’abandon
des autres, ai-je écrit dans
La Baisure. Est-ce à dire que le judaïsme est de ne pas s’être
dérobé à l’interrogation du monde ?
Hier dans l’autobus
deux enfants juifs se faisaient mutuellement réciter leur liste de vocabulaire
hébreu que l’un deux tenait à la main. Côté thème : Esclave ? demande l’un, l’autre sèche. Question version Hagada ? L’hébreu, contre langue de cette pétaudière…
A la Cantine du
Lycée, je me suis encore fait manipulée en alimentant un débat sur l’intégrisme
et le féminisme alors que les femmes qui étaient là n’avaient aucune
connaissance ni de l’un ni de l’autre
Turgay H, mon ancien
élève, le premier turc que j’ai eu et qui était absolument remarquable est venu
me voir. Il avait en deux ans avec moi, progressé jusqu’à devenir mon meilleur
élève alors que l’ai connu ne maîtrisant pas la langue française. Il est plutôt
déconfit de n’avoir pu trouver de place en DECF pour l’Expertise Comptable et
d’avoir dû se rabattre sur la Sorbonne où me dit il, les Professeurs sont
absents deux fois sur trois ! Il se plaint aussi de l’ambiance.
De fil en aiguille
je lui pose pour finir la question Ils
vous ont mis en quarantaine et il me répond Oui ! Je lui explique qu’à la Martinique, c’était moi, et pour
quoi. Et que je peux donc le comprendre. Il me dit qu’heureusement il y a aussi
un autre turc et ce propos me parait accablant. Entérinant un apartheid quasi
biologique. Pourtant rien de nouveau là dedans, la preuve en est la chanson Avec l’ami Bidasse dans lequel le lien
repose sur le fait qu’on est tous deux
natifs d’Arras… Il vient au Lycée pour se faire pistonner par Mme Ponsart.
Je n’ose pas lui dire qu’elle est raciste et qu’il n’a aucune chance…
Le soir, Conseil de
Classe des 2TSC2. Je m’attendais au pire, bien décidée à m’en tenir à la
stricte vérité/réalité quoi qu’il arrive, seule façon de n’être pas - en plus
du reste - entamée. C’est ce que j’ai fait en relatant sans me cacher la
dégradation de la classe depuis le devoir surveillé séché. Le tout sur un ton
glacial.
L’incident éclate à
propos de l’Arabe intégriste dont je dénonce l’antiféminisme éhonté en disant
qu’en tant que femme je ne peux pas accepter qu’on me parle comme cela. La
Directrice me soutient ! JPH crache alors son venin soutenu par Laurent
Bolo. Je ne réponds rien du tout les laissant se casser le crâne de leur propre
fureur contre le mur de mon froid silence, style Buster Keaton, la seule façon
de témoigner publiquement de mon désaccord absolu.
A Reims au
commencement de l’après-midi, nous sommes physiquement agressés par un lumpen automobiliste qui après avoir d’abord tenté d’en découdre avec un
autre, s’en prend ensuite à JM qu’il essaie d’extirper de la voiture lui
déchirant la chemise et lui donnant un coup de poing dans la mâchoire,
finissant par nous casser une vitre. Je m’interpose physiquement pour empêcher
le drame et nous passons le reste de l’après-midi à la Police et à faire
réparer la vitre.
Nous couchons à
Charleville où le carillon égrène de quart en quart d’heure La victoire en chantant…. L’incident me semble se
décoder comme une agression sociale, notre allure et notre voiture nous
désignant clairement comme des bourgeois/hippies. Le costume de velours de JM
et mon gilet en dentelle exprimaient clairement notre esprit soixante-huitard
face à la marge sociale.
Dans la vallée de la
Meuse, un artiste forgeron fabricant seul dans un hangar, une monstrueuse truie
en métal symbole et des Ardennes et de la Sidérurgie. Quelque chose de
tellement colossal qu’on en est ébranlé. L’équivalent de mon Requiem en aciérie mineure mais dans une version folle et tragique, prophétique. Comme
si ce jeune homme avait pris sur lui ce monde mourant pour en faire œuvre.
Rappelant à la vie pour faire mourir consciemment quelque chose dont autrement
la mort serait passée inaperçue.
N’est ce pas l’un
des ressorts de l’art, du moins du CHANTRE et de la chanson de geste ? En
petit la même démarche que Claude Lanzmann ou la mienne dans Canal de la
Toussaint et qui fait fabriquer des monstres dont l’objet même est d’être
montrés. La fonction de l’Art est ce toujours d’une façon ou d’une autre de
montrer la mort et de par contrecoup de témoigner du vivant ? Comme
il demandait une aide financière, je lui donne cent francs. Je suis touchée
qu’à côté de cette activité hors norme, il s’essaie à une ferronnerie
commerciale sans allure.
Dans les Restaurants
hier et aujourd’hui deux fois un couple constitué d’un Arabe et d’une femme
d’origine hexagonale d’une cinquantaine d’années, le tout parfaitement intégré
et sans signe de discrimination, ce que je n’ai jamais vu à Paris. Qu’en
déduire ?
A Longwy, l’Usine a
été démontée et laisse dans la vallée une saignée incompréhensible du point de
vue de l’urbanisme et du foncier si on n’en connaît pas l’Histoire ! Une
espèce de malaise devant la nouveauté. On ne sait pas comment se situer par
rapport à ce cas de figure. Les corons serrés les contre les autre, privés de
sens sans l’Usine et d’autant plus absurdement qu’il y a les symétriques de
l’autre côté de la vallée, de l’autre côté de l’espace vide. On me dit qu’on
n’arrive plus rien à faire pousser tellement le sol est devenu lui-même un amas
de produits chimiques et de gravats. Reste seulement isolé un Magasin Central. Et ce vide, refus de mémoire évoque Shoah, le film et l’idée. Une négation de l’Histoire. Un même
révisionnisme.
Le prétendu
assainissement nécessaire pour empêcher le cafard, ressemble au TOUR-NER LA
PA-GE de ma Jeune morte en robe de dentelle. Impression bizarre de ce
vaste espace qui me renvoie à mes deux autres textes sur les connexions de
l’ESPACE et de l’IDENTITE, Sable sur l’identité canadienne et La
Porte des Vents concernant la marocaine, ce cas de figure là en étant un
troisième de la même catégorie. Il me semble que ma propre identité est mise en
cause là et que cet espace vide est un
coup de gomme et pas seulement
une désindustrialisation. Peut être
plus gravement encore comme quelqu’un me dit croire se souvenir qu’il n’y avait
pas de tradition là, mais que de la même façon qu’on a amené les gens autour de
l’usine autrefois, on attend maintenant simplement qu’ils s’en aillent en
démontant au fur et à mesure.
Il me vient le terme
de Désurbanisation.
De retour à Reims,
l’agresseur était effectivement au rendez vous prévu au Commissariat de Police.
L’accord amiable s’est fait sur quatre cents Francs de liquide. Trouver dans
cette victoire du fonctionnement social, le courage de résister.
Gorbatchev hué sur
la Place Rouge à Moscou. Déferlement des oriflammes de la Russie Tsariste.
Revendication ukrainienne d’indépendance, au nom de la Sainte Vierge. A la Télévision
des images de chaos et de décomposition de toute l’Europe. On a peur. Je n’aime
pas les mouvements informes de ce continent. Il y a vingt cinq ans, cette
Révolution m’aurait elle exaltée ? Sans doute non, son côté
nationaliste/chrétien/antisémite est maintenant clairement visible. Son côté
consumériste est insupportable, même si la pénurie comparée à nos gaspillages
est irrespirable et anime des revendications qui peuvent apparaître triviales.
Vote de la loi
prévoyant la suspension des droits civiques pour les racistes. Hier le Pen a
menacé de donner des ordres à ses
militants si elle l’était…Ambiance de Coup d’Etat, mais comment s’en
étonner lorsque nulle part la légalité n’est respectée, classe politique en
tête ? Le Pen est le seul qui parle de la réalité de plus en plus
étouffante, de la corruption et de l’iniquité de plus en plus flagrante.
Au Lycée DESHERENCE.
On pourrait parler des FRICHES PEDAGOGIQUES par analogie avec la fin de
l’industrie. Plus rien de ce qui est institutionnel ne fonctionne.
Le soir à la
Télévision ambiance surréaliste. Face à l’effondrement institutionnel et légal
les magistrats sont engagés dans un mouvement de libération des détenus et des
condamnations à Minimum. Par exemple un médecin condamné pour fraude fiscale a
écopé de trente Francs d’amende avec sursis ! On voit ensuite le Procureur
de la République qui fait appel en trouvant la sanction ridiculement basse et
comme il explique cela face à l’auto amnistie de la classe politique, il a
vraiment l’air d’un idiot et on rit en oubliant que c’est l’Extrême - Droite
qui profite unilatéralement de cette désagrégation…
Conversation avec MB
à qui je dis que l’ambiance m’évoque ce que je sais de celle de 1940 et qui
lui, l’ayant vécue n’en disconvient pas. Comme je lui dis que je ne sais
vraiment pas ce qu’il faut faire parce que tout parait bloqué et échouant, il
me dit d’ATTENDRE ce qui dans la bouche d’un ancien résistant ne peut pas être
pris pour une mesure dilatoire. Il m’affirme également qu’écrire des œuvres
libres et préserver ainsi la Culture est à soi seul suffisant. Le fait est que
lorsqu’on voit quelles bagarres quotidiennes il faut mener pour y parvenir et
quelle énergie politique cela réclame, on peut le penser… Tant la culture et la
pensée sont en ce moment étouffées et asphyxiées par ce que la rumeur publique
nomme joliment le consensus mou et qui me parait plutôt être de la propagande hard pour tous azimuts, le REVISIONNISME. C’est cela le nouveau
système de pensée qui se met en place et qui dépasse largement la négation de
la Shoah.
Tout se passe semble
t-il entre le Front National et les Mitterrandistes. Il semble que nous soyons
devenus de simples figurants, des laissés pour compte pas même des enjeux, une
part infime du butin laissé en prime comme sans valeur. Nous ne sommes
virtuellement plus des Citoyens, déjà en train de perdre L’us de cité. Condamnés à ne pas pouvoir prendre parti pour l’un ou
pour l’autre, pour des raisons différentes. Par ailleurs le vote de la même loi
établissant le révisionnisme comme un délit
me paraît dangereuse sans que personne pour autant n’ait relevé la chose. Cela
équivaut à décréter la vérité historique !
Conseil de Classe
exténuant. Mes Collègues me font honte individuellement. Une veulerie et un
esprit de Collaboration. Eux se
moquent ouvertement de moi et je me fais l’effet dans leurs yeux d’une vieille
folle qui radote. Le Lycée n’est plus praticable en dehors du strict
conformisme que je suis bien incapable d’exercer parce qu’au bout du compte on
aboutit à la mort de l’âme de la même façon. Bruno Bettelheim a très bien
expliqué cela.
Au Restaurant, deux
femmes du monde médiatique qui se prennent pour les têtes artistiques et
expliquent qu’Une Telle a été nommée Conseillère Culturelle
à l’Elysée en remplacement d’Un Tel
nommé lui même à la Cour des Comptes. … Si je comprends bien – là aussi - c’est
comme dans le film Il Posto, chaque fois qu’une place se
dégage, tout le monde monte d’un cran… Ce qui est d’ailleurs aussi le cas pour
moi-même qui espère le déplacement de mon armoire professionnelle dans le
renfoncement du couloir de la Salle des Professeurs !...
Et c’est de ce
milieu là qu’il faudrait attendre de la promotion littéraire… en faisant la
cour… et en acceptant au fil du temps des conditions de plus en plus
défavorables alors que mes idées ne cessent de se répandre depuis quinze ans
ainsi que l’Histoire elle-même de plus en plus prégnante, de me donner raison.
Je me demande comment je vais tenir cette bagarre qui s’intensifie sur tous les
fronts.
On me dit avoir vu
Rue de Sèvres, une quinzaine d’Allemands qui criaient HEIL HITLER en levant le
bras et en apostrophant les passants. On croit rêver mais on sait qu’on ne rêve
pas. La Télévision comme une chape de plomb diffusant des
anti-informations : des accidents de voiture, la sécheresse, les avions -
à répétition - et sur toutes les chaînes… Une espèce de machine à tuer qui
décérèbre. Tout mon effort employé à la refouler comme l’essence même de la
contamination. Révisionnisme télévisuel de l’il
n’y a pas, alors que l’Europe est en proie à un antisémitisme grandissant,
au chaos économique et à l’impuissance politique.
Une météo déchaînée,
des orages anormaux. Une sécheresse qui commence trop tôt dans l’année. Le
troisième hiver qui n’a pas eu lieu… On n’a plus tellement envie de rire. Les
eaux sont à la limite de non potabilité dans plusieurs départements dont Paris.
Empoisonnement de nous-mêmes par nous-mêmes. Sans compter le nitrate qui rend
impuissant.
L’Allemagne profite
de ce jour hautement symbolique pour proclamer qu’au-delà de sa réunification
de fait, elle entend n’appartenir à aucune alliance et être une nation
totalement souveraine. Cela est en soi admissible mais le fait que les autres
nations fassent comme si de rien n’était et qu’on progresse dans la
construction de la CEE à l’identique en dépit de tout ce qui est arrivé depuis
Novembre, fait quand même un drôle d’effet. Plus les périls menacent, et plus
le discours est Tout va bien, on contrôle
tout. Faites nous confiance !
Conversation le neuf
Mai avec Chantalle sur la météo et le manque d’eau. Comme elle a, elle aussi
remarqué à quel point on était dans l’été avec plusieurs mois d’avance, je lui
mets l’ensemble en forme: Le printemps en
Février, l’été en Mai, et en Août… C’est là qu’elle me répond
tranquillement Le Feu ! Je pense
aussitôt à Claude Lanzmann qui dans son film intervient pour la première fois
comme l’autre lui dit Les flammes
montaient jusqu’au ciel par cette question Jusqu’au ciel ? mais pour la protéger – car elle m’aurait crue - je n’en dis rien.
Dans le métro, un
jeune homme sort précautionneusement Le
Monde des Livres de la semaine
passée, le déplie, l’installe sur sa mallette et se met à lire. De mon côté
j’écris dans ce cahier. Nous roulons de longues stations. Il me fait un
sourire. Deux types à côté de moi - la cinquantaine - se plaignent de la
chaleur et l’un des deux demande d’une voix à la fois ordinaire et grave Comment ça se fait qu’il fait si
chaud ? L’autre essaie de lui expliquer qu’il ne fait pas plus chaud
que d’habitude et moi de répondre C’est
l’effet de serre ! Ils descendent à la station, le jeune lecteur
également. Nous nous sourions. Moment de bonheur parfait.
Décidemment je ne
parviens pas à suivre car j’écris presque toujours sur la veille alors qu’il se
passe le jour même des choses terribles. Ainsi concernant hier, la publication
de la liste des membres de la Commissions d’Admission dans les Sections
Supérieures du Lycée. Bien entendu je n’y suis pas, exclue depuis cinq ou six
ans pour mes positions professionnelles. Je m’y attendais mais cela me fait
quand même mal. Quant à l’expression L’équipe
pédagogique qui assistera le Chef d’établissement me fend le cœur. J’ai
beau savoir ce qu’elle contient de mensonges, c’est comme Juquin lorsqu’il a
été exclu du Parti Communiste alors qu’il s’y attendait pourtant et qu’il s’est
mis à crier et presque à hurler. Je prends à partie tous ceux qui sont là comme
témoins de mon exclusion publique du Corps Enseignant, leur disant que je
n’aimerais pas être à leur place et comme c’est l’heure d’aller en classe
j’ajoute que je vais de ce pas, prévenir les élèves.
Ce que je fais, en
arrivant avec trois ou quatre listes polycopiées que je leur distribue. Ils
sont d’ailleurs au courant puisqu’on en parle depuis un moment, au fur et à
mesure qu’on remplit leurs dossiers de candidature. Je leur répète la phrase
que je répète ces temps derniers à droite et à gauche comme un viatique : QUAND UNE SOCIETE DEVIENT FASCISTE, C’EST UN
HONNEUR D’EN ËTRE EXCLUE ! Mais je suis de plus en plus bouleversée,
grossière et ne me contrôle plus.
A la photocopieuse,
pendant que je vais chercher du papier pour continuer mon tirage en cours, A me
prend la place en retirant mes feuilles. Je remonte et lui dis tranquillement Ici il n’y a que deux anarchistes, toi et
moi… alors… Il comprend et me dit de lui-même Pourquoi tu me dis ça ? A cause de ce que fais ? Et il
s’excuse. Nous échangeons quelques phrases sur la situation. Aujourd’hui, lui
qui n’est pas particulièrement bien mis de sa personne arbore une chemise et un
pantalon noir impeccables. Je lui fais compliment de son élégance et d’une certaine
façon, nous sommes heureux.
Aujourd’hui Jeudi,
je sèche quatre heures de cours. Record battu ! Deux la veille et quatre
en tout la semaine dernière. Au total dix en quinze jours ! Je ne sais pas
trop pourquoi je fais cela, mais C’EST ! Parce que ces cours sont inutiles
et ne sont que de la destruction. Par révolte ! Par indifférence !
Par faiblesse ! Par peur ! Par force ! Par action
politique ! Parce que c’est nécessaire. Tout cela reste à élucider. En
attendant, c’est !
Dans la Classe de TG
2/2 on fait ensemble des moyennes qu’on affecte de coefficients comme je l’ai
proposé pour que l’effet du Bac Blanc, s’estompe. Il n’est plus possible de se
laisser ainsi discriminer sans se défendre. En vingt deux ans de carrière, je
n’ai jamais eu de si bons élèves et les Collègues les saqueraient pour
m’atteindre à travers eux ? Même chose dans les propos du Collègue Chadli
qui commence à entrevoir de quoi il s’agit. Quand on sait qui enseigne dans ces
classes là, Arabes, Antillais, Asiatiques et féministes et que le lobby
comptable est constitué de brutes sans culture….
Les Elèves acceptent
de participer à la formule en s’essayant à peu près à la Justice et à la
Démocratie. Et à la lutte antifasciste, leur dis je car c’est d’une certaine
façon leur peau que je défends et la mienne. A la fin du cours, ils me
demandent la différence entre nazisme et fascisme. J’explique que Mussolini n’a
pas tourmenté les Juifs mais que Laval a fait déporter les enfants que les
Allemands ne demandaient pas. Je leur dis qu’ils ont eux et moi, tout à
craindre de cette France là.
A Onze heures, par
la porte ouverte sur le couloir, je vois passer les Elèves de Techniciens
Supérieurs que j’ai laissé tomber le matin même. Ils me montrent un peu les
crocs sur le thème On vous attendu à 8 heures !
Je ricane de l’intérieur de la classe en disant C’est désolant tout en continuant mon cours. Je ne vais pas leur
parler dans le couloir, et eux de leur côté n’osent heureusement pas entrer
dans la pièce. Les Elèves de terminales avec lesquels je suis, les regardent
d’un air supérieur et méprisant… Du confort moral de ceux qui ont été choisis.
D’une certaine façon, puisque les Elèves choisissent les Professeurs en
pratiquant un enseignement à la carte, pourquoi les Professeurs ne choisiraient
ils pas leurs Elèves de la même façon ? C’est une manière comme une autre
de retrouver la dignité en rétablissant une égalité ontologique qui s’est
rompue de façon insupportable, en nous transformant en laquais.
A Quatorze heures,
en Salle des Professeurs, Courouble remplit des dossiers d’admission en BTS
lorsqu’arrive Ficquemont. Ils parlent des admissions dans les sections
supérieures parce qu’il est lui, membre de la Commission de Sélection. Je lui
dis : Cette année vous essayerez de
prendre quelques Arabes et quelques Noirs, il y en a en Terminales, et il n’y
en plus en BTS, ça manque !... Je m’enfuis de l’Etablissement en
séchant les deux heures de l’après-midi.
A Dix sept heures,
on apprend à la Radio qu’à Carpentras, trente quatre tombes juives ont été profanées,
un mort exhumé, vidé de son cercueil et empalé sur un parasol, nous dit
on ! On apprend également que dans la nuit de Mardi à Mercredi les
vitrines d’Avignon ont été recouvertes de graphitage antisémite. J’écris
immédiatement au CRIF pour leur dire que je ne suis pas étonnée, étant donné la
situation au lycée.
J’éprouve une sorte
de haine sociale pour certains arrivés de la Nomenclature ou pour la Bourgeoisie
qui nous a amenés là et qui se disqualifie dans les médias. Pour le gros du
troupeau, je m’efforce à la compassion pour ne pas perdre mon âme dans la
détestation et l’amertume. J’y arrive assez bien !
La grâce du
cancer : Avoir connu le plus dur, avant le plus dur !
A France Culture, à
l’émission Ecoute Israël, les
intervenants reviennent sur celle de L’heure
de vérité Mercredi dernier, lors
de laquelle Le Pen a dit qu’il y avait trop
de Juifs dans la Presse, comme il y a beaucoup de Bretons dans la Marine et de
Corses dans les Douanes ainsi que sur les suites de l’Affaire de
Carpentras. Le journaliste invité dit Trop
de Juifs dans la Presse, c’est comme de dire qu’il y a trop de curés à Lourdes.
Cette comparaison est terrible et émouvante.
Vendredi et Samedi
manifestations dans un sens ou dans un autre dans tous les coins du pays.
Dimanche : Tout le monde à Carpentras ! Joxe en costume noir et
chapeau, beau comme on ne l’a jamais vu et comme il ne déparerait pas un chef
d’œuvre du cinéma à la Française… Pendant
que tout le monde se montre à Carpentras…. Manifestation de l’Extrême Droite à
Centre Ville sur le thème de Jeanne d’Arc… Banderole déployée sur Notre-Dame
etc…
Déjà hier j’avais
l’impression que ce n’était pas le coup juste de se ruer à Carpentras mais
aujourd’hui j’ai vraiment l’impression d’une manipulation selon un plan
concerté dont la déstabilisation de mes classes durant tout l’hiver n’aurait
été que les prémices. Non que je ne sois pas comme le reste du pays traumatisée
par ce qui vient d’arriver mais il me semble qu’ils se font mener en bateau au
sens où Le Pen les amène là où il veut. Ils sont intégralement à sa remorque,
on dirait en termes de boxe ou de lutte qu’il
les ballade.
Tout cela sent le
plan concerté comme si cette sodomie de cadavre avait pour but de paralyser la
population en la plongeant dans une torpeur régressive anale de soumission
infantile. De toutes façons ce qui me frappe chez Le Pen depuis plusieurs mois,
c’est son intelligence des situations et son labourage hors pair de la société
française. Je me fais depuis quelques temps la réflexion qu’il doit avoir un
brain-trust du tonnerre. Et pourquoi pas des ethno-psychanalystes
capables d’avoir conseillé cette action là pour dominer la population ?
Le Centre Pompidou a
ouvert des registres dans le hall pour que les gens expriment leur indignation…
Ce que je fais en trois longues pages qui expliquent la cohérence de ce marasme
depuis la Libération….
L’après-midi au
Premier Salon de la Revue où je noue des contacts inattendus.
On rentre par la Pyramide
du Louvre qu’on n’avait pas encore visitée. Je la trouve splendide mais suis un
peu gênée de découvrir le point commun avec le Forum, une certaine tendance à
enterrer les gens, comme si la surface allait être réservée à la Nomenclature
cybernétique comme ce fut le cas pendant les Fêtes du Bicentenaire où la ville fut
pratiquement interdite.
Dans la semaine
aussi des choses insupportables. Jacques Attali nommé Président de la Banque
Européenne créée pour lui sur mesure. Le Festival de Cannes ouvert le jour même
de Carpentras… Quelque chose d’intolérable dans la poursuite de cette
manifestation. Seul Elie Wiesel a levé le camp.
Hier aux Halles,
discussion de fond avec des Etudiants Contestataires. J’argumente bien pied à
pied pour leur faire préciser leurs positions sur certains points. Tout ce que
je pense de l’Economie Distributive qui se met en place me
parait se confirmer. Il ne s’agit plus aucunement d’être Citoyen mais d’obtenir
une plus grande part de la manne par
l’action de rue. La CITE n’a pas de sens pour eux
A la Librairie
Flammarion comme un client s’avance pour payer un guide Michelin d’Autriche, le
vendeur fait le salut hitlérien sans qu’on puisse savoir exactement ce qu’il
veut dire. Comme il ajoute qu’il n’en peut plus et qu’il a besoin de prendre
l’air, je lui confirme que cela se voit. S’engage alors une conversation
cryptée et ésotérique où je lui dis qu’étant libraire il doit tenir son poste
de librairie et empêcher que l’inondation passe par la brèche qu’il aurait laissé
ouverte. Je ne sais pas s’il m’a compris mais il fut très impressionné.
Quimper couvert d’Etoiles Juives sur les magasins qui vendent les confections fabriquées dans
le Quartier du Sentier.
Dans toute l’Europe,
des tombes profanées, en Allemagne mais aussi en Israël et dans le Maghreb. On
se demande ce que cela signifie. L’intuition que ce n’est pas seulement de
l’antisémitisme mais quelque de plus profond pourrait on dire dans la mesure où
le nazisme me parait lui-même une forme historique et politique plus
particulière de quelque chose de plus vaste. Cette Totalnité que je cherche depuis des années à cerner et qui pourrait
bien être le Révisionnisme. Au sens
que je ne saurais pas encore complètement définir mais dont j’aurais déjà
l’intuition.
L’Hôpital serait
déjà révisionniste au sens où les
bilans seraient les révisions
périodiques de la machine humaine. Ma mère serait révisionniste au sens d’une nouvelle vision de l’Histoire et ce
révisionnisme s’appliquerait accessoirement à la réécriture de l’Histoire - et
notamment de la Shoah – mais si j’ose dire, accessoirement !
Ce révisionnisme aurait à voir bien sûr avec l’ère visuelle de la Télévision et
l’hystérie publicitaire. Voir à ce sujet mon texte : En son ventre
cybernétique. Timisoara en serait
une sorte de paradigme comme la possibilité de faire surgir une nouvelle vision
et plus globalement cette fausse Révolution Roumaine fabriquée de toutes pièces
avec des images qui sont de pure hallucination dans la mesure où cette
révolution n’a jamais existé. Le révisionnisme, c’est le remplacement de la
réalité par une fiction visuelle décrétée.
Le Lycée est désert,
on se demande où sont passés les Professeurs. Pas un mot bien sûr sur la
situation, sauf avec la jeunette Collègue de Philosophie, pleine de bonne
volonté mais pas très maligne. Elle essaie de m’expliquer qu’il faut aller à la
manifestation. J’explique que je n’ai rien contre mais que je combats tous les
jours au Lycée et que c’est sa désagrégation ainsi que celle de la société dans
son ensemble qui est la cause de tout cela…
Un graphitage dans
le métro Télévision enjuivée !
Le soir, la
manifestation est ambiguë. La Télévision nous dit que
c’est parfaitement réussi, la classe politique est réconciliée dans un front
antifasciste etc… et parle même curieusement d’acte de contrition continuant à nous engluer dans une Théonomie qui ne cesse de s’étendre en
supplantant le politique depuis longtemps déserté. D’ailleurs dans l’autobus la
panique m’a prise devant la prolifération ostentatoire des croix que les gens
arborent de plus en plus agressivement sur leurs pectoraux.
J’ai commencé à
réaliser qu’il y avait là le marquage des nouvelles biomasses et ai été prise
d’angoisse à l’idée que je ne pouvais appartenir à aucune, cette impossibilité
me désignant potentiellement comme la victime de tous. M’en ouvrant à mon
meilleur ami, il me répondit qu’on porterait des petits mickeys et que
cela paraîtrait parfaitement normal.
Mais les images de
la Télévision montraient tout autre chose. Mitterrand et ses Ministres perdus
au milieu d’une foule à cinquante pour cent hostile et qui surtout ne les
laissait ni passer ni prendre la tête du cortège, les engluant sur place dans
une masse compacte et solidaire au sens de solide et d’absence d’écoulement.
Article
hagiographique dans Le Monde. Cette
cohue immobilisante ne m’a pas parue aussi bon enfant qu’on aurait pu le
croire. Aucune allusion à ce phénomène nouveau non identifié. Comment savoir
s’il s’agit d’un désordre résultant de l’effritement des institutions et des
structures, d’une nouvelle forme de manifestation plus souple et décontractée
ou au contraire de quelque chose d’hostile qui n’a pas encore réussi à dire son
nom ? Je l’avais déjà perçu lors des manifestations de 1986 dans
lesquelles le silence et l’agglomération indistincte tentaient de digérer tout
ce qui passait à leur portée Ai-je rêvé ces manifestants groupés déjà Place de
la Bastille et empêchant toute progression ? Annulant finalement la Classe
Politique et jusqu’au Président de la République… incongru dans une
manifestation. On est partagé entre le contentement de les voir ainsi mouchés
et humiliés par la foule et l’inquiétude car nous savons trop ce qui va sortir
de ce discrédit.
D’ailleurs le soir
même, on apprend la profanation du Cimetière de Clichy-Sous-Bois, en Suède
également et… jusqu’en Pologne, celle des catholiques ! Bref, toute
l’Europe viole ses tombes. Je crois savoir pourquoi. Je me tiens à l’écart de
ce maelstrom.
Dès cinq heures du
matin, je sais par la radio les profanations de la nuit, cette fois à Périgueux
et de surcroît qu’une Enseignante qui avait fait un cours antiraciste a été
rouée de coups et expédiée à l’Hôpital. On l’interroge. Je m’étonne seulement
que le journaliste dise qu’on l’a traité de Sale
Juive ! Sale Arabe !
Je regarde ensuite
au magnétoscope le débat de la veille sur – prétendument - la liberté
d’opinion, terrifiée de voir à quel point tout cela est une rhétorique de salon,
académique et coupée de la réalité. Par ailleurs je constate que contrairement
à mes espérances, c’est inutilisable pour les Elèves. Comme le film De Nuremberg à Nuremberg comme Nuit et brouillard et pour la même raison. A savoir qu’ils n’ont aucune des
grilles qui permettraient d’en tirer quoi que ce soit.
Lapsus de Lionel
Jospin répétant de travers la phrase prononcée par Le Pen Il y a trop de journalistes dans la Presse !...
Prise de bec au
Marché. Les Poissonniers s’installent. Le patron tient publiquement des propos
orduriers sur l’entrecuisse et les gluances amoureuses d’une petite jeunette
qui installe les caisses avec eux. Celle-ci me regarde souriante et terrifiée,
terrifiante aussi comme victime expiatoire désignée d’un viol public. J’interviens
pour moucher le patron, avant de me faire grossièrement renvoyée à mon ménage
dans le style Retourne dans ton
douar ! Le vendeur voisin, un asiatique qui a assisté à la scène en
souriant, me donne gratuitement trois kiwis supplémentaires. J’en ai de la reconnaissance.
Lycée pénible. On
rigole avec le Collègue Chadli sur le thème Au
moins on tient la salle des Profs !... soudant ainsi une collusion de
plus en plus nette. Le fait est que les gens n’osent plus y rester. Par
absentéisme et par désertion d’une façon générale mais aussi parce que j’y fais
régner un tel climat d’intimidation qu’ils choisissent plutôt la fuite qu’un
combat qu’aucun n’ose affronter seul(e). Je prends cela pour un hommage. J’ai
beau être très menacée, c’est tout de même moi qui tiens le haut du
pavé !... Et dans l’idée qu’on tient la salle des Profs, il y a sous
jacente, celle qu’on pourrait conquérir ou reconquérir d’autres positions….
Sans doute cette explication me donne-t-elle courage car je passe à tabac
moralement deux Collègues qui m’ont maltraitée tout l’hiver. Ils
s’enfuient ! J’en suis médusée et contente de me découvrir une force plus
importante que ce que je pensais.
Etonnée, je remarque
aussi l’obséquiosité du Censeur, ce qui n’est pas du tout son attitude
habituelle à mon égard plutôt perverse. Je comprends le sens de tout cela en
rentrant. Il y a bien sûr une demi-douzaine de nouvelles profanations mais
surtout un soutien tellement massif à l’Enseignante qui a été tabassée qu’on se
prend à espérer un tournant dans cette bataille.
Est-ce le L’espoir changea de camp, le combat changea
d’âme ? Non seulement Jospin apporte son soutien sans équivoque à
l’Enseignante mais envoie le Recteur dans la Classe en remplacement du
Professeur ! Enfin un acte symbolique et sacré dont nous pouvons être fiers. Soutien également de la Proviseure et du SNES, ce
dont on ne revient pas.
La question des
Enseignants Révisionnistes reste en suspens… Jospin et le Conseil de
l’Université Lyonnaise où ils sévissent se renvoient la balle, chacun essayant
de faire prendre à l’autre, la responsabilité de l’exclusion, englués qu’ils
sont les uns et les autres dans la problématique de la liberté d’expression,
coincés par la logique du tiers exclu. Incapables en fait de proclamer qu’il
est à la fois indispensable d’affirmer la liberté absolue d’expression et dans
le même temps celle du devoir d’enfreindre ce principe lorsque quelque chose de
plus important est en jeu ce qui est là, le cas. Nous crevons de l’aliénation
grecque et latine. Claude Lanzmann dit La
destruction du judaïsme de l’Europe de l’Est, c’est comme la destruction d’une
forêt, elle a modifié le climat à des kilomètres à la ronde ! C’est
tout à fait cela ! On s’est ainsi privé de la pensée en mouvement, la chaïque contradictoire du troisième
terme non exclu comme l’approche la formule Un
juif, deux synagogue qui dit quelque chose de ma propre philosophie de la contrairation !
L’affaire de
Carpentras a ouvert les vannes, il y a seulement huit jours et la société
française en est bouleversée au sens propre. Les médias sont toutes entières
occupées par des débats, sondages, propagande etc… qui sous couvert de dénoncer
l’antisémitisme, le propage. Je suis terrifiée de cette espèce de nouveau
consensus et de la réaction unanime de la classe politique à la fois faisant
front contre l’antisémitisme et n’hésitant pas à aggraver son racisme
anti-africain. Les deux poids deux mesures ajoutent à la confusion et
alimentent les dérives. Cela est il dû au fait qu’il n’y a dans la classe
médiatico-politique ni Noirs, ni Arabes ? On est gêné de tous ces
constats…
Hier en classe de
Terminale Comptable, comme j’expliquais les Socialistes Utopiques, le Mouvement
Alternatif et les Soixante-huitards, les élèves se sont carrément moqués de moi
sur le thème des babas-cool qui fument.
C’était du délire. La Classe trépignait, alors que fortement basanés, ils sont
aussi menacés que moi par Le Pen. Je leur ai expliqué ce que signifiait ce
courant politique par rapport à la lutte anti fasciste et qu’ils avaient tort
de le prendre ainsi. Mais rien n’y a fait. J’ai été obligée de leur dire que de
me faire traiter de baba cool, c’était
pour moi l’équivalent de pour eux se faire traiter de crouilles ou de bougnoules. Ils
ont alors fini par comprendre mais j’ai été choquée de devoir en arriver là…
Vendredi après deux
ans d’efforts, je réussis enfin à obtenir le déménagement de mon armoire… à
condition encore de pousser vigoureusement les deux hommes de peine du Lycée
avec qui j’avais pourtant rendez vous dans ce but… Ils ne comprenaient pas
vraiment que j’ose leur demander ce qui leur apparaissait à eux comme un
service inouï et non l’une des activités de leur travail salarié normal…
Dans la Salle des
Professeurs, l’ambiance a changé. Il y a une authentique conversation publique.
Une jeune Collègue demande qu’on lui explique la Guerre d’Algérie, ce que je
fais avec Chadli, le Collègue arabe. La jeune Collègue nous dit qu’il n’y a pas
de Noirs à la Sorbonne et que tous les Professeurs de Philosophie Politique
sont d’Extrême Droite. Je mesure sur elle les ravages de la propagande des
Octantes et l’absence de transmission culturelle réelle. Elle a, en fait de formation universitaire plutôt subie un formatage révisionniste avant la lettre. Rien sur les événements d’Algérie
mais tout aussi bien sur tout le climat politico culturel de l’après guerre, et
un salmigondis de dénonciation de Jean Paul Sartre comme ayant couvert les
crimes du stalinisme. Je mets les pendules à l’heure en lui disant ce qu’il a
représenté pour comme maître à penser de notre Génération en donnant à chacun
avec l’existentialisme la possibilité de penser par soi même et de devenir un
intellectuel, sans que personne ne l’ait jamais pris pour un leader politique.
J’ajoute que personne n’ignorait les camps ni les Staliniens puisqu’on
s’affrontait à eux tous les jours dans les facultés. Lui disant que je suis le
produit de cette influence sartrienne je lui dis que je découvre en parlant
avec elle qu’on lui a vendu un Sartre soumis à révision dont on attaque la ligne politique (sans intérêt) pour mieux le
déboulonner en tant qu’encouragement au libertarisme.
Avec Chantalle nous
poursuivons nos échanges habituels. De fil en aiguille il nous apparaît
également que nous avions pris possession de grands et beaux appartements à une
époque plus favorable et que nous n’avons plus nécessairement les moyens de les
entretenir.
Je me remémore alors
les appartements de Lima dont la bourgeoisie locale n’a plus les moyens de
payer les réparations de plomberie et suis sidérée de m’entendre dire - tout en
en étant soulagée - qu’il y a maintenant un phénomène de décapitalisation
ménagère d’autant plus angoissante que le gaspillage n’en est plus supportable
face à notre propre épuisement. J’ajoute dans la même conversation que ces
grandes pièces de réception n’ont plus de raisons d’être, les amis étant morts, suicidés ou devenus
fascistes et que c’est épuisant d’entretenir un appartement finalement
au-dessus de nos besoins. Nous mesurons alors que le délitement du tissu
social a accompagné l’effondrement économique et culturel de notre groupe.
Au Parc de la
Sauvage. L’effort pour fabriquer à froid des photographies privées de sens, à proprement
parlé, absurdes. Pour ensuite pouvoir écrire dessus. Une nouvelle façon de
faire. L’épisode de la Sauvage, central dans la trilogie sur laquelle je
travaille en ce moment comme le lieu où s’effectue l’intégration de la matière
animale. Tout cela concernant mon livre Ton nom de végétal.
On fait passer le
BTS nouveau régime. La première épreuve est une authentique synthèse qui
pourrait se résumer par demander aux Elèves, pourquoi et comment a augmenté le
taux de pressurisation du capital humain, la variante en étant - au bout de dix
ans de mitterrandisme - d’en expliquer la finalité pour l’Entreprise et pour
l’Etat.
J’apprends également
ce jour que nos chers Elèves de deuxième année de BTS - les deux classes
confondues - ont volé les logiciels des ordinateurs, les rendant ainsi
impropres à l’utilisation, sans aucun égard pour leurs condisciples de Première
Année. Le fait est qu’ils ont de qui tenir et que l’exemple vient de
haut !... Le pénible dans cette affaire n’est pas tant le vol que le refus
du Lycée de porter plainte ainsi que la rigolade des Elèves se moquant de nous
parce que le Censeur n’osait pas employer le mot VOL et que c’est moi qui l’ai
prononcé. Un rire de mauvais augure. Obscène et cynique.
La seule nouvelle
gaie est celle du départ de la Proviseure. Il est exclu que je donne le moindre
sous à la traditionnelle collecte ou que je participe à la Cérémonie
d’Adieu !
Les Réfugiés
Roumains Tsiganes arrivent maintenant en Allemagne au rythme de trois à quatre
cents par jour.
Embrasement de la
Palestine après l’assassinat de huit ouvriers palestiniens par un jeune
israélien déséquilibré.
A Saint Germain des
Prés. Je ne rentre même plus dans les boutiques. Je n’ai comme cela plus
l’occasion de m’apercevoir que cela est devenu trop cher pour moi. J’ai
tendance pour des raisons diverses à inventer des installations aux
confins : Montagne Sainte-Geneviève. Denfert-Rochereau, Carrefour du Bac…
Une périphérie excentrée, un encerclement, le siège d’une place à investir. Des
postes frontières installés pour surveiller
Veilleur où en est la nuit ?
Dès qu’on est en
relation avec quelqu’un ou quelque chose on est immédiatement pris dans la
pétrification/immobilisation. La situation sociale est plus forte que nous au
point de se demander ce qu’il en est de l’individu et si c’était la même chose
dans les Septantes de telle sorte que nous n’aurions été dans un sens comme
dans l’autre que le produit des mouvements de l’époque. Il est sûr que c’est
déjà le cas pour mon œuvre intellectuelle et littéraire, mais cette analyse
peut peut-être aussi s’étendre à la vie quotidienne y compris domestique.
Concernant le cadeau
de départ à la retraite de la Proviseure, mes Collègues ne comprennent pas que
je porte sur son incurie un jugement politique dans la mesure où son absence de
conscience professionnelle a amené les classes dans l’état où elles sont, nous
abandonnant, les Elèves et nous à notre naufrage. Cela rejoint un peu la
problématique de la débâche de 1940. Le refus de poser la question de
l’incompétence est politique ou plutôt antipolitique
au sens d’a-civique. C’est le refus
d’être citoyen ! L’irresponsabilité est devenue une norme, un refus
d’être, en fin de compte l’état fœtal. C’est là le germe du
totalitarisme qu’on sent bien s’insinuer partout.
Mardi soir à la
Télévision La Marche du Siècle a pour
thème l’antisémitisme. Parmi les invités, un rescapé d’Auschwitz qui raconte
deux ou trois choses comme cela, les sélections, les galoches en bois, limitant
ses explications pour ne pas déborder de son temps de parole. L’animateur
veille à ce que tout se passe bien. Profond malaise qui s’épaissit encore comme
il annonce qu’on va voir la première demi heure du film SHOAH de Claude Lanzmann le réalisateur qui interviendra en direct
de Tel-Aviv ! Il dit que le film va ressortir bientôt, mais n’explique pas
qu’il dure neuf heures et qu’il y a travaillé pendant onze ans.
Mercredi dans l’un
des passages couverts des Boulevards, j’achète pour trente Francs Vingt mois
à Auschwitz publié en 1945. Prétendument selon la notice, le premier des
récits, ce qu’il faudrait vérifier. La femme (26 ans) me dit que cela doit être
difficile. Je le lui confirme. Elle enchaîne en disant qu’elle travaille sur le
bagne et que c’est dur aussi !
Je reprends qu’il
n’y a aucun rapport et cherchant à être efficace je lui résume qu’on ne va pas
au bagne en famille. Comme elle rejetait tout cela dans un lointain historique
dont elle me disait que cela ne la concernait pas, je cherchais le plus
rapidement possible à trouver le joint, déjà bouleversée par la soirée de la
vieille dont finalement les propos allaient dans le même sens. Je le trouve en
lui expliquant que le Nazisme n’est pas du passé mais le présent médical et
qu’elle est concernée à ce titre. J’ajoute qu’il s’agit de comprendre ce qu’il
y a dans le judaïsme de si insupportable à notre civilisation pour qu’elle
veuille s’en débarrasser....
Avant hier dans le
journal, un petit article annonçant que Daimler-Benz et Mitsubishi vont
construire ensemble des usines en URSS. Je reste sans voix de la rapidité du
bouleversement et me sens fort isolée de ne trouver personne avec qui partager
mon émotion. Autour de moi, ils semblent surtout préoccupés de nier le
changement. Ma spécificité est elle en raison de mon enfance totalement
anormale, la capacité de regarder la mort en face ?
Hier Vendredi 25
Mai Conseil de Classe encore pire que tous les précédents, concernant la Classe
des Allumés. On commence par leur
faire des compliments avant qu’ait lieu l’incompréhensible exécution de cette
classe absolument remarquable et la meilleure de toute celle que j’ai connues.
Ce n’est pas difficile, ils ont toutes les qualités ! Or sur leurs livrets
scolaires ils se ramassent à la pelle, des avis qualifiés d’assez favorable, voire
au mieux favorable qui en réalité –
selon les codes non écrits - les condamnent pour leur
admission dans l’Enseignement Supérieur.
Puis assez
rapidement le système s’emballe et les appréciations distribuées sont n’importe
quoi sans aucune cohérence d’ensemble. Les Délégués Arabes et assimilés
commencent à s’agiter sans qu’on comprenne trop ce qui se passe et je les
accompagne dans cette agitation en échangeant avec eux au coup par coup des
réflexions et des émotions avant de comprendre qu’il s’agit en fait d’une exécution en règle de la classe qui
recoupe et renforce le barrage dressé par mes Collègues contre l’admission de
ce type d’élèves en BTS. On n’en n’a plus un seul depuis que JPH est à la tête
de la coterie, veut ma peau et a réussi – en dehors de moi – à éliminer tout ce
qui s’opposait au technicisme totalitaire.
Avec les Délégués
d’Elèves, nous ne savons pas comment réagir d’autant plus que la Directrice se
livre à ses saloperies habituelles en commentant le nom des élèves qu’elle
harcèle sur tous les sujets et nous en venons à un échange verbal violent très
désagréable. J’obtiens pour finir tout de même que les appréciations soient
relevées et d’en repêcher quatre qui avaient été honteusement discriminés. Je
donne aux élèves une petite carte souvenir élogieuse que j’avais déjà préparée
à leur intention.
Découverte le même
jour d’un Quartier Turc à deux pas du Lycée entre le
Faubourg Saint Denis et la station de métro Strasbourg Saint Denis. Assemblés
sans doute près des mosquées, les habitants sont nombreux et discutent en
occupant la rue. J’hésite à passer me sentant très mal dans ces rues que je ne
peux plus - quel que soit le discours volontariste et idéaliste - considérer
comme miennes. Tout cela renforce le sentiment d’isolement comme s’il n’y avait
plus rien entre les Immigrés et les
Socialistes s’installant dans l’apartheid qu’ils mettent peu à peu en place
d’une part ou d’autre part, les Fascistes qui veulent s’en débarrasser. Il
semble que la nation jacobine soit
d’ores et déjà caduque sans que personne ne s’en préoccupe. Et nous les
Professeurs, sommes flottants… sans fonction
Quatrième jour du
chantier de peinture de la Grande Pièce. La demi cloison a été retirée et le
parquet réparé avec un morceau pris dans la penderie. J’éprouve une profonde
satisfaction de cette couleur vert jade qui correspond exactement à ce qui
convient maintenant. Faute de pouvoir fêter la Fête des Mères à la mienne, je
m’offre un superbe rosier que j’installe royalement sur le balcon.
Marie Claude me
téléphone son contentement après la lecture de mon livre La Jeune morte en
robe de dentelle. Elle en parle très bien en une seule phrase Ca commence comme si tu racontais simplement
ta vie et puis ça s’insinue jusqu’au langage du lien ! Je suis
d’autant plus contente qu’habituellement ma vie littéraire est plutôt exclue de
ma relation avec eux deux. Commencé depuis presque un an dans la partie de La
jeune morte qui n’a pas pu se maintenir dans la version finale du texte, un
nouveau livre sur la Shoah. Aura-t-il pour titre Souffrir avec moi du monde ?
Si le tiers-mondisme est devenu si obsolète alors même que les idées en sont
politiquement toujours justes et que nous n’avons pas cédé sur nos
attachements, n’est ce pas parce que la France est désormais elle-même devenue
un pays du tiers monde ?
Journée abominable
en Terminale, chez les Allumés. Les
Elèves ne peuvent admettre d’avoir été fusillés par des Professeurs qu’ils
aiment bien et qui disaient verbalement du bien d’eux. J’assiste en direct au
refoulement de ce qu’ils ne peuvent intégrer. Ils m’offrent un énorme bouquet
de fleurs de la part de toute la Classe précisent-ils. J’y vais de mon couplet
et distribue les petites cartes prévues sur lesquelles j’ai imprimé qu’ils étaient les meilleurs élèves de toute
ma carrière et que je leur souhaitais bonne chance.
On s’aime
ouvertement. Zarka mon petit chéri réclame d’être embrassé. Je n’osais pas
moi-même, rêver d’une pareille aubaine. J’y vais. On
est heureux. La Classe commente. Quelqu’un dit Ne rougis pas ce qui ne manque pas de sel puisqu’il est bistre. Je
tente sans succès de leur expliquer que le système scolaire reproduit les inégalités
sociales mais ils ne veulent rien savoir, c’est le butoir ! Néanmoins ils
m’entendent tout de même lorsque j’ai recours à des métaphores évoquant les
leurres de la Shoah.
En Première TSC,
c’est la situation inverse ! Là ce sont les Elèves qui veulent m’éliminer
moi. Je m’en tire comme d’habitude en leur lisant publiquement les instructions
pédagogiques et le programme pour leur faire constater que c’est exactement ce
que je fais. Ils en conviennent. Je reprends sur le thème qu’en fait c’est bien
moi et non les Collègues qui sont dans la ligne.
Et comme je suis
verte de rage, je me mets à persifler en leur racontant qu’à Auschwitz les poux
résistaient aux gaz, mais non les hommes, tandis qu’en Sibérie, les hommes
tenaient là où succombaient les chevaux. Qu’il faut donc en conclure que les
Humains sont plus résistants que les chevaux mais moins que les poux. Et comme
je leur demande déchaînée dans quelle partie du programme s’inscrit ce que je
leur enseigne là et qu’ils peuvent inscrire sur leurs cahiers, il y en tout de
même un pour dire dans la formation
culturelle du Citoyen. C’est en effet bien ainsi que c’est libellé dans le
texte officiel, je suis donc très heureuse du résultat. J’approfondis là ma
compréhension du rôle et du fonctionnement des dites histoires.
Je rentre plus
crevée après cette journée vide qu’après une journée d’Enseignement effectif.
Nous nous téléphonons avec mon ancienne partenaire de théâtre qui se dit en
pleine dépression et nous analysons notre situation comme une DECHEANCE au sens
de CADUCITE.
Hier, très mal
d’avoir été sucée à mort par le reste des Elèves de Techniciens Supérieurs se
cramponnant bouffés et bouffant d’angoisse à force de se coller à moi dans une
tentative de fusion redoutable. Cela alors même qu’on s’en était déjà expliqué
lundi, que mardi le Conseil de Classe avait été hautement stalinien, moi-même
n’ouvrant pas la bouche pour les laisser ensemble mentir en rond. Voilà qu’on
remue à nouveau le marasme. Ils parviennent pourtant quand même à dire qu’il
n’a pas été question des vrais problèmes. Comme je leur disais que j’avais
l’impression qu’ils allaient vraiment très mal, ils en ont convenus mais
ensuite la conversation en arrivant à la clochardisation, il m’a semblé que
pour se donner l’illusion d’exister, ils m’avaient phagocytée à la faveur de
l’abolition de toute distance.
Ce matin, troisième
jour de la grève des éboueurs dans ma rue qui commence à devenir très sale. S’y
ajoute la grève du métro. On n’a pas l’impression qu’on tiendra et c’est
seulement la fin anticipée du Lycée qui permet de tenir le coup. Jamais comme
cette année, les choses se sont terminées d’une façon aussi rapide.
Déraillement général des Collègues et de l’Administration dans des genres
différents. Il faut passer au large si on ne veut pas être aspirée. J’essaie
avec un lent et relatif succès d’inventer de nouveaux comportements.
Obsession de notre
liquidation par les techno-fascistes. Comme si je ne pouvais pas
encore croire à ce que je voyais : la société française comme une
fourmilière détruite dont ça et là quelques éléments erreraient encore sans
fonction ni utilité (dont nous). Comme si privés de l’âme collective qui les
animait seule auparavant les êtres n’étaient plus qu’une matière vivante
informe en voie de compostisation en biomasse inutilisable, un peu comme dans les
sculptures de César ou les bottes de paille après les moissons.
Comme si cette
biomasse allait se clochardiser et mourir tandis que les médias avaient pour
fonction d’endormir la méfiance pour éviter la révolte… dans le style des
fausses salles de douches des camps d’extermination. Comme si privé de son
logiciel social, l’Etre Humain n’était que de la biomasse. Comme si l’espèce humaine était en train de muter,
dégageant une nouvelle espèce et promettant à la dégénérescence, une autre
partie d’elle-même. Une sélection par la technique dont le nazisme aurait été
la première forme historique.
Au Conseil de Classe,
deux Elèves ayant eu de mauvais résultats ont réussi à s’exonérer en alléguant
la perte d’un parent. Mais ils durent pour cela faire amende honorable sur la
longueur du deuil et bien jurer qu’ils n’avaient plus de chagrin - ce qu’ils
firent de leur mieux - comme on promet que désormais on sera sage… J’y vois une
fois de plus le thème non du refus de la mort mais du refus du chagrin humain
et des rites de la mort. Décidemment leur projet est bien l’abolition de la
mort.
Dans la même classe
une élève plutôt gentille et qui s’efforce d’aller dans mon sens m’explique Vous savez pendant la Guerre, on n’a pas
arrêté seulement des Juifs, mais aussi des Français...
Dans la Salle des
Professeurs comme je lis le numéro du Magazine
Littéraire consacré à Marguerite
Duras et demande à la jeune Collègue de Philosophie si elle l’aime, elle me
répond froidement qu’elle ne l’a pas lue, sans dans la voix le moindre ton
d’excuse, de regret, de défi ou d’humour. Un total à plat qui me fait tomber
raide. Elle m’avait déjà dit quelques mois auparavant Je n’ai pas le temps de lire, je prépare l’Agrégation de Philo ! Je
me retourne alors vers mon Collègue Eurasien, installé dans un coin de la pièce
et lui dis Tu entends Rouhet, on peut
passer l’Agrégation de Philosophie sans avoir lu Marguerite Duras ! Il
pouffe d’un rire absolument gai et je rigole avec lui.
J’essaie d’expliquer
à la jeune Collègue que nous ne nous moquons pas d’elle mais de l’état de la
société français or il n’y a pas moyen de le lui faire comprendre. Je suis
obligée de constater par antinomie à ce que Gérard Mendel appelle un refus d’héritage, l’existence là d’un refus
de transmission ou au moins de son impossibilité.
Je m’interroge toute
la journée à ce sujet ne trouvant comme explication que l’envahissement
matériel des biens culturels (disques, livres, films) qui dans la jeune
génération s’est accompagné d’une disparition complète de l’attitude de
culture, l’avoir ayant là encore,
remplacé l’être. Les diplômes ne
sanctionnant plus aucun développement personnel mais étant dans le domaine des
services immatériels, l’équivalant de l’achat d’une licence de bistrot ou de
taxi.
Jeudi dans la Salle
des Professeurs deux Collègues femmes commentent les listes d’élèves et les
noms d’un air gourmand et presque pornographique Et celle là de quelle couleur est elle ?... Noire ? Je
découvre là une espèce de dimension obscène dont je n’avais jusque là aucune
idée.
Dans un café, je
teste sur un ami mon idée de séparation entre d’une part un logiciel commun à
l’ensemble de l’espèce intégrée au réseau cybernétique et d’autre part le reste
de la biomasse laissée de côté. Je m’étonne qu’il ne comprenne pas mon
vocabulaire (tout en pensant que cela est dû à son âge) et qu’il faille d’abord
le lui expliquer. C’est ce que je fais grâce à une démonstration matérielle comme c’est souvent le cas ces derniers
temps, en montrant avec des objets ou des scènes ce que je ne peux pas
démontrer ni faire comprendre autrement. J’empile des cendriers pour exprimer
la biomasse compactisée et des
papiers et une cuillère pour le logiciel intégré, là où autrefois un individu pouvait être représenté par un cendrier plus
un papier équivalent symboliquement à un corps plus une âme.
Miracle, il
comprend et ne trouve absurdes ni mes explications - à savoir les
hypothèses sur ce qui se passe - ni non plus ma façon de les expliquer, qu’on
peut appeler l’imagerie. Nous tombons
d’accord sur le fait que l’ancienne dialectique groupe/individu n’est
plus du tout celle là, et je lui suggère alors que la nouvelle est désormais logiciel/biomasse. Nous nous comprenons décidemment tout à fait et il me
reste à tester sur lui le fin du fin de mes idées que je refoule depuis
plusieurs semaines : une mutation
serait à l’œuvre, le techno-réseau
s’intégrant maintenant au génétique, la biomasse
de son côté en étant privée. Je ne vais pas jusqu’à lui parler du nazisme
divisant l’espèce en sur et sous hommes
comme la genèse de ce monde là.
Au cours de
Gymnastique comme le Professeur dans son style habituel utilitariste, vante un
mouvement anti-fessier, l’une des
mémés dit Antisémite ! Je lui
vole dans les plume d’un Qu’est ce que
cela vient faire là très dur, lui tenant quelques autres propos assez
menaçants. Elle bat en retraite, s’excuse à la fin du cours disant qu’elle a
dit cela comme cela, sans y penser, machinalement et c’est bien justement cela
que j’ai perçu et qui m’a terrifiée.
Week-end de
Pentecôte en Normandie chez un ami. L’effort pour essayer de continuer à vivre
sur un mode qui nous apparaît chaque jour plus caduc par la disparition de la
société au sens où nous l’attendions habituellement. Les forces requises sont
telles qu’on finit par se dire qu’il serait aussi bien de rester au lit en
hibernant pour attendre que cela se passe, puisque l’Histoire enseigne que ce
genre de choses ne dure pas. Face aux diverses impossibilités de
fonctionnement, les seuls projets en cours sont matériels.
Au Lycée, dernier
cours en Terminable Comptable, comme toujours terrible chaque fois que je
quitte une classe aimée. Mais celle là a été aimée entre toutes. Comme j’ai
décidé que je n’irais pas au pot de fin d’année pour ne pas cautionner le départ à la retraite de la Directrice,
c’est donc la dernière fois que j’y mets les pieds avant la rentrée. Ces
moments là ne sont jamais gais mais cette fois là est vraiment sinistre, tout
continuant à se défaire dans une impuissance et un mensonge croissant. Face à
cela je m’oriente vers l’anesthésie pour économiser mes forces physiques, la
prégnance de cette question étant la conséquence de ma longue et douloureuse
maladie ou plutôt de ses traitements. Ce repli dans l’isolement n’est pourtant
pas dans mon tempérament.
Dans le métro
toujours plus de crasse, de mendiants et de dysfonctionnements de tous ordres.
Dans le même temps, activité fébrile et paniquée des gens qui travaillent comme
des fous pour ne pas être laissés pour compte. Notamment depuis deux ou trois
ans en étudiant des documents professionnels dont ils sont manifestement
accablés, tandis que d’autres de plus en plus nombreux lisent ouvertement, sans
ostentation mais sans non plus se cacher, de la littérature. Il me semble que
ces livres qu’ils tiennent à la main sont des signes de reconnaissance ou un
effort pour se compter, ou encore l’exposition d’un insigne politique pour
constituer un nouveau courant social dans une perspective d’intervention.
Chez des amis, un
refus intuitif (le soleil et la mort ne peuvent se regarder en face) mais aussi
un invraisemblable espoir que notre conception humaniste va l’emporter, la
défaite militaire qu’on est en train d’essuyer n’étant pas définitive et qu’il
suffit de tenir en attendant des jours meilleurs. Comme l’ami soutenait le
cliché idéomythologique des Juifs
s’étant laissé mener à l’abattoir, je leur dis que ce n’est pas vrai mais fait
partie de la propagande inventée après la Guerre pour donner forme à
l’événement. Je leur dis : Voyez,
cela a dû se passer comme cela, comme ici ce soir… les gens ont dû en discuter
entre eux… il y en a qui ont dû dire ce qui se passait, les autres les ont crû
sans les croire, et c’est l’espoir qu’ils allaient y échapper qui a été le plus
fort… comme pour nous ce soir ! J’ai alors été terrifiée de ce
que je disais, tellement cela m’a paru vrai, tellement d’ailleurs depuis
quelques temps, je suis envahie du caractère ordinaire de tout cela. Le monstrueux est banal. La norme, c’est l’énorme.
A Lognes, la
nouvelle Maison des Examens décongestionne celle d’Arcueil qui en son temps
décongestionna celle de la Rue de L’Abbé de L’épée où nous les avons nous-même
passés. Cela selon la même logique que la succession de construction
d’aéroports de plus en plus importants : Villacoublay, Orly, Roissy etc…
Bien que la Maison en question soit tout près du métro, les Collègues se
plaignent de la nécessité de traverser une zone à les entendre désertique.
L’Etablissement s’appelle CENTEX et on peut déplorer la perte de la poétique
expression Maison des Examens, de
même que les usines deviennent des Centres
de Production…
Ainsi les
constructions et les lieux deviennent ils indifférenciés et on pourrait dans
cette même logique parler d’Auschwitz comme d’un Centre de destruction, ce qui serait impossible à partir du vocable
d’Oswiecim qui est déjà une ville… Avec le vocable Centre, on peut ex-nihilo inventer n’importe quoi, ce qui
n’est pas possible avec un terme hérité de l’Histoire comme par exemple hospice, église, lavoir, château et même prison. Avec le vocable de centre,
le décept (ni concept, ni encept) est possible. J’appelle décept
une notion vague et vide coupée de sa source, son histoire et ses liens et
dont la signification est attribuée par un code (Par exemple traitement spécial). Le décept est une notion indéfinie qu’on
définit administrativement.
La Commission de Barème à laquelle je
suis convoquée est égale à elle-même et j’y joue mon rôle habituel en demandant
comme d’habitude pour dénoncer le trucage des notes : A combien est le zéro cette année ?
La réponse est six et on fait
admettre aux Membres de la Commission - sans aucune difficulté - que le total
des différentes parties du barème monte jusqu’à vingt deux sur vingt !
D’une certaine
façon, je suis contente que cela soit clairement explicité et me félicite
publiquement qu’à partir du moment où la réalité est ce qu’elle est, la
notation soit au moins homogène et que cela évite qu’on relève les notes
derrière notre dos en nous faisant passer pour des guignols.
Je suis étonnée de
constater que les Collègues se récrient moins que les années précédentes où je
tenais le même discours. J’observe même que les masques tombent et que les
mines les plus graves cèdent tout à coup la place à des discours de Professeurs
excédés de leur condition.
Comme je reprends la maïeutique
pour résumer d’un Donc on note de six à vingt deux et on essaie d’avoir une moyenne de douze, je me fais
sévèrement remonter les bretelles par la Présidente du Jury tout aussi
faussement que le reste du fonctionnement du système. Je lui réponds du tac au
tac devant les Collègues qui prennent tout pour argent comptant, comme si on
était encore des Elèves en classe…
A signaler également
mon agit-prop pour faire prendre en compte l’économie réelle, c'est-à-dire
l’importation des Travailleurs Etrangers pour résoudre des contraintes que le
sujet proposé cette année là aux Elèves, présentait de façon tordue. Comme ce
travail de synthèse prévoyait qu’on explicite les moyens juridiques de la
question d’Economie, je précise alors qu’il s’agit du détournement du statut de
réfugié politique et du regroupement familial.
Outrée une Collègue
demande Mais qui est ce qui
enseigne cela à des élèves ? En pleine hystérie, je
proclame Mais moi, et je suis l’honneur
du pays ! Brouhaha général sur le thème Ce n’est pas au
programme ! Et dans un consensus
général fermeture totale à tout ce pan de la réalité, fermeture révélant une
véritable angoisse de la voir ressurgir ! Je termine par un couplet sur le
stalinisme, couplet auquel ils ne comprennent bien sûr rien du tout…
Lors de cette
Commission, on apprend aussi que la moitié des candidats à l’Agrégation
d’Economie sont incapables de définir la Productivité !
On en reste pantois. Les Collègues s’étaient pourtant récriés comme au
début de la réunion, je leur avais dit qu’au bout de deux années de BTS, les
Elèves n’étaient toujours pas capables d’en saisir la signification !
En rentrant à la
Gare Nord, une stase de pauvres hères un peu menaçants. Des gueules d’Apaches
qui s’approchent un peu trop près de mon appareil photo et de mon sac. Mon
angoisse vient du fait qu’ils sont d’un type qui me parait inconnu avant que je
pense aux Tsiganes… Je me souviens avoir lu dans Le Monde qu’à Berlin il y
avait autour de la Gare de leur arrivée, un campement d’un demi-millier. L’idée
m’est alors venu que c’était le début d’un phénomène du même genre et je me
suis promise d’aller voir à la Gare de l’Est ce qu’il en était. On avait jusque
là seulement l’habitude des enfants yougoslaves organisés en bande pour
dépouiller les passants.
Cette fois il s’agit
d’un phénomène d’un nouveau genre car tous les jours les arrivants du Sud et de
l’Est sont plus nombreux et l’inquiétude change de nature. Elle peut sous
l’effet de la panique, du blocage de la société et de l’abandon de la classe
dirigeante donner lieu au racisme et au fascisme sur le thème de notre
prolétarisation et du Il n’y a plus rien
à perdre. Mais plus profondément encore, on a le sentiment qu’il pourrait
advenir quelque chose d’un tout autre ordre, une implosion et une désagrégation
tranquille avec une reconstitution de groupes plus petits sur des territoires
moindres. Déjà une partie de la ville me parait perdue pour nous et on peut
même envisager une partition du Pays entre les douars et les plaines, et d’une
façon plus générale un regroupement des Européens à l’Ouest en abandonnant
l’Est aux orientaux.
Passage à la Faculté
de Droit au Panthéon, là où nous avons fait nos Etudes. Contemplant la Grande
Galerie qui était notre pain quotidien et où se donnaient les bals, on mesure
le temps parcouru. Oserait - on donner un bal à la
Faculté de Jussieu ? On n’oserait pas ! Est-ce cela la
démocratisation ? En tous cas c’est bien le signe que l’Université a
changé de classe sociale.
Après-midi chez les
Anars avec mon ancienne partenaire de théâtre qui présentait son livre. En
dehors de nous il y avait en tout et pour tout quatre participants. Cela aurait
pu être sinistre et démoralisant mais notre expérience nous a sauvées. J’ai
vigoureusement combattu les thèses du critique littéraire de Radio-Libertaire
qui me paraissait avoir une conception bien bourgeoise de l’Art et tout s’est
bien terminé dans la plaisanterie et la joie finalement, d’être ensemble.
Dans la semaine,
controverse à l’initiative de Madame Barzach sur la réouverture des bordels. Je
suis très déçue car j’avais apprécié ses positions courageuses contre la
pratique des mères porteuses. Je suis très humiliée et malheureuse de cette
perspective. Du Mai 1968 fait ensemble dans la rue, à ce retour aux structures
victoriennes, la chute est rude… au point d’éprouver de la gratitude pour notre
ancien Professeur et ancien Ministre Raymond Barre s’y opposant fermement au
nom des Droits de la Personne parce que les femmes y sont considérées comme des
objets et qu’il les compte lui parmi les personnes humaines…
Dans la semaine
écoulée également, l’inquiétante affaire à Nice de la clôture du Village surnommé l’Oued, bidonville pourrissant pour empêcher les clandestins et les
dealers de s’y installer. Me souvenant des ghettos du nazisme, cela me fait
frémir…
Aux Elections
Présidentielles du Pérou, le candidat Fujiimori (japono-péruvien) l’emporte sur
l’écrivain Varga, son challenger. Les temps changent, c’est le moins qu’on puisse
dire… J’y lis une synthèse pacifique du retour des Indiens. Dans le même ordre
d’esprit le succès de mon livre Le Cercan au Kansas et dans le Michigan
est il dû à l’extension des hispano-américains, le monde sacré dont j’y parle
étant en première approximation du même ordre, voire le même que celui des dits
Indiens ?
L’invention
médiatique des charniers de Timisoara (fausses images d’une fausse Révolution)
est destinée semble t- il à faire naître dans l’esprit du téléspectateur des
connotations nazies à attribuer à Ceaucescu et à sa police secrète, permettant
en fait de transférer la responsabilité de la Shoah aux pays de l’Est dans la
perspective générale d’une réécriture de l’Histoire. Ainsi l’Europe pourrait
elle se dédouaner de l’horreur, et reprendre son cours arrêté en 1945 par la
forclusion de l’Evénement. Ainsi verrait-on une Europe Chrétienne qui pourrait
renaître débarrassée des Juifs, ce qu’elle cherche à faire depuis des siècles,
tout en se dédouanant des massacres qu’on pourrait imputer à l’Est et au
Communisme dont elle se débarrasserait également. Il faut noter dans le même
esprit la tentative de béatifier Robert Shumann en tant que Père de l’Europe
pour lancer une OPA Chrétienne sur la CEE.
Claude Lanzmann
dénonce même un plan d’ensemble du Vatican, plan comprenant la béatification de
Maximilien Kolbe et d’Edith Stein, le carmel d’Auschwitz et la nomination de
Monseigneur Lustiger à Paris, juif converti dont la mère est morte en
déportation, le tout couronné désormais par cette tentative de construire une
Europe qui sera bientôt une création de l’Eglise !...
Aux Elections
Cantonales de Villeurbanne, le Front National a obtenu plus de 27 % des voix.
Ainsi l’espoir lorsqu’il revient, ne dure t-il jamais longtemps. On sent bien
que l’étau se resserre.
Jean-François Kahn,
le directeur de l’Evénement du Jeudi
a été convoqué Vendredi soir par la Justice pour ce Lundi. Pour un article paru
dans son magazine, article dans lequel il était dit que le fils du Président Mitterrand
faisait beaucoup d’argent en Afrique !... Quant à ceux qui pourrissent
depuis deux ou trois ans en préventive à cause des lenteurs de la Justice, ils
apprécieront cette extrême célérité. Que dire des juges aujourd’hui en grève
tous syndicats confondus et dans la plus profonde illégalité, tellement ils en
ont assez du blocage d’une institution aux ordres ?…
Entendu à Saint
Germain des Prés : Je suis endettée
jusqu’à la ménopause !...
Victoire des fanatiques
Islamistes en Algérie ! L’Ancien Monde en convulsion mais cela ne fait
rien, dans sa fiction la France reste immobile comme si elle était le moyeu de
la roue.
On est désormais
complètement isolé avec soi même, ce qu’on est et cela seulement, les prédations
cessant ou devenant mortelles. Une lutte à mort planétaire est engagée
d’individu à individu sans même le secours de la Nation. Je fais la découverte
tragique de ne plus appartenir à aucun groupe.
Guerre Civile en
Roumanie, les contestataires, les étudiants et les femmes se faisant
uniformément traitées de Tsiganes et
casser la figure par les Mineurs qu’on est allé chercher en camion dans les
Provinces pour leur demander de soutenir effectivement le Gouvernement à coup
de gourdin. Le correspond dit qu’il s’agit d’un grand massacre mais étant
donnés les événements qui ont eu lieu récemment, concernant la Roumanie on a
pris l’habitude de ne plus rien croire.
Concernant
l’Algérie, on écoute Aït-Ahmed et Ben Bella comme on écouterait parler des
leaders français… On ne leur trouve même plus la peau basanée… Aït Ahmed parle
du culturel et du sacré et il me vient l’idée que tous ces mouvements ont ceci
de commun de s’opposer à la séparation entre l’homme et la terre que nous
prépare la généralisation du hors sol
qui permet le grand compostage post moderne mais aussi la capitalisation des
ressources en dehors de toutes fonctions comme une accumulation finalement sans
raison !
Je tente une
démarche au Rectorat pour essayer d’obtenir un autre poste que celui intenable
de mon Lycée. J’essuie un refus net sur le thème qu’on a besoin de mes
compétences particulières pour ce qu’on me demande de faire et comme je leur
dis que je vais tomber malade et qu’ils ne seront pas plus avancés lorsque je serai
en congé, on me répond qu’on mettra un maître-auxiliaire sur mon poste et que
ce n’est pas un problème…. J’ai quitté le Rectorat en disant que J’allais me jeter dans le canal, une
jeune fille m’a consolée d’un Ne vous
découragez pas et j’ai repris
Vous dites ça parce que vous êtes jeune mais moi j’ai quarante cinq ans !
J’ai été effrayée de
ce que j’avais dit là, car si dans la période d’expansion l’âge n’apparaissait
pas comme un problème parce que nous étions sûres que la condition des femmes
s’améliorerait, avec le Grand Recul les choses se présentent différemment. Non
seulement le sort des femmes ne s’est pas amélioré mais il s’est aggravé avec
la poussée islamiste (voile, polygamie) sans compter l’introduction de
l’excision. Quant au travail qui est notre colonne vertébrale, il s’est délité
nous laissant informes et isolées au milieu d’une jungle.
Depuis plusieurs
années je tente d’alerter l’Inspection sur l’absurdité et le gâchis de ma
situation mais on ne m’a jamais répondu. J’ai de mon côté, expédié trente trois
lettres à des Lycées Parisiens pour proposer mes services particuliers seuls
quatre m’ont répondu…négativement. J’ai même répondu à une annonce pour un
poste vacant à l’Ecole Polytechnique non que j’espère effectivement l’avoir
mais pour briser le tabou…. Et en espérant que tirés à trente exemplaires, mon
curriculum vitae et ma lettre de motivation finiront par attirer l’attention de
quelqu’un des Temps Nouveaux et qui me fera signe.
Le soir Boulevard
Saint Michel, des vendeurs du journal de Lutte
Ouvrière avec entre leur mains ce titre surréaliste : En Algérie comme en France, seule la classe
ouvrière peut arrêter la montée de la Réaction ! Fermez le ban !
Samedi 16 Juin
1990
Place de la Réunion,
un campement installé par un groupe de familles africaines expulsées de leurs
logements squattés et incendiés. On est venus pour voir et on voit. Aussi
anars, tiers-mondistes et artistes qu’on soit, on n’a aucune envie de les
défendre. On ne se sent pas concernés. Pour l’un d’entre nous c’est parce qu’on
ne peut pas soutenir ce qui serait une prime à l’illégalité et à la force. En
ce qui me concerne non que je pense comme l’Extrême Droite que ces gens là ne
soient pas assimilables mais parce que dans cette société en décomposition il
n’y a plus de vecteur d’assimilation et que l’Etat - ce logiciel de l’ethnomasse française - est en voie de
disparition.
Ajoutons que la Perestroïka en cours est la
redistribution planétaire de ce que j’appelle les nomes, que les poids démographiques comparés sont incontournables,
que les nouveaux regroupements sont religieux, que l’Islam ne promeut pas
vraiment les droits des femmes et enfin il est clair que la Nomenclature
Française s’installe dans un colonialisme
intérieur de tendance apartheid…
Tout cela parait
donc assez menaçant dans la mesure où ayant déjà le sentiment d’être abandonné
par les Pouvoirs Publics, on se fait évincer de notre propre territoire par un village africain qui s’installe dans un jardin public. On se demande bien
sûr si on n’est pas devenu raciste… Mais comment ne pas remarquer que cette
population qui squatte est exclusivement noire ?
Je suis obsédée aussi par le pacifisme de l’avant guerre qui campait sur
l’antimilitarisme né de la Guerre de 1914-18. Face à cela, on comprend que soit
l’Abbé Pierre qui mène la danse car il ne peut y avoir qu’une logique
religieuse de vertus évangéliques que je ne partage pas.
Dimanche
Déjeuner aux Halles,
en terrasse, dans un restaurant branché. Je suis émue de la gentillesse du
serveur mais sidérée de voir un moineau perché sur le rebord de notre corbeille
à pain, le picorant directement. L’intégration de la matière vivante va bon
train ou disons, l’hominisation de la
Planète.
L’après-midi au Théâtre
de Chaillot avec mon ancienne partenaire de théâtre pour voir Zazou de Jérôme Savary, scandaleux
rewritage idéologique de l’épisode Saint Germain des Prés. Le couple
Sartre/Beauvoir se résume à ce dialogue : - Jean Paul vous buvez trop !- Foutez moi la paix ! Le
compost continue gratuitement avec la Guerre d’Indochine, un appel à la
désertion et se termine sur une Juliette Gréco, folle au milieu des hippies
drogués à qui on dit Les zazous, on les a
oubliés, vous aussi on vous oubliera.
Ma camarade et moi
nous sommes scandalisées mais devant le tonnerre d’applaudissement de la salle
comble et exaltée nous n’avons pas le courage ni la force de siffler. Nous
sortons de là décomposées avec notre conclusion habituelle de l’impossibilité
de continuer ainsi, et concernant vos vies professionnelles mon amie à cette
formule géniale, par son résumé On
commence à se faire à l’idée de changer de métier, alors que c’est trop tard.
Difficile
conversation avec une canadienne sur le film de Lanzmann. Elle m’en fait
apparaître la piètre place laissée aux femmes. Je plaide que le transgresseur a
tous les droits et qu’il a bien assez payé de sa personne pour être au-dessus
de cette critique. Je fais la comparaison avec Canal de la Toussaint
dont quelques personnes m’ont reproché l’illisibilité.
Je lui demande si
elle ne croit pas que la limite de l’œuvre, c’est aussi ce qui la rend possible
(là la disparition des femmes ou l’illisibilité). C'est-à-dire que ce serait la
même chose qui serait à la fois la limite critiquable de l’œuvre et la clé de
voûte de son architecture. Ainsi c’est parce que Canal de la Toussaint a
accepté d’être illisible, qu’il a pu sans vergogne forcer les bornes de la
grammaire. De même je tente d’expliquer que c’est la phallocratie de Claude
Lanzmann qui lui a permis de faire le film.
Folle démarche à la
Sorbonne pour tenter d’entrer dans l’Enseignement Supérieur. Je suis partout
accueillie très gentiment ! Un peu comme voyant un kangourou en difficulté
Place de la Concorde, les gens se précipiteraient pour le faire
traverser !... Ambiance poétique de cette vénérable institution pleine
comme un œuf ! Une ruche en activité. Je passe l’après-midi à déambuler
d’escalier en galerie, sans arrêt renvoyée d’un endroit à un autre. Le cumul
des examens et des inscriptions créait une effervescence presque heureuse de sa
vitalité. Là, sans aucun doute, CA vit. On est même étonné de voir tout cela
ouvert et dans lequel on peut entrer dans les bureaux sans rendez vous et sans
se faire annoncer.
En conversant avec
la Secrétaire du Rectorat pour l’Enseignement Supérieur, j’ai découvert et le
tragique de ma situation et que le cas était prévu. Le tragique d’abord dans la
mesure où pour intégrer le supérieur, il fallait être Docteure (ce que je
n’étais pas) ou Agrégée, ce que je n’étais pas davantage et pour la même raison
puisque mon père m’avait forcée à entrer à l’ENSET et que je n’avais eu
intuitivement de cesse d’essayer au besoin par le sabotage, de m’écarter de
cette voie pour retrouver la mienne.
Je retrouve là
toutes les cohérences de la société française ! L’impossibilité d’entrer
dans le Supérieur si on n’a pas les diplômes ad hoc, alors qu’il m’était
insupportable de les passer quand j’en avais parfaitement la capacité. Ainsi
l’Université élimine-t-elle ceux qui ne sont pas conformes à sa norme et dans
la mesure où elle est avant tout chargée de la reproduction, il n’y a pas à
s’en plaindre. La thèse, le bâton de maréchal étant un exercice de compilation
dans le plus pur style de la tradition moderne, comme quoi cet entassement
d’informations ne date pas d’aujourd’hui, ni non plus le grand compostage. Il
est donc normal que l’Université m’élimine.
Dans le même temps
j’apprends qu’il existe également la possibilité de créer des postes à la tête du
client et en dehors des Diplômes, c’est la procédure dite du Un Neuvième !
La Secrétaire dit que cela pourrait s’appliquer à mon cas. Je lui réponds qu’il
faut ce qu’on appelle vulgairement du
piston ! Ce qu’elle confirme
mais dit elle pas obligatoirement. Je lui explique alors Vous comprenez pendant que j’étais occupée à écrire mes livres, je
n’avais pas le temps d’aller dans les pince-fesses faire la cour aux
puissants ! Et elle de reprendre Comme
je vous comprends ! Je me suis donc trouvée plutôt heureuse de cette
conversation qui parlait de la réalité et de la vérité et je me suis prise à
espérer que mes efforts ne soient pas vains.
.
Lorsque rapportant
au Centre de BTS, mes copies d’examens corrigées, j’ai déballé aux jeunes
Collègues, ce qu’il en était de la réalité des trucages en leur disant
publiquement qu’il valait mieux s’adapter à cette merde que de se jeter par la
fenêtre, parole de mère de famille ! J’ai renchéri ensuite d’un tout cela est truqué et n’a aucun sens mais en
le disant publiquement, au moins, on ne perd pas son âme… et d’autres
choses de ce genre… J’ai regretté ensuite mon absence de retenue dont je
craignais qu’elle finisse un jour ou l’autre par me faire mettre en prison. Une
des Collègues qui m’a accompagnée dans le trajet du retour a entrepris d’abord
de me parler de mes livres, puis a rabattu la conversation sur le ronronnement pédagogo, comme je le nomme pour le
dénoncer. Comme je sentais venir l’engluement, j’ai coupé court d’un Ecoutez, vous savez aussi bien que moi que
rien ne fonctionne, épargnez moi de faire semblant !
Parmi les
dysfonctionnements qui alourdissent le quotidien, il faut signaler le journal Le Monde qu’une fois sur deux on ne trouve pas lorsqu’on le cherche,
soit qu’il n’y en ait plus, soit pas encore… Comme je demandais au marchand ce
qu’il en était, celui-ci m’a dit en imitant le prétendu accent suisse et en
faisant le geste de prendre son temps que c’était une machine suisse.
Je me suis énervée
contre ce racisme déplacé en lui disant : Vous avez tort de vous moquer des Suisses, dans beaucoup de domaines,
ils sont plus avancés que nous…Il reprit alors Non ! Ce sont les techniciens qui ne savent pas la faire marcher.
Frappée alors de ce qu’il me dit, j’ai continué Vous savez comment cela s’appelle quand on importe des machines
modernes de l’étranger et qu’on n’a pas les techniciens pour les faire
marcher ? Le sous-développement !
Cela ne fait pas
plaisir de constater où nous en sommes rendus ni d’obtenir confirmation de
l’enseignement de nos maîtres, notamment le précis d’Albertini sur les
mécanismes du sous-développement qu’il nous exposait clairement en termes de
désagrégation et de désarticulation. La seule chose qu’il avait oublié de nous
dire c’était d’une part la sous
développation l’un de mes tous premiers néologismes inventé dans mon
premier livre Les Prunes de Cythère - façon d’exprimer que cet état de
choses avait été provoqué - et d’autre part - manque encore plus tragique - que
le mécanisme en question continuait. Mais comment au début des années soixante
aurait-on pu imaginer cette explosion cybernétique propageant le
sous-développement à l’Europe ?
Les gens commencent
à tomber aux alentours des moyens de transport... Deux aujourd’hui à l’arrêt et
dans le bus. Je sais bien de quoi il s’agit puisque j’ai connu moi-même de
pareils troubles dans ma jeunesse. Et la semaine dernière, la même chose est
arrivée à la Présidente du Jury de BTS. Néanmoins, ces trois cas m’ont laissée
de marbre - non par indifférence - mais de savoir que dans mon propre état
toute pitié était désormais mortelle et que je devais concentrer mon effort
pour n’être pas entraînée dans le fond de l’entonnoir.
Ahurissante
agitation autour du départ de Bernard Pivot quittant son émission littéraire
télévisée Apostrophes
pour une autre, alors que Bernard Rapp prend sa succession pour continuer dans
le même créneau, le même format. C’est le branle bas de combat médiatique
annonçant à les entendre la mort de la littérature, de l’édition et de tout le
système culturel français. On s’étonne qu’il n’y ait personne pour dénoncer
cette emphase. Il est vrai que ceux qui auraient pu le faire ont depuis
longtemps été réduits au silence. On constate une fois de plus l’identification
abusive entre la réalité réelle et la visioréalité,
si on peut appeler ainsi la réalité médiatique.
Entendu à France
Culture, dans la bouche de je ne sais qui les
pauvres sont de plus en plus pauvres et une voix par derrière qui rajoutait
et les Juifs de plus en plus juifs.
Tremblement de terre
en Iran entre trente et soixante mille morts. L’effet de la médiatisation des
vrais/faux événements en Roumanie est qu’on ne peut même plus être sûr que cela
soit vrai. On ne s’alarme même pas, on laisse décanter la nouvelle en la mettant
au frigidaire dans sa tête. Cela n’empêche pas d’être interloquée lorsqu’on
entend le Croissant Rouge (Croix Rouge iranienne) demander d’envoyer du
matériel à l’exclusion de tout personnel et de tout moyen de communication par
satellite. Si on comprend de quoi ils veulent se protéger, on ne comprend pas
pourquoi on obtempère et on a quand même envie de les renvoyer dans les buts.
Un ami me dit qu’il s’agit de l’esprit de Munich mais il me semble qu’il s’agit
d’autre chose : une sorte d’humanitarisme biologique aveugle, trans ou métapolitique…
Départ pour Carnac
pour une semaine de vacances. Dans le TGV les ennuis commencent. Une bande de
soulographes m’appellent Mademoiselle
et comme je les remets en place comme dans les années soixante où cela
suffisait en les informant que j’étais mariée, ils ont changé de style et c’est
devenu Je veux bien faire l’amour avec
vous si votre mari est riche ou encore Si
vous voulez faire l’amour avec mon frère c’est cinq cents dollars ! On
pourrait crier au sexisme ordinaire mais en fait c’est pire. J’ai fui à la
descente du train à Rennes, craignant comme ils étaient encore plus saouls, de
prendre un coup de couteau. J’ai surtout essayé de ne pas attirer l’attention
et me suis sentie prise dans la glu totalitaire. Après le changement de train,
j’ai terminé le voyage à côté d’un curé qui lisait des brochures religieuses,
me félicitant qu’il ne soit pas en soutane car on voit de plus en plus, notamment
chez les jeunes.
Etrangeté de ce qui
se passe ici à Carnac dans ce Centre de Vacances, un déferlement de paroles,
comme si chacun livrait ses informations avant de se dissoudre dans le grand…
en train de se créer. Je ne sais pas là le mot qui conviendrait. Un
foisonnement chaotique où chacun exprime sans détour ni précaution le trait
fort de sa mémoire : L’un à l’usine, la chaleur des fours pour l’acier
trempé, l’autre sa vie à l’Orphelinat après la perte de la mère morte de
tuberculose et la dispersion de ses frère et sœur. Une autre une adolescence de
privations sous les bombardements, une autre encore son divorce et son petit
garçon, sans compter la parole brutale et sans préavis d’une femme de la MOÏ
annonçant sa croix de guerre et ajoutant fièrement être la seule femme qui l’ait !
Quant à moi bien
sûr, j’ai évoqué ma propre guerre - à savoir vingt ans de féminisme - et la
dureté de ce combat pourtant méconnu. Il semblait que le corps social voulait
débattre et que tout sortait sans retenue, sans être pour autant être capable
de l’assumer, faute d’espace, de formes, de lieux et d’institutions. On
semblait avoir affaire à des gens enfermés psychiquement et socialement, se
piétinant les uns les autres pour pouvoir respirer, chacun cherchant à faire
prendre en compte son propre écrasement.
Les deux catégories
sociales du Centre étant d’une part des Techniciens sans état d’âme ni
sentiments humains les yeux rivés sur le contenu de leur caddie de supermarché,
dans un à- plat social terrifiant - en fait le même monde que celui de mes
élèves - et d’autre part des vieux très alertes, inactifs, argentés et
entendant bien mettre à son service une jeunesse prolétarisée et marginalisée
qui en train de perdre pied, trouvait dans les emplois d’animation de ce genre
de maison, une bouée de secours.
On voit ici en effet
comme je l’avais déjà vu dans les Vosges à la Toussaint, des gens d’un certain
âge qui ont fait carrière dans
l’animation, là où autrefois il ne s’agissait que d’un job ou d’un emploi saisonnier.
Il existe désormais une sorte de lumpen-logiciel qui végète et fait sa vie dans
ce genre de maison parce qu’il n’a plus d’autre possibilités d’intégration.
Cette fois leur drame me saute aux yeux dans la mesure où il semble qu’il ne
soit déjà plus possible qu’ils fondent leur propre famille, cette classe de
vieux les digérant comme nos parents à nous ont tenté de le faire à notre égard
et comme nous nous y sommes opposés. On voit émerger une société de vieux qui
s’organise pour son confort et son égoïsme sans aucun souci du groupe dans son
ensemble. Est-ce dans cette anomalie que racine ma crainte fantasmatique de
l’euthanasie ?
Les Juifs
Soviétiques arrivés sans visa en Allemagne de l’Est, ont été acceptés.
Changement de
climat. Le Docteur Schwartzenberg a été suspendu de la médecine pour un an,
pour ses déclarations provocantes concernant son habitude d’aider - selon
l’expression consacrée - les malades à mourir. Le
sujet est en train d’arriver à la surface. Voilà longtemps que j’ai comparé
notre livre collectif Le Cercan à La Question d’Henri Alleg et à La
Gangrène de je ne sais plus qui, qui furent les œuvres isolées des
francs-tireurs avant que n’explose le débat de société concernant la torture
pendant la Guerre d’Algérie. Je sais qu’il en sera de même pour les idées que
je défends. La seule inconnue est le temps que cela prendra mais je suis sans
inquiétude sur le fond…
Mais je crains qu’en
fait cela soit un coup monté pour obliger à adopter la loi en projet qu’ils ne
savent pas comment faire passer. Dans la même veine le Pr Milhaud avait
volontairement rendu public une cassette tournée pendant ce qu’il appelait l’opération, pour qu’en en débatte…
Beaucoup de Professeurs l’ont soutenu sur le thème qu’ils faisaient tous la
même chose, et pour finir un non lieu a été prononcé. Je crains qu’il s’agisse
de faire admettre que tout le monde le faisant, ce n’est pas si grave et qu’il
faut l’accepter pour être moderne. Dans les débats radiophoniques quelques
vérités commencent à se dire, notamment qu’on administre un peu facilement des
cocktails lytiques à des gens qui ne sont pas demandeurs. C’est toujours cela
de dit…
Les femmes voilées
sont au fil des jours de plus en plus nombreuses et il
me prend des envies de violence. J’en parle à un très cher ami qui n’est pas du
tout d’accord avec moi mais je crains que pour finir cela m’échappe car en tant
que femme, il ne m’est pas possible d’accepter une affaire pareille. Quant à F
à qui je raconte avoir lu dans Le Monde que les plages algériennes étaient
désormais interdites aux femmes, il m’a répondu qu’ainsi l’eau serait plus propre...
Signe objectif du
changement de climat, la végétation prolifère sur les balcons de la ville, on
voit des arbres, des bambous et même dans les bacs de la ville de Paris, des
bananiers.
Au Restaurant où
nous avons pourtant nos habitudes aux Halles, on m’a dit ce jour qu’on ne
servait plus les femmes seules. Le on
ne sert pas, aurait déjà été
terrible mais le plus est terrible
car il est bien le signe tangible de la régression, me montrant que je ne rêve
pas cette pénible sensation. Je m’en suis arrangé en le prenant pour une
plaisanterie mais chacun sait qu’elles ont toujours un fond de vrai.
Le front politique
pourrit gentiment, on parle de trafic d’armes à l’Ambassade de France au Liban.
K mis en cause, saisit les tribunaux.
L’Irak a absorbé le
Koweït pour faire main basse sur ses richesses, emportées avec nos compatriotes
et plusieurs milliers d’Occidentaux, désormais détenus prisonniers. Le Palais
de l’Emir a été intégralement vidé et les objets transportés. Les Koweitiens
ont été tués et des irakiens sont venus en autobus pour occuper les lieux.
Passons sur les viols et la rapine. On est pétrifié non de la sauvagerie dont
on a déjà largement l’habitude mais de la razzia sans le moindre alibi ou
couverture idéologique. Une mise à sac brute pour les richesses matérielles. On
sent qu’il s’agit du coup d’envoi d’un mouvement d’ensemble qu’on voit monter
depuis quelques temps avec la désagrégation de l’espace social et l’apologie de
l’enrichissement.
La tension monte
dans le Golfe Persique au point que nous sommes convaincus depuis quelques
jours d’être déjà en Guerre. GL notre invité également mais il était très
mécontent que j’ai mis au matin la radio trop forte et l’ai ainsi réveillé.
Nous sommes allés pique-niquer comme prévu sur le Larzac. J’avais pour la
circonstance, emporté la gamelle de mon grand oncle Auguste Hamelin qui a fait
la Guerre de Quatorze sur le front d’Orient et le petit napperon brodé qu’il a
rapporté de Salonique. Nous avons dressé la table sur la nappe de sa femme dont
j’ai pris le nom et ces moments de bonheur furent comme les dernières goulées
suaves avant le casse pipe. J’ai porté un toast à la victoire des Occidentaux
mais G ne m’a pas suivi.
Angoisse des armes
chimiques que l’Irak possède au plus haut point et dont il s’est déjà servi les
années précédentes contre les Iraniens et les Kurdes. La panique est là due non
seulement à la nouveauté de l’arme - ce qui doit être le cas - mais surtout à
la découverte qu’il s’agit là de l’arme du Tiers Monde et que l’Occident n’a
pas le monopole de l’armement. Pire qu’il peut même ne pas être vainqueur lors
de cet affrontement. Sans compter que cette affaire de chimie est en prise
directe avec ma propre littérature – ce qui n’est sans doute pas un hasard –
mais aussi avec les chambres à gaz nazies. Mes fantasmes prennent corps.
Enfin, le mélange de
terreur et de satisfaction que tout cela doit déjà inscrit dans mes livres Le
corps défunt de la comédie et dans Canal de la Toussaint y compris
les livraisons d’armes effectuées par le Chili à l’Irak. Et comment croire
alors que les issues préfigurées dans mes œuvres n’auront pas lieu, puisque le
reste y est déjà ?
Des Tunisiens et des
Jordaniens s’engagent individuellement dans l’armée irakienne, un ami y voit la
constitution d’une nation arabe ce qui n’est pas contradictoire à mon idée de redistribution des nomes à l’occasion de
la Perestroîka.
Enfin toujours
l’angoisse démographique. La trivialité des réalités. L’à plat de la
démographie, cette science reine comme j’ai l’habitude de le dire.
L’idée que chacun
est psychologiquement vraiment très seul face à cette guerre et plus encore que
dans la crise économique au sein de laquelle on a encore affaire à des groupes
sociaux et culturels. Là en temps de guerre, les destins s’individualisent.
Seules comptent les qualités guerrières - elles sont personnelles - et on n’a
pas appris à se battre.
Pique nique à
Saint-Jean-de-Balmes sur le Causse Noir.
Les troupes font
route vers la péninsule arabe. Quand on pense que toute cette histoire a
commencé lundi dernier, on est confondu de constater comment un monde peut basculer
dans la guerre en une semaine… C’est un engrenage et le cerveau baigne petit à
petit dans cette nouvelle ambiance. On lit le journal local, l’appareillage du Clémenceau en rade de Toulon et la liste
de la nourriture embarquée. On commente pour bercer l’angoisse. J’ai
l’obsession de mes Elèves que j’ai pourtant préparés à cette conjoncture.
En définitive l’Irak
est allié avec la Jordanie, l’Iran, la Tunisie, l’Algérie, la Mauritanie et le
Soudan. Cela fait quand même beaucoup de monde ! La France est
neutre ?! Le reste du monde s’organise en force multinationale, dénommé Les Alliés.
Une angoisse sourde moins aigue que les jours précédents mais tenace. L’Irak a
dans plusieurs domaines un armement supérieur aux Etats-Unis et plus de chars
que la France et l’Angleterre réunies. Le comble du comique est que c’est nous
qui les avons armés … à crédit, c'est-à-dire qui leur avons en fait donné
l’armement. Tragique méprise…
L’Irak commence à
regrouper les Occidentaux sur les sites qui peuvent être des objectifs de
bombardements pour s’en faire une barrière humaine de protection. Je crois que
nous sommes acculés à cette guerre et que nous allons la perdre par veulerie. A
la cafétéria du Centre Commercial, ces gens repus n’ont d’autre perspective que
leur satisfaction immédiate et me font encore plus peur que les Irakiens.
L’idée même de ce que pourrait signifier l’idée d’avoir à se défendre semble
leur être incompréhensible.
Dix huit mille
Etrangers sont prisonniers en Irak et au Koweït, servant de boucliers vivants selon la formule consacrée ! Ils ont été dispersés sur
les différents sites stratégiques. Le vocabulaire employé soulève le cœur, on
prend des pincettes pour ne pas employer le terme otages de crainte d’alarmer l’opinion publique. Un peu de gratitude
pour François Mitterrand qui met les pendules à l’heure en disant que cela ne sert à rien de se cacher derrière la
sémantique bien que lui-même emploie largement l’expression de logique de guerre pour faire
croire qu’on maîtrise la situation. C’est un peu comme l’expression mourir des suites d’un cancer alors
qu’on meurt du cancer lui-même.
Impression d’un
compte à rebours vers quelque chose d’inexorable dans lequel il faut pourtant
apprendre à vivre comme si de rien n’était parce que cela va peut-être durer
des années et on ne sait pas du tout ce qui va sortir de tout cela… Des exocets
ont été détournés de l’Armée Française pour alimenter l’armée irakienne et
lorsque les évènements ont éclaté début Août, des pilotes irakiens étaient en
formation dans les bases françaises. Des rumeurs de corruption diverses
circulent… Je m’accroche à mon ménage et à la peinture du couloir pour achever
la rénovation de l’appartement parisien.
Arrivée d’un nouveau
poste de télévision pour remplacer le précédent tombé en panne il y a plusieurs
semaines. Je regarde trois minutes par politesse et pour voir où on en est.
D’une tête structurée sur un conflit difficile et tentant de m’y adapter, je
retombe brutalement avec cette vision, dans le pire marasme. Le speaker fait le
joli cœur en s’exhibant et expliquant comment il a été fouillé avant d’aller
interviewer Saddam Hussein… Des images sans queue ni tête montrent des unités
américaines accablées qui trébuchent dans le sable. Des Politiciens racontent
n’importe quoi. Une impression d’aplatissement généralisé, de confusion,
d’obscénité et de non sens surtout me confirmant dans mon rejet des média.
Première promenade
en ville de la rentrée. Toutes les tendances se confirment. Paris est devenue
une ville du tiers Monde. Les Octantes étaient donc bien l’entrée dans ce que
j’ai par ailleurs appelé sous-développation. Cela crève le cœur.
Sur le théâtre des
opérations, l’Ambassade de France est encerclée. Les Irakiens ont démoli le mur
d’enceinte et coupé l’eau et l’électricité.
Obscénité générale
due à l’absence de transcendance dans le déni de l’existence du groupe, à l’exception
de quelques voix qui recadrent le tout parce qu’elles évoquent simplement le
sens civique, moral ou idéaliste.
La Télévision nous
montre le Dictateur irakien se donnant en spectacle avec ses otages et il me
prend l’envie de me débarrasser de cette propagande installée au cœur du foyer,
poison absorbé par les autres. Je ne me vois guère faire la rentrée dans cette
ambiance de mort. Celle de l’Etat/Nation, de la Société Française, de
l’Occident lui-même par la dépopulation face à un Tiers Monde en pleine
explosion. La disparition de nos valeurs dans un avènement totalitaro-matriciel d’une économie distributive qui se met en place. Je suis toute entière occupée à
empêcher autrui de faire son nid en moi.
J’ai revu le film Laurence d’Arabie dans sa version
intégrale après qu’ait été rétablie – coupée dans la version précédente -
presque une heure de projection, coupée dans la forme précédente. C’est alors
un film tout autre, sans compter la maturité qui me fait voir les choses autrement.
Toujours est-il que les séquences rétablies montrent la confrontation des
Arabes avec la modernité technique et le politicisme
occidental. On y voit un Fayçal
cultivé et maîtrisant parfaitement les finesses de la langue ainsi qu’un
correspondant de guerre américain qui ne décramponne pas El Aurens se servant de
son journal pour manipuler l’opinion publique. Plus grave encore, les
manoeuvres des Anglais envers un Laurence d’Arabie encore plus fou que dans la
version courte. Bref, cette version intégrale est plus réelle, plus réaliste et
donne moins à rêver à une légendaire Arabie, animée par un mythe. On y voit
plutôt une mondialisation chaotique dans laquelle les gens se débattent. Les
coupes avaient permis de fabriquer un mythe romantique d’alliance entre les
Arabes et l’Occident. Sans doute est ce la nouvelle donne qui permet la version
intégrale qui du coup prend une drôle d’allure.
Avec mon ancienne
partenaire de théâtre, nous en arrivons à la conclusion qu’il n’est plus possible
d’avoir avec les adultes des rapports autres que leur maternage à mort, rapport dont nous ne voulons pas. C’est sans
doute un effet de la régression en cours qui s’ajoute à la Réaction à l’œuvre
depuis plusieurs années. Ambiance de mort, comme si nous bougions encore au
milieu d’un tas de cadavres ! Nous paraissons une fourmilière détruite et
désemparée avec quelques individus qui errent encore de ci de là. Horreur de
cette ambiance de faillite, de désertion et de collaboration. Je leur en veux
beaucoup de n’avoir pas compris que la guerre moderne était otage, média,
attentat, guerre chimio cybernétique.
J’ai vu aux Halles
un signe revendiquant sur un tee-shirt la bisexualité ou l’androgynie!
Un million de
réfugiés en Jordanie. De hordes misérables de Tamouls concentrationnés. L’indécence des supputations sur la hausse du
prix du pétrole face à toutes ces pauvres chairs à la dérive. C’est encore
Pablo Neruda qui me semble nommer le mieux ce qui se passe, même s’il l’a écrit
à propos d’autre chose : La Terre
paraissait s’enfoncer…
La lumière m’est précieuse mais pas si je
dois la payer de mes deux yeux crevés ! Aragon
Promenade habituelle
du Samedi. Accablante ! Au Centre Pompidou à Beaubourg, la Bibliothèque
des Nouveautés a réduit de moitié et dans le Forum Commercial, les
boutiques où j’avais l’habitude de me fournir ont changé de commerce. La mode
de cet hiver est encore plus obscène que celle d’aujourd’hui. Elle est
vulgaire, baroque, courte, sado/maso et militaire. Des couleurs sombres, des
clous, des paillettes, tout cela détourné de sa fonction et place normales dans
ce qu’on pourrait appeler une perversion. Beaucoup de cuir et de têtes de
morts. Des remontées concentrationnaires. Les vêtements que je porte sont
déplacés dans la rue mais je ne vois pas par quoi je pourrais les remplacer. La
génération de nos enfants à des allures qui évoquent celle de nos aimés dans
les années Cinquante. Ils nous regardent de travers furieux et en même temps semble - t - il, envieux. Ce sont les bijoux qui sont les
plus laids mais ils sont par ailleurs bien assortis à l’exacerbation des décors
maniérés et rococo sans aucune fonction.
Le pire est quand
même la découverte de l’état des Tuileries. Je savais que le Directeur des
Parcs et Jardins, avait démissionné comme le Ministre Jack Lang avait autorisé
les Forains à y installer leur fête. Le résultat dépasse la fiction. Je n’en ai
pas cru mes yeux. L’espace est devenu une steppe et un terrain vague. A
pleurer. Partout je ne vois que les signes de la consommation du patrimoine
accumulé par nos Ancêtres et des
prémices de mort.
Enlisement dans les
libérations des otages, au compte-goutte. Saddam Hussein ne cède rien sur le Koweït
et réussit à déplacer le débat. Les écrans médiatiques sont occupés d’un magma
informe de corps en transit qui ne sont plus des gens, des citoyens acteurs
d’évènements historiques mais un flux liquéfié, un gisement d’images sans autre
but que de faire écran à la réalité. La caméra voyeuse traque en vain
l’émotion, il n’y en a pas. La larme écrasée est fausse et perverse. La
Planète, l’Histoire, les affrontements de Civilisations, les enjeux économiques
débouchent sur des images d’enfants traînant des ours en peluche. La Télévision
est devenue un vaste bordel pour exhibitionniste et voyeurs. C’est le publicisme totalitaire, la structure du bobinard.
Ajoutons que la
façon de libérer les femmes et les enfants en se donnant des allures
d’humaniste généreux est une façon de rappeler leur infériorité et leur
fragilité. D’où mon malaise bien que je ne puisse pas m’empêcher d’allumer la
Télévision ce matin à sept heures et d’y replonger. J’en prends plein la figure
avec la libération de six cents femmes et enfants sur les dix mille
Occidentaux… soit environ cinq pour cent ! Vingt Cinq Français sur Cinq
Cents !... Tout cela bien sûr en échange de la rupture de l’embargo
puisque c’est un appareil irakien qui les a emmenés. L’arrivée est filmée.
Ces corps en perdition
franchissent les portes pour rejoindre ceux qui sont venus les attendre et à
qui on donne la parole. Fait étrange se sont uniquement des Beaux Parents dont
le discours commun est que cette belle fille (mariée ou non) va remplacer leur
fils retenu là bas, et qu’elle va se charger de combler l’angoisse qui les
habitent. C’est la moitié de notre enfant qui revient dit l’une On espère
qu’elle voudra bien venir avec nous à Sanary dit l’autre. Mais on ne voit
aucun membre des familles directes de ces femmes. En voyant cette chair humaine
couler de la passerelle de l’avion, on pense à du butin déversé. On dirait Les
Troyennes d’Euripide mais il manque la grandeur des chœurs antiques,
remplacés là par la vulgarité médiatique.
L’Ambassadeur d’Allemagne
de l’Ouest assiégé comme les autres depuis dix jours, eau, électricité et
approvisionnement coupés a craqué. Il est sorti avec sa femme pour se réfugier
chez un Collègue, manie prise sans doute depuis la chute du Mur de Berlin. Mais
manque de chance il s’est fait cravaté,
c’est le mot qui me vient. Le soir, on apprend que les équipes d’Antenne 2 ont
été expulsées parce qu’elles avaient filmé un camp de réfugiés Philippins qui
n’avaient pas de visa de départ, ni de place dans l’avion…
Margaret Thatcher
menace Saddam Hussein d’un Tribunal de Nuremberg, lorsque les hostilités seront
terminées et déclare : Saddam
Hussein est un raté qui s’abrite dans les
jupes des femmes!
Prendrait-elle là la tête d’une croisade contre l’Islam anti-femmes ? Ou
bien s’agit-il de la vieille tradition du combat des femmes avec les armes des
femmes ?
Dans les Ambassades
assiégées, on brûle des meubles et on fait bouillir l’eau de la piscine pour la
boire.
Saddam Hussein réclame
de la nourriture en échange des otages. On parle du Robinet des otages et cette saponification
médiatique des corps humains m’écoeure… Ce ne sont même plus des marchandises ou des objets, ni les stucks des Nazis mais une bibine qui
coule, qu’on verse, qu’on déverse ou qu’on retient.
La Jordanie ne peut
plus accueillir de réfugiés, les prolétaires immigrés au Koweït, Indiens,
Cingalais, Pakistanais cantonnés dans un camp à la frontière, sans eau et
presque sans nourriture. On nous montre leur bagarre pour manger.
Phobie des ordures
comme la quintessence de la consommation proliférante de l’Occident. Souvenir
du Chef Indien qui prophétisait L’Homme
Blanc a souillé sa couche, il mourra étouffé par ses ordures.
Je me souviens du
nom du réacteur nucléaire iraquien OSIRAK anéanti par les Israéliens. Je crois
comprendre que ce nom symbolise le panarabisme anti-hébreu et le désir du
retour dans la matrie/matrice.
L’Irak s’allie
ouvertement avec l’Iran qui lui propose de briser pour lui, l’embargo. Dans L’Evénement du Jeudi un article pour
dire que si la France n’a pas envoyé d’armée dans la région, c’est qu’elle n’en
a pas.
Prérentrée la plus
dévastatrice qui soit. Cette fois, on n’a même pas réussi à réunir les Conseils
d’Enseignement et le discours inaugural du nouveau Proviseur Alexiu n’a pu
porter que sur la matérialité du bâtiment. Dans un sens, cela nous soulage de
la langue de bois et du faire semblant qui n’est même plus possible. C’est le
vide qui s’installe. L’Administration a déserté et n’essaie même plus quoi que
ce soit, nous laissant ainsi une paix royale. Les Collègues sont dans un état
lamentable, la maladie est omniprésente quand ce n’est pas la défection. Vin
d’honneur sordide dans un préau absolument sinistre, sans aucun membre de
l’Administration. C’est le personnel de service, désormais intégralement noir
qui parait encore le plus à l’aise et qui semble prendre virtuellement les
commandes dans la désertion des autres… C’est stupéfiant ! La Bibliothèque
est fermée, le Bibliothécaire muté n’étant pas remplacé.
Les résultats des
examens des élèves défient la concurrence : soixante treize pour cent en
2TSC1 et quatre vingt treize pour cent en 2TSC2… Mes pronostics se sont trouvés
confirmés et j’y ai au moins gagné le champagne parié avec une Collègue qui ne
croyait pas possible un pareil trucage ! Humour de H : On tachera de faire mieux la prochaine
fois !
On respire la mort à
pleins poumons sans savoir comment s’en protéger. Les Collègues en charpie nous
renvoient l’image de la déliquescence de l’Institution, les Maîtres
Auxiliaires, celle de leur malheur, leur précarité et leur surexploitation, les
Collègues Arabes et Asiatiques de leur discrimination et le lumpen-professorat, celui de l’état réel de la société. Incongrue dans le
préau cette affiche : J’enseigne,
pourquoi pas vous ? En effet !...
Stupéfaction de voir
des Comités Locaux de Défense des Otages envisager de négocier directement le
rachat de leurs protégés contre de la nourriture fournie à l’Irak. La
Télévision retransmet tout cela, sans aucun commentaire ni critique.
Hier rencontre entre
Bush et Gorbatchev apparemment parfaitement d’accord. Pathétique regroupement
d’Occidentaux. Sur France Culture on entend l’Ambassadeur de la Ligue Arabe
dire Si vous êtes les Occidentaux, nous
sommes les Autres !
Hier, la rentrée de
trois classes d’un coup, physiquement épuisante mais professionnellement
réussie contre toute attente, en changeant radicalement de politique et
m’appliquant avant tout à les sécuriser. Considérant finalement que dans cette
affaire ce n’est pas l’Enseignement, l’essentiel mais une variante de l’ordre
d’une psychanalyse de classe - qu’il resterait à inventer -
la transmission ne venant qu’ensuite et par surcroît pour autant qu’autre chose
aura été d’abord obtenu.
Et puis surtout
surgissement d’un flot littéraire concernant le Lycée lui-même. Un texte de deux
pages pour constituer avec d’autres du même ordre, ce Minotaure en habit
d’Arlequin que je tente depuis longtemps d’écrire. J’ai découvert du même
coup ce qui est à l’origine de mon lyrisme littéraire. C’est lorsque la rupture
se produit et qu’on franchit le point de non retour, qu’il se forme. Est-ce
parce qu’alors on appelle sa mère dans sa langue maternelle, lorsqu’on en est
brutalement séparé ?
Hier, signature avec
Les Alliés du Traité Officiel de Réunification de l’Allemagne, c'est-à-dire ipso facto,
le Traité de Paix de la Deuxième Guerre Mondiale. On rigole de constater que le
fait passe complètement inaperçu parce que la situation du Golfe est devenue
plus importante. Mais quand on apprend ce soir celle d’un pacte de non
agression réciproque et d’entraide économique préférentielle entre la Russie et
l’Allemagne réunifiée, alors qu’on n’en avait jamais eu vent, on en reste
raide. On savait la CEE caduque mais pas à ce point-là.
Les Allemands
viennent de décider de ne plus accueillir de Juifs en provenance de l’Union
Soviétique.
Les Irakiens sont
entrés dans les ambassades et ont emmené ceux qui s’y trouvaient.
Au matin, on apprend
que de surcroît la Résidence a été vidée de ses richesses matérielles. Les
animaux du zoo de Koweït ont été mangés. On s’applique à vivre normalement mais
on y parvient de moins en moins. De tous côtés, les gens se plaignent. Pas une
conversation qui ne soit une plainte, une douleur, une agressivité. Aux Puces
de Vanves en remballant, les Marchands déplorent de n’avoir rien vendu. Tout se
rétrécit. Je me replie sur ma couchette avec mes livres et à un moindre degré,
ma littérature. C’est surtout la lecture qui m’occupe. J’ai écrit dans La
jeune morte en robe de dentelles : Je
sais d’expérience que la littérature sauve la vie.
Dans la Salle des
Professeurs, surgissement d’une sorte de semi clochard bardé de sacs en
plastique dont on se demande ce qu’il fait là fourvoyé, alors qu’on s’apprête à
le renseigner. On apprend avec stupeur que c’est le nouveau Professeur de
Français. Choc...
On entend enfin
parler de la situation. C’est Ficquemont qui nous annonce qu’on recense les
hommes de moins de 35 ans, notamment le mari de la secrétaire. Mais il précise
que le recensement n’est pas la mobilisation. Je lui dis que si c’est son cas,
je lui enverrais un cache-col !... Quelques Collègues évacuent aussitôt
l’information, sur le mode cela va passer,
cela ne vaut pas le
coup de se battre. Il faut de plus en plus
d’énergie pour repousser l’angoisse de mort, la logique de mort
comme on dit maintenant, depuis six semaines que dure la tension sans aucune
amélioration. Les forces s’épuisent en pure perte.
On apprend qu’un des
Professeurs de Gymnastique a un fils appelé dans le Golfe et que les mères de
fils de cet âge-là, se regroupent.
Dans
l’Etablissement, le coulage - comme
on dit dans les entreprises - prend des proportions stupéfiantes. On découvre
qu’un Professeur du Lycée a fait venir spécialement son mari avec sac et cabas
pour emporter un plein carton de fournitures de bureau devant deux ou trois
témoins présents qui n’y ont rien trouvé à redire…
Ce qui me soulage en
ce moment, c’est faire le ménage, ce qui pourtant n’a jamais été ni mon
habitude, ni ma tasse de thé. Je cours aussi les bouquinistes, signant les
livres achetés de mon nom littéraire comme pour contresigner dans le présent,
l’héritage de nos prédécesseurs et m’apprêtant à le conserver et à le
transmettre à nos successeurs.
Situation
ahurissante dans les Classes dans lesquelles les Elèves ne réalisent pas les
réalités de la Guerre, ni même qu’il puisse y avoir des restrictions d’essence.
Ils ne font pas la différence avec les films
de guerre et comme j’essaie de leur faire comprendre en m’appuyant sur
la réalité de Beyrouth, le plus intelligent du groupe comprenant enfin de quoi
il retourne, lâche Mais alors c’est pas
marrant !
Dans le métro de
plus en plus de clochards notamment à la station Opéra, celui que j’ai vu
toujours à la même place se dégrader pendant des années et peu à peu devenir
fou avec des mouvements répétitifs et stéréotypés. Ce drame auquel j’ai assisté
sans trouver le courage d’amener ce type chez moi, a beaucoup fait dans ma
désaffection du métro. Au point d’en avoir maintenant une véritable aversion.
Conversation avec MB
qui ne sait pas quoi penser et est peu exalté de cette Guerre que je qualifie moi-même
de Guerre d’Intendance. Si j’en suis moins affectée que lui, c’est sans doute
parce en tant que femme, j’ai l’habitude d’être chargée des approvisionnements
et ne peux donc pas mépriser cette fonction.
Dans le RER trois
garçons BCBG, cheveux ras demandent trois cigarettes à un fumeur pakistanais et
se les font allumer. Le fumeur s’exécute. On entend le trio parler fort et
évoquer le prochain camp scout qui aura bientôt lieu dans la propriété d’un
tel, en plein vignoble. Je me sens vraiment très mal, prête à intervenir, ayant
quand même un peu peur, en me disant que ces jeunes-là pourraient bien à moi
aussi me faire un mauvais parti. En gare de Pereire, un énorme graphitage Les bougnoules à l’abattoir, les Français au
pouvoir !
Quartier Turc sous le
Lycée en descendant vers la Seine, dans ces rues de Verriers et de Fourreurs
dans lesquelles je me promenais autrefois avec bonheur. J’ai senti une grande
hostilité des hommes (aucune femme n’était visible à l’extérieur) sans que je
puisse savoir s’il s’agissait de ma part d’une paranoïa traduisant mon angoisse
galopante ou d’une tentative de m’interdire le passage. Sentiment partagé dans
le Passage Brady dans lequel on se serait cru à Constantinople. A pleurer de
bonheur devant la débauche de nourriture et d’odeurs exotiques ainsi que d’un
mode de vie tout autre. Mais en même temps, une sorte de panique devant cette
importation à domicile du Tiers Monde, de la crasse, la pauvreté et le malheur,
auxquels de gré ou de force on se trouve mêlé.
Une impression de
liquidation générale. Outre la Guerre qui paraît un engrenage auquel on ne peut
plus échapper quand on voit les troupes SE RANGER EN ORDRE DE BATAILLE au sens
strict, c'est-à-dire côte à côte par contingents nationaux… évoquant L’Iliade
d’Homère, et les problèmes qu’il faut bien maintenant appeler intercommunautaires car il n’est plus
possible de parler de Nation Française, même comme fantasme.
Dans le même temps -
pour les mêmes raisons - disparaissent l’Etat, la Famille, le Couple, l’Ecole
bref toutes les Institutions sur lesquelles sont construites nos vies et est
ordonné notre quotidien. Mais tout cela n’apparaît pas encore publiquement et
des formes vidées de tout contenu, se maintiennent. Elles sont alors comme pour
les Bernard L’Ermite, utilisées pour servir à d’autres fins que les leurs.
Elles sont perverties.
Dans le même temps
une gluance généralisée, les gens se collant et s’agglutinant informes les uns
aux autres, y compris physiquement. Chacun semble devenu l’ennemi de tous et on
a constamment le choix entre fondre avec les autres dans le grand chaudron où
l’homme est en train de devenir du plastique ou se reculer d’horreur et
d’effroi, consacrant alors la majeure partie de son temps à tenter de faire
respecter une distance de plus en plus en plus incertaine entre les uns et les
autres. Ils se servent maintenant dans vos affaires comme si elles étaient
d’ores et déjà devenues communes.
Le Bangladesh parle
de l’exportation de sa matière humaine.
Nous allons presque
tous les week-ends au Marché aux Livres, lieu de soulagement car on y rencontre
tout ce qui lit et souffre et cherche encore comme à la Messe pour les
Chrétiens, à se connecter. L’ECCLESIA. On y rencontre des hommes d’un certain
âge avec des sacs à dos ou des besaces en bandoulière. Ce côté voyageur ou
pèlerin émeut et contribue pour beaucoup à l’ambiance du marché. J’ai même
l’idée d’en faire un livre d’interviews. D’autres n’ont que les sacs en
plastique distribués dans les stands voire même les bras ballants. Les
Marchands se divisent entre les fous qui se donnent en spectacle (c’est l’une
des caractéristiques de ce marché-là) et les rapaces qui visent à faire
fortune.
D’où d’un côté, une
sorte de tentative décourageante d’établir des cotes de livres selon les
auteurs, les éditions et les années comme pour les timbres ou les cartes
postales… et de l’autre un fouillis chaotique. De ce fait, pour les mêmes
livres, les prix vont du simple au triple et font apparaître les tentatives
d’établir un marché au sens
économique, comme un fantasme. Certains vendeurs tentent aussi d’établir un
surcoût au motif qu’il y a de prétendus envois
qui me mettent hors de moi. Achetant des livres à dix francs, je lis comme
jamais et m’enferme dans leur cocon.
Je persiste à tenter
d’acheter un recueil de poète irakien. Sans aucun succès. Cela fait rire les
femmes à qui j’en demande mais les hommes de leur côté, se décomposent. Est-ce
parce qu’ils perçoivent cela comme si je les démobilisais ? En tous cas,
ils trouvent cela de mauvais goût…
Pablo Neruda :
celui dont la voix fait taire toutes les autres.
Je ne supporte plus
le malheur planétaire, celui spécialement des émigrants au Koweït, rejetés chez
eux dans une misère accrue dans un pays qui sombre. Je ne supporte pas non plus
tous les jours de voir ces hommes partir à la guerre, accablés sous leur barda
avec des équipements pas trop bien adaptés. Souvenir de la bouleversante
fraternité du départ dans le film Quand
passent les cigognes ou celle à plus grand spectacle de Laurence d’Arabie. La Télévision donne à voir sans fournir les rites formels
religieux et sociaux qui permettent de supporter. Une fois de plus, elle nous
dissout. On part avec eux, sans que les structures et l’ordre social
s’interposent pour empêcher l’engloutissement. D’autre part, ce départ
à la guerre dure depuis
maintenant six semaines.
J’ai découvert que
dans ces rites qu’on ne peut pas pratiquer et qui rendent malade par leur
absence, il y a qu’on doit jeter des fleurs aux hommes qui partent à la guerre,
façon de leur dire qu’on les aime et qu’on a confiance dans leur capacité à
nous défendre. Là rien ! De toutes façons notre confiance est limitée, au
point d’être bouleversée d’émotion d’avoir simplement entendu quelqu’un dire
qu’il avait obtempéré à la réquisition parce que précisait-il On y va parce qu’on se dit que si c’était la
Guerre, on serait embêté de s’être défilé ! Et il ajoute que la
position de ceux qui sont prétendument contre cette Guerre s’explique par le
fait qu’ils ont peur. On est réconforté par cette simple affirmation
patriotique sans prétention !
Sur CBS, les
nouvelles américaines ! Me vient l’idée paranoïaque qu’il y a de moins en
moins de sous titres et notamment que certaines paroles ne sont pas légendées.
Mais comment le savoir sans avoir fait au préalable, des relevés précis ?
Cynisme ou simplicité des Américains se félicitant d’avoir réussi à amener en
Arabie un important contingent d’Egyptiens, bien qu’ils leur aient coûté très
cher ! Et de développer ensuite ce thème, en attirant l’attention sur le
fait que finalement on s’y retrouve parce que l’intendance nécessitée par un
militaire égyptien est moins importante, notamment ils n’ont pas besoin de
permission de Noël…
L’effort désespéré
de l’animateur de Télévision Mourousi pour affronter et dénoncer les positions
collaborationnistes de Le Pen qui appuie ouvertement Saddam Hussein.
Ce qui domine, c’est
la panique et l’épuisement physique. Une lutte de vitesse est engagée entre la dégradation
et les efforts d’adaptation. Je reste de plus en plus couchée à lire. Notamment
le Lazare d’André Malraux qui me semble en rapport avec le non-dit de la
chimiothérapie… De son côté mon ancienne partenaire de théâtre me dit lire le
même auteur, bien que nous ne nous soyons pas donné le mot, c’est sans doute
que Malraux par son alliance de l’Art et de l’Action, est bien un écrivain pour
la situation actuelle, justement sans Art ni Action. A côté du Malraux, mon
émotion la plus forte est due à L’Epopée de Gigalmesh et à la découverte
d’Hafiz, poète persan du Moyen-Age. Il me soulève.
Situation
catastrophique en Classe de Première : Les Elèves n’osent pas encore me
dire qu’ils sont d’accord avec Saddam Hussein mais je vois déjà bien qu’ils le
pensent… Au nom de la légitimité de la redistribution envers les pauvres… et de
la disparition de toutes les institutions,
valeurs ou modes d’être ! Un
à-plat trivial focalisant une myope obsession des biens matériels. Ce n’est pas
venu d’un seul coup. On l’a vu s’installer au fil des années ! Finalement
tout cela va dans le sens de la confirmation de cette économie distributive que
je les vois fantasmer depuis des années et qui a rendu impossible mon
enseignement.
Pour la première
fois avec des Elèves, je me suis sentie environnée d’ennemis. Autrefois au
pire, quelques fascistes nous faisaient la vie dure mais protégée par l’espace
sacré de la classe, elle était rendue supportable par les cadres
institutionnels qui l’aménageaient et la transcendaient. Là plus rien de tout
cela et cette nouveauté confirme tout au contraire la parfaite obsolescence de
notre mode de vie.
L’après-midi, au
Centre Optique de la MGEN, une femme me vide son sac pour finalement me dire
des choses analogues. Il ressort de tout cela une angoisse de liquidation
confirmée à chaque conversation. Angoisse de liquidation dont on ne peut plus
savoir s’il s’agit d’une paranoïa ou d’un avertissement. Les deux n’étant ni
contradictoires ni incompatibles mais plutôt les conséquences de l’impossibilité
de parler et d’en débattre à plusieurs au sein de cadres sociaux pervertis, ce
qui nous laisse sans défense contre le déraillement... C’est le fonctionnement
de l’enfollement tel que je l’ai
analysé dans plusieurs de mes écrits. C’est parce qu’on dénie tous les soupçons
dont il fait état, que ne croyant plus personne, le fou s’enfolle, s’efforçant de conserver par la répétition
obsessionnelle, la parole à laquelle il ne veut pas renoncer.
Extravagance de ce
voyage en train pour aller visiter un ami en province. Urgence de cette date,
avec l’idée que dans huit jours, ce ne sera peut-être plus possible. La lutte
contre la panique d’un attentat ferroviaire basque ou irakien.
Dans le train du
retour, je suis dans un compartiment avec deux femmes Professeurs de Faculté,
françaises moyennes qui débitent pendant une heure et demie le discours Madame Michu de l’Université dans le style de la nouvelle idéologie à la
mode, puisqu’elles s’en prennent selon leurs propres termes aux anciens
soixante-huitards qui n’en sont
pas encore revenus et qui
occupent encore selon elles, les milieux de l’édition comme un
dernier nid qu’on n’aurait pas pu détruire.
J’explose alors sur
le thème qu’on aura notre revanche et que la Guerre va les balayer. La bouche
en cœur, elles demandent ensemble Quelle
Guerre ? On croît rêver !
Je vitupère sur le fait que le pays est miné par leur attitude de gestionnaires
etc… Les deux femmes sont éberluées mais pour éviter plus grave, je quitte le
compartiment et vais m’installer ailleurs tout en leur disant : Cela fait
une heure et demie que je vous entends dégoiser. Vous êtes la vulgarité
même qui se prend pour l’intelligence !
Vulgarité qui par
son absence de transcendance, me parait en ce moment l’essence de la société
française…
Délire généralisé.
Les otages ont reçu de leurs entreprises, leurs lettres de licenciements. On
est partagé entre le fou rire et la tragédie ! On repense aux mots du
Général de Gaulle C’est beau, c’est
grand, c’est généreux la France ! A noter qu’on en a presque tous les
jours des exemples, d’une façon ou d’une autre… L’Etat intervient pour prendre
en charge les dits licenciés et leur bricoler sur mesure un statut de Chômage partiel total ! Mon père
aurait dit A se taper le cul par
terre ! Là, c’est carrément de l’Art…
Saddam Hussein a
décidé de ne plus nourrir les otages. Cela me touche au plus profond et me
bouleverse. Je sais tellement à la fois qu’il ne faut pas céder au chantage, et
comme il est terrible de ne pas y céder, cela n’étant d’ailleurs possible que
dans la transcendance et les valeurs du groupe dont on sait bien à quel point
elles nous manquent… Impossible d’expliquer cela dans une classe, quant à la
Salle des Professeurs, la sagesse commande d’éviter le sujet sauf avec deux ou
trois Collègues.
Ben Bella est rentré
en Algérie… pour renverser le FLN… Rumeurs de Coup d’Etat à Moscou, l’armée
encercle la ville ! Qu’on perçoive comme des détails la Réunification de
l’Allemagne et le chaos soviétique en dit long sur l’état planétaire… On a
l’impression qu’une Révolution Mondiale est en marche pour l’établissement
d’une ECONOMIE DISTRIBUTIVE MONDIALE, peut être ni plus ni moins que celle
prévu par Trotski. On est quand même pantois de voir ce qui se passe…
Les réservistes ont
reçu leur lettre de mobilisation. On l’a montrée à la Télévision. Une déléguée
des Jeunesses Communistes arborant le badge démagogique sur lequel est inscrit
cette citation de Jacques Prévert Quelle
connerie la guerre ! J’éclate en sanglot, comme lundi à la cantine et
il y a de quoi. On peut même dire que c’est un rite. Les hommes partent à la
guerre et les femmes pleurent… Soulagement de savoir mon mari trop vieux avec
ses quarante-sept ans. Encore qu’on ne sache jamais ! Le mot terrible qui
me vient est vétéran ! Comme une
chance ou un danger exceptionnel.
C’est le coup de
téléphone de mon ancienne partenaire de théâtre qui me fait souvenir que Saddam
Hussein a menacé de pendre les
diplomates américains et comme elle me fait remarquer à quel point ce mot est
terrible, je réalise que ma littérature me permet de tenir à distance tout ce
vocabulaire cauchemardesque. Il devient de plus en plus difficile d’aller au
travail.
La Sécurité Sociale
est en grève depuis quatre mois. Les Agriculteurs sont déchaînés et l’un le
visage halluciné prophétise La terre
redevient en friches, la terre redevient de la terre à vipères !... Cela
rejoint les incendies de la semaine dernière dans le Var, incendies dont
l’origine criminelle ne faisait aucun doute et qui m’avaient semblés être une
catharsis symbolique, une tentative pour exprimer pour sa mise en flammes, son enflammement, plutôt que par son
inflammation, l’état du pays.
Tout de même, se
faire moucher par un Elève qui me dit que je n’ai pas à parler de l’excision et que cela ne me regarde pas
et lui répondre Ca me regarde toujours
plus que vous. Moi j’ai un clitoris et vous vous n’en avez pas ! Vous ne
pouvez pas vous rendre compte est quand même le point limite de la
situation dans laquelle nous sommes désormais.
Je rentre tellement
mal que je me couche et me mets à lire Le Marin rejeté par la mer de
Mishima. Ce livre me terrifie complètement ! Il me revient alors de façon
obsessionnelle ce qui s’est dit en classe et la paranoïa me gagne.
Conversation avec
Chantalle qui me dit avoir la gorge serrée devant le luxe de Saint Germain des
Prés et l’humiliation de notre misère croissante, rejetées que nous sommes dans
les abîmes extérieurs. La prolétarisation du Lycée s’ajoute maintenant à la
nôtre. Ce n’est plus la fonction professorale seulement qui se prolétarise mais
l’établissement Jules Siegfried lui-même et le quartier, intégralement.
La réalité est que
cela devient maintenant purement et simplement un quartier arabe, ce qui
n’était pas encore le cas, il y a un an ou deux et qui dans le contexte de
cette Guerre et réislamisation, devient intolérable. L’idée se fait jour que
pendant que je luttais contre le racisme, c’est autre chose qui a émergé et que
maintenant, c’est trop tard ! A partir de là, la tentation nationaliste,
sans exactement pouvoir clarifier ce qu’il en est.
J’ai vu mon père qui
de son côté ne croit pas du tout à l’imminence de la Guerre et nie tout ce qui
concerne la crise en question. Je lui dis avoir vu à la Télévision les feuilles
de mobilisation mais il me rétorque que je ne connais pas le sens des mots. Je
ne me laisse pas faire, lui répondant pour finir ce qui le fait rire : De toute façon dans ta tête à toi, il n’y
aura jamais la guerre ! D’autres amis affichent le même symptôme. Le
déni est général sauf chez mon ancienne partenaire de théâtre et chez
Chantalle.
Les jacqueries paysannes qui mettent depuis plusieurs semaines le pays à feu et à
sang ont empêché François Mitterrand de monter dans le TGV Atlantique qu’il
devait pourtant inaugurer. Néanmoins, je suis humiliée de subir ce permanent
camouflet à l’Etat.
Un reportage à la Télévision
fait état de quatre mille logements HLM vides. Il est impossible d’expliquer
cette situation autrement que par la carence complète de l’Etat, carence dont
on voit bien les effets dans d’autres secteurs, des ordures aux transports, de
la Sécurité Sociale à l’Enseignement. Carence de l’Etat qui donne à penser
qu’en cas de guerre, la défense ne sera pas assurée, ce qui signifie qu’elle
sera perdue. D’aucun pense que c’est la société qui disparaît car l’Etat serait
plus présent que jamais. Mais une conversation plus fouillée fait comprendre
qu’il y a confusion entre la bureaucratie
et la nomenclature en tant qu’emprise
d’une part et la fonction d’organisation réelle d’autre part.
Terreur de ce que
nous ne pouvons plus nous cacher et qui engendre un mauvais sommeil comme
chaque fois que je regarde à la Télévision une émission sur le thème de la
perte du territoire. S’y ajoute l’idée folle d’une France, ventre mou de
l’Europe avec son tissu économique effondré dont l’avenir est d’être abandonné
à l’ennemi, tandis que la classe dirigeante s’enfuit tout en ayant depuis
longtemps pris ses dispositions pour délocaliser et transférer ses capitaux. La
pénible impression d’avoir été leurrée par les idéaux qu’on m’a inculqués,
auxquels j’ai cru et crois encore à savoir l’Etat, la Nation, le Service
Public, en fin de compte une propagande à
la française.
Parlant à Chantalle
de notre état d’exténuation et de lutte, il m’est venu cette terrible formule On est en train de se faire tuer sur place.
Tout cela ne va pas sans grandeur ni tragédie.
Samedi 6 Octobre
J’arrive au Lycée en
Salle des Professeurs et trouve les Collègues en train de se moquer méchamment
des noms imprononçables des élèves. Ils en rajoutent et se vautrent dedans.
Comme je m’approche, Madame JG me dit sur un ton menaçant qui ne me dit rien
qui vaille T’as honte ? J’ajoute
pour garder le contrôle de la situation Vous
ne trouvez sans doute pas ces noms suffisamment aryens ? Vous êtes
ignobles ! Je suis scandalisée d’entendre de pareils propos dans une Salle
de Professeurs ! Aussitôt ils ont changé de conversation et l’affaire
a été terminée. J’ai marché de long en large pour occuper le terrain.
Quand Chadli est
revenu et comme il avait participé à la conversation et n’avait rien dit dans
mon sens, je lui ai dit Chadli, je ne te
fais pas mes compliments… Après une période d’ergotage il m’a simplement
dit Inscris-moi comme
démissionnaire !... Cette phrase m’a touchée par sa simplicité, sa
beauté, son humilité, son sens du sacré et de la fonction de l’écriture.
Pendant le déjeuner,
je fais comme d’habitude un effort pour engager la conversation sur le fond. Je
demande à mes Collègues s’ils ne rencontrent pas des difficultés dans les
classes à propos de l’affaire du Golfe et comme ils me disent que non non,
tout va très bien, alors qu’on sait ce qu’il en est…
je leur dis Bien sûr on a des difficultés
si on enseigne le marché du pétrole et l’économie réelle mais si on n’enseigne
que l’économie fictive, il n’y a pas de problème…
Le matin au Lycée,
une conversation avec CA qui attaque bille en tête sur l’astiquage des
chaussures à clous, métaphore de l’ambiance guerrière… Je lui fais remarquer
qu’il est témoin que j’ai fait le maximum pour qu’on n’en n’arrive pas là. Il
le reconnaît en disant Toi, oui ! La
suite de la conversation roule sur le thème qu’on est dépassé par les
événements et qu’on ne peut plus rien faire. Je confirme que l’Histoire est
bien ce qui s’impose à la vie des individus et nos relations jusque-là un peu
tendues sont pacifiées par cet échange.
Un peu plus tard
avec le Collègue Eurasien nous nous faisons confidence de notre commune
angoisse de la guerre intercommunautaire, pour finir par admettre qu’on l’a
déjà dans les classes. Puis il me dit tout à trac qu’il veut partir aux
Etats-Unis prétendument parce qu’il n’y a pas de skinheads. Je lui rappelle
qu’il y a le Ku Klux Klan et que de toute façon ici lui dis-je si je
peux me permettre les gens qui ont ton faciès, n’ont jamais eu
de problème… Il en convient et se sent semble-t-il, rasséréné.
Au Quartier Latin
une ambiance millénariste de Clochards de plus en plus nombreux à genoux sur
les trottoirs et implorant la charité. Assez souvent en face des cabines
Decaux, ce qui les rend inutilisables. Un monde anormal se presse sur les
trottoirs. Un luxe inouï s’étale dans les boutiques avec un intenable mauvais
goût. La concrétisation du dualisme. Nous rentrons très mal, je me couche
anormalement tôt, exténuée.
Deux Arabes ont été
tués dans la semaine. Emeutes nocturnes dans les ghettos lyonnais.
Emeutes à Lyon.
Pillage d’un Centre Commercial. Est-ce le début de la Guerre
Intercommunautaire ? Le soir, Place Pereire un attroupement arabe me fait
peur, je n’en avais jamais vu dans ce quartier-là ni ce contexte-là.
A Jérusalem on
apprend que les affrontements entre les Palestiniens et les Israéliens ont fait
vingt morts.
L’Armée Américaine
avec ses deux cents mille soldats se déclare enfin au complet.
Je me suis réveillée
trois fois dans la nuit bien que n’ayant volontairement pas regardé la
Télévision le soir mais cela n’a pas suffi ! Cette violence anti-arabe
dans les ghettos et à Jérusalem est insupportable. Un soir on s’endort après
avoir écouté cela et un autre soir avec la voix bouleversée de Jean Marie de La
Gorce expliquant que les hostilités ouvertes vont éclater fin Octobre. Au
matin, réveil à trois heures trente, il faut encore attendre cinq heures pour
avoir des nouvelles et six heures à la Télévision pour voir les Palestiniens
arrêtés à Jérusalem passer, longue cohorte enchaînée. Image navrante et
sempiternelle. De nouveau cette tragédie algérienne de l’adolescence. Retour à
la case départ.
Dans la Salle des
Professeurs, l’ambiance est à couper au couteau. Ce n’est même plus du béton ou
une chape de plomb. Bien entendu pas un mot sur la situation. Mais il me semble
que c’est plus grave encore que l’indifférence ou la folie comme je l’avais cru
jusqu’ici mais une sorte de complicité épaisse dans laquelle on se demande
s’ils ne sont pas en fait satisfaits de ce qui se passe, attendant dans la
discrétion que les Arabes soient tués puisque c’est ce qui semble continuer à
se dessiner. On se demande si le nazisme n’était pas quelque chose de cet ordre,
cette espèce d’épais IL N’Y A PAS qui donne là : Il n’y a pas d’arabes en voie de liquidation et résistant de toutes
leurs forces contre cette liquidation.
En BTS Bureautique
j’essuie un échec complet en évoquant le pillage comme mode d’accès aux biens
de consommation et dénouement des conflits de la société dualiste. J’évoque
aussi la constitution du quartier turc qui s’installe sous le lycée et qui ne
va tarder à l’entourer, expliquant que je me force à m’y promener en dépit de
la difficulté. Les élèves ont des réactions d’une vulgarité inouïe et je le
prends un peu mal.
Ce qu’il demande les
uns et les autres, c’est leur part de signes. De la réalité, ils ne veulent ni
les uns ni les autres mais seulement avoir accès à leur quota de fiction, rien
d’autre ! Ils sont en fureur que je leur interdise et c’est une constante
qui traverse toute ma vie.
A la Télévision
hier, j’ai vu encore à Jérusalem, les Esplanades du Temple et des Mosquées. Des
Palestiniens, des juifs intégristes, des mères voilées et des soldats, tous
plus terrifiés les uns que les autres, sans compter les vieillards bousculés et
jetés à terre par ceux qui pourraient être leurs fils. Une situation absolument
insupportable au point qu’on se dit que ce n’est même pas d’une guerre dont il
s’agit mais de tout autre chose face à quoi on ne peut opposer qu’une objection
de conscience radicale.
Hier également j’ai
été médusée d’entendre Jean-Pierre Chevènement, le Ministre de la Défense dire
gentiment, un peu gêné qu’on ne pouvait pas envoyer davantage de troupes dans
le Golfe car on ne les avait pas. Cette information recoupe celle qu’on a pu
lire dans L’Evènement du Jeudi et
n’intéresse pas les Collègues. Ceux de Gauche sont par principe
antimilitaristes et les autres ne veulent pas en parler.
Finalement il
m’apparaît que cette préoccupation de défense du territoire ne concerne en rien
tous ces prolétaires hors sol qui sont bien incapables de près ou de loin
d’envisager quelque chose qui y ressemble. Cette transformation généralisée du
monde qui laisse les gens sans racines et sans défenses, c’est aussi bien le
thème de la Shoah que celui de la Perestroïka. La seule lumière au Lycée, c’est
la conversation avec Chadli : Lui : Ca va ? Moi : Non ! Lui : Il y a de quoi ! On en reste
là ! Mais c’est déjà énorme.
Des attentats de
tous les côtés, le Ministre de l’Intérieur Allemand, le Président du Parlement
Egyptien et deux contre le Président Chrétien du Liban. Quelle violence
ambiante ! Et pourtant elle laisse de marbre nos Collègues.
Depuis quelques
semaines je ne lis plus Le Monde me forçant encore à l’acheter et à
en lire les titres mais cela ne parle pas de la réalité que je vis ni de ce qui
m’intéresse. Dois-je en conclure qu’il ne s’agit plus de mon journal ? Encore
un signe de notre prolétarisation/ exclusion.
La grève s’étend
dans les autobus et diversement dans les autres corporations. Eclatent en
pleine lumière la situation réelle dans les Lycées, les viols, les incendies, les
rackets, les intrusions étrangères. Manifestations des Professeurs et des
Elèves devant le Ministère. A la radio, mensonge habituel sur le déblocage de postes de Surveillants, comme si
c’était de cela dont il s’agissait. Là où Poperen dit Ca pète de partout, la version officielle face à l’irruption de la
réalité est Non, ce n’est pas bien grave,
une petite intervention et il n’y paraîtra plus...
Etonnante évolution
au Lycée. Enfin une discussion culturelle concernant Proust et Maupassant. C’est
la première discussion littéraire depuis quinze ans que j’y suis. Je crains
d’avoir été manipulée, mais cela n’a aucune
importante, l’essentiel ayant été que la littérature soit évoquée et que la
gestion ne soit plus en Salle des Professeurs, le seul sujet absolument totalitairement correct.
Dans les Classes, la
déléguée de la Section Bureautique vient me dire Madame ce que vous racontez de l’actualité, c’est bien mais ce qu’on
voudrait c’est que vous nous enseigniez la théorie, le PNB ! Je fais
semblant de leur donner d’abord satisfaction sur le thème du lien existant
entre PNB, ECONOMIE et ghettos – le sujet de la semaine précédente - puis lors
d’un cours assez tendu Si vous voulez
dire au Professeur ce qu’il a à faire, vous n’avez qu’à aller dans l’Enseignement
Privé développant ensuite le thème de leur mauvaise éducation.
Ce n’est pas
vraiment nouveau mais désormais c’est chaque année qu’il y a des difficultés de
ce genre et j’avais même pris les devants en étudiant pédagogiquement le
référentiel et les méthodes indiquées mais cela n’a servi à rien. Je ballotte
entre la violence y compris physique à leur égard et celle de démissionner,
parce que ce n’est vraiment plus possible.
On observe chez les
Collègues, une tentative de regroupement des anciens soixante-huitards pour
moucher le lumpen-professorat.
On ne sait pas ce
qui sortira de ce regroupement, dérive réactionnaire ou mouvement
révolutionnaire car il y a là justement la mémoire politique qui a disparu chez
nos Jeunes Collègues Si cela se trouve, il y aura bien une réaction
nationaliste venant des Professeurs s’ils s’aperçoivent que la perte de l’Ecole
est inacceptable comme prodrome de la perte de la Nation toute entière…
Je tente de redonner
droit de cité à Marx et à Freud comme Nicole tente comme d’habitude de les
démolir. Claude me soutient mais il est furieux comme je lui dis que cette
intervention viendra en crédit pour alléger son débit…
NB se décompose à
vue d’œil, retrouvant son être populaire brisé sur le thème qu’il ne peut plus
s’habiller chez son père comme il le faisait auparavant - celui-ci étant
tailleur - et il me semble que cette anecdote est la métaphore de ce qui nous
arrive. Nous faisons chorus y compris devant Chadli sur le thème de n’avoir
plus le moyen de nous payer nos vêtements de luxe, suscitant ainsi chez lui un
certain malaise. Et lorsque NB raconte qu’il s’était fait autrefois casser la
figure par Les Jeunesses Communistes, je
lui dis qu’il oublie de préciser à quel titre… Il ne se gêne pas pour remémorer
son passé gauchiste, ce qui déclenche l’hilarité.
Mon ancienne
partenaire de théâtre a cette curieuse expression du Golfe qui plane comme le nuage de Tchernobyl. Elle exprime ainsi
cette atmosphère de plus en plus pesante à l’intérieur des ghettos de banlieue,
de l’état de corruption de l’appareil politique, de l’Ecole et plus
généralement de ce qui est en train de naître. Comme si le vocable de GOLFE
couvrait l’ensemble de cette chose qui se passe et qu’on ne sait pas encore
comment nommer.
Dans la semaine
conversation avec MB à qui j’essaie d’expliquer la situation réelle de l’Ecole
et des ghettos. Mais il n’en a cure et me répète pour la nième fois son idéal
de capitalisme tempéré sans rapport avec les drames qui se vivent dans les soutes.
La langue de bois des happy few peu nombreux est insupportable face au naufrage
du gros de la troupe. Il admet tout de même le chaos mais j’échoue à lui
montrer le lien entre les deux.
A bout de nerfs, je
lui dis de dire à ses petits copains que
ce ne sera pas la peine de venir nous chercher pour essayer d’encadrer les
Jeunes quand ça pétera puisqu’ils nous ont jeté à la poubelle, nous issus du
peuple !... J’ajoute que leur armée va manquer cruellement de
sergents. Je me souviens alors qu’il m’avait dit en 1981 qu’il n’y avait que
Mitterrand qui pouvait empêcher la Révolution. Je suis scandalisée de lui
entendre ensuite tenir des propos anti-soixante-huitards que je ne lui ai
jamais entendu en dix-sept ans bien au contraire. Je le sais grand bourgeois
libéral - ce que j’ai toujours laissé de côté - pour cultiver avec lui les
aspects libertaires et littéraires.
Il me vient par la
suite l’idée qu’il venait de comprendre que l’esprit de 68 n’était pas mort et
quel rôle cette épisode avait joué dans la perte des codes, représentant
aujourd’hui pour lui un tel danger qu’il préférait encore nous rejeter dans
l’autre camp ou plutôt prendre acte que nous étions dans deux opposés. Ainsi
finit-il par me dire qu’il n’imaginait pas une société sans politesse, ce qui
m’a mise en dehors de moi étant donné le décalage avec la gravité des problèmes
sociaux et la masse de désespoir accumulé par la légèreté et la vanité de ce
genre de préoccupations. Sans compter que cela fait apparaître à quel point les
préoccupations de bienséance concerne des formes qui cachent en fait une réelle
oppression.
Aggravation de la
situation dans les Territoires Occupés que les Israéliens ont bouclés comme les
assassinats se sont multipliés de part et d’autre. Les Islamistes appelant à
franchir les barrages demain vendredi.
Le Mouvement Lycéen
se développe massivement. Depuis Lundi, manifestations tous les jours. Une
délégation a été reçue au Ministère. Sourire crispé de Lionel Jospin face à la
délégation arabe et noire vautrée sous les lambris et mastiquant du
chewing-gum. J’ai poussé une sorte de cri de victoire en constatant que le
Ministre découvrait enfin le problème, qu’il avait peur, était désemparé face à
une réalité dont il mesurait l’ampleur et à laquelle il ne savait pas comment
faire face. Cri de guerre de voir enfin les Socialistes qui nous ont trahi,
baigner à leur tour dans le marasme auquel ils avaient cru que nous étions
seuls, condamnés. Cri de guerre de voir enfin noir sur blanc la facture de
toutes mes analyses, le résultat tragique du dualisme mondial et hexagonal. Cri
de guerre de l’intuition de la Guerre qui ne manquera pas de résulter de tout
cela.
La Presse a commenté
les évènements d’un Le courant n’est pas
passé. Quant au Lycée, demandant aux Collègues s’ils avaient vu la scène,
j’ai découvert qu’elle n’était pas racontable, ou plutôt que je n’avais pas
envie d’en parler à ceux qui n’avaient pas regardé cette Chute de Rome. Il me revient le nom d’Odoacre,
celui du Chef barbare menant l’opération et j’en suis glacée.
Au Lycée dans la
semaine, on constate le regroupement des Professeurs Noirs, Arabes et
Asiatiques à une nouvelle table créant ainsi par cet acte, une configuration
nouvelle dans la distribution spatiale du Corps Enseignant. Les Collègues tournent
leurs vestes, certains disant l’inverse de ce qu’ils disaient précédemment.
Je lis dans la Salle
des Professeurs pour m’isoler, pour ne pas donner prise, pour ne pas me laisser
entamer dans ce maelström de plus en plus violent et menaçant, pour ne pas
alimenter les moulins fictifs qui ne sont pas les miens. J’y vois une parenté
avec Le sacrifice film de Tarkovsky
dans lequel le personnage pense que s’il parvient à faire le tour du lac pour
aller chez sa servante, l’apocalypse nucléaire n’aura pas lieu. En ce qui me
concerne, c’est l’idée que si je parviens à m’imposer cette ascèse, notre
culture tiendra. En Salle des Professeurs, on ne peut maintenir la lecture que
si on a une âme d’airain, encore faut-il tout au long du jour, la forger par
tout le reste des règles de comportements depuis la marche à pied jusqu’aux
règles de morale générale ou littéraire. Et c’est peut-être de ce soubassement
que vient cette impression saisissante dont parle Chantalle.
Chez ED où les
caissières arabes se sont moquées des clients en les traitant
de machines à remplir les chèques,
assertion contre laquelle j’ai protesté déclenchant là encore des prises de
bec…
Cette Guerre du Golfe
me fait horreur non pas par son absurdité, mais tout au contraire par son excès
de sens. Madame Thatcher a mis les Hôpitaux Privés en état d’alerte. Au Lycée -
sur la soixantaine de Professeurs que nous sommes - trois Collègues ont un fils
ou un mari engagés dans le Golfe. Naturellement personne ne parle de rien! Dans
mon entourage, on croit au largage de bombes chimiques sur la Capitale avec des
avions civils irakiens, ramenant les otages qu’on attend d’un moment à l’autre…
En BTS l’étude de l’Article Seize de la Constitution me donne penser qu’il pourrait bien être
appliqué dans la conjoncture pour des arrestations préventives, chose à
laquelle je n’avais jusque-là jamais pensé. C’est que - bien que tombé en
désuétude - il n’a pas été abrogé. Couplée à la dérive mitterrandienne, cette
perspective fait froid dans le dos dans la mesure où
elle réalise la conjonction de deux univers jusque-là différents, fascisme et
socialisme.
Dans la semaine j’ai
distribué aux élèves les vingt-cinq pages de photocopies du dossier du magazine
L’Evénement du Jeudi sur la Guerre
d’Algérie, dont ils ignorent tout. De son côté mon ancienne partenaire de
théâtre tentant de sensibiliser les siens, s’est faite par l’un deux, traiter
de bornée. C’est peut-être cela qui
m’a donné du courage car je me suis dit que cet acte de résistance présentait
quelques risques qui auraient pu me faire licencier mais que c’était
indispensable étant donné les manifestations des Lycéens, essentiellement
arabes. .
Le soir, le Ministre
Joxe est invité à la radio à s’expliquer sur l’affaire Doucet. Comme les
Journalistes lui demande s’il y a en France, une police politique analogue à la
STASI allemande, on est sidéré de les entendre dire Ecoutez, nous, on se sent menacé et on a peur …Monsieur Joxe peut
être vous aussi ! Ceci fait d’autant plus froid dans le dos que cela
va même au-delà de nos propres et pires pressentiments. On s’étonne également
de constater que le PS refuse la Commission d’enquête. Et que faire au vu de
cette forme terrifiante qui prend forme ?
Accablement de la
situation dans les classes où commencent des engueulades entre Juifs et Arabes,
ainsi qu’au sujet d’un poing américain que tous s’accordent à ne considérer que
comme une simple bague ! Tout cela me revient en me donnant une animale
envie de fuir.
Rodéos de voitures
sur l’Esplanade du Château de Vincennes, vols et incendies de véhicules
confisqués à leurs conducteurs éberlués sans que la Police - à deux pas
pourtant - intervienne.
Hier Samedi, les manifestations
ont continué alors même que ce sont les vacances de Toussaint. On en reste
pantois mais en fait ceux qui ainsi s’agitent sont les exclus de la prospérité,
ceux qui ne partent pas en vacances. Le mouvement révèle ainsi ce que je crois
être sa vraie nature, à savoir non pas un Mouvement
Lycéen mais un Mouvement des Exclus dont il me semble trouver la
trace dans un article du Monde qui de
son côté parle des manifestants s’écrasant
le nez contre les vitrines cossues du Boulevard Saint Germain. Sont-ce donc
les prémices de ce que tout ensemble je redoute et espère pour la résolution de
tous mes déchirements ?
Désormais on ne
s’enracine plus sur rien et c’est en un temps record qu’on voit s’effondrer
notre travail, notre environnement social et notre système de valeur, ce qui
fait quand même en fin de compte, beaucoup d’un seul coup surtout si on y
ajoute les menaces de guerre qui perdurent. On la prévoit pour Novembre dans
une ambiance de capitulation qui est encore ce qu’on supporte le mieux, parce
qu’on a pour elle au moins une référence, ne serait-ce que celle de 1940.
Pour le reste c’est
l’inconnu et la difficulté de penser cette lugubre nouveauté. Peut-on parler
psychologiquement de dépression
politique, il me semble que c’est cela. Et lorsque je l’analyse, il s’agit
du sentiment de l’absence totale d’espoir pour se projeter dans l’avenir,
situation créée par cette sensation.
Les otages sont
rentrés et on n’arrive pas à savoir si la France se désolidarise effectivement
du camp des Alliés ou si Saddam Hussein tente seulement de le faire croire. Les
bulletins officiels d’informations - et non plus seulement les commentateurs
autorisés - annoncent que les hostilités vont commencer dans les tous prochains
jours. D’habitude on ne les annonce que lorsqu’elles ont commencées, voire même
lorsqu’elles ont eu lieu. Le sentiment qui domine est une angoisse sourde qui
dure depuis trois mois… et l’impression générale d’être désemparée.
Concernant la déréalisation ambiante on pourrait dire
que pour nous, la génération précédente nous mentait mais n’exigeait pas qu’on
la crû. Maintenant, les plus jeunes veulent qu’on leur mente et qu’en plus ce
soit vrai. C’est cette nouvelle donne mentale qui fait cette ambiance qu’on
peut au choix qualifier de folle ou de totalitaire et qui a rapport avec le stalinisme médiatique que je m’efforce de penser.
Joxe trouve le
climat créé autour de l’affaire Doucet – selon son propre terme - dégueulasse. Quant à Bush il en a dit il
ras le bol des agissements d’Hussein.
Voilà pour l’ambiance verbale du Village
Planétaire…
Le voyage de retour
de la villégiature est sublime dans un Massif Central en proie à l’automne mais
surtout éventré d’une vaste trouée autoroutière quasiment à l’abandon. On ne
voit personne sur les chantiers en déshérence. Nous roulons sur la N9 elle-même
déserte et déjà à deux voies. Une éventration inutile. Une saignée vide.
L’image du présent. La nouvelle frontière abandonnée.
De nouveau
l’exténuation physique. Ce qu’on voit poindre est tellement terrifiant qu’on en
est atteint. La guerre civile planétaire pour commencer. L’URSS a disparu
effondrée en une trentaine d’Etats qui se battent et ces conflits sauvages
viennent mourir à nos portes européennes. Nous sommes pris en tenailles entre
les bouleversements de l’Est, de l’Orient et du Sud et comment penser que nous
ne sommes pas nous-mêmes dans des désordres sociaux qui sont les prémices de la
décomposition ethnique et territoriale qui aboutira je le crains, le pressens à
une partition du territoire.
Par ailleurs il
semble que l’espèce humaine se casse en deux, logiciel et biomasse et que cette
révolte des gueux lycéens soit bien la révolte de la biomasse qui se découvre
telle. Cette coupure n’est pas une simple coupure, c’est la refusion d’une partie de l’espèce devenue inutile mais en en
récupérant les parties utilisables pour la constitution de ce grand logiciel.
Angoisse de ne pas savoir sur quel pied danser avec le mouvement lycéen dont je
crains le pire tout en continuant à en espérer le meilleur.
Vu pour la première
fois une inscription Hommage à Hitler.
Chez les Collègues, pas un mot sur la situation alors que les Lycéens sont dans
la rue.
Les hostilités n’ont
toujours pas éclaté dans le Golfe bien que tous les soirs aux Informations de France Culture, on nous en annonce l’imminence. Ce qui fait que je m’endors
régulièrement sur la voix des commentateurs allant dans ce sens. Dans le même
temps, d’autres sur d’autres postes nous expliquent qu’il faut longtemps pour
que l’embargo fasse de l’effet et qu’en conséquence de quoi ce n’est pas tout
de suite qu’on passera aux hostilités… Sans compter Arafat qui explique avec
des lueurs étranges dans le regard que le
Proche-Orient est un cyclone à deux yeux,
le Koweït et la Palestine.
Les manifestations
lycéennes tournent non seulement au pillage - ce qui était déjà prévisible -
mais plus étonnant au saccage de restaurant (Le Dauphine), incendie de
kiosques à journaux et cassage de carreaux à Saint Germain des Prés. Les
allures obscures du mouvement ne sont pas une découverte, on ne sait que trop
quelle est la situation réelle qu’on a dans les classes !
En Salle des
Professeurs – fils d’immigré de la péninsule - Noël parle maintenant carrément
italien avec le Professeur et la lectrice… Voilà l’effet de la prolétarisation
chez ceux qui utilisaient autrefois les imparfaits du subjonctif de la langue
française
A Midi les
manifestations continuent de plus belle dans les villes de province avec des
barrages sur les voies de chemins de fer pour obtenir leur gratuité. Mes
analyses concernant ce que j’ai appelé l’économie
distributive semblent s’avérer
exactes.
J’ai oublié de noter
Dimanche l’obscénité de François Mitterrand enjoignant aux responsables de la Jeunesse d’être attentifs à ses besoins et de
l’écouter. Symboliquement parlant, on a touché le fond et
institutionnellement, le comble de l’hypocrisie. Pourtant en dépit de cela, la
marche sur l’Elysée - prévue pour lundi prochain - ne me paraît pas de bon
augure. En même temps le sentiment de l’inéluctabilité depuis le temps qu’il
gangrène la société, on se dit que c’est sans issue et qu’il faudra bien en
venir là. Toutefois en voyant au Parlement les Ministres accablés assis sur
leur banc, la pitié m’a pris. On sentait bien que la foule allait bientôt se
jeter sur eux et quelles que soient les victimes, cela est toujours tragique.
Tragédie également
de l’accélération de l’immigration, phénomène confirmé par les statistiques
alors qu’on en a déjà largement l’impression à la simple vue d’œil. Sentiment
d’autant plus désagréable et honteux qu’on voit les émigrants travailler pendant
que les clochards blancs sont de plus en plus nombreux. On perçoit maintenant
le remplacement d’une population pour par une autre et cela a quelque chose de
terrifiant ! D’un côté, le refus des Hexagonaux sclérosés de prendre en
compte la réalité et de changer quoi que ce soit, et cette nouvelle donne qui
s’impose et dont il faut bien reconnaître qu’elle est une invasion quoi qu’on
en dise pour se rassurer. Faute de pouvoir faire suffisamment baisser les
salaires, les patrons importent ce qu’on appelait autrefois le bois
d’ébène dynamique et en pleine forme
et nous liquident nous. L’amélioration des techniques de transport donne une
dimension instantanée à ce phénomène et le rend insupportable.
Sur le front de la
Guerre, tout continue un cran au-dessus !... L’étonnement du silence des
Intellectuels sans doute globalement censurés car ce n’est pas possible
autrement.
Depuis lundi tous
les jours, dans toutes les villes, des manifestations lycéennes, même dans des
petites villes comme Charleville… Des violences croissantes et des pillages.
Dans la presse, la réalité commence à se dire concernant la prolétarisation
extrême des Professeurs et ce qu’on appelle leur malaise identitaire. Mais
cela ne va pas jusqu’à dénoncer le non fonctionnement des classes et le trucage
des examens, ce qui me paraît indispensable à tout changement.
Le vocabulaire
biologique fait fureur : la
chirurgie réparatrice du Front de Seine ou bien plus un seul problème
social qui ne soit un malaise… L’adjectif sensible est également à la mode dans
un sens que je ne comprends pas toujours mais qui voudrait sans doute seulement
dire que c’est important et qu’on ne le maîtrise pas. Bref que quelque chose
là, se passe. Vont bon train également, les métaphores destinées à édulcorer le
langage : les satellites qui rentrent dans l’atmosphère sont en fin de vie. Le mot mort a lui-même d’autant plus tendance à
disparaître, qu’elle est partout. On baigne dedans sans pouvoir la nommer et on
en est d’autant plus pénétré.
Les Collègues du
Lycée sont englués dans leurs problèmes matériels. Difficultés de logement et
de scolarisation de leurs enfants qu’ils ne sont pas sûrs de pouvoir préserver
du marasme scolaire. Cela devient l’un des thèmes de conversation de la Salle
des Professeurs. Ce Vendredi Neuf, on commence enfin à entendre parler du
Mouvement Lycéen. Les opportunistes tournent leurs vestes mais ne savent pas
dans quel sens encore l’enfiler. Toujours est-il qu’il me salue, au cas où… Les
mêmes qui me font la guerre depuis dix ans, et cela me dégoûte. Je m’oriente
vers une abstention croissante…
Le fils de
l’Eurasien Clément Rouhet est rentré des Etats-Unis car on lui retirait sa
double nationalité s’il ne rentrait pas. Tout cela aux dires de son père parce
qu’il a fait la Préparation Militaire Supérieure et qu’il est en formation à
Brest pour l’aviation high-tech. Avec lui, sur une soixantaine de Collègues,
cela nous fait quatre familles concernées par la Guerre du Golfe. C’est
beaucoup d’autant plus que les médias font comme si personne ne l’était au
profit d’une déréalisation totale, en se limitant aux images.
Dans les Classes,
c’est toujours l’invivable déjà mille fois analysé. J’ai pourtant pour la première
fois depuis Mai 68 réussi à raconter le phénomène des affiches artistiques et
politiques et à faire circuler le petit fascicule de l’Atelier Populaire qui en
montre les reproductions. Certains se sont moqués de moi sur le thème des baba-cool entraînant mon explosion comme
à chaque fois qu’on traite par la dérision ce thème là ou celui de la Shoah, ce
que je ne supporte absolument pas.
Il n’y a plus ni Individu ni Société. Rien que de la matière vivante en proie à l’atomisation et
à la confusion. Faute d’espace social pour se projeter et de structures pour
mettre en forme les relations, elles sont devenues impossibles. Les vivants
humains sont engagés dans une lutte à mort de dévoration des uns par les
autres. Le Droit, la Morale, la Culture, toutes ces institutions qui
habituellement la limite, ne sont plus les garde-fous de chacun en proie à sa
faiblesse ou à sa force physiologique et à rien d’autre.
Panique croissante
ce Dimanche de repos au fur et à mesure que l’heure avance vers la convergence
de toutes les Manifestations demain. Pas seulement les Lycéens mais aussi les
Professeurs, les Parents… et des Policiers à la retraite qui ont proposé leur
soutien pour l’encadrement, la médiation et la contention des débordements.
C’est le régime toute entier qui va vaciller on le sait, on s’y résigne et une
part le souhaite bien qu’on soit terrifié de ce qu’il y a derrière. Mais la
France jacobine est morte et le vent d’Est qui a décomposé l’URSS et ses
satellites depuis quinze mois atteint maintenant le bout du continent,
nous ! Seule consolation pour le moment personne ne fait le fier et tous
baissent un peu la tête. Le régime renversé, je crains qu’il n’y ait plus
personne entre Les Fascistes et les Arabes.
Comme on le
craignait - et même en pire - la Manifestation n’a non pas dégénéré mais a -
dès le début - été pillage et mise à sac dans le style descente des Favelas sur le Centre Ville. Pillage
notamment du Centre Commercial Montparnasse. Des scènes terrifiantes ont été filmées par la
Télévision. Des cameramen et des preneurs de son ont été passés à tabac par les
habitants des Cités, à coups de matraques en bois.
Les vêtements du
Magasin C&A ont été volés. Mais ce qui serre le cœur, c’est qu’il s’agit de
vêtements ordinaires. C'est-à-dire que ce n’est même pas un pillage irrationnel
de luxe comme une envie d’en être et une amertume de n’en être point
mais plus tragiquement un pillage élémentaire, de nécessité, on dirait presque
alimentaire si les aliments ne provenaient pas eux d’un supermarché de
banlieue, pillé de son côté dans d’autres circonstances.
Ensuite de quoi les
cintres ont été jetés sur les CRS et on peut réfléchir à la différence qui
existe entre Les Evénements de Mai 68 et ce Mouvement là. On en a trouvé
jonchant le sol jusqu’au métro Duroc. Cela évoque des lieux à l’abandon,
quittés par leurs habitants ou du moins privés de leur âme.
Devant la tournure
des Evènements, le Préfet de Police a empêché le franchissement de la Seine,
entraînant du même coup le saccage du Carrefour de l’Alma, l’incendie d’une
gare du RER, des abribus et des panneaux Decaux. Un millier de casseurs aux
dires des informations en provenance du cortège. Une fille en hijab ainsi
qu’une autre disant qu’ils vont demander l’encadrement de La Croix Rouge et de Médecins du Monde. Vue une banderole avec la mention
Maman Coucou !
Le plus étonnant est
encore l’effort des Médias pour nier cette réalité émergeante. On explique qu’il
y a des Lycéens bien gentils et disciplinés et des Casseurs qui ont gâché la
fête par bêtise… L’Economie, Le Politique, le Juridique, le Civique étant
une fois de plus évacués au profit d’un familialisme que mon ancienne
partenaire de théâtre qualifie de putride, alors que la réalité de ce que sont
nos élèves éclate de toute part au point qu’on pourrait parler pour cette
manifestation d’une EPIPHANIE NOIRE.
Quant à François
Mitterrand - Président de la République - il a reçu une délégation pour leur dire
qu’il était parfaitement d’accord avec eux, que leurs revendications étaient
justifiées et qu’il demanderait au Gouvernement de régler le problème. Il y a
là quelque chose de l’ordre de l’obscénité et du crime.
Chez les Collègues,
la discussion publique a enfin commencé, hier pour se poursuivre aujourd’hui
enfin publiquement dans la Salle des Professeurs. Hélas, ils récitent le
catéchisme selon les rites que j’ai souvent observés, à savoir chacun défendant
l’un des points de vue répertoriés selon les catégories en vigueur. L’ensemble
du combat logomachique donnant alors une représentation d’ensemble de la Société Française. Dans cette perspective, nous écoutâmes les HOMMES se
livrer à ces joutes et il me paru évident que c’était pour séduire les femelles,
ce qui irait sans doute – selon ma théorie sur ce sujet - avec cette constante
de la FEMME CACHEE fondamentale dans l’ordonnancement politique.
Aussi dis-je dans
cette perspective au Professeur de Philosophie qu’il avait la plus belle voix.
Ce qui d’abord était vrai mais particulièrement prenant dans ses inflexions
sexuelles comme je n’en avais jamais entendues aussi animales. Et dans ces
joutes logomachiques qui évoquaient le meilleur de la société française révolue
avec ces /ses hommes en gloire, il y avait quelque chose de magnifique.
Après des années de phrases absurdes, obscènes ou insignifiantes, cette reprise
d’un rite traditionnel enfin perçu comme tel, comme genre folklorique,
était somptueux. C’était une culture qui se souvenait d’elle-même...
Le côté fascisant de
certains Professeurs et Parents d’Elèves se précise dans l’emprise qu’ils
essaient d’avoir sur les Collègues qui enseignent à leurs enfants. Cette fois
c’est N.V. contestant au Professeur de Français de son rejeton, le droit
d’enseigner Les Lettres de mon moulin et de donner des exercices de
vocabulaire… Hélas le Professeur de Français de notre Lycée entra dans son jeu,
défendit l’autre Collègue mais ne refusa pas la démarche. De fait, les
Professeurs eux-mêmes acceptent de plus en plus de se soumettre au verdict des
Parents, selon une logique de précepteur ou d’école privée, totalement
déplacée.
Personne n’a parlé
du caractère ethnique des pillards qui ont accompagné la manifestation, mais
tous ne pensent qu’à cela. Le Lycée s’est d’ailleurs brutalement noirci cette
année comme d’un phénomène d’abandon d’une tour lorsque le pourcentage de Noirs
passe un certain seuil… On en parle en particulier mais non en public. Comme
par ailleurs je censure efficacement le racisme, cela ne facilite pas les
choses.
La démission de
Jospin devant le Mouvement Lycéen et l’attitude démagogique irresponsable des
Pouvoirs Publics achève de nous poignarder dans le dos. La négociation directe
du Gouvernement et des Lycéens concernant la vie scolaire par-dessus la tête de
toute la hiérarchie a quelque chose d’obscène et d’autant plus que la vérité
sur les non fonctionnements réels n’est encore nulle part dite. On se sent
bafoué par la nomination d’un Monsieur Plan d’Urgence et des correspondants
Monsieur Lycée.
Hier soir, attentat
dans une église tsigane et descente des parachutistes dans un ghetto de
Carcassonne… Comme si la réalité ne cessait de s’obscurcir toujours masquée par
un écran de plus en plus épais.
Déception du film
d’Agnès Holland Europa Europa.
Réhabilitation de l’Allemagne nazie assez difficilement supportable d’autant
que l’œuvre comporte quelques séquences dures sur le ghetto, plus destinées au
voyeurisme me semble-t-il qu’à un propos historique ou militant. C’est
accablant !
Les Coordinations ont décidé de poursuivre
le Mouvement en répondant assez vulgairement à Lionel Jospin que les quatre
virgule cinq milliards, c’était insuffisant et que c’était de l’argent de
poche ! On est pétrifié de tant de vulgarité et c’est bien la confirmation
du racket ambiant. Quand on voit le mal qu’on a à gagner son salaire !
Dans le même temps, mise à sac du Centre Commercial de la ZUP d’Argenteuil. On
a l’impression de s’installer dans une structure permanente de pillage….
Au Lycée depuis une
semaine, des conversations se tiennent. Quelques démagogues commencent à douter
et à se poser quelques questions. Quant à une réunion sur les classes de
Première, elle tourne à la question Comment
se fait-il qu’on ait ces élèves-là ? - sous-entendu les Arabes et les
Noirs - avec demande aux Autorités qu’il en soit autrement. C’est finalement
toujours la même tentative d’obtenir que la fiction devienne la réalité.
Un ami âgé me fait
remarquer que les Lycéens parlent comme si le Lycée n’était pas un lieu de
passage mais un endroit où ils allaient rester ad vitam aeternam, selon sa propre expression. Je lui fais
remarquer qu’il emploie lui-même l’expression latine et qu’on est bien dans ce
que j’analyse dans La Newcité.
Nuit agitée en proie
à l’angoisse de la situation politique et sociale. La plus mauvaise nuit depuis
la Chimiothérapie. Des images de tête de mort.
Frémissement
révolutionnaire au Lycée où Vendredi j’ai chanté La Jeune Garde dans l’escalier central avec le Professeur de
Philosophie B après que JPH m’eut intimé l’ordre de me taire. Le tout pour le
principe et le plaisir esthétique plutôt que pour la conviction !... Pour
tenter au moins de renouer le fil de l’Histoire… Le même jour Crocq, Professeur
de Français résume son opinion sur le Mouvement Lycéen par le slogan Ce n’est pas en changeant la boîte qu’on
change les dragées. La formule me plait et fleure aussi la folle mémoire
des Septantes. D’autant qu’il en rajoute le même jour, concernant une réunion
demandée à l’Administration par les Professeurs de Première : Ils confondent le bout de la lorgnette avec
le fond de la galaxie !... Ce qui me paraît exactement résumer
l’attitude de certains de nos Collègues. Il évoque enfin la tauromachie pédagogique - expression
saisissante - pour rendre compte de nos rapports avec les Elèves. Tout cela me
réjouit et me donne envie de faire un recueil de toutes ces maximes...
Le soir une ligne de
métro est fermée. Les bus sont bondés des usagers habituels du métro. Quasi
bagarre ethnique. Ce n’est plus un malaise ni un effondrement mais une
situation intégralement inédite qui commence, une guerre civile planétaire pour
une nouvelle répartition. Un cauchemar qu’on ne sait plus par quel bout prendre
car quels que soient les efforts, on est poussé à rejeter les Elèves…
Comme suite au
pillage du Supermarché Leclerc d’Argenteuil, la firme décide d’en fermer une
quinzaine dans des endroits menacés et pose la question de la non intervention
de la Police ainsi que de la Politique de la ville, proposant qu’on se passe -
sur ce plan - des politiciens, en organisant un débat au Parlement.
Dans le même temps
et dans le même ordre d’idée, protestations assez vives contre le quartier de
l’avenue Kléber bouclé par la CSCE et les autoroutes sporadiquement fermées
pour laisser passer les cortèges officiels. Ce comportement d’appropriation de
l’espace urbain m’avait scandalisée à propos des Fêtes du Bicentenaire de La
Révolution mais cela s’est encore aggravé depuis !... Confronté à
l’entassement, la crasse et la désorganisation croissante des transports
publics, cela devient insupportable…
Est-ce cela qui a
mis le feu aux poudres ? Toujours est-il que depuis hier soir, la
Télévision persifle comme jamais et a changé de ton, détractant cette classe de
privilégiés incapables et gangrenés… Utilisant pour les ridiculiser, des
procédés spécifiquement d’Art Télévisuel comme des montages pervers, des scènes
qui ne présentent pas dans la dignité requise quand ce n’est pas une
accélération particulière des images, comme par exemple, Mitterrand frappant le
marteau de la fin de la CSCE sur la Cinq, donnant ainsi l’impression d’une
embardée de l’Histoire et d’autres choses du même genre qui donne à penser que
ce pourrait bien être la Télévision elle-même qui renverse le régime sans qu’on
ait besoin de se déranger….
Vendredi au Lycée
après-midi révolutionnaire avec quelques Collègues. Comme nous parlions de ce
qui s’était passé le matin - à savoir dans l’escalier, le cours sauvage donné à
la demande de trois de mes anciens élèves - Crocq a sorti son caméscope et m’a
filmée le plus naturellement du monde en continuant à me parler tout
simplement. Ainsi me suis-je trouvée engagée sans m’en rendre compte dans une
entrevue sur la situation de l’Enseignement sans avoir réfléchi précédemment à
ce que j’aurais voulu dire et encore moins quel usage il aurait de cette bande
vidéo.
Pendant le tournage
je pensais que je pourrais être accusée de manquer au devoir de réserve et sans
cesser d’avoir peur je me suis efforcée de limiter les dégâts sans pour autant
avoir un seul moment le désir d’interrompre ce que nous faisions. L’une des
Collègues Mme Seffih fut émerveillée disant qu’elle n’avait jamais entendu les
gens parler de cette façon sauf dans Le Petit Prince ! Quelle
meilleure consécration rêvée pour deux Collègues Ecrivains subvertissant malgré
eux l’Etablissement !...
A partir de là Crocq
s’est déchaîné, je lui ai emboîté le pas et nous avons passé un après-midi
soixante-huitard autour des bulletins de notes et des copies. Il dit alors
cette phrase magique Ce qu’il faudrait
faire, c’est des datzipaos. En quinze ans, je n’avais plus jamais entendu
ce mot. Et nous d’expliquer aux autres et le mot et la chose. Et dans la foulée
de leur parler de 68 qui fut six semaines de Parousie. Grand bonheur cet
après-midi là, disons même que je n’ai jamais vécu un pareil bonheur dans la
Salle des Professeurs du Lycée. Est-ce le prodrome de la Révolution qui vient.
Cette longue ténacité depuis 1968 va-t-elle être récompensée ? Vendredi
soir dans l’euphorie affective new look, je le croyais !
Intensification du
pétainisme larvé des Collègues qui poussent à la confusion entre l’Ecole et la
Famille. Ils ont même obtenu des réunions de Parents des Elèves de Première, là
où elles n’existaient pas, avec même un Professeur relais, appointé, nouvelle
source de prébendes en perspective… Quand on aura sur le dos les parents
islamistes on sera bien avancé !...
Des Elections en
Pologne qui ne me disent rien qui vaille et laissent penser qu’il y germe des
choses inquiétantes. Je le pense depuis que j’ai entendu Claude Lanzmann en
Janvier et vu son film au printemps. J’ai acquis la conviction que la SHOAH
n’est pas terminée et que son film parle en fait du futur. Avec Crocq et une
autre Collègue L nous évoquons cette menace de notre liquidation et de tout ce
que j’ai déjà analysé dans La Newcité.
Les gens sont biomassifiés sur place, baissent la tête et adoptent le
comportement du parfait détenu pendant qu’émerge manifestement une race de
seigneurs qui se considère d’une autre espèce et cela partout.
J’ai appris qu’au Lycée
Jean Moulin de Torcy, le cuisinier gagne Cinq Mille Francs par mois, couche
dans une caravane sur le parking et qu’il en est de même d’une surveillante.
Dans le même temps l’appartement de fonction du Proviseur, nomenclaturiste est vide.
Au Lycée,
convocation à la réunion de Parents des Elèves de Première, innovation due à
certains Collègues et relayée par le Proviseur. Je rédige un datzipao que mon
amie contresigne pour expliquer pourquoi nous n’irons pas.
En voici le
texte :
Papa, Maman, le Prof
et moi
Les enseignants républicains n’iront pas aux réunions des parents d’élèves de
Première demandées par leurs Collègues. Ils rencontrent les mêmes difficultés
qu’eux dans les classes mais ne pensent pas que cette innovation administrative
soit de nature à y porter remède.
Ce type de réunion
peut se comprendre dans les classes de Seconde pour permettre une transition
entre le Collège et le Lycée et se tenir sous la responsabilité du Professeur
Principal appointé, dont les attributions sont clairement définies mais il n’en
est pas de même pour les classes de Première où le Lycée n’est plus une
nouveauté - même s’il s’agit d’un autre établissement - comme c’est le cas,
chez nous.
PROFESSIONNELLEMENT
Nous constatons la
permanente dégradation de nos conditions de travail. Chaque mois qui passe
exige davantage de nous, sans que ce surcroît d’activité trouve sa compensation
dans des satisfactions quelles qu’elles soient. Nous ne voyons donc pas la
nécessité d’alourdir encore une charge de travail à la limite du supportable.
Nous ne sommes pas
les adversaires du Service Public, tout au contraire ! Encore faudrait-il
que nous ne soyons pas les seuls à y croire et que cela ne se traduise pas par
le mépris ouvert de la société qui mesure la réussite à la capacité
d’enrichissement rapide doublée de la faculté de se tenir au-dessus des lois.
JURIDIQUEMENT
Ces nouvelles
réunions n’ont aucun fondement. La représentation des parents d’élèves dans la
communauté scolaire est déjà assurée dans les Conseils de Classe et au Conseil
d’Administration.
INSTITUTIONNELLEMENT
Cette initiative
provient d’employés de l’Education Nationale qui en pleine confusion ont perdu
le sens de la déontologie et de la fonction enseignante pour tenter de
s’arroger - hors statut - des pouvoirs sans base institutionnelle, témoignant
d’un certain goût pour la mise au pas…
PEDAGOGIQUEMENT
Il n’a échappé à
personne que nos élèves de Première sont de plus en plus âgés et pour certains
déjà majeurs. Nombreux sont ceux qui exercent des emplois partiels pour
s’assurer une indépendance financière.
Ils sont par
ailleurs au sein de l’Ecole de mieux en mieux reconnus comme des membres à part
entière. Un Conseil des Délégués est prévu pour en assurer la représentation.
Des garanties de liberté d’expression et d’association viennent de leur être
confirmées.
Face à cette
évolution qui leur donne les moyens d’affirmer leur responsabilité personnelle,
n’est-ce pas une régression infantilisante de tenter de les ramener dans le
giron familial à un statut d’enfant surveillé par ses parents ?
SOCIALEMENT
Ce n’est pas un
surcroît d’autoritarisme tous azimuts qui permettra de
régler la crise de l’Education Nationale, elle-même inséparable des bouleversements
techniques, économiques et mondiaux en cours…
On peut pétitionner
autant qu’on le veut contre la pluie et fermer les volets pour ne pas voir le
temps qu’il fait. Mais les pères fouettards et les loups garous de
l’autoritarisme familial n’apporteront pas la solution de nos problèmes. Il
faut se décider à sortir le squelette du placard et mettre à plat les problèmes
de fond.
Dans une société
organisée, il n’y a pas de mobilité sans valeur effective de diplômes
garantissant l’acquisition d’un véritable savoir. Ce n’est plus le cas
aujourd’hui puisqu’ils s’obtiennent à l’ancienneté grâce à un trucage
croissant, destiné à retarder la faillite de l’Institution.
Les classes
populaires sont leurrées sur une prétendue démocratisation qui n’a été qu’une
massification contournée par l’instauration d’un dualisme scolaire, reflet du
dualisme social qui s’est installé dans la société française des Octantes. Pour
les classes défavorisées, la scolarisation n’est plus qu’un grand mime.
LAIQUEMENT
L’Ecole Publique est
le lieu où il est possible pour le futur citoyen de faire l’apprentissage
républicain de la vie en société, en échappant à l’emprise de la famille qui
n’a jamais été, sauf exception, un facteur d’émancipation.
Quand, s’alimentant
du désarroi des populations bouleversées par l’ampleur et la soudaineté des
mutations en cours, les fanatismes religieux monothéistes sont en pleine
recrudescence, est-il raisonnable de favoriser la pénétration des familles dans
une institution qui jusque-là s’en préservait ?
REALISTEMENT
Si dans les classes
aisées, l’encadrement et le soutien familial sont les principaux facteurs de la
réussite scolaire par la transmission héréditaire (et non génétique) des acquis
culturels, des méthodes et des valeurs, il n’en est pas de même pour les élèves
de notre établissement.
Nous ne sommes pas
l’une des poulinières du Centre ville où les classes dirigeantes assurent leur
reproduction. La seule promotion possible pour les élèves issus des classes
défavorisées est au contraire une scolarisation qui les affranchisse de leur
famille.
Cela est
particulièrement vrai pour les jeunes filles issues de l’immigration qui sont
dans l’ensemble d’excellentes élèves et qui ont besoin de s’appuyer sur
l’institution scolaire pour échapper à la discrimination que leur milieu fait
peser sur les femmes…
MORALEMENT
Nous en avons assez
que le mensonge et l’incurie soient la réponse unidimensionnelle à un naufrage
chaque jour plus évident pour masquer par une prolifération des formes, la
vacuité du fond et l’impossibilité de la société française à faire face aux
bouleversements qui la travaillent.
La réunionite ne
peut tenir lieu de pensée. La communication est désormais le maître mot. Mais
elle cache le néant. Pire encore elle est le Cheval de Troie d’un totalitarisme.
Elle abolit et l’espace privé et l’espace public, n’en faisant profiter pour
autant ni le privé comme dans le libéralisme, ni non plus le public comme ce
serait le cas dans un authentique socialisme. Cette homogénéisation polaire
n’est pas sans évoquer la fabrication des clones s’agglomérant en tas
informels…
BIOLOGIQUEMENT
Nous ne voyons pas
l’utilité de ce familialisme confusionnaire qui cherche à prolonger
l’adolescence de la nouvelle génération, en la maintenant sous la coupe des
adultes, alors qu’elle a déjà bien du mal à s’établir.
Nous sommes
affligées de l’apparition d’une nouvelle classe d’âge sans statut ni fonction
qui bloque le renouvellement des générations. La négation des réalités
physiologiques et temporelles nous inquiète. Elle évoque la négation de
l’Histoire.
Le poids de son
entretien surcharge les taches des mères de familles contraintes de lui servir
de bonnes à tout faire et de materner une génération de jeunes adultes sur
lesquels elles n’ont plus aucune prise. Ce sont les femmes qui par un
épuisement croissant paient le tribut de la nouvelle organisation sociale.
POLITIQUEMENT
The last but not the least : nous ne saurions accepter cette dérive
civique où l’idée révolutionnaire de démocratie comme avènement de la citoyenneté
et de l’être-au-monde politique, se transforme en une démagogie de l’audimat.
Une majorité d’incultes prétendrait elle faire la loi et réduire au silence la
minorité instruite ?
Les Enseignants
Républicains ne confondent pas la République et une démocratie qui ne sert plus
qu’à fournir des formes et des cautions au pétainisme rampant.
Hier, journée
d’action de la Justice. Scènes traumatisantes répercutées sur la Cinq. Une
émeute de Magistrats et d’Avocats pour forcer un barrage de Gendarmes leur
interdisant l’accès au Palais de Justice dans un mélange de cris : Tirez pas ! Tirez-vous ! Liberté !
incompréhensibles, de Chants comme La
Marseillaise et de salut plus ou
moins fasciste, on peut s’interroger devant ces bras plus ou moins simplement
levés, ou tendus, quelques uns arborant un V. Scènes bouleversantes des Juges
et des Avocats prenant à témoin des Gendarmes eux-mêmes manifestement
bouleversés de la situation. Il s’agissait en effet du Bicentenaire de la Cour
de Cassation solennellement fêtée par Mitterrand et le gratin des Juges
d’Icelle. Les Juges et les Avocats au bord de l’apoplexie hurlaient La Justice n’est plus rendue ! C’est
mon devoir de le dire ! Une impression de traumatisme, d’une anomalie
absolue que percevraient ensemble et les Gendarmes et les Juges.
Après-midi
accablante aux Halles. Où tout est signe de ma mort annoncée. Une mode obscène
et sans beauté. Des broches représentant des poitrines de femmes. De la
boustifaille et du luxe pour ceux qui peuvent payer et rien pour les autres. La
cohabitation paraît de plus en plus explosive. Le Bicentenaire de la Cour de
Cassation apparaît comme le paradigme de tout le reste. En tous lieux, on est
chassé de chez nous ! De là où on est né et où ses parents sont nés !
Des lieux qu’on fréquentait encore il y a cinq ans et dont on comprend que si
rien ne change, d’ici un an ou deux, on ne pourra plus y mettre les pieds. Il
me semble qu’il va y avoir une Révolution parce que les gens ne vont pas
supporter comme cela d’être expulsés - étant donné qu’à la différence des
Indiens d’Amérique, ceux qui nous expulsent, furent autrefois des nôtres.
Manifestation contre
le Sida. Une petite cohorte brandissant des drapeaux noirs avec des triangles
roses et criant : Nous ne voulons pas mourir ! Plutôt émouvant par ce cri qui
change un peu du Viva la muerte
ambiant. Un autre cri assez curieux qui m’évoque quelque chose Etat meurtrier ! Des gens autour de
la trentaine, plutôt classe moyenne, habillés de façon passe partout,
c'est-à-dire plutôt dans les dominantes noires, sans excès.
A un autre endroit
des Halles, la journée Femmes et Sida
qui distribue des tracts aux femmes pour les sensibiliser en tant que telles.
Mais comme le tract ne disait pas l’essentiel à savoir 1/ Que les hommes ne
voulaient pas mettre les préservatifs 2/ Que cela ne facilitait pas l’érection
et enfin 3/ Qu’ils préféraient encore ne pas les mettre du tout plutôt que
d’avouer leurs pratiques de la pluralité. J’entame alors sur ce thème la
discussion avec la femme qui distribuait les tracts mais elle me mouche alors
sèchement en invoquant les directives du Ministère de la Santé,
trouvant parfaitement déplacé que je puisse même avoir un avis sur la question.
Il ne s’agit dans son esprit que de diffuser des consignes à sens unique et
voilà qu’elle me parle des personnes
relais. C’est la deuxième fois dans la semaine que j’entends ce curieux
concept qui peut se comprendre comme relais
de propagande.
J’ai eu une fois de
plus l’impression d’être… Le concept adéquat manque, bien que je le rencontre
maintenant de plus en plus souvent. Ce n’est ni la notion de formatage développée dans La Pensée
Corps ni celle de communicateur
développée dans mes premiers articles de géonomie
mais quelque chose qui s’apparente peut être au FUCK américain de ces
temps-ci et qui signifie baiser, enculer,
emmerder et qui pourrait se traduire - si on le pouvait - par une synthèse de
violer, forer, adjoindre, exploiter et
coloniser. En tous cas, je ne parviens pas encore à nommer ce concept là
qui me parait pourtant essentiel dans ce qui se produit en ce moment. Je rentre
à la maison assez accablée.
Dimanche soir
lamentable interview de Saddam Hussein par Christine Ockrent et Ivan Levaï
confits de respect devant un dictateur bon enfant, spiritualiste et humaniste…
J’affiche le
datzibao que j’ai préparé pendant ce week-end. Je suis stupéfaite de l’attitude
des Collègues qui ne le lisent pas soit pour nier une réalité qu’ils refusent
de toute façon de prendre en compte ou peut être plus simplement et
tragiquement parce que c’est trop long, trop compliqué et que cela les dépasse.
Une ambiance de plomb.
Ambiance
inqualifiable. Madame RV, la Surveillante Générale de l’Etablissement,
quasiment sa Gouvernante depuis bien longtemps – elle était déjà là lorsque j’y
suis arrivée en 1975 - se trouvant presque mal en attaquant l’escalier central
à sept heures quarante-cinq, disant qu’elle ne pouvait pas monter. Je l’y aide
physiologiquement, lui disant On ne sait
plus si ce qu’il faut faire c’est arrêter ou continuer ! N’est-ce
pas ? Et elle de me répondre Oui
c’est tout à fait ça !
A la demande
générale, en Première année de BTS Comptable, le cours est remplacé par une
discussion. Mais le thème en étant Comment
tourner l’interdiction des Parents qui empêchent de sortir,
j’ai découvert les élèves moins avancés que je le pensais. J’estime avoir perdu
mon temps mais on ne sait jamais la portée réelle des échanges qu’on a avec les
eux.
Par ailleurs
conversation avec Crocq obsédé de laïcité et de pangermanisme. Nous sommes bien
d’accord sur le sort qui nous attend. Nous en rigolons par pudeur, par
tempérament et par distanciation vis-à-vis de nos Collègues en pleine déroute
mais aussi par sens de l’esthétique et… selon sa belle expression une touffe de nihilisme qu’il admet dans
sa satisfaction morbide qu’on aurait à voir emportés avec nous, ceux qui nous
ont trahis. Il commence à s’apercevoir me dit-il, que l’appareil du Parti
Socialiste lâche le Gouvernement.
A la Cantine, au
déjeuner B, le Professeur de Philosophie et l’Assistante Sociale me prennent à
parti sur le thème que je n’avais pas à faire ce texte. L’un exigeant que je
fournisse des solutions aux problèmes qu’il a dans les salles, sans préciser
lesquels, quant à l’Assistante Sociale, c’est le thème du caractère non
obligatoire de la réunion qui l’amène à me dire que je n’avais donc pas à y
répondre. Je la mouche au nom de la liberté d’expression. Quant à AMM elle me
reproche mon texte honteux et infâmant et
embraie sur les poncifs habituels du on
ne peut pas communiquer avec toi, discours que je connais plus que par
cœur. Elle reprend également l’idée que la réunion n’est pas obligatoire, ce
qui est faux puisque le Proviseur me demande d’y être.
C’est qu’il s’agit
pour eux en fait d’une démocratie de consommation, chacun étant libre ou non de
consommer du produit proposé, sans qu’on ait à aucun moment à mettre en cause
le fonctionnement. Cela confirme la disparition du politique et d’une façon
soft l’apparition de comportements authentiquement totalitaires. Tentative
d’échange avec B le Professeur de Philosophie sur l’expansionnisme médical et génétique
mais sans succès car il ne s’agit pas pour lui de fécondation intellectuelle
réciproque mais d’un combat destiné à épater la galerie en écrasant
l’adversaire. Je suis donc obligée de laisser tomber. Je finis par me demander
si je n’ai pas été manipulée concernant la rédaction du datzipao lui-même, dans
le style habituel de la double version du héros
bouc émissaire. J’appréhende même d’être licenciée, me disant qu’en fin
de compte il s’agissait là de ma toute dernière action.
Le soir, même on
apprend la mise en application d’une nouvelle circulaire sur les sanctions
renforcées. Je la montre aux Elèves qui la trouvent pénitentiaire et dénoncent l’hypocrisie consistant à faire semblant
de les traiter en adultes. Ils précisent même Si on est viré à la fin de l’année, ce sera nous et pas nos Parents…Je
suis bouleversée de la démagogie de Jospin et Mitterrand, démagogie tournant en
répression démesurée pour contraindre les Elèves à supporter l’insupportable
ainsi que du déni d’éducation qui me semble s’aggraver. On
cherche vainement ce qu’on peut faire pour améliorer la situation, à part
acquérir un calme olympien et un surcroît d’humour…
Un Elève me révèle
qu’il n’y a même pas besoin d’être immigré clandestin puisque les commissariats
vendent eux-mêmes la série complète des faux papiers pour deux à trois mille
Francs. Je ne dis rien pour encourager la suite des confidences mais à
l’intérieur de moi, je tombe en syncope. Je sais depuis longtemps que les
Elèves ont raison dans leur connaissance des réalités populaires qui dans un
premier temps m’échappent, avant que j’y sois moi-même par la suite,
confrontée.
L’idée me vient que
le familialisme ambiant est aussi peut être dû à la tentative du Gouvernement
de se défausser de la gestion des Jeunes sur les Familles sur le thème : Débrouillez-vous avec vos gosses !
Impossibilité de se
projeter dans l’avenir car il n’y a ni perspectives ni même espoir. On est
selon ma propre terminologie employée dans La Pensée Corps fusionné
comme des être-lieux, autour du
concept de Là.
Si autrefois
l’inégalité était supportable, c’est parce qu’il y avait le progrès économique
et social et l’espérance d’un changement par le Socialisme. Par ailleurs le
sentiment de communauté nationale permettait de s’identifier à la classe riche.
Mais ces deux choses ayant radicalement disparues, c’est intenable et d’autant
plus que le niveau de vie recule, l’inégalité s’accroît et que la pression du
Tiers Monde commence à enfoncer le barrage contre un projet culturellement inacceptable
(fanatisme islamique et voile des femmes) et l’arrivée des réfugiés de l’Est,
en plein marasme. On se sentirait mal à moins ! On se contente de répondre
au coup par coup. Je tente de reprendre l’offensive comme je l’avais fait du
temps de La ligne bleue (association
caritative d’aide aux malades du cancer en 1984) et de la rédaction du livre collectif Le Cercan.
Obsession de la
compréhension du fait que si les Juifs n’ont pas pu se défendre mieux contre le
processus de la Déportation, c’est parce qu’ils étaient déjà laminés, rompus et
cassés par la période précédente de répression et de l’enfermement dans les
ghettos. Je comprends cela par rapport à ce que nous vivons nous-mêmes.
L’épuisement des luttes que nous avons menées pour résister à la prolétarisation
et surtout depuis Pâques où il était techniquement et professionnellement
possible d’aller à la villégiature et que nous n’en avons trouvé ni la force ni
l’énergie parce que nous étions exténués. C’est là que j’ai commencé à lire le Contre
tout espoir de Madame Mandelstam et y découvert effarée que l’ambiance
qu’elle y décrivait était également celle d’aujourd’hui. J’en ai informé à la
ronde mais de même que lors de la chimiothérapie, du retour du Chili ou des
menaces de la bionomie, je n’ai pas été
comprise.
Et pourtant ce que
nous subissons, cette sorte de liquidation qui n’est plus seulement une
métaphore mais une réalité - eu égard à la dégradation physique et
existentielle objective que nous subissons - reconnue à la ronde par l’ensemble
des gens de notre milieu. Ainsi je me demande ce qui va nous arriver et auquel
nous ne pourrons pas réagir parce que nous aurons été vidés de toute force par
le combat précédent qui me semble se terminer ces temps-ci, tellement nous
somme VAINCUS mais non pas résignés.
En classe de BTS,
concernant les sanctions infligées aux Golden
Boys, je suis étonnée de la réaction
des Elèves. Ils revendiquent l’impunité dans une espèce d’amoralisme cynique
stupéfiant comme je ne l’ai jamais entendue demandée par aucun adulte. Une
rapacité cauchemardesque qui me laisse pantoise et scandalisée.
Au Lycée, mon
écriteau Camarades, menuisez, attaquez au
rabot la langue de bois a été arraché de même que dans la salle dans
laquelle je suis habituellement, le tract pour l’usage des préservatifs à
l’initiative des femmes. Je ne proteste même plus. Cette pratique nouvelle -
inimaginable autrefois - est désormais semble t-il entrée dans les mœurs et
moi-même il m’arrive d’arracher certains affichages, ce que je ne faisais
jamais autrefois.
Comme je disais pour
la nième fois que ce qui était en train de nous arriver, c’était la perte du
territoire, mon voisin l’a admis, ce qui m’a procuré un immense soulagement
depuis plusieurs semaines voire même mois que j’en suis convaincue notamment au
vu de l’offensive croissante des
Arabes du Lycée. Tout notre corpus humaniste est totalement caduc et ne
fonctionnent plus ni la Société ni l’Enseignement ni les relations personnelles
fondées sur ce système mental. Le Droit français, la Nation,
l’Etat, les Institutions tout cela n’a plus aucun sens et comme cela est
survenu très brutalement on en reste désemparé.
La question est
désormais de savoir s’il s’agit d’un modèle historiquement obsolète ou de
l’effacement de ce qui n’a été qu’une propagande. Et dans un cas comme dans
l’autre, comment l’expliquer ? Nous faisons des efforts désespérés pour
nous adapter et reconstruire à partir de l’inattendu qui survient car c’est
cela qui domine… Malheureusement en dehors du voisin, je n’ai personne avec qui
en discuter, aucun interlocuteur et il n’en est pas question dans la presse,
même si elle fait écho au malaise. Ceux dont ce serait le rôle d’en parler sont
silencieux ou censurés et il n’y a pas de débats publics réels ni dans les
revues ni dans les forums. On se sent comme des dissidents au sein d’une société en décomposition.
J’invente la notion
de compactisation pour me concentrer
sur l’essentiel en évacuant tout ce qui ne l’est pas. Une densification et une
tentative pour acquérir de nouvelles qualités permettant de faire face à de
nouvelles réalités.
Splendide Vaclav
Havel accompagnant pour la Guerre, les troupes tchèques en Arabie Saoudite. Le
génie du sacré ! Seul un écrivain pouvait avoir cette idée. Ce sont bien
les serviteurs du signe !
Je recherche
désespérément comment nommer la perduration des structures quand leur utilité
en a disparu et que privées de sens, elles sont réutilisées comme des coquilles
par des Bernard L’Ermitte sociaux qui de façon perverse, les détournent à leur
profit.
L’invention de la Dotation Horaire Globale qui installe un
nouveau mode de gestion des établissements pour mettre globalement en rapport le nombre de postes d’Enseignants avec celui
des Elèves à l’intérieur de chaque école, initiant ainsi une sorte de
responsabilité globale. Le fait est que jusque que là, les Proviseurs
truquaient les comptes pour obtenir davantage de postes de Collègues mais cette
année le nouvel Inspecteur d’Académie ne le tolère plus et notre DHG a ainsi
été réduite de cinquante heures d’un seul coup, ce qui se traduit par la
suppression de trois postes de Professeurs.
Branle-bas de combat
dans une Assemblée Générale spontanée défendant au coup par coup des positions
corporatistes qui font peine à voir… J’essaie bien timidement quelque chose sur
le thème d’une mise à plat globale
et d’opération vérité mais il n’y en a pas moyen et à la limite il y a maintenant
un tel écart entre eux et moi, que je ne vois pas comment être encore avec eux.
Je le regrette avec une sorte de désespoir en le constatant. Comme si on ne
pouvait plus revenir sur les aiguillages qui avaient été pris…
Suite inattendue à
la publication de l’article Souvenez-vous
des Professeurs, publié dans Le Monde
du Vingt Six Novembre, signé entre autres par Régis Debray, Alain
Finkelkraut, Elisabeth Badinter et qui défendait nos propres thèses à mon
ancienne partenaire de théâtre ainsi qu’à moi-même. Cette dernière leur a écrit
pour les approuver chaleureusement et
elle s’est réjouie qu’Elisabeth Badinter la remercie à son tour de son soutien,
le Journal leur ayant fait croire que tout le Courrier des Lecteurs leur était hostile.
Mon ancienne
partenaire est très heureuse de cette affaire mais mon analyse à moi est moins
enthousiaste. En effet si ces Enseignants là qui sont de la classe sociale
au-dessus de la nôtre ont besoin de prendre en compte le point de vue de petits
professeurs inconnus comme nous, lorsqu’on se souvient de ce qu’était leur
morgue dans les Octantes, c’est que la situation est encore pire que ce que
j’imagine et qu’ils sont eux-mêmes plus isolés qu’on le croît, voire même
exclus.
Parmi les idées
folles dont je me demande toujours si elles relèvent du délire paranoïaque ou
d’une vision politique prophétique, l’idée que le pays est en train d’adopter
une nouvelle forme sociale. Sur notre extermination va s’établir une nouvelle
structure comprenant non seulement cette Race
de Seigneurs issue du Parti Socialiste des Octantes et qui a imposé le
dualisme mais qui va être rejointe par les acheteurs du Territoire. Riches
européens faisant l’acquisition de la propriété foncière. Quant au reste de la
population de base, cela sera les réfugiés du Sud et de l’Est. Avec un
apartheid du style de celui de l’Afrique du Sud. Mais le plus étonnant est
encore que lorsque je teste ces idées à la ronde, les gens ne trouvent pas cela
absurde et même le confirme dans des termes modérés. Est-ce parce que
l’Histoire passée leur a appris que dans le long terme mes pires prophéties
étaient encore au-dessous de la réalité?
D’un ami de Rennes
j’apprends que le Comité d’Ethique a refusé de laisser couper les
cordes vocales d’un jeune homme qui avait la désagréable habitude de hurler au
motif que cela ne se faisait pas mais aussi parce que cela n’empêchait pas
vraiment de hurler… Dans le même ordre d’idée à la séance de rééducation de mon
ancienne partenaire de théâtre, on s’est étonné face à son petit doigt invalide
et replié sur le thème Pourquoi ne
l’a-t-on pas coupé ? C'est-à-dire la même logique ! On ne se
trompe pas sur la bionomie totalitaire. Elle est belle et bien
là !
Au Lycée, tentative
d’assainissement sur le thème de la transparence du Qui fait quoi laissant apparaître un certain
nombre de problèmes relatifs aux diverses prébendes et manœuvres en place.
Consécutive à l’annonce du montant de la Dotation
Horaire Globale, la suppression de poste a déclenché chez les uns et chez
les autres, un certain nombre d’interrogations sur la réalité des
fonctionnements, leur légalité et leur légitimité. On entend par exemple
Christian F parler de faire le ménage
dans l’établissement ce qui me semblait jusque-là ma seule préoccupation.
Comme si la menace était désormais si visible que certains tentaient tout de
même de se débarrasser de ce qui nous tue.
J’ai oublié de
raconter comment Vendredi Quatorze, j’ai expulsé manu militari, tout au moins
en bombant la poitrine, deux Elèves qui tourmentaient Chadli. Leur conversation
vindicative enflait de volume et il m’était assez insupportable de voir un
Collègue piétiné par les Elèves ce qui déjà en soi est difficile à supporter
mais pire encore dans la Salle des Professeurs qu’on peut considérer comme
notre Territoire. J’ai d’ailleurs dans cette vigoureuse action été soutenue et
accompagnée par une autre Collègue qui ressentait également cela comme une
agression personnelle. Comme Crocq s’étonnait de notre violence, nous sommes
tombés d’accord sur le fait que cela n’aurait pas été la même chose, si
l’algarade avait eu lieu sur le pallier.
Angoisse le soir à
l’idée des représailles éventuelles qui se sont effectivement manifestées ce
mardi comme j’ai vu un Elève foncer vers moi et que je me suis trouvée dans le
couloir du second étage subitement entourée par ses copains ! J’ai
immédiatement fait face par la posture ad hoc, c'est-à-dire en ne manifestant
pas ma peur mais au contraire la puissance, ce qui a été efficace puisqu’il
s’est reculé et s’est contenté d’une agression verbale qui pouvait passer pour
des compliments : Attention vous
allez marchez sur votre châle ! Quelle …, quelle grâce, quelle élégance …
J’ai continué sans me démonter à monter ainsi l’étage sous les… Le prochain
coup va-t-il me frapper ? Je ne le crois pas. On verra si cette question
des postures est efficace.
Mardi, journée de
grève et d’Assemblée Générale pour protester contre la suppression des trois
postes et demi à savoir l’Italien, un Allemand, un d’Education Physique et un
de Bureautique. L’Assemblée Générale commence. J’ai dans mon sac à dos les
cadeaux (livres divers) joliment emballés que j’ai préparé à l’intention de mes
Collègues pour Noël soit environ vingt deux paquets…
Voilà qu’on apprend
qu’en fait - après discussion avec le Proviseur - ce n’est plus le poste
d’Italien qui est supprimé, mais un poste de Français… qui se trouve être
justement celui de Crocq, libertaire notoire et militant intempestif. Mon sang
ne fait qu’un tour…
Je suis surtout
médusée par le fait que les Collègues aient réussi une pareille exaction, étant
donné que la Direction avait proposé la suppression du poste d’Italien qui ne
rassemblait que quelques Elèves. Je leur explique que cet acte sent le Conseil
d’Administration du Ghetto Juif sous les nazis et leur rappelle que les
Administrateurs eux-mêmes ont été également pour finir, liquidés. Je leur dis
qu’on n’a pas à cogérer une situation de ce genre. Ils reprennent alors qu’ils
ne cogèrent pas, que c’est tout le contraire et qu’ils ont bien l’intention de
s’opposer à la suppression des postes… qu’ils ne m’ont pas attendu pour cela
etc… Ils ne m’envoient même pas sur les roses, et considèrent plutôt ce que je
dis comme nul et non avenu, totalement insignifiant ce qui me paraît une
attitude plutôt nouvelle…
L’Assemblée Générale
se déroule ensuite normalement comme si de rien n’était. Je quête en vain de
leur part un regard, un moment de gêne, un instant de doute… C’est comme si
cette exaction qu’ils venaient de commettre entre deux portes avec le Proviseur
était d’ores et déjà passée à la trappe. Je n’en reviens pas ! Je suis
tellement mal à l’aise que je me lève et déambule dans la pièce et le couloir
adjacent. Impossible de rester assise avec ces stalino-fascistes.
Je prends ensuite le
parti d’observer scientifiquement ce phénomène que je vois pour la première
fois mais qui n’est pas pour autant une nouveauté historique. Dans les camps de
concentration en effet, l’administration était bien aux mains des détenus qui
devaient faire la même chose tout aussi tranquillement…. Ce que j’ai vu là m’a
terrifiée, cette horreur du monde que je sais exister, n’est donc pas limitée
aux conditions extrêmes dans lesquelles la mort est l’enjeu ? Qu’en
déduire ?
D’une certaine
façon, j’ai compris là à quel point la Tragédie Grecque - qui met en scène et
ritualise le sacrifice - est une sorte de progrès sur cette exécution sommaire
et mensongère où l’autre est en quelque sorte privé de son destin et retranché
du collectif. La Tragédie Grecque, est ce qui donne à la victime le soutien de
la Collectivité. A contrario il y avait là dans leur attitude, l’obscénité du
secret et de la malversation occulte sous un vernis de perfectionnisme des
formes, des institutions, de la morale, de la politesse et du respect. Il
s’agit en réalité d’un mime aux confins de la psychiatrie.
A la Cantine, le
déjeuner de Noël est plutôt triste. On essaie de nous bourrer le crâne à mon
amie et à moi sur le thème que je ne comprends rien à la politique. Je passe le
déjeuner à nous défendre en ayant finalement l’impression d’avoir été privée de
ce que j’étais venue faire, à savoir la Cérémonie
Professionnelle du Repas de Noël
durant laquelle le Corps Enseignant se reconstitue amicalement. Le seul moment
heureux en est tout de même le dessert avec son gâteau à la poire et au chocolat.
Le soir je téléphone
à Crocq qui n’était pas là durant tous ces événements, pour l’informer de la
situation afin qu’il ne tombe pas naïvement dans le panneau! Je tombe sur sa
femme.
Mardi je n’ai plus
su quoi faire des cadeaux que j’avais préparés pour Noël, tellement la
situation était avec les Collègues, sans issue. Ne sachant qu’en faire, ne
pouvant les remporter pour des raisons métaphysiques du service personnel du
sacré, je les ai déversé en tas au pied de la cheminée de la Salle des
Professeurs qui depuis que je suis dans ce Lycée là m’a toujours parue,
parfaitement incongrue. Toute heureuse de lui trouver pour une fois, une
utilité.
Crocq de retour au
Lycée ne paraissait pas croire que nos Collègues puissent être assez immondes
pour faire ce qu’ils lui avaient fait. J’ai donc eu là en plus l’occasion
d’observer un autre phénomène, le refus de voir ce qui serait trop dur pour
soi-même. Ainsi ne peut-il admettre – ce qui est pourtant vrai - que les
Collègues aient voulu se débarrasser de lui.
Trois fois cette
semaine, la Génération de Mai
68 a été désignée comme responsable
du chaos actuel. Et à chaque fois mise en cause, sur un mode plutôt menaçant.
Cette idée de responsabilité collective est lourde du pire comme l’Histoire le
montre mais l’exhumation d’un cadavre pour le juger et lui faire endosser une
responsabilité - alors que depuis cinq ou six ans il ne joue plus aucun rôle
dans le mouvement des idées - est absurde. On a l’impression qu’on perd sur les
deux tableaux, à savoir n’avoir eu aucun effet réel sur l’avancée des idées
libertaires d’un côté et de quand même devoir payer pour elles.
Pourtant ce
raisonnement est quand même assez faux parce que d’une part il n’y a pas besoin
que les idées débouchent pour que ceux qui les ont inventées et propagées
soient victimes de la répression, la Commune par exemple ou de nombreuses
autres insurrections. D’autre part la marginalisation et la réduction au
silence ne sont en fait que des étapes sur la voie de l’extermination.
Ainsi m’est il venu
l’idée terrifiante que pendant la Guerre, il s’agissait bien d’un HOLOCAUSTE
et/ou d’un GENOCIDE mais que la SHOAH était maintenant devant nous. Cette idée
obsédante étant une sorte de lecture non seulement du film de Claude Lanzmann mais
de sa conférence en Janvier 1990 et de ses diverses déclarations. Qu’est ce que
cela voudrait dire ? Que sous le nazisme, il s’est agi de l’extermination
physique d’une catégorie d’individus administrativement déterminés et que ce
qui est maintenant devant nous et a déjà commencé à se produire, c’est la
SHOAH, destruction non des corps réputés juifs mais de l’apport même de la
judéité, à savoir la notion d’être humain, d’homme et de sa vocation à
construire le monde, à être au monde. La SHOAH au présent, c’est l’abolition de
l’homme.
Etait ce la
signification de la parole soixante-huitarde Nous sommes tous des juifs allemands dans ce fonctionnement
totalitaire que nous sentions en germe. La SHOAH, est ce qui attend tous les
héritiers du livre, du nom et de l’homme ? L’objet même de la vénération,
la pensée ? Est-ce ce qui meurt dans ce Grand Corps Géonomique en constitution ?
Trois signes vont
dans ce sens là : D’abord une interview à France Inter sur un livre écrit
contre cette génération qui prend trop de
place et qui n’a pas digéré ce qui est arrivé pendant la Guerre… C’est à
peu près dans ces termes là qu’il est question de nous ! L’auteur et les
journalistes tombaient finalement d’accord sur le fait qu’il fallait nous
marginaliser un peu… Ensuite ce fut ma mère à propos de ma sœur et de son mari
et enfin le comble avec MB qui m’a carrément fait exploser, comme il pontifiait
en me faisant la leçon et en me tenant un discours insupportable, ex cathedra
tant sur l’éducation des enfants (qu’il n’a jamais eu) ou des classes de nos
élèves qu’il avait eu lui-même totalement chaotiques. Finissant par un discours
de morale d’ordre absolument insupportable comme si dès lors (ce qui finalement
se comprend) que mon libertarisme ne servait plus son libéralisme, il lui était
inacceptable, ce grand bourgeois montrait qu’il s’encanaillait pour son
agrément mais veillait scrupuleusement au maintien de ses intérêts économiques
lorsque ceux-ci étaient mis en cause.
Ce qui frappe
effectivement en ce moment, c’est finalement l’obscénité de ce discours
obsessionnellement économique, alors même que la société croule et que les
problèmes sociaux, politiques et moraux nous submergent. Comme si tout cela
n’avait aucune importance et que l’essentiel était le maintien de l’ordre capitaliste,
ce qui est bien en effet leur fonctionnement. Dans ce cadre là, ces et ses
dites préoccupations de justice sociale prennent une drôle d’allure -
non qu’elles sonnent faux - mais elles ont un côté politesse formelle et
glaciale.
Au Lycée, jour de la
sortie des vacances de Noël, dramatique journée. Les Collègues s’étant eux
mêmes intronisés administrateurs,
ayant - à la suite de leur démarche au Rectorat – obtenu vingt cinq heures de
supplément pour la Dotation Horaire Globale se sentent des ailes et essaient à partir de cette nouvelle
légitimité, de me faire taire définitivement.
En fin d’après-midi,
réédition de la scène de la semaine précédente. Un professeur qu’on vient
chercher dans la Salle des Professeurs pour ne pas dire dans les Toilettes pour
lui demander des comptes, faire pression, continuer ou commencer une prise de
bec, bref transformer la Salle des Professeurs en terrain d’affrontements, ce
qu’elle est en train de devenir. Mais là le Collègue s’en va sans même parler à
l’Elève qui du coup, se met à pleurnicher. Comme – pour éviter la crise que je
sens venir - je lui demande de sortir d’un Madame, je vous prie de sortir, elle se
jette alors par terre.
Instinctivement, à
bras le corps, je la ramasse et la pousse manu
militari dehors alors qu’elle
s’agrippe aux murs et aux multiples chambranles du couloir… Cette scène dure
plusieurs minutes étant donnée la force physique de l’Elève et la mienne. Quand
nous apparûmes ainsi dans cette lutte acharnée lors de laquelle je la poussais
devant moi et qu’elle se cramponnait au chambranle de la porte du pallier de
l’entresol du grand escalier, mes Elèves à moi sortaient – c’était l’heure
normale - et donc descendaient en rangs serrés comme cela en est la nécessité
matérielle et physique. J’ai vu alors leurs regards, celui de la terreur
sacrée !
La scène était
pétrifiante, pourtant dans mon instinct, je suis sûre d’avoir eu raison en
empêchant la psychiatrisation de
l’établissement, laquelle nous menace. La fille faisait donc une crise
d’hystérie. C’est ce que j’ai voulu éviter à cette Elève en la rejetant, par la
violence dans le droit commun. Mais je ne suis pas sûre d’avoir été comprise ni
de mes deux Collègues assistant à la scène dont Crocq ni de mes propres Elèves
ni de l’Elève elle-même, jeune personne au sujet de laquelle je me tourmente en
ce qui concerne les suites de l’incident.
Programmé pour la
Nuit de Noël, le Concert qu’Eddy Mitchell – le crooner du Groupe des
Chaussettes Noires – devait faire aux Armées, a été annulé à la demande de l’Arabie
Saoudite qui ne le trouvait pas assez islamique… Cela fait un drôle
d’effet ! Non seulement parce que cet homme et Johnny Halliday continuent
à incarner les inoxydables soixante-huitards - version chansons - c'est-à-dire
notre immarcescible jeunesse mais aussi parce que l’Arabie nous donne des
ordres de ce genre. On est dans l’absurde et l’odieux.
Dans le Journal,
j’apprends qu’en arabe, Saddam signifie Cogneur !
La Slovénie a
proclamé son indépendance. C’est maintenant la Yougoslavie qui est en
décomposition. On avait beau s’y attendre, cela fait un drôle d’effet. La
Tchécoslovaquie a préparé des camps pour accueillir les Russes après
l’ouverture de la frontière au Premier Janvier… Camps de transit vers la France
et l’Allemagne nous dit on, comme si tout cela était naturel…On a beau se dire
qu’on préfère les Russes aux Tamouls, quelque chose d’animal en soi se doute
que cela va être et les Russes et les Tamouls. Un sentiment d’accablement
d’avoir fait le maximum et que ce maximum n’est pas suffi. L’Histoire est donc
cette brisure des vies par des choses qui les dépassent.
Au supermarché, la
caissière arabe parle une sorte de joual franco-arabe qui me fait un drôle
d’effet.
En Algérie,
interdiction de la langue française (ce qui peut se comprendre) mais aussi du
berbère. La réglementation des langues, me hérisse le poil !...
En Arabie, les
mirages français sont interdits de vol pour qu’on ne les confonde pas avec ceux
achetés par Saddam Hussein… La honte ou la dérision. On hésite …
Dernier concept
émergeant, celui de produit médiatique qui
génère un certain malaise pour lequel il faut un peu de temps avant ce
comprendre qu’il est la conséquence du fait que le culture est de l’ordre de l’être et produit de celui de l’avoir. On ne voit pas comment les deux
choses pourraient s’articuler.
J - Seize !
Cette conjoncture d’ultimatum militaire concernant le Golfe nous ronge, comme
le matériel et les hommes continuent à arriver sur ce qui s’appelle le terrain
des opérations. L’angoisse semble elle-même dépassée. Grenoble a
construit un abri anti atomique. Les Américains demandent à l’Angleterre
d’envoyer son porte avion nucléaire et on nous montre à la Télévision,
d’impressionnantes parades irakiennes.
On se prend à penser
que dans le bras de fer qui oppose les Alliés et l’Irak, l’un des deux va
renoncer.
Les Albanais ont
commencé à quitter l’Albanie. En Israël les entrées ont lieu à plus de deux
mille par jour. Le Pape propose sa médiation… Les pacifistes y vont de leurs
activités habituelles. Il ne manque plus que l’agitateur comique Mouna mais ce
n’est sans doute pas de son fait. On a dû lui refuser l’accès à la Télévision.
L’Eglise est omniprésente et s’entend comme larrons en foire avec les Musulmans.
Dans ce contexte corriger des copies demande des vertus au-dessus de la
moyenne, je les bâcle comme jamais !...
Grève Générale dans
les Territoires Occupés. Sept Cents Cinquante Mille Irakiens sur le front de
l’Arabie. Une Europe de l’Est qui se fragmente de la Yougoslavie à l’URSS.
Comment dire, c’est trop ? C’est l’espèce humaine qui se décompose !
Nous ne sommes pas outillés ! Sans doute, l’Histoire est ce toujours
cela ! Pour juguler l’angoisse du bouleversement et la retourner de façon
positive, je me suis remise à étudier le Russe dont j’ai suivi au Lycée les
cours durant quatre ans. L’espace social ayant disparu il est devenu impossible
de se projeter dans un avenir quelconque d’où la nécessité d’inventer un projet
quel qu’il soit, même artificiel comme celui là.
Parce qu’elle va
être démolie, Dimanche dernier, sublime promenade pour un adieu à l’Usine
Renault de l’Ile Seguin et une visite à un Puteaux qu’on découvre arabe. Un
Puteaux en forme de ville que rien n’a modifié mais dont seulement – comme à
l’identique – la populatio n a changé. Quel contraste avec Vaux en Vélin ou les
pillards du Centre Montparnasse ! L’idée d’écrire avec mon ancienne
partenaire de théâtre, une biographie immobilière concernant nos différents
habitats, comment on les percevait à l’époque et comment on les perçoit
maintenant. On peut à partir de là, dresser une cartographie de l’évolution,
non seulement de ce qui est arrivé à la société française mais de notre propre
évolution à l’intérieur de celle-ci.
Tout ceci me
convainc encore davantage que ce qui se produit est bien une perte de
territoire, une délocalisation généralisée et qu’il y aurait moyen d’établir
cette biographie en terme de sol. Cela n’est pas sans rapport avec notre vie
professionnelle !
Lecture des livres
parus aux Editions des Femmes avant mon arrivée. Ils m’apparaissent rédigés au
vitriol et en tous points révolutionnaires. Pourtant ces livres là ne sont pas
écrits. Ils font Sciences Sociales féministes et auraient plutôt tendance à
me donner raison qu’à Jennifer qui ne croit qu’à la littérature. En repassant
les vingt cinq ans écoulés, ceux qui dans le domaine éditorial ont fait le plus
pour l’avancée de la pensée, me paraissent être Payot et Maspero et également
les Editions des Femmes qui pourtant ne m’avaient pas semblées jusqu’ici comme
politisées au sens immédiat. D’où cela provient il ?
D’où vient que dans
la décomposition de la société française, ce féminisme totalement occulté et
écrasé tienne pareillement la route ? Est-ce en fait parce que comme je le
suppose, la logarchie politique à la française, cette semi-démocratie
hexagonale repose sur l’enfermement
de la femme, et que l’écroulement de cette société va libérer les forces
féministes (productives cachées) ce qui expliquerait cette lecture systématique
politique que je n’avais pas fait à l’époque de sa parution mais entreprise
aujourd’hui, comme on assimile les textes théoriques utiles à la bataille. Dans
ce cas, cette lutte héroïque de mon ancienne partenaire de théâtre et de
moi-même depuis les Evénements de Mai 68 prendrait alors tout son sens et
apparaîtrait comme essentielle, au-delà des péripéties. Quoique passant
inaperçu, notre combat semblerait avec le temps, la colonne vertébrale du
bouleversement de la société.
Soulagement du fait
que les Irakiens aient accepté pour le neuf une rencontre en Suisse. On est
franchement content.
Vu dans le métro
pour la première fois un graphitage A
mort l’Islam signé MLF.
Conversation avec
mon ancienne partenaire de théâtre sur le thème de notre absence d’émotion
concernant nos soldats engagés dans le Golfe. C’est qu’on n’a nous-mêmes aucun
recul par rapport à eux puisque nous menons le même combat, étant comme eux
sans cesse menacés de mort et en fin de compte sur le même bateau.
Le lieu de rencontre
de la Métaphysique, du Politique et de l’Art, qu’est ce ? Le Poème ?
Mais le poème en tant qu’action
et selon le sens indo-européen de réparation,
ce fameux geste que je faisais à F pour exprimer le parfait accomplissement, le
seuil de la matrice, le col des – selon Jonas – verrous de la mer. Toutes ces
notions dont la Genèse, la création, la naissance l’englobent sans pour autant
l’épuiser. Comme si le magma de mort et de confusion dans lesquelles on tente
sans cesse de nous entraîner avait pour fonction d’empêcher cette écriture,
cette trace, ce signe, est ce cela le concept du règlement de compte ?
Sur un autre plan,
on est dans la Tragédie et là aussi il y a la position des spectateurs qui
contemplent le Théâtre, ou celle de ceux qui sont sur la scène prenant sur
eux ! CE PRENDRE SUR SOI, est ce
l’équivalent de la JUDEITE ? Chacun ayant alors comme vocation d’être le
MESSIE, le constructeur du monde, l’acteur du monde et non à s’en décharger sur
l’autre, comme le font les spectateurs. L’ACTEUR ne peut pas être ému, puisque
c’est lui qui meut, qui met en mouvement.
Cela se rapproche.
Grève des autobus parisiens dont celle totale sur la ligne de la Petite
Ceinture pour cause d’agression. On apprend que le conducteur a été attaqué à
la machette, Porte Brunet. On croit rêver ! Au point même que je ne peux
pas rentrer normalement de la piscine.
L’Irak n’accepte pas
la médiation des Douze et refuse de se rendre à NOTRE (?) invitation.
Humiliation constante. Comment éviter cette Guerre imposée ? On ne le peut
pas ! N’ajoutons pas le permanent déshonneur au drame. Désaccord dans le
Gouvernement : Le Ministre de la Défense, Jean Pierre Chevènement est
opposé à la guerre.
C’est dans ce contexte
que nous allons à l’Opéra Bastille – nouvellement construit - pour une
représentation des Noces de Figaro.
Un vrai désastre ! Une architecture qu’on ne sait pas comment qualifier
car on se croirait dans un aéroport, un centre d’examen, un hôpital en fait
n’importe où, c’est le style moderne homogénéisé. Les couleurs choisies -
plutôt neutres - beige, blanc et noir ne sont pas adéquate là où il faudrait
normalement pour un opéra du rouge et du doré ! Le malaise est
confirmé par une mise en scène dans les mêmes tons et je me dis qu’on est
décidément bien dans la médicalisation…
Le Chœur lui-même apparaît en voile
d’infirmière et en bonnet de chirurgien … le tout dans un décor si vide qu’on
se demande si c’est l’exemple du Théâtre
National Populaire, trente ans après ou bien une grève des manutentionnaires
ou encore le blocage des entrepôts par des salariés en colère. Complètement
décontractés, les acteurs jouent comme des pieds et on a mal pour eux tout en
se disant que vue la situation dans les lycées, on ne voit pas pourquoi cela ne
serait pas la même chose à l’Opéra. A la longue, ils se détendent, sans doute
rassurés par le fait que l’Assistant du Chef d’Orchestre parvient à le diriger.
Cela me permet
précisément de découvrir ce qu’est l’Opéra, lorsque cela fonctionne. C’est bien
lorsque tous les chanteurs voguent sur la musique et qu’on devient la mer et
puis petit à petit, le bateau se forme et on est à la fois, le bateau et la
mer. Est-ce pour cela qu’on nomme ces chanteuses les DIVA parce qu’elles - et
ils aussi - permettent de retourner à cet Univers là ? Ce que ma mère ne
m’a pas donné, l’opéra me le donne,
ce bercement somnolent sur la voix, où on est soi et elle, où elle protège du
naufrage et le transforme en endormissement.
Déplaisir également
de cette paresse d’avoir transféré un spectacle monté au Palais Garnier en 1973
alors qu’il aurait fallu faire du neuf, mieux adapté à ce nouveau lieu. Du
stoïcien, du militaire, du grandiose. On mesure aussi à cela, l’extermination
de la culture. Ce qui met mal à l’aise, c’est le vide de cet établissement
grandiloquent, romain, fascisant. Il est d’une certaine façon le symbole du
régime et son bilan. Ce n’est pas par hasard qu’il est situé à la Bastille. Là
aussi, c’est une espèce de leurre.
Il faudrait
également faire une analyse de l’ensemble des Grands Travaux. D’abord
l’appellation du Ministre de la
Culture, du Bicentenaire et des
Grands Travaux. Et que dire alors de la perspective au propre et au figuré
de cet Opéra rond, de la Pyramide du Louvre et du Carré de la Grande Arche de
la Défense ?...
Lundi, je parviens à
prendre les classes mais c’est un miracle. On ne peut parler de la Guerre
qu’avec l’Eurasien, Crocq et la lectrice anglaise. Les autres Collègues
tricotent de la chéchia faisant mine de cogérer un Etablissement qui marche
impeccablement. La folie de la situation finit par conduire à se demander si ce
n’est pas soi-même qui déraille. Les Elèves ont de leur côté perdu tous repères
et toute notion de l’Espèce Humaine et des valeurs qui y sont liées. Ils ne
font plus la différence entre les humains, les machines et les animaux.
L’idée même du
vivant semble s’être perdue. C’est assez impressionnant et difficile à vivre.
L’entreprise est pour eux un être vivant et comme je leur demande comment elles
font pour s’accoupler, ils me répondent la
fusion. Comme j’allais tomber en syncope, j’ai quand même eu la présence
d’esprit pour redresser la situation de leur demander et laquelle éjacule ? … rétablissant tout de même ainsi la
différence.
De la guerre du Golfe à ce
printemps, la chronique s’est interrompue en raison de la masse des affects et
de l’impossibilité d’avoir le recul nécessaire pour maintenir la règle du
genre. Pourtant la pression a augmenté si fort qu’il a bien fallu la reprendre.
C’est lundi comme je
courais les librairies du Centre Ville pour trouver l’introuvable livre que je
voulais envoyer, que j’ai bien fini par admettre ce qui survenait. Ce n’étaient
pas les valeurs qui disparaissaient ni la société ni les sentiments ni l’Etat,
tout cela étant fait depuis longtemps, ce qui disparaissait maintenant c’était
la langue !...
Non seulement les
vendeurs et les vendeuses ne servaient pas, ne cherchaient pas à vendre, mais
ne comprenaient même pas ce qu’on leur demandait. Le Livre des Morts des Anciens Egyptiens, c’est de qui ? Demandait
une employée effarée !...
Aujourd’hui et hier,
c’est Melville qui me sauve la vie. Bonheur absolu des Poèmes de Guerre découverts
- comme John Donne durant l’hiver - grâce à l’édition bilingue de Gallimard,
une nouveauté parfaite. De la traduction comme recréation littéraire. Est-ce
dans l’air du temps ?
Tout écorche. Il
faudrait ne plus quitter de vue la pointe de ses chaussures. On serait alors
anéanti, séparé du monde et fusionné. L’ascèse consiste aujourd’hui à voir ce
qu’on voit autour de soi, sans le nier ni s’en détourner. Rester vivant, c’est
sentir le carcan qui se resserre tous les jours un peu plus, se sentir
asphyxiée, savoir qu’on va mourir plus tôt que prévu et continuer à chercher à
échapper à ce destin fatal. Ce n’est pas seulement la vie arrachée morceau par
morceau mais la vie arrachée vivante, une sorte de supplice chinois. On aurait
tendance à vouloir mourir pour en finir avec cette souffrance, c’est à cela
qu’il faut s’appliquer à résister. On croirait qu’on est seul à vivre cela, si
on ne voyait de temps à autre chez les autres, leurs regards de damnés.
Croire qu’on va
mourir n’est pas nécessairement vrai. Non qu’on ne puisse en fin de compte en
mourir mais c’est plutôt peut-être comme dans le vertige décrit par Pascal, une
erreur des sens abusés.
L’effort qu’il faut
faire maintenant pour simplement faire ce que l’on faisait autrefois avec
bonheur, à savoir emprunter entre les immeubles du Centre Ville, les passages.
Continuer les mêmes parcours entre les magasins vides, les vitrines brouillées,
les panneaux à louer, les baux à
céder, les pas de porte à vendre ou parfois la fermeture définitive, la boutique
transférée et certaine fois, la cessation définitive. Le petit panneau
annonciateur qui précise bien que toute espérance est inutile, la vie ne
reprendra pas là.
Marcher, marcher le
long de ces chantiers de plus en plus vastes qui donnent l’alarme d’abord par
leur taille inhabituelle - deux ou trois immeubles ensemble - là où on avait
l’habitude d’assister seulement et encore rarement, à une rénovation complète.
Puis se furent ces grues qui demeuraient de façon anormale et attiraient
l’attention lorsque le temps des chantiers d’autrefois étaient écoulé et qu’on
ne comprenait pas pourquoi cette grue restait là.
Et puis ce fut quand
même ce qui arriva. Elles restèrent ces grues et on s’aperçut qu’elles
n’avaient pas la taille de celles auxquelles on était habitué. On trouva des
explications rationnelles. Il devait y avoir forcément des relations entre la
taille excessive, l’ampleur des chantiers et leur durée. Et de ce qu’on savait
de l’économie, on pouvait penser que cette nouvelle structure de construction
devait coûter moins cher, avec une productivité plus grande et d’être économe
en vie humaine.
On se souvenait des
accidents qui n’avaient cessé d’émailler les chantiers, de tous les morts du
travail, les blessées, les accidentés, les mutilés et même d’une pièce de
théâtre qui avait été fait une fois sur ce sujet et que c’était drôlement bien
joué, pour réussir à donner l’impression que le grutier avec son turban
montait, montait en plein vent avant de s’écraser au sol.
Pour sûr ce devait
être cela, le progrès technique aidant on avait dû trouver le moyen totalement
automatique de gruter et pour cela il fallait des grues gigantesques qui
étaient impressionnantes certes mais enfin tout de même à l’heure où on
envoyait des fusées dans la Lune et des missiles sur les autres continents, des
turbo par ci et par là des TGV, il ne fallait peut être pas s’émouvoir de ces
engins gigantesques…
Si on pouvait
admettre deux grues par chantier comme de plus nombreuses s’avéraient être là
sans qu’on ait pris garde à leur installation, quelque chose en soi
s’inquiétait, mais d’une inquiétude vague parce qu’elle ne savait pas à
l’intérieur du corps, dans quel lieu l’inscrire. C’était quelque chose
d’animal, l’intuition ne suffisait pas à en rendre compte, c’était une
certitude, une conviction, un avertissement, qu’il y avait quelque chose de
parfaitement anormal que nul n’avait jamais vu.
Le nombre, la taille
et la durée de l’installation des grues dépassaient tout ce qu’on avait
l’habitude de connaître. Et le corps s’agitait comprenant qu’il ne pouvait
combattre. CA/LA, c’était sa fin.
Mauvaise nuit due au
sentiment d’asphyxie. Conglomérat des effets probables d’un accident chimique -
comme d’habitude - occulté et de l’angoisse consécutive au nouveau
Gouvernement. La nuit, cèdent les censures et les résolutions d’adaptation. Il
y a du Bunker Palace (le film de
Bilal) dans l’air. On constate qu’ils nous gouvernent contre quatre vingt pour
cent du pays et en pratiquant la martingale. Le lendemain matin encore très mal
nous partons en week-end à Fécamp.
Dans les six
boutiques du haut de ma rue - Porte de Champerret - trois sont vides, obscures
et en cessation d’activité.
Apparition du terme Européaniste, dans la bouche de
Chevènement. Il y en avait besoin !
Au Lycée j’ai failli
enfoncer la porte de la bibliothèque qui était illégalement fermée alors que
mes Elèves réclamaient un surplus de dictionnaire en plus de celui que j’ai
toujours sur le bureau avec moi et timidement introduit dans la classe.
A quatre Collègues
nous avons rédigé une pétition pour demander qu’on change le torchon des
Toilettes de la Salle des Professeurs, tellement il était immonde. Est-ce
l’affaire du Potemkine ? On sait comment se terminent les révolutions -
toujours de la même façon - mais on sait moins comment elles commencent…
Est-ce bien
raisonnable de dire Rendez-vous à la
Révolution ! Plus rien ne paraît possible...
L’Histoire, est-ce
l’irréparable ? L’accouchement de
l’Histoire dit-on souvent. Cette opération de rupture est-ce le processus
physiologique varié, dangereux, irréversible qui se met en route, la rupture de
la poche des eaux, l’apparition des glaires et des contractions, avec parfois
des douleurs telles qu’on ne sait s’il faut accélérer le processus ou au
contraire, tenter de l’arrêter pour procéder autrement. Ce sentiment non de
l’Histoire qui se fait car elle n’a jamais cessé, mais de l’Evènement qui se
noue et va nous séparer tous pour toujours, comme le fait dans les films, l’arrêt sur image, qui scelle le
lieu de la Tragédie.
Depuis quatre ou
cinq mois, les gens ne répondent plus du tout aux sourires qu’on leur fait. On
ne s’excuse plus non plus des permanentes bousculades. La plupart des gens ont
des visages de damnés et certains commencent même à présenter le fameux regard
concentrationnaire. Les magasins désertés atteignent maintenant le boulevard
Haussmann et la rue Royale. Jusqu’à Christofle qui est fermé. Les herses se répandent
depuis un an et on voit apparaître des rez-de-chaussée blindés, sans aucune
fenêtre.
Dans le quartier
lui-même désormais les tags deviennent si nombreux qu’il semble qu’on ait
renoncé depuis quelques semaines à les nettoyer. Y compris chez nous dans le
passage qui mène au garage. Un sentiment d’accablement prend devant les beaux
quartiers à leur tour, souillés.
Franche rigolade
pendant une réunion pédagogique au Lycée lors de laquelle la vieille garde républicaine fait front et durant
laquelle Christian Ficquemont de plus en plus excité depuis quelques mois
demande que les psychodémagogues arrêtent
de nous emmerder ! Je n’ai jamais entendu autant de violence et de
rejet contre une Administration. Applaudi, il est sorti sous les vivats. Et
l’Administration de rire jaune.
Clément Rouhet,
l’Eurasien disant Ca nous arrive mais je
ne sais pas quoi ! Comment mieux dire ce que Chantalle et moi
ressentons de façon de plus en plus pathétique au point de dire que quelque
chose en nous est déjà de l’ordre du cadavre.
La coiffeuse m’a
donné un coup de poing pour me faire taire, jugeant mes propos contraires à son
intérêt commercial ! Interloquée, j’ai dit un mot puis pour le principe,
je lui ai rendu un coup de coude violent.
Des émeutes à Los
Angeles. La Télévision nous parle immédiatement de Révolution et le lendemain de Guerre
Civile, voire de Guerre tout court. Les Emeutiers ont tiré sur les hélicoptères. La
Police leur a abandonné le terrain. Des gens ont quitté la ville. La panique.
Je repense à MV à qui je parlais des Guerres Ethniques du Vieux Continent et
qui me disait que c’était aussi le cas aux Etats-Unis où la Guerre des Gangs
elle-même, était ethnique !
Le mot qui me vient
à propos de Los Angeles, c’est VILLE OUVERTE. Et comme je réfléchissais à
l’étymologie de cette locution, je trouve que cette expression dit aussi ce que
je ressens pour Paris et ne trouvais pas jusque-là, le moyen d’exprimer !
Et je comprends
mieux ce que MV m’avait dit Montréal est
une ville morte ! Ce que j’avais trouvé abusif mais qui sous cet angle
peut aussi être compris comme Ville Ouverte.
Au sujet de la
préférence envers les émigrants venus de l’Est plutôt que ceux du Sud, un
chauffeur de taxi me dit Ce sont des
Chrétiens comme nous, sauf qu’ils boivent de la vodka et nous du vin et encore
au vin, ils s’y font ! Le sous-titre en serait Des sciences Sociales en milieu populaire !
Un autre chauffeur
de taxi, noir me dit: Le monde est plus
évolué que les Humains ! Je suis saisie de voir qu’en ce moment, ce
sont les taxis qui comprennent le mieux ce qui se passe…
La pétrification
continue par des mécanismes qui m’échappent et que je me réserve d’analyser dès
que je vais en avoir le temps. Je ne suis ni fatiguée ni déprimée et dans ces
deux catégories j’ai connu bien pire. Et pourtant, chose qui ne m’est jamais
arrivée - n’ayant aucune envie de me suicider - je ne
peux néanmoins plus vivre. L’idée que le seul livre qui évoquerait l’atmosphère
de ce qu’on vit, c’est encore le J’ai choisi la liberté de Kravchenko quand il décrit la famine
en Ukraine avec les gens couchés mourant sans organiser de révoltes. Il y a là
aussi une atmosphère concentrationnaire comme si on était en dessous du seuil
où la révolte est possible faute de JE, faute de NOUS. Le secret de ce qui se
passe, est ce qu’il n’y a plus de NOUS, donc plus de JE identifiable par
rapport à ce NOUS ?
On m’appelle de plus
en plus souvent Monsieur et pas seulement au téléphone. Le genre féminin est-il
en voie de disparition ? Le Ils se généralise même lorsqu’il s’agit d’un ensemble de
femmes. Y compris - et j’en suis stupéfaite - dans ma propre bouche, notamment
concernant les groupes de religieuses.
Les Bourgeois se
mettent à lutter contre le racisme… Il est bien temps ! Comme ils
mettraient un sceau d’eau sur leur maison en feu. On ne sait s’il faut leur
rigoler au nez ou les insulter, car c’est quand même à cause d’eux qu’on en est
là.
Hier le refus des
Electeurs danois de ratifier les accords de Maastricht. La première bonne
nouvelle depuis des mois… D’autant meilleure qu’on ne l’attendait pas. Sans
doute la cause de l’amélioration de l’ambiance de la Salle des Professeurs au
Lycée.
Ce qui n’est pas le
cas avec le Proviseur qui m’a passé un savon à cause de notre pétition
concernant la demande de remplacement du torchon, suivi de toute une diatribe
concernant - selon lui - mon caractère négatif et pessimiste, suivie elle-même
d’une tentative de manipulation que je déjoue aisément. Le Conseil
d’Enseignement a du coup été fort déplaisant. On m’y a affirmé que ce que je
disais n’intéressait personne et on m’y a tourné en dérision avec une vulgarité
mafieuse indigne d’un Chef d’Etablissement. Quant à l’Intendante - de son côté
- elle trouve - selon ses propres termes - que je parle trop. Tentative
d’intimidation due à la pugnacité de mes campagnes désespérées pour maintenir
la viande de porc au menu de la Cantine alors qu’elle en est évacuée sous la
pression de l’Islam…
Je suis acculée à
fournir un Certificat Médical pour ne pas aller faire passer le Baccalauréat.
J’ai malheureusement affaire dans leur cabinet de groupe, à la remplaçante de
ma femme médecine habituelle. Elle m’accable de son insupportable mépris alors
qu’elle n’est pas mieux lotie que moi.
A quatre heures du
matin sur RTL on entend à propos des agriculteurs, le terme Accrochages. C’est un mot de Guerre
Civile, voire même de Guerre tout court et qui nous renvoie à celle d’Algérie.
Agitation croissante
au Lycée. Je propose à quelques Collègues la création d’un Comité de Mères. J’en suis moi-même
stupéfaite ! Et plus étonnée encore qu’elles ne me disent pas Non en se récriant…
Cette idée curieuse
ne me serait pas venue sans le clash de cet été avec mon ancienne partenaire de
théâtre, dispute violente faisant apparaître la question de la
mère comme centrale, y compris
politiquement ainsi que la Révolution en cours autour de cette restauration.
L’après-midi en
classe, là où habituellement je dis L’homme…
et la femme sa compagne, j’ai cette fois ajouté sa compagne et sa mère !!! J’en ai été médusée.
Chaque jour est pire
que le précédent. A la pétrification a succédé depuis quelques jours,
l’aboulie. On ne sort plus en dehors du travail et on n’arrive pratiquement
plus à dîner ensemble tant les rythmes sont différents. Je ne mets plus de
chaussettes dans mes chaussures par économie d’énergie et renâcle à la gestion
des vêtements ! Je n’ai pas pu maintenir la demi-heure de marche
quotidienne de l’an dernier, ni la natation hebdomadaire, ces surcroîts
d’efforts paraissant inutiles dans une société qui s’effondre et est devenue
totalitaire.
La peur ne me quitte
plus et parfois l’angoisse est intolérable. Le scandale du sang contaminé prend
tellement d’ampleur qu’on sent venir au choix une révolution ou bien un coup de force pour achever de nous boucler
dans le système techno-totalitaire dans lequel nous sommes déjà
pratiquement installés. Les machines ont le pas sur nous. Lorsqu’elles
dysfonctionnent ou tombent en panne, c’est nous qui sommes accusés d’être en
tort, ne sachant pas s’en servir ou bien ne les manipulant pas comme il
faudrait.
On pourrait se
contenter de deux informations : Le Président du parti au pouvoir (ancien
Premier Ministre) est déféré devant la Haute Cour de Justice et le Président de
l’Assemblée Nationale est de son côté, inculpé. A part cela, la vie politique
continue normalement… Le Premier Ministre en titre Bérégovoy est satisfait.
Quant à Georgina Dufoix, déférée elle aussi devant la Haute Cour – en tant qu’ancienne
Ministre de la Santé - elle persiste concernant le scandale du sang contaminé à
se déclarer selon sa formule inventive : Responsable mais non coupable !
Le pouvoir montre
les crocs et proclame dans son discours du Dix Novembre qu’est offert aux victimes et à leur famille, le pardon de la Nation.
Néanmoins le scandale de cette phrase appliquée à l’affaire de la construction
d’un Carmel sur le camp d’extermination d’Auschwitz, passe inaperçue et
j’échoue à faire comprendre à mon entourage ce qu’elle a d’insoutenable. Le
journal Le Monde enfonce de son côté
le clou, en titrant le pardon de la
nation leur est dû, sans s’interroger sur l’inversion hors du commun… La
formule est reprise de ci de là. Les gens veulent se cacher la nature du régime
dans lequel nous sommes et le sort qui nous attend.
C’est seulement
maintenant que je comprends ce que je n’avais pas réussi jusque-là à
m’expliquer, à savoir le suicide des Intellectuels et des Artistes à la montée
du Nazisme. Pourtant avec des anonymes de la rue ou dans les taxis, la notion
de néonazisme n’est pas rejetée. Ils
ne sont mêmes pas adverses de l’idée de notre massacre annoncé ni de la
nécessité de se défendre. Ces tueries s’expliqueraient par le fait que nos
dominants n’ont plus besoin de nous depuis qu’ils ont les machines et
préféreraient bénéficier de davantage de terrains pour être plus à l’aise…
Deux croix gammées
dans le quartier dont une sur le distributeur de billets de la poste.
La Télévision est
devenue insupportable. Deux ou trois minutes sur les ghettos en émeute après
l’acquittement de la meurtrière d’un Arabe qui avait volé. Voyant l’état de
révolte de ces quartiers et de la part de la société qui les entoure
l’indifférence à leur malheur, une drôle de comparaison me traverse l’esprit!
On me bouscule de
plus en plus dans la rue et je dois me surveiller pour ne pas céder
systématiquement le passage, ce que je fais déjà devant les bandes. J’ai même
l’impression qu’on va commencer par tuer les femmes !
La destruction
immobilière marque le pas et le plus gros paraît passé. Néanmoins les nouvelles
boutiques qui apparaissent ne sont plus pour moi. Je n’ai rien à y faire et n’y
entre pas. Les calicots avant fermeture s’accompagnent de propos persiflant Pour cause d’éviction ou Avant destruction de l’immeuble ! Ou
bien encore En raison du non
renouvellement du bail ! Toutes sortes de proclamations qui
n’existaient pas il y a deux mois et dénotent un changement d’état d’esprit
chez les Commerçants. Le pays n’est plus qu’une plainte.
Aux Puces,
l’effondrement du Marché de l’Art est visible, il y a pléthore de tableaux en
vente, et c’en est gênant. Il y a du krach dans l’air et à Vanves, les
Marchands ne semblent même plus croire à la valeur de leurs marchandises. Il
semble que partout l’économique prenne le pas sur tout le reste.
On dénote une
certaine indifférenciation sexuelle, et au Lycée dans les couloirs, il n’est
pas toujours facile de distinguer les Garçons et les Filles. J’avais il y a
deux ou trois ans, attribué cela aux hormones contenues dans la viande produite
industriellement et le Professeur de Physique - à qui je m’en étais ouverte -
m’avait fait la même réflexion. A Carnac l’été 1990, ayant abordé publiquement
le sujet, j’avais déclenché à mes dépens une telle moquerie que je n’avais pas
depuis récidivé.
Pourtant ce modèle
physiologique d’androgyne s’impose dans les publicités. Les hommes se font
photographiés dans des poses culturellement réservées aux femmes, on a
l’impression que leur apparaît des seins et qu’ils portent une brassière
évoquant un soutien-gorge, dans ce cas là bien nommés les soutien-rien !
Quant aux femmes, l’iconographie tente de nous les présenter comme des hommes
féminisés. Une publicité de la firme Ungaro
Parfum pour homme présente un corps sans sexe ni seins avec un chapeau sur
la tête qui empêche l’identification tandis que la courbure des fesses est
féminine. Le fessier est donc le seul signe symbole de la sodomisation à la
mode qu’on tente de nous faire prendre pour la nouvelle norme sexuelle, le même
organe chez tout le monde ! On pourrait multiplier les exemples, il y en a
partout.
Aboulie complète qui
ne ressemble pas au coaltar individuel dont j’ai l’habitude ni à la dépression
de ma jeunesse ou à l’angoisse de mort générée par le cancer. Le syndrome de la
fourmilière désorganisée que j’ai identifié depuis trois ou quatre ans, c’est
encore autre chose. Non ce qui se passe là c’est plutôt une sensation
d’avilissement créée par la publicité qui détruit tout en le pervertissant, aux
glaces sans tain qu’on pose sur les nouveaux immeubles, aux mensonges des
politiciens à la langue de bois, au nihilisme généralisé et à l’empoisonnement
chimique et nucléaire.
Pas un jour au Lycée
sans prise de bec violente sur un sujet que je ne peux pas laisser passer, tant
la société est mise à mal de tous les côtés. Aujourd’hui c’est avec C. W qui
piétine avec un mépris nihiliste l’Etat/Nation et me traite ouvertement comme
une demeurée, ce que je ne supporte pas. Il refuse toutes mes propositions de
constitution d’un Front Républicain ou d’alliance locale sur les problèmes qui
intéressent le Lycée, considérant que ce n’est pas le plus important. J’en suis
choquée et résignée.
La France est comme
biffée d’un train de plume et il faut sans arrêt faire le coup de poing au
propre et/ou au figuré si on veut se maintenir. Professionnellement parlant, le
dernier imbécile venu prétend vous donner des directives de travail. A la
photocopieuse, il faut se bagarrer pour conserver sa place que conteste celui
ou celle qui arrive trouvant abusif que vous prétendiez en user. Les équipes
dites pédagogiques s’avèrent n’être qu’un moyen de contrainte pour obtenir un
travail croissant et homogène sous la direction d’un kapo de plus en plus
vulgaire au fur et à mesure que s’estompe ce qui fut l’Enseignement et qu’on
passe pour délinquante si on n’emboîte pas le pas au technicisme totalitaire.
Comme je demandai à
Marc Beigbeder qu’est ce qui pendant la Guerre les avait les uns et les autres
techniquement décidés à pratiquer une résistance
active, il m’a répondu que c’était de
les avoir VUS. Je crois que là, on pourrait en dire autant et qu’en effet l’insupportable
est bien de VOIR CA, la perte des valeurs
républicaines, de l’idée de Nation, de la langue et de L’Esprit Public. La perte même du territoire par
des gens qui s’installent et ne reconnaissent pas l’autorité du Droit Français
et même nous bousculent pour se faire de la place…
Tentative de
participer avec mon alter ego à la sortie touristique de ses Collègues du
Colloque des Pays de L’Est. Je m’habille très bien et poursuis à sept heures
trente du matin, le reste des courses nécessaires dans une épicerie arabe du
quartier, courses que j’avais commencées la veille au soir en sortant du Lycée.
Mais hélas la
voiture qui a été louée pour cette expédition ne comprend que sept places et
nous sommes huit ! J’aurais bien sûr pu piloter en supplément notre
voiture mais je me voyais mal dans cet aller retour Cergy et Chartres avec des
gens qui parlaient mal le Français. Comprenant également que cela n’était pas
opportun, je me suis désistée avec regret et soulagement.
La brutalité de tous
ces gens-là, le non conformisme de la situation m’ont évoqué La Prose du Transsibérien et confortée dans
l’idée qu’il s’agissait bien d’une Révolution. J’ai constaté là qu’il n’y avait
plus de cadres et que la capacité des monades à s’agréger pour former de
nouvelles constellations était bien le signe qu’on y était ! J’ai eu peur
en découvrant que - comme le dit Aragon - Quelque
part, ça commence à n’être plus du jeu et que le quelque part en question
c’était bien là où nous étions. LA. La sensation qu’une Révolution, c’est bien cela, la vie qui à la fois se poursuit et ne
continue pas. Une métamorphose de chaque moment.
Du coup je quitte
l’hôtel où sont hébergés nos hôtes pour me replier à la Librairie Joseph
Gilbert. Je monte à l’étage où se trouve la littérature et la fameuse car y
sont mélangés les livres neufs et ceux d’occasion, de tous les âges, reliés ou
non. Cela donne une impression d’étrangeté qui me plaît. Sans doute parce qu’on
y a affaire à de l’hétérogénéité ! J’ai le bonheur d’y découvrir mes
livres au fil des années de plus en plus nombreux. Là un Canal de la
Toussaint à soixante Francs, ce qui n’est pas rien lorsqu’on voit dans les
boîtes sur les trottoirs tous ces livres intéressants à dix ou vingt Francs et
dans lesquelles on retrouve les confrères et sœurs qu’on respecte, apprécie et
honore !
Je suis par contre
sidérée de constater l’ampleur du rayon des livres d’occultisme occupant un
espace plus important que la Philosophie, la Psychanalyse et les Sciences
Sociales, tout cela sur le même plan.
Quant au rayon Femmes situé entre Famille et Racisme/Immigration
- pour surprenant que cela soit - ce n’était
malheureusement pas si faux ! Surprise de découvrir également un rayon
troisième âge. Canal de la Toussaint est rangé avec les livres des
Editions des Femmes, alors qu’autrefois tout cela était dans les livres de
cuisine.
J’achète comme
d’habitude des livres pour sauver le patrimoine et me souviens de la
conversation avec Chantalle quelques jours auparavant comme nous disions que
nous nous ferions tuer pour les textes…
Un scandale par jour
lorsque ce n’est pas deux. Une nouvelle norme dont l’effet est catastrophique
sur les élèves, comme lors des faux charniers de Timisoara qui leur avaient
fait perdre comme moi toute confiance dans les médias. Ils ont une image du
monde effarante et je ne peux pas leur donner tort, tout au plus leur dire
qu’il s’agit d’une crise - par définition provisoire - entre deux ordres
fonctionnant l’un avant, l’autre après. En attendant tout est perverti dans
leurs têtes et les institutions sont de plus en plus discréditées, voire mêmes
inexistantes.
Comment leur montrer
qu’elles peuvent être un progrès alors qu’elles ne servent plus manifestement
qu’à une caste pour détourner de l’argent et augmenter ses privilèges ? Je
ne peux même pas faire état de la mondialisation et de la nécrose des Etats
Nationaux, ce que je pouvais encore leur expliquer il y a deux ou trois ans. Le
public est en effet de plus en plus multiculturel et rejetant ouvertement le modèle français.
Cela est dû à la
guerre du Golfe après laquelle leur fidélité n’ayant pas été récompensée par un
surcroît d’intégration, le divorce s’est fait. Et l’absence totale d’esprit
critique ou politique des Elèves n’arrangent rien. Dans ce contexte, mon
charisme personnel sert encore un peu de repère et il m’arrive de retrouver -
au-delà des satisfactions ponctuelles qui n’ont jamais cessé - cette sorte de
ferveur presque prière qu’est l’Enseignement, le don tremblant de l’esprit du
Professeur et de l’Elève, l’un à l’autre.
On n’ose pas penser
que pourrait venir le moment ou le simple fait d’être dans la rue serait
subversif, et pire encore qu’on n’aurait plus les forces pour y parvenir. L’idée
même du mal semble avoir disparu. La Ministre de la Santé Georgina Dufoix -
déjà inculpée dans l’affaire du sang contaminé - a été convaincue d’avoir
touché des pots de vin lors de l’installation de scanners dans les hôpitaux.
Elle s’est défendue en arguant du fait que les campagnes électorales coûtaient
chères !... On croit rêver !
Semaine du 16 au
22 Novembre 1992
Violence croissante
au Lycée dans lequel les Collabos tâchent de prendre le contrôle de tout et de
me vassaliser, ce que je ne peux pas accepter car depuis 1984, je ne cesse de
perdre du terrain. Ils vont jusqu’à surveiller mes lectures et même tentent de
m’empêcher de lire. On me débite sans arrêt dans les oreilles la langue de bois
et la propagande, tentant de m’enrôler dans la récitation du catéchisme, sans
compter les types nouvellement arrivés qui exagèrent tout de même dans
l’exercice d’un machisme qui n’est pas dans la tradition locale de
l’Enseignement Technique, mixte depuis toujours.
CW m’accuse de tribalisme nationaliste et NV de mauvaise foi. On semble avoir renoncé
aux débats traditionnels dans les Salles des Professeurs pour se replier sur le
style bouges et tripots dans lesquels la conversation tourne mal avant d’en
venir à l’action de détrousser et aux coups de couteau. J’ai été médusée de la
haine et de la vulgarité dont ces deux-là ont fait preuve et qui n’étaient pas
tellement dans leur convivialité habituelle. J’ai eu l’impression d’un masque
qui venait de craquer et j’en ai été terriblement troublée, comme ayant vu
quelque chose que je n’aurais pas dû voir.
Enfin lasse
d’entendre dans les Classes Supérieures, les filles dirent que le mot homme comprend aussi les femmes, je lui demande si elle a des couilles ? Allant
ainsi au plus pressé et au plus efficace ! On en rigole et heureusement
mais je ne l’ai dit que parce que je savais pouvoir me le permettre. Il me
semble pourtant que cela relève tout de même de l’état d’esprit que je dénonce
plus haut.…
Conseil de Classe
dramatique en Première Quatre ! La Déléguée des Elèves casse le morceau en
nous disant que l’ambiance de la Classe est complètement pourrie à cause du
racisme. Elle-même est noire et nous explique qu’ils sont ainsi que les Arabes,
en but au racisme ouvert des autres qui les insultent, les traitent de race
inférieure, de sales Arabes etc… Si on a eu dans le passé des soupçons de
racisme, voire une fois une agression physique sur ce thème en vingt-cinq ans
de carrière, c’est la première fois que j’entends éclater le problème en
Conseil de Classe.
La Déléguée s’est
donc largement étendue là-dessus sans être démentie par son homologue, lui-même
blanc. Les Professeurs et le Proviseur n’ont pas cherché à éluder ou étouffer
l’affaire et j’en ai même été plutôt étonnée. Le Proviseur en a été touché,
sans doute parce que lui-même d’origine étrangère. Il a répliqué qu’il ne
fallait pas laisser pourrir la situation et m’a demandé de m’en occuper.
Je lui ai répondu
que je ne m’en sentais pas capable et qu’enseignant déjà le Droit et la
Constitution avec un sérieux inébranlable, je faisais déjà le maximum et ne
pouvais pas faire davantage. Je me suis toutefois retenue de dire que si le
Conseil d’Etat n’avait pas autorisé les voiles islamiques dans les lycées, on
n’en serait peut-être pas là.
Je n’ai pas dit non
plus que ces femmes noires qui se plaignaient du racisme, me déniaient à moi le
droit de dire en classe que la polygamie était incompatible avec la République
Française et qu’elles affirmaient même qu’elles-mêmes étaient pour cette
formule matrimoniale, étant donné l’intérêt que cela représentait de leur point
de vue.
Je n’ai pas répondu
non plus qu’il était un peu indécent d’appeler les pompiers après avoir mis le
feu et qu’il était un peu tard pour s’apercevoir que les Professeurs
Républicains avaient un rôle à jouer dans le maintien de la société
républicaine. Bref, je n’ai pas osé lui dire qu’il n’avait qu’à se débrouiller
avec le marasme qu’il avait créé ! Hélas, de valeureux Collègues se sont
de leur côté proposés pour faire la morale à la Classe !
En termes d’analyse
marxiste, force est de constater qu’ils n’ont plus besoin de nous puisqu’ils
ont les machines et qu’ils souhaitent récupérer l’espace qu’on occupe afin
d’avoir leurs aises pour moderniser
le Pays. Il leur reste également à récupérer les informations de nos gênes et
de nos produits biologiques dont ils ont l’usage, comme ils le font déjà pour
une peuplade d’Amazonie en train de mourir.
Apparemment on a
tout ce qu’il faut… On est nourri, logé, chauffé, distrait et le tout plutôt
grassement. Mais en réalité la nourriture est le vecteur de l’empoisonnement
physiologique et n’ayant aucun goût, d’une dramatique privation sensorielle que
les Allemands avaient infligé comme torture
blanche à La Bande à Baader, cette absence de stimuli menant
à la mort. Cette nourriture n’est pas seulement insipide, elle est aussi gorgée
de produits chimiques qui entraînent une destruction lente mais inéluctable.
Quant à la question
du logement, même en étant si bien installé que pour l’être mieux il faudrait
faire partie de la Classe Dirigeante, on sent bien qu’il est précaire. Les
exemples de Lima et du Caire dont on a vu les splendides maisons du Centre
Ville tomber en ruine, nous informe sur la versatilité de l’Histoire.
A Paris même, je
suis de fait interdite en tant que femme de certains quartiers que je
fréquentais à l’aise autrefois, à cause de la transformation de zone entière en
espace fonctionnant de façon communautaire. Les boutiques se ferment, les
immeubles se murent et des îlots entiers en excavation changent de nature.
On est chassé de sa
ville, aussi bien par les plus pauvres que par les plus riches. En étrange pays en mon pays lui-même aurait
dit Aragon.
Des clochards en
nombre croissant étendus sur le trottoir, des bandes errantes qui se
constituent de plus en plus nombreuses et ce que d’aucune résume par Il y a de moins en moins de différence entre
les clochards et les gens normaux.
S’y ajoute comme
vecteurs de destruction, les immeubles dont les façades sont des glaces sans
tain qui renvoient l’individu à son enfermement personnel et à sa menace d’enfollement, ce que j’ai déjà analysé
comme le refus de l’échange, l’autre se tenant HORS toute tentative de lien
tout en jouissant du spectacle. Ajoutons les portes monumentales et blindées
comme celles des quasi Grands Magasins Virgin et de la FNAC, des
rez-de-chaussée sans fenêtres inventant de nouveaux immeubles en forme de
blockhaus ou au moins bardés de barreaux. Pour les boutiques, des rideaux de
fer qui n’existaient pas il y a seulement deux ans et qui prolifèrent à vitesse
exponentielle faisant apparaître un paysage de guerre dans lequel il devient
malséant et incompréhensible de se promener.
De leur côté, les
affiches publicitaires donnent de l’être humain une représentation
cauchemardesque mettant à sac tout ce qui fait notre univers. Presque chaque
affiche est une insulte et la destruction d’une image de soi acceptable ainsi
que de celle du monde. Il serait indécent de comparer cela aux gibets des camps
de concentration en permanence exposés aux yeux des déportés et pourtant -
mutatis mutandis - dans un autre ordre d’idée, il y a de cela car c’est bien
notre propre destruction qu’on nous fait contempler.
Partout une ambiance
de mort, de scandales, de violence croissante et de mépris ouvert. Le terme Elite est réapparu dans la langue comme
s’il n’avait pas été disqualifié par le Nazisme. Personne ne parle de l’entrée
en vigueur de l’Acte Unique Européen qui dépossède la France d’une partie de la
souveraineté au profit de décisions prises à la majorité au sein de la CEE. Le
pays paraît l’homme malade de l’Europe qu’on a semble-t-il commencer à se
partager.
On se trouve
confondu aussi bien avec l’ancienne Allemagne de l’Est en proie à la pollution
chimique et nucléaire (thème involontaire de mon livre Ton nom de végétal)
qu’avec la Somalie ou l’Asie du Sud Est importée à domicile.
Je perdrais
complètement courage et espoir si je n’avais le sentiment indéfectible de ma
victoire en tant que maternaliste.
D’abord parce que jamais je n’ai fait un cours aussi outrageusement du point de
vue de la mère, sans que les grands gaillards qui sont mes élèves ne protestent
et aussi parce que j’ai établi depuis quelques temps que l’Histoire ne procède
pas par continuité mais par ruptures.
A dix heures du
matin, un orage! Voilà déjà trois ou quatre ans qu’on en essuie maintenant en
dehors de leurs traditionnelles saisons et cela me donne à penser que ce sont
des phénomènes météorologiques qui sont à l’origine de ce chaos militaire du
chacun contre tous dans lequel on plonge davantage tous les jours. Sans compter
l’empoisonnement nucléaire.
Dans l’autobus de la
ligne Trente, mercredi un sourire échangé, avec une vieille femme voilée qui le
matin le prend aux mêmes heures que moi et avec qui donc je voyage depuis
plusieurs saisons avec irritation. Ce sourire là m’a échappé....
Entre la maison et
mon Cours de Gymnastique, une croix gammée. Une autre en descendant dans le
métro à Champerret. On en voit de plus en plus. Faubourg Poissonnière, un
artiste de la rue a dessiné au pochoir Mitterrand au milieu d’une cible en deux
couleurs avec écris à côté, l’inscription Public
Ennemy ! Je suis stupéfaite de cet appel au meurtre !...
Sous couvert
d’opération humanitaire, les Américains préparent un débarquement de vingt
mille hommes en Somalie et la France semble vouloir les y doubler au propre
comme au figuré ! On dirait plutôt une prise de contrôle des matières
premières, d’autant qu’ils se sont déjà bien débrouillés en Mésopotamie.
J’ai l’impression
d’avoir été manipulée par la campagne médiatique et l’opération Riz pour la Somalie qui a été imposée
aux écoliers français ! Je suis d’autant plus méfiante que la cantatrice
avec qui je travaille à un opéra m’a dit Dimanche dernier qu’outre les camps
d’internement pour émigrants à la périphérie d’Amsterdam, elle n’était pas
convaincue de cette famine dans la corne de l’Afrique et qu’elle pensait qu’il
s’agissait en fait d’y installer des camps d’extermination. Ayant déjà constaté
par moi-même l’absence d’émigrants dans la ville d’Amsterdam et en ayant déduit
l’intuition de la réalité, j’ai été fortement frappée de ce qu’elle me disait.
Au Lycée une pomme
lancée de la rue a cassé un carreau immédiatement remplacé. Ce matin deux ou
trois rôdeurs étrangers dans les couloirs du rez-de-chaussée. Les Collègues
concernés ont été un peu émus car cela n’était jamais arrivé !
J’ai dit au Censeur,
embusquée dans l’escalier à surveiller l’énorme porte cochère de la rue : Alors, Madame le Censeur, vous faites le
guet ? Et comme elle me le confirmait, j’ai ajouté : Si vous avez besoin de moi, appelez-moi, au
niveau de la sécurité, vous pouvez compter sur moi ! Emue elle m’a
remerciée car je suis plutôt mal avec elle - et ostensiblement - mais là,
défense du territoire oblige !... On entend en effet beaucoup de bruits de
couloirs concernant des bagarres et des conflits racistes avec entrée
d’éléments extérieurs à la rescousse de leurs potes scolarisés chez
nous!... La Télévision s’est d’ailleurs faite l’écho de l’insécurité scolaire.
Mercredi 9
Décembre 92
La publicité pour un
jus d’orange : Aucun poète au monde
ne peut vous dire à quel point Granini est bon ! Les affiches
détruisent tranquillement tout ce qui est nôtre. Ce sont maintenant les
Intellectuels et les Soixante-huitards qui sont ouvertement dans le
collimateur !
Débarquement
surréaliste des Américains en Somalie au milieu des caméras de Télévision. Une
caricature qui ne déparerait pas dans une pièce à grand spectacle au Mogador ou
au Casino de Paris. Quelques somaliens brutalement tirés de leur sommeil dans
un hangar sous l’œil gourmand des cadreurs. Spectacle d’autant plus scandaleux
et grotesque que les soldats ont le visage peint comme pour se camoufler… Dans
le même temps les Serbes achèvent Sarajevo sans qu’il soit pour autant question
d’intervenir !
La Gare du Nord est
défoncée. Un panneau sur lequel on lit Gare
Station Banhof et le reste à l’avenant, fait un drôle d’effet.
Hier, un reportage à
la Télévision sur le Front Islamique de Salut en France ! On en tombe
raide et cela dure depuis plusieurs soirs lors desquels on essaie de nous faire
croire que le FIS va prendre en main les Jeunes des banlieues et leur imposer
un ordre, des structures, une morale etc… Et on nous présente cela comme la
solution au problème de la délinquance. On y apprend que l’iman du quartier de
la Goutte d’Or est l’un des fondateurs du FIS. On nous montre comme tout cela est
très bien et le Gouvernement très diplomate.
Au vu de tout cela,
je crois comprendre que le Gouvernement compte effectivement sur les Islamistes
pour maintenir l’ordre dans les banlieues et cela d’un choix délibéré qui
ressemble à celui de l’URSS et des Républiques Musulmanes. J’y avais en effet
vu en 1973 la vie publique aux mains du Parti Communiste, comme la vie privée
était de son côté quadrillée par un Islam qui n’a jamais cessé d’y exister.
Marche dans Paris
hier soir, depuis le Lycée Rue d’Abbeville jusqu’à la Gare Saint Lazare. Un
parcours d’autrefois que je n’emprunte plus tellement car il est terrifiant
avec ses boutiques fermées, murées et ses pâtés de maisons défoncées. La
panique redoublant j’en découvre la cause en analysant que les chantiers
tournent même le soir, le soleil couché avec des projecteurs monstrueux et dans
un bruit d’enfer. Tout cela donne un spectacle hallucinant. Dans ces travaux
les Noirs ont remplacé les Portugais. Comme je répercutai à un ami ce surcroît
de terreur que généraient chez moi ces chantiers nocturnes que j’attribuai au coût du
capital engagé, il m’a expliqué que c’était en fait le coût d’immobilisation du terrain
qui actuellement représentait la moitié du prix.
Au Lycée, l’Intendante
est de plus en plus élégante, et au réfectoire à midi, presque en tenue de
soirée. On apprend qu’elle a l’habitude de se faire inviter dans les
restaurants. Elle a proposé cette année une commande groupée de bouteilles de
champagne. Est-ce que cela a un lien avec les quatre-vingt millions anciens
dépensés pour créer une nouvelle bibliothèque, et le ton inacceptable avec
lequel elle m’a dit une fois Vous parlez
trop ?
L’après-midi, une
scène traumatisante comme le Proviseur, le Censeur et la Surveillante Générale
occupent ensemble l’escalier pour barrer le passage aux intervenants
extérieurs. Des discussions tendues entre eux, un élève demandant une
assistance sécuritaire qu’ils paraissent bien incapables de leur offrir. Le
Professeur d’Education Physique avait de son côté l’air de trouver que cela ne
pouvait pas aller ainsi. Le tout dans une atmosphère de black out complet.
Aucune information ne passe, la plupart des Collègues contribuant à cet
étouffement. On ne sait pas ce qui se passe mais on sait que CELA SE PASSE.
Dans les classes,
les Jeunes semblent sortir de leur léthargie au profit d’une lente mais réelle
prise de conscience politique. Les questions qu’ils posent sont pertinentes.
J’effectue une heure supplémentaire non payée de conversation avec les élèves
volontaires, chaque semaine. Conversations intégralement politiques, lors
desquelles je suis au mieux de ma forme et retrouve avec les trois jeunes
hommes qui m’écoutent en 1eTSC1, le fou bonheur pédagogique d’autrefois.
Aux Puces de Vanves,
de plus en plus de marchands homosexuels ouvertement affichés. J’y suis de plus
en plus maltraitée au fil des mois comme si on m’y trouvait déplacée. De toute
façon partout je suis de plus en plus bousculée.
Les glaces sans tain
se généralisent sur les façades et c’est terrifiant car la rue devient une
artère étanche dans laquelle on coule.
Désormais les hommes
aussi se teignent les cheveux et cela a quelque chose de pathétique. Certain
Collègue donne même l’impression d’avoir perruque et implants capillaires…
En Somalie on
apprend que des journalistes ont été agressés, pillés et des Noirs piétinés.
Sans doute les journalistes découvrent ils que la Somalie n’est pas seulement
un réservoir d’images télévisuelles. La situation est assez confuse. Les
organisations humanitaires protestent ouvertement contre les Américains
qu’elles accusent de laisser mourir les gens, comme en avait eu l’intuition la
compositrice de l’opéra.
En plus du bourbier
habituel on nous projette à la Télévision, une douteuse scène de prostituée
quasi lynchée par la foule parce qu’elle a servi des militaires français. Ce
n’est pas tant de la scène dont on est gêné mais de l’attitude des gens qui
l’ont filmé au lieu d’essayer de l’empêcher. Ce sont d’ailleurs les mêmes qui
commentent avec des cris de pucelles effarouchées Cela s’est passé devant les militaires français qui ne sont pas
intervenus. Suit ensuite l’interview d’un gradé français à qui on demande
quelques explications et qui les donne sans rire : On a une mission humanitaire, on n’a pas à
maintenir l’ordre entre les Somaliens ! Je n’ai jamais vu aussi
clairement à quel point les femmes n’étaient pas des hommes, ce qui est de fait
la stricte vérité. Quant à la nécessité de monter cet événement en épingle, on
se pose des questions. On a une fois de plus l’impression d’être manipulé.
Ce matin du
nouveau : Le cheminot responsable de l’accident de la Gare de Lyon qui a
fait cinquante-six morts ayant été condamné à six mois de prison fermes par le
Tribunal, grève complète des Chemins de Fer. Une surprise totale.
A midi, à la
Cantine, steak haché cru sur le thème On
n’a pas eu le temps de les faire cuire, il y a la grève, on n’est que
quatre ! Le tout comme parfaitement normal, sous-entendu… C’est déjà bien beau qu’il y ait une
Cantine !... C’est le même processus de tous les côtés ! Pour un
peu on nous dirait Vous n’avez pas le
droit d’être ici et c’est déjà bien beau qu’on vous tolère… Notre présence
gêne, c’est ce que j’observe partout… La perte du territoire et désormais dans
le Lycée lui- même. Aucune illusion à se faire !
Déshumanisation
complète : Eradication de la langue, de l’art, de la pensée, de la vie
intellectuelle, de l’âme, des affects et jusqu’aux sensations
elles-mêmes ! On retire à l’individu le droit d’être autre chose qu’un
conglomérat physiologique géré par le grand
logiciel pseudo rationnel, en fait
c’est le fantasme du fils de maîtriser la mère….
A France-Culture
dans une émission qui concerne Marseille, on apprend que les Quartiers Nord qui
ont quarante-cinq pour cent de chômeurs sont surnommés Le Bronx et le
seizième arrondissement, Beyrouth.
Conséquence de la
grève surprise des trains, en Classe Supérieure je n’ai dans l’une qu’une
moitié des élèves et dans l’autre, les deux tiers. Du coup, on sort une heure
plus tôt ! Ainsi l’entropie gagne-t-elle de proche en proche. De son côté
un copain, à un colloque à Charleroi, a dû remplacer au pied levé, un Collègue
qui n’avait pas réussi à arriver.
Au Lycée un Collègue
me développe cette explication de la politique d’immigration du
Gouvernement : Ayant échoué dans leur fantasme de socialisme, celui-ci se
rabat sur un fantasme de multi-culturalité et est persuadé qu’il va
réussir, montrant par là la supériorité de leur société !
L’idée n’est pas
inintéressante, d’autant qu’il y a longtemps que j’ai repéré LA FICTION comme
étant essentielle à la société française et particulièrement à sa tête. Le
complexe militaro industriel étant remplacé chez nous par le complexe semantico-juridique.
Cette hypothèse aurait l’avantage d’être moins tragique que la mienne qui y
voit plutôt la volonté d’importer une nouvelle main d’œuvre pour en remplacer
une autre trop chère et trop exigeante avec à la sortie, un système
esclavagiste sur le modèle de l’Afrique du Sud.
Une nouvelle pièce
de théâtre à l’affiche La mort vous va si
bien ! Ce titre à lui seul résume bien l’ambiance de l’époque,
ambiance non seulement mortifère mais nécrophile qui caractérise
l’insupportable air du temps. Dans le mobilier cela donne des fauteuils
capitonnés comme des cercueils et à la Télévision, on ne voit que des cadavres,
des morts, des morts, des publicités, des mourants, du cul (homosexuel de
préférence), des cadavres, des publicités et cela repart. On est d’autant plus
asphyxié qu’il n’y a plus d’autre réalité sociale que la Télévision. On est
donc couvert de cadavres et on vit au milieu d’eux.
Le terme ELITE s’est
imposé en moins d’un mois et est devenu monnaie courante. Il n’y a plus le
moindre esprit critique quant à la signification philosophique du terme. Au
point même que le magazine L’Evénement du
Jeudi titre Danger ! Le peuple
contre les élites ! 93 : Vers des élections truquées. D’autres
mots pour dire ce que je nomme Le
logiciel et la biomasse et que je ressens comme une métastase du nazisme ou
plutôt, le Nazisme étant une sorte de précurseur, une incarnation historique et
ponctuelle de quelque chose qui se généralise ensuite avec le stalinisme et l’ethnicisme totalitaire d’aujourd’hui.
Pantalonnades de la
Haute Cour!... Les tergiversations et volte-face de la nomenclature du Parti
Socialiste et du Parlement sont stupéfiantes. Palinodies disent les journaux N’importe
quoi, n’importe comment mais que cela s’arrête demande Le Monde qui parle d’une journée du Dix Août ou de Juin 40 !
Je ne suis donc pas la seule à faire la comparaison avec les moments les plus
historiques de notre Histoire.
Au Lycée, le
Collègue dont on suppose qu’il a le SIDA a maintenant des tâches noires sur ses
bras squelettiques. Le fameux sarcome de Kaposi, je suppose ! J’en suis
terrifiée ! J’ai vu cela hier à la Cantine en mangeant avec lui. Je suis
stupéfaite de l’absence de réactions des Collègues. J’ose espérer que c’est le
travail de démystification du cancer que j’ai fait pendant dix ans qui porte là
ses fruits mais un ami m’a dit que c’est plutôt parce que les autres n’ont pas
encore réalisé et que lorsque cela sera le cas, ce sera un drôle de
chantier !
Il faudrait tenir un
carnet de la mutation de la langue, visible à l’œil nu si on ose dire. En huit
jours élever a remplacé cultivé pour les plantes. Sans doute,
encore une fois n’y a-t-il plus de différence entre les gens et les plantes.
Précédemment on a vu apparaître segment et segmenter concernant aussi bien les
corps que les pays. Les mots les plus indifférenciés (tels que ceux de centre ou de zone) ont proliféré jusqu’à remplacer ceux de la localisation. Image, message et produit servent à eux trois à nommer tout ce qui circule. Quant
aux problèmes politiques et sociaux, les termes employés sont image brouillée, malaise, problème sensible.
Pour les articulations ont a recours à départ,
au niveau de, et sur. Cela en ce
qui concerne la langue commune aux différentes couches de la société !
Ensuite chacun greffe dessus son argot technique qui de toute façon relève de gérer et traiter les deux seuls verbes qui servent à tout faire. C’est gérer lorsqu’il s’agit d’accaparer et traiter lorsqu’il faut liquider.
Et sur le thème de
la liquidation de la biomasse, la campagne publicitaire de la firme La Mondiale diffuse ce slogan La seule pièce de la machine que nous
assurons, c’est l’homme !
Le magazine L’Evénement du Jeudi parle ouvertement de
Révolution et son directeur Jean François Kahn l’annonce.
Depuis un an
environ, on voit des publicités ouvertement homosexuelles.
Au Musée de la
France d’Outre-Mer, exposition sur l’Ethiopie. Je n’étais pas revenue dans ce
lieu depuis mon enfance et j’en suis émue. Les œuvres d’art exposées dans les
vitrines sont désormais en vente sur les trottoirs des Puces, ce qui fait une
curieuse impression ! Quant aux peintures éthiopiennes, celles qu’en a
rapportées mon alter ego sont plutôt mieux. Les dessins remèdes me donnent à penser qu’ils fonctionnent à la fois
comme une illusion d’optique qui produit des effets sur le psychisme quand on
les observe mais aussi comme des concepts évocateurs d’idées. Notamment un dessin contre les convulsions me parait
assez proche de ce que je perçois de l’hystérie, transformation en maladie du
tempérament prophétique et mystique.
On a greffé un gène humain
sur un taureau pour que les vaches produisent du lait avec certaines
caractéristiques ad hoc. On observe aussitôt une mutation du langage à son
sujet, on parle de filles etc… et de tout le vocabulaire humain. On ne sait pas
quoi penser de tout cela !
Conversation avec
Chantalle concernant la vie quotidienne: La disparition de toute vie, non comme
une métaphore mais une réalité. Elle va jusqu’à dire qu’on a avec
l’homosexualité masculine affaire à une véritable mutation de l’espèce humaine.
J’y ajoute moi notre consignation à domicile, la transformation en machine, la
confiscation que les hommes font du rôle des femmes en les évinçant finalement
de la vie du foyer et en les remplaçant par la Télévision, les réduisant à
l’état de litière et surtout en les instrumentalisant de plus en plus. C’est
dans ce secteur que la mutation me paraît la plus grande. Une sorte d’accumulation primitive d’un capitalisme new look mais dont
l’aggravation de notre condition de femmes semble à la fois les prémisses et la
voie de passage.
Depuis une quinzaine
de jours, déferlement de blagues pornographiques anti-femmes pire que jamais.
Plus que du sexisme, on a l’impression d’avoir affaire à une danse du scalp qui
prélude à un meurtre rituel. Autour de moi l’une des victimes contactée ne
conteste pas l’observation mais la met plutôt sur le compte qu’on ne supporte
plus ce genre de comportement. Avec celle-ci, nos conversations roulent sur nos
luttes ménagères et comme elle est encore plus radicale que moi, cela me
réjouit. On est de plein pied dans le politique. Je crois comprendre que là
aussi une nouvelle structure est à l’œuvre et que la famille traditionnelle
ouvre sur autre chose. Des familles de femmes, fantasme maternel ou biostructure en mutation. C’est l’avenir
qui le dira mais je crois lire dans tous nos actes à nous tous une perestroïka
bio organisationnelle à l’œuvre. On a l’impression d’une mutation plus forte
que nous et qu’il est impossible de s’y soustraire. Il n’y a plus rien entre le
biologique et le métaphysique parce qu’il n’y a plus rien qui ait trait au
social ou à la culture. Sans doute est-ce la caractéristique des périodes de
crise ainsi que plus profondément encore des révolutions et je crois bien que
c’en est une.
Encore un arabe tué
par un CRS à Béziers. Emeutes dans la ville. Les raciales sont de plus en plus
fréquentes et peuvent se décoder comme un commencement de guerres ethniques car
on ne voit plus tellement – étant donné l’état de la société française -
comment cela pourrait tourner autrement tellement les problèmes sont devenus
épais et insolubles. L’évolution heureuse serait l’alliance avec ce que
j’appelle en classe les Arabes Républicains. Mais n’est-ce pas encore
là une vision néocoloniale et de surcroît anachronique, au sens du on n’en est plus là ?
Réveillon de Noël
très réussi après avoir pris tous les risques puisque j’avais invité tout le
monde en même temps !
Au Cinéma désormais,
pas plus de deux fois par an. Cette fois ci ce sont Les hommes d’honneur, une curiosité américaine. L’histoire d’une
bavure chez Les Marines et le procès qui s’en suit. C’est le premier film où il n’y
a plus aucun sentiment ni sensations, une pure machine informatique. Dans la
foulée du film d’Elia Kazan Les Visiteurs
et du Wall Street de je ne sais
plus qui, mais ce qui restait d’humain dans ces deux films là, a là disparu. Ce
n’est plus qu’une machinerie parfaitement huilée.
Quant à la sexualité, elle est évoquée en paroles mais totalement absente des
personnages dont le corps s’exprime plutôt en termes de sport et de postures de
travail. Pire encore, elle se limite à des fellations et des saluts militaires
et bien sûr à des attractions homosexuelles. Tout cela confirme toutes ces
modifications auxquelles on assiste ici. On se prend aussi à penser à ce que
les Français auraient fait d’un tel sujet.
On se réveille avec
dans la tête l’expression un futur de
mort. On en finirait pas de mettre bout à bout les horreurs de la moindre
sortie. Une amie résume d’un tout écorche
et tout cela me paraît encore plus vrai que ce qu’elle dit. Ce qu’ils ne
supportent pas en ce moment, c’est l’écroulement des valeurs morales !
Pourtant ils ne faisaient eux-mêmes aucun effort pour les respecter
lorsqu’elles avaient cours. Ils laissaient ce soin aux fous et aux saints
qu’ils regardaient avec condescendance.
Je ne peux pas
arriver à croire qu’on va faire la guerre à la Serbie et pourtant il n’est plus
question que de cela. La fameuse Trêve
des Confiseurs ne semble même plus respectée.
Dans les rues et le
métro de plus en plus de femmes venues d’Europe Centrale ou des Balkans avec
des fichus colorés, assises par terre et se lamentant en mendiant avec leurs
enfants. Une marée qui monte.
Journée solaire dans
le bout de campagne. Une infinie variété d’oiseaux. Au retour je ne vois plus
la Télévision de la même façon. Le déferlement médiatique habituel ne
m’apparaît plus comme une insupportable image tronquée et torturée de la
réalité mais bien plutôt comme des projections sans signification de pellicules
prélevées n’importe comment, par des techniciens incultes. Peut-être la
Télévision est-elle finalement uniquement cette machine à produire de la vision
et qu’on se leurre complètement en s’imaginant qu’il peut s’agir d’autre chose.
D’ailleurs elle ne s’appelle pas la téléscopie
ni la téléoptie ni la télévisualisation ! Tout était donc
joué depuis le début !...
A la Poste, comme je
demande un Code Postal, on me répond qu’on n’en donne qu’aux entreprises et que
si les particuliers veulent en avoir, ils doivent le demander aux Préposés. Ce
qui fait que c’est impossible pour ceux qui travaillent. Je fais un peu
d’agit-prop sur le mode de la dégradation du Service Public mais en fait il
s’agit de choses plus graves encore : A savoir il semble que de plus en
plus ce soient seulement les entreprises qui aient droit de cité, en étant les nouvelles entités. La
biomasse elle ne serait plus
discernable de l’environnement, lui-même gisement de ressources et lieux
d’aisance.
A France Culture,
une cantatrice avec une voix sublime explique combien c’est difficile de
chanter parce que c’est impudique. Agée de vingt-cinq ans, elle confirme bien
tout ce qu’on constate dans la jeune génération à savoir, tout ce qui relève
des sentiments et du fonctionnement du corps est sale, sauf le tube digestif,
nutrition et défécation tenant lieu de l’unique mode de relation. Le nouvel
idéal est donc le corps comme une machine deshumanisée, le pur robot qu’on voit
déjà par ci par là.
Inventé par les très
chers à la soirée du réveillon, le slogan Noël
aux Balkans, Pâques en Iran !
Hier matin, on a
appris qu’il y avait eu une trentaine d’arrestations et cent blessés lors des
festivités de fin d’année, aux Champs-Elysées.
On s’habitue aux
attentats antisémites qui ont lieu maintenant tous les jours ou presque.
Jusque-là il s’agissait surtout de cimetières profanés ou de monuments
détruits. Mais hier, ce fut l’incendie de la synagogue de Villepinte. Cette
information passe inaperçue au milieu des autres, toutes de mensonges et de
morts.
Persistance de
l’appellation de Monsieur même pour
les Dames, et particulièrement au téléphone. Ma correspondante est choquée que
je proteste. La réponse militaire est-elle de dire Elle à propos des types et de les appeler Madame ?
Recrudescence de
l’angoisse comme s’achève la Trêve des Confiseurs
et qu’on se demande si cela ne va pas être pour de bon la Guerre. Quant à moi
ma conviction est qu’on y déjà depuis l’automne 1989, l’écroulement de l’Est en
étant la première étape et les différents foyers qui se sont allumés de ci de
là, des éléments parcellaires de la redistribution des territoires sur laquelle
- entre parenthèse - j’étais déjà intervenue lors de mon séminaire de Sciences
Sociales en 1988, à Victoria au Canada en Colombie Britannique.
Avec mon ancienne
partenaire de théâtre, conversation de fonds sur la liquidation qu’on nous fait
subir et notre façon d’y résister grâce à la matérialité. Elle par sa
corporalité sportive, moyen comme un autre de maintenir une occupation
structurée du sol et moi en raison de la pesanteur de ces bouts de campagne et
de village que j’ai accepté de prendre en charge pour augmenter la masse de
terre et de pierres à opposer à la décorporalisation
ambiante.
Abominable vague de
froid. L’essentiel des informations roulent sur la météorologie. On nous montre
en gros plan les effets de la neige sur les plantes…. Ce sont à peu près les
photographies des documentaires de Walt Disney dans les années Cinquante. Le
tout alors que l’Europe est à feu et à sang, la France étant au bord de
l’engagement dans les Balkans…
Les sans-abri qui
habituellement crèvent au sens figuré, le font désormais au sens propre !
On les évalue à quatre cents cinquante mille dans toute la France, ce qui
équivaut à peu près à un peuple errant à l’intérieur du pays et dont le
chiffrage laisse médusé ! Plus sidérant encore le
refus des autorités d’ouvrir le métro pour qu’ils puissent se protéger du
froid, ce qui dans notre jeunesse, était automatique dès que baissait la
température.
On est plus étonné
encore d’entendre Jack Lang le Ministre de l’Education Nationale et de la
Culture, demander aux Recteurs d’organiser l’ouverture des Etablissements
Scolaires pour abriter les sans-logis et répéter partout qu’il faut confier la
gestion des gymnases et autres locaux aux Organisations Non Gouvernementales.
Soit il n’est pas au courant du fait que les Elèves et les Professeurs ont
besoin de leurs Ecoles – ce qui serait une explication au malheur qui y règne –
soit il considère que puisque ces établissements sont déjà des hospices pour
Jeunes, on peut y faire entrer les un peu moins jeunes et il faut alors
admettre que l’idée de réunir les chômeurs et futurs chômeurs ne peut que
forcer l’admiration !
Après le premier
mouvement de révolte et d’horreur passé devant la désinvolture et le cynisme de
cette caste de seigneurs qui pressurent de plus en plus les manants pour faire
face à leur goût du pouvoir, leur avidité et leur luxe sans partage, on n’ose
pas penser ce qui pourtant se faire de plus en plus jour : A savoir le
transfert du poids du désastre économique et social sur les Enseignants et la
Jeunesse, renvoyant à quelque chose de connu, l’utilisation de la matière
vivante pour en tirer tout ce qu’on peu avant de la liquider, quand ce n’est pas
les deux en même temps.
Grandeur symbolique
de la réponse du Recteur à l’injonction de Jack Lang, son ministre. A savoir
l’ordre d’ouverture du Hall de la Sorbonne et c’est tout ! Face à
l’obligation hiérarchique d’obéissance, l’opposition du sacré du sens,
non-violence sacramentelle. Puisque c’est l’Ecole qui est convoquée là où ce
n’est pas sa fonction, opposons-lui l’Alta Mater du sens et de la majesté. La
puissance de ce corps de pierre et d’instruction qui opère depuis neuf siècles
protégeant ainsi les Petites Ecoles et les Lycées du surcroît de chaos que leur
Ministre voulait leur infliger.
Au matin, à la Radio
sur Europe N°1, un reportage qui interroge les clochards qui ont dormi à la
Sorbonne, tout en sélectionnant bien sûr ce qu’on veut entendre. Dans cette
conjecture cela donne La Sorbonne, c’est
chauffé, c’est le seul intérêt. Bon moyen de dégommer au passage, les
Intellectuels….
Lu dans une copie
d’élève, cette perle Définition de la
décapitalisation : Action de retirer les capitalistes.
Au Lycée, cette fois
la porte étant ouverte, lorsque le Proviseur est passé devant ma classe et
qu’il m’a jeté un regard noir, la terreur m’a prise. Son bureau étant à côté,
je suis fondée à penser qu’il m’entend, ce que m’avait d’ailleurs dit la Directrice
précédente. La panique m’a prise comme jamais à l’idée qu’il avait entendu le
cours virulent que je venais de faire.
En rentrant j’ai
failli me jeter sous le métro. Il doit y avoir là une analogie avec les
suicides des Intellectuels et des Artistes lors de la montée du Nazisme et de
celle du Stalinisme. Il m’a fallu me raisonner très fort, argumenter avec
moi-même, me bourrer le mou de toutes mes forces comme on le ferait avec une
petite fille pour retrouver un calme qui n’est pas revenu avant vingt-quatre
heures.
Cette panique
totalitaire se produit de plus en plus souvent, de plus en plus profondément et
a de plus en plus de mal à être enrayée. Cette chronique de Sciences Sociales a
même du mal à se maintenir et il n’y a plus d’espace non seulement pour œuvrer
littérairement - mon œuvre poétique Le Jour de gloire étant comme le
dernier livre - mais maintenant c’est l’espace même du discours politique qui
est en train de disparaître, justement parce que la menace, l’intimidation et
la répression deviennent trop fortes. Cela par des mécanismes nouveaux qui
laissent désemparés. Pourtant on ne peut pas dire qu’on soit seul ni même
isolé. Tous ceux avec qui je parle régulièrement vivent cette angoisse et/ou
paniquent de la même façon, qu’on cherche à en parler ou non, cela ronge tout
le monde.
Hier j’ai porté
notre livre collectif (à mon ancienne partenaire de théâtre et à moi-même) La
Rouge Florescence aux Editions de la Découverte, plus par instinct de
conservation que pour le processus littéraire qui là s’est trouvé totalement
interrompu, en raison de l’attitude de ma co-auteure qui ne l’était pas
suffisamment à mon goût.
Les Alliés bombardent de nouveau l’Irak qui donne
des signes de relever la tête après qu’on eu laissé en Place Saddam Hussein.
Mais le plus obscène est qu’après avoir fait des victimes, le raid ait été
utilisé médiatiquement comme un jeu vidéo grandeur nature en se repassant les
enregistrements pour évaluer avec jubilation le pourcentage de réalisation des
objectifs. Après l’opération on n’entend plus comme autrefois le bilan des
victimes mais les indices de la Bourse et le renchérissement des Matières
Premières.
On a l’impression
d’un processus achevé, la disparition du discours médiatique des Humains en
tant que corps physiques vivants. Ils ne comptent plus pour rien. La
dématérialisation de la guerre transformée en cassette vidéo fait froid dans le dos. On parle désormais d’objectifs traités chaque
fois qu’il s’agit d’une mort, une mutilation, une évacuation ou une douleur
quelconque.
Dans le même temps,
la Serbie continue à massacrer et Israël à expulser sans que nul ne s’en émeuve
ou presque et songe à intervenir ! C’est le décalage entre les deux qui
est insupportable. L’expression deux poids deux mesures ne suffit
même pas à rendre compte de la situation.
Je n’ai pas signé la
pétition des Editions des Femmes prévoyant de faire venir en France les femmes
bosniaques violées. Je ne suis pas d’accord pour l’instrumentalisation de la
littérature et pensent que les pétitions qui ne présentent aucun risque pour
leurs signataires ne sont pas aussi politiques que le croient leurs
initiateurs. Je préférerais largement une revendication CONTRE les ventes d’armes
et enfin j’ai laissé de côté les raisons de fond sur le déplacement plus ou
moins opportun des populations et le débat sur les causes et les modalités de
cette guerre ?!
Au sujet du viol
systématique des femmes bosniaques, le verbe employé par les Serbes est traitées. Encore !...
Gibraltar : des
noyés par centaines, tentant de franchir le détroit pour entrer dans la
Communauté Européenne.
Des
Latino-Américains retournent en Espagne…
Des missiles russes
non désarmés sont toujours tournés vers l’Europe et l’Ukraine proteste contre
le fait que la Russie en dispose, seule.
Il faut non
seulement fournir de plus en plus de travail mais pour des salaires réels qui
baissent, moi-même moins douze pour cent en dix ans et mon alter ego moins
vingt-cinq pour cent en douze. De surcroît ce travail est de plus en plus
déshumanisé, informatisé et nous transformant en machine dans lesquelles le
logiciel de Maastricht implante des programmes de plus en plus modernes et
étrangers à ce que nous sommes et qui se substitue à nous-mêmes dans une
aliénation complète. A la différence du monde social d’avant 1968, on a
l’impression d’une mutation biologique.
L’espèce s’agglomère
dans un grand corail technique - comme
je l’avais prévu - mais mon erreur HENAURME est que je n’ai pas pu prévoir la
disparition de l’individu qu’on est pourtant en train d’essuyer et c’est
cauchemardesque ! Il y a bien un peu de matière vivante dans chacune des
alvéoles laissées libres par la technique mais ce petit peu (CA/LA) n’est plus
un individu, c’est une monade qui ne peut se dérober à l’ensemble. Tout cela
dans un réseau de machines qui détruisent car elles mettent au chômage,
désertifient, consignent en place et fonctionnement donnés, électrocutent et
finissent même pas rendre l’humanité obsolète voir gênante.
D’une certaine
façon, quand on voit partout l’extension planétaire de la misère, on peut
penser que Karl Marx avait raison dans sa prévision de Révolution Mondiale.
Mais il s’est lui aussi trompé en ne prévoyant pas la tuerie. Nos erreurs à lui
et à moi est ce que j’ai symbolisé dans Canal de la Toussaint par la
métaphore de l’emplacement du Rio de La Plata et dont j’avais vaguement
l’intuition après mon expérience extrême des traitements hospitaliers.
Enfin et surtout on
baigne dans la mort, tant à cause de la Télévision - massacres, faits divers,
catastrophes écologiques, annonces de destructions diverses - que dans une
ville désormais de verre et de béton, sans rue. Les herses et les grilles se
généralisent dans les rez-de-chaussée et on ne voit pas - sauf
exceptionnellement - des enfants blancs.
Il y a de plus en
plus de Noirs, sans doute les boat people de Gibraltar. En un an, la ville
s’est noircie et si on laisse de côté le racisme car d’une certaine façon c’est
pire, on est pétrifié biologiquement parlant ! C’est le déferlement d’une
population autre. Il n’est plus question d’assimilation puisqu’il n’y a plus de
société. Il s’agit d’une affaire infra-sociale. La vie veut vivre point final et les Sciences Sociales sont devenues obsolètes.
Est-ce ce que Jennifer vivait déjà, lorsqu’elle disait que la littérature
suffisait ?
Publication dans la
Presse de la pétition lancée par les Editions des Femmes concernant la défense
des femmes bosniaques. Ce n’est pas tout à fait le même le même texte que celui
qu’on m’avait proposé de signer au téléphone...
Quoi de plus dégoûtant qu’une image
inutile ? Voilà le
genre de réflexion qu’il m’arrive de me faire en passant…
On apprend qu’un
millier d’enfants ont quitté l’Albanie sans en avertir leurs parents !
Quatre cents ont été retrouvés mais pour les six cents autres, on se demande si
ce n’est pas la Mafia italienne qui les a débités en organes ? Quand on
pense de surcroît à ce qu’on appelle La
Guerre des Cliniques dans le sud
de la France et aux questions qu’on s’était posées à l’époque ?...
Le Code de la Route
n’est plus respecté. Non seulement à l’encontre des piétons, objet d’un mépris
ouvert pour ne pas dire la cible d’un sadisme à peu de frais mais également envers
les autres automobilistes. Laisser un espace avec la voiture du devant expose à
le faire occuper par un autre véhicule agissant avec des manœuvres de l’ordre
de la queue de poisson. Les doublements par la droite évoquent une impatience
chronique mais le plus inquiétant est le matin, la grande difficulté de sortir
de Paris. Sur les avenues de Banlieue, ceux qui veulent entrer dans La Capitale
foncent en occupant trois des quatre voies et encore faut-il parfois se battre
pour pouvoir progresser sur la quatrième. On a affaire à un flot furieux, fort
de sa masse !
Concernant l’Irak,
on entend parler de fessée électronique voire
de ratonnade à l’échelle planétaire.
On est terrifié et décontenancé.
Toujours l’obscénité
des affiches. Notamment dans la campagne pour les voitures Clio. Avec le slogan
Que reste-t-il aux grandes ? Accompagné
de caractères français faussement arabisés avec des points balancés de ci et de
là. Dans le même esprit on voit aussi à la Télévision un émir qui annonce à son
fils qu’il devra renoncer à la Clio parce qu’elle n’est pas assez chère. Quant
à la firme Les Trois Suisses avec la formule Chouchoutez-vous une image à vous accompagnée d’une illustration
montrant deux gamins noirs avec un anneau à l’oreille et leur pantalon à
l’envers, la braguette ouvrant sur la raie des fesses !...
En Conseil de Classe
de 1 TSB2, un Professeur est attaqué par ses Elèves pour manque de dynamisme. Le Proviseur n’est pas intervenu pour mettre
fin au long et pénible échange sur ce thème. Est-ce par sadisme, indifférence,
habilité ou démagogie ?
A la Cantine, comme
on s’inquiétait de la disparition de la langue française en France, un Collègue
arabe a lâché Vous pourrez toujours aller
en Afrique Noire. Je lui ai fait répéter, ce que je n’ai obtenu qu’avec de
l’insistance mais ai tenté sans succès d’en prendre les Collègues à témoin pour
les faire protester. Sont-ils lâches ou bien est-ce moi qui ai mauvais
esprit ?
Comme un cheveu sur
la soupe, le Proviseur annonçant que la vocation des Lycées, c’est
L’Enseignement Secondaire et ajoutant en s’adressant à moi Qu’est-ce que vous en pensez ? Comme je sens venir le coup
fourré je lui réponds Je n’ai pas d’avis
Monsieur Le Proviseur, c’est vous qui dirigez ! Il voit bien que je me
moque de lui et reprend Vous ne voulez
pas me parler ? Et moi de conclure : Vous êtes perspicace !
Une heure après en
Salle des Professeurs, une Collègue nous annonce qu’une de ses amies a
participé à une réunion lors de laquelle il a été prévu de rallonger le cursus
scolaire de deux années - en gardant tout le monde - Baccalauréat ou pas les
deux dernières années. Je ne me trompais donc par en sentant que le Proviseur
amorçait un virage. De fait cela aboutit à un quasi rallongement de deux ans de
la scolarité obligatoire, déjà vide de sens.
Emission de
Guillaume Durand sur l’exécution de Louis XVI en présence du Prince de
Clermont. Commentaire de l’histrion Edern Hallier Louis XVI était meilleur serrurier que Mitterrand n’est écrivain !
Emission joyeuse, presque onirique : réunir sur le même plateau
l’héritier officiel du Trône et Arlette Laguiller leader de l’Extrême-Gauche,
il faut le faire ! La Télévision est là dans sa fonction du Rêver ensemble.
Les Elèves semblent
désormais décider de tout. Il faut se battre pour conserver les prérogatives
qui sont les nôtres. Le tissu totalitaire prend de tous les côtés sans compter
les stagiaires plutôt invasifs au point qu’on se demande s’ils n’ont pas reçu
lors de leur formation, mandat de l’être, sur le thème du Soyez le levain dans la pâte afin de bouleverser les
conservatismes. L’ambiance est insupportable. Ce n’est pas qu’on ne voit pas le
bout du tunnel mais qu’on n’en voit plus les murs et même pas toujours son
propre guidon.
Lors du bilan annuel
à l’hôpital, dans la cabine de déshabillage un graphitage les femmes enceintes sont des salopes. Je
le fais remarquer au personnel qui me remercie pour ce signalement efficace.
Cela me fait chaud au cœur. Le brancardier noir s’emploie à l’effacer et me dit
pour me consoler Ce sont des jaloux. J’en
suis heureuse.
Pour le reste des
examens, je constate que les tares locales se sont aggravées mais que j’ai fini
par m’y habituée. La féminisation croissante du Corps Médical assouplit
l’ambiance mais l’aspect anti-âge et anti-corps semble s’être confirmé. A la
mammographie, on m’y a manipulé les seins comme si c’était des semelles de
crêpes. Je l’ai fait remarquer. Quant au certificat administrativement
nécessaire pour le Cours de Gymnastique on a failli me le refuser. Je n’en suis
pas revenue ! Sans doute à mon âge et avec mon look, cela leur paraissait
il indécent !
Le vocabulaire
lui-même a évolué, on est passé de cancer du sein à mastopathie. Concernant le riche vocabulaire de lésions, nodules et compagnie qui remplaçaient déjà le terme tabou de tumeurs, il est purement et simplement
rénové grâce au vocable des images…Une
sorte de dématérialisation au carré ! Au pavillon de l’hôpital de jour,
les sidéens ont disparu. Les a-t-on mis dans un autre service ou leur a-t-on
réservé un jour ? Les changements de personnel - pourtant le même depuis
dix ans - laisse penser à une réorganisation du service.
Hier après-midi,
émeute royaliste au Quartier Latin ! Les manifestants se sont perchés sur
le Panthéon dont la Police les a dégagés sans ménagement. Ambiance vaguement
soixante-huitarde. Je ne serais pas étonnée d’une synthèse
monarcho-républicaine bonapartiste servant à débloquer la situation, à donner
une leçon à la Classe Politique globalement discréditée et à retisser le lien
national totalement dissous. Sans compter son côté nécessaire dans la nouvelle
distribution des nomes, si on ne veut
pas être rayé de la carte !
Je ne suis pas
royaliste mais il n’y a pas tant de différence qu’on croit entre avant et après
la Révolution et depuis 1789, la République n’a pas été si continue qu’on
l’imagine ! Enfin les Royautés du reste de l’Europe sont plus
démocratiques que nous ! Il ne s’agit pas j’espère - dans l’esprit des
partisans de la Royale Restauration - d’une monarchie
autre que constitutionnelle. Je pense
que cela a l’intérêt de polariser le sacré
dont cela débarrasse ainsi le Gouvernement. C’est parce que François Mitterrand
l’incarne qu’il y a confusion complète et abus de pouvoir. Cette clarification
de la différence entre l’Etat et le Gouvernement ne serait pas plus mal face au
méli-mélo actuel.
Peut-être
d’ailleurs, la République est-elle inopérante pour résoudre les problèmes de
l’heure. Ce qui ferme, clôt une société, la scelle, la fonde est là où elle
renonce à la totalité : En France la Nation, au Canada, le Droit se
retournant aujourd’hui en sens contraire et dissolvant la société. Ici avec
l’entrée d’émigrants non concernés par l’idée de la Nation et là-bas par les
procès gagnés par les Autochtones réclamant la propriété de leurs terres. D’où
la nécessité sans doute d’incarner autrement ce qu’ailleurs on appellerait l’ethnie ou la tribu.
Encore une fois
est-ce l’irruption du Tiers Monde émigrant en rangs serrés qui rend
inacceptable là, la devise Liberté,
Egalité, Fraternité car le partage n’est pas à l’ordre du jour ? Quant
à l’idéal de l’Universalisme,
confrontée au Multiculturalisme de
fait, il vole en éclats, privé de sens. Est-ce tout cela qui nécessite un abandon
en douceur des idéaux républicains ?
La question
coloniale et la décolonisation dramatique sont-elles en relation avec
cela ? Etaient-ce les prodromes de cette incompatibilité technique de la
nation française et de la planétarisation ? La restauration de la Royauté
est-elle la côte mal taillée matérialiste permettant de renoncer en douceur à
la République sans se déjuger ? Comme il n’y a pas de moyen
constitutionnel de se débarrasser du Président actuel - nœud de la perversion
du pays - peut être le subconscient du pays a-t-il trouvé ce biais pour se
libérer de ce qui le tue ? Il ne s’agit pas dans tout cela d’une question
politique mais de quelque chose de beaucoup plus profond. La Royauté ou la
République, c’est toujours la France.
Quant au Code Civil,
il prévoit dans son Article Un, aussi bien Le
Roi que Le Président de la République
et d’ailleurs, c’est le Président de la République qui est entre parenthèses.
Est-ce à dire que cette dualité est connue et prévue ? Et je le précise,
il s’agit là d’une édition contemporaine !... Peut-être y a-t-il aussi
dans cette affaire là quelque chose de l’ordre du mythe du retour du Roi thème récurrent dans la littérature des temps
difficiles auquel il faudrait réfléchir. Que signifie cette espérance, le
retour du sacré, du lien avec la mère, de l’immuable, la régression ?
L’intégrisme religieux n’est-il pas de la même veine ? Les grilles
politiques ne sont peut-être pas les plus efficaces pour appréhender ces
phénomènes.
Sur la question du chômage,
c’est le matraquage concerté de tous les causeurs sur la réduction du temps de
travail comme la seule solution - chacun dans son style - mais tous d’accord
sur le fait que la dite réduction doit s’accompagner de celle des salaires, ils
le précisent sans hésitation. Il n’est d’une certaine façon plus question
d’abolir quelque privilège que ce soit ou de remettre en cause le moindre
fonctionnement social. En tout et pour tout, il n’est question que de
redistribution à l’intérieur même des salariés déjà les moins favorisés. Comme
les postes à responsabilités ne pourront pas être partagés, on voit bien ce qui
se profile… Avec en plus une réconciliation qui ne manquera pas de se faire sur
le dos des femmes, le partage du travail se fera en fait par leur renvoi pur et
simple.
Fabius à la
Télévision Mercredi dernier. Humiliation, malaise et scandale de ce journaliste
faisant la leçon à un ancien Premier Ministre pour l’amener à renier ce que
furent ses idéaux, et cela grâce seulement aux techniques audiovisuelles !
Obscène et de mauvais augure pour la République.
On est étonné que la
végétation soit en retard ! Que font donc feuilles et bourgeons ? On
a l’impression d’être au printemps. Il n’y a pas eu d’hiver hors quatre ou cinq
jours glaciaux, et pourtant on est au mois de janvier. Néanmoins le prunus qui
est face à la piscine Montherlant est déjà en fleurs.
Le Bilan Economique du Monde qui me servait autrefois de base
pour les Travaux Pratiques avec les Elèves j’ai cette année refusé de l’acheter,
étant donné le prix. Qu’en déduire ? Soit que nous nous désintéressons de
notre travail au point de ne même plus lui consacrer un sou, soit nous sommes
tellement prolétarisés que nous n’avons plus les moyens du standing
professionnel de notre travail. Dans un cas comme dans l’autre, c’est mauvais
signe ! Ou bien troisième version qui revient au même - étant donné la
nature actuelle de notre travail - on n’en a pas l’utilité et se serait
gaspiller de l’argent de l’acheter !...
Avenue des Ternes et
de Wagram, des images de cauchemar. Là où il y a trois ans encore, je faisais
un heureux lèche-vitrine plein de la joie d’habiter ce quartier riche et animé,
il y a maintenant des immeubles et des boutiques murées. Au-devant, faisant la
quête, des tsiganes roumains ou yougoslaves par couple ou par famille. J’ai
ainsi entre Etoile et le Carrefour Niel/Ternes compter sept personnes.
Par ailleurs de plus
en plus de désœuvrés à l’affût. L’angoisse de l’agression se rajoute désormais
au reste…
J’ai la semaine dernière
lu l’idée que ce qui différencie le fascisme du totalitarisme c’est une
pratique ! Cette idée me parait juste. Il faut l’avoir expérimenté pour
savoir que cela est vrai, notamment dans les classes !
Au Lycée on s’ennuie
profondément, c’est nouveau et on est de plus en plus nombreux à le dire. Je
n’en reviens pas. C’est une sorte d’évènement inouï et incompréhensible. En
vingt-cinq ans de carrière, cela ne m’était jamais arrivé ! Comme la
cloche sonne, notre Collègue Guitard a une crise de nerfs sur le modèle de
l’enfant qui ne veut pas aller à l’école. C’est à s’y méprendre, quelque chose
d’hallucinant et de tragique.
On ne peut plus
porter un jugement sur le travail d’un Elève sans avoir une émeute ! La
légitimité même de notre travail n’est même pas contestée, elle est niée !
On est dans le complet non fonctionnement. La jeunesse est devenue
incontrôlable sans qu’il y ait apparemment là dedans quoi que ce soit de
politique. Ils ne mettent pas en cause le système, ils en exploitent les failles.
La revendication démocratique - celle de l’Audimat - s’étend à l’attribution
des notes. On a perdu tout pouvoir en classe même si l’autorité demeure en
fonction du charisme personnel, elle ne suffit pas pour qu’il y ait
enseignement. Elle ne sert qu’à n’être pas piétinée. Elle est au service de sa
survie individuelle et non d’une transmission.
Grand énervement
partout. Des massacres répercutés et amplifiés par la Télévision. Inquiétude
pour les Centrales Nucléaires dont les incidents se multiplient. Au Lycée, vent
de folie tant chez les Professeurs que chez les Elèves. Plus un jour en Salle
des Professeurs sans que ce soit la chasse aux Ecrivains. Est-ce la phase
transitoire avant d’en arriver à ma personne ?
Grand énervement
également concernant l’affaire Hoover, la firme transférant ses usines vers
l’Ecosse après des négociations avec les Syndicats Britanniques acceptant la
baisse des salaires et la destruction du Droit du Travail. Non seulement on est
humilié mais on ne peut plus douter que la véritable nature de la CEE soit
celle qu’on craignait. Le pire n’est jamais certain dit-on mais là, il
l’est !
Notre ambassadeur de
France au Zaïre a été tué. On est stupéfait d’être atteint. On ne se trompe
donc pas en les tuant.
Tentative sauvage de
la part de mon collègue de Français Guitard de faire fusionner nos cours. Déjà
qu’il s’en va racontant à nos communes Elèves que je suis un personnage de
roman, cela laisse drôlement augurer de la suite pédagogique !
Une étape
supplémentaire a été franchie dans les publicités. On y voit une mère et son
fils s’embrassant nus sur la bouche avec le slogan Everything must be xxxx ! Mais on n’a pas encore le nom de la
firme productrice de cette abomination. Par contre on graphite déjà, lisant
l’expression de l’opinion publique masculine Toutes des salopes ! C’est vraiment l’art du fusil à deux
coups !
Désorganisation
croissante au Lycée où on constate sinon l’accroissement de l’absentéisme
professoral, une intolérance de plus en grande des Elèves face à ce phénomène
et/ou la démission de l’Institution elle-même qui comme nous-mêmes ne peut plus
résister à la pression des quotidiens remaniements de l’emploi du temps, des
cours déplacés, reportés, quand ce n’est pas comme aujourd’hui, la tentative
sauvage de les faire supprimer sans l’accord de l’Administration qu’on
tiendrait à l’écart de ce fait. Si les Elèves tentent avec moi cette procédure,
c’est que cela doit déjà fonctionner ainsi avec mes Collègues moins rigoureux…
Je m’y refuse
obstinément, mais je suis bien obligée de constater que dans la réalité ce sont
d’ores et déjà les Elèves qui décident de la tenue ou non des cours, qu’il en
est ainsi à peine de rupture et peut être même que cela ne suffira pas à
empêcher la rupture. Il y a là une forme d’insubordination larvée très efficace
qui subvertissant l’ordre de l’Institution menace au-delà de celle-ci l’Etat
lui-même et contre laquelle il est difficile de lutter. Elle est nouvelle,
diffuse, anonyme, communautaire. Il entre dans le comportement des Elèves une
part de bonne foi et de légitimité car victimes eux-mêmes de la dislocation,
ils tentent de limiter leur inconfort.
On observe des
phénomènes analogues avec les Collègues de Bureautique - autrefois nommés
Secrétariat - qui nous donnent à nous les Enseignants des Matières Générales
Français, Langue, Economie et Droit des ordres comminatoires, nous demandant
par exemple de fournir des idées pour une journée Porte Ouvertes au sujet
de laquelle on n’a même pas été consultés. On y retrouve la logique dénoncé
dans ma nouvelle Le Russe et que je
résume par l’injonction Fournissez le
fond nous fournirons la forme !
J’en ai référé au
Censeur lui demandant si l’Administration avait une position globale face à
cette situation nouvelle de destruction de l’emploi du temps. Je l’ai entendue
me répondre Adressez vous à vos
représentants au Conseil d’Administration ! Notons que la dite
instance se réunit trois fois par an sur un ordre du jour fixé à l’avance et
dans laquelle votent indistinctement, les Parents d’Elèves, les Elèves, le
Conseil Régional et le Personnel de Service … Sans compter les Personnalités
Cooptées pour leur notoriété ! Je lui ai alors demandé si j’avais bien
compris que l’Administration déclarait forfait et ne se considérait plus
responsable ni de l’ordre public dans le Lycée ni de la tenue effective des
cours. Elle a ergoté sur le thème que je dépassai sa pensée. Dans mon style
habituel, j’ai affirmé qu’on ne pouvait pas à la fois se laver les mains de ce
qui se passait et prétendre ne pas le faire et j’ai conclu : Je vais me démerder ! Ce qui lui a
permis de se lancer dans un cours sur la politesse comme s’il fallait de
surcroît qu’on le soit avec nos ennemis…
De retour Porte Champerret
dans le métro, de nouveau une nouvelle affiche avec une femme entièrement nue
posant pour La Redoute. Des photographies qu’il y a dix ans, on ne voyait que
dans les magazines pornographiques.
JWW la critique
anglo-canadienne, n’a pas pu se faire recevoir par les Editions. Elle annonce
la liquidation de l’exception française à l’intérieur de la CEE.
Donnant un pourboire
à un chauffeur de taxi arabe, celui-ci me demande avec ironie si je veux une
fiche et comme je refuse, s’en étonne et se moque sur le thème de : maintenant ils se font tous payer le
taxi !... Je prends l’humiliation en pleine face et lui dis simplement
Pas moi, je suis prof sachant
bien que cette réflexion qui renvoyait autrefois à des normes déontologiques ne
signifiait plus rien.
Invitation du P.E.N.
Club à un colloque à Dubrovnik en pleine guerre de la Yougoslavie. J’hésite sur
le parti à prendre.
Des motos de plus en
plus énormes, stationnant ou roulant sur les trottoirs. Encore une confirmation
de la perte du territoire.
JWW : Ce qui tue Victoria, c’est l’apathie et le
Droit ! Parlant d’un Colloque à Dublin où elle intervient, comme je
lui demande sur quoi elle répond : Sur
toi bien sûr ! Alice et toi ! Les deux points obligés de toute
communication, Alice pour rêver et toi pour penser !
L’impossibilité en
ville de trouver des épingles de nourrices. Chez le pharmacien, on me dit que
cela ne se fait plus. Quant au supermarché on ne sait même pas ce que
c’est !
A la Radio, on nous
raconte que la multiplication des gastro-entérites - tout le monde l’a !-
n’est pas une épidémie, que c’est souvent comme cela en hiver et que c’est
parfaitement normal ! On nous conseille quand même d’acheter chez les
pharmaciens les produits qui évitent la déshydratation. Les uns accusent l’eau
de n’être plus potable et les autres qu’on dépose sciemment des germes infectés
dans le métro. On en aurait retrouvé dans des bocaux volontairement
déposés ! Entre la vérité et la rumeur d’une société en délire, comment
faire la part ? Tout cela est à coup sûr le signe de la perturbation de
l’époque…
Ce vendredi soir on
est accablé par l’ambiance mafieuse de la société, les mises en examens, non
lieux et prescriptions concernant des membres de la classe politico médiatique.
Atmosphère irrespirable sans compter le scandale qui commence à apparaître
autour de Bérégovoy, Pelat et Cie…
Je me rappelle avoir
lu dans Hannah Arendt que sous le Nazisme, c’était la terreur permanente pour
chacun. Peut-être là est ce pareil, dans un autre ordre d’esprit, cette terreur
panique que je vis depuis l’affaire du Koweït et que je prends pour des affects
personnels étant en fait partagé par tous. En tous cas elle l’est par mon
ancienne partenaire de théâtre, par Chantalle et les quelques-uns du Lycée avec
qui je peux en parler. Peut-être l’Histoire fera-t-elle apparaître que c’était
en fait cela chez tout le monde. La terreur de voir notre monde s’écrouler, nos
valeurs disparaître et de comprendre qu’on n’avait pas de place dans le monde
en train de s’installer dans les classes et dans la ville avec une brutalité
sans précédent.
Quant au discours
qu’on nous tient sur la liquidation déjà réalisée de la France, il est
insupportable. C’est comme si on disait à quelqu’un qu’il est déjà enterré
alors qu’il lutte de toutes ses forces pour survivre car c’est bien de cela
dont il s’agit aujourd’hui.
Je reçois un coup de
fil d’un ordinateur qui me déroule une publicité pour une agence de voyages et
me somme de répondre par oui ou par non aux questions qu’il va me poser.
Première question Prenez-vous des
vacances ? Et comme je reste
coite, il reprend Je n’ai pas
compris votre réponse… Je reprends…
et devant mon silence obstiné, raccroche !... On en reste pantoise…
A France Culture,
deux très belles émissions. La première, toute la semaine au petit matin :
Cinéma-Vérité et Grand Angle, notamment ce samedi ci Ouvriers par conviction qui traitait des Etablis soixante-huitards, le tout dans des termes eux-mêmes
d’inspiration révolutionnaires sans la moindre nostalgie, mais bien plutôt
comme des éléments de la culture, à savoir ce dont il s’agit, ce que c’est
effectivement et non ce que ce fut et qu’on essaie en vain d’expliquer aux plus
jeunes et qui pourtant demeure.
J’y apprends – ce
que je ne savais pas - à savoir qu’il y avait déjà une trentaine d’établis lorsque qu’éclata Mai 68 et
qu’il y en eu en tout, un ou deux milliers. Mais en les
écoutant, ce qui m’a frappée dans l’émission était leur totale simplicité,
les termes ordinaires dans lesquels ils parlaient de leur héroïsme. J’ai tout
de même été étonnée d’entendre dans leur bouche le terme élite qui s’est imposé depuis.
Sortant de dix jours
totalement consacrés à des entretiens avec une critique canadienne, je suis
plus radicale que jamais mais un peu exaspérée de sa volonté de domination
américaine et du refus de notre différence française irréductible à l’univers
anglo-saxon, à savoir notre lien avec le monde. Ce qui nous lie à la judéité et
nous rend jacobin. Ne perdons pas de vue que si le Régime de Vichy collabora,
c’est parmi les pays occupés par le Nazisme, en France que la plus grande
proportion de Juifs a survécu.
A France Culture
toujours, une émission concernant des chansons un peu rouges, notamment une
nouvelle version pastichée de l’Internationale mais pas tant que cela. On y
apprend au passage que Monthéus a servi de vedette américaine à Lénine…
Comble du cumul à la
Télévision : A L’Heure de Vérité sur
la 2, De Virieu reçoit Valéry Giscard d’Estaing, et dans le même temps réel sur
la Quatre, Denisot le reçoit pour expliquer comment il a préparé
l’émission !...
Le premier
accablement au Lycée, c’est la nécessité de faire le coup de poing pour pouvoir
passer dans l’escalier ! Si on ne s’écarte pas, les Elèves nous bousculent
et ils ne s’excusent pas. Pour des raisons évidentes, on résiste à
l’installation de ce fonctionnement et du coup toute l’énergie de la journée y
passe.
Après, à la Cantine
c’est l’offensive de la nouvelle vague de Collègues qui vomit les Professeurs
Républicains jamais aussi clairement qu’aujourd’hui et comme si on ordonnait
sur un plan qui s’instituait hiérarchique qu’on ne débatte pas, tout en faisant
en même temps, une propagande éhontée pour l’idéologie de l’Ecole au service de
l’Entreprise. C’était si répugnant que j’ai dû me lever en emmenant mon
assiette et mes couverts pour me réinstaller à l’autre bout de la longue table
qui est la nôtre, afin de marquer le coup. Nicole Souhaut m’a suivie. On peut
prendre cela pour un acte politique, et cela en est un.
Il faudrait écrire
l’équivalent de L’Etabli de Robert Linhart pour dire ce qu’est la vie
quotidienne dans le Lycée.
En classe, je passe
aux Elèves la cassette du film Wall
Street pour la première fois… Mais après l’affaire Hoover de la semaine
dernière, cela prend une tournure sinistre. C’est bien effectivement le même
monde, sauf que dans le film, la loi et la morale triomphent, les escrocs
confondus vont en prison alors que dans l’affaire Hoover, la loi n’interdit
rien du tout au contraire, la CEE a tout organisé et le Traité de Maastricht va
encore en rajouter… Le film lui se termine, c’est une fiction mais dans la
réalité la France reste avec ses usines qui s’en vont et ses pauvres de plus en
plus nombreux. Ce sera bientôt nous, si rien ne renverse le cours de cette
liquidation.
Ajoutons à cela la
propagande pour le retour des femmes à la maison, propagande de plus en plus
offensive, y compris de la part de certaines qui sont bien contentes qu’on
mette au pas celles qui avaient entrepris de démontrer qu’on pouvait peut-être
faire autrement. Tout cela est obscène.
L’impression d’une
victoire militaire chaque fois qu’on se retrouve assise dans le métro roulant
vers le boulot ! C’est qu’on sait d’avance ce qui va se passer. Suite au
jugement en appel de Correctionnelle du conducteur du train accidenté à la Gare
de Lyon, ses Collègues se sont mis en grève pour le soutenir. Il n’y a donc pas
de train de banlieue et il suffit d’écouter les pourcentages de grévistes pour
connaître celui des Elèves absents… et comprendre qu’on ne pourra pas faire
cours. Finalement, sous des causes ou des prétextes divers, il n’y a plus une
seule journée où il n’y ait pas au moins un cours qui soit perturbé et je ne
parle ici que de la tenue administrative qu’on peut définir comme l’avoir lieu, la simple rencontre des Professeurs et des Elèves dans la
même salle avec la disponibilité de part et d’autre !
Quatre fois sur cinq
la nourriture de la Cantine est insupportable. Le plat principal est presque
toujours ce que j’appelle du serpent
surgelé, un infâme conglomérat en pâtés reconstitués qu’ils nous servent
maintenant régulièrement. J’ai protesté, peu soutenue comme d’habitude. J’ai du
coup une explosion de rage révolutionnaire.
Comme à leur
habitude les Elèves me bousculaient sans s’excuser, cette fois devant Reine
Visconte, celle-ci en a attrapé un par le col et l’a obligé à le faire. J’ai
alors dit à la Surveillante Générale qui était déjà à ce poste comme je suis
arrivée en 1975 au Lycée Siegfried A la
Libération, je témoignerai, vous aurez la médaille pour la bataille…Elle
coupe court d’un en chocolat…
Je projette Wall Steet aux TSC2. Mais la différence
avec le cours de la veille aux Premières d’adaptation est terrible. Là où hier,
les jeunes rigolaient très à l’aise aux bons moments et en appréciaient les
finesses, leurs aînés visages catastrophés suivent le déroulement de l’affaire
dans un silence religieux et une terreur sacrée. Ils semblent découvrir et en
être bouleversés.
Des horreurs sur
tous les fronts : En publicité, un torse d’homme lacéré de fléchettes à
parfum, un mannequin en posture de Saint Sébastien.
Comme on décharge
les ordures dans l’une des grandes bennes prévues à cet effet, quatre personnes
se pressent contre le coffre de notre voiture pour en saisir ce qu’on va en
sortir… On est obligé de leur dire qu’il n’y a rien d’intéressant
- ce qui est le cas - mais tout de même vaguement inquiets d’un moment
d’inattention qui permettrait à leurs mains de plonger dans nos sacs de voyage.
Des firmes
nationalisées rachètent Adidas à Tapie comme auparavant Saint Laurent à Pierre
Bergé. On est écœurés. Ils ne cherchent même plus à se cacher et/ou à donner le
change. Tous les rossignols sont rachetés par un Etat lui-même en faillite et
la rumeur publique parle ouvertement de la camora
mitterrandienne et autres joyeusetés du même ordre. Atmosphère de fin de
règne. Les rats quittent le navire et on entend le bruit des vestes qui se
retournent. Ce n’est plus de l’angoisse mais une sorte de débâcle d’un genre
nouveau, surtout si on pense à la facture qu’il faudra acquitter.
Explosion des images
de synthèse. On met sur les yeux des gens de vastes lunettes complètement
hermétiques et monstrueuses rappelant celles dont on aveuglait les prisonniers
sous le Stalinisme comme on le voit dans le film L’Aveu. Dans les deux cas l’objectif est le même : faire
perdre le contact de la réalité et affoler.
Roland Dumas s’en
prend aux juges : Il faut mettre fin
(ou quelque chose d’équivalent) à ces
juges politiques qui s’en prennent au Pouvoir ! Que faut-il
comprendre ? Qu’il réclame que la caste politique soit au-dessus des
lois ? Il a aussi une jolie expression : La Justice est sortie de son lit !...
Il neige !
C’est inattendu après un hiver qui s’est résumé à huit jours de froid ! Je
n’ai pas sorti mon manteau. Je n’aurais ainsi pas à le faire
nettoyer, économie de temps, d’argent et d’énergie ! On en est
là ! C’est une époque d’avarice ! De toute façon presque tous les
gestes d’ouverture et de bonté se retournent contre soi. Au bas mot, on ne vous
dit pas merci et si on le fait remarquer, on se fait houspiller. L’Humanisme lui-même est devenu en tant
que tel, incompréhensible ! Ce n’est pas vraiment une nouveauté mais
redoutable, au quotidien.
L’implantation de la
Mafia en France semble désormais
officiellement admise.
Dans le Tarn et
Garonne, un tiers des agriculteurs sont en faillite
Quilès nous explique
tranquillement à la Télévision que les deux tiers des émigrants clandestins ne
peuvent pas être reconduits à la frontière parce qu’ils n’ont pas de papiers et
qu’on ne sait pas où les renvoyer…
Une ouvrière disant
que les salaires féminins sont plus faibles que ceux des hommes pour le même
travail. Et comme on lui demande ce que cela lui inspire, elle répond : De la haine !
Reprise au Lycée
après quinze jours de vacances dont neuf dans le bout de campagne. Vague de
froid : Dans l’autobus Quatre Vingt Quatre presque vide, cinq manteaux de
fourrure dont trois en vison !
Ces langues
étrangères qui se parlent librement sans qu’on ne fasse même pas l’effort comme
autrefois de parler la langue du pays. L’idée même de la langue du pays ne
semble plus avoir cours. On est dans une sorte de Babel triomphante dont les
gens ne comprennent même plus ce qu’on pourrait avoir à dire là-dessus ou pire
encore, à critiquer.
Vu dans le métro un
touareg la tête enroulée dans un voile bleu avec un anorak à la mode ! La
surprise a été si violente et le choc si perturbant que peu à peu l’esprit a
réagi en se persuadant que cela ne pouvait pas être un touareg alors même qu’il
le voyait. Ceci à verser au dossier des mécanismes du déni.
Toujours cet effort
pour essayer d’inventer des outils d’économie et de politique pour traiter les
problèmes de l’émigration toujours et toujours plus affluente. Pourquoi –
puisque on a établi qu’il n’y avait pas en
soi un droit de propriété sur le sol,
mais plutôt sur les aménagements déjà réalisés, pourquoi ne pas mettre en place
un système analogue à celui des primes d’émission pour les augmentations de
capital, celles-ci ayant pour but de faire rejoindre la valeur des actions
nouvelles nominales avec la valeur réelle des anciennes confortées par les
réserves ?
Dans la pratique, je
ne sais pas comment cela pourrait se faire, puisque ce sont des pauvres qui
émigrent et à qui il est impossible de demander d’apporter un capital qui
correspondrait à cela. Néanmoins cette analogie permet de comprendre le sourd malaise qu’on éprouve devant cet afflux, cela sans préjudice
des autres composants.
Parmi ceux-ci il y a
bien sûr l’introduction dans la société française de pratiques défavorables aux
femmes, le voile, la polygamie, l’excision. On ne peut donc pas voir cela d’un
bon œil d’autant que loin de régresser ces comportements s’affirment au contraire
au fur et à mesure que se dissout l’Ordre Républicain. La seule amélioration
réside dans les condamnations pénales pour l’excision ce qui n’est pas rien, on
a assez lutté contre elle. Le malaise alors redouble comme on nous fait la
morale sur la tolérance, c'est-à-dire la nécessité de bons sentiments par
rapport à cela alors que dans le même temps, si on se préoccupe des droits des
groupes ethniques, on ne se préoccupe pas des droits des femmes et d’autant
moins qu’ils sont menacés par l’installation des prétendues communautés.
Un élément du
malaise est que les gens évitent de se regarder dans les yeux, voire même de
manifester qu’ils se tournent les uns vers les autres pour engager la
conversation. Ce n’était pas comme cela autrefois la preuve arrivée au Chili en
1987, c’est cela qui m’avait douloureusement frappée.
A la FNAC,
consternante apparition d’un rayon dite de littérature
juive à côté de la française, allemande, italienne etc…
Les affiches
obscènes continuent. Des hommes en posture de se sodomiser à la queue leu leu
et déclarant On aime toutes les quatre
vingt boutiques du Palais des Congrès. Chez Chanel c’est la photographie
d’une bouche entrouverte et renversée absolument obscène etc…
Je vais chez
Calman-Lévy rechercher un manuscrit et découvre des installations restées telle
quelles sans doute depuis 1900. Emerveillée de ce spectacle je dis au
magasinier qui me remet mes papiers : Surtout
ne rénovez pas ! Et lui de me répondre en rigolant ça risque pas !
Au Lycée depuis la
pétition contre le torchon sale, il y a un an, l’ambiance s’améliore et
l’affection est en train de reprendre comme autrefois, le dessus ! Il y a
même une vrai vie intellectuelle en train d’y renaître et d’autant plus que
deux Collègues très désagréables sont partis et quatre nouveaux arrivés,
intelligents…
Le Printemps a
brutalement éclaté hier après quatre jours de soleil. On a vu sortir les
terrasses de café, ce qui me réjouit toujours. Il n’y a pas eu d’hiver, un peu
comme dans le Bassin Méditerranéen. On ne fait que travailler avec résignation
et stoïcisme. Toutes les autres activités ont disparu. C’est un peu comme dans
les aéroports lorsqu’une fois, séparé des autres toute une vie est encore
possible bien qu’on ne puisse plus retourner et que la zone de transit ait sa
propre spécificité.
J’ai terminé
l’adaptation de La Baisure pour en faire un livret d’Opéra à la demande
d’une cantatrice. Et j’ai décidé de ne plus accepter aucun engagement avec qui
que ce soit. On pourrait bien sinon finir par perdre le contrôle de son propre
travail, ce qui serait à proprement parlé l’aliénation.
A France-Culture,
sublime émission sur la typographie, j’apprends des termes d’argot : Faire chauffer de l’eau pour s’accouder
au marbre et ne rien faire, visser un
ours pour entreprendre une conversation dans un coin avec un camarade et
datant du dix-neuvième siècle Une copie à
la belge pour une copie déjà faite.
Hier Dimanche, à la
Télévision, Elisabeth Badinter plus radicale que je l’aurais cru a notamment
déclaré : Pendant que les hommes
sont là à regarder cette émission politique, les femmes sont en train de
rentrer du marché en tirant leur caddy avec des idées de meurtre dans la tête. J’en
ai eu le souffle coupé ! Je crois n’avoir jamais - même dans ma bouche à
moi - entendu des propos aussi exacts et aussi terribles sur les rapports des
hommes et des femmes !
Un baromètre de la
régression dans les affiches de publicités. Autrefois on associait les femmes et
les voitures, maintenant elles sont présentées comme des rivales…
A la Cantine au
Lycée, un Collègue arabe proclame que cela
ne sert à rien de baiser plusieurs femmes parce qu’un trou est un trou !
On en reste confondu, d’autant plus qu’il a dit cela devant deux Collègues et
moi-même. NB se moquant de Grimbert parce qu’il avait une chemise colorée et la
magnifique posture d’un d’oiseau à la parade, à tel point que j’ai dû prendre
son parti car toute humiliation qui a lieu, est aussitôt la mienne. En effet
d’une certaine façon chaque humilié témoigne de l’aspiration à la dignité de
tous les autres membres de l’espèce… Enfin une chose étonnante l’Intendante
plaçait les tables à la cantine et balayait avec la secrétaire réquisitionnée
plus ou moins légalement, en raison de la Grève des Agents. On sent bien que
bientôt ce sera nous. Déjà à Torcy les Professeurs sont considérés comme
responsables de la propreté des salles.
Concernant les
Elections, le soulagement mauvais de voir l’échec du PS, juste sanction de leur
abus et dans le même temps, l’accablement de savoir que ce qui vient sera pire.
Le vertige de la chute. Le lâche soulagement de l’abandon. Ce n’est pas
renoncer mais déplacer le front de lutte.
Quant à la
littérature, la non sortie de mon livre Ton Nom de
végétal que j’ai déposé aux Editions il y a seize mois et pour lequel je
n’ai toujours pas de contrat bien qu’ayant déjà corrigé les épreuves, me remet
dans l’état d’esprit de 1985 où avec Canal de la Toussaint, la vie
littéraire elle-même me paraissait mortelle !
Campagne d’affichage
de la firme de lingerie La Perla sur les panneaux Decaux. Belles images de
dentelles bien qu’en raison de l’air du temps, la sexualité en soit exclue. Je
pense à leur fils que j’ai eu comme élève au Lycée il y a quelques années et
qui s’est suicidé. La publicité faite par les parents lui a survécu !
Qu’est-ce qu’un
écrivain officiel ? Peut-être les Quarante qui selon le récit des médias
ont été convoqués au Ministère de la Culture puis menés en autocar dans un lieu
secret où ils devaient rencontrer Salman Rushdie. En fait l’Arche de la Défense
en présence de Jack Lang !! Lequel Salman Rushdie a été condamné à mort
par la Fatwa de Khomeiny en raison de la publication de son livre Les
Versets sataniques dans lequel il se moquait de Mahomet. L’étonnant dans
cette affaire est que la France seule parmi les pays occidentaux, n’a pas
soutenu l’écrivain libéral ! Elle a même quatre fois en quatre ans, refusé
explicitement sa demande de visa alors que d’autres pays comme l’Angleterre lui
offrait protection, garde et défense… Et voilà… In extremis qu’à trois jours de
la fin du régime, Jack Lang par coup publicitaire accepte de le recevoir, lui
l’écrivain pourchassé !!
On est honteux de
voir des écrivains se prêter à cette manigance. Ce sont justement ceux-là qu’on
appelle les écrivains officiels parce qu’ils sont aux ordres et qu’ils
cautionnent le pouvoir d’une aura intellectuelle fallacieuse en échange de
privilèges d’existence : confort, revenu, audience, facilité de
publication et divers bonheurs matériels. Quelques personnalités politiques
étaient là à la demande explicite de Rushdie pour qui c’était une condition
sine qua non.
Boulevard de
Courcelles rénovation d’un immeuble en pierre auquel on ajoute de véritables
balustrades en pierre, comme à Malte.
On perd l’habitude
d’acheter le journal, rien n’y parle de nous !
Deux techniques de
résolution des conflits la Démocratie et le Droit !
Les Collègues se
plaignent que les Elèves ignorent les règles du verbe AVOIR. Que n’essaient-ils
de leur enseigner celles du verbe ETRE !...
Premier effet du
résultat des Elections donnant une victoire massive à la Droite. Les Elèves
noires toutes à trac, me demandent où elles peuvent prendre connaissance de
leurs droits par rapport à la police et
tout ça ! Je les aiguille vers La Ligue des Droits de l’Homme.
Concernant le rejet
massif du PS par le pays alors qu’on ne peut tout de même pas dire que leur
bilan n’ait pas quelques points positifs, n’est-ce pas parce que cela se situe
sur un autre terrain ? Il me semble que la légitimité du pouvoir réside
soit dans l’hérédité, soit dans la transgression mais dans un cas comme dans
l’autre en référence à la filiation, c'est-à-dire dans la continuité du groupe.
Si le PS est presque honteusement chassé, n’est-ce pas parce qu’ils n’ont été
ni l’un ni l’autre ? Leur prétention à installer des Réformes qu’ils
qualifient eux-mêmes de modifications irréversibles, cela étant comme le paradigme
du refus du temps. SR comme le prototype de cette génération post
soixante-huitarde qui a les dents longues sans avoir combattu l’ordre ni même
l’avoir connu. D’où ce sentiment obscène de ramener le monde à soi, l’inverse
même de la transcendance. La négation de l’Histoire. La matrice du
Révisionnisme dans le sens justement de la révision
de la matrice pour s’assurer après un accouchement qu’elle est
effectivement vide.
Après quatre jours
de paix, déferlement médiatique inattendu entre Mitterrand et les nouveaux
élus, bagarre indécente lorsqu’on voit la gravité des périls et des problèmes à
résoudre. Au-delà s’ouvre le débat sur fond d’une Europe qui n’est plus qu’un
Marché Commun qui rend non pertinent le clivage Gauche/Droite... C’est ce que
j’appelle dans La Pensée Corps un pôle,
à savoir non pas un thème établi par rapport à des catégories antérieures et
qui en rendent compte, mais une émergence nouvelle qui impose ipso facto une
restructuration des catégories. On peut d’ailleurs se demander si ce n’est pas
le début de la dislocation qui atteint sur des bases ethniques, l’ensemble du Continent. L’ethnie française étant
évidemment l’ensemble des Républicains et des Monarchistes pour qui l’attachement
au pays et à ses structures a un sens.
Dans la rubrique
l’Art de la Publicité, Axion nous offre une série de gros plans sur les fesses
des joueurs de rugby de l’équipe de France. Fesses couvertes d’un short
excessivement collant avec évidemment le type dans la position qu’on imagine…
L’une des affiches présente même le short déchiré avec une vue intégrale sur…
La Télévision
présente ce matin trois films comportant trois meurtres. Je suis terrifiée de
cette expérience régulièrement répétée. On ne peut plus ouvrir cette Chose qui aurait pu être un instrument
formidable, sans être mortellement intoxiqué.
Résultats des
Elections Législatives : avec quarante pour cent des inscrits, la Droite a
quatre-vingt pour cent des Députés et n’aura donc de freins que sa propre
retenue. Le Président Mitterrand et le Premier Ministre Balladur semblent faire
l’effort de ne pas en rajouter face aux périls extérieurs de l’Est et du Sud,
car il semble que ce soit maintenant la Révolution et la Guerre - mondiale dans
les deux cas - puisque c’est l’Economie-Monde en voie d’achèvement qui nous a
menés là où nous en sommes. Vue à Gournay en Bray la veille du premier tour
accrochée à un pavillon, une grande banderole Elections : Piège à cons.
Communiqué de la
RATP : en douze mois soixante-quatorze agressions de voyageurs et quatre
cents seize d’agents de la RATP ayant donné lieu à des incapacités de travail.
Hier, deux réunions
de propagande insupportable sur le thème de Mise
en place de la Réforme et Formation
Economie/Droit lors de laquelle en trois heures et demie, on nous a lu le
Programme (pratiquement le même qu’auparavant) et annoncé que la nature des
épreuves n’étaient pas encore fixées. Enhardie par l’atmosphère d’émeute qui régnait
chez les Collègues, j’ai été encore plus virulente que d’habitude. Néanmoins,
partie à la fin de la matinée, je me suis dispensée de l’après-midi, préférant
me rendre à la réunion du Lycée concernant notre Projet d’Etablissement tout
aussi minable et totalitaire. Plus serviles que jamais les Collègues rampaient
à qui mieux mieux.
Quant à la prétendue
Commission Culture (sic), elle a été noyautée par la nomenclature invasive dans le plus pur style des groupuscules des
années soixante. Pour manifester ma désapprobation, j’ai été obligée de quitter
les lieux, suivie par Chantalle. On a peut-être tout simplement affaire à des
fascistes…
Un Arabe tué dans un
commissariat à la Goutte d’Or à Paris.
On apprend
incidemment d’autres meurtres qui ont eu lieu la semaine dernière, qualifiés
aussi bien de bavure quand ce sont
les Policiers qui ont tiré que de légitime
défense lorsque c’est du fait des
Commerçants ! Quant aux agressions dans les Lycées, elles sont devenues si
communes qu’on ne s’en émeut même plus ! Tout cela a des allures de
guerre ! Face à cela, la recommandation du Ministère d’être prudent avec
les armes de service, a quelque chose de choquant ! Le meurtre ne fait
même plus scandale ! Hormis durant la Guerre d’Algérie, je ne me souviens
pas qu’on tuait ainsi dans les Commissariats avec des armes à feu. C’est
d’ailleurs à la Guerre d’Algérie que font penser les images du Quartier de la
Goutte d’Or fermé par des cordons de CRS ! Le Ministère de l’Intérieur a
demandé aux Proviseurs de signaler les Elèves difficiles !? Au Lycée, les
Collègues semblent s’arranger assez bien de cette ambiance meurtrière et dans
les classes, refus complet de la mise en cause des clandestins dans leur
rapport avec la déperdition de l’idée même de légalité.
En quatre jours, les
Policiers ont tué trois Jeunes dont un Arabe et un Noir. Un témoin parle des
rafles qui depuis un moment ont lieu à Barbès. Le fait est que la station de
métro a été dégagée. Hier soir les bagarres entres les Jeunes et les Policiers
ont fait vingt blessés. Profonde angoisse due à la sensation d’un début de Guerre Civile qui pourrait bien devenir Ethnique.
Confirmation que
dans la translation culturelle, ce qu’on appelle ici le politique s’inscrit en Amérique du Nord
en termes juridiques. Mais en fait ce
n’est pas contradictoire ! Si le Droit était ici rigoureusement respecté
comme il l’est en Amérique, on pourrait y trouver une forme du respect de
l’Egalité ! Les hommes naissent et
demeurent libres et égaux en droits. C’est ce principe que je ne cesse de
travailler avec les Elèves. Il y a une réflexion à mener sur l’origine du
Libéralisme et toutes les connexions connectantes. Les droits pour tous équivalant à une forme d’égalité que le politique
ici, incante sans succès. Ces temps-ci, une vraie fiction !
On peut de la même
façon se demander s’il n’y aurait pas une translation
culturelle possible entre le Nord et
le Sud. Ces dernières se pensant en termes religieux ou claniques peuvent
pratiquer ainsi une autre forme de politique dans la mesure où cette solidarité
permet d’imposer la prise en compte de l’existence de ces ceux-là. Le grand challenge d’aujourd’hui est sans doute
l’articulation de ces langues différentes au sein de la mondialisation. Il
faudrait pouvoir créer un dictionnaire. D’une certaine façon, c’est à cela que
mon œuvre s’emploie et ce sera en tous cas l’un des éléments du Tome Deux de
mon ouvrage principal La Pensée Corps. A savoir l’application de la chaïque au sens social.
Plus angoissant
encore le discours dominant qui pour trois meurtres en quatre jours parle d’incidents policiers et de bavures.
Dans le même temps, on parle d’état de grâce concernant le Gouvernement
Balladur… Pourtant le bilan de l’émeute est de vingt-sept Policiers blessés, et
de deux Journalistes, sans compter quelques pillages. Un toxicomane est mort
dans un commissariat. Tout cela se passe tout près du Lycée et dans ce qui a
été le quartier de mon ascendance paternelle.
Encore un incendie
nucléaire en Sibérie et de nouveau un nuage radioactif.
Hier, un autre
toxicomane décédé dans un commissariat par éclatement de la rate. A
Blanc-Mesnil un lycéen assassiné par balle devant son établissement ! De
toute façon, la violence scolaire n’est même plus prise en compte ! Un
incendie volontaire, noté pour mémoire. Pourtant la situation dans les Collèges
de Banlieue fait enfin la une du journal Le
Monde ce qui n’est pas trop tôt mais
on craint au contraire qu’il ne soit trop tard. L’étonnant pourtant est que les
Policiers impliqués dans les violences aient été suspendus et même le meurtrier
du zaïrois immédiatement inculpé et envoyé en prison.
Par ailleurs forte
augmentation des prix.
A la suite de tout
cela, trois jours de manifestations et de pillages dans le dix-huitième
arrondissement à Barbès, Gare du Nord et Boulevard Magenta, bref tout autour du
Lycée.
Aux Etats-Unis, en
Afrique du Sud et en France, des meurtres et des émeutes. Des Guerres Civiles
qui sont des Guerres Raciales. Une ambiance crépusculaire. Cela tient de la
Tour de Babel, du naufrage et de la fourmilière irradiée. Bavure encore à
Cherbourg, coup de feu, mais pas de décès. Par contre le libraire de la Cité
des Quatre Mille à La Courneuve est mort de ses blessures après avoir été
agressé.
Climat général de
violences policières. Les banlieues sont à la Une et c’est encore là qu’a lieu
le changement le plus notable. On est passé du silence et de la déshérence de ces
quartiers à la dérive à un quadrillage policier qui terrifie étant donné
l’allure qu’il prend assimilant radicalement l’immigration et l’insécurité
comme Le Pen l’a martelé pendant des années. Malaise complémentaire de celui
que générait le Parti Sociale qui menait une politique ultra libérale tout en
se prétendant de Gauche…
Expédition à
Montmartre où je ne suis pas allée depuis trois ans ! Je déjeune à une
terrasse Place du Tertre. Je plonge dans un passé qui me laisse incrédule,
obsédée par Le bruit du temps d’Ossip Mandelstam. Je suis persuadée que
je ne trouverai la paix que lorsque j’en aurai écris l’équivalent sur le monde
disparu. Mais j’ai toujours quelque chose de plus urgent à faire ! A moins
que ce genre de choses ne puisse s’effectuer que lorsque la rupture est
consommée ce qui n’est là pas le cas puisqu’on continue à espérer.
Je ne sais pas si
j’ai déjà écris dans cette chronique l’idée que j’avais que la déstructuration
de l’URSS n’avait pas été un acte autonome mais une réponse à la décomposition
de l’Occident. Comme si le durcissement n’avait plus été nécessaire puisque
l’ennemi lui-même ne pouvait plus menacer ! Comme si l’URSS avait été
créée justement pour s’opposer aux tentatives de pénétrations Occidentales. La décomposition
de l’Occident serait-elle due à l’arrivée massive et accélérée d’émigrants,
eux-mêmes générés par l’accélération des communications, phénomène
techniquement sans précédent ?
Apparition de
l’expression La Bosnie Orientale, inaugurant
le partage. L’ONU semble vouloir réagir. Ultime hypocrisie.
Apparition de la
mode Grunge qui signifie à la fois clochard et rien à foutre ! Par
exemple l’absence de lacets aux chaussures mais moi-même je ne porte plus de
chaussettes pour simplifier l’habillage. Du coup on se voit brutalement et par
hasard à la mode. Mais n’est-ce pas un camouflage sociétal de la misère
ambiante ? Dans un monde dans lequel ni l’Humanité ni l’Etre Humain n’ont
plus de place à quoi bon rester beaux, dignes et propres si l’humiliation est
permanente ? C’est en cela qu’il y a l’œuvre un processus
concentrationnaire et fécalisant. La mode grunge
en serait alors la récupération médiatique et optimiste.
Dans cet ordre
d’idées, l’ouvrage de Bourdieu sur la misère en France satellise le terme de relégation qui me parait très juste pour
couvrir tous ces phénomènes d’abandon social consécutifs à l’instauration du
dualisme (la fracture de la mise en place du sous-développement). C’est le
commencement de la destruction de la partie de l’Espèce Humaine devenue inutile
depuis la généralisation du machinisme. La relégation étant alors dans cette
perspective le prélude à l’extermination.
L’angoisse de mort
est presque toujours présente désormais ! Défaite complète de la Bosnie Herzégovine
abandonnée par les Occidentaux. C’est l’ONU qui désarme les Musulmans. On est
troublé de cette collusion objective.
Une semaine passée
dans l’Aveyron fait apparaître que non seulement la société y est beaucoup
moins déstructurée qu’à Paris mais qu’au contraire depuis presque vingt ans
qu’on la fréquente, elle ne cesse de se reconstituer. Au village les maisons en
ruines ont été relevées et des enfants y sont nées qui les habitent. Cent
cinquante personnes étaient là pour l’enterrement de Madame L que je n’ai
jamais vue que faire l’aller et retour entre sa maison et la fontaine. Emotion
au vu de son mari et de ses trois fils adultes, tous dans la plus profonde
affliction. J’ai lors de l’enterrement été frappée par le terrible sérieux de
tous ces visages, et de l’éclatement brutal de la joie de vivre qui a repris
les uns et les autres dès que cela a été terminé !
Sur la route, à
mi-chemin du retour à la capitale, visible de l’autoroute, deux anciens camps
militaires désaffectés manifestement remis en état. Cela m’a paru de mauvais
augure sans qu’on sache à qui ils sont destinés.
Epouvantable reprise
au Lycée où je me fais cueillir à froid par une classe en insurrection, parce
que je mets les zéros que j’avais annoncé avant les vacances, à ceux qui ne
pourraient pas fournir leur répertoire. Ce dictionnaire des termes de base que
je leur fais constituer est l’outil essentiel de notre travail et doit
normalement être tenu au jour le jour depuis la rentrée scolaire. Les huit zéros
attribués sont un record, si on excepte les situations de conflits collectifs
auxquels j’ai pu avoir affaire dans le passé. Mais l’émeute est telle que je
suis obligée d’expulser les Elèves les plus virulents et de m’engager dans des
échanges très violents que je n’avais pas prévus puisque je cherchais seulement
à faire fonctionner l’Enseignement. Or la chose étant d’ores et déjà devenue
incompréhensible aux Jeunes, leur douleur était bien réelle et a rejailli sur
moi, mon humiliation étant redoublée du désordre effectif du groupe, comme si
j’avais manqué à mon premier devoir pédagogique.
Les Serbes
continuent à avancer vers l’Ouest. Les Musulmans n’ont pratiquement plus aucune
terre. Comment ne pas voir ce qu’on voit ? Quid de la métaphore du cirque
Zingaro à savoir l’Opéra équestre dénommé Les
Georgiens et les Berbères.
Hier, suicide de
Pierre Bérégovoy dont on peut - étant donné le contexte - craindre
l’assassinat. Mais c’est confirmé, on est terrifié de ce sinistre épilogue à la
déjà triste dérive des Années Mitterrand. Il y a là dedans une sorte de
tragique constat du caractère incontournable de la morale. Fallait-il une
victime expiatoire à la tragédie du pays ? Les petits camarades du Parti
Socialiste ont-ils eu besoin d’un bouc émissaire pour purger leur commune
culpabilité ? Pierre s’est-il le Premier Mai, souvenu de son passé
militant et devant la situation du pays, ne l’a-t-il pas supporté ? Ou
bien est-ce le bien connu blues des artistes lorsque s’éteignent les feux de la
rampe et qu’ils se retrouvent seuls face à l’ingrat quotidien ?
Au Lycée, Collègues
et Elèves chuchotent leur croyance en un assassinat mais cela ne va pas jusqu’à
une parole franche sur ce thème. On sent bien que c’est la peur et l’Omerta qui
règne. Mitterrand ne produit aucun communiqué et le journal Le Monde titre Le suicide de Pierre Bérégovoy suscite dans le pays un trouble profond.
Dans le bus Quarante Trois, une femme dit aussi qu’il a été tué. Drôle
d’atmosphère.
J’analyse également
que si Bérégovoy est mort c’est que n’étant pas d’extraction bourgeoise, il n’a
pas eu par rapport à son propre comportement, la distance et le cynisme qui
sont des caractéristiques de la bourgeoisie et qui lui permettent de toujours
se tirer d’affaires quoi qu’il arrive dans un hors-sol à l’opposé
de l’honneur, lié de son côté à la loyauté et à la transmission.
Prise de bec avec le
Censeur qui entend - comme le Directeur l’an dernier - faire porter le débat
sur mes qualités et mes défauts et non pas seulement sur mes actes. Je l’ai
envoyé sur les roses car la dérive est désormais de nous faire passer du bourrage de crâne totalitaire quotidien à une tentative de direction
de conscience dont ils ne comprennent même pas ce qu’elle a de
révulsant. Il est impossible de le leur expliquer, l’Institution qui
fonctionnait encore il y a dix ans n’est pas vide mais désormais complètement
emplie d’autre chose.
Quant à
l’Intendante, elle entendait que ce soit moi qui installe à la place du
magnétoscope, le lecteur de cassettes que le Proviseur avait commandé à la
CAMIF ! Je suis entrée dans une violente colère sur le thème qu’on nous en
demandait de plus en plus pour être toujours plus maltraités et que j’avais par
ailleurs fait la demande d’un véritable service d’audiovisuel. Elle me dit
qu’elle le fera installer par un agent de service qui n’y parvient pas et après
m’avoir fait croire que c’était fait, passe le relais à un Elève qui n’aboutit
pas davantage. Tout mon cours est perturbé, de l’une de cent manières de dysfonctionner
qui sévissent du matin au soir, usent, épuisent et désespèrent…
Enterrement de
Pierre Bérégovoy dans la cathédrale de Nevers. Discours offensif de Mitterrand
accusant les chiens d’être
responsables de ce décès. On est choqué mais troublé par sa colère car si elle
est feinte, il est très bon comédien et fait croire à son émotion. Vient l’idée
qu’il a pu seulement être poussé au suicide pour lui faire endosser la facture
de la dérive politique et pour s’en servir comme d’une carte supplémentaire. On
ne sait pas quoi penser d’entendre jouer La
Chanson de Lara extraite du film Le
Docteur Jivago qu’il avait dit aimer beaucoup et s’il faut se laisser aller
à l’émotion, ou bien s’il s’agit d’une propagande montée de toute pièce.
Rapport sur l’état
financier du pays : trois cents quarante milliards de déficit pour le
budget et cent pour les organismes sociaux. On annonce donc une augmentation
des impôts pour boucher les trous… On est confondu et désemparé.
L’extermination des
Musulmans bosniaques continue, on est pétrifié. L’impression cette semaine de
passer en dessous du seuil lors duquel la lutte est encore possible et que
l’achat d’un bout de campagne était mon dernier acte.
Tragique
conversation avec ma dentiste à deux doigts de mettre la clé sous le
paillasson. D’accord sur nos analyses, nous nous disons clairement l’une à
l’autre que nous allons à la mort !... Elle emploie le terme de déchéance
et j’en suis pétrifiée. Je lui parle de ma clochardisation. On rit, pas même
jaune ! Son rire est comme un jardin de lilas. Elle est d’accord sur le
fait que nous sommes en dessous du seuil que je ne sais pas nommer mais qui
correspond à quelque chose d’essentiel. C’est peut-être désormais une
impossibilité de se projeter dans le futur engendrant donc une impossibilité de
la fuite et peut être même d’une certaine façon de la lutte elle-même. Non pas
l’acceptation de la mort mais plutôt la conviction de ne pas pouvoir y
échapper. La découverte de son inéluctabilité et à partir de là,
l’impossibilité technique de la lutte elle-même. Comme si la vie nécessitait
que la mort soit voilée et qu’elle n’était plus possible lorsque ce n’était
plus le cas.
En Première
d’adaptation on croit avoir tout vu en matière de cause d’absentéisme mais
aujourd’hui c’est le clou : On s’exonère en me disant Ma copine a été violée et l’Hôpital m’a demandé de rester avec
elle !... Fermez le ban !
Au métro Arts et
Métiers, une bande de six clochards avec des coiffures de corsaires et sur
l’autre quai une femme voilée. Pas un seul agent de la RATP, là où autrefois il
y avait de deux à quatre poinçonneurs, sans compter le Chef de
Station !... Que les temps ont changé ! Puisqu’on verse des
indemnités aux chômeurs pourquoi ne pas les utiliser à rétablir un garde ou
deux dans chaque station ?
Partie avec mon
ancienne partenaire de théâtre pour le petit bout de campagne, son minicar de
onze ans est tombé en panne de vieillesse, évoquant l’abandon qui menace de
tous côtés et même a déjà commencé. Après la panne d’embrayage, le dépannage du
garagiste et le lamentable retour en train vers Paris, chargée lourdement des
deux sacs d’affaires que j’emmenais pour aménager petit à petit, j’étais
vraiment furieuse de voir transformer cette partie de champêtre coûteuse à tous
points de vue et durement gagnée, en pensum. J’en ai tiré ma conclusion
habituelle sur dans la conjoncture, la nécessité d’un repli individuel. Non
comme une ligne juste théorique mais comme la seule possibilité pratique. Le
malaise grandit tous les jours dans un pays qui s’écroule par pans entiers. On
ne sait pas comment faire face à cette angoisse d’un genre inédit.
On est envahi par
des publicités ordurières : un homme caresse le haut du sein d’une femme
suivi des images d’un camembert crémeux ! Dans une autre les bouteilles de
Contrexéville sont identifiées à des personnes. Les corps humains sont
représentés comme des choses. C’était déjà le cas, avec la voiture présentée
comme une rivale en amour. Il y aurait un livre à faire sur les processus
d’avilissement des gens qui dans l’ordre cybernétique ne sont même plus
évoqués. Les notes prises dans ce carnet pourraient y servir mais sont bien
loin d’y suffire et je n’ai pas le temps de faire davantage.
Je ne lis plus qu’Esprit et Le Monde Diplomatique. J’écoute France
Culture, Les Grosses Têtes de RTL, Le Club de la Presse de RTL et Europe N°1 ainsi
qu’Elkabbach. Hier soir obscénité de BK prenant le tournant et collant en duo
aux basques de l’Abbé Pierre. On avait honte pour lui.
La Radio nous
repasse la joie populaire manifestée le Dix Mai 1981 et le Chant de l’Internationale. C’est tellement
sinistre que j’éteins le poste. Je me souviens d’une chilienne qui à cette date
m’avait dit qu’au Chili la liesse avait été la même et je suis accablée de
découvrir que par des chemins différents, le résultat n’est pas loin d’être le
même à savoir la destruction des structures traditionnelles, l’introduction du
dualisme et l’ouverture sur le commerce extérieur. Je me rappelle aussi que
lors de mon voyage au Chili en 1987 ce qui m’avait frappée, c’était à quel
point les gens étaient mal habillés. Cela devient mon cas. Est-ce le secret de
la mode grunge ?
Pesante ambiance au
Lycée, sans doute en raison du débat sur la restriction de l’acquisition de la
nationalité française. En 1986, les Collègues et moi-même avions signé une
pétition pour défendre nos Elèves qui sont de nouveau dans la ligne de mire et
cette fois on ne voit rien émerger qui aille dans ce sens ! Moi-même -
quoique désapprouvant le projet - je suis lasse et sans courage. J’ai lu hier
un article de Jean Ziegler Le Bonheur d’être suisse où lui-même disait
n’en plus pouvoir et ne plus se faire aucune illusion sur les forces qui lui
restaient ainsi que sur la sinistre coupure entre les Collaborateurs de l’Ordre
Mondial mortifère et les Combattants.
J’ai maintenant la
certitude que les Elèves (au moins un) enregistre régulièrement mes cours, et
que je ne suis pas paranoïaque. Il est possible que ce soit seulement à des
fins pédagogiques sauf que les cassettes ont ensuite leur autonomie
d’existence. Mais il y a déjà un moment que j’y réfléchis et je n’ai pas trouvé
d’autre solution que de laisser faire sans rien dire…
J’ai découvert que
les petits camarades de la section de BTS Comptable dont je fais pourtant
partie ont établi une grille de répartition des heures entre eux, sans même me
mentionner ni non plus une autre Collègue et en remplaçant les classes que je
pourrais éventuellement assurer par des points d’interrogation ! Je ne
suis pas encore rayée de la carte mais on sent que cela vient. Cette découverte
améliore incontestablement la chaleur affective ambiante ! De toute façon
voilà neuf ans qu’ils essaient de m’éliminer et ils y ont déjà réussi à moitié.
Rapide mais décisive
conversation avec quelques élèves de TSC2 qui semblent découvrir l’ampleur de
la débâcle du pays. L’un me dit à propos des Octantes : C’était un cadeau empoisonné, je ne crois
plus en rien ! Cette jeunesse en ruines me serre le cœur ! Les
démagogues sont des criminels ! Et comme les Elèves me parlent de Mai 68,
je leur précise que le contexte n’a plus rien à voir, et qu’il faut qu’ils
essaient plutôt de parler avec leurs Grands Parents qui eux, ont vu la Grande
Crise et le Nazisme !...
Dans la Salle des
Professeurs, les Collègues sont effondrés parce qu’ils découvrent la question
de leur Retraite à la suite du Plan Balladur ! Voilà une saine mesure… si
elle a au moins cet effet là de leur faire entrevoir qu’âgés, ils vont toucher
des queues de cerise alors qu’ils ne commencent qu’à découvrir la baisse de
leur niveau de vie. Quant à l’euthanasie qui nous attend, elle est totalement
en dehors de leur champ mental.
Conversation avec un
cher ami qui admet enfin ce que je lui dis depuis dix ans, à savoir que la
politique de la France est comme au Chili l’ultralibéralisme et le monétarisme,
avec tout de même la différence que comme personne ne s’y oppose, il n’y a pas
besoin de mettre les gens en prison. En effet ici le mensonge, la propagande,
la démagogie hédoniste et consommatoire suffisent à faire tenir les gens
tranquilles. Je retrouve les mêmes regards fuyants de terreur et d’accablement
que j’avais vu à Santiago en 1987.
On raconte à la
Cantine qu’à la Commission d’Admission en BTS Comptable dont j’ai été exclue,
lorsque le Proviseur est passé Christian F lui a dit triomphalement Les Africains on ne les prend pas, on tient
à nos taux de réussite ! Quant à Bolo, il joue au caïd, et se prend au
jeu de la répartition des services. Il parait même qu’il note les
Collègues ! Quant à Madame Ponsart elle a programmé son congé maladie et
désigne celle qui doit lui succéder. Laquelle ne se sent plus de fierté.
Du coup la rage me
prend et je dénonce en pleine Salle des Professeurs, ce système de caïdat dont je précise que c’est celui des taules, de la pègre et des camps ! Deux
Collègues femmes me soutiennent comme elles peuvent, tiraillées entre leur
panique à l’idée de se révolter et le désir d’être soulagées des exactions
qu’elles-mêmes subissent. J’apprends ainsi qu’il y a un certain nombre de
petites combines concernant la répartition des heures, combines ayant des
incidences sur les charges de service et sans doute aussi sur la paie.
Les Editions des
Femmes n’éditeront pas Ton Nom de végétal dont j’ai pourtant déjà
corrigé deux jeux d’épreuves très compliquées pour diverses raisons techniques
et déplorent mon absence de signature de la pétition de soutien aux Femmes
Bosniaques. Je n’avais déjà pas signé celle concernant la femme birmane qui a
eu le prix Nobel de la Paix car je ne connaissais pas la situation.
Toujours dans la
rubrique de l’accélération de l’écroulement du pays et du passage du
quantitatif au qualitatif, c’est désormais la certitude que les capitaux
délocalisés ont abandonné la France pour l’Asie du Sud Est. C’est à la
Télévision ce que nous montrent des reportages complaisants. Les Français
restent sur le carreau et on a l’impression que le pays tout entier est une
ville ouverte.
Concernant ce qui
est arrivé à Ton Nom de végétal je dois faire face à toute la logistique
pesante concernant la nécessaire reconversion du manuscrit pour un autre
éditeur – eu égard à la codification numérique de certains paragraphes - et
fabriquer en même temps d’autres exemplaires car je n’en avais plus. Les
complications sont immenses, heureusement j’obtiens de ci de là des soutiens
pratiques. Visite aux Editions de Minuit. Par bonheur la secrétaire était la
même, elle m’a reconnue et cela m’a aidé à franchir le cap.
Brusque
désertification du Lycée comme chaque fin d’année. Mais elle me met mal à
l’aise car elle s’accompagne comme à chaque fois d’une fausse effervescence qui
ne couvre que le vide des examens et leur trucage. Une sorte de pantomime
grimaçante devant une salle déserte face à laquelle de mauvais acteurs
ressasseraient des morceaux d’un rôle dont ils auraient oublié la
signification. On est là, dans l’insensé, au sens fort ! C’est le triomphe
de la nomenclature techniciste totalitaire mais en même temps, c’est son échec en raison de son
impuissance à entraîner l’adhésion du milieu instruit et cultivé qui quoi que
réduit de fait à une totale impuissance marque tout de même la distance voire
le mépris, ce quelque chose qui empêche l’enfermement complet.
19 Mai 93
Au Lycée des
automates avec des moulins à prière pédagogiques. Il n’y a plus de milieu entre
les golems et les humains. On n’en n’est pas encore aux
injures mais on sent que cela pourrait venir puisqu’il n’y a plus de sujets de
conversation en dehors pour les Uns,
de la propagande qui occupe de plus en plus de terrain et du refus de céder des
Autres qui se sentent de plus en plus
poussés vers la sortie. On imagine même par moments qu’on pourrait en venir aux
mains… De mon côté j’ai déjà décoché deux coups de poings pour qu’on veuille
bien cesser de m’y tourmenter!
Revenant de la
campagne par le train et débarquant à Paris Nord, ma première vision dans le
souterrain menant au RER a été un homme qui sautait le portillon et un panneau
lumineux devant un micro indiquant Alarme !
Quant à l’aspect crépusculaire il m’a sauté aux yeux dans cet agglomérat
d’ombres sans beauté ni gaîté. J’ai eu la violente envie de faire demi-tour et
de regagner ma cambuse mais je me suis retenue pour limiter ma désinsertion.
Ce n’est pas
Dimanche, la promenade aux Buttes Chaumont avec ma famille qui va m’aider à me
raccrocher à ma vie ancienne car une bande de jeunes arabes - enfants et pré
adolescents - m’a jeté une pierre qui m’a atteint à la tête. Avec la jeune
personne qui était avec moi, nous avons courageusement protesté avant de nous
trouver en face d’eux en posture assez agressive !... La phrase correcte
serait seulement J’ai été
caillassée ! La cause en était sans doute ma tenue vestimentaire,
petit haut noir en dentelle…
Publicité tous les
jours plus obscène : Une femme enceinte sur une machine à laver avec le
slogan qu’il s’appelle Arthur ou Martin,
ce sera un heureux évènement ! Quant à celle de la firme Aubade elle
est horrible ! Une paire de seins en super gros plan occupant toute
l’image avec un soutien-gorge comme pourrait les voir un homme qui aurait le
nez collé sur les formes en question, avec le texte suivant : Leçon N°1 Donnez lui un peu d’ivresse…Sous
entendu vous ne savez pas vous y prendre, faites un petit effort ! Et sur
d’autres affiches, on voit un fessier dans le même en super gros plan, avec une
petite dentelle enfoncée entre les fesses avec cette fois ce texte : Leçon N°2 Prenez le par les sentiments.
Là aussi on reste sans voix de cette croissante et permanente humiliation.
Concernant les
difficultés d’édition de Ton Nom de végétal, finalement ma position se
résume très bien par la phrase de Prévert Embauché
malgré moi dans l’usine à idées, j’ai refusé de pointer !
Violence à tous les
étages. Des forcenés, des Policiers mais aussi dans ce qu’on appelle les
quartiers où de jeunes Arabes ont d’après ce qu’on dit, chassé les
dealers ! S’agit il des premiers effets du FIS ? Je m’étonne tout de
même que la Police ne soit pas intervenue et en quelque sorte, abandonne la
souveraineté nationale sur ces espaces là. Je crains l’évolution vers des
enclaves, l’administration intérieure en étant confiée aux ethnies. Une sorte de cantonisation ?
Dans tout cela l’horrible est qu’on s’habitue à cette nouvelle situation.
Depuis un mois on zappe la Yougoslavie et en même temps je suis hantée par les
images des Musulmans évacués en camions. Ce convoi avec ces gens debout, tassés
comme une botte de légume ! Et cet espace exactement régulier entre chaque
véhicule. Une vision de terreur !
Une ambiance de fin du
monde. Fin d’un monde. Le nôtre ! Des licenciements
par paquets de mille partout ! On ferme pour rouvrir ailleurs. Cette impression
que j’avais il y a deux ans - au printemps 91 - quand on a commencé à voir les
boutiques fermées côte à côte et des immeubles détruits par pâtés entiers,
tandis que nos maîtres partaient avec la caisse, semble donc confirmée.
L’Histoire a un côté
roulette russe. On peut aussi bien émerger de cette phase dans un
« après » magnifique qui rendra sans importance les souffrances
endurées, qu’être balayés avec ou sans dislocation dans l’indifférence
générale. Cet aspect aléatoire, confronté à l’ampleur des enjeux jette sur tout
ce qui se passe une lumière surréaliste. Les Parques filent notre destin,
peut-être est-il déjà tracé et nous continuons pourtant à lutter aveuglément
comme si nous allions vivre…. Dérisoire et grandiose !
Une publicité
Lancel : Vous savez les enfants, si
vous oubliez la Fête des Mères, le Père Noël pourrait s’en souvenir – Votre
Maman qui vous aime ! Suite une liste de cadeaux avec le prix !
Mise en vente des
firmes d’Etat. Diminution du nombre des fonctionnaires. Augmentation des impôts
etc... C’est l’Ultra-libéralisme dans la liquidation qui inexorablement
continue.
La Mafia a fait
sauter le cœur historique de Florence. On croit rêver !...
Le Quartier
Courcelles se couvre de grilles et de herses. On dirait La Paz qui m’avait fait
si grosse impression en 1969. Sans doute pour les mêmes causes : une telle
inégalité sociale que les Riches ont besoin de se protéger des émeutes….
Obscénité maximum de
l’indécence de cette petite société qui se pavane du Festival de Cannes à Roland
Garros, provoque presque et en tous cas nargue la population. Mais quand en
plus ils se font entourer de femmes nues et qu’avec la Télévision, on voit cela
chez soi…
Le quotidien est
plutôt dur car tout est sujet à friction. La hausse brutale des prix se
confirme dans une sorte de volonté sauvage de piller ce qu’on ne peut plus
appeler le Client mais un quelque chose de nouveau qui n’a pas de nom et
s’avère l’essence de l’époque. La mise en œuvre pratique d’une différenciation
a priori entre des surhommes qui ont
tous les droits et des proies qui
n’ont aucune chance.
Dernière séance de
travail avec l’Américaine qui prépare un livre destiné faire connaître ma
pensée aux anglo-saxons. Cela représente des heures et des heures de bandes magnétiques
enregistrées et c’est la troisième série. C’est le constat de nos différences
irréductibles concernant mon hétérosexualité non négociable, mon souverainisme,
ma francité et surtout au-delà de ma
revendication en termes politiques adossée à un Etat en termes d’exception française, l’émergence de mon maternalisme
aux Antipodes de sa vision du monde.
Des difficultés
nouvelles sont apparues avec mon refus de faire amende honorable ainsi que
celui de rendre compte de mes amours pour qu’on juge de leur caractère
suffisamment ou non féministe. Il semble que cela ait été la limite de la
conversation et du dialogue, d’autant plus que surgissaient dans son discours
quelques éléments de volonté de destruction des Institutions et de l’Etat qui
relevaient du nihilisme. Les nouveaux
maîtres sont-ils donc ceux qui renoncent à la reproduction de l’espèce
humaine ? Est-ce en fin de compte là notre point de séparation, là où notre siècle saigne aurait dit Le
Poète ? Comment lui dire que le crime de guerre est moins grave
que le crime contre l’Humanité ?
Sur la dernière page de ce dix huitième
carnet, on peut également lire la notation « De quincoule »
expression du Nord pour signifier selon mon père « de traviole ».
Titrant ce carnet
neuf que je viens d’acheter, je me suis trompée de libellé. Ce qui fut d’abord Le
temps qui couve puis La Chronique des Octantes avant de se
stabiliser dans La Chronique des Etantes réunissant celle-ci et la suite
des Nonantes devint alors dans son dix-neuvième fragment Journal des Etantes
non que la mutation fut soudaine ou irrémédiable mais seulement irrésistible
pour faire face aux événements. Mutation à l’œuvre probablement dès son
interruption pendant La Guerre du Golfe sans doute parce que là déjà, la
distance nécessaire n’était plus praticable.
Le haut le cœur
prend chaque fois qu’on ouvre la Radio et qu’on entend ce qui s’y dit. Emeutes
raciales en Allemagne, délocalisation des entreprises à vitesse accélérée, ce
qui pourrait se traduire par l’idée de perestroïka
dont j’ai vu dans le Dictionnaire que le terme pouvait signifier transplantation.
La main mise de la
Mafia sur l’immobilier est confirmée par plusieurs rapports, ce dont j’avais également
eu l’intuition, à la violence de la destruction des immeubles par pâtés de
maison entiers au mépris de la vie des gens, de l’architecture et du patrimoine
non seulement historique mais même simplement urbain. Si on relie les deux
phénomènes on peut penser que les Patrons ont réalisé leurs avoirs pour se
réimplanter en Asie et que cette vente à permis à la Mafia de blanchir ses
fonds. Ce brutal changement de mains expliquerait cette ambiance de cataclysme
inattendu et incompréhensible qui s’est abattu sur nous dans les deux années
écoulées. Et rétrospectivement en effet, il y avait bien de quoi être terrorisé
car ce changement de dominants n’est pas nécessairement une bonne
affaire !
Comme s’étonner
alors que tous les rouages de la vie sociale en aient été contaminés ? Et
qu’on se soit épuisé à une résistance patriotique tragico-héroïque, au bout de
laquelle on est maintenant ? Non par découragement lassitude ou changement
de cap mais par le simple K.O. technique dû à un épuisement physiologique pur
et simple. C’est que cette lutte là a pris le relais de ma lutte
anarcho-féministe qui durait elle-même depuis 1966 et même encore avant si je
me souviens qu’en 1963 - à la sortie de l’amphithéâtre de la nouvelle faculté
de Droit en Première année - je quêtais Rue Notre Dame des Champs avec les
Mineurs en grève, eux dans leurs costumes de travail et moi avec mon fameux
manteau vert… Sans parler de la lutte à la fin de la Guerre d’Algérie.
Toujours la Bosnie…
dont je pressens que les émeutes allemandes font partie, si on appelle Bosnie
le pôle de restructuration européenne que je pressens comme la redistribution
des territoires entre les ethnies (ce que j’ai expliqué en 1988 à Victoria en
Colombie Britannique). Face à cela mon drame personnel est peu de chose mais en
même temps on ne pas le séparer du contexte de cette période. La dureté de
Saint Germain des Prés à mon égard, le
grand leurre de l’Ecole selon le terme de mon ancienne
partenaire de théâtre, l’abolition de fait sinon de droit, de la République,
tout cela est dû à la tragédie historique que nous vivons et c’est ce qui me
tue.
Réception d’une
circulaire du Seuil par laquelle la maison d’édition refuse mon manuscrit de Ton
Nom de végétal sans même l’avoir lu ni même compris que j’avais déjà publié
chez eux, ce que je ne leur avais pas précisé, tellement cela me paraissait
évident…
Tahar Ben Djahout,
écrivain algérien assassiné par les Islamistes auxquels il s’opposait. Nombreux
sont maintenant les écrivains au sens propre massacrés dans l’indifférence
générale ! Ayant signé la pétition contre le Front Islamiste de Salut, je
vis d’autant plus mal le contentieux résultant de mon refus d’adhérer à celle
présentant la Guerre de Bosnie comme une guerre contre les femmes, ce qu’elle
n’est pas.
En discutant avec
mon meilleur ami, il nous apparaît clairement à tous les deux que lorsque le
siège social de la Lufthansa est délocalisé aux Philippines et celui de Swiss
Air aux Indes, ce n’est que le début de la dégringolade et de la baisse du
niveau qui ne s’arrêtera que lorsqu’on aura atteint le point d’équilibre avec
l’Asie du Sud Est, à savoir un quasi esclavage ! Il me rappelle le concept
marxiste de l’armée industrielle de réserve qui me semble assez
pertinent ! Nous nous accordons également sur le constat que les gens
n’ont pas l’air de se rendre compte de l’ampleur du désastre ni non plus de
jusqu’où cela peut aller !
Pourtant la
clochardisation ambiante me semble être en rapport avec cela, la nécrose d’un
corps à qui on a arraché la tête. L’attitude des patrons n’est qu’un avant-goût
de ce qui nous attend. Ils encaissent les aides pour résorber le chômage, sans
même une parole bienveillante mais en faisant au contraire preuve de cynisme
lorsqu’ils disaient qu’il faut d’abord
que la confiance du consommateur revienne ! Propos outrageant
lorsqu’on connaît le niveau des salaires et de la hausse des prix ! Il y a
là une sorte de perversion de mauvais augure, d’autant plus qu’on se souvient
que c’est ce qui est arrivé aux Indiens qui n’ont pas été massacrés mais
réduits, nous rappelant que cela est possible !
En ce qui me
concerne j’ai toujours eu des besoins moindres que ceux que mon niveau de vie
aurait permis de satisfaire, ce qui m’a procuré un sentiment d’aisance vécue
comme un confort corporel et esthétique avec lequel j’ai d’autant plus de mal à
rompre qu’autour de nous, tout se nécrose (l’enseignement), se délite (la
société française) ou meurt (notre culture humaniste). On a l’impression d’un
chaos croissant oscillant entre une révolution mondiale et un apartheid. On
n’ose pas penser à notre liquidation pure et simple et pourtant dès qu’on se
promène dans Paris, c’est cette idée qui assiège.
Non seulement les
gens ne vous rendent plus jamais votre sourire devenu une mimique incompréhensible
mais ils détournent les yeux, gênés !
De F j’apprends un
proverbe d’Ispahan : Il y a Ispahan,
et l’autre moitié du monde… et de Daniel Vernant concernant les fascistes
ce définitif On ne discute pas de
recettes de cuisine avec un anthropophage.
Passant devant la
Maternité Bon Secours où je suis née (Rue des Plantes) je constate qu’elle est
partiellement détruite et qu’à sa place s’élève un bâtiment de grand luxe avec
le panneau prometteur Résidence
médicalisable pour personnes âgées. Je note l’apparition de ce néologisme
qui permet la transformation d’une maternité populaire pour construire à la
place une maison de retraite pour vieillard privilégié ! Ce déséquilibre
est au cœur de nos difficultés.
Cette revendication
que je pose d’une maternité insurgée me range du côté d’un certain maternalisme pour qui l’essentiel est la
transmission, en opposition avec d’autres de mes amies et contacts féministes
qui ne se considèrent que comme des filles, point final et tentent - dans cette
perspective - de se constituer en groupes de pression. On peut s’interroger
pour comprendre pourquoi la Bosnie en est la pierre d’achoppement ?
Sous la plus exquise
gentillesse et politesse, la bourgeoisie cache un mépris complet des gens. Il
n’y a pas longtemps à attendre pour les entendre parler des petites gens, concept obscène réapparu
il y a quelques années, comme le complément à l’élite et qui donne tout autant l’envie de vomir. J’y préfère ma
grossièreté et mon agressivité qui n’entament pas pour autant ma conviction
égalitaire.
Autrefois il
s’agissait pour moi de me mettre en mouvement dans un monde qui m’apparaissait
- à tort - stable ou du moins, fixe ! Là maintenant c’est le contraire, il
s’agit pour moi de me maintenir fixe ou stable dans un monde non seulement mais
brutalement mis en mouvement avec l’effondrement de L’Est et qui m’emporte dans
un tourbillon à l’écart duquel il faut rester ! Je suis moi-même étonnée
des nouvelles relations que je noue. Elles ne doivent plus rien au milieu ni à
l’éducation mais tout aux individus. D’où cette impression de grâce et
d’anarchie. C’est peut être toujours ainsi dans les périodes historiques où -
dans une précarité sans futur - les cadres et les codes ont disparu.
Un boulon est tombé
de la verrière du Grand Palais ! Depuis le temps que j’essayais d’alerter
sur le mauvais état du bâtiment… Je m’en étais rendue compte lorsqu’il m’avait
fallu y signer au Salon du Livre sous la pluie qui traversait le toit et
tombait sur ma table. On m’avait d’abord changée de place mais comme ensuite la
situation était la même je n’avais plus rien dit et avais seulement enfilé mon
imperméable. Je ne sais plus si c’était en 1984 ou 1986. Cette nouvelle m’est
particulièrement douloureuse car j’adore cet édifice. On a mis des filets de
protection et fermé l’exposition en cours…
En Algérie, encore
un intellectuel tombé sous les coups des Islamistes et la mission d’un très
cher ami reportée en raison des dangers.
Cela ne va plus de soi
de parler français dans cette Tour de Babel dans laquelle on entend toutes les
langues. Une radio arabe sur la bande à un millimètre de France Culture. Des
bousculades et des contacts des corps dans le plus profond mépris des gens. Des
mendiants de plus en plus nombreux à être pieds nus. Je me souviens de la
lectrice italienne qui m’avait dit qu’il y avait de la misère en Italie mais
quand même pas comme en France à voir des gens nus pieds ! Et pourtant
cela est. Les pauvres occupent les endroits dans lesquels ils peuvent
s’allonger notamment les abris d’autobus, désorganisant encore un peu plus la
vie quotidienne collective. Personne n’a le cœur de protester, ce qui serait
d’ailleurs de mauvais goût.
J’ai reçu une lettre
de MR qui se sent rejetée pour n’avoir pas participé à la
Manifestation contre les viols en Bosnie !!
De Geremek ce bon
mot : La Yougoslavie produit plus
d’Histoire qu’elle ne peut en consommer ! Fermer le ban !
J’ai le plaisir de
constater qu’autour de moi on rejoint ma critique du simplisme de l’ordinateur.
Critique que je formule au nom de la Science contre le Scientisme, idée que je
ne parvenais pas à transmettre. Je ne suis ni contre la science ni contre la
technique ni contre la modernité, ce qui d’ailleurs serait un dogmatisme
insensé. Mais il m’apparaît que l’Homme est un principe technicien qui le
dépasse lui-même, le laissant sur le carreau. Cette mutation post humaine me
fascine !...
Week-end raté !
Mon projet d’aller au Théâtre voir la pièce de Nathalie Sarraute n’a pas abouti
non seulement parce que le bon autobus ne roulait pas le Dimanche mais surtout
parce que l’annonce parue dans L’Officiel
des Spectacles ne correspondait pas à la réalité. Depuis quelques temps
c’est toujours ainsi, les projets n’aboutissent plus en raison de la masse des
dysfonctionnements qui ne peuvent pas être surmontés. Est-ce que cela est à
mettre en rapport avec le no futur
que proclamaient les Elèves il y a quelques années ?
De nombreux amoureux
qui s’embrassent à bouche que veux tu - comme je l’avais vu faire dans le Chili
de Pinochet - ont désormais les mains aux fesses de l’autre et même plus
précisément. S’agit-il de la nouvelle sexualité digestive dont nous avons parlé
avec mon ancienne partenaire de théâtre ?
Une jeune femme me
confirme qu’on ne répond plus à ses sourires et que les gens s’en sentent
agressés…
Dans les vestiaires
de la Piscine Montherlant, après être montée sur un banc pour enfiler son
pantalon, une Arabe s’assoie quasiment sur ma tête. Je proteste fermement et
calmement. Elle s’excuse convenablement. On en reste là. Mais au fait que les
incidents de ce genre se multiplient voire deviennent quotidiens, on sent bien
qu’on va vers autre chose… Ce qui me pousse à rester chez moi !
Au vu des grandes
foires aux Antiquités pour Japonais, on en vient à regretter dans les
Septantes, la Salle des Ventes de Soissons au bord de l’Aisne et l’Emmaüs de
Millau ... Quelle nostalgie ! J’en viens même à regretter les objets
que j’ai cassé volontairement, négligés ou donnés à une époque où
l’effondrement actuel de la société était impensable.
Humiliation au Salon
du Livre Ancien dont le prix d’entrée de Soixante Dix Francs est clairement destiné à effectuer un tri de classes sociales. Je refuse
cette pratique et m’en ouvre à la caissière qui m’envoie bouler…
Parmi les
humiliations quotidiennes, à noter l’impossibilité de lire le journal Le Monde car il ne contient plus rien
d’intéressant ! On n’y parle pas de ce qui se passe vraiment. On nous y
fait la morale sur nos mauvaises idées et mauvais sentiments qui sont ceux de
tout le monde en dehors des médias ! Pourtant dans les Octantes, je
passais quotidiennement une heure à le lire. Après la Guerre du Golfe, j’ai
jeté sans le lire le Cahier Economique ! J’en arrive maintenant
à me dire que ce n’est même plus la peine de l’acheter. Trois fois sur quatre
mon conjoint oublie de me le rapporter. On l’achète en double quelquefois. Bref
une dislocation supplémentaire. Quand je pense que j’ai commencé à le lire à
onze ans et que lors du voyage au Mali en 1967 - voyage pourtant fertile en
difficultés - c’était cela qui me manquait le plus…
Le Rapport de la
Cour des Comptes fait état de toutes sortes de disparition de pièces du
Mobilier National situé dans les Ministères. On n’en croit pas sa
lecture ! Le Parti Socialiste a bien effectivement pillé le pays et ce
n’est pas une idée qu’on se fait.
Scandale de la
corruption du foot. Le fameux match de l’Olympic
de Marseille contre Valenciennes
était truqué. Il y a plusieurs joueurs gardés à vue ou inculpés.
Dans la rue, on
entend des lamentations économiques. Des bribes de conversations roulent sur
les licenciements, les fermetures, les procès. Quant à la mentalité moyenne,
elle sent le fascisme !
Cette semaine
projection à la Télévision du film de Claude Lanzmann Shoah à grands renforts de publicité. Un jeune speaker va jusqu’à
parler d’une superproduction avec plus de figurants que dans Autant en emporte le vent. On en est
scandalisé !
Dans Le Monde Diplomatique, un article pour
dire que le vent tourne ce qui est aussi mon impression. On n’est plus
excommunié lorsqu’on conteste le libéralisme, le monétarisme, l’économisme et
l’élargissement aveugle du Marché Commun. L’auteur de l’article admet même que
ce qu’on appelait autrefois le populisme
de façon méprisante est peut-être au contraire une simple et saine aspiration
au changement. A France Culture, Nora, Thibaut et Finkielkraut reconnaissent
qu’ils se sont trompés dans leur critique radicale du nationalisme. N’était
donc pas si fausse cette impression de Paris Ville Ouverte et sans doute
également aujourd’hui de territoire abandonné ! C’est d’ailleurs la
prophétie de Ton Nom de végétal et le nouveau cycle de développement du
Capitalisme est la globalisation de l’économie, les bénéfices étant dégagés par
la transplantation.
Dans ma rue dans le
dix-septième arrondissement, désormais tous les éboueurs sont des Blancs.
Lorsque nous sommes arrivés il y a plus de vingt ans, ils étaient tous Noirs…
Quant au personnel de ma superette, la caissière et le factotum sont des Arabes
mais le contremaître est en tenue costume cravate dans le style Noir américain
et on est frappé de constater que cela ne pose pas de problème. On a presque de
la gratitude pour lui. C’est bien la preuve qu’il ne s’agit pas de racisme.
Licenciements
massifs dans tout le pays y compris dans les secteurs de pointe comme Bull au
Jeumont Schneider. Des villes sont rayées de la carte comme par des
bombardements. On est sidérée d’entendre à France 2 - sourire aux lèvres –
parler de cela en termes de ménage et
à la radio de purge ! C’est plus
que du cynisme et la projection cette semaine de Shoah cause l’effroi par les rapprochements qu’il induit ! Le
mépris s’exprime également par cette quasi-fermeture estivale de la Télévision
qui pratiquement suspend ses émissions pour ne rediffuser que des anciennes.
Impossibilité ce
soir de regarder Shoah entre un film
franchouillard de série B et un mélodrame australien. Sans doute Claude
Lanzmann a-t-il raison : la banalisation de son film est-elle pour lui -
et contre lui - le seul moyen d’en émerger et de faire qu’en même temps il
atteigne son but - MONTRER QUE CELA EST - au présent.
Impossibilité de
récupérer notre manuscrit de La Rouge Florescence, dans une maison
d’édition qui a déménagé en laissant les photocopies sur place, au milieu des
gravats. Ma co-auteure en a été bouleversée mais moi-même cela ne m’émeut
guère, je suis habituée à cette débâcle… Le journal Le Monde lui-même
commence à prendre peur puisqu’il publie plus d’une page sur le thème de La Nation en danger ! Mais cela ne
va tout de même pas jusqu’à mettre en cause l’économisme
qui est pourtant le mal fondamental de l’époque.
Sarajevo s’effondre
et la victoire des Serbes est totale. On se bouche les oreilles pour ne pas
s’effondrer soi-même. Mes/nos problèmes d’édition sont sans importance par
rapport à tout cela.
Cirque médiatique
sur les départs en vacances. Ecœurement de cette frivolité sur fond de
cataclysme économique et social. Chaque jour de nouveaux licenciements dans des
villes de province dans lesquelles les gens ne retrouveront pas de travail. A
Perpignan, le Maire a interdit la mendicité à peine d’une contravention de
Soixante Quinze Francs, il vrai que cela dérange la tranquillité des touristes…
La nouveauté de cette année est qu’en effet, on reconnaît désormais les pauvres
au simple coup d’œil !
Entendu à France
Culture une émission sur le réseau de circulation et notamment la critique de ces routes qui ne mènent nulle part.
C’est tout à fait cela, rejoignant la conversation que j’avais avec la très
chère et lors de laquelle nous analysions fuir
dans un labyrinthe en proie à la fatigue, l’angoisse, le désespoir et la
déshumanisation. C’est ainsi que la vie se rétrécissant, on se retrouve
consignée à domicile. C’est parce que je le sentais venir que j’ai fait
l’acquisition d’un bout de campagne afin de disposer d’un lieu où il était
possible de vivre en autarcie.
L’adverbe techniquement a désormais remplacé pratiquement.
Emergence de la
notion de réfugié ethnique plutôt que politique, comme les Tsiganes demandent à entrer en France après
avoir été expulsés d’Allemagne et campés symboliquement deux mois devant
Dachau.
Le Gouvernement de
Balladur demande aux Français de recommencer à consommer ! Lorsqu’on voit
la masse croissante des déficits, on est désemparé. Les contradictions du
Capitalisme sont sans appel et le Libéralisme va bon train. Des bandes de
vagabonds de plus en plus nombreuses. Gare Montparnasse, une bande de quinze.
La vie veut vivre !
Deux exemples de
langue de bois : Au-dessus du mur d’enceinte du Cimetière Montparnasse au
milieu des barbelés un panneau Dispositif
anti-intrusion et du côté de Marines dans la zone industrielle Plateforme logistique !...
Comme elles sont à la mode - vraies ou fausses - les brocantes se multiplient
et en Normandie on en voit dans lesquelles des ordures tentent de se vendre à
des prix américains. On finit par se dire que s’ils ne commercialisent pas
encore leurs débris d’architecture, ce n’est que parce qu’ils ne les ont pas
encore repérés.
Découverte Gare du
Nord d’une Gare Routière déserte car les autobus ne circulent pratiquement pas
les jours fériés. Une vingtaine de Noirs occupaient les lieux tandis qu’un
agent de la sécurité RATP circulait avec un ostensible brassard orange
fluo ! J’ai sauté dans un taxi et fait la connaissance en remontant le
Faubourg Saint Denis d’un quartier indien dont j’ignorais tout. J’en suis
restée pantoise !
J’ai oublié de noter
le retour cet hiver du duffle-coat très à la mode dans les Années Soixante de
ma jeunesse.
Célébration
officielle de l’anniversaire de la Rafle du Vel d’Hiv. Pour la première fois au
bout de cinquante et un ans, cette date est déclarée journée de commémoration officielle. Ma réaction ce matin est de me dire que je n’ai pas été
malade en vain.
Plusieurs incendies
d’Hôpitaux Psychiatriques dans la quinzaine écoulée. Cela me parait de bien
mauvais augure.
Une émission à
France Culture explique que c’est à Bratislava que s’est installée la Mafia en
provenance de Russie, d’Ukraine et de Yougoslavie. Est-ce le début de la
conquête de l’Europe de l’Ouest ?
Bataille navale
entre les pêcheurs français et espagnols. Cela prend des proportions !
Il est décidé que
dans les Hôpitaux, les gardes des médecins étrangers seront payés soixante pour
cent moins cher que celles de leurs collègues ! On est scandalisé de cette
entorse au principe de à travail égal, salaire égal. Cette discrimination
s’ajoute à celle déjà existante des femmes. Mais les dits médecins ayant
menacés de faire la grève illimitée des gardes en question, la mesure a été
annulée !
Visite au Siège
Social du journal Le Monde pour
rechercher le texte de la fameuse pétition. Une ambiance de bunker qui donne
envie de fuir. Le lieu irradie l’inhumanité et le mépris bien plus encore que
les articles qui ont au moins la chaleur de l’encre et du papier. Là aussi il y
a du leurre dans l’air, comme si seules les formes perduraient alors que le
contenu en a complètement changé !
Convaincu de
malversations financières Jacques Attali a démissionné de la BERD. Mais le plus
honteux est l’engagement qu’il ne soit pas poursuivi par la Justice en échange
de sa propre renonciation à ses indemnités de départ….
Concernant Sarajevo,
me sont insupportables la veulerie des uns et le cynisme des autres,
l’arrivisme ou la frivolité de plusieurs et en tous cas l’aveuglement.
Finalement le refuge de notre honneur se tient dans le fait de ne pas consentir
à collaborer avec l’ordre qui se met en place, celui de la cantonisation ethnique et sexuelle
au bout de laquelle il y a la perte de notre territoire.
Je me casse le nez
sur la Bibliothèque Polonaise à qui je portais Le Silence et l’Obscurité.
Elle est fermée pour les deux mois d’été. Comment comprendre qu’on puisse
fermer une bibliothèque pour deux mois ?
Chez KIS, une chaîne
de divers services, on ne peut aboutir étant donné l’incompétence du personnel.
Leur prétention à concurrencer les artisans locaux serait risible si on n’en
savait la terrible conséquence de désertification et de destruction.
Sur fond de
Sarajevo, le défilé des Collections des Grands Couturiers est insoutenable.
Un peuple vit encore
tant qu’au passage d’un cortège officiel il tord le cou pour essayer de voir
qui est dans la voiture ! Ce privilégié légitime dans son privilège…
L’extrême liberté
que donne le sentiment que tout est perdu ! Ce Juillet là tout occupé à ne
rien faire ou presque n’est pas pire que bien d’autres farouchement consacrés à
exister. Des résultats nuls sans effort ne sont pas moins performants que les
résultats négatifs des deux juillets précédents (Vars et Foncine) en se
défonçant…
On les entend parler
de Guerres de Religion. Mais ne s’agit-il pas plutôt d’affrontements concernant
la représentation de la mère ?
Il y a entre le
marasme réel et le discours officiel, un écart obscène qui crée le malaise. Les
médias se raccrochent au fantasme d’une machine qu’on pourrait encore relancer.
Le sentiment partagé par beaucoup de gens dans le peuple est qu’on va nous
tuer. On a désormais l’impression non plus d’être dans des combats politiques
s’inscrivant dans une Histoire qu’à défaut de maîtriser au moins on
comprendrait mais d’une vaste tuerie dans laquelle l’être humain ne compte plus
pour rien, voire même n’est plus perçu. Les morts, désacralisés sont annoncés
par paquets.
La Télévision joue
dans cette évolution un rôle majeur, car elle ne donne aucun commentaire,
n’invitent plus les gens et n’organisent plus de débats aux heures où il est
possible de regarder. L’individu cybernétisé est donc maintenant coupé de tout,
le crâne bourré d’une bouillie comprenant un maelström d’images publicitaires
et de mort.
Cette impression
concentrationnaire qu’on est gêné d’éprouver parce qu’on ne manque de rien sur
le plan matériel vient d’une famine absolue du lien social et sans doute, comme
pour les fourmis ce lien est-il vital - même si on n’a pas eu l’occasion de
s’en rendre compte - avant cette généralisation du machinisme qui l’a rompu. Les
gestes sociaux sont désormais privés de sens. Le code est en train de se
perdre. La désocialisation n’est plus la marginalisation d’un individu asocial
qui s’écarte du groupe - par sa volonté ou par sa faute - c’est un mouvement
général !
Dans les autobus les
paquets sont confortablement installés aux places des voyageurs et il devient
difficile de les faire enlever. Le geste de s’asseoir de façon décidée ne
suffit plus. On voit venir le moment où il va falloir parlementer avec
l’abuseur et encore avec un succès incertain !
J’ai passé plusieurs
jours à prendre des contacts téléphoniques pour tenter d’envoyer Ton Nom de
végétal autrement qu’au hasard. Il en ressort un paysage de débâcle,
d’effondrement et de ruines similaires à celui de l’Ecole et sans doute - même
si c’est avec du retard - pour les mêmes raisons. De Suisse, on me passe même
Monsieur Nagel en personne qui me dit : Il y a déjà tant de livres ici qui souffrent à cause de la crise qu’on
ne peut pas entreprendre. Des mots d’une telle tenue consolent de tous les
refus qui manquent d’allure chez certains autres. J’ai quand même douze
exemplaires du manuscrit sur les routes…
Cinquième jour de
bombardement israélien pour vider le Sud Liban. Un demi-million de gens sur les
routes… Crise monétaire aigue. Est-ce la fin du Système Monétaire Européen déjà
pas mal disloqué et avec lui la fin de la CEE dissoute dans l’Ultralibéralisme
des Chicago Boys qui imposent désormais leur ordre sans qu’il n’y ait plus ni
contrepoids, ni possibilités de s’opposer ?
Le Roi Baudouin
vient de mourir d’une crise cardiaque. Est-ce pour symboliser la dislocation
qui menace, celle de la Belgique et celle de la France, après l’URSS, la
Yougoslavie et la Tchécoslovaquie et quoi d’autres encore ? On aurait
presque envie de dire : A qui le tour ? Est-ce pour cela qu’on
retient son souffle…
Camouflage du retour
aux Changes Flottants sous des marges de fluctuations qui passent de deux
vingt-cinq pour cent à quinze pour cent autour du taux pivot. C’est une
dévaluation déguisée, la suppression du Système Monétaire Européen tout en
gardant les apparences. La situation se rétablira peut-être plus tard mais ce
n’est pas sûr !
L’enchantement tient
toujours, pour ne pas dire l’envoûtement de ces étés passés dans les Causses
près de Millau qui - contrairement à Paris - voit pendant la crise, son tissu
social se resserrer et ses activités se développer. La vie intellectuelle y est
stimulée contrairement à la campagne normande, pays d’élevage dans lequel la
proximité exubérante de la masse végétale et animale tire vers la vie physique
en donnant l’envie de s’y mêler. Dans les pays d’élevage, les animaux sont
familiers et avec eux, la fascination est réciproque. Encore heureux lorsqu’ils
ne cherchent pas à entrer dans la maison ! Comment penser dans ces
conditions-là ? C’est impossible car il y faut une certaine distanciation.
La fameuse phrase de
Mai 68 Nous sommes tous des Juifs
Allemands qui faisait référence à ce qu’Alain Peyrefitte avait dit de
Cohn-Bendit et permettait de se solidariser avec lui pourrait-elle signifier
que nous sommes tous les successeurs intellectuels de Marx et de Freud qui sont
les bases de la pensée de Gauche aujourd’hui et que j’ai persisté jusque-là à
ne pas renier.
A Salles-Curan une
conversation entendue concernant l’électricité entre un vieux de l’EDF et un
type de trente-cinq ans a fait clairement apparaître la différence des
générations. Pour L’Ancien le progrès était remarquable et c’est avec une
mentalité d’explorateur dans la jungle qu’on faisait avancer le confort tandis
que pour Le Jeune, l’électricité était un dû qu’il abordait avec des airs de
mijaurée contestant la qualité de la vie. C’est en effet un problème avec Les
Jeunes qui - tout plein d’ingratitude - nous font des histoires lorsqu’on ne
manie pas avec le doigté ad hoc leur précieuse quincaillerie dont ils craignent
avant tout, qu’on l’abîme.
La mort du Roi des
Belges déclenche dans la population de ce pays une vague de ferveur
incompréhensible aux Français. C’est pourtant clair et se résume par la parole
de cette femme disant Le Roi, c’est pour
chacun ce qui lui manque ! Cette réflexion permet de faire la jonction
avec l’idée du sacré (elle-même l’abstraction/projection du lien avec la mère).
Peut-être la formule est elle aussi applicable à Dieu comme le complément à la
totalité ? Quant au successeur de Baudouin qui n’est pas comme on s’y
attendait son neveu mais son frère âgé de plus de soixante ans, cela peut s’expliquer
par le fait que dans la conjoncture on est plus près de la guerre de 1914 que
de la folle modernisation des Octantes. On commence à le dire ouvertement, les
monarchies européennes sont plus démocratiques que le France… Mais ils ne vont
pas jusqu’à dire comme moi, que c’est à cause de la polarisation du sacré.
Qu’en est-il de la
filiation historique entre Mai 68 et la Révolution Mondiale en cours ? La
fragmentation en demos, c’est le
terme que je propose plutôt que celui d’ethnies.
Le premier lien que je vois est celui de la dénonciation par les
soixante-huitards de la société de consommation comme annonciation de celle
plus radicale d’une industrialisation fauteuse de misère, de destruction et de
sous-développement, globalement parlant. Le second élément à y rattacher serait
le tiers-mondisme et le retour des communautés à la ruralité comme les prémices
de la Refondation en cours.
Ai-je dit qu’à
Sarajevo, les casques Bleus de l’ONU - à cause de cette particularité - étaient
appelés Les Schtroumpfs ?
Concernant l’affaire
de Ton Nom de végétal l’ayant appris Marc Beigbeder a lui qualifié la
chose, de burlesque et intolérable !
Les assassinats
d’intellectuels se multiplient en Algérie. Mon très cher ami doit y aller à la
rentrée et on est dans l’état d’esprit qu’on ne peut plus rien à rien et que
tout cela ne dépend plus de nous. Un peu comme quand on tombe dans un ravin et
qu’on pense que peut être, on va s’en tirer. L’Histoire donne envie de rire
jaune. L’état d’esprit des derniers mois Tant
pis et trop tard est d’ores et déjà dépassé ! Ce n’est plus Trop tard, mais Ca n’est plus ! Quant au Tant
pis ! Il n’est plus de saison.
Déclaration glaciale
et menaçante du Premier Ministre Turc :
Il n’y a aucune raison que l’Europe soit un club réservé aux Chrétiens !
Ce que les Jeunes
paraissent jeunes ! C’est à cette observation que je découvre avoir
commencé à vieillir.
Glané chez un auteur
du XIXe siècle cette phrase Le destin du poète
dans la société capitaliste est de vivre dans la misère et de mourir à
l’Hôpital ! Bien dit !
Les Bosniaques ayant
surnommé les avions occidentaux les
eunuques volants, je crains le pire !
On parle de rétablir
le Contrôle des Changes, ce qui serait quand même un vrai changement de
cap !
Ces … dont on ne
sait pas si ce sont des garçons ou des filles ont un effet terrorisant.
Entendu à France
Culture, l’acteur Alain Cuny dire la douleur de son lien avec sa mère. Il parle
à son sujet de marmelade de simulacres,
expression qui pourrait aussi bien s’appliquer à la mienne. Il évoque également
la lèpre de l’enfance et prétend que
c’est le cas de tout le monde. Il ajoute enfin que les empreintes premières
marquent définitivement et qu’ainsi certaines vies sont selon ses termes foutues. Je ne sais pas si cette
dernière assertion est exacte. Il est enfin bouleversant comme à
quatre-vingt-cinq ans, il raconte qu’il essaie encore aujourd’hui de mettre sa
mère au monde. Cela est vrai pour moi-même aussi ou du moins l’a été et
mériterait d’être approfondi.
Je me souviens de ma
rencontre avec lui dans un cinéma des Champs-Elysées au début de la Guerre du
Golfe en 1990 ou vers ce moment là - en tous cas à un festival des films de
Kurosawa - comme on projetait Les Anges
aux visages sales et qu’il n’y avait que quelques personnes dans la salle.
Je me suis accroupie près de lui assis au fond et je lui ai dis mon admiration
et tout ce qu’il avait représenté pour nous invoquant le film Les Visiteurs du soir et la pièce de
théâtre Tête d’or. Et là doutant de ma parole - eu égard à mon âge qu’il
croyait moindre - il m’a dit avec cette voix remarquable qu’on lui connaît et
qui a fait son succès, me contemplant à ses genoux Non, vous n’avez pas vu Tête d’or… Mais non ! Je le lui
ai confirmé et nous avons là - nous donnant l’un à l’autre - été dans le
bonheur parfait.
Une jeune femme
turque a été tuée par son père et ses frères parce qu’elle refusait de porter
le voile. Y aura-t-il une pétition pour dénoncer cette exaction ? Je la
signerais volontiers car si le féminisme n’était pas opérationnel pour traiter
de la Bosnie, dans ce cas de figure il l’est parfaitement.
Une marocaine s’est
noyée dans un parc en Hollande sous le regard de deux cents personnes qui ne
sont pas intervenues pour lui porter secours. Un vidéaste amateur a filme la
scène et l’a vendue à la Télévision qui l’a projetée ! La petite fille est
morte. Le Parquet a décidé de ne pas poursuivre !...
En Allemagne de
l’Est, une ville s’est cotisée pour payer des skinheads afin qu’ils incendient
un foyer d’émigrants
La Ville de Paris a
décidé de construire une crèche pour enfants
séropositifs. C’est du moins la
raison qu’elle a donné pour expulser ce qu’on appelle désormais les Nomades Urbains (squatters chassés d’un
lieu à l’autre) maliens qui errent depuis des mois.
Un ami m’a raconté
avoir rencontré dans le Midi un homme qui connaît une marchand de clôture
débordé par les commandes qu’il a reçu du Ministre de l’Intérieur en prévision
de la création de camps destinés à l’internement des Algériens qui ne
manqueront pas d’arriver en masse dans l’Hexagone lorsque le Front Islamique de
Salut aura pris le pouvoir, ce qui pourrait survenir. On est médusé d’une
pareille information qu’on n’a aucune envie de répercuter.
Et pourtant moi-même
j’avais averti dès le retour des vacances de Printemps, ayant vu sur la route
familière de la villégiature, deux ou trois casernes désaffectées bien connues
depuis longtemps, entièrement restaurées et entourées de barbelés. Sans compter
en pleine forêt, un camp avec des baraques en bois complètement neuves, dont la
vue m’a traumatisée.
Il est difficile de se
maintenir en ville car tout un chacun exige qu’on lui cède la place ou au moins
le passage sans même dire pardon mais
en adoptant l’attitude offensive d’imposer son corps dans une atmosphère de
resquille générale. D’où un corps à corps permanent donnant l’impression qu’il
faut effectivement empoigner la rue.
Les traditionnels Clochards ont disparu au profit des
Emigrants de plus en plus nombreux, des hommes très jeunes assis dans des coins
de portes ou sur des bancs avec de très pauvres petits bagages. Ils sont blancs
ou au moins clairs, ils serrent le cœur et on n’a pas envie de les rejeter mais
presque plutôt de les aider, tant ils sont l’image même de la misère. Et à
côté, d’autres corps en liquéfaction, pour lesquels le mot clochard ne convient pas non plus, tellement il s’agit d’autre
chose.
Vu Rue Dauphine à
quatorze heures trente d’une femme entre quarante et soixante ans, une vraie
loque avec des jambes couvertes d’ulcères, minces comme des os relevant un peu
sa robe pour uriner plus à l’aise. Elle tenait à la main une fiole de whisky
débouchée.
On voit maintenant
sur les chantiers de construction, des Noirs qu’on ne voyait pas il y a deux
ans. On en voit aussi aux fenêtres des appartements comme domestiques. Les
Indiens ou Pakistanais distribuent des prospectus publicitaires dans les boîtes
à lettres. Sans compter les Tsiganes. Tous ces corps nouveaux constituent une
toile de fond qui se tisse tous les jours plus serrée. Et c’est un élément du
stress car on ne peut pas ne pas voir ce qu’on voit !
Le Commissariat de
Police des Halles a été attaqué comme cela est souvent le cas dans les
banlieues. Les CRS ont été envoyés.
Un dimanche d’ennui
Porte Champerret, je passe une heure au café avec un homme qui m’a abordé. De
fil en aiguille j’en arrive à lui chanter la Chanson du Mal-Aimé de
Guillaume Apollinaire et comme je mettais fin à ce qui n’avait jamais été pour
moi qu’un intermède, en lui expliquant qu’il fallait tout de même que j’aille
terminer mon grand nettoyage d’automne, il me dit Tu as réussi pendant une heure à arrêter le temps ! J’ai
trouvé cela magique et de surcroît, c’était vrai !
Il y a quelques
jours, j’ai entendu à une terrasse de café cette phrase Il n’y a plus moyen de parler de la réalité ! Comme quoi je ne
suis pas toute seule à avoir cette sensation.
C’est le jour de la
Rentrée ! J’oublie mes lunettes. Que faut-il en déduire ? Il ne
faudrait pas que cela devienne une obsession, mais le fait qu’en entrant au
Lycée ce matin sur les huit premières personnes que j’ai vues, cinq étaient
noires.
Devant les Galeries
Lafayette, une démonstratrice fait l’article en italien ou en espagnol et je ne
m’attarde pas. C’est en ce moment l’une des choses les plus pénibles. Cela a
commencé avec l’arabe au moment de la Guerre du Golfe et s’étend tous les jours
davantage. Le Français n’est plus la langue qui se parle automatiquement, c’est
une langue parmi d’autres et on semble ne plus comprendre pourquoi elle aurait
la suprématie.
L’arabisation atteint
la mode et des marchands de tapis dont on se moquait dans mon enfance, sont
devenus maintenant des boutiquiers bien implantés vendant toute une série
d’articles d’ameublement et de décoration, d’imitation de kilim, de jardin, de
patio, de mosaïque et de balcon etc… Les types physiques des mannequins se
modifient dans le même sens. Le tiers-mondisme aurait pu s’en réjouir mais ce
n’est pas de cela dont il s’agit. On se prend à comprendre le Québec acculé à
voter une loi obligeant à parler français lorsqu’on entre dans un magasin
et ceci pour se protéger de l’américanisation…
Un Elève se présente
à moi au bureau Ben Simon Les chaussures,
les chemises, les cravates !... Comme j’avoue mon ignorance, le jeune
homme a l’air déçu.
Durant le cours j’en
viens avec des trémolos dans la voix à expliquer le contexte légendaire de la
firme Renault. Un élève arabe finit par dire que son père y était et que
c’était bien. J’ajoute alors On a aimé
Renault, on l’aime encore et vous direz à votre père qu’on le remercie. Et
lui de reprendre Je le lui dirai !
Le contraste entre les deux Elèves était saisissant ! Si on ajoute
l’inévitable groupe de femmes noires âgées de plus de vingt ans, on a un aperçu
partiel de la classe et de ses problèmes. C’est un concentré de la société
française et de ses facteurs explosifs. Il reste à retourner le tout au
positif, c’est maintenant ou jamais !
La pensée
obsessionnelle est qu’il faudrait qu’il y ait la Révolution car sinon on va
mourir ! Ce à quoi la Raison répond que c’est déjà la Révolution et qu’on
est justement en train de mourir !
La firme Benetton
qui s’est fait un nom grâce à une série de publicités scandaleuses dont des
photographies de cadavre assassiné par la Mafia, de boat-people, de nourrisson
avec son cordon ombilical, bat son record d’immonde et d’insupportable avec une
paire de fesses sur laquelle a été tatoué l’information HIV positive.
Les licenciements
continuent en rafale. C’est à hurler ou à tirer le rideau en bétonnant. Partout
on jette les gens. Vingt mille licenciés en quarante-huit heures ! On ne
peut pas croire qu’il n’y aura pas des émeutes et on sait bien qu’elles ont
déjà lieu mais rien ne filtre dans les médias ! La crise a quelques effets
inattendus comme le retour du rémouleur ameutant la rue avec sa cloche…
Concernant les
négociations du GATT au sujet du cinéma, Bertrand Tavernier précise On est comme les Peaux Rouges, on aura les
collines du Dakota et si on est sage, on aura une colline de plus. Cette
idée donc commence à se répandre.
Je suis soulagée que
l’Association anti SIDA porte plainte contre Benetton.
Une jeune femme de
ma connaissance, ingénieure technique qui a commencé à travailler le
vingt-trois Août est à son tour prise dans le tourbillon. L’entreprise qui
vient de l’embaucher est en train de faire faillite et elle craint donc d’être
licenciée. Son compagnon balbutiait au sujet des concepts de lutte et de révolution que leur Génération
n’avait pas. La baisse des salaires et les délocalisations leur apparaissant
comme un partage mondial avec les pays pauvres. Je ne sais même pas si c’est
vrai car l’Occident capitaliste reste tout de même le prédateur du monde et je
crains en même temps que ce soit pire. La France pourrait bien être laissée
pour compte dans cette redistribution tous azimuts.
Pendant le week-end
visite surprise chez mes beaux-parents d’une jeune femme de la famille CV et de
son ami. Elle dans les statistiques médicales et lui à son compte dans une
société financière. J’y ai entendu un discours chilien qui m’a glacé le sang.
Une indifférence complète au malheur des gens et en ce qui concernait le jeune
homme, une comparaison de la France avec l’Albanie que je n’avais jamais
entendue mais qui montrait qu’il n’y avait guère d’illusions à se faire
concernant le sort qui nous attendait. Quant à elle, elle répondait par la
moquerie et la dérision à tout ce qu’on pouvait dire et il fallut ferrailler
beaucoup pour donner droit de cité à notre pays. Ils étaient de surcroît l’un
et l’autre incultes. Ils emmenèrent mon beau père et son fils faire un tour en
ville dans leur décapotable… Le contraste avec la veille et l’angoisse des
ingénieurs métallurgistes était terrible, contraste entre la matière réelle
qu’il faut empoigner et cette nomenclature financière hors sol ne manipulant
que des abstractions. Le politique finit donc d’une façon ou d’une autre à
s’imposer à l’affectif.
Les Communistes ont
gagné les Elections en Pologne, on croît rêver ! L’hypothèse souvent
évoquée dans ces carnets, d’un communisme mondial comme issu à la Révolution en
cours pourrait bien se confirmer.
Vendredi à la
Télévision, on a vu Soljenitsyne chez Bernard Pivot. Il a annoncé son retour en
Russie et a comme d’habitude vitupéré, y compris cette fois contre l’Occident.
L’entretien était assez creux et n’apportait pas grand-chose, contrairement à
celui de Jean Luc Godard qu’on avait entendu la semaine précédente et qui - au
fil des ans, comme Georges Brassens et Léo Ferré - monte au firmament. D’où
vient que Soljenitsyne ne donne pas davantage à penser ? C’est que je ne
l’ai jamais pris pour un intellectuel et qu’il n’est pas le roi des écrivains.
Soit, c’est un prophète triste mais surtout un phénomène politique. Or le
politique est par définition collectif, ce qui là n’est pas le cas. Sa
résistance individuelle à l’oppression est exemplaire mais n’est pas la nôtre.
On admire mais on ne peut pas se relier à cela. D’où d’une certaine façon, la
déception.
Aux dernières
nouvelles, deux Coopérants Français ont été assassinés en Algérie. Je suis
heureuse que la mission de mon très cher ami y ait été annulée.
Les incidents
ethniques se multiplient dans les transports. Ce sont de simples prises de bec,
mais elles opposent toujours les Français réputés de souche et les Autres.
Vu à Gournay-en-Bray
ce graphitage Les drogués au
four !...
La publicité
Benetton a été retirée, sans doute l’effet du référé. Aux mêmes emplacements,
une nouvelle affiche de la firme SABA presque aussi ignoble. On y voit un curé
avec un appareil et ce texte J’ai
consacré ma vie à Dieu, ce n’est pas pour avoir des problèmes avec mon
magnétoscope.
Depuis environ un
an, je perçois les Elèves d’une curieuse façon. Quand je croise dans les
couloirs du Lycée ceux que je connais, je ne sais plus si je les ai cette année
ou bien si je les ai eus précédemment. Naturellement je ne sais pas dans quelle
section ils sont et encore moins comment ils s’appellent. Je n’ai d’ailleurs
fait contrairement à mes habitudes cette rentrée aucun effort pour apprendre
les noms et les retenir, ce qui était autrefois pour moi prioritaire. Cela
traduit la confusion en cours et la volonté de tenir à distance ce qui me
ronge.
Le bibliothécaire du
Lycée a fait le bilan des vingt ans écoulés. Deux mille huit cents livres ont
été volés soit presque la moitié des achats. J’en suis scandalisée ! C’est
encore pire que ce que je croyais. Cette impression de débâche n’était donc pas
une illusion…
Sur la vitrine de
l’une des librairies des lycées du quartier dans lequel je travaille, cette
annonce : Les Mariage de Figaro sont là !
Commencée hier soir,
la bataille de Moscou fait rage. On ne peut parler ni de rébellion, ni de
Guerre Civile, ni de Coup d’Etat, rien de ce lexique ne convient vraiment.
C’est bien d’une Révolution dont il s’agit et cette bataille n’est qu’un
épisode parmi d’autres. Néanmoins, on est médusé d’une pareille violence
lorsqu’on voit des chars tirer sur le Parlement, ce qui ne se voit pas tous les
jours…
On a plutôt
l’impression d’une bataille planétaire qui se joue là entre les Capitalistes
Occidentaux HORS SOL et des Humains qui ne veulent pas qu’on les laisse pour
compte, comme cela en prend le chemin. Il y a là une hétéroclite coalition de
tsaristes, de communistes et d’anarchistes sans compter les babouchkas, tous attachés
à la Terre et à l’Humanité, même si c’est de façon différente. Quant à croire
qu’il s’agit d’une défense de la
démocratie comme nous le répète les
médias, on en doute.
De toutes façons je
suis plus convaincue que jamais que la démocratie est une technique de dépeçage
pacifique du GISEMENT, le dit gisement étant en l’occurrence la mère
en état d’impouvoir, la gisante à terre, l’être-lieu, la proie. Elle va fort
bien avec le Droit, que j’enseigne aux Elèves comme la pacification des rapports
de forces. C’est durant les Octantes sans qu’on y prenne garde que la
Démocratie s’est substituée à la République. Merci à Régis Debray d’avoir
attiré mon attention sur la différence entre les deux. La République comprend
des formes et des valeurs, là où la Démocratie n’est
qu’une technique quantitative de gestion, une sorte de comptabilité, finalement.
Une Elève m’a
demandé si le Rêve Communiste n’était pas pour la France
l’équivalent du Rêve Américain, Outre Atlantique. J’ai
reformulé la chose autour des Lendemains
qui chantent. Une autre idée m’est venue en leur expliquant la République
comme projet ce qui est tout de même une différence fondamentale avec les
Etats-Unis, dont la démocratie semble être une capitalisation
de la construction historique. Quant à Clément Rouhet, le
Collègue Eurasien, il s’explique Je dis
l’Empereur comme je dirais le Code Civil !...
Depuis la rentrée
1975 que je suis au Lycée Siegfried, c’est la première fois que je vois à la
sortie de Dix Huit Heures, le trio de Direction au complet sur la passerelle du
Premier étage. A cette heure-là, habituellement les Bureaux sont fermés et
l’Etablissement désert, hormis bien sûr, les Professeurs et les Elèves. … Quand
ce n’était pas l’une des anciens Censeurs ou Directrices qu’on croisait dès le
Vendredi midi dans l’escalier, avec sa petite valise…
Du coup, cela m’a
échappé mais je leur ai dis Merci d’être
là, cela réchauffe le cœur ! Et après m’avoir fait répéter, le
Proviseur m’a dit Mais nous sommes avec
vous Madame !... Je ne sais pas si j’ai bien fait de me laisser aller
à cet aveu qui trahit finalement un sentiment d’abandon qui si je l’avais
nettement perçu sous la non direction de Mme Duranton, ne semblait pas pourtant
me suffoquer à ce point. On mesure là, l’importance d’une sorte de dimension
physiologique, cybernétique de l’encadrement et de la Direction, elle-même. Je
m’en doutais mais tout de même pas à ce point là.
J’ai appris de
Christian que la Commission d’Admission en BTS avait systématiquement refusé
les Elèves venant des Ecoles Confessionnelles Juives au motif de l’absentéisme
consécutif aux fêtes religieuses. S’agit-il d’une mesure d’assainissement laïc
comme il essaie de me le faire croire ou plus tragiquement du développement
d’un antisémitisme qui ne dit pas encore son nom ?
Déjeuner hier avec
MR qui trouve que le milieu universitaire hispanisant de notre génération est
de plus en plus opposé au judaïsme et cela par des chemins détournés. Elle est
d’accord avec moi sur le fait que l’aventure psychanalytique de la dite
génération n’est pas sans rapport
avec la volonté de rester en contact avec la pensée juive et qu’elle dépasse
ainsi largement la question de la guérison des névroses. Je découvre de mon
côté que les gens dont je me détache actuellement se trouvent être ceux que la
Shoah n’a pas bouleversés. Et d’autant plus que le système qui semble se mettre
en place me parait être celui de l’extermination de l’Homme.
Au Lycée, la cantonisation galope, particulièrement à
la Cantine où se constituent - pour raison pratiques - des tables musulmanes
qui ne facilitent pas le dialogue interculturel. Quant aux Professeurs, on leur
demande lorsqu’il y a du porc au menu, quels sont les Musulmans qui veulent des
œufs… Bientôt il faudra fournir un certificat d’appartenance religieuse, comme
les certificats médicaux servent actuellement de joker pour débloquer toutes
les situations ! On s’installe dans un système de corps administrés de
l’extérieur et dans la disparition de l’espace
public commun.
Ma protestation
contre cet état de chose étant de plus en plus virulente, j’ai maintenant tout
le monde à dos pour des raisons diverses. C’est intenable ! Non que
certains ne partagent pas mon point de vue mais ils manquent de courage pour le
faire valoir. Le fait qu’au fil des mois, la situation se tend et qu’il n’est
plus possible de prendre la chose à la légère. Dans le même temps, on voit une
bigoterie juive de plus en plus virulente et ostensible, manquant de plus en
plus longtemps pour les fêtes religieuses et le vendredi après-midi.
Les deux coteries ne
sont pas encore clairement déterminées. On voit aussi des élèves arborer de
leur côté sur leur poitrail de gigantesques croix. L’Esprit se rebiffe et
cherche à nommer ! Le mot qui vient à l’esprit est cléricalisme et il me semble qu’en effet, c’est bien tout à fait
cela ! Apolitisme, dogmatisme, frilosité culturelle, absence de débat,
attitude anti intellectualisme, anti sexe et anti femme. Bref la joie !
Par ailleurs plus personne ne comprend ma propagande républicaine.
Quant au Ministre
Jack Lang il a expliqué que les films pornographiques qu’on voyait à la
Télévision n’étaient pas assez hard et qu’il fallait aller franchement dans ce
sens.
Explication enfin de
cette terreur éprouvée l’année 1992 et dont cette chronique rend compte. Cela a
été l’année record pour les investissements étrangers, je n’ai donc pas rêvé
cette mise à sac rapace. L’article dit pudiquement que les Pouvoirs Publics ne
s’en sont pas vantés sachant bien le
sujet sensible et ignorant comme le traiter par rapport aux médias ! Pardi !
La morale que j’en tire c’est qu’on a raison de croire ce qu’on voit et de se
poser toutes les questions qui viennent à l’esprit. L’observation est bien le
B.A= BA des Sciences Sociales et la réflexion ne peut en aucun cas remplacer le
constat. C’est ce que résume Philippe Aubert, à sa façon sur Europe N°1
disant : Quand on voit ce qu’on
voit, qu’on sait ce qu’on sait, faut pas s’étonner de
penser ce qu’on pense !
Paris
Tiers-Monde : Sur les Grands Boulevards un homme se lave les mains dans le
caniveau.
La peur panique qui
a été la toile de fond des saisons précédentes a disparu, ou plutôt elle est
devenue si intense qu’elle a été refoulée parce qu’elle constituait un danger
mortel et une adaptation s’est faite à ce nouvel état dans une existence tous
les jours plus rétrécie mais qui procure en échange une liberté croissante
parce qu’il y a de la désolidarisation dans l’air. Les devoirs cessent d’en
être et on se contente de chercher à survivre au jour le jour. Le seul point
positif est le redressement du Lycée sous les efforts cohérents de la nouvelle
équipe de Direction. J’ai recommencé à enseigner, ce qui ne m’était pas
arrivée depuis plusieurs années. Et même si ce n’est que dans une classe, c’est
déjà très bien !
Une jeune femme de
ma connaissance qui a commencé à travailler il y a six semaines prenant seule un logement à Chartres pour assurer cet emploi, voit
son entreprise déposer le bilan dans une faillite frauduleuse. Les ouvriers
veulent y tuer le patron. Voilà pour l’air du temps.
Une camarade
américaine qui n’est pas venue en France depuis deux ans, se déclare frappée
par le décalage entre les oukases de l’Administration contre lesquels on ne
peut rien et le chaos qui règne, notamment dans le métro. Elle y pointe l’excès
des contrôles, la fraude et le nombre des Noirs qui parlent leurs dialectes
plutôt que le Français, ce qu’elle déplore.
Des bribes
infernales qu’on entend dans les radios. A Amsterdam, une rafle d’environ cinq
cents hooligans incarcérés préventivement dans une caserne. Ce que j’avais
perçu l’an dernier n’était donc pas faux !
Vendredi soir en
classe, offensive islamique ! Deux Elèves me demandent si je les prendrais
si elles viennent avec des voiles. Je réponds que non en expliquant mes
positions eu égard à la nécessité de l’égalité homme/femme et en ne me référant
à aucun moment à la notion de liberté religieuse. Cela est depuis le début, ma
position. Les Elèves me font remarquer qu’elles ont la loi pour elles, ce qui
prouve qu’elles sont bien informées. Je reprends alors sur la nécessité et
l’honneur de désobéir aux lois dans certains cas, comme sous le Nazisme…
Le Premier Novembre
se met en place la première étape du Traité de Maastricht et le Quinze Décembre
les accords du GATT doivent être signés sans aucune renégociation. La France
est en voie de liquidation et nous aussi par voie de conséquence car nous
n’avons plus de place pour ETRE. Nous devenons des chairs sans sens, sans
tropisme et sans lien. Des objets qui encombrent là où ils sont et qu’on pousse
d’un mouvement de mauvaise humeur. Le corps lui-même soumis à cela, se délite
comme une masse qu’un nécessaire n’orienterait plus. Je crois que l’homme s’est
d’ores et déjà perdu. L’espèce a muté en forme de ce GRAND CORAIL que je voyais
venir, à une erreur près: la matière vivante lovée dans les alvéoles
techniques, ce n’est plus l’Homme, c’est un TECHNOME sans âme, sans affects ni
pensée. Nous avons déjà vu nos compagnons digérés par la Télévision et le sens
profond de Ton Nom de végétal terminé il y a deux ans, était bien
celui-là, même si - comme pour mes autres livres - je ne m’en sois pas rendue
compte en l’écrivant.
Il semble qu’ait
commencé un grand massacre ethnique. Est-ce une tentative de l’homme de se
réorganiser à l’intérieur d’un monde machinique américanisé ? La débâcle
de l’Etat/Nation et son remplacement par le système
communautaire est-elle la version
française de cette modification planétaire?
Avant-hier a débuté
un conflit d’une brutalité inouïe. Les pistes de L’aéroport de Roissy ont été
envahies par le petit peuple de la firme Air France en révolte contre le plan social
qui prévoit la liquidation de la compagnie et la leur. La sauvagerie parait
encore plus grande que lors du blocus des routiers l’été 1992. Ces gueux à
mains nus crèvent le cœur. Ils sont en révolte contre l’augmentation des hauts
salaires et la diminution des petits, ce qu’en effet on n’a jamais vu.
A Lycée Bruno
Guitard quasi agonisant est revenu prendre son service après un long séjour à
l’Hôpital. Comme nous passons avec Chantalle pour aller au restaurant sur nos
trois misérables quarts d’heure arrachés à la gangue, on lui dit un mot mais il
nous demande de le lever ce qu’il ne peut faire seul. On le met sur pied comme
un grand malade et on le maintient debout. Il nous supplie alors de l’emmener
avec nous, au moins au café. Compte tenu que nous n’avons avec mon amie que ce
court moment, nous refusons.
Je lui dis néanmoins
que je vais revenir à treize heures soit dans trois quarts d’heure et que là
j’aurais tout mon temps avec et pour lui. Nous tachons d’écourter cette
conversation qui nous prend déjà l’un de nos trois pauvres quarts d’heure et le
remettons aux mains d’une Collègue qui passe, pour qu’elle l’aide à descendre à
la Cantine. Il ne nous reste plus que trente-cinq, quarante minutes avant nos
quinze jours, trois semaines de séparation.
Au retour à treize
heures, comme je m’apprête à m’occuper sérieusement de lui - ayant mon
après-midi devant moi - j’apprends qu’il s’est trouvé mal et que les pompiers
l’ont emmené à l’Hôpital. Chantalle et moi sommes consternées.
La grève prend une
tournure très violente. L’ambiance est lourde dans cette problématique qui
ressemble à celle de la guerre dans la mesure où il n’y a plus de place pour
les sentiments car la quotidienneté doit être surmontée. Là le départ de Bruno
Guitard pour l’Hôpital et celui du très cher pour une Algérie à feu et à sang.
Notre monde a complètement disparu et la littérature elle-même parait elle-même
en péril, ce qui ne m’est jamais arrivé.
Une anecdote
révélatrice est la perte de mon écharpe en dentelle grise. Je n’ai même pas
cherché à la retrouver alors que je suis d’habitude d’une pugnacité totale. Là
je me suis dis Tant pis, laissons
tomber !
Obscénité des Collègues
qui répètent à l’envi qu’ils ne sont pas eux menacés de perdre leur emploi et
qui font tout pour qu’on ne parle pas du conflit d’Air France. Dans les classes
au contraire, c’est l’agitation et on m’écoute sur Mai 68. Je suis désormais
dans la position de ce qu’étaient pour nous Ceux
de 36 ! Il y a là une sorte de douceur et de sérénité.
Le soir je vais
rechercher Bruno Guitard à l’Hôpital Lariboisière. Il n’y est plus, il a été
expédié à L’Hôpital Saint Louis où je vais. Il n’y est pas davantage…. Une
soirée de guerre !... Je pense au Cône Sud de l’Amérique.
Monstruosité de la
situation sociale. Partout le pays qui travaille est licencié, voit son salaire
baisser, manifeste et se révolte. En fait il s’agit plus d’émeutes que de
manifestations. Ce qu’il y a de Nazisme dans l’air, c’est cette coupure entre
les sacrifiés et les autres qui adhérent à cet ordre qui tue et n’ont
qu’indifférence pour la souffrance d’autrui. Ce qu’il y a de Nazisme dans l’air
de l’époque, c’est cette Shoah miniature où l’espèce se coupe en deux. Ce refus
de la coupure, est cela l’Humanité, la Culture ?
Chez le coiffeur,
prise de bec d’une violence extrême. On s’en est pris à mes idées arrêtées ! C’est toujours le
même discours depuis ma naissance. Ce qu’on accepterait d’un homme on ne
l’accepte pas de moi. Et comme je ne suis pas lâche et plus du tout aliénée
cela devient véritablement une passe d’armes. Cette fois cela sentait vraiment
le fascisme s’en prenant à une intellectuelle.
Des négociations ont
fini par s’ouvrir Le Gouvernement propose - pour tenter d’apaiser les émeutes
aéroportuaires - que les sacrifices soient répartis proportionnellement aux
revenus ! Quel aveu !
Onze refus déjà pour
Ton Nom de végétal. Certains éditeurs comme Corti reconnaissant tout à
fait la qualité de l’œuvre dont il n’est en effet pas question de douter.
Qu’est-ce à dire ? Quelle est la signification du fait qu’une œuvre
littéraire exprimant au plus haut point l’époque, ne trouve pas à être publiée
parce qu’elle est monstrueuse, difficile, trop épaisse et économiquement pas
rentable, les lecteurs éventuels n’ayant de toute façon pas l’argent nécessaire
pour l’acquérir ?
Comment ne pas voir
là la confirmation de ce qu’est la littérature ? UNE FORME qui tient bon à
elle seule et par elle-même, contre le temps. D’une certaine façon, elle s’y
oppose toujours, sinon il n’y a pas de littérature. Un texte tenant tout seul
contre son époque ? Il est ! C’est pourquoi il est indestructible –
ETANT - qu’il soit publié ou non parce qu’il a pris sa forme par lui-même. Il
me semble qu’au contraire, l’essai en Sciences Sociales ne peut qu’être
compromis avec son temps et d’une certaine façon ne peut pas le contredire.
Une lettre envoyée à
l’Association Parité pour leur proposer
un groupe de travail sur la question de l’articulation des idéaux républicains
et la lutte contre le voile islamique.
Dîner en ville avec
un ami à qui j’expose mes analyses de la situation. Il soutient que le Nazisme
avait un plan ce qui n’est pas le cas du régime actuel. Mais le tout machinisme,
l’ultra rationalisme, la volonté logistique alliés à une recherche effrénée des gains de productivité et du
profit, n’est-ce pas un plan
économique au sens fort, propre et violent, c'est-à-dire la recherche de
l’exploitation maximum ?
Dimanche une tournée
en banlieue comme on n’en n’avait pas fait depuis dix-huit mois. Quelques
changements : Les Cités ont été rénovées, repeintes sans doute avec les
derniers crédits du Gouvernement Socialiste. Les arbres ont poussé. Sarcelles a
même l’air d’une vraie ville… Le problème n’est donc pas immobilier pour autant
qu’il l’ait jamais été. On peut même dire que les
Grands Ensembles ont fini par s’amortir à l’intérieur du tissu urbain qui avec
le temps les a assimilés. Il s’agit donc d’un problème social plus général.
Quant à Saint Denis, on est agréablement surpris d’y découvrir une vraie ville
moyenne, populaire et animée qu’on envie un peu à côté du coma parisien. On y
retrouve la nostalgie d’une arabité heureuse. Celle du slogan de Mai 68 Français, Immigrés, même combat !
Le FIS apparaît alors comme un mauvais souvenir.
Dimanche midi on
apprend à la Radio l’enlèvement de trois employés du Consulat à Alger, ce qui
est une déclaration de guerre ouverte à la France. Heureusement le voyage du
très cher a été annulé car même les Officiels ne sont plus à l’abri.
Le journal Le Monde n’a pas renoncé à nous faire la
morale concernant les mauvais sentiments qu’on pourrait nourrir en ce qui
concerne ce qui nous tue !
Parmi les
indicateurs qui donnent la mesure de la situation, la centaine de
Polytechniciens qui pointent à l’ANPE et les quatre cents qui sont en recherche
d’emploi! Le Bureau de Placement des Anciens Elèves en est paraît-il,
désemparé. Quant à l’expression Menu qui
donnait déjà le choix entre fromage et dessert, il ne recouvre plus maintenant
qu’un plat et une entrée. Cela peut éclairer sur les causes de l’évolution du
langage.
Mardi dernier, au Lycée
réunion haute en couleurs de la Commission du Livre. Seul le Proviseur y parla
de culture et moi de deux livres apportés pour la circonstance. Weill fit état
de tous les canaux officiels qu’il connaissait comme sa poche, notre nouveau
Collègue fit la promotion de son propre ouvrage et de son éditeur en nous
expliquant qu’il voulait en parler aux Elèves. C’est typique de ce que
j’appelle une faute de goût !
Le chaos gagne entre
les grèves, les occupations, les manifestations. A la suite du retrait du Plan
Social d’Air France, les Travailleurs et les Syndicats s’entredéchirent, la
tension monte sur tous les fronts sociaux, les Autorités sont étrangement
absentes ainsi que les Cadres et les Intellectuels fussent-ils, officiels. Les
gens ont peur et se cachent en attendant que cela passe, mais cela ne passe
pas. Au contraire, l’épaississement se fait de jour en jour. Ce n’est pas
encore l’explosion soixante-huitarde mais ce ne sont plus non plus les mouvements sociaux habituels. Finalement la jeune femme qui venait de prendre
un travail dans l’entreprise au bord de la faillite en a réchappée. Il n’y a
que la moitié des employés qui ont été licenciés…
En Egypte l’ancien
Doyen de la Faculté de Droit d’Aix en Provence qui était là pour un Colloque de
juristes, a été assassiné ! Mon très cher ami a été appelé au secours par
une algérienne couchée sur la liste des femmes à abattre…
Je pense à Alain
Touraine qui a publié le journal qu’il a tenu l’été 1973 au Chili juste avant
le Coup d’Etat. Il était au cœur des événements et constamment à côté de la
plaque et je me demande mutatis mutandis en quoi je le suis moi-même
aujourd’hui. Je pense également à Bruno Bettelheim qui dans Le Cœur
Conscient s’efforce de comprendre le système concentrationnaire qui le
broie. Je fais la même chose. La difficulté est d’affronter le nouveau,
l’inédit, d’inventer les nouvelles catégories mentales et de forger les
concepts qui permettent de rendre compte de ce qui se passe. Là il s’agit de
l’abolition de l’Homme. La mutation biologique hors sol, le triomphe du
machinisme et la relégation du corps humain, le retour du cannibalisme. J’ai dû
rompre avec tous ceux qui m’empêchaient de penser en s’efforçant de me
maintenir dans les structures mortes.
Mercredi soir à la Télévision,
une émission d’Envoyé Spécial traite du commerce des pièces détachées récupérées sur des cadavres, à savoir les tissus, les os,
les cornées etc… servant à faire du mortier pour les réparations squelettiques
et jusqu’à la graisse des cadavres utilisée pour la reconstitution esthétique
des seins ! C’est peu dire qu’on est sidéré ! On avait bien l’idée
que ce genre de choses devait se produire, ne serait-ce qu’à la suite du
scandale des hormones de croissance contaminées - également prélevées sur des
défunts - mais ce qui laisse désemparée dans ce reportage, c’est que ce trafic
ait eu lieu au vu et au su de tout le monde, avec l’impression d’un catalogue
indiquant les prix.
Par ailleurs cette
émission ne fait à aucun moment référence à des problèmes éthiques éventuels.
Certains vont même jusqu’à récupérer les dures-mères et on entend parler de
douze mille cadavres par an, ainsi traités. Sémantiquement parlant, les mots
clés sont bien gérés et traités et on ne peut pas ne pas se souvenir que les
Nazis eux-mêmes parlaient de traitement
au sujet de la solution finale.
Je n’approuve pas
cette absence de préoccupation éthique, je la constate. J’ai même la veille
pour illustrer mon point de vue, précisé à une américaine au sujet du clonage
de l’Espèce Humaine que les Mérovingiens
n’avait rien à faire des problèmes éthiques des Romains. La
fréquentation des milieux techno-médicaux ainsi que des Elèves m’ont
depuis longtemps, affranchie sur la modification du statut de la matière
humaine.
On apprend
incidemment que Pierre Bérégovoy était le fils d’un Officier du Tsar. On serait
tenté de dire qu’on comprend mieux ce qui s’est passé. On nous l’a donné pour
fils de garde barrière, autodidacte et militant socialiste de base. Fils de
garde barrière et fils d’Officier du Tsar, c’est peut-être bien la même
personne mais cela permet de bricoler toutes les légendes dont a besoin. Quant
au fameux prêt de Cent millions que lui a consenti Pelat, il n’a pas été
remboursé et le mystère demeure.
Dans la semaine, vu
sur Arte une émission concernant en France, l’Ecole Polytechnique. Elle donnait
la parole aux Elèves, d’où il ressortait que la dite école n’avait aucun
intérêt, que beaucoup d’Elèves mal orientés faisaient autre chose après leurs
études et jusqu’à la répétition du défilé des Champs-Elysées en chantant une
version folklorique qui ridiculisait l’Etablissement pourtant symbole de la
promotion républicaine. On est sorti de là souillé, comme souvent après avoir
regardé cette chaîne qui parait l’une des machines à détruire notre société
traditionnelle.
Confusion médiatique
hier soir autour de la libération des otages ou du moins de ce qu’on a voulu
nous faire croire tels car la plus grande confusion règne sur la Rive Sud. Ce
qui me frappe surtout dans cette affaire c’est que le débat médiatique autour
de l’intégrisme musulman fait perdre de vue que le FIS est avant tout fasciste.
A la Télévision Guy
Bedos disant que certains parlent des grévistes d’Air France, comme les Pieds
Noirs parlaient des Arabes et que cela pourrait bien se terminer de la même
façon !... Je ne suis donc pas la seule à dénoncer cette ambiance
coloniale…
En dépit du silence
épais des médias, le peu qui filtre montre que les grèves continuent à
s’étendre. Outre les Transports, elles ont atteint les Etudiants, les milieux
journalistiques et jusqu’aux Auxiliaires de Police. Chez les Paysans, la
guérilla est installée depuis deux ans. Quelques foyers ponctuels chez les
Enseignants de Banlieue. Des usines nous n’avons pas de nouvelles. Sauf
exceptionnellement lorsqu’il y a un coup d’éclat mais tout laisse à penser que
ce doit être à l’avenant… A Paris, il y a une manifestation tous les jours pour
une raison ou pour une autre. Même si les médias n’en parlent pas, on le
constate aux lignes d’autobus détournées. Les grévistes d’Air France campent
devant le Siège Social de la firme à Montparnasse, en tapant sur les bidons
pour ameuter les passants !
Sortie de deux
classes de l’Ecole Privée Saint Vincent à côté du Lycée. Pas un seul élève au
teint basané…
Arrivée au Lycée,
sous le verre de la table centrale de la Salle des Professeurs, table
symboliquement quasiment sacrée, une publicité pour apprendre l’anglais !
Je le retire illico, of course !...
Les Islamistes
donnent un mois aux Français pour quitter l’Algérie, après quoi disent-ils…
Les publicités sont
toujours plus cyniques, obscènes et androgynes. Le journal Le Monde n’est pas à l’abri. Elles y sont maintenant insupportables.
J’apprends que la
femme du serrurier de la boutique de la station de métro - là où je fais faire
habituellement mes clés - s’est suicidée en se jetant du neuvième étage !
Elle passait sa vie dans une toute petite échoppe assise sur un tabouret à la
lumière artificielle et elle semblait d’autant plus souffrir qu’elle était
énorme. J’avais autrefois compatis avec sa douleur physique à partir des
miennes, en imaginant ce qu’elle pouvait ressentir.
Au Lycée comme
j’arrive à Onze Heures Vingt, je rencontre mon Collègue Clément Rouhet qui me
dit qu’il a un foulard dans la classe de 1e 3 G. Bien que ce ne soit
pas une surprise et que je m’y attendais depuis longtemps, mon sang ne fait
qu’un tour ! Assez agités à la Cantine, les Collègues poussent à une
réunion à la récréation de l’après-midi, laquelle tourne court, tellement ils
sont terrorisés et s’engagent dans un processus de déni. CW fait état de son
côté d’une montée de l’antisémitisme, même si les digues de la bienséance ne
sont pas encore emportées. Deux Collègues doivent sans doute le sentir
puisqu’ils proclament de façon fervente et pathétique qu’ils sont juifs. Etre
juif, est ce justement cette capacité de proclamer in situ la phrase Je suis juif ! Si je considère ceux
que je connais, on peut le croire.
Concernant le
foulard, le documentaliste - selon la fameuse formule de ce genre d’individu -
prétend qu’il faut qu’on en discute
alors même que je lui oppose mon objection
de conscience individuelle féministe en lui affirmant que de toute
façon, je ne ferai pas cours à une élève voilée. Je l’ai envoyé sur les roses
avec sa vision communautaire de la pire espèce et d’autant plus qu’il
m’avait auparavant complaisamment expliqué tenir d’un ami algérien que ces
femmes en portaient pour être tranquilles,
tellement elles étaient draguées en Algérie. Inutile de commenter cet argument - hélas trop connu - sans
compter les sous-entendus racistes des maghrébins comme des boucs…
Si on revient sur
l’affaire du foulard, la première remarque est que seuls CW et moi, sommes
violemment remontés contre l’offensive intégriste qui menace le Lycée. Nous
l’attribuons à notre fidélité à Mai 68 car en effet quoi de plus
anti-libertaire que cette perspective ?
A Nantua, quelques
Lycéennes ont été exclues huit jours pour le port du tchador, le Proviseur
étant ouvertement soutenu par Pasqua. On s’étonne toutefois que ne soit tenu
aucun compte du dernier avis du Conseil d’Etat qui pourtant l’autorise.
Spectacle navrant
des immeubles qui ont été défoncés pour être transformés et qui maintenant sont
vides avec le laconique et sinistre panneau Bureaux
à louer. De plus en plus de caméras surveillent tout en permanence, y
compris parfois même à chaque étage sur les balcons comme au Carrefour de la
Trinité...
Je suis allée
rechercher mon manuscrit Ton Nom de végétal chez Mercure. Pour le
trouver, on me demande si j’habite Paris ou la Banlieue. Que doit-on en
déduire. Est-ce un simple critère de rangement ?
Arrestation en
France et mise en garde à vue de près d’une centaine d’Intégristes du FIS.
Notamment dans le quartier Barbès dans lequel je travaille ! Dois-je en
conclure que je n’ai pas rêvé d’en percevoir l’offensive sur le Lycée ?
Par contre je supporte fort mal la tentative des Collègues de lier la question
du FIS à celle de l’intégrisme juif qui désorganise tout autrement la vie du
Lycée.
C’est désormais de
façon structurelle que le métro fonctionne irrégulièrement. On parle même
concernant la sécurité de ligne à risque.
On croit rêver mais non !
Les salariés
licenciés de la firme Chausson ont saccagé le Tribunal de Commerce. Le
Mouvement étudiant s’étend.
La Télévision est
irrespirable. Mensonges, propagande, narcissisme, cadavres et/ou
arrière-trains !
Le journal Le Monde est également devenu
insupportable. En plus de tout ce que j’ai déjà dénoncé, la nouveauté est
plutôt la propagande effrénée pour la réduction du temps de travail accompagnée
de celle des salaires, récupération éhontée des idées de Gauche et écologistes
complètement perverties dès lors qu’elles sont en dehors de leur logique
d’ensemble. On hésite entre la honte et l’exaspération ! Enfin ce qui se
déballe des scandales médicaux et financiers glacent de terreur au point de se
sentir incapable de prendre un médicament dont on ne peut plus être sûr qu’il
n’a pas été fabriqué avec un cadavre infecté. Non seulement ils nous ont privés
du respect des morts mais maintenant ils en ont fait des objets de terreur.
Peut-être était-ce cela lors de la Peste dans l’Ancien Temps.
En fait de laïcité,
on voit au cou des un(e)s et des autres, des croix dont la taille va
croissant ! Cela met un peu mal à l’aise. On voit par ailleurs des étoiles de David et des mains de fatma ! Dans la classe
cela fait d’autant plus un drôle d’effet que les Elèves ne se contentent pas de
les montrer mais qu’ils ou elles les arborent.
Pour l’efficacité pédagogique nécessitant de retrouver la stabilité, j’ai été
obligée de prendre en compte cet état d’esprit et de regrouper le tout sous le
concept de monothéisme.
Il n’y a plus
d’espace littéraire qui permette d’écrire autre chose que de la poésie et cela
est vrai depuis la fin de Ton Nom de végétal. Sans doute faute de
pouvoir se projeter dans l’avenir…
Pour la première
fois j’arrive au Lycée en train par la Gare du Nord en venant du coin de
campagne. C’est l’été de la Saint Martin entre brume et soleil. On a
l’impression de marcher sur les eaux. On m’a menée à la Gare de Beauvais où
j’ai pris le train de Huit heures Quarante Sept. J’ai été stupéfaite d’y voir
Cinquante pour Cent de Noirs.
L’après-midi je
passe aux Elèves une cassette sur la Guerre d’Algérie. Je ne l’ai pas passée
depuis deux ou trois ans mais dans le contexte d’arrestation des Islamistes, la
réception de la classe est toute différente. La problématique de cette guerre
est devenue incompréhensible comme de peser
des œufs de mouche dans des toiles d’araignées. Les idéaux de l’époque ne
sont plus ceux d’aujourd’hui.
Ungaro récidive avec
son infâme publicité pour un parfum pour Homme avec le slogan Parfum masculin. L’image montre une
femme habillée d’une chemise ouverte sur des seins généreux et d’un chapeau.
Cela me rappelle la vision fugitive et tragique que j’ai eue d’une femme folle
installée sous un arrêt d’autobus avec ses paquets. Elle avait une chemise
d’homme sur les épaules et une cravate au cou….
Les Employés de la
RATP se plaignent des agressions, notamment à la station Strasbourg
Saint-Denis. La Direction leur a répondu qu’ils n’avaient pas à le faire parce
que sur Cent Cinquante, ils n’avaient été que Vingt à être agressés depuis le
début de l’année !!!
J’ai dû ressortir
mon manteau que je n’avais pas porté depuis deux ans car il n’y a pas eu
d’hiver, l’an dernier. J’en ai éprouvé une sorte de malheur…
Hier, de nouveau une
tragique réunion pédagogique laissant l’impression d’être tombée dans un
guet-apens. On nous a en effet sommés de verbaliser une demande de formation
que nous n’avons d’aucune façon… la grossièreté, la vulgarité et le mépris
fascisant avec un groupe de sbires non identifiés a constitué un véritable
lavage de cerveau. On a entendu de curieux propos tel que Pour moi réfléchir, ce n’est pas travailler qui faisait écho à ceux
entendus au printemps précédent lors de la prétendue Mise en place de la Réforme : Vous ne serez pas pénalisés, si vous enseignez !
Ce sont à chaque
fois ces genres de phrases qui déclenchent l’explosion. ! On ne peut pas
les attribuer à des lapsus, des erreurs ou des à peu près et on est bien obligé
d’admettre que c’est bien là le fond de la philosophie de cette cohorte new
look. Elle essaie de nous cornaquer dans le sens de la transformation de tout
un chacun en une machine parfaitement huilée constituant un rouage impeccable
dans un ensemble totalement informatisé.
On peut relier cela
à ce que j’ai déjà explicité dans La Newcité ou La Jeune morte en
robe de dentelle tout allant finalement dans le même sens à savoir
l’établissement d’un logiciel destiné à déshumaniser la biomasse pour la transformer en machine rationnelle informatisée. On retrouve le Ne
pensez pas, on pense pour vous de Taylor inventant l’Organisation
Scientifique du Travail, appliquée là à la production
de la matière humaine, production comme une
autre !
On comprend mieux
alors cette sensation d’être devenus des ouvriers et le profond ennui qu’on
éprouve dans certaines classes. Les sbires qui nous lavent le cerveau sont-ils
nos contremaîtres ? Cette résistance farouche à ce qui se met en place,
est-ce celle à l’industrialisation de la
formation dont nous étions jusque là les artisans.
. Est-ce en ce sens que nous avons besoin d’une formation, comme en auraient
besoin des artisans qu’il faudrait reconvertir en ouvriers ? Je crois que
je tiens là la pièce majeure de l’analyse et que c’est autour d’elle qu’il faut
tout structurer. Ce que nous subissons, c’est la Réification dont nous parlait notre Professeur Bartoli, à
l’Université, en 1967.
Concernant
l’algarade de la veille, une Collègue précise que dans les ZEP : Ils viennent deux fois par trimestre, les
Collègues sont moins polis que vous, ils leur disent carrément Vous nous faîtes
chier ! Elle raconte aussi qu’ILS y sont encore grossiers et
autoritaires et le leit -motiv est qu’ils exigent à chaque fois qu’on trouve
une nouvelle définition d’enseigner.
J’ai retrouvé dans
les Actes du Colloque La Solitude publiés
par L’Hexagone, la communication de
Tahar Ben Djaout assassiné par les Islamistes. En réalité j’avais participé
avec lui aux Rencontres Québécoises de 1988 mais il ne m’avait laissé aucun
souvenir. Ni sa personne ni sa communication. Je ne lui avais même pas parlé.
Cette aventure là rend modeste. A la limite, la solitude – le thème du
Colloque - c’est bien cela.
Les arrestations de
Kurdes continuent mais on n’en parle pas. Leur quartier est pourtant juste en
dessous du Lycée.
Vague de froid, cinq
morts.
La Radio parle
ouvertement d’explosion sociale et de Révolution.
Pendant le week-end,
remake de la Bataille d’Alger avec bouclage de la casbah.
Angoisse de cette
masse d’errants. Selon Jacques Chirac Maire de Paris il y a dans la ville Dix
Mille clochards, Quinze Mille marginaux, et Trente Mille personnes dans la
débine. On s’installe dans la forclusion du social remplacé par une pandémie humanitaire.
Le Grand Palais est
fermé, la verrière allait s’écrouler ! Voilà une bonne chose depuis le
temps qu’il nous pleuvait dessus au Salon du Livre qui s’y tenait
habituellement….
Neuf vagabonds sont
morts de froid.
Violente bagarre en
Lorraine : un CRS quasiment tué. Des émeutes incendiaires réclamant le protectionnisme. Des Comités de sauvegarde de l’emploi
qui occupent de ci de là les entreprises. Le pays est quasiment en insurrection
et pratiquement rien ne filtre. Bonheur sans égal d’enseigner et de parvenir à
nourrir mes ouailles de tout ce dont elles ont besoin !
Outre de ci de là des
usines occupées et des patrons séquestrés dont on apprend que la Police les a
libérés, on apprend sur France Info que les Intermittents du Spectacle occupent
à Paris, la Salle Favart de L’Opéra Comique, l’Opéra de Marseille et d’autres
théâtres dans quelques grandes villes.
Le pays tout entier
est en proie à ce qui est sans doute ici en France un début de Révolution, mais
qui a du mal à se faire jour à cause des médias et des transports qui
fonctionnent mal sans pour autant être comme en Mai 68, arrêtés. C’est là la
principale différence pour le moment, si on pense que les Comités d’Action n’ont
pas été immédiats et qu’il a quand même fallu chercher - lors des fameux
z’Evénements - celui des Abbesses que nous avons fini par trouver. Pour le
reste les agressions quotidiennes continuent.
Une publicité de
produit de beauté représente une femme avec un voile sur la tête mais de telle
sorte qu’il peut passer pour une simple serviette de toilette.
Une tsigane mendie
table par table à l’intérieur même d’un Mac Donald’s. Dans les wagons de métro,
les pauvres harcèlent. Les transports, les journaux et les services
informatiques dysfonctionnent et il faut surmonter quotidiennement tous ces
stress.
A la Télévision ces
images impressionnantes des bagarres à Metz, les gens armés de manches de
pioches et de pelles mettant à sac ce qui les tue : les Importations et le Pouvoir. Une bande de Gueux
comme les cinéastes grimeraient des figurants dans un film sur le Moyen-âge.
J’ai vu aussi
Mercredi un terrifiant reportage sur l’Algérie, évoquant l’ambiance des années
de la dictature argentine. C’est bien la confirmation qu’avant d’être un
mouvement religieux, le FIS est un fascisme.
Les bagarres à Metz
ont fait cinquante blessés dont quarante sept Policiers. Il y a des bagarres
lycéennes à Bordeaux et ailleurs. A Lille, les transports sont en grève totale
à cause des agressions. Les conducteurs sont attaqués à coups de révolver et
affirment qu’il n’y a bientôt plus qu’eux qui vont dans les quartiers relégués. Cela ressemble à ce que je vis en classe, où il semble
qu’il n’y ait plus que nous qui fassions un effort d’éducation sur cette
jeunesse à la dérive.
Ce n’est pas le
futur qui est bouché, mais le présent. De même qu’on parle de socialisme réel pour nommer ce qui s’est effectivement installé en URSS et qui
différait profondément de l’idéal socialiste, on peut parler de la même façon
de la démocratie réelle. On comprend alors qu’elle n’est pas comme on pourrait le
croire une technique d’arbitrage suivant un débat d’idées mais plus simplement
le pouvoir de la masse, en tant que biomasse, le nombre et le poids faisant la force. C’est en cela
qu’elle porte en germe un fonctionnement totalitaire. C’est qu’on confond
dictature et totalitarisme. On oppose ensuite dictature et démocratie et par
glissement on croit que démocratie s’oppose à totalitarisme. Cela dans un monde
plat sans aucune articulation de raisonnement.
Bagarres Gare du
Nord avec les Ouvriers de la firme Chausson en liquidation. La Télévision nous
en annonce les images puis finalement ne nous les passe pas !... Il est
difficile d’en savoir davantage et c’est ce qui depuis trois ou quatre jours,
me préoccupe, les médias faisant plus ou moins barrage. C’est encore avec les
Elèves, Chantalle et MR que j’ai le plus d’échanges sur ce qui se passe
réellement. Sans compter bien sûr les anonymes dans les boutiques, la rue, les
transports et les taxis. Plus que jamais j’ai l’impression que cette Révolution
comprend la résurgence de la Mère et que c’est en cela qu’elle est mienne, sans
être a contrario celle de ceux avec qui je suis en train de rompre.
Incendie du Centre
Commercial du Val Fourré. Pendant les Vacances de la Toussaint trois enfants de
huit à dix ans ont tué un clochard ! La propagande des médias tente de
nous persuader de la nécessité d’accueillir chez nous les sans-abri. C’est en
effet une solution radicale et on peut même si cela ne suffit pas, distribuer des
billets de logements !
En Classe, arrivé en
direct de la manifestation des Lycées, je trouve un autocollant sur le tableau Esclave en l’an 2000, non merci !
Travaillant dans le
Quartier de la Gare du Nord, je suis dans le lieu même où CELA se passe. Les
pillages, les bagarres, les arrestations. Situation terrible de cette
conjonction de l’impossibilité d’établissement des Jeunes, de la mort prochaine
des Parents et de l’écroulement de la société. Mais aussi jubilation du
rapprochement croissant des laissés pour compte que nous sommes, nous les Mères
et les Enfants et de surcroît les mères soixante-huitardes qui en avons lutté
si difficilement dans les vingt cinq ans écoulés et en sommes en quelque sorte
légitimées aux yeux des Jeunes, sans qu’ils en aient encore conscience.
Si on prend en
compte ceux qui sont en stage ou dans des formations plus ou moins fictives, on
arrive au chiffre de cinq millions de chômeurs. On en est tétanisé.
D’origine
criminelle, déraillement du Chemin de Fer Gare du Nord. Des Lycéens sont tués.
Est-ce ceux dont l’absence hier m’étonnait ? On apprend du coup
incidemment qu’en 1992 à la SNCF, il y a eu dix mille actes de malveillance
dans le pays dont la moitié en Ile de France. Combien de sabotages ont entraîné
la mort de voyageurs ? Combien de banquettes simplement lacérées ? Il
semble que toute morale ait disparu de la société et surtout jusqu’à la
perception de la vie humaine. On n’est plus soi et les siens, à l’abri d’être
tué gratuitement au coin de la rue, par les scories de la Grande Machine ayant
laissé à la dérive une biomasse déboussolée et insensée. Délinquant signifie bien étymologiquement abandonné.
Magnifique Philippe
Séguin vitupérant la CEE d’un Cette
Europe qui se faisait au mieux sans les peuples et au pire, contre nous !
J’ai lu le Kama-Soutra.
Il m’a fait l’effet d’un Catalogue de la
Redoute rédigé par un jésuite qui
aurait été étudiant en médecine.
D’une conversation
avec un ancien élève, il appert que la transgression serait de mon point de vue
l’affirmation du corps CONTRE la médecine et du sien l’honneur. Je trouve cela
intéressant. Sans doute ces deux idées ont-elles par ailleurs à voir comme
s’opposant l’une et l’autre au hors sol pour refonder. En effet, aujourd’hui la
transgression, c’est la Refondation !
A la Semaine du Livre au Lycée, le
bilan est équilibré. Bien entendu - comme je m’y attendais -
les livres véritablement de littérature que j’avais fait mettre sur la liste
pour les proposer à la vente ont été évacués ! Il s’agissait de L’Espèce
humaine de Robert Antelme et de L’Etabli de Robert Linhart. Par
contre le livre de notre Collègue Gattegno trônait au milieu de toute une table
d’ouvrages de son éditeur Calmann – Lévy. Il était proposé à la vente au prix
de cent Francs…aux Elèves sans que personne n’ait émis de critique… Cela en dit
long sur la déontologie républicaine en cours. Le Proviseur a organisé un
planning pour imposer aux Elèves de passer une heure pendant celles des cours à
L’Exposition-Vente.
On peut trouver
qu’il y a dans cette affaire de la vente forcée qui n’était pas tout à fait ce
qu’on avait compris du projet initial, puisque même les Collègues
collaborationnistes en ont été choqués à moins que devant moi, ils aient fait
semblant…ce qui n’est pas impossible ! Néanmoins cette présence matérielle
d’un stand de livre à acheter était globalement une bonne chose, même si les
ouvrages proposés étaient essentiellement un spécial copinage. La littérature
représentait un quart des ouvrages, essentiellement Le rouge et le noir,
La horla, L’éducation sentimentale, Crime et Châtiment.
Mais Chantalle est allée jusqu’à dire qu’il s’agissait là d’un leurre.
J’ai dans mes
classes fait ce que j’avais prévu à savoir en 1TSC1 dans le cadre du cours de
Droit L’Espèce humaine et en 1TSC2 L’Etabli dans celui d’Economie
de l’Entreprise. Dans les deux cas en appliquant ce que j’avais compris de la
méthode de critique littéraire américaine qui avait qualifié mes livres d’authentiques traités d’économie politique, j’ai pu en faire autant
concernant ces deux textes. Ils traitent en effet mieux que tous les manuels
des rapports de production et du sort
réel de ce que certains appellent le capital
humain. C’est ce que j’entendais
démontrer. J’avais prévu d’abord une lecture d’une demi-heure, constituée
d’extraits rendant compte du livre puis une analyse stylistique autour de la
métaphore centrale.
La préparation de la
critique littéraire par la méthode américaine a fait apparaître que dans un cas
comme dans l’autre, c’est bien le corps qui résiste justement à l’arrachement
du corps. Dans L’Espèce humaine, la langue en témoigne d’un côté par la
pénétration excessive de la langue allemande et de l’autre côté par l’obsession
des fonctions physiques, manger, uriner, déféquer, souffrir, rire et
l’expression de cette obsession par la puissance de verbes presque argotiques.
Dans L’Etabli c’est bien le corps qui lui aussi résiste, pris dans une
dialectique de pronoms qui d’un côté le marginalise et de l’autre un Je qui au contraire, l’établit !
Je n’ai jamais si
bien compris qu’en préparant cette explication à quel point l’idée même de l’établi était prise dans les deux sens
- le meuble qui sert au travail manuel et l’Intellectuel engagé à l’usine -
mais qu’il se connectait également au concept de l’Etat, en tant qu’ordre établi rejoignant ma notion issue du grec CATASKENE que j’ai déjà
développé dans A bord du Grand Corail et dans La Pensée Corps.
En fin de compte cet
établissement, c’est le JE qui domine son environnement. Le débat des pronoms,
c’est la grammaire elle-même ! L’extermination du capital humain, c’est
cela ! Le débat des langues, c’est cela ! J’ai même prévu
d’approfondir le sujet et d’en faire un article.
Si la lecture de
Robert Linhart a très bien marché, c’est sans doute parce qu’il s’agit d’une
langue orale ressemblant à la mienne et que je pouvais donc m’y livrer avec ma
bouche littéraire, c'est-à-dire la proférer.
Cette lecture très réussie entraîna la réponse positive des Elèves à ma
proposition de critique littéraire et dans la foulée la réussite de mes
explications.
Concernant le
traitement de L’Espèce humaine j’ai eu un peu plus de mal. D’abord parce
que étant une pure écriture, elle se prête mal à la lecture, je m’en suis
rendue compte. Quant aux Elèves, ils n’étaient pas très captivés, certains à la
limite du bavardage. Le contexte n’étant pas favorable, j’ai renoncé à
entreprendre la critique littérale pour me cantonner à quelques questions qui
m’ont sidérée. Notamment l’un deux a dit que le SIDA était plus grave et un
autre a remis sur le tapis la question de l’état
de l’Afrique. Seuls deux Elèves Juifs ont manifesté de l’intérêt et
une élève est venue me remercier et me dire à la fin du cours son émotion.
J’avais le matin
même en arrivant trouvé sur mon bureau un poème anonyme dont j’ai fortement
félicité l’anonyme auteur(e), le ou la déclarant fort doué(e).
Sans pour autant obtenir son dévoilement. Je le recopie :
EN MARCHE POUR LA REVOLUTION
Emphatique discours
N’épargnant même la névrose
phobique
Martèle encore nos esprits
Accuse nos corps
Redouble de violence
Crève nos yeux
Habite chacun de nous,
Et tu verras tes enfants
Perclus par la peur
Opposer leurs droits !
Une voix
Rien qu’une voix…
L’écluse cédera sous le cri
A la première charge.
Rien qu’une voix
En marche pour la
Révolution !
Voici le mot d’ordre
Ordonné,
Limpide,
Unique,
Téméraire,
Impatient…
O emphatique discours
N’épargne plus ton
tourment !
….
Bientôt,
Tu ne seras plus !
Un ou Une élève de 1
TSC2 du Lycée Siegfried Paris
Décembre 1993
Le fait est que ce
poème m’a fortement émue bien que je n’ai pas pu me déprendre de la sourde
angoisse et qui sait de la menace éventuelle qu’il contenait. De toutes façons
la situation est versatile et les mêmes qui paraissent un moment des alliés
pour la Révolution, semblent à un autre des ennemis, voire des fascistes
déclarés qui s’emploieront à me faire licencier. La volatilité de la situation
fait perdre les repères et on ne sait plus comment se comporter.
Dans la Salle des
Professeurs, la violence des Collègues pour me faire taire donne à réfléchir.
Chantalle et moi nous nous sentons menacées et devons parler bas à l’écart, en
nous méfiant des oreilles indiscrètes. On pourrait croire à de la paranoïa mais
c’est révélateur de la cassure qui affecte notre micro société. Certains se
mettent même à parler anglais dans la Salle des Professeurs et
à la Cantine. Je proteste stupéfaite mais suis plutôt mal reçue. On sent bien
que tout cela est lié au GATT et que notre destin est suspendu.
Tous les jours des
assassinats en Algérie.
Une Elève suisse se
plaint que son courrier arrive ouvert et me demande ce qu’il faut faire.
Moi-même et quelques autres en ont également reçues dans le même état.
Expulsion par la
Police de la vingtaine de SDF qui dormaient depuis le début du mois devant le
Ministère des Affaires Sociales. On nous dit qu’ils ont été conduits dans un Centre Social, ce dont on peut s’inquiéter. Une semaine c’est une rafle
chez les Polonais, la suivante chez les Tunisiens.
Un bouleversement
juridique survient à cause de la loi votée punissant les délits sexuels des
Français à l’étranger. Si je comprends bien, désormais la souveraineté ne
s’exerce plus sur un territoire mais sur des gens. La notion de capital humain gagne donc encore du terrain.
Au Journal Télévisé
du soir, un reportage sur les autobus qui ont abandonné la desserte de trois
arrêts de Sarcelles à cause de l’insécurité. Les SDF évacués ce matin sont de
retour ce soir devant le même Ministère et il y a des bagarres avec la Police.
Elections en Russie : Forte poussée de l’Extrême Droite. Etc…
Dans les publicités,
on voit un homme avec les pieds coulés dans le béton - comme c’étaient les
modalités des disparitions lors de la
Guerre d’Algérie - essayer de se hisser quand même pour attraper un appareil
vidéo. Une autre dans les Grands Magasins, concernant les Fêtes : On lit
le slogan Des cadeaux pour faire plaisir
aux autres, et surtout à soi. Bref en toute chose, le monde est
inversé !
Quant aux sans abri
d’hier, ils ont été malmenés par les CRS qui empêchaient les passants de leur
apporter des couvertures et des gamelles. On apprend incidemment que le matin,
on les a effectivement emmenés sans leurs affaires. On avait donc bien raison
de s’inquiéter du départ pour un Centre
Social. Cela confirme que le concept
de social couvre désormais le lieu de
l’évacuation de l’humain.
Dans la langue de
bois, apparition inexpliquée depuis six semaines, du terme opaque.
On est réduit à être
une biomasse de plus en plus malmenée et à l’intérieur de laquelle c’est le fucking qui règne. Il n’y a plus une
relation normale, au sens d’autrefois. Quant à la Télévision elle achève
d’obturer et de détruire. On n’y voit plus que des Journalistes et des
Ministres. Il n’y a plus jamais d’invités et pratiquement plus d’émissions en
direct. Quant aux figurines qu’on y voit, toujours souriantes même lorsqu’elles
évoquent les drames, on dirait que ce sont déjà des clones, tellement elles se
ressemblent dans leur plastification.
Des usines chimiques
américaines, hollandaises ou allemandes s’installent en Picardie sans doute
pour délocaliser leur pollution. Des affiches en anglais. Voyant passer une
très belle femme un type qui crie Elle
est bonne, j’ai envie de la péter ! On tire à la carabine sur les
voyageurs des trains sur la ligne Paris Pontoise. Un article dans le magazine Le Point
dénonce les scandales financiers dans l’entourage du Président Mitterrand mais
personne ne lui emboîte le pas et le lendemain, on n’en parle plus. On attend
la fin du bras de fer entre la Justice et le Pouvoir.
L’horreur de
Sarajevo. Ce n’est pas Auschwitz ! Toute comparaison de quoi que cela soit
avec la Shoah est indécente. Mais c’est quelque chose d’un autre ordre, tout
aussi insupportable. On ne peut pas vivre cela en direct, voir tous les jours
les images de la guerre, écouter l’annonce des morts et ne rien faire. Comme on
ne peut être ni voyeur ni indifférent, c’est intenable, voire destructeur pour
soi même. Les médias nous replongent dedans tous les jours et on retrouve le
phénomène de la chimiothérapie que j’avais résumé par la formule de Breten
Bretenbach Comme un lapin qu’on mange et
qui garde les yeux ouverts. On est humilié de constater que les
Gouvernements Occidentaux laissent les Serbes assiéger Sarajevo. Bafoué le je suis aurait tendance à disparaître.
Même détournée, l’aide humanitaire a au moins comme fonction de restaurer
l’image collective de l’Humanité.
Encore une
inquiétante nouveauté cybernétique. Dans les médias, on ne dit plus l’Aisne ou
l’Oise, mais La rivière Aisne ou La rivière Oise. Comment comprendre
cela ? Est-ce pour organiser un découplage permettant d’établir ensuite
des fichiers de rivières et qui sait peut être même de les numéroter. On
observe bien que les départements sont en train de perdre leur nom et qu’on les
appelle par leurs numéros.
Cafouillage dans les
relations avec le Trésor Public. On se demande s’il n’y aurait pas dans ses
services quelques employés du style Action
Directe ou Juges Rouges qui las de
voir le pays s’enfoncer, auraient décidé d’en bloquer la machinerie.
Pollution
généralisée des côtes atlantiques en sachets de pesticides et détonateurs non
identifiés largués par des cargos peu scrupuleux. L’accès est interdit à peine
de contravention de soixante quinze Francs.
Quant à Pierrelatte,
la radioactivité est deux à trois cents fois celle de la normale ! En
1986, alors qu’on nous disait que la catastrophe nucléaire soviétique était
impossible en France, on avait appris que Pierrelatte et Marcoule étaient bien
sur le même modèle graphite/gaz ! Je suis convaincue que ma paralysie et
mes douleurs croissantes viennent de là. Mon intuition venant de mon expérience
de la radiothérapie, expérience relatée dans Ton nom de végétal.
Confirmation de la
profonde pollution de l’usine de décontamination - et non de la Centrale - de
Pierrelatte. L’enquête a fait apparaître qu’il s’agissait de pollutions
anciennes et répétées. Il est question de prendre des sanctions contre
l’entreprise qui n’a pas prévenu en temps utile de la radioactivité mais on
n’évacuera personne. Pourtant le celtium est cent cinquante fois celui des retombées
de Tchernobyl. Le Préfet affirme qu’il n’y a aucun danger. Qui croire ?
Le chômage continue
à s’étendre et on peut se demander s’il ne s’agit pas pour la France d’un
mécanisme analogue à l’écroulement de l’URSS, de son Etat en tant que structure
et que cela révèle à quel point l’économie française était en fait - si l’on
peut dire - soviétisée.
Restitution à l’Iran
de deux assassins terroristes au grand dam de la Suisse qui réclamait leur
extradition.
A la Piscine, image
terrifiante d’un maître nageur brandissant - pour plaisanter - un grand couteau
derrière la nuque de la caissière. Il n’avait pourtant pas du tout l’air de
rire. Ceci est l’un des nombreux exemples d’agression qu’on subit dès qu’on
sort.
Aux Puces de Saint
Ouen le Premier Janvier, presque tous les stands étaient fermés et je me suis
trouvée fort déçue. On entendait la population se plaindre de ce que
j’éprouvais moi-même. La peine que la Télévision n’est pas pour la Saint
Sylvestre, trouver à proposer un spectacle à la hauteur de la date. Autrefois
les différentes chaînes redoublaient d’émulation pour présenter à cette
occasion le meilleur spectacle et la population ressentait clairement le mépris
qu’il y avait derrière cette abstention, déplorant la disparition de cette
simple fonction non seulement de distraction mais de festivité !
La seule trouée
d’air qui s’opéra lors de cette soirée fut autour de Sarajevo un concert, si on
peut se permettre cette expression obscène. La salle était clairsemée, les
habitants n’ayant pas pu - faute de transports - s’y rendre nous a-t-on dit ni
l’écouter faute d’électricité, le gros des auditeurs étant constitué de
militaires en uniforme et sans doute aussi en service commandé !
A la Télévision
toujours à Paris dans le même temps, L’Abbé Pierre Saint Pierre d’Emmaüs a
enfreint toutes les règles de la politesse, pour dire deux ou trois vérités
fondamentales sur le scandale de l’époque. A savoir le siège de Sarajevo à qui
personne ne se décide à porter secours et la rénovation immobilière murant des
immeubles qui sont encore habitables. Il enchaîna ensuite en s’adressant
directement à Bernard Kouchner lui-même à Sarajevo par-dessus la tête du
présentateur médusé et un rien vexé d’être mis à l’écart pour régler avec lui
des problèmes de camions d’aide humanitaire, bloqués. Kouchner lui répondit
alors un brin paternaliste Mais enfin mon
Père, nous connaissons votre générosité mais des camions bloqués, il y en a
tous les jours et partout !
Chez Pier Import, on
parle tranquillement l’anglais. Partout on est sans arrêt bousculé et les gens
vous touchent comme si on était inerte. Ma stratégie est au point. Lorsqu’on me
bouscule, je pille net comme une ânesse et ne bouge plus du tout dans l’attente
d’un pardon confus ou exaspéré qui
débloque seul la situation.
Parmi les petites
victoires dérisoires qui finissent par constituer un tissu de résistance non au
délabrement de l’Institution mais au moins à notre liquidation, en termes de
dignité : Le repas de Noël qui cette année a eu lieu sur des nappes en
tissu ! J’ai fait semblant de m’en étonner en félicitant chaudement
l’Intendante présente pour cette heureuse initiative, laquelle tout aussi
hypocrite m’a répondu Mais non, c’est
parfaitement normal, le personnel administratif y a droit, vous aussi alors
que nous nous souvenions fort bien l’une et l’autre du scandale que j’avais
fait l’an dernier - ou l’année précédente ? - constatant que
l’Administration – secrétaires comprises – mangeait avec les Elèves sur une
table dressée avec des nappes, alors que nous les Professeurs n’y avions pas eu
droit.
Cela peut paraître
ridicule mais ne l’est pas lorsqu’on sait que par ailleurs l’Administration
nous laisse seuls nous occuper des Elèves et que nous n’avons plus d’autres
interlocuteurs hiérarchiques que les secrétaires qui du coup se prennent pour
nos supérieures. On ne se trompait donc pas ni les uns ni les autres sur cette
humiliation infligée et d’autant plus que l’Education Nationale embauche
désormais des mères de trois enfants, sans diplôme…, éventuellement pour en
faire des Inspectrices. N’oublions pas non plus qu’on ne nous demande pas d’enseigner et que les gens des Lycées
Professionnels sont devenus non seulement nos Collègues mais même nos
formateurs.
Au Mexique,
insurrection indienne au nom de Zapata ! Bilan une centaine de morts. Des
incendies, des attaques de supermarchés etc… Les Indiens protestent contre
l’arrêt de la Réforme Agraire qui durait depuis 1910. On a en effet - soi
disant pour moderniser l’agriculture - aboli l’article vingt
sept de la Constitution qui permettait à tout mexicain de demander des
terres … Tout cela va bien dans le sens de tout ce que j’explique et cela
finira bientôt par être la même chose ici.
C’est la plus
violente depuis la Révolution. J’en suis d’autant plus émue qu’il y a quinze
jours, défendant en ville mon nationalisme j’avais à bout d’arguments, lâché à
froid : Je ne vois pas pourquoi cela
serait bien quand c’est Zapata et inacceptable quand c’est moi ! Un
léger flottement s’en était suivi.
Ce n’est pas
d’aujourd’hui que je m’intéresse aux Indiens. Il en est fortement question dans
Les Prunes de Cythère et aussi dans le volet roman de Ton Nom de végétal.
Effarant
antisémitisme ouvert de certaines émissions de radio notamment Les Grosses Têtes. Quelques étonnements
de ce genre aussi dans le journal Le
Monde Diplomatique pourtant l’un des seuls à parler de la réalité.
Dernière invention
des reproducteurs artificiels : Retirer les ovules d’un fœtus avorté et
s’en servir pour de nouvelles fécondations en laboratoire ! Et ces
techniciens tout heureux nous expliquent qu’ainsi l’enfant sera né d’une mère, elle-même jamais née ! Les Nazis
seraient comblés ! Il ne s’agit même plus d’avoir froid dans le froid ou
d’attribuer un carton rouge, l’époque a perdu tous ses repères…
Si aujourd’hui bien
que cela ressemble au Stalinisme, on ne tue plus les Intellectuels en leur
confisquant leurs manuscrits, c’est que ce n’est même plus nécessaire. Le but
est atteint sans avoir recours à des mesures drastiques qui feraient mauvais
effet. Le système médiatico-commercial les prive encore plus
sûrement d’audience…
J’ai terminé le
livre de Chentalynski Dans les archives littéraires du KGB : La Parole
Ressucitée plus pessimiste que jamais. Les documents dits à conserver éternellement ont permis de
retrouver une partie des textes confisqués, qui pourtant ne sont qu’une petite
fraction de ce qui a été emporté lors des perquisitions ou détruits. Des œuvres
entières ont disparu en fumée et des écrivains ont été rayés de la carte. En
effet en URSS ces œuvres là comptent. Ceci montre bien aussi comment dans le
monde ancien, la littérature - ce que certains peuvent appeler l’appareil idéologique - faisait partie de la cybernétique.
Elle est aujourd’hui
mécanisée grâce au progrès technique qui rend les appareils de propagande
inutiles. Mais l’effet pervers du renoncement au formatage de la matière
humaine abandonnée en quelque sorte à elle-même, entraîne accidents et
catastrophes. On n’apprend plus à emporter le matériel nécessaire pour les
courses en montage, on n’entretient plus les digues… et les morts sont à
l’arrivée !...
Semaine agitée au
Lycée où les kapos sont en pleine ascension. Le mouvement est lié à l’intrusion
de plus en plus virulente de la MAFPEN qu’on a rejeté en Décembre mais qui
revient en Janvier. LB arrivée dans l’établissement avec un simple BTS, ne
cesse de monter en grade et se trouve en passe de devenir notre chef. Elle nous
propose un questionnaire destiné à une demande de formation dont les rubriques
sont logiciels, Droit et Economie, PNL, AT et Image de soi. Il faut pour
chacune des catégories s’inscrire débutant,
moyen ou confirmé. Un simple appel de note révèle que PNL signifie Programmation neuro-linguistique et AT Analyse transactionnelle.
La kapo à qui je demande la signification du
terme neurolinguistique s’avère
incapable de la fournir et je la prends violemment à parti d’utiliser un terme
dont elle ne connaît pas le sens. L’affaire fait le tour de la Salle des
Professeurs en agitant les Collègues qui s’inquiètent. Le terme parait si lourd
de menace pour les Enseignants que nous sommes que les gens protestent.
D’autres viennent à la rescousse et je me crois à tort ou à raison investie
d’un mandat d’autodéfense collective qui me pousse à agresser la tourmenteuse.
J’ai vu alors
physiquement CW, BG, CR qui trois minutes avant me soutenaient, se rentrer la
tête dans les épaules et perdant au moins cinq centimètres, prêts à la limite à
se jeter sous la table pour se protéger. On se serait cru au Far West, au
moment où les coups de feu éclatent. Bref, j’ai traité la
kapo de kapo et cela ne lui a pas
plu !
Des histoires de ce
genre on pourrait en raconter au mètre. Outre le fait que cela épuise
physiquement et psychiquement, cela montre à quelle vitesse la situation évolue
et sur quel terreau obscène prospère une nouvelle classe sociale dont
l’ascension est l’exacte contrepartie de notre déqualification. Commencé en
1984, le processus n’est pas encore achevé. Pour qu’il le soit, il faut que ces
gens là se substituent complètement à nous et qu’ils nous éliminent. Tant que
nous sommes là et continuons non seulement à témoigner de ce que nous sommes,
mais à nous opposer à eux en les combattant - relativement efficacement - ils
ne seront pas satisfaits. C’est une sorte de bras de fer historique !
La secrétaire du
Syndicat remplit de son débit sonore la Salle des Professeurs toute entière
avec ses projets de censure. Elle est en train d’établir la liste des livres
que les Elèves ne doivent pas lire englobant dans le rejet, les Professeurs de
Français qui les enseignent. On voit bien comment le stade d’après, c’est la
liste Otto et comme fonctionne le processus qui l’amène !... Cette mémé
est si bête que comme dit Cioran Si une
idée apparaissait à la surface de son cerveau, elle se suiciderait, terrifiée
de solitude.
Mais le malheur est
que dans le même temps, ce genre de gens a des prétentions intellectuelles. N’ayant
pas d’idées, pour avoir l’air d’en avoir ils sont amenés à censurer celles des
autres. La situation continuant à se dégrader, on imagine bien comment cette
femme pourrait devenir auxiliaire de Police…
Publication du
rapport du Juge Jean-Pierre dans Le
Point. C’est par hasard que je tombe dessus. Publication intégrale ! Mais pas un mot dans la presse parlée
et pourtant le rapport se termine par une phrase
demandant l’inculpation pour recel d’abus
de biens sociaux de François Mitterrand et de son fils Gilbert. Jusque là
les informations tournaient autour du pot, on lisait entre lignes, on devinait.
Mais là, c’est dit explicitement et on comprend que la pétrification qu’on
éprouve est en fait de la terreur sacrée. L’Ultime suzerain ne peut pas être mis
en cause sans se détruire d’une certaine façon, soi même. Mes tentatives
d’intéresser mes Collègues à ce rapport se soldent par un échec complet.
Comment l’expliquer ? Les Uns craignent de regarder en face le fait qu’ils
ont été bernés. Quant aux Autres ils ne veulent pas qu’apparaisse le fait
qu’ils sont de la même essence mafieuse.
Obscénité du
Présidente Clinton se faisant complaisamment filmer en train de jouer du
saxophone dans une boîte de nuit pendant qu’en direct, Sarajevo meurt en
appelant au secours.
CF à Clément Rouhet
eurasien, en Salle des Professeurs Tu es
drôlement bronzé, tu as un solarium chez toi ? Je proteste, mais je
suis bien la seule de tous ceux qui sont là Messieurs CW et HD, Mesdames JB,
NS, MED. Personne ne me soutient. Clément Rouhet sourit et essaie de minimiser
l’incident. J’essaie de secouer CW qui ne trouve rien à redire à ce qui s’est
passé. Je lui dis vertement ce que je pense de sa lâcheté et d’autant plus que
le Conseil de la classe dans lequel CF enseigne avait été le lieu d’une attaque
antisémite de l’ensemble du Conseil…
Lors de ce Conseil,
si j’avais défendu la laïcité musclée qu’on appliquait aux absences des Elèves
Juifs le vendredi soir, j’avais fait remarquer qu’il serait souhaitable qu’on
ait la même attitude vis-à-vis des Musulmans. La Censeure m’avait alors mouché
avec l’argument que la suppression du
porc à la cantine ne perturbait pas la pédagogie. Ceci étant finalement
bien révélateur du désintérêt de l’Administration pour ce qui se passe
réellement dans les classes, à savoir la contestation islamiste qui bat en
brèche les valeurs républicaines.
Le lendemain Mlle C
- la déléguée des Elèves - est venue me remercier de l’avoir soutenue et me
faire part de l’impression qu’elle avait eue d’un procès dont elle était l’accusée.
J’ai été assez bouleversée de cette jonction totalement inattendue et qui
prenait brutalement un tour dramatique.
Concernant l’affaire du sang contaminé, sans compter l’artificielle
faible qualification pénible de l’infraction, on est estomaqué de la demande de
grâce formulée en faveur des condamnés Garetta et Cie par une série de sommités
et de Prix Nobel. Non seulement la Justice n’a pas été rendue car la plupart
des responsables n’ont pas été jugés - notamment les hommes politiques - mais
pour ceux qui l’ont été partiellement, on tente déjà de faire annuler cette
mesure en se rabattant sur le terrain moral et religieux au nom d’un pardon
qu’il faudrait rapidement accorder.
Pour les uns, dans
le déferlement médiatique sur ce thème, il y va de l’efficacité de la recherche
et pour les autres, le terme de contaminé
est positif ! On craint alors de comprendre que cela a été fait exprès et
qu’ils exigent pour la poursuite de leurs expériences d’être au-dessus de la
loi, voire même que cela soit valorisé !
On entend même au
Journal de vingt heures une sommité tranquillement nous expliquer qu’il faut
pardonner parce cela continue aujourd’hui dans les Hôpitaux. On est ahuri de ce
qu’on entend mais poursuivant comme si de rien n’était, l’habile présentateur
télévisuel évite de relever le propos en question. Du coup, de plus en plus
excité, le médecin invité se met presque à hurler que Ca continue ! L’émotion nous gagne devant cet effort pour
saisir l’opinion publique de faits qui manifestement le perturbent… mais le
speaker veille, et décidemment non, on ne passe pas !
Avec le recul on se
prend à comprendre que le SIDA a été volontairement inoculé aux hémophiles dont
on avait pensé que leur particularité leur permettrait de fabriquer des anticorps
qui serviraient à mettre au point un vaccin pour tous mais que l’affaire a mal
tournée. Tout cela n’étant pas exclusif de l’appât du gain. Quant à Madame
Veil, questionnée elle n’hésita pas à dire que les médecins feraient bien
d’être plus humbles et d’accepter le garde fou de la loi !
Vendredi dernier une
compagnie exceptionnellement favorable à la Cantine m’a permis de faire état de
ma vie intellectuelle transatlantique et d’expliquer la différence avec la
France. J’ai résumé en disant qu’en Amérique du Nord, les conversations
intellectuelles ne roulaient ni sur la
politique, ni sur l’amour, ni sur le corps…Et là les trois hommes ni bêtes
ni incultes se sont exclamés Mais alors
de quoi on parle ? en éclatant de rire et
avec la meilleure foi du monde. Impossible de mon côté de leur parler de la gynesis ni de la théorie-fiction. Force est de constater que ce qui fut pour moi
dans les Octantes, une sorte de bi-voltage heureux, est désormais devenu un
dédoublement cauchemardesque !
Le week-end dernier,
il y a eu deux meurtres dans le métro. Dans l’un des cas, un Antillais de vingt
ans a tué un Arabe de quinze qui lui avait refusé une cigarette…
Des clochards en
bande nombreuse, des émigrants à langue orientale en groupe, des Tsiganes, des
hommes de vingt à trente ans venus du Sud, toutes sortes de groupes inconnus ne
comportant jamais de femmes Ethiopiens, Mauriciens, Malgaches, Indiens,
Cinghalais qui vendent des journaux réputés fabriqués par des sans abri : Mac Adam,
Réverbère, La Rue. De plus en plus
agressifs dans les wagons du métro, ce qui était au début une bonne idée de
réinsertion se transforme alors en une menace supplémentaire et d’autant plus
que la nullité de certains de ces produits en fait presque un pur et simple
racket avec des publicités immondes et le sourire télévisuel inaltérable des
clones.
Tout agresse. On est
bousculé. Les walkmans font du bruit, les gens parlent si fort que tout le
monde entend tout. Les voyageurs mangent, baillent sans retenue, jettent des
ordures par terre etc... Ce n’est pas seulement la société qui a disparu mais
l’éducation elle-même.
Si les trois quarts
de la population sont exclus, quelle est la signification de l’inclusion ?
Et dans quoi ?
Le plus haut niveau
de la langue de bois, c’est quand même hier soir dans le journal Le Monde la notion d’Offre Publique d’Education. Cela résume bien ce qui
nous arrivé dans la décennie écoulée : l’ultralibéralisme triomphant, la
marchandisation généralisée. Après avoir disloqué la société, cette machine de
guerre logico-logistique s’attaque maintenant à l’unité du corps humain qu’elle a
entrepris de fragmenter à son tour.
Autre scène de genre
dans le métro : Un jeune homme d’une vingtaine d’année se moque des SDF
qui demandent la charité, en imitant exactement leurs gestes et leur ton. Il
rit, rit, rit…. De bon cœur…
Depuis vingt quatre
heures les nouvelles se résument à l’effondrement du supermarché Casino dans
lequel on effectuait des travaux tout en continuant normalement les ventes car
il n’est pas question de renoncer à du profit. Il y a deux morts et une
centaine de blessées ! C’est peu dire que l’argent est roi, c’est plutôt
qu’il semble que tuer n’ait plus aucune importance…C’est ce qui donne un aspect
concentrationnaire à l’air du temps, même si la comparaison paraît exagérée.
Depuis la Rentrée de
Septembre, c’est la quatrième agression d’Elève sur la petite centaine dont
j’ai la charge. Non seulement l’absentéisme s’étend au point d’être devenu la
règle - toutes classes confondues - mais les causes invoquées sont de plus en
plus violentes. Après les accompagnements des mères dans les Hôpitaux et dans
les Préfectures pour des questions de papiers, ce sont maintenant directement
des mailles à partir avec la Police ou les voyous.
A la Cantine du
Lycée, comme l’unique table réservée aux Professeurs était contre le mur et que
je n’avais pas la place pour passer, la Chef des Agents m’a apostrophé par mon
nom en me disant faudrait faire un régime !
Je lui ai alors répondu sèchement Dites
donc je ne fais pas de commentaire sur votre physique. Je vous dispense d’en
faire sur le mien ! Ceci pour l’ambiance !
En Première
d’Adaptation, le syndrome de la banlieue commence à nous atteindre et pour la
première fois de ma vie professionnelle, je me désintéresse des Elèves
renonçant à un effort de socialisation devenue impossible. Je fais cours aux
quatre qui m’écoutent abandonnant le reste de la classe à elle-même et cela au
mépris de mon sacerdoce. Cette boucherie sociale qui promet à l’abattoir ceux
qui ne sont pas bien nés me révulse et me fait tomber sans équivoque dans le
camp des desesperados et autres flagellados avec tout ce qui peut
s’ensuivre.
Dans le métro, une
mendiante que je connais et avec qui je parle un peu lorsque je la rencontre,
là assise dans un escalier me dit que sa fille est au Cours Préparatoire et a
du mal à apprendre à lire et à écrire !
Dans les publicités
des corps nus, déformés, maltraités, humiliés avec des slogans au mieux
absurdes ou déplaisants mais le plus souvent encore constitués de phases qui ne
veulent rien dire. Maintenant c’est la calligraphie elle-même qui est absurdes
avec des lettres retournées évoquant un faux alphabet cyrillique. La langue
disparaît sous nos yeux. On est terrifié !
A la Télévision les
émissions d’avant le dîner sont d’une vulgarité confondante à base de pets, de
rots et de diverses bêtises que n’oserait pas une petite fille de dix ans…
L’autosatisfaction des animateurs est particulièrement corruptrice et leur
sourire a quelque chose d’inquiétant.
A côté de la
Sorbonne, le Café Brasserie Balzar vient d’ouvrir. Réplique du Flore, neuf il
fait vieux café des années Cinquante, de la pendule aux porte manteaux et cela
marche… Cela parait en effet fréquenté par des Intellectuels sans doute parce
que pour tenir dans un lieu aussi austère - sans grâce et sans attrait - il
faut en avoir le code. Est-ce le lieu de la filiation entre notre Génération de
Soixante-huitards et de ceux d’aujourd’hui ?
Emeutes de pêcheurs
qui meurent sous le poids de la concurrence sauvage. Partout la destruction.
Une jeune femme de ma connaissance qui a commencé à travailler dans un bourg de
la Beauce il y a six mois a été licenciée et est rentrée à Paris. De surcroît
on l’a volé sur le paiement de son salaire.
La confusion des
sexes a supplanté l’androgynie. De tous les côtés des représentations des corps
qui sont des images de mort : Des corps mélangés homme/femme/machine. Des
corps disproportionnés, comme manipulés génétiquement. Des corps nus,
prostitués en situation de violence, en tous cas toujours ridiculisés.
A la question QUI
fabrique tout cela ? On ne sait pas si la réponse qu’on préfère est
PERSONNE ou QUELQUES UNS. Si il y a six mois l’homme
ou la femme de la rue -comme on dit - était d’accord avec moi pour dire que
cela sentait le Nazisme et admettait l’idée qu’on allait nous tuer, le même
type de conversation aboutit aujourd’hui dans le même état d’esprit au commun
constat que la seule attitude possible, face à ce qui se passe est de n’y pas
penser. Ce qui j’arrive maintenant à faire très bien !
La belle mère de
Chantalle a été écrasée par une voiture 4/4 Rue de Rivoli. Mais plus terrible
encore, deux Elèves de Première 4 G avaient assisté à la scène et étaient
arrivées à mon cours complètement traumatisées me demandant si on pouvait aller
en prison si on écrasait quelqu’un. J’avais répondu par l’affirmative, tout en
étant bien loin de penser qu’il s’agissait de cette vieille dame charmante dont
mon amie me disait grand bien et à qui son fils téléphonait tous les
jours ! Néanmoins lorsque j’ai reçu la lettre m’annonçant cette nouvelle
j’ai pourtant immédiatement pensé qu’il s’agissait bien de celle là. C’est que
le Vendredi après-midi dans Paris, il ne doit pas y avoir tant de femmes âgées
écrasées.
En fin de semaine
dernière, des émeutes à Rennes. Pêcheurs contre CRS, la liquidation de la
France continue ! Importations de poissons en provenance de partout
entraînant la mévente et la ruine. Les bagarres ont été d’une violence inouïe.
Des images de guerre civile lors de laquelle le Maire et le Député ont été
tabassés. Le Parlement de Bretagne dans lequel est installée la Cour d’Appel a
brûlé. Il y a soixante blessés ! Les fractures du crâne sont maintenant
des traumatismes courants et sans doute ne nous informe-t-on pas les
conséquences qu’elles ont eues…
L’agitation sociale
dure de façon larvée sans discontinuer depuis 1988. Elle est désamorcée à coups
de milliards et n’aboutit jamais aux réformes souhaitables qui sont par
ailleurs impossibles à réaliser puisqu’il s’agit d’un affrontement croissant
entre deux tendances qui ne peuvent pas coexister : une humanité
nationaliste et les machines globalisées hors sol.
Le marché de
Sarajevo a été bombardé en pleine affluence avec des obus à fragmentation.
Soixante dix morts ! Tous les soirs on nous envoie dans les foyers des
images de ce genre et ce n’est pas pour autant que les Occidentaux se décident
à intervenir.
A Paris un cimetière
mérovingien situé à côté de l’Hôtel de Ville a été déménagé pour faire place à
un parking. On nous dit que cette trouvaille est de première importance mais
que les archéologues ont décidé d’expédier le tout en laboratoire… Les
autochtones canadiens attaqueraient pour moins que cela. Ce que les Indiens
reprochent aux Compagnies de bûcheronnage, c’est d’abord de violer les
territoires sacrés !
Concernant les
Evènements de Rennes, la Radio se décide à employer le mot Emeute ! Qu’est ce que cela devait être…
Encore un
déraillement du TGV que la Radio présente - sans rire - comme un signe de
fiabilité, les voyageurs n’ayant eu qu’une
petite peur et un gros retard… Toujours le même langage destiné à
dédramatiser. Le train aurait heurté le tampon tombé d’un autre TGV. On se
demande s’il ne s’agit pas plutôt d’un sabotage.
Stupéfiant
commentaire concernant les soixante deux mille défaillances d’entreprises de
cette année. On nous dit que le pire a été évité !
Hallucinant spectacle
de la classe politique se rendant aux funérailles d’Hophouet Boigny dans la
Cathédrale qu’il a fait construire. C’est sur le modèle de Saint Pierre de
Rome, la plus grande du monde. Dans l’avion, tout le PS au grand
complet!... Quel décalage entre le drame que vécu par le pays et la vision de
cette fine équipe en bordée !...
Partout des attaques
violentes contre les marchandises importées et jusque dans les Supermarchés
dans lesquels on les vend. Ce n’est plus seulement un retournement de la
tendance mais une offensive autarcique qui entre en résonance avec la violence
de ma classe de TSC2, très remontée sur ce thème.
Enfin un ultimatum
contre les Serbes !
La météorologie se
croit drôle en parlant d’une manifestation
de nuages. Mais dans le même temps, cela permet de ramener les
mouvements sociaux à un phénomène météo. Cela va bien dans le sens de la
tendance lourde de l’abolition de ce qui fait l’humain.
L’horreur
publicitaire continue. Cette fois c’est la firme Paco Rabane : Un homme se
masturbe en gros plan avec un parfum qui prend la place du sexe.
Ce qui est pénible
dans cette homosexualité masculine omniprésente dans les médias et affichage, c’est
qu’il n’est jamais question de l’homosexualité féminine son pendant. C’est
toujours le type le centre d’intérêt, son partenaire étant en option une femme
ou un homme selon son goût. La femme n’est jamais elle-même en position de
sujet. En tant qu’être, dans le bruit ambiant, elle a d’ores et déjà été
liquidée !
Non seulement le
SMIC est supprimé en tant qu’obligation générale pour tous les travailleurs
mais il est rabaissé à trois mille huit cents Francs et en plus cela va
s’appliquer jusqu’au niveau de diplôme Bac
Plus Deux. C'est-à-dire mes Elèves, pour ceux du moins qui auront la
chance de ne pas être chômeurs. A partir de là, tout est possible !
Le nom de la rose. C’est en m’adonnant moi-même à la Culture des Roses dans mon coin
de campagne que j’ai enfin compris la signification de cette expression
magique. C’est que le nom de la rose, c’est
la culture elle-même ! Parce qu’elles sont obtenues par des croisements et
bouturages incessants à partir des mêmes souches et que leur production - et
surtout cette production accompagnée d’une dénomination - résume notre Histoire
humaine.
Cette semaine
apparition du terme de Chômage de masse.
Sur les affiches on
voit maintenant des squelettes et des écorchés accompagnés de slogans moquant
ouvertement la Culture et l’Instruction
La semaine dernière,
dans le train de Normandie j’ai rencontré un joueur qui revenait d’un casino.
Passionnante conversation d’où il ressortait sans doute que le joueur et
l’écrivain étaient frères. Le joueur croyant toujours qu’il va se refaire. De
son côté l’écrivain sait qu’il ne se refera pas, il brûle et se consume pour
l’œuvre. Il ne se refait pas, il fait un œuvre. Mais l’un comme l’autre sont
questionnés par l’Eternité. Sans
doute ces deux tempéraments sont-ils en rapport avec l’expérience de la
relation avec la mère. Et par voie de conséquence déterminent-ils les liens
qu’ils entretiennent entre eux.
Le fameux
psychopathe réputé sans symptôme,
son symptôme serait ce la mort ? Le mal
est ce le nom que la société donne au besoin
de tuer ?
Je crois que je vais
terminer ce carnet et m’en tenir là car nous sommes dans une toute autre chose.
Des horreurs partout. En Algérie, tous les jours des assassinats de gens
cultivés et d’une femme refusant de porter le voile ! En Palestine,
l’impossibilité d’une paix. En Yougoslavie l’hypocrisie des Occidentaux et leur
lâcheté laissant non seulement tuer les Bosniaques mais nos Casques Bleus
jouant un jeu au bas mot, trouble. Danger et nausée de cet entre tuerie
généralisée autour de la Méditerranée.
Ici, à la suite de
la décision d’abolition du Salaire Minimum, émeute sur émeute. Deux Jeudis de
suite mes Elèves de BTS ne sont pas venus aux cours. Quatre nuits de pillage
dans les Cités de banlieue et Rue de Sèvres, ainsi qu’à Lille Roubaix et
Tourcoing.
Le copain d’une amie
a la tuberculose qu’on croyait disparue.
Il faut inventer une
nouvelle manière d’être dans une vie tous les jours plus rétrécie. Elle change
de nature.
Partout des
manifestations massives et des groupes de drapeaux rouges. Depuis des années
qu’on n’en avait pas vu ! Est-ce le coup de gong qui va nous sauver et
permettre enfin le repos après avoir porté cette Révolution d’une rive à
l’autre ? On commence à en parler dans les médias ou au moins d’explosion sociale.
A la Télévision
Jacques Martin, animateur du Dimanche après avoir entendu un chanteur d’Opéra
dans l’air de Figaro ci Figaro
là : Quand j’entends chanter comme cela, je reprends espoir !
Depuis une semaine,
des émeutes presque tous les soirs dans les Cités. Du pillage, des incendies,
des bagarres avec la Police, laquelle dit elle-même n’être pas outillée pour la guérilla
urbaine.
Un Casque Bleu
français tué en Yougoslavie parce que la force des Nations Unies n’a pas fourni
en temps utile l’appui aérien. C’est le dix neuvième français tué pour rien
dans ce conflit où la guignolade le dispute à la lâcheté. Comme un motif
indéfiniment répété, en Algérie, un assassinat de dramaturge.
En Conseil de
Classe, alors que je suis seule intervenue pour dénoncer la réalité de la
classe, un Parent d’Elève me traite de Don
Quichotte et m’explique qu’on n’y
peut rien. Comme il était cadre dans une banque, sur un fond fasciste il avait
cette attitude condescendante que peuvent avoir les bourgeois avec les
précepteurs. Dans le conflit pédagogique, il soutenait ouvertement les Elèves
tout en laissant sa main traîner sur moi, ce qui m’a obligée à lui dire de ne
pas me pousser. Il m’a alors répondu qu’il
aurait du mal ! Ne pouvant
pas laissée passer l’allusion à mon volume, j’ai relevé d’un Ca veut dire quoi ça ? Qui a
entraîné aussitôt de sa part un direct Vous
tenez une place imposante comme Professeur ! L’échange étant sans
issue puisqu’il s’instituait comme mon supérieur et confondait les rôles, j’ai
alors été obligée de quitter matériellement le terrain en lui disant : Et bien oui je tiens de la place, mais je
vous la laisse !...
Lors d’une
conversation avec F, je découvre que le terme d’explosion sociale n’est pas l’équivalent de celui de Révolution qui implique nécessairement
un changement d’ordre. L’explosion sociale ce peut n’être que pillages et massacres, voire pogroms.
Tous les soirs
émeutes de gens isolés contrairement à Mai 68 lors duquel les individus
s’aggloméraient pour faire masse. La seconde différence en est les pillages qui
ont lieu tous les jours dans des magasins de toutes catégories et
s’accompagnent de mise à sac des abribus et des cabines téléphoniques. Si les
jets de pierres ne sont pas vraiment une nouveauté, puisque les pavés de 68
sont entrés dans l’Histoire, ils avaient été trouvés sur place et non pas comme
les cailloux d’aujourd’hui, emportées dans des sacs en préméditation d’une
guérilla. En 68, il n’y avait pas de volonté d’en découdre avec la Police. Il
s’agissait plutôt de s’en débarrasser au motif qu’elle nous empêchait d’être
heureux ensemble, à l’aise dans la rue. Le Policier n’était pas l’ennemi à
abattre comme dans le mouvement d’aujourd’hui mais seulement le gêneur.
On est étonné que
les Syndicats Enseignants n’aient pas encore mis sur le tapis la question du
déni de formation que représente l’affaire du SMIC jeunes ! Sans doute
pour qu’on ne débatte pas du fond de la question, à savoir que dans l’esprit du
Gouvernement le diplôme de Bac+ 2, ce n’est rien ! Et pourquoi ces Jeunes
auraient ils besoin d’un tutorat ?
Le squelette dans le placard, c’est la destruction de l’Ecole Républicaine
depuis dix ans, destruction couverte par l’énorme mensonge stalinien sur lequel
tout repose et qui masque le délabrement de la Jeunesse. Pas un mot là-dessus
depuis dix jours d’émeutes.
Mise à sac du Centre
de Lyon.
Les manifestations
durent depuis trois semaines et les émeutes depuis deux. Hier soir Charles
Pasqua, Ministre de l’Intérieur et François Bayrou, Ministre de l’Education
Nationale nous menacent d’être considérés comme les responsables si nous les
Enseignants, les Proviseurs et les Parents nous ne parvenons pas à retenir les
Elèves dans les Lycées et les foyers. Hier, le décret discriminatoire a été
publié. Il ressort de certaine conversation que la Jeunesse a d’ores et déjà
perdu tout sentiment d’appartenance nationale et sexuelle et que nous-mêmes les
femmes sommes en rupture de bans parce que nos compagnons n’assument plus leurs
fonctions. Bref faute de différenciation, la vie est devenue impossible et la
gluance généralisée !
Hier soir à Paris,
blocage de la Gare Montparnasse et ce matin d’un dépôt de bus. Les émeutes
continuent, surtout à Lyon où les lignes de transports permettant de venir de
banlieue ont été fermées. Deux jeunes Algériens ont été expulsés en vertu de la
procédure d’urgence absolue et mis dans un bateau à Marseille…
J’ai été cueillie à
froid à la Cantine à midi. Les Collègues m’ont demandé des explications sur mon
absence de Jeudi. J’ai donc bien confirmé que j’avais fait grève en ajoutant
que c’était pour défendre l’avenir de leurs enfants car l’étonnant dans cette
affaire est qu’ils ne se perçoivent même pas comme étant concernés en tant que
parents… La suite c’est plutôt mal passée car leurs propos étant carrément
ultralibéraux. J’ai été obligée de leur dire qu’ils avaient des gueules de patrons chiliens et j’ai ensuite continué sur ce thème…
Embrasement du
Mouvement dans toutes les villes et même dans les petites comme Angoulême ou
Vesoul. La distinction entre les bons lycéens et les mauvais casseurs n’est pas
opérationnelle car la violence est générale et le poing levé plutôt fréquent.
Partout émeutes, violences et répression policière, sans que le Gouvernement
ait l’air de retirer le décret qu’il vient de publier. Les Elèves du Lycée sont
en grève massive. Je n’ai jamais vu cela depuis dix huit ans que j’y suis.
A la Télévision hier
soir une émission spéciale Demain les
Jeunes qui a crevé l’écran tant elle rompait avec la propagande habituelle
et tranchait avec la soirée des Elections Cantonales qui l’avait précédée. On y
a pris acte du divorce entre la société
et la classe politique. La vitalité des Jeunes, leur refus catégorique de
l’inégalité et de l’exclusion était plutôt réjouissant. Il y avait assurément
de la contestation de Gauche dans tout cela. Un débat sur le refus de
transmission de la génération précédente.
Emergeait également
une revendication du retour des deux jeunes Algériens expulsés qui étaient
consignés dans une zone de transit à Alger car ils y avaient été refoulés. Une
bataille juridique était en cours, l’Etat ayant été condamné pour voie de fait
- nouveauté à l’américaine - mais le Préfet avait fait appel au Tribunal des
Conflits.
Finalement la
question était de savoir si un état avait ou non encore pouvoir sur son
territoire. Notre Génération en appellerait au politique, les trente cinq ans
aux Droits de l’Homme et les Jeunes dans le mouvement, à une Amérique en
français. Tous ces Jeunes défendent leur peau, sans aucun tropisme pour la
fête, le rêve ou la poésie. Il semble avoir rompu les ponts avec la société
établie.
On pourrait résumer
en disant que cette Jeunesse a peur de l’avenir, alors que nous les
Soixante-huitards nous avions peur du passé, ce que nous exprimions par la
fameuse formule Nous sommes tous des
Juifs allemands !
En Italie L’Opération Mains Propres aboutit
finalement à l’arrivée des fascistes au pouvoir ! Ici les manifestations
ont repris en dépit de la réception des représentants du mouvement à Matignon
et de l’annonce de la suspension du décret concernant l’instauration du SMIC- Jeunes avec mandat au Directeur de l’ANPE d’organiser une mission
spéciale…. Concernant les Jeunes, voire une ANPE spécialisée. Ce qui prouve
qu’il y a bien une volonté de les séparer du reste de la société… Ce à quoi
l’un des représentants de la Jeunesse a répondu avec justesse et pourquoi pas
une pour les Femmes et une autre pour les Noirs ? Enfin un propos
sensé !... Pour le reste, les manifestations et la casse sont quotidiennes
dans toute sorte de villes.
La veille de la
mobilisation le décret est retiré alors même qu’isolée, je m’étais décidée à
faire seule cette grève pénible sans la logistique syndicale qui s’était bien
gardée de tout affichage ou autre information. Je suis concrètement
déstabilisée car j’avais organisé pour cette journée, la réparation du lave linge en panne.
Je subis avec
délectation le sort des vieilles en découvrant ébahie qu’il est supérieur au
sort des Jeunes. Ceci bien sûr seulement si on a lutté !
Concernant les deux
jeunes Algériens expulsés, on constate qu’il y a au moins un écrivain dans la
bande pour avoir trouvé le slogan: NO PASQUARAN !
Ce carnet comprend
dans les deux dernières pages, une liste des Editeurs auxquels ont été envoyé
le manuscrit de Ton nom de végétal et ce qu’il en est advenu. Il a
finalement été accepté par Trois au Québec.
Ainsi se termine le vingtième cahier ou
carnet de ce qui dans un premier temps - par la réunion de celle des Octantes
et de celle des Nonantes, s’est appelé Chronique des Etantes. J’ai
plusieurs fois noté ces derniers temps la difficulté qu’il y avait à poursuivre
ce travail d’abord faute de temps mais également parce que la forme
s’abâtardissait régulièrement vers le journal, ce dont ce n’était pas l’objet.
Les notations de cette catégorie ont d’ailleurs été coupées lors de l’écriture
de ce texte, écriture rendue nécessaire pour envisager d’abord la publication
de ce travail - plutôt que de cette œuvre - puis la destruction pure et simple
du corps matériel de ces carnets, l’été 2010.
Cette chronique s’est effectivement matériellement
arrêtée dans la mesure où la dernière partie du vingtième carnet est restée
constituée de pages blanches. Par la suite un autre système de carnets a été
mis en place et utilisé sur les sujets les plus divers. La plupart de ces
carnets ont disparu, soit qu’ils aient été utilisés comme des brouillons
donnant par la suite des œuvres plus élaborées voire littéraires, soit ils ont
été détruits sans état d’âme, parce qu’avec le recul, ils ne présentaient plus
aucun intérêt. C’est ce qui explique un saut important dans la numérotation. La
Chronique en effet n’a pas tardé à reprendre…
N°41 Journal de
la fin de 1994 : Fuis, gazelle !
Ce mois de Septembre
a été celui du basculement de la société française. Le chanteur de Raï Cheb
Azni a été assassiné. L’ami qui devait accomplir une mission en Algérie, l’a
vue annulée. Quant à moi, c’est au meeting de l’Alliance pour la Démocratie -
il y a quinze jours - que j’ai mesuré en écoutant les récits des résistantes
algériennes à quel point la situation politique qui y règne est dangereuse et
me menace directement. Il ne s’agit plus d’une pensée politique abstraite mais
d’une terreur de têtes exposées dans des autobus, de femmes intellectuelles
décapitées devant leurs enfants… courant les ramasser….
Une impression de
brutale islamisation de la société française, ville ouverte et non plus
seulement Paris, comme on se l’était déjà dit avec Chantalle, il y a deux ans.
A Goussainville, au Lycée Romain Rolland, le Proviseur a préféré appliquer La Charia
plutôt que la circulaire de son Ministre sans doute sous le poids conjugué de
la pression islamiste, la lâcheté des Professeurs et leur peur personnelle.
Intrusion de Barbus dans un lycée à
Lille et le piquet de grève fait par des femmes portant des foulards. Des
Islamistes les soutenant au Lycée Saint-Exupéry de Mantes.
A cette menace et
aux affaires qui continuent, il faut ajouter les maladies que chacun a, de plus
en plus incertaines, indistinctes, malaise diffus, fractures, grippes
intestinales sur grippes intestinales, diarrhées, toux etc… Je me souviens de
Jennifer qui en Juin dernier m’avait dit qu’on serait malade de plus en plus
souvent. Elle disait cela à cause de la coupe des arbres dans la forêt
canadienne. D’une certaine façon, on y est et les Elèves encore bien davantage
et depuis de nombreuses années. Le Lycée est une véritable maladrerie !...
Fuir la Grande
Tuerie ! Une obsession et un unique mot d’ordre. En Algérie, six cents dix
Ecoles ont été incendiées et les Professeurs exterminés devant leurs élèves.
C’est aussi le sort des dirigeants des Clubs de Foot. Sans compter les
multiples faits divers à l’avenant…
Au Lycée notre
Collègue Guyanaise de cinquante et un ans à la peau très très sombre, en larmes
laissant dans la Salle des Professeurs déferler devant Thierry et moi, son
chagrin sans issue. Un torrent de vie disant son exil, son humiliation et son
angoisse et lorsque cela fut fini au bout d’une heure ou deux, s’efforçant de
s’inventer de l’espoir et de tout bétonner.
La France a refusé
d’accueillir Taslima Nasreen pour huit jours n’accordant que les vingt quatre
heures nécessaires à la participation à l’émission télévisée de Bernard
Pivot ! Du coup celle-ci outrée, a refusé de venir. D’un côté l’islamisation des Lycées, et de
l’autre…. L’islamisation de la vie
culturelle… Comment bien se porter dans ce contexte de mort annoncée ?
Le Lycée Saint-Exupéry
de Mantes a cédé à la pression des Islamistes et a décidé de ne pas appliquer
la Circulaire Bayrou ! Les voiles sont donc entrés en classe et la défaite
est consommée. La guerre me parait inévitable !
A la Zone
Commerciale de Beauvais où je me rendais pour raison pratique alors que j’ai
horreur de ce genre d’installation, il m’est apparu que ces grands hangars sans
grâce avec leur entassement de marchandises standardisées relativement bon
marché, étaient comme les magasins d’une société militaire et communiste dans
la mesure où l’argent parait alors un simple moyen de distribution de ce qui
peut être compris comme le paquetage élémentaire de l’individu de base de ce
qu’on peut nommer L’Humanière. Dans
cette perspective l’esthétique, le confort, le choix des articles ne sont pas
vraiment à l’ordre du jour car il ne s’agit en fait que d’une simple
logistique.
Dans l’après-midi en
classe de Première 4G, une Elève noire me semble avoir sur la tête un béret.
J’attaque d’un Qu’est ce que c’est que ce
galurin ? Auquel faute de comprendre, elle ne répond pas. Je précise Galurin vous ne connaissez pas le
mot ? Cela veut dire chapeau ! Elle de reprendre Ce n’est pas un chapeau mais un
foulard ! Que du coup je clos d’un Allez,
on l’enlève. Par bonheur, elle obtempère et on reste là… jusqu’à
quand ?
Je me souviens avoir
expliqué aux Elèves que la débâcle de Mai/Juin 1940 ne s’étendait que sur six
semaines. Il me semble que nous sommes dans quelque chose d’analogue. Le
meeting de l’Alliance pour la Démocratie, c’était effectivement il y a trois
semaines pile. C’est là que j’ai réalisé que la première question n’était pas
seulement algérienne mais aussi bien française, et deuxièmement que toute une
partie de la société était déjà islamisée et n’en avait plus rien à faire de
nos idéaux républicains. L’ultime intervention de MCC en faveur de l’Ecole
Publique Française comme modèle républicain d’intégration a été effectivement
hué. Quant à la salle, elle était bourrée de femmes sans doute berbères
déchaînées qui exprimaient avec raison une folle angoisse devant toutes ces
horreurs qui se déballaient.
Mais le traumatisme
le plus violent fut d’entendre à la tribune ceux et celles qui justifiaient et
acceptaient le port du voile : Une hiérarque communiste disait que la
laïcité cela ne voulait plus rien dire et donc qu’on pouvait bien porter le
voile et le secrétaire de la FSU qui expliquait les positions qu’on avait
toutes les raisons de craindre en écoutant nos Collègues en Salle des
Professeurs, ce fameux argument de tolérer pour
ne pas exclure, afin que ces jeunes filles puissent quand même avoir accès à
nos lumières scolaires etc… Argument dans lequel la bêtise le dispute à
l’odieux ! Une personnalité en vue s’en tenait au Chaque femme fait ce
qu’elle veut.
Il est clair qu’en
tant que Femmes Républicaines, nous sommes vaincues.
Ce qui domine
par-dessus les affects les plus terribles c’est le tant pis et le quels que soient les risques,
c’est bien ainsi qu’il faut faire !
C'est-à-dire la claire conscience qu’il n’y a pas d’autre chemin que cette
lutte radicale car s’autocensurer serait pire encore. On a payé trop chère
l’émancipation féministe pour accepter. On fini même par se demander si le port
du voile ne sera pas imposé à toutes.
On est scandalisé de
voir que l’Ecole normalement le lieu d’intégration des émigrants, est devenu
celui où au contraire c’est nous qui sommes désintégrés pour rejoindre leur
monde à eux. Ce ne sont plus les Professeurs qui disent ce qu’il faut faire aux
Elèves mais l’inverse. Le calfeutrage que nos compagnons n’avaient pourtant pas
réussi à nous imposer l’est par des types étrangers au pays !! Enfin ces
jeunes filles pour qui on avait espéré être des modèles dans la voie de
l’émancipation sont devenues nos ennemies. On pourrait allonger cette liste,
elle permettrait de comprendre combien le tête-à-queue actuel peut rendre
malade.
Je ne suis plus en
état de m’installer au Canada comme j’en avais dans les Octantes envisagé le
projet - quelque chose est cassé - la faillite morale
environnante ayant gaspillé les forces qui manquent aujourd’hui.
La famille du
trésorier de la nouvelle Mosquée de Lyon inaugurée il y a quelques jours vient
d’être mise en prison pour recel d’armes volées…. Quant au Recteur de la
Mosquée de Paris, on l’entend à la Télévision parler de La France en tant que puissance musulmane ou bien affirmer que L’Islam a libéré la femme du paganisme et
cela tout en demandant des subventions à la dite France pour un Islam modéré.
A toutes ces causes
de désappointement, il faut de surcroît ajouter que ce qui était mon amour
traditionnel des Arabes - un syrien m’avait même à Lattaquié l’Eté 1964 demandé
en mariage - amour qui a illuminé mes rapports avec les Elèves pendant de
longues années est désormais devenu impossible. Mais la rage que génère la
situation vient aussi du fait que la réislamisation
des Arabes de France a pris racine dans leur exclusion alors que mon ancienne
partenaire de théâtre et moi-même, n’avons jamais cessé de lutter contre le dit
rejet et de plaider leur cause. On en veut vraiment à la société française de
nous avoir menées là !
Hier Gluksmann
déchaîné, a attiré à la Télévision l’attention sur le symbole de l’égorgement
en tant que moyen de faire taire.
Satisfaction
d’entendre enfin CW prendre le tournant. Cela est dû au fait que vient de
s’installer en bas de chez lui une boutique de mode islamique ainsi qu’un café
tenu par un barbu lequel selon ses
dires, racole les gens pour les endoctriner et annonçant également qu’ils vont
nous tuer ! Il ajoute que c’est grâce à la pièce d’Hélène Cixous La
ville parjure qu’il a pris conscience. Je m’interroge sur sa sincérité.
Hier au Val Fourré à
Mantes, une manifestation de trois cents Elèves Islamistes derrière des
pancartes Liberté, Egalité, Fraternité. Ce qui prouve qu’ils ont bien mal assimilé le contenu
de la formule.
J’ai lu que Semprun
explique qu’à Buchenwald il ne s’agissait pas d’éviter la mort mais de la
laisser derrière soi et de vivre comme l’ayant déjà traversée. Ceci me parait
juste, intéressant et s’appliquant aussi hélas à la Chimiothérapie de la longue
et douloureuse maladie...
Conversation avec
Guy Loinger qui dit que si je suis tricarde – c’est le mot - dans l’Hexagone,
c’est parce que je démasque la vraie nature de la France. A la réflexion ce
n’est peut être pas faux. La conversation porte ensuite sur ce commencement
d’exil dont il rit car si ce n’est pas dans ma culture, c’est bien dans la sienne.
Mon destin de fait s’est mondialisé. Mes six dernières publications dans des
revues depuis 1990 ont eu lieu à l’étranger : Canada, Etats-Unis,
Hollande, Berlin et deux fois en Espagne, alors même que je ne réussis pas à me
faire éditer en France dans laquelle je suis d’un point de vue éditorial de
plus en plus mal reçue. Je suis désolée de constater que je suis totalement
démunie face à cette rupture avec mon pays, rupture inenvisageable, n’ayant
rien dans mon histoire qui me permette de l’envisager. La conversation se
termine en envisageant la diaspora juive comme le commencement du HORS SOL
imposé par le christianisme. Le HORS SOL ou l’errance, est-ce la même
chose ?
Un ami proche est
bouleversé de l’angoisse que j’éprouve à l’idée d’être assassinée par un Elève.
Le vingt-deux au
soir, invitation à dîner chez nous d’un Russe, un contact de Saint-Pétersbourg.
Il nous confirme la reconstitution des Cosaques dans un certain nombre de
régions dont l’Oural, le Don et même à Leningrad. Face au mouvement de
privatisation des terres, ce sont les seuls qui en application de la loi s’en
sont fait attribuer et se sont remis à l’Agriculture. Ils ont des uniformes
rutilants dont le gars en question se demande qui les paie et on ne sait pas de
quel côté ils sont politiquement car cela est variable selon les régions !
On apprend du même coup que non seulement ils ont été liquidés pendant le
Bolchevisme mais que même l’emploi du mot était interdit. Considérant qu’il
s’agissait déjà à l’époque de privatisation des terres, on se demande s’il ne
s’agit pas en fait du même groupe que les koulaks !
Par ailleurs ce
Russe nous explique que la libéralisation de la Russie n’a pas lieu et que les
Réformes sont arrêtées. Selon lui les kamikazes – c’est son terme – ont
commencé celles qui de toutes façons étaient indispensables, puis qu’ils ont
été intégrés aux Conservateurs qui demeuraient toujours en place, et alors tout
s’est figé !
Je lui explique de
mon côté que c’est bien ce qui mutatis
mutandis s’est passé en France après Mai
68. Les libertaires qui ont fait les Réformes indispensables se sont intégrés
aux dominants avant que tout ne se fige, et j’ajoute même que l’apport d’idées
nouvelles nécessaires à l’Epoque était le Capital apporté pour se faire
admettre au sein des Dominants qui ouvrent ce cercle en proportion qu’ils ont
ou non besoin des idées en question.
D’ailleurs dans les
deux cas, il s’agissait de détruire l’Etat et de libéraliser dans un sens
profond et total. Je pense également qu’en URSS, c’est l’Etat qui s’est écroulé
et que c’est parce que l’Etat était écroulé que le communisme a disparu mais
seulement comme une conséquence. Enfin le Russe s’enquiert de la signification
du Mouvement de la Jeunesse de Mai 68 et n’exclut pas que la Russie se coupant
en deux, soit rattachée à l’Union Européenne.
Il explique pour
finir qu’un certain Communisme de base
perdure, qu’il faut toujours une autorisation pour licencier et on ne peut pas
être exclu de son logement.
La publicité de la
firme Nina Ricci représente une femme bicéphale dont les deux têtes réunies
forment le bouchon du flacon ! La ville est couverte de ces images et on
est horrifié ! On tombe dessus dès qu’on sort de chez soi pour aller à son
travail le matin et cela poursuit tant qu’on n’est pas rentré. On pourrait
faire ainsi une analyse systématique des représentations du corps humain qu’on
voit sur les affiches. Il ne s’agit plus comme il y a quelques temps de corps
en situation fausses et/ou ridicules mais de corps monstrueux par leurs formes,
leurs couleurs, leurs faciès sans peau ou greffés sur n’importe quoi. Dans le
monde de ce qu’ils appellent la communication, il n’y a plus moyen de se
représenter comme un être humain.
Situation d’autant
plus difficile à vivre que les émigrants toujours plus nombreux et en
provenance de partout oblige pour lutter contre un racisme qu’on sent poindre,
à faire référence à la notion abstraite d’Espèce Humaine dont il est pourtant
patent qu’elle n’est en rien partagée par les groupes culturels qui nous
supplantent de plus en plus ouvertement. Tout cela crée dans le pays une
atmosphère à couper au couteau.
Dans les Classes, ma
courageuse campagne en faveur de La Philosophie des Lumières en tant qu’Existentialisme et pour L’Egalité des droits des Femmes
jusqu’à promouvoir comme outil juridique la notion de Crime contre les Femmes fait peut-être avancer la question mais en
tous cas, elle m’épuise.
Alors qu’on avait
conscience de la future émergence démographique du Tiers Monde, d’où vient
qu’on n’ait pas pu penser qu’on serait broyés dans le bouleversement? C’est
qu’on n’a pas pu prévoir l’écroulement
de l’URSS, or c’est bien cela qui laissé les Etats-Unis sans
challenger, permettant à un Capitalisme - de plus en plus féroce - d’imposer une
mondialisation ultralibérale. Si le communisme avait perduré, un autre
aménagement de la Terre aurait pu être possible - sans l’exclusion de pans
planétaires entiers - bientôt nous même….
En Algérie, le FIS
s’en prend maintenant aux cimetières en tuant à Mostaganem un groupe d’enfants
qui rendaient hommage aux Combattants de la Guerre d’Indépendance à l’occasion
de l’anniversaire de la Toussaint Rouge.
Je suis très choquée
de l’humiliation publique infligée à la Première Dame de France. On apprend que
son Président de mari a une fille adultérine de vingt ans qui vient d’entrer à
L’Ecole Normale Supérieure et avec laquelle il se pavane dans Paris aux dires
de la Radio. Ils font la couverture de Paris Match. Ce qui me choque ce n’est
pas tant que François Mitterrand ait une fille hors mariage mais que la
polygamie s’installe et apparemment ne fasse plus problème. Et comme depuis
quelques années déjà les enfants naturels héritent en proportion de la moitié
de la part des enfants légitimes, on se demande qu’elle est
la signification du mariage.
Comme dans le même
temps, il n’y a toujours pas d’égalité entre l’homme et la femme, cela se solde
en fin de compte par la perte de la dernière garantie. La répudiation est de fait admise par le prétendu divorce par consentement mutuel qui permet après six ans d’abandon de l’habitat commun, de
l’obtenir.
Je suis surtout
choquée que les médias encensent François Mitterrand sur le thème du patriarche
fécond !
On peut mettre sur
le même plan le mauvais goût du Prince Charles qui a déclaré n’avoir jamais
aimé sa femme Lady Diana ! Cette humiliation publique des femmes, y
compris celles qui sont haut placées n’augure rien de bon. La libération
sexuelle inaugurée en 1968 a abouti à la destruction du mariage ainsi que de la
famille et au ravalement des femmes au statut inférieur de la partenaire
kleenex qu’on jette après l’avoir instrumentalisée.
Désespoir de ne pas
trouver la méthode ni le plan - c'est-à-dire la forme - pour mon Livre des
Pertes. Je ne vois pas comment je vais pouvoir rédiger dans l’ordre un
pareil texte, même chapitre par chapitre. Je décide de ne rien décider et donc
de me contenter d’une amélioration progressive de la rédaction au petit bonheur
la chance, comme on lie des ingrédients pour faire une sauce… Le Livre des
Pertes c’est peut être plutôt Le livre de la Perte dans la mesure où justement ce
livre ne peut pas être écrit parce que ce qui est perdu, c’est justement la
possibilité de faire un livre. Nous sommes dans un révisionnisme permanent dont
la judéité et ce que j’appelle la maternalité
ont été évacués.
Antoinette Fouque
s’associe à Bernard Tapie au sein du Parti Radical pour les Elections au
Parlement Européen.
Arrestation de
Soixante Quinze Islamistes d’un seul coup, constitué en réseau camouflé sous
une Association d’entraide scolaire. Les
émeutes s’étendent depuis plusieurs jours dans les banlieues d’Amiens. On dit
qu’il s’agit des harkis. Des coups de feu ont été tirés contre la Police. La
Guerre Ethnique a – t - elle commencée ?
Voyant comme une
coulée irrégulière, entrer dans la classe les élèves de 1TSC2 – mes préférés –
il m’est venue cette phrase : Cela,
c’est eux !
Au Lycée cette année
on constate une nette amélioration et on y retrouve parfois l’ambiance
affective d’autrefois, ce qui n’est pas dommage après dix ans de dégradation.
Cela est dû au redressement opéré par l’Administration centrale et locale ayant
donné un coup d’arrêt à l’Intégrisme avec l’exclusion finale des élèves portant
des voiles. Même si c’est triste à dire, la suppression du recrutement des
Maîtres Auxiliaires étrangers et l’arrivée de nouveaux Collègues très bien en
sont également la cause. On constate également depuis quelques jours une
certaine agitation féminine.
Les médias font
déferler une vaste propagande pour présenter Jacques Delors comme de Gauche
tout en étant le bon gestionnaire qui devrait être le successeur de François
Mitterrand alors même qu’il n’y a eu ni débat ni programme ni même affirmation
de sa candidature. On lit en filigrane qu’il s’agit en fait de se passer des
Elections. L’agitation sociale continue et lorsqu’on relie cette chronique, on
s’aperçoit qu’elle n’a pas cessé depuis 1986.
A Barbès, depuis
l’autobus je vois sur le trottoir un tas d’ordures important. Je m’étonne -
alors qu’elles ont été ramassées ailleurs – que celles là soient encore là.
L’état de décomposition et de crasse interdit de penser qu’on vient seulement
de les déposer là après le passage de la benne. Comme le véhicule s’en
approche, je découvre avec stupéfaction qu’il s’agit d’un homme qui dort sous
une couverture en loques ! Je pense alors à Primo Levi et à son Si c’est un homme, formule à laquelle je
n’avais rien compris lorsque j’avais découvert cet auteur. Une scène analogue
c’était déjà produite il y a quelques années dans le métro. De là datait pour
moi mon entrée dans la nouvelle époque.
En Première 4G cette
année pour les Elèves, le problème c’est le casier judiciaire ! Pour ma
copine qui exerce en banlieue, c’est l’existence d’ouailles sans domicile fixe.
De toute notre carrière nous n’avons jamais rien vu de tel et cela donne bien
la mesure de notre inadaptation à la débâcle sociale contemporaine.
Entendu hier à
France Culture : La démocratie,
c’est un conflit de droits. Voilà ce à quoi il faut réfléchir…
Entendu également
dans la semaine la jeune actrice sourde Laborit, magnifique de révolte et de vitalité
parler de la Révolution de 1975-76 à la
suite de laquelle les sourds ont décidé de s’exprimer…
Invitée, je suis
allée soutenir Taslima Nasreen à l’espace Cardin à l’occasion d’une réception
que les Editions des Femmes donnaient en son honneur. Ce fut assez prenant
d’abord par la beauté des uns et des autres, des quatre, surtout à la tribune,
Elle-même d’abord, Derrida, Antoinette Fouque et une écrivaine vietnamienne.
Les deux asiatiques habillées de rouge et d’orange !... Leur amour de la
France et la tragédie qu’elles vivaient crevaient l’écran.
Quant au discours
que fit Taslima il était le plus radical de ce qu’on n’avait jamais entendu. Un
mélange de Marx et de Spartacus d’autant plus troublant qu’elle avait la voix
faible et le corps immobile, l’émotion apparemment absente. Elle était entourée
tout autour de la scène par huit gardes du corps.
Des Marocains, des
Kabyles, des Grecques donnèrent ensuite un remarquable concert, certainement le
plus beau qu’il m’ait jamais été donné de voir et d’entendre. Le fait qu’il
était résolument tiers-mondiste - les seules chansons françaises l’étant par
des femmes noires - mettait tout de même mal à l’aise. On constatait un certain
décalage entre ces deux femmes qui en appelaient à la Culture Française en
termes de Philosophie des Lumières situées dans une tradition nationale et la
volonté de certains de dissoudre le tout dans une démocratie mondialiste sans référence à la France.
J’y ai rencontré
également Arlette Laguiller et son compagnon. HC et CC ont fait semblant de ne
pas me connaître bien que nous ayons une amie commune… Cela m’a terriblement
rappelé ce que Natacha Mandelstam a écrit dans ses Mémoires.
Pour finir
discussion avec Michèle Ramond sur les difficultés actuelles d’écrire un Traité
qui articule la pensée française et le féminisme dont elle ne veut pas entendre
parler. C’est à mon avis impossible et la raison pour laquelle la société se
décompose….
En exemple de ce que
j’ai écrit plus haut : la relation dans le journal Le Monde des prestations de Taslima Nasreen, de ses conférences de
chaque jour et de l’ambiance qui y régnait ne mentionne pas le samedi
après-midi avec les Editions des Femmes mais reprend sur la soirée avec dans
son discours, une coupe lorsqu’elle parle des femmes. Je me suis fixée comme
règle de ne plus écrire pour protester car cela ne sert vraiment à rien mais
j’ai tout de même bien envie de le faire tant les leçons que nous donnent ces
gens là sont insupportables. Néanmoins on peut comprendre que c’est la
composante anti-française de l’après-midi qui a causé la censure mais dans un
cas comme dans l’autre, on est dans une impasse.
Dimanche au Marché
du Livre la littérature est tombée à trois francs et la poésie est introuvable.
J’ai quand même réussi à acquérir le Journal de Michel Leiris qui des
années vingt au quatre-vingt m’a paru surréaliste par sa monstruosité. C’est ce
qui m’a semblé répondre le mieux à l’air du temps, tant pas l’épaisseur à l’heure
du vite, vite, déjà dépassé que par
la personnalité de l’auteur. Ses réflexions pendant la durée de la Guerre
recoupent celles que je fais aujourd’hui ABSTENTION ET RETRAIT comme
protestation éthique et esthétique face à l’extension de la bauge. Comme par
bonheur ce marchand là vendait de la poésie, pour l’encourager j’en ai acheté
un bon paquet et suis partie apaisée…
Michèle me répercute
au téléphone les étranges propose d’AC qui lui a téléphoné pour lui dire que
notre venue au meeting des Editions était coupable. Je n’ai pas exactement
compris de quoi il s’agissait et j’ai coupé court. Néanmoins lorsqu’on pense
qu’AC a écrit un article dans le journal Le
Monde pour soutenir Mitterrand après
l’affaire Bousquet et dans des termes insultants pour ceux qui s’en étaient
émus… on se confirme à soi même à quel point il faut se tenir à l’écart de tout
cela, à peine de se corrompre.
Vu hier en ville une
affiche d’Arlette Laguiller avec du texte ce qui m’a fait comprendre que ce que
j’aimais en elle, c’était la poésie. C’est la seule politicienne qui ait le
goût du texte et dans des formes désuètes qui me ravissent. L’innocence et la
fraîcheur textuelle de cette vieille routière des Elections Présidentielles
auxquelles elle se présente pour la quatrième fois, sont un délice dans ce
monde de vieux chevaux de retour cyniques ! Elle est la Mireille Mathieu
de la politique comme je suis celle de la littérature. Sur le contenu de
l’affiche c’était en résumé dans son style habituel Messieurs les pourris, méfiez vous la Révolution gronde. Cette
affiche m’a d’autant plus enchantée qu’elle était bien située dans les beaux
quartiers, sur un emplacement publicitaire adéquat et qu’elle a surgi comme une
surprise ravissante allégeant le fardeau. N’est ce pas la définition même de la
poésie ? A côté bien sûr de la toujours exacte définition de Bernard Noël un orage de l’âme qui fait pleuvoir du
verbe…
Mardi après-midi,
toute seule au Cinéma, j’ai vu Les
silences du Palais de Moufida Tlatli. Le film est agréable mais un peu
scolaire et appliqué. C’est ce que j’appelle bien pensant et qui s’applique
aussi bien aux contestataires. Il y manque le génie et hélas c’est la seule
chose qui m’apaise…
Le soir je tombe par
terre en lisant dans Le Monde une
pleine page pour défendre le voile islamique et même pas dans le cadre de la
rubrique des Libres Opinions mais
signé des journalistes de la Rédaction. Ils y accusent - sans rire - Taslima
Nasreen de contribuer involontairement à
donner une mauvaise image de l’Islam. On apprécie tout particulièrement
l’adverbe tout plein de mansuétude…
Retour également en
provenance d’une maison d’édition de mon manuscrit de A bord des Sciences
Sociales qui rassemblent mes conférences américaines. Ce qui me rend malade
ce n’est pas le refus, j’y suis habituée en en cumulant au total tous azimuts
aux alentours de cent cinquante, ce qui me blesse c’est le contenu de la lettre
d’accompagnement disant Ce n’est pas ce
que nous cherchons. C’est le renversement complet, ce n’est plus un auteur
qu’un éditeur choisit et soutient, c’est un … éditeur ( ?) qui décide d’un
produit et qui cherche ensuite quelqu’un pour le fabriquer… En tant que tel,
l’auteur a d’ores et déjà disparu. Du coup l’éditeur aussi ! Il s’agit
désormais de tout autre chose à savoir d’une démocratie cannibalisant l’âme de
ceux qui en ont conservé une. D’ailleurs cette lettre circulaire ne comprenait
ni date, ni nom.
Dans le style
habituel, stage de formation à la MAFPEN. Poussée par les Collègues je vais
plus loin que je l’aurais souhaité en dressant un réquisitoire du régime en
place. Je découvre qu’il y a encore dans le troisième ou le quatorzième
arrondissement de Paris, des quartiers populaires qui n’affichent ni la sud américanité
de celui de Pereire, ni le naufrage de la Gare du Nord. J’ai déjeuné dans un
petit restaurant du style d’Europe Centrale dont l’exotisme de la carte m’a
séduite, mais dont le rapport qualité prix ne justifiait pas d’y revenir.
Depuis une ou deux semaines de nouveau des idées de déménagement et
d’émigration.
Dans la rubrique les
murs ont la parole, nouvelle époque. J’ai vu ce graphitage dans le dixième
arrondissement : Rêve + Evolution =
Révolution !
Conversation avec
les Elèves 1TSC1 sur le SIDA. Ils ne veulent rien entendre ! Complètement
pris dans le réseau de propagande de médicalisation et d’ordre moral ils vont
presque jusqu’à dire les préservatifs ne
sont pas sûrs, donc ce n’est pas la peine d’en mettre… Il vaut mieux être
honnête et fidèle. Comme je leur suggère que l’autre ne l’est peut être pas
et que c’est comme cela que les femmes l’attrapent, c’est la catastrophe !
Ils refusent d’en envisager la possibilité… Espérons que mon petit discours
inopiné servira quand même à quelque chose. L’expérience montre que même
lorsqu’on croit avoir totalement échoué, ce qu’on avait à dire a tout de même
été entendu.
Là on se trouve face
à une configuration nouvelle dans laquelle il n’y a plus aucune place pour les
idées existentialistes ou soixante-huitardes. C’est finalement le même schéma
que dans la poussée intégriste qui profite du désarroi économique et social
pour s’infiltrer. Là c’est l’idéologie du tout médical et du puritanisme qui
s’impose… et d’une façon fait le lit de la propagation de l’épidémie
elle-même !... En effet au lieu d’en appeler à une réponse individuelle
face à un risque toujours présent, le fait de proposer des solutions réputées
sûres et venant de l’extérieur, désarment complètement.
Coïncidence ?
Alors même que je tentai d’alerter sur le risque de l’emprise totalitaire de
l’Hôpital, on a appris que le Directeur des Hôpitaux de Strasbourg - accusé de
détournement de fonds - était gardé à vue.
Température
particulièrement douce, et soleil de printemps ! Pour le plaisir, je mets
les nus pieds que j’ai portés tout l’automne, faute d’avoir pu les mettre
durant l’été que j’ai passé dans le plâtre eu égard à ma jambe cassée. Mais en
même temps, l’angoisse sourd avec le dérèglement du temps qu’on observe depuis
quelques années. Cela avait commencé avec des orages l’hiver, événement
inouï ! Là on a l’impression que ce genre d’événements se connecte à des
indices de pollution particulièrement élevés. Dans le même temps les gens sont
de plus en plus malades et se plaignent de malaises diffus. Notamment la vague
de douceur des jours derniers avait été suivie d’un raidissement des
articulations et des jambes qui m’avait rappelé les
troubles du traitement du cancer et je m’étais dit que cette douceur était due
à une couverture de pollution et je ne m’en étais pas réjouie. Vendredi je suis
sortie de la piscine avec d’étonnantes cloques incompréhensibles sur les pieds
et le week-end, j’ai eu de l’œdème sous la plante.
Aujourd’hui lundi,
la peau des pieds me brûle dans le style de la chimiothérapie. Au Lycée les
Collègues sont abattus sans raison visible, CF qui n’y est pas du tout sujet,
en plein cafard et les Elèves à la fois atones et agités ! J’ai eu ces
jours derniers une conversation avec la fille d’une voisine qui m’a dit
connaître un médecin d’Orsay qui lui aurait dit qu’à cause de Saclay dans les
trois dernières années on aurait dû six fois, faire évacuer Paris mais qu’on y
a renoncé pour ne pas affoler la population !... Je lui disais qu’il y avait
une épidémie de fractures. Elle m’a dit que je n’étais pas la seule, et a
embrayé le dessus…
En Bosnie, Les
Casques Bleus sont désormais encerclés et pratiquement prisonniers des
Serbes ! On ne peut même plus techniquement les retirer sans engager la
guerre avec eux. Il semble qu’on envisage de les abandonner, cela noyé au
milieu d’une masse de faits divers du genre accidents de la circulation ou
explosion de bonbonnes de gaz. Tout est sur le même plan. Je ne vois personne
autour de moi qui s’intéresse à cette région du monde. Je ne peux pas arriver à
croire qu’on plonge dans la guerre mais je sais qu’on y est depuis 1989. C’est
qu’il s’agit là d’une guerre d’un type nouveau. Est-ce le Concentrique et fragmentaire de mon Canal de la Toussaint. ?
Scène de genre
avant-hier au Monoprix du Carrefour Saint Augustin au self service alimentaire.
Les queues s’allongent - il n’y a que trois caissières
- les trois autres caisses sont fermées. Brutalement trois autres employées
arrivent, elles s’installent et ouvrent. L’une d’elle commence à agresser
férocement les clients sur le thème On ne
comprend pas pourquoi CA arrive comme CA tout d’un coup ! Et d’autres
propos tout à fait méprisants et insultants dans lesquels elle vomissait les
clients qu’elle percevait comme un flux collectif et irrégulier qu’elle vouait
aux gémonies parce que le débit n’en était pas maîtrisable.
J’ai d’abord
poliment suggéré qu’étant donné l’heure, c’était la sortie des bureaux mais on
m’a renvoyée dans les buts. Devant cet échec j’ai été obligée pour défendre ma
propre intégrité mentale et de lui faire remarquer qu’elle devait prendre garde
au fait que c’était bien parce que nous étions les clients qu’elle pouvait
conserver son emploi. Je suis rentrée d’autant plus malade de cet incident que
cela faisait presque un an que je n’avais pas pu mettre les pieds dans un
supermarché, tellement je m’y sens inconfortable. J’en ai donc conclu que je
devais en rester à mes habituelles livraisons
à domicile par la firme Télémarket.
En fait cette
caissière elle-même était en train de devenir folle d’être arrachée à un autre
travail à la discrétion du contremaître sans qu’elle puisse ni le prévoir, ni
s’y soustraire. De ce point de vue, faisant effectivement passer les codes
barres des marchandises devant l’œil lumineux et encaissant l’argent, elle se
percevait comme une marionnette mise en mouvement par le flux des clients….sur
lequel elle n’avait aucune prise. D’une certaine façon en accablant le flux en
question de mépris, elle tentait de conserver sa propre humanité qu’elle était
bien en train de perdre. L’effort que le magasin faisait de son côté pour gérer
au mieux l’aléatoire en supprimant les attentes excessives lui était devenu
totalement incompréhensible.
Il y aurait quantité
d’anecdotes urbaines de ce genre à raconter qui relèveraient de ce type
d’analyse. Les incidents proviennent du décalage entre ceux qui sont déjà
complètement devenus des machines et ceux qui ne le sont pas encore. On prend
pour de la grossièreté ce qui n’en est pas et est seulement une nouvelle norme
inhumaine. Il est tout de même à noter qu’il ne peut pas y avoir de lois dans
un monde de machines mais seulement des modes
d’emploi.
Les Intellectuels
ont commencé à se suicider. Trois en un seul mois : Sarah Koffman, Guy
Debord et un troisième dont je n’ai pas retenu le nom car je ne le connais pas.
Si de la part des artistes et des écrivains, c’est monnaie courante, il n’en
est pas de même chez les Penseurs qui n’ont pas l’habitude d’être normalement
dominés par leurs affects. Je me souviens avoir évoqué le sujet avec Annette
qui fut au Lycée dans les Septantes ma Collègue, comme elle m’avait expliqué
que cela s’était passé avant la Seconde Guerre Mondiale.
J’expliquai cette
semaine aux Elèves l’étymologie de Jacobins
et j’ai découvert avec stupéfaction que je ne m’étais jamais demandé où avait
été situé ce couvent. J’ai ainsi découvert hier une plaque sur l’immeuble qui
fait face à la faculté de Droit du Panthéon où j’ai fait mes études et qui
explique que c’est bien là, juste dans ce lieu où nous prenions nos cours
polycopiés et où se tenait notre café de base. Je n’en reviens pas ! Ou
bien la plaque n’y était pas à l’époque, ou bien cela n’avait aucune importance
pour nous.
On pourrait
continuer le questionnement et ne pas s’étonner que l’ancienne faculté des
langues – là où ma sœur a fait ses études d’Allemand - Rue de l’Ecole de
Médecine soit sur le site du Couvent des Cordeliers où se réunissaient les
Girondins, partisans des Régions.
Hier, conversation
avec James Bloedé, peintre qui lutte de toutes ses forces contre les
restaurations abusives au Musée du Louvre, où parait il dans la foulée de
l’opération de nettoyage de la Chapelle Sixtine, les restaurateurs ont pris le
pouvoir et décapent à tour de bras à tort et à travers en abîmant les œuvres.
Ils retirent notamment les dernières couches de peinture que les artistes ont
mêlé aux vernis. Quant aux statues elles sont décapées au sable et au jet !
Mais comme la patine a causé des mutations chimiques de la pierre, ce processus
aboutit à enlever une partie du matériau.
Il ressort de cette
conversation qu’on retrouve là ce qu’on observe ailleurs à savoir la tentative d’abolir le temps, l’exhibitionnisme et le voyeurisme, l’exposition d’œuvres mises
en situation de flatter la vulgarité démocratique. C’est bien ce que j’observe
dans l’édition, le rewritage des œuvres pour qu’elles soient plus facilement
assimilables par la population. On n’ose pas employer le mot consommable, or
c’est bien de cela dont il s’agit. C’est même pire car ils ne sont même pas
capables de mâcher. Il faut donc à chaque variation de la mode, remettre en
forme les œuvres au goût du jour, au besoin contre les auteurs eux-mêmes, comme
la Télévision colorise les vieux films en noir et blanc. C’est le révisionnisme
appliqué à l’Art !
Une page a été
tournée hier, comme Jacques Delors en lisant à la Télévision un texte émouvant,
a mis fin - au nom de la personne humaine et de la morale - au rôle que les
Socialistes essayaient de lui faire jouer comme successeur de François
Mitterrand. L’assainissement passe en effet par la dissolution de cette clique
qui a confisqué la Révolution de Mai 1968 et mené le pays à la faillite, sans
exclusion bien évidemment de la même opération à Droite. D’ailleurs l’opération
Mains Propres bat son plein et il y a tous les jours plusieurs mises en
examen, y compris chez les Elus et les Patrons.
Cette candidature
Delors exprimait bien l’institutionnalisation du mensonge dans lequel on baigne
depuis 1983, date à laquelle le pouvoir fit volte-face - sans nous en avertir -
et entama une politique de plus en plus libérale tout en prétendant continuer à
appliquer le programme pour lequel ils avaient - avec nos forces - été portés à
la tête de l’Etat. C’est bien ce mensonge là qui est le foyer du désastre.
C’est lui qui a mis les Elèves dans l’incapacité d’avoir des repères et la
génération intermédiaire entre eux et nous, dans la confusion la plus complète.
Plus obscène encore,
la volonté d’une politicienne d’être dans sa roue, en écrivant sur le livre
d’or de l’émission L’Heure de Vérité
à laquelle elle était invitée L’unité
d’un homme, la vérité d’une femme formule qui n’est compréhensible que si
on sait que L’unité d’un homme est le titre du livre de Jacques Delors.
Du coup on éprouve
de la gratitude pour cet homme qui se refuse au pouvoir pour le pouvoir et
tente d’échapper au parasitisme. Les commentateurs ne s’y trompent pas en
disant l’un qu’il vient de planter le
drapeau noir sur la marmite de la politique française et l’autre qu’il n’y
a plus qu’à enfiler sa combinaison
étanche !
On voit à la
Télévision un homme qui doit un milliard au Crédit Lyonnais et deux cents
soixante dix millions au fisc, qui - six fois inculpé -
se pose en repreneur de la Gauche et cite nommément tous les caciques du Parti
Socialiste comme étant dignes de devenir Président de la République. On éteint
le poste pour ne pas se sentir complice.
Au Lycée, Viviane Le
Fleurier m’arrache à la récréation le fil électrique de la bouilloire commune
comme je me faisais chauffer l’eau qui restait pour le café. Je proteste contre
cette exaction. Elle me dit sur son ton habituel C’est la récréation, il faut remplir la bouilloire pour tout le monde,
le fonctionnement est communautaire ! Or ce fonctionnement n’a jamais
été en dépit du fantasme de certains, la réalité. Je me rebiffe d’autant plus
que le mot qu’elle emploie n’est pas neutre car renvoyant au débat en cours
tant dans l’ensemble du pays que localement et s’opposant à républicain. Je réponds donc
instinctivement Je n’ai pas forcément
envie de mettre ma gueule en commun, les partouzes ce n’est pas mon
genre !
On se fait donc le
café et à moins de recourir à un impossible pugilat, je suis bien obligée
d’encaisser. Je reprends En fait de
communauté vous feriez mieux de ne pas nous enfumer. Ce qui est une
allusion au récurrent conflit entre les Collègues au sujet de la tabagie
ambiante, dont la dite Viviane est l’une des plus grandes contributrices.
Christian A qui
assiste à la scène m’attaque en piqué d’un La
salle non fumeurs c’est derrière. La prétendue en question n’étant en fait qu’un
grand placard à balai au mieux un débarras, j’interprète cette phrase comme une
tentative d’élimination et me replie sur un Il
ne s’agit pas de cela mais d’appliquer la loi ! Le point est sensible
car la tabagie qui règne dans notre Salle des Professeurs est illégale et ils
savent ce point décisif.
Il s’en suit un
échange sur la possibilité que j’aurais ou non des les faire condamner devant
les Tribunaux… Sans doute doivent ils m’en savoir capable car Christian reprend
L’embêtant c’est que si on m’empêche de
fumer, je deviens nerveux et je claque. Là aussi je suis bien obligée de
demander compte de cette menace pas même voilée (menace que JPH avait déjà à
mon encontre déclaré) et le type renchérit d’un Qu’est ce qu’il y a, tu es en forme aujourd’hui, tu as glissé du lit ou
quoi ? Devant la tournure douteuse que prend l’échange, je préfère
laisser tomber….
Le soir, on apprend
que l’homme d’affaires Bernard Tapie a été déclaré en faillite par le Tribunal
de Commerce. Sans doute toutes ces choses sont elles liées dans une partie de
bras de fer entre la Justice qui essaie d’assainir avec son opération Mains Propres, les
Mitterrandiens qui sont menacés par la fin de François Mitterrand et qui
cherchent une nouvelle assise qui serait en même temps l’institutionnalisation,
c'est-à-dire la capitalisation fonctionnelle de ce qu’ils ont réussi à
arracher dans la décennie écoulée.
Grand-Messe
médiatique autour de la faillite de Bernard Tapie dont on essaie de nous faire
croire que c’est lui qui a inventé les Juges de Paix et les Maisons du Citoyen,
nouvelle mouture des Maison de Jeunes
de Malraux qui les avait lui-même importées d’URSS. On se souvient des propos
de l’individu qui clamait La justice ne
va pas demander des comptes à quelqu’un qui représente douze pour cent des
Electeurs…affirmant ainsi non seulement sa volonté de bafouer la loi mais
sa négation publique.
Au Lycée on constate
également qu’une partie des Collègues font étalage de leur force et du mépris
des Citoyens dont de leur côté leur revendication est le fonctionnement correct
de la Justice. Les Uns par la réforme de la Constitution pour obtenir
l’indépendance de la Justice, les Autres par celle du Haut Conseil de la
Magistrature, d’autre encore la mise en cause des Juges incompétents qui
laissent agir les meurtriers, et moi-même bien entendu qui prône la solution
juridique des conflits de la vie quotidienne.
A la réunion
syndicale à la laquelle je suis allée exprès pour en constater l’ambiance, j’ai
dû admettre qu’elle était bien celle du meurtre !
Concernant la
faillite de Tapie, on assiste à un concert de l’Establishment pour nous
expliquer que ce n’est rien et que cela ne met pas en cause les mandats électifs ! On pense à la musique de Paul Dukas dans L’Apprenti-Sorcier ou au Bal des Vampires de Roman Polanski, sur
le thème de l’impossibilité de se débarrasser de quelque chose qui cherche par
tous moyens à continuer…
Campagne de
dénigrement contre Taslima Nasreen, accusée du pire par Certains.
J’ai rencontré mon
ancienne partenaire de théâtre au Restaurant le Rostand et lui ai expliqué
qu’il fallait reprendre le FORUM là où il s’était rompu en 1981, comme nous
jouions notre pièce sur le parvis du Palais des Papes à Avignon et qu’un homme
s’était déshabillé dans l’espace de ce qui nous servait de scène. La Police
était arrivée, nous demandant s’il était avec nous. Malheureusement elle
s’était dépêchée d’affirmer que non, là où moi je trouvais moral de
l’accompagner au Poste puisque nous avions été la cause de ce happening. Le
FORUM n’avait pas résisté à ce qui m’était apparu à l’époque, comme une
trahison. Tout cela est raconté dans notre ouvrage commun La Rouge
Florescence.
Je lui ai alors
expliqué que ce genre de PROTESTA – C’est le mot là qui m’est venu – était ce
qu’il fallait rééditer cette fois consciemment et non plus spontanément, pour
pouvoir redonner DROIT DE CITE à la culture en la rendant VISIBLE, puisque ce
qui ce passe en ce moment, c’est sa liquidation. Il faudrait donc faire une
synthèse des formes connues : les
protestas sud-américaines, le FORUM
révolutionnaire de notre THEATRE-EGALITE, le théâtre de rue de John Guez
entraînant les spectateurs à participer, le dissident Boukovsky organisant des
déclarations poétiques sur les places publiques de Moscou, la chorale Gays et
Lesbiennes de Victoria en Colombie Britannique s’organisant pour exister ainsi
que les actions de défense des arbres de la forêt canadienne, et ce jusqu’à la
prison.
Bref une action
permettant de se rendre visible non pas au sens de la Télévision qui ne
considère que ce qu’elle montre, mais une visibilité qui au contraire lui fait
contrepoids en rendant à la réalité
le droit d’exister en dehors
de la Télévision. Face à la déréalisation ambiante, il s’agit de se
REALISER tous azimuts.
A France Culture,
l’écrivain Boudjedra nous dit que puisque en Algérie le fer de lance du combat
que lui aussi mène sont les femmes, il se proclame tel. En appliquant la
méthode psychanalytique du Qu’est ce que
cela peut bien vouloir dire on peut penser que si autrefois le terme HOMME
englobait l’homme et la femme, aujourd’hui le terme FEMME comprend et la femme
et l’homme. Est-ce parce que transformé en machine, l’homme ayant d’ores et
déjà disparu, la femme reste seule ?
Champ de ruines, cynisme et langue de bois. Voilà l’avis de Michel Rocard sur le Parti
Socialiste… dont il est issu !
Nouvelles diverses
et variées : Le Parti Communiste bulgare a gagné les Elections
Législatives. La Russie bombarde la Capitale Tchétchène. Occupation sauvage - à
la péruvienne - d’un immeuble de la Cogedim Rue du Dragon par cent dix huit
squatteurs soutenus par mille manifestants ou carrément stressante dans le
style des disparitions sud américaines également à Nice, l’enlèvement d’un militant
CFDT avec inscription sur sa porte d’un cruel CFDT : -1 !
Un gendarme de
l’Elysée se suicide après avoir été mis en examen. Silence brutal et complet.
On meurt beaucoup dans l’entourage de Mitterrand mais plus personne n’ose le
faire remarquer… Ajouté aux détournements de fonds dont l’accuse certains
courageux, on finit par se demander si ce n’est pas la raison pour laquelle il
est surnommé TONTON.
En première page du
journal Le Monde un article de
Bernard Tapie expliquant que si on ne le laisse pas accéder à la succession de
Mitterrand comme patron de la Gauche, il fera un coup d’Etat. Etonnement de
constater que ce journal dit de référence
publie cela !
Une dissidente
slovène MZ revient d’aller voir sa mère et me fait ce commentaire sur l’état de
son pays : Du temps des Communistes,
les revenus allaient de un à six et maintenant de un à cent ! Dans les
usines, les Ouvriers volaient de temps à autre un phare, un volant et ils finissaient
par réussir à se construire une voiture. Les Directeurs volaient tout de suite
la voiture… Maintenant, si un Ouvrier vole, il est congédié ! Quant au
Directeur, il n’a plus besoin de voler la voiture, on la lui donne… Fermez
le ban !
Au Lycée après les
manipulations habituelles, on en arrive au résultat suivant : Suppression
d’un poste de Français ! Le déséquilibre continue à s’accroître entre les
Enseignants Techniques et les Généraux qu’on a vu partir du Lycée les uns après
les autres, après que déjà ceux de dessin, musique, sciences naturelles et
physique l’aient quitté.
L’homme n’a pas
évincé ses concurrents à son profit en laissant les choses en l’état comme on
le croirait à tort. La vie étant un TOUT en circulation, l’homme - cette machine
- l’a évincée. Ce ne sont pas les autres espèces qui sont les concurrents de
l’HOMME, c’est la vie toute entière. L’HOMME ET LA VIE SONT CONCURRENTS. Sans
doute est-ce pour cela que m’est venue au commencement cette idée qu’il y a la
vie, la mort et la NON-VIE. Ce qui se met en place sur la planète, c’est la
non-vie. Ce n’est pas l’homme qui s’achève, s’expulsant de la Nature, ce qui se
termine c’est la vie laissant intact L’HOMME, non l’être humain. C’est
peut-être cela qui explique cette guerre sourde entre L’HOMME et la femme et
non entre l’être masculin et féminin. Est-ce à mettre en relation avec cette
intuition qu’ILS vont nous tuer, intuition hélas partagée par plusieurs autres
femmes !...
Tout cela est à
mettre en relation avec cet article d’un expert psychiatre auprès des Tribunaux
Pénaux qui expliquait que la Shoah n’avait été possible que parce que chacun
savait ce qu’il avait à faire sans qu’on le lui dise. Par analogie on peut dire
qu’aujourd’hui, L’HOMME sait qu’il a à exterminer la femme, non comme
simplement un point limite de la guerre des sexes, mais plus terriblement
encore comme L’HOMME devant exterminer LA VIE, son ennemie. C’est cela qui
donne cette sensation d’implacabilité dans lequel nous sommes engagés. Ce n’est
donc pas l’être humain qu’il s’agit de sauver mais LA VIE !
Est-ce dans cette
perspective là qu’il faut comprendre les recherches concernant la formation et
la fabrication de la propriété ? Ce que le chercheur qui travaille sur ce
sujet cherche à comprendre, est-ce en fin de compte, l’invention de L’HOMME -
et non de l’être humain - comme principe stérilisateur, comme facteur
d’appropriation, de propriété et de propreté. La vie étant cette entité SALE -
au sens de nom propre - au sens de commun.
La vie c’est la
circulation de l’hétérogène, ce qu’empêche l’appropriation qui approprie. La
TELEVISION c’est L’HOMME, elle détruit toute vie dans les foyers au détriment
des êtres humains. Cette Révolution Mondiale en cours, comment
s’articule-t-elle à cela ? A CELA ? Ma difficulté de rédiger Le
Livre des Pertes est elle en rapport avec cela, puisque j’en ai la matière
et que ce que je ne trouve pas, c’est la forme ? LE MAL, ce besoin de
tuer, est ce L’HOMME ce contradicteur de la vie (La Nature) ? Le thème
médiatique concernant la fin de l’Histoire et de l’irréversibilité de ce qui se
produit a-t-il à voir avec cette idée là ? L’idéologie de l’humanitarisme
qui a supplanté le politique, est il également en rapport avec CELA ?
Ouverture d’une
nouvelle guerre dans le sud de la Russie. Le monde se disloque de tous les
côtés, comment croire que la France y échappera ?
La semaine dernière,
débat tendu entre Alexis Gruss et le Directeur du Cirque Pinder, ce dernier
réclamant qu’on interdise la venue en France de Cirques Italiens qui exercent
une concurrence déloyale en employant - hors législation - des Pakistanais et…
On sent bien qu’il n’ose pas dire métèques.
Gruss est de plus en plus gêné et finit pas intervenir. Le Directeur du Cirque
Pinder s’enflamme au motif que l’autre étant subventionné, il ne lui est pas
difficile d’être délicat. Il aurait même employé le terme d’artiste d’Etat, s’il l’avait connu. C’est en fin de compte Gruss
qui le prononce dans sa phrase majestueuse Mais
nous ne faisons pas le même métier, je suis un artiste… vous êtes un
commerçant… et terminant par cette flèche du Parthe : Vous faites le clown, je suis le clown.
Un avion d’Air
France, arraisonné par le GIA - la branche armée du FIS - avec plus de deux cents
personnes à bord. Quarante Français dont deux diplomates. Il y a deux morts. Ce
n’est bien sûr pas par hasard que cette affaire a lieu le jour de Noël !
Je suis contente
d’avoir cuisiné une fricassée de porc car j’étais lasse de lire sur les menus
du Lycée boudin (sans porc) et même
l’hallucinant : paupiettes de veau
(sans porc). Lorsqu’on apprend de surcroît que les éleveurs de porc font
faillite, on a le cœur crevé.
Un troisième
passager a été exécuté et son corps jeté sur la piste de l’aérodrome. C’est le
cuisinier de l’Ambassade… Le Gouvernement algérien laisse partir l’Air Bus qui
s’est posé ce matin à Marseille. A seize heures, il y est toujours, nos
compatriotes étant prisonniers depuis quarante huit heures !...
Pour finir, le GIA
nous déclare purement et simplement la Guerre ! C’est charmant !
Ces vacances de Noël
ont néanmoins été les plus réussies depuis longtemps. Après le Réveillon qui
réunissait comme d’habitude ma famille - mon beau père étant décédé cette année
- j’ai reçu ma belle-sœur et ma belle-mère que j’ai ensuite gardée chez nous la
huitaine, sans aucune autre sortie que chez le photographe pour raison
littéraire. C’est dans cet enfermement fécond que j’ai écris Au Présage de
la mienne une fiction élaborée à
partir de l’agenda de l’année. Mes tentatives pour rester plus près du texte
ont échoués, toute volonté d’édulcorer pour entrer dans les clous étant vaines…
et cela confirmant par les faits la fameuse formule de Jean Cocteau Ce qu’on te reproche cultive le, c’est
toi ! Une preuve de plus qu’il n’y a pas de méthode générale pour la
création de mes œuvres.
J’allais écrire
CONSTITUTION ! Je pense que c’est ce mot là qui convient car il contient
ensemble l’idée de forme, de loi, d’Etat
et de solidité physiologique. A aucun moment jusqu’à présent, je n’ai travaillé de
cette façon et néanmoins comme à chaque fois, le livre s’est imposé par
surprise prouvant ainsi qu’il provient bien d’un lieu. Là l’enfermement avec ma belle-mère confiée à ma garde pendant
huit jours mais aussi le détournement de l’Air Bus, la menace de le jeter sur
Paris et enfin - c’est certain - l’intervention du GIGN qui en repoussant la
mort, a permis de dégager l’espace permettant l’écriture.
Cette semaine dans
la Presse, deux articles confirment la cassure en deux de l’espèce humaine.
Dans Le Monde quotidien le récit de
l’intervention du GIGN dans l’Air Bus est présenté comme celle des robots d’un
côté et de l’espèce humaine de l’autre. Quant au Monde Diplomatique, il nous explique que ce que subissent
aujourd’hui les ouvriers, c’est ce qui est arrivé aux chevaux dans
l’Agriculture !
A Rouen, un
bouquiniste se moque de moi parce que je recherche le dernier tome des Œuvres
Complètes de Victor Hugo dans la Collection Nelson. Déclarant qu’il n’est
pas psychiatre, il m’assimile ipso facto à une folle, puis à une clocharde
après avoir dit d’un vagabond entré dans sa boutique pour lui demander une
pièce Il vient d’arrêter la Collection
Nelson ! Je finis par lui dire dans mon style habituel Quand vous serez mort, la Collection Nelson
résistera encore !
Je me replie ensuite
chez la bouquiniste voisine, échoppe dans laquelle je trouve - ô stupeur - ce
livre ultime que je cherche depuis des années pour avoir ainsi reconstitué la
totalité de la série. Mon alter ego lui-même, en est ébranlé. Moi non ! Je
lui résume alors que c’est ce que j’appelle globalement Ma vie dans la main de l’Ange. C’est en effet exactement cela mais
tout de même je suis très affectée de ce mépris croissant pour les livres et
pour nous. Le lendemain, cette sensation dure encore…
Dans la rubrique la
confusion des genres, cette fois c’est encore le journal Le Monde qui considère le Loup des Vosges comme un SDF !
Un prêtre assassiné
à la paroisse Saint Gabriel, Rue des Pyrénées. Il n’y a eu ni vol, ni
déprédation. Seulement un tract du Comité de Libération des Prisonniers.
A Europe N°1, cette
formule étonnante : le consommateur
sort de son terrier !
Monseigneur Gaillot
a été révoqué comme un malpropre. Les derniers Evêques révoqués avant lui ont
été ceux de la Collaboration. Des comités se sont mobilisés en sa faveur et ont
rejoint le mouvement des squatters des immeubles qui de leur côté se répandent
dans plusieurs villes. Bref il y a de l’agitation du côté des Exclus.
Dans le but de
déterminer ce qu’il convenait d’en faire au-delà de leur pur stockage, à la
relecture de mes nombreux carnets de voyage accumulés depuis quinze ans, il
m’est apparu qu’aucune disposition générale n’était possible dans ce domaine.
Il faut néanmoins bien admettre que leur intérêt est inégal.
A signaler Vendredi
un orage, ce qui est parfaitement anormal en cette saison. Cela s’est déjà
produit depuis deux ou trois ans. Mais cette fois, je n’étais plus la seule à
m’en inquiéter.
Hier au Lycée, deux
choses que je n’avais jamais vu auparavant en vingt huit ans de métier. D’abord
en Salle des Professeurs lorsque la cloche a sonné, les Collègues qui autrefois
se contentaient de râler ce sont cette fois, mis à crier. Ensuite le Proviseur
nous a convoqués à une réunion avec les Elèves Délégués, instituant là une
catégorie d’auditoire qui n’existait pas auparavant. Ce n’est bien sûr pas par
hasard qu’il s’agit du contrôle que la MAFPEN veut faire de l’application de la
Réforme. C’est bien cette nouvelle institution néostalinienne qui a recruté en
masse un lumpen-professorat inculte qui monte en grade grâce à sa servilité et fait
sur nous des pressions croissantes pour vider l’Enseignement de tout son
contenu. Dans cette nouvelle organisation, les Professeurs et les Elèves sont
bien un matériau indistinct.
C’est aussi ce
qu’exprime le réaménagement matériel et topographique du Lycée dans le style du
film de Bilal Bunker Palace. L’Administration
s’est regroupée dans une sorte de Blockhaus séparé du reste de l’Etablissement
et dans lequel on ne les voit plus du tout. Il y aurait de quoi faire une
analyse complète des modifications.
Toujours est il que
tout cela auquel s’ajoute la plainte des gens et la parole qu’ils prennent sur
leur état de - selon leur propre terme - crevard,
les béquilles des uns et les minerves des autres m’ont amenée à me dire
qu’on était en train de mourir non pas comme une métaphore de refoulement dans
des espaces inhabituels - type extermination des Indiens - mais comme une
liquidation physique immédiate qui avait déjà commencé, l’exténuation physique
en étant le premier moyen et l’indifférence à la pollution tous azimuts un
autre. Les liquidations dans les Hôpitaux me sont déjà connues et je me demande
aux visages obstinément fermés des Elèves s’il ne se passe pas aussi de drôles
de choses dans les Banlieues…
Déjeuner avec GL qui
m’a dit que l’OTAN avait contacté les instances du Plan pour leur demander de
tenir compte d’une possibilité de guerre
ethnique dans les HLM. De mon côté je
lui ai décris mon fonctionnement en classe, à savoir la juxtaposition des
Groupes Islamistes, des Arabes Républicains, des Français de Souche, des Fascistes et des
Révolutionnaires et que j’avais le contact avec tout le monde. Il m’a fait
remarquer que c’était la situation de la Bosnie avant la guerre. J’ai alors
mesuré que ce résultat avait été possible parce que j’avais de mon côté intégré
le modèle de la mosaïque canadienne mais que je le savais
fragile.
Trois fois dans la
semaine alors que j’étais en conversation privée avec l’un ou l’autre, y
compris au restaurant, des tiers se sont brutalement joint à la conversation et
l’on détournée à leur profit. Mercredi c’est Nicole qui s’est immiscée dans ma
conversation avec Boyer, pour m’interdire d’employer le mot kapo !
Durant le week-end
contestation à Saint Germain quant au projet du Mouvement Droits devant d’ouvrir Rue de Rennes une Universitaire Populaire
et de la volonté du Ministère de l’Intérieur de s’y opposer. La Rue du Dragon
est bouclée, les Commerçants ont été obligés de fermer boutique et la Brasserie
Lipp se plaint que le déploiement policier fait fuir les clients !
De quatorze à seize
heures, j’ai refusé de faire cours parce que l’élève SMO refusait de retirer
son turban et je l’ai prévenue que je ne la prendrai pas le lendemain si elle
était habillée de la même façon. Arrivée de bonne heure le jour d’après, j’ai utilisé
mes acquis de l’agit-prop étudiante pour filtrer les Elèves. Elle est entrée
tête nue la dernière et le contentement de ses condisciples faisait plaisir à
voir.
J’ai de mon côté
affiché un visage de marbre, mais quel bonheur ! Sinon j’aurais été obligée
d’engager un conflit terrible dont l’issue était incertaine compte tenue de
l’ambiance collaborationniste. Dans ce domaine, ma position politique est
depuis longtemps une objection de conscience
individuelle.
Il appert dans cette
histoire qu’il s’agit bien d’un acte de résistance authentique et que comme dit
Brecht on peut résister au sens de La
Résistible ascension d’Arturo Ui. On constate également que la résolution
personnelle concernant un détail peut effectivement - la preuve - changer le
cours des choses. Il n’y a pas de petite action.
Je suis bien
contente d’avoir réfléchi d’avance à la question et d’avoir sans attendre,
arrêté pour moi-même ma position, ni d’avoir tenu compte de quiconque car dans
les faits c’est cette stratégie là qui m’a permis d’être efficace.
Dans la semaine à la
Cantine, l’antisémitisme et le racisme se développent à vitesse accélérée. Les
Collègues en sont à parler des singes
qu’ils ont vus dans les métros. Ils font bien sûr allusion aux Noirs !...
Si on cherche à
comprendre comment on en est arrivé sans combattre à cet effondrement de la
France et à en avoir perdu la souveraineté, on peut dire qu’outre la perversité révisionniste de certain et le néostalinisme
du Parti Socialiste, on a assisté à une déconstruction
européenne. Alors que le Traité de Rome n’était de fait achevé dans sa mise
en pratique qu’au Premier Janvier 1993, soit trente six ans après, le Traité de
Maastricht fut signé et liquidait en un temps record non seulement ce qui restait
de la souveraineté étatique mais de l’Etat lui-même.
La différence entre
la Droite et la Gauche c’est que pour la Droite, le travail c’est un coût alors
que pour la Gauche, c’est un moyen d’existence.
Au Lycée, Madame Souhaut
à qui – étant données nos conditions d’existence - je n’ai pas eu l’occasion de
parler depuis longtemps me dit : Je
ne sais plus ce que vous écrivez, ce que vous lisez, ce que vous pensez !
Toute l’énergie est
utilisée à réparer ce qui n’est plus simple accroc ou blessure mais des
lambeaux arrachés dans une dévoration de plus en plus sauvage. Les dangers et
les coups n’arrêtent pas. On ne peut donc plus dégager l’espace temps, non pas
même pour œuvrer mais même simplement pour prendre des notes. Ce qui est
d’ailleurs bien dommage car la tourmente qui agite actuellement la société fait
naître des idées et des regards nouveaux.
Concernant le marché
du logement, on constate que deux ingénieurs Arts et Métiers ayant tous les
deux un emploi, dont l’un à l’EDF ont besoin qu’on se porte caution de quatre
cents mille Francs - quarante millions d’Anciens Francs - pour pouvoir louer un
appartement dont le loyer est de cinq mille cinq cents Francs ! On imagine
alors la situation des autres…
Pour vérifier la
validation des tickets de bus dans le quarante trois le soir, il faut une
équipe de six Contrôleurs. On me dit par ailleurs qu’en banlieue pour le même
résultat, les gares sont bloquées et que la Police assiste la RATP.
L’Elysée a écouté -
hors légalité - les téléphones et constitué cinq mille fiches sur la vie privée
des individus, journalistes, politiciens, artistes. On est médusé de découvrir
la réalité pire encore que ce qu’on imaginait et soulagée de voir confirmer ce
qu’on dénonçait depuis longtemps. La femme d’un ancien Premier Ministre est par
exemple fichée comme juive
gréco-turque ! Le journal Le
Monde parle de cabinet noir.
De tous les côtés
les gens perdent la tête. On a affaire à des enfants qui dans la relation à
l’autre cherchent leurs mères et ne sont plus préoccupés que d’eux-mêmes. Dans
la phase précédente, on pouvait encore dire que c’était l’abandon de la Morale
qui causait le retour au cannibalisme mais que l’autre était encore là. Tandis
qu’il y a maintenant de surcroît une régression psychologique et non pas
seulement - si on peut dire - culturelle. On ne peut plus parler aux gens, ils
ne font pas que projeter sur vous leur mère comme ils le faisaient auparavant,
ils croient réellement qu’ils sont avec leur mère. Je suis donc amener à des
coupures radicales !
Mon monde est
complètement écroulé. Non seulement en termes socio politiques, mais également
individuels. Autour de moi, aucun n’a la moindre idée ou n’est capable de se
projeter dans l’avenir ni d’assumer le caractère totalement inattendu et unique
de ce qui nous arrive.
Passons pour mémoire
le procès dans lequel la copropriété est embarquée parce que deux mauvais
coucheurs n’ont pas - en dépit de mes efforts de médiation - réussi à
s’entendre… Lorsqu’on essaie d’expliquer aux autres qu’on risque d’avoir à
payer, le discours univoque est celui de ne pas vouloir y être mêlé. Quand ils
comprennent qu’ils y sont quand même de fait partie prenante, ils n’ont aucune
idée des fonctionnements juridiques et invoquent le bon sens, la morale ou la
politesse qui n’ont rien à voir là dedans !
Au-dessus de Paris,
des avions nous survolent de plus en plus nombreux. Jusque là c’était interdit.
Sans doute a-t-on dû déréglementer en ouvrant Orly aux compagnies aériennes
étrangères. Je me souviens que les riverains avaient -
il y a quelques mois - tenté de s’y opposer. Leur dénonciation portait sur
l’encombrement et ils ont perdu la partie. On imagine la chute d’un avion…
Victime d’une
intrusion dans le coin de campagne, une voiture ayant roulé dans les prés pour
s’enliser dans le verger, ajouté à une panne d’électricité m’a fait me replier
sur la Capitale car je ne me voyais pas affronter seule de nuit et les
éventuels voyous. Dans le hall en me voyant, la concierge m’a dit Vous travaillez aujourd’hui ?
Montrant ainsi qu’elle surveillait là bizarrement mes allées et venues.
Peut-être n’est pas sans rapport avec ce que la résistante algérienne Messaoui
appelle l’assignation à résidence.
Jeanne Calmant la
doyenne des Français, cent vingt ans a déclaré que depuis 1914, c’était la
Révolution. Ce en quoi, elle a peut être raison !
De Brice Lalonde
cette phrase On n’est pas très sûr que la
création ait été faite pour l’homme, c’est pour cela qu’il faut des Ecologistes !
Une nouveauté :
Désormais je verrouille les portières de la voiture lorsque je roule en
banlieue !
Aux Indes, une ville
entière a été débitée en antiquités
pour être vendue à l’extérieur. Le fait est que depuis quelques temps, je
m’étonnais aussi de l’afflux des portes, des tables etc… Plus stupéfiant
encore, on apprend qu’à Marseille, une porte cochère d’immeuble a été volée et
que c’est la troisième !...
Jusque là il
m’arrivait de disjoncter mais maintenant j’ai l’impression d’avoir résilié
l’abonnement.
Dans le métro, des
clandestins noirs vendent à la sauvette pour cinquante Francs des sacs à main
qu’on trouve à trois cents dans les Monoprix. Impossible de toute façon de
demander à la population de ne pas acheter. Une jeune femme de ma connaissance
fait déjà état d’une perte de sentiment d’appartenance ou du moins d’identité,
ne sachant plus à ses dires comment distinguer ce qui est NOTRE. Le désastre
n’est pas seulement économique et social, il est aussi symbolique.
Tout cela a été
rendu possible par la superposition d’une propagande éhontée et d’un
étouffement silencieux de la vie intellectuelle et culturelle sous le double
pouvoir de la rentabilité marchande - pour le secteur commercial, du copinage
systématique - pour le secteur étatique - et de l’activité directoriale de la
CEE en tant que junte ultralibérale. Par exemple, c’est avec l’accord de la
Commission de la CEE que le trafic transmanche a été déréglementé. Résultat une
compagnie maritime qui fait traverser le Channel a employé des marins polonais
à trois mille francs sans aucune couverture sociale alors que le tarif normal
était de sept mille ! Il y a des émeutes dans les ports ! De toute
façon, si je retrace mon propre itinéraire c’est bien à propos du référendum de
Maastricht que j’ai moi-même, basculée.
Rue de Rivoli une
femme m’aborde en me demandant si je parle français. Je lui fais remarquer
qu’on est en France.
Découverte d’un
arsenal militaire islamiste dans un box de Choisy le Roi. Jumelles, téléphone
de campagne, lance-roquettes. On nous dit qu’il s’agit d’une base arrière du
combat algérien, je pense plutôt qu’il s’agit de la France !....
MCC qui a fait son
sketch antivoile et exposé ses tableaux dans un café berbère à Arcueil a trouvé
sur son répondeur téléphonique des menaces de la rendre incapable de peindre le
reste de sa vie, accompagnées des injures habituelles de pute, salope, connasse etc…
Une affiche de la
firme Benetton présente des barbelés. Une main anonyme a ajouté à l’habituel
slogan United Colors of Benetton Auschwitz.
Dans les toilettes
du cinéma Arlequin où on vient de projeter le Métropolis de Fritz Lang, une matrone excédée me bouscule pour
prendre ma place devant le lavabo où je suis installée à me peigner. Je tente
de décélérer en lui disant Calmez vous,
cela va aller, cela va être votre tour…Et elle de bonne foi me
déclare : Vous êtes là à vous
peigner alors que moi j’ai besoin de me laver les mains… Voilà une scène
exemplaire qui se reproduit tous les jours d’une façon ou d’une autre. Autrui
est devenu une chose qui encombre et qu’il faut pousser pour avoir la place.
D’où l’air furieux si la chose en question n’a pas cédé à l’intimidation, ce
que je ne fais jamais. Je reprends donc Dites
donc, j’ai aussi le droit d’utiliser le lavabo comme vous… Je n’avais pas
particulièrement besoin de boire mais puisque c’est comme cela je vais le faire
et même je vais me laver les mains parce que ce sera plus hygiénique… Elle
s’enfuit…
Autre scène dans
l’autobus… Un affreux moutard me piétine allégrement les pieds… Je m’en étonne,
fais une remarque dans mon style habituel du genre Alors mon mignon… On me piétine les pieds ?! Aucune réaction
de la mère ! J’enfonce le clou : Qu’est
ce qu’on dit à la Madame ? Silence complet du côté de la bonne femme….
Je continue donc On dit Excusez moi
Madame ! Et me tournant alors vers la mère, je lui découvre un visage
absolument bovin dans le style de ceux qu’on voit dans le film Délivrance et je lâche Alors on fabrique des petits sauvages dont
on ira se plaindre après ?... Là dessus, elle me déverse un tombereau
d’injures. Je pense qu’il faudrait mettre par écrit toutes ces anecdotes
urbaines pour en faire un livre mais c’est déjà beaucoup de travail ainsi et je
n’y arrive pas.
Un arsenal militaire
découvert en Belgique après celui de Choisy-le Roi. Moins menteuse, la Belgique
dit froidement que cela pouvait bien servir pour des attentats en Europe.
Les Banlieues ont
changé de signe. Elles étaient auparavant l’intermédiaire entre la ville et la
campagne. Poétiques parce qu’elles avaient gardé une partie de nos racines.
Maintenant c’est l’inverse, c’est le lieu le plus HORS SOL qui soit, l’absolue
absence de racines, les ghettos d’émigrés déracinés, totalement atomisés.
La dureté de Maman face
aux trois virgule cinq millions de Chômeurs : Ce sont des incompétents.
Lu dans un cinéma au
sujet de ce qu’on appelait autrefois pourboires :
Un complément de revenu serait… etc…
Madame C me dit
qu’une des femmes avec qui elle fait de la danse a elle aussi reçu des menaces
des Islamistes qui s’affichaient comme du FIS…
Au début de la
semaine une jeunette turque de quinze ans a tué une fille de sa classe dans les
toilettes de son Lycée. En en parlant avec la classe de Première, j’apprends
que cela s’est déjà produit il y a deux ans dans l’ancien Lycée de l’élève MDC
qui me parait malade depuis le début de l’année, au point que je me demandais
si elle ne se droguait pas… Je lui dis alors que je suis contente d’apprendre
qu’elle a vécu cela car je la trouve très mal à l’aise et qu’ainsi je la
comprends mieux ! Je lui demande ce qu’on a fait de la meurtrière pour
m’entendre répondre qu’on l’a renvoyée ! Comme les trois islamistes
supposés rigolent, je me sens glacée.
Dans un taxi dont le
chauffeur noir s’avère incapable de me mener Porte de Vanves, je parle des
Boulevards des Maréchaux. J’éprouve un profond malaise comme il me soutient
mordicus qu’on peut les appeler comme on veut.
Rue Poncelet où il y
a le marché et la cohue, j’entends une voix derrière moi dire Je ne peux pas avancer, il y a un veau
devant moi ! Terriblement blessée je me demande si je dois entamer un
discours sur l’unité de l’espèce humaine… Pendant ce temps là, la femme qui a
prononcé cette horreur a avancé. Je cours derrière, la dépasse, me retourne et
lui décoche Et vous, vous avez une gueule
de vieille vache ! Après quoi je me suis sentie beaucoup mieux !
Le scandale éclate
maintenant. Les affaires de Monsieur Balladur Premier Ministre et ses plus
values financières… Quant au PDG d’Alcatel - la CGE privatisée par le dit
Balladur en 1986 - il est deux fois inculpé et interdit de la gestion de sa
seconde entreprise. C’est une partie de bras de fer entre ce qui nous étouffe
tout en nous volant et le pays qui se défend désespérément, follement comme
quelqu’un qu’on enchaîne et se débat. Les souffrances et les clameurs qui
montent de partout sont intolérables. Je suis contente moi-même d’être
littérairement exclue. Je n’aurais pas aimé être confortable et comblée au
milieu d’une douleur pareille, c’est qu’il y aurait eu quelque chose qui
n’aurait pas été quelque part !...
Résumé de la
situation : On est des choses et du matin au soir on essaie de ne pas se
faire jeter ! On est déshumanisé. Dans un texte, j’ai écris choses à la place d’êtres et les Elèves ont relevé que j’avais dit embaucher des machines.
15 Mars 95
Assassinats sauvages
et systématiques de féministes algériennes. Arrestation de membres du GIA dans
la banlieue parisienne. Potentiellement ce peut être mes Elèves car
l’atmosphère est de plus en plus lourde dans les Classes et le Lycée recommence
à se déstructurer après l’effort de redressement du nouveau Proviseur en 90-94.
Quasi faillite du
Crédit Lyonnais sauvé par l’intervention de l’Etat qui monte une structure pour
l’empêcher grâce à l’argent du contribuable, en cantonnant les pertes dans une
filiale qu’on déclarera naufragée au moment opportun, l’Etat caution payant les
pots cassés. Le trou en question représente à lui seul la moitié des impôts
prélevés sur le revenu pendant un an. On entend prononcer des noms qu’on a déjà
entendus notamment au sujet de la Loge P2, là où les fonds se perdaient dans
l’affaire Péchiney.
Lundi en Algérie ont
été assassinées les femmes qui avaient tenu Le
Tribunal contre les crimes islamistes, le 8 Mars. Une Elève a été cherchée dans sa classe,
traînée dehors, égorgée et on a ramené le cadavre dans l’école…Etc… Face à cela
d’une certaine façon le sexisme qui sévit dans la vie quotidienne en provenance
de la part du père, du mari ou d’autre mâle de la famille sont rigoureusement
insupportables. Car en petit, le meurtre est le même. Au bout de l’interdiction
des femmes en tant qu’être humain, il y a leur assassinat. La misogynie
tue ! Ce n’est plus une métaphore mais une réalité.
J’ai proposé en
Salle des Professeurs une motion de soutien aux assassinés algériens et bientôt
français sans doute ! Naturellement les Collègues ne veulent pas en
entendre parler et se retranchent soit dans leur colonialisme traditionnel soit
dans leur volonté d’être tranquilles avec leurs propres difficultés.
Cette tranquillité
est à rapprocher de celle des tranquillisants qui n’éliminent pas l’angoisse,
mais paralysent la réponse d’agressivité. Elle est à rapprocher également de
l’injonction permanente de ma mère qui exigeait que je me tienne tranquille,
c'est-à-dire que je ne fasse rien d’autre que ce qu’elle désirait, à savoir que
je sois sa prothèse.
En exergue du Carnet N° 43, ce proverbe
allemand transmis par Fleck « ce qui ne peut pas être ne doit pas
être ! »
Arrivée au Lycée
dans un état d’esprit plutôt tranquille, je suis cueillie à froid par le
Collègue Eric E qui me bouscule volontairement, se lançant ainsi dans une
agression physique contre laquelle je proteste. Il me tient alors des propos
dont il ressort que je n’ai qu’à me taire puisque je suis une femme. Mes
protestations redoublent mais il ne veut rien entendre et comme je lui demande
des excuses à peine de rupture des relations, il choisit la dérision. Je suis
alors obligée de rendre coup pour coup et comme il m’a attaqué dans ma féminité
je lui dis froidement d’aller se faire voir chez les Grecs. Cela ne suffisant
pas et qu’il ne fait pas mystère de ses goûts qu’il exhibe publiquement,
j’ajoute froidement une phrase terrible !
Deuxième tentative
de SMO de m’imposer en classe, le port de son turban. M’y étant déjà
efficacement opposée il y a deux mois, et ayant depuis décidé que si on
m’obligeait à faire cours dans des conditions pareilles je porterais l’affaire
devant les Tribunaux en m’appuyant sur Le
Préambule de la Constitution prévoyant l’égalité de l’homme
et de la femme, je la renvoie cette fois sans
ménagement.
Ma Classe de
Première 4 G qui fonctionnait bien est désormais depuis plusieurs semaines
partie pour naufrager. Je me demande s’ils n’ont pas été informés de ce qui
s’est passé et s’il ne s’agit pas d’une cabbale islamiste mais les Elèves
questionnés n’ont rien répercuté. Non que je les crois,
mais cette question étant destinée à leur montrer qu’ils pouvaient le cas
échéant m’en parler.
Dans une vitrine du
magasin C&A Rue de Rivoli, un mannequin est enfermé dans un clapier
grillagé à l’intérieur d’un mur de briques ! Partout des signes de mort
non seulement annoncée mais déjà à l’œuvre, ici et maintenant.
La grève des Postes
s’étend. Devant d’urgence porter une lettre en ville j’y vais en taxi, me
heurte à une porte cochère dont je ne connais pas le code et qui ne comporte
pas de boîte à lettres. A part cela, c’est le village planétaire de la
communication !... A noter également que j’ai dû dans le contrat que je
venais de signer pour une prestation de services, rayer la mention chants modernes en américain pour la remplacer par chants en français ou liturgiques en latin. Voilà où nous
en sommes et comme il faut utiliser le droit pour vicarier la disparition de
l’Etat/Nation. Au Québec dans les Octantes cela me
paraissait inadéquat mais c’était parce que j’étais encore dans une situation
de nantie culturelle, ce qui n’est plus le cas, aujourd’hui.
Hier à Grandvilliers
comme je devais réserver des chambres pour les nombreux invités à une fête dont
nous étions les organisateurs, on m’a considérée comme une prostituée du simple
fait que j’agissais seule. Je n’ai donc pas pu mener à bien cette tâche dans
cet endroit là. Cet exemple montre que la misogynie invalide vraiment la vie
quotidienne et en diminue le rendement.
Au Lycée une
ambiance de plomb. J’ai d’ailleurs subie trois agressions physiques depuis la
rentrée d’automne. J’ai fait à Chantalle une réflexion sur le mélange de folie
et d’obscénité qui régnait dans la Salle des Professeurs en lui disant que si
on remplaçait le mot copie par cul, on se croirait dans un bordel
réflexion qu’elle a trouvé juste ! Les Collègues font du forcing pour nous
entraîner nous aussi dans leur monde effarant qui évoque la névrose de guerre,
ce ressassement inlassable jusqu’à devenir vide de sens.
J’ai entendu
Nathalie Sarraute à France Culture expliquant le mal qu’elle avait eu à
empêcher l’aliénation de ses filles ainsi que confirmer mon idée qu’elle a bien
été à l’origine du Nouveau Roman, cela étant lié à son émigration hors de la
Russie. Elle a dit qu’elle avait eu la conviction dans les années Trente que le
roman classique ne pouvait plus servir à rien et qu’il était totalement
obsolète. Il me semble que cela est dû à la Révolution Russe elle-même, au fait
d’avoir vu un monde s’effondrer et peut être ensuite de s’être demandé à propos
du stalinisme ce que je me demande aujourd’hui, à savoir non seulement comment
on en est arrivé là mais aussi par quel mécanisme individuel de détail. Elle
raconte également que l’Editeur Nagel a gardé deux ans - sans le publier - son
livre Portrait d’un inconnu. Comme quoi, l’aventure de Ton Nom de
végétal n’est ni unique, ni honteuse. Elle ajoute que l’absence de
reconnaissance est souhaitable parce qu’elle oblige à garder sa pugnacité
créatrice… allant jusqu’à invoquer Rilke disant lui-même Si tu deviens célèbre, change de nom ! Comme quoi nous sommes
donc au moins trois !
Une publicité de la
Redoute est affichée sur les bus et affirme On
vous livre un téléviseur en vingt quatre heures avec un installateur
incorporé ! Ainsi donc, ça y est l’homme est incorporé à la machine…
J’ai vu hier le film
de Tavernier L’appât, film non pas
sur le langage comme le dit mon ancienne partenaire de théâtre mais sur
l’avidité et le caractère primitif de la satisfaction des besoins
physiologiques. Je pense un moment envoyer mon Au Présage de la mienne
au cinéaste, mon texte étant en quelque sorte l’appât, vu du point de vue de la victime. Mais j’y renonce car je
tente de concentrer mon énergie sur la nécessité qu’il y a à écrire Le Livre
des Pertes. J’aimerai aussi écrire une biographie de Tavernier, tant de
choses me relie a lui. Mais c’est impossible tant que
je travaille au lycée !
Hier à propos de la
candidature de Jospin à la Présidence de la République, comme je faisais état
de mon refus de confirmer quiconque nous avait trahis, j’ai obtenu le soutien
de mon père qui opinait du bonnet et de ma mère qui a dit Oui, on ne les a pas élus pour que les pauvres soient dans la
rue ! Cette bonté – rare chez elle – m’a fait du bien et mérite d’être
signalée.
J’ai enfin eu au
téléphone mon amie montréalaise après presque un an sans nouvelles. C’est,
consécutif aux inondations, l’effondrement du toit de sa maison qui explique ce
long silence. Je ne me trompais pas en craignant quelque chose d’anormal…
Chez les Blacks,
c'est-à-dire les Noirs à look américain, on observe en une semaine un brutal
surgissement de casquettes rouges. Que faut-il en déduire ?
Au Lycée,
extravagances en tous genres. Viviane Le Fleurier retirant de la poubelle des
Professeurs, une grille des notes des Elèves que les furieux distribuent à
leurs Collègues aux Conseils de Classe et demandant à Madame M si c’est elle
qui a jeté cela ? On s’achemine socialement vers une police des corps dont La Jeune Morte en Robe de
Dentelle donne un échantillon.
Comme le dit
Chantalle Les machines parlent aux
machines ! On a aussi l’impression qu’elles veulent nous tuer nous les
Humains et encore plus nous, les Humaines.
Quant à Michel N il
me demande compte de ma tasse sur laquelle il y a - et c’est bien en effet une
provocation - la faucille et le marteau imprimés en rouge avec marqué Perestroïka. Je l’envoie sur les
roses !
L’odieux le dispute
à l’insupportable. Encore le meurtre d’un Lycéen par un autre. Ce n’est même
plus un événement exceptionnel. On peut écrire froidement Les Lycéens s’entretuent !
Dans la publicité en
plus de tout ce que j’ai déjà dénoncé : nudité, androgynie, homosexualité,
sadisme etc… voilà maintenant les stéréotypes raciaux. On fait présenter les
vêtements rouges par des prétendus Peaux-Rouges avec le slogan On en a toute une réserve et pour le
chocolat, c’est une négresse toute nue… A Canal Plus, un Noir court dans New
York et sur la Statue de la Liberté avec du pneu sous la plante du pied. Les
vitrines des Pharmaciens sont pleines de derrières de femmes avec leur fessier
constitué en cible.
Dans le quarante
huit, une conversation collective permet d’y dire qu’il faut enfermer les
mendiants sans que personne dans l’autobus ne réagisse.
En ville, floraison
d’affiches néo-soixante-huitardes à l’initiative du mouvement Droits Devant sur le thème de la lutte
contre l’Exclusion. Les graphismes évoquent un peu ceux du mouvement de
Soixante Huit dans la mesure où il y a un style populaire mais cette fois en
couleurs !
Dans un Collège de
banlieue, les Collègues sont en grève depuis plusieurs jours. Une Elève en a menacé
une autre avec une machette !
La faculté de
Besançon a décidé de fermer faute d’argent pour pouvoir payer les heures
supplémentaires.
Lundi 10 Avril 95
Toute la semaine,
poussée révolutionnaire. Pour qualifier certains élèves je suis même obligée d’inventer
le terme de néo-bolchéviques. On
objectera qu’il y manque le rôle d’un organisme centralisateur pour conquérir
le Pouvoir mais c’est peut être le rôle que jouent les Coordinations.
Ma situation est
elle analogue à celle des Philosophes du XVIIIe siècle qui étaient tous morts
lorsque les événements de 1789 ont éclaté ? Ce serait alors ce qui
expliquerait ma sérénité. Non pas que je me désintéresse de ce qui vient mais
que je puisse me contenter de le regarder de mon balcon.
J’ai souvent dit à
la ronde qu’on n’était pas tenu à faire
deux révolutions dans sa vie.
Or j’ai déjà fait la féministe et celle de l’ordre global, je l’ai
impulsée ! Peut être la Révolution qui vient va-t-elle permettre la
consolidation des positions des femmes émancipées mais peut être par des
chemins brutaux. Car si jusque là c’est sur le plan intellectuel que nous avons
tenté de convaincre les autres que les femmes étaient des êtres humains, ce qui
se prépare maintenant c’est un pillage et la répartition sauvage du gâteau.
La grève s’étend
tous les jours davantage. Kodak, Michelin, la Sécurité Sociale, la Poste, Elf,
Philips etc... La Télévision nous explique la bouche en cœur que cette
conjonction est inédite. C’est avec jubilation que j’explique aux Elèves qu’en
Mai 1968, les drapeaux rouges flottaient sur les usines. Il m’apparaît alors
que si les Classes Populaires ont dans ce domaine fourni le gros des troupes et
le poids du mouvement, pour la Bourgeoisie cela a été une récréation laissant
la vie inchangée. Les Bourgeois ont-ils été à Mai 68 comme on va au
bordel ? Ce que j’ai pris comme un détournement des idées
soixante-huitardes à la fin des Septantes n’était ce pas déjà en germe lors du
mouvement de Mai lui-même, les deux projets étant incompatibles ?
Au Lycée, c’est
l’offensive de nos nouveaux Collègues incultes et barbares. L’un deux qui
semble tout ignorer des DOM déclare J’ai
potassé un livre sur les sources de l’Etat Providence, je bosse l’économie, je
veux enseigner en classe préparatoire !... On ne sait pas si on doit
en rire ou en pleurer.
Quant à un nouveau
diplômé de l’IUFM, il demande à Chantalle de lui trouver des colles dans les khâgnes ou à défaut de
lui céder une partie des siennes… Tout ce lumpen-professorat qui nous a déjà supplanté
dans le Secondaire et fait fonction de kapo, vise maintenant d’intégrer
l’Enseignement Supérieur et en effet pourquoi pas ?
Par ailleurs les
Collègues commencent à faire état des menaces physiques que font les Elèves
contre deux Professeurs. Les Jeunes ont été exclus huit jours à la rentrée,
c’est déjà cela.
Les Conseils
d’Enseignement ne parviennent même plus à sauver la face. Les néo staliniens
alliés au lumpen-professorat semblent constater leur échec et leur impossibilité de nous
imposer à nous les Républicains,
leurs volontés. Du coup ils ne peuvent plus s’opposer à la décomposition d’un
système que depuis dix ans, ils ont tenté de capitaliser à leur profit mais ils
se sont heurtés à une résistance forcenée.
Philippe de Villiers
à la Télévision vitupérant contre les seringues en vente libre et disant ce
qu’il convient de faire, face à la drogue que consomme les Jeunes On prend le petit dans ses bras et on lui
dit : Je vais te tirer de là ! Et plus loin Je ne veux pas que mes enfants meurent du SIDA.
Une dame dans
l’autobus raconte comment une fraudeuse s’est enfuie en cassant un carreau et
commente Il s’en passe des choses en ce
moment !
L’Union Européenne
négocie un Traité de Libre Echange avec les Etats-Unis… et l’Ukraine est
d’accord pour qu’on lui construise une nouvelle centrale en remplacement de
celle de Tchernobyl qui fuit et va exploser.
Sur l’absentéisme
des Elèves Juifs pour le Shabbat, un arrêt du Conseil d’Etat l’autorise au coup
par coup sauf dans les classes de Mathématiques Supérieurs où les
interrogations ont lieu le Samedi. Que faut il en
déduire ? Seules ces Classes là constituent encore une Ecole ! Je le
fais remarquer à une ancienne hypotaupine
de ma connaissance. Elle en reconnaît la réalité, ce qui soulage étant donné
l’effort qu’elle a dû fournir!
En Bosnie les
Casques Bleus français se font tirer comme des lapins sans pour autant empêcher
la Guerre. On mesure à quel point les décideurs font ainsi bon marché de la vie
des autres.
Je me suis abstenue
aux Elections Présidentielles parce que le mensonge et la démagogie étaient
tels que cela menaçait ma santé mentale et poétique. Même chez Arlette dont le
programme de Mille cinq cents Francs de plus pour les Travailleurs pouvait
encore s’admettre à titre de precium doloris des années écoulées mais non la
réquisition des entreprises faisant du bénéfice en licenciant !
Pourquoi ? Mais parce qu’avec l’URSS, on a déjà donné. Ce que j’ai traduis
à la ronde d’un Est-ce bien raisonnable
de réquisitionner les entreprises alors que les patrons sont en prison ?
Le fait est
qu’aujourd’hui être de Gauche implique un partage mondial, c'est-à-dire un
dépeçage de l’Occident. On sent bien d’ailleurs monter dans les Classes, une
volonté de pillage brutal, ce qui n’était vraiment pas le cas en Mai 68 comme
l’attestait le thème des structures en réfection
avec en illustration de cette idée, l’affiche des Beaux Arts sur le thème d’un
triangle de signalisation indiquant Travaux !
Le tout bien sûr solidement ancré à l’intérieur des idéaux républicains dont il
ne venait à personne l’idée de contester les valeurs de liberté, égalité, fraternité, individu, émancipation des Lumières,
de la vie intellectuelle, de la culture et même de la France en tant que projet
culturel permettant à quiconque d’y adhérer pourvu qu’il les partage.
Donc abstention
révolutionnaire ! Disons abstention éthique pour n’être pas mêlée à leur
déni de la destruction de la société, déconstruction réalisée depuis le Traité
de Maastricht.
Les résultats sont
inattendus ! Jospin est en tête, sans doute élu par des gens de droite qui
se croient à gauche. Quant au reste, il est considéré comme un vote protestataire, ce qui n’est pas du tout
la même chose que contestataire et a
comme caractéristique constante d’être ainsi désigné par ceux qui n’en sont pas
et veulent le disqualifier.
Fermeture du Dépôt des Etrangers de la
Préfecture de Paris, à la suite des plaintes des Avocats, des Magistrats et
autres Amis des Droits de l’Homme, tant les lieux étaient une vraie pourriture
inacceptable. Mais on se réjouit moins lorsqu’on apprend qu’il est transféré à l’Ecole de Police de Vincennes.
Cela ne veut rien dire pour les jeunes générations mais fait trembler ceux qui
ont connu les dictatures. Par ailleurs, si la critique était que ce dépôt
échappait aux Magistrats au profit de la Police, dans cette configuration c’est
encore bien davantage le cas !
Déferlement de
Tsiganes à Lyon et de Kurdes à Nice. Il semble qu’on passe du quantitatif à un
qualitatif autre. Quant à Paris, cette quantité croissante de jeunes hommes à
la peau sombre, seuls et pauvres saisit. On est partagé entre la pitié et la
terreur.
Vu Boulevard Saint
Michel un jeune SDF allongé sur des fripes dans l’encoignure d’un cinéma fermé.
On s’est regardé, il m’a souri amusé et détaché. Vue également une boutique
comprenant un bureau de change ainsi qu’un rayon de baskets et de casquettes
américaines.
On pourrait éclater
en sanglots mais cela servirait à quoi ?
Maintenant partout
les Militaires font la guerre aux Civils… Il est vrai que c’est plus
facile !
Partout dans la
ville, des quartiers qui ne sont plus nôtres ! Cette fois c’est dans le
Cinquante Quatre qui fut pour moi un autobus familier, que je me fais la
réflexion qu’étant plein de Noirs, je roule vers Haarlem. Et d’autant plus que
je sors d’un bazar dans lequel je n’ai pas été comme par le passé par rêve d’exotisme
mais par nécessité ! Il est désormais devenu - avec toutes ses femmes
voilées - un magasin du Tiers Monde. Rien ne me distinguait d’elles, nous
étions globalement la clientèle
de cet établissement.
Hier chez Habitat où
j’allais autrefois avec bonheur, les articles ne sont plus du tout les mêmes et
affichent clairement désormais leur culture arabe. Au point même de se demander
si la firme a changé de propriétaire. Petit à petit tous les objets de la vie
quotidienne se désoccidentalisent tandis que nos formes sont reprises par des
fabricants asiatiques qui inondent le marché à bas prix. L’agonie est lisible.
A l’occasion du
défilé organisé par Le Pen, Brahim Bouraam a été jeté dans la Seine par des
Skinheads et s’est noyé ! Dans ma plus que vigoureuse protestation au
Lycée je suis complètement isolée tant du côté des Elèves que des Collègues.
J’ai écrit un poème pour la victime mais je n’ai personne à qui le lire ni même
la possibilité de l’afficher. Quant à l’envoyer quelque part pour une
éventuelle publication, les expériences antérieures montrent qu’on ne fait que
perdre son temps ainsi que ses manuscrits et que la sagesse consiste plutôt à
attendre que cela se passe….
Hier j’ai trouvé mon
courage dans la relecture du Déserteur de Maurienne. Je ne vais pas
voter au deuxième tour des Elections Présidentielles, les deux candidats étant
co-responsables du désastre, au grand dam de l’entourage qui ne comprend pas ma
position et exerce une forte pression pour me faire changer d’avis. Ma façon de
voir est pourtant issue de ce qu’on passait des heures à l’UNEF de ma jeunesse
à peaufiner, en dissertant sur la différence entre l’abstention et le ne prend
pas part au vote !
Les deux catégories
étaient décomptées séparément. Le plus sérieusement du monde. Je suis donc là
dans la catégorie Ne prend pas part au
vote et elle est comme toujours chez moi de l’ordre de l’objection de
conscience.
La Guerre a repris
entre les Serbes et les Croates après une trêve hivernale. Zagreb a été
bombardée avec des missiles et des bombes à fragmentation. C’était à la
Télévision de cette ville qu’on avait lu la traduction de mes Doigts du
figuier en serbo-croate au début des Octantes et que la critique Zelena
Zuppa avait intitulé son article La
reprise de l’Histoire, dont à l’époque je n’avais pas compris le sens. J’ai
appris depuis par Metka qu’elle était morte du cancer. Des images des
Yougoslaves fuyant en tous sens ou transportés rationnellement dans les camions
des Nations Unies, à distance réglementaire les uns des autres.
La Télévision est
pleine d’images de tuerie, de politiciens menteurs et de confessions
impudiques. La rue est couverte d’affiches d’hommes et de femmes nues. Les
fesses sont omniprésentes. On ne voit pas encore un anus mais cela ne saurait
tarder. On en serait presque soulagé car on pourrait dire Ah, c’était donc bien cela ! Dans le journal Le Monde une publicité obscène pour le
parfum Lapidus avec le slogan L’instant
d’éternité ! J’ai téléphoné au journal pour protester en disant que si
cela continuait, je ne l’achèterais plus et que ce n’était pas la peine de
payer pour être humiliée.
Au Lycée une
Collègue est revenue sur le scandale qu’a déclenché ma querelle avec Eric E et
ma vulgarité qu’elle confond avec ma grossièreté. Je suis obligée de préciser
que ce n’est pas Vas te faire… que je
lui ai dis mais d’aller le faire
ailleurs ! Et que ce n’est pas du tout la même chose… Mais il n’y a
personne dans cet Etablissement qui soit capable de comprendre et d’apprécier
cette nuance…
L’horreur sociale
ambiante a-t-elle à voir avec le Minotaure qui dévore au cœur du
Labyrinthe ?
Dans une Revue de
l’Université de Vincennes un article traitait - sous le titre de Littérature du chaos - de la pensée
franco-française. C’était d’un scientisme désolant, les seules pensées citées
étaient celles des hommes, les articles scolastiques et bien évidemment rien du
tout sur le mouvement des femmes, qu’elles fussent écrivains ou critiques.
Pourtant de ci de là on commence à lire dans les journaux des attaques contre
la bureaucratie et la nomenclature française, sans que désormais leurs
auteur(e)s soient taxé(e)s de folie.
En voyant la semaine
dernière, la liesse de la victoire affichée par les Jeunes croyant à la
réalisation des promesses de Chirac et l’encensant, on se prend à penser que
nous-mêmes en 1981 devions faire la même chose avec François Mitterrand,
faisant également pitié à ceux qui savaient bien qui il était…
Chez Télémarket, le
supermarché qui me livre à domicile, apparition dans le catalogue du terme Beurre hygiénique. L’adjectif
s’employant habituellement pour le papier ou les tampons féminins, on en vient
à se demander si le lait, le lien à la mère n’est pas devenu pour certains
aussi dégoûtant que la merde et le sang menstruel.
Il m’est venu pour
la première fois, l’idée de passer un concours pour entrer dans une autre
administration car l’idée même de faire encore dix ans de non enseignement me
paraît presque irréelle au sens d’irréalisable.
16 Mai 95
N’est ce pas une
règle générale qu’il est impossible de penser l’effondrement de ses cadres
mentaux ? C’est bien pourtant ce que je parviens à faire et qui d’une
certaine façon est la cause de mon isolement.
J’ai appris hier le
mot oxymoron qui s’applique
parfaitement à ma structure poétique.
A la Cantine du
Lycée conversation sur le blocage de la situation et l’idée d’émigrer. Pour
certaines seulement dans le Midi de la France. La plainte de Madame P est
plutôt qu’ici, la facilité des transports permet aux gendres et aux
belles-filles de venir de n’importe où (sic)…
Par ailleurs un
débat s’engage pour savoir quel est le sort préférable entre celui des
Professeurs et des Ouvriers. Qu’on se pose cette question est déjà en soi,
significatif…
Une employée du
ménage du Lycée à qui je n’ai jamais parlé, me tutoie. On pourrait y voir
gentillesse et sympathie mais je n’y vois que le signe de notre prolétarisation
et j’en suis traumatisée.
A huit heures du
matin, je suis toute seule au Lycée et ne comprends pas pourquoi. Si j’ai
l’habitude de la disparition de l’Administration claquemurée dans son
blockhaus, il y a tout de même en général des Professeurs. On ne peut pas
techniquement faire fonctionner seule une Institution.
La constitution du
nouveau Gouvernement fait apparaître la crainte de l’arrivée des
ultra libéraux qui n’existaient pas du temps de nos études. Ils sont
entrés en scène avec les Chicago Boys, Conseillers de Pinochet au Chili en 1973
et ne veulent plus seulement l’abstention de l’Etat dans la vie économique mais
sa disparition.
Ce n’est plus de
l’échec scolaire mais au point où nous en sommes, de la non scolarisation. En
1TSC1, sept Elèves ont été renvoyés pour cause d’absentéisme. Ils ont accumulés
jusqu’à quarante cinq demi journées d’absence. Ce qui dans la vie civile
équivaudrait à un mois de vacances supplémentaires.
Nouveau Gouvernement
d’Alain Juppé. Record de participation des femmes. J’ai déjà eu l’occasion de
constater que la Droite est plus favorable aux femmes que la Gauche, c’est un
paradoxe mais cela est !
Les médias
reprennent la propagande et le culte de la personnalité, là où Mitterrand l’a
laissé. Hallucinant !
La synagogue de
Saint Denis a été pillée et saccagée. Les Informations y consacrent une minute
et demie. D’ailleurs ce type de destruction a lieu maintenant fréquemment, pas
encore habituellement mais au moins fréquemment.
La blanchisserie en face
du Lycée a été remplacée par une agence de travail temporaire. Finies les
nappes de dentelles pendues dans la vitrine et dont la beauté m’avait autrefois
sauvé la mise. Quant à celle vendant des instruments de musique qui la jouxte
et dans la vitre de laquelle j’avais fait cette magnifique photographie du
Lycée se reflétant sur les affiches de Verdi et de Lully, elle expose
maintenant une image de jaguar et de tam-tam. Je m’étais autrefois servi de
cette œuvre pour en faire une carte de vœux pour les Collègues.
Désormais l’Avenue
Magenta est devenue l’artère principale de la Médina et le Lycée est en train
de se faire prendre dedans. Pour faire bon poids, la librairie de la Radio où
j’allais souvent trouver à me ressourcer - un peu plus haut dans le quartier -
a elle aussi fermé. Satisfaction amère. On n’y trouvait jamais les livres des
Editions des Femmes qu’ils considéraient comme négligeables.
L’impression d’avoir
été victime d’un glissement de terrain historique. On a quitté/perdu un monde
qui était le nôtre et on se retrouve dans une nouvelle contrée faite d’Amérique
du Sud et d’Afrique. On en serait déconcerté à moins.
Revu AG à un
vernissage après plusieurs années d’absence. Il me dit Tu es comme la Joconde, je ne te vois pas souvent mais je sais que tu
existes !
La dissidence française, c’est moi. Quelle horreur ! Voilà l’idée qui m’a traversée. On peut s’en
étonner. On pourrait s’interroger sur la différence entre l’opposition et la
dissidence, et l’origine même de ce concept. La dissidence est inéluctable
quand l’opposition est devenue impossible parce que la société est totalitaire.
Et c’est cette différence qui rétablit une séparation.
Pour en tester
l’objectivité, je dis à MS que je suis une dissidente
et qu’il me semble qu’on fait semblant de ne pas le voir. Elle le confirme et
fait le parallèle avec la Collaboration disant que pour le prendre en compte il
faudrait se mettre en cause et que cela engendrerait de la culpabilité. Je n’en
reviens pas !
Il est impossible de
rester aux terrasses des cafés tellement la pollution est forte et rend malade.
Le soir et la nuit suivante, on s’en ressent. Mais comment faire alors pour
avoir sa dose quotidienne nécessaire de soleil ?
Des émeutes à
Noisy-le-Grand après la mort d’un Arabe. Quatre Ecoles incendiées et un
Gymnase. Sont-ce les Islamistes ? Il me semble que c’est trop précis pour
être spontanément une colère populaire.
J’ai enfin trouvé le
nom de ce que j’ai jusqu’ici appelé : L’Evénement. C’est L’ETHNOCIDE DE LA
SOCIETE FRANCAISE.
Edwige Ganache de
Berkeley me dit que La Meurtritude y fait un tabac et qu’on m’y croit une femme
noire très âgée. Elle se
propose de m’y faire inviter. Je m’entends dire des phrases assez étranges
telles que Dans la mondialisation, je
réclame une terre pour la France ! Quant à elle de son côté, comme je
lui précise que je ne parle pas l’Anglais, elle me dit tranquillement Pour une francophone, cela n’a pas
d’importance, on traduit !
J’en suis
soufflée et vois là une modification très nette par rapport à l’époque
précédente et tout à fait la confirmation de l’ambiance du CIEF en Avril 1994.
Elle me dit avoir écrit à d’autres écrivains, l’amie de Yourcenar, Le Clézio,
Tournier qui ne lui ont pas répondu contrairement à moi. Elle en tire la
conclusion que moi je suis francophone
et pas eux, ce qui signifie dans le contexte
mondialisé : en langue française.
Elle-même américaine
se considère comme francophone, à la différence du réseau basé sur les
féministes canadienne qui ELLES fonctionnent sur le mode de la CONTRELANGUE et
de ce que j’appelle L’AMERIQUE EN FRANÇAIS. Là francophone, signifie le stade d’après. A savoir pas seulement la
TRANSNATION - selon mon concept de 1984 - mais des populations errantes,
déconnectées du sol et regroupées selon les compatibilités informatiques.
Le français devenant alors une sorte de calibre ou de
voltage électrique. Cela présente par ailleurs une certaine logique :
Le français étant traditionnellement autarcique, francophone signifie alors ouvert
sur l’extérieur du monde. C'est-à-dire qu’il entend !
C’est tout à fait cela !
Dans une vitrine
dans le bas du Boulevard Raspail deux mannequins masculins en position de se
sodomiser.
Après mon abstention
militante aux Elections Présidentielles je suis retournée voter aux Elections
Municipales pour ne pas m’installer dans une position de désocialisation. C’est
à contre cœur que j’ai voté pour une union PS/PC. Il n’y avait rien d’autre.
Vu hier un
Pakistanais qui pour entrer dans l’immeuble sans en avoir le code - et déposer
ses publicités dans les boîtes à lettres - se servait du passe partout du
facteur des Postes. J’en ai éprouvé un certain malaise.
Fin Juin, le pot de
fin d’année au Lycée est plutôt tristounet. La documentaliste a mis une musique
de fond qui empêche toute conversation, mais de toute façon il ne peut pas y en
avoir, tant l’état d’esprit est techniciste et totalitaire. Ma seule victoire
dans ce cas est de ne pas faire semblant d’être amie avec ceux et celles avec
qui je suis en réalité, à couteaux tirés. La seule dignité qui nous reste dans
cette humiliante liquidation, c’est de rester propre ! Ce qui d’ailleurs
ne va pas de soi parce qu’on vit dans l’ordure à tous les échelons de nos vies.
Le Jury du BTS
Comptable se tient depuis l’an dernier dans un sous sol fétide. Un décret paru
en Mai remettant la formation du BTS aux Entreprises, génère une certaine
agitation chez les Présidents de Jury et même chez l’Inspectrice lesquels
tentent pour s’y opposer de nous imposer un boycott des corrections.
Non que j’approuve
ce décret là mais ce n’est pas le rôle de nos Supérieurs de nous pousser à
l’émeute et à la faute professionnelle déontologiquement parlant. Par ailleurs
tel qu’il est - totalement truqué - cet examen est indéfendable et enfin
l’Education Nationale s’est avérée incapable d’assurer efficacement une telle
formation.
Si on ajoute que nos
Elèves qui seront les victimes de ce boycott sont déjà ceux qui ont pris de
plein fouet la tentative du Gouvernement Balladur de leur imposer le CIP à
quatre vingt pour cent du SMIC pour Bac Plus Deux et les violentes émeutes qui
en ont résulté, on est consterné. Sans compter que les miens ont été quasiment décimés,
le quart noir de la classe ayant été obligé de redoubler ! On frémit
devant toute cette adversité imposée à la Jeunesse...
Je refuse donc pour
ma part d’y participer d’autant qu’il est clair que la rétention des notes
servira de monnaie d’échange à la Nomenclature pour assurer le reclassement de
ses privilégiés et que c’est même sans doute pour cela qu’elle a poussé au
mouvement. On retrouve bien là la mauvaise habitude de la Gauche se servant des
gens comme masse de manœuvre pour l’évaluation des poids respectifs dans la
répartition des prébendes.
Sept heures de
surveillance du Baccalauréat plutôt pénible avec des Elèves asociaux et
agressifs avec dix minutes de pause toilette le matin au milieu des quatre
heures et rien l’après-midi. C’est ce jour là que l’Intendance choisit pour
faire lessiver la Salle des Professeurs en la rendant inutilisable. Quelle
délicate attention ! Comme si on refaisait le papier peint des loges
d’artistes, le jour d’un gala.
Apparition d’un
nouveau type de femmes très longues, squelettiques, sans fesse ni ventre ni
hanche, des corps de garçon avec des seins énormes. La jupe est longue et
droite, comme des bandelettes qui empêcheraient de marcher en dessous d’un
buste avantageusement offert. Ce sont des idéales prothèses nourricières.
Le Front National a
arraché trois Mairies : Orange, Marignane et Toulon. Les déclarations
incendiaires ont commencé dès lundi sur le thème, plus un sou pour les immigrés
mais plus étonnant, le Ballet Moderne de Toulon est sommé de faire du classique ! Autant
demander à Picasso de peindre comme Fantin-Latour.
Rixe ethnique dans
la rue, les Noirs et Arabes contre les Blancs. On parle de couteaux. La Police
a embarqué les protagonistes.
La question de la
pollution fait brutalement irruption en première page du Monde et dans les autres médias comme quelque chose d’intolérable
auquel il faut immédiatement trouver une solution. Il y a eu cette année neuf
alertes et depuis quelques années il y a de plus en plus de parkings et de
stationnement sur les trottoirs. Depuis quelques mois les motos et les vélos y
roulent sans se gêner et n’admettent même pas qu’on proteste lorsqu’avec
courage, on y parvient. J’avais déjà il y a plusieurs années, alerté autour de
moi sur ce thème et j’ai été heureuse qu’on me fasse dans cette affaire,
compliment de ma perspicacité.
Depuis les Elections
Municipales, déferlement de déballage des scandales dans les HLM parisiens
qu’on découvre loué à la Nomenclature ainsi que les Propriétés de la Ville, en dessous du prix du marché.
Sont mis en cause les Ministres et leur famille. On est écoeuré de se découvrir
sans défense dans des mains aussi noires. S’y ajoute l’horreur algérienne et
bosniaque. On meurt de faim dans des enclaves prétendument garanties par les
Nation Unies.
Vu Rue Saint Jacques
un restaurant avec un panonceau annonçant Spécialité
Française, un comble ! Et dans un manège pour enfant sur le dos d’une
monture, un autre : Cheval en panne.
Dans les vitrines
des marbriers en face des cimetières, une douzaine d’urnes des modèles
funéraires pour récolter les cendres puisque l’incinération est à la mode.
Après la Shoah, cette exposition est vraiment insupportable.
L’équilibre s’est
rompu la semaine dernière 14 Juillet, comme les Serbes ont attaqué et
liquidé la première des enclaves musulmanes à Srebrenica. Depuis une
semaine, l’horreur est devenue telle qu’en fait il n’est plus question de faire
quoi que ce soit. Autour de moi sauf une seule exception, c’est la fuite, le
tour de passe-passe, au mieux l’idée de retirer les Casques Bleus, quitte à
faire pour cela une guerre limitée.
Quant à mon ancienne
partenaire de théâtre, c’est depuis 1992 lorsque commença le siège de Sarajevo,
qu’elle m’interdit de lui en parler, sans compter quelqu’une avec qui j’ai
d’intenses échanges intellectuels alors qu’elle est de son côté indifférente au
malheur d’autrui. Comme ni la France ni les Nations Unies ne font rien, on
finit par être privé d’une représentation positive de soi comme luttant contre
l’ignominie et c’est ce qui détruit. Heureusement j’ai commencé une série de
dessins.
Au sujet du nationalisme, certains bons esprits vont
jusqu’à nous conseiller de renoncer au mot même de NATION. Une façon de leur
répondre est d’attirer leur attention sur le fait que concernant les
Amérindiens, le terme politiquement correct est celui de PREMIERES NATIONS.
Ce qui se passe en
ce moment en Bosnie est si horrible qu’on essaie de ne pas écouter. Des six enclaves
musulmanes prétendument garanties par les
Nations Unies, les Serbes en ont déjà conquis deux et bagarrent ferme pour
la troisième. Cela dans la passivité absolue de tous les Occidentaux et des
Organisations Internationales. Les gens (femmes et enfants) chassés, on est
sans nouvelles des hommes, dont il est avéré qu’une partie a été tuée.
Si on y ajoute
l’attentat qui a eu lieu dans le métro à la station Saint Michel et a fait sept
morts et plus de quatre vingt blessés, on ne sait que faire ni quoi penser. De
toute façon, il n’y a plus d’espace pour se reconstituer et faire des projets.
On peut toujours essayer de rester personnellement et individuellement en
dehors de la déstructuration, il n’y a pas moyen ! J’ai néanmoins à
Millau, chez Trémolet Fils, racheté pour deux cents quarante Francs une boite
de Trente crayons de couleur….
Création d’une
cellule d’aide psychologique anti catastrophe confiée au Docteur Emmanuelli
Ministre de l’humanitaire ou quelque chose de cet ordre. J’entends cette phrase
étonnante Il faut extirper cet évènement
fondateur. On pense alors aux psychiatres de la guerre de 14-18 qui mirent
au point le concept de névrose de guerre
et on s’interroge sur la différence.
Au Larzac, Fête des
vingt ans du Cun, dans une ambiance soixante-huitarde d’anarchisme doux. Des
artistes produisent sur le podium des prestations sans génie. On fait appel aux
participations spontanées. Vient au micro une mongolienne qui nous dit des
choses absolument incompréhensibles. On la laisse faire. Elle se retire
d’elle-même et tout le monde applaudit exactement comme pour les autres. Je
crois que c’est l’impression la plus forte de ma vie (avec quelques autres…)
A la villégiature, banquet républicain dans la Baume. Cent cinquante personnes entassées
serrées le long des longues tables qui tiennent tout juste dans la grotte, sans
en déborder. Les enfants jouant à grimper dans le fond sur les aspérités, comme
on le voit faire par les agneaux dans la bergerie de notre coin de campagne sur
les bottes de foin, tandis que les adultes demeurent dans un cas comme dans
l’autre, en bas. Terrible émotion de cette comparaison distancée sur les
espèces vivantes.
Au Prieuré de Comberoumal,
perfection du concert d’une chorale lituanienne. Un chef de chœur qui faisait
de tous autres gestes que les nôtres. Il prenait alternativement des poses
d’icônes avec des mains dressées aux longs doigts et les postures effarées des
démons de Dostoïevski. C’était aussi étonnant et merveilleux que lorsque j’ai
vu en 1987, les hôtesses d’Air Chili faire des démonstrations pour le port des
gilets de sauvetage avec des postures que je n’avais jamais vu auparavant et
qui évoquaient les peintures des tombeaux égyptiens.
L’OTAN bombarde
Sarajevo, les bombes explosent à Paris et à Lyon, on égorge en Algérie…. Tous
les jours ! Et on n’y fait même plus attention ! Mais pour trois
cents francs d’achat à Prisunic, j’ai eu en cadeau un grand sac en papier
plastifié ! Et le pire c’est que cela m’a fait plaisir. Voilà où nous en
sommes !
Basés sur
l’Adriatique, les Américains tirent des missiles depuis le croiseur Normandy.
Jeudi dernier, une voiture piégée a sauté devant une Ecole Juive. On arrête
dans les Cités de banlieue des Islamistes Français soupçonnés de terrorisme. Je
m’applique à apprendre à rester stable au milieu de tout cela sinon je vais
crever de malheur.
De nouveau la
perdition de ne plus savoir comment tenir ce carnet, partagée que je suis entre
l’obstacle qu’il fait à la littérature et la nécessité de porter témoignage de
ce qui nous arrive.
Concernant la Bosnie
ce que les Américains imposent, ce n’est pas la paix, mais l’ordre communautaire. Le
bilan de l’écroulement de la Yougoslavie, ce n’est pas seulement l’écroulement
du Communisme mais aussi la défaite de l’Europe.
L’Etat a été
condamné à verser cinquante mille francs de dommage intérêts à une Elève
musulmane exclue pour cause de port de voile islamique. .. Alors qu’on est
virtuellement en guerre contre les Islamistes avec les attentats...
L’ordre nouveau qui
s’impose partout, c’est celui de la brutalité qu’il y a désormais au quotidien
dans tous les rapports (in)humains dans lesquels on se sent la proie d’autrui,
en but à sa dévoration sans limite. Cette brutalité c’est celle du FAR-WEST où
on vole et tue sans pitié dans une violence inouïe.
Au Lycée, les
Collègues racontent sans honte les chahuts qu’ils subissent. Essayant de
restructurer le tout en rappelant les grands principes pour enrayer le marasme,
je leur résume DEONTOLOGIE, INSTITUTION et je me tourne vers Noël en lui
demandant quel est le troisième terme. C’est alors qu’il dit Champagne pour tout le monde ou alors
Patrie, au choix !
Plus violents que
jamais, en 1TSC2 certains Elèves me contestent purement et simplement le droit
à une parole CONTRE voire même SUR l’intégrisme islamiste. On n’avait jamais
été aussi loin. C’est médusée que je m’entends alors leur tenir un discours de
guerre, leur dire qu’ils coûtent chacun quarante deux mille francs par an à la
République Française pour être scolarisés, que s’ils ne veulent pas adhérer à
ses valeurs, ils n’ont qu’à quitter tout de suite le Lycée, voir même la France
et que s’il n’y a pas de textes pour le permettre, on en fera.
Plus rien ne se
passe normalement. Apparaissent alors de nouveaux comportements. Ni oubli ni
indifférence, mais comme la mise en mémoire dans une instance inconnue d’un
nouveau type au sein de laquelle l’humanité cultivée et humaniste est mise en
dépôt. Je me souviens du propos paradoxal d’une cinéaste suédoise rencontrée à
Montréal en 1992 et qui m’avait dit que New York était un grand camp de
concentration. Le changement psychologique est devenu un automatisme. Il n’y a
plus à faire l’effort de surmonter ce qui se passe, il s’agit désormais de
fonctionner dans une sorte d’infra-humanité. C’est comme si je m’étais
momentanément laissée au vestiaire.
Ma voisine de palier
préconise qu’après chaque attentat, on renvoie les Algériens chez eux, comme cela me dit elle ils se battront entre eux et nous foutrons
la paix. C'est-à-dire la politique des otages plutôt que le Code
Pénal !
Au Salon de Coiffure
à côté de chez moi, une pauvresse d’une soixantaine d’années tentait de vendre
des posters à la coiffeuse. Sa plainte pour obtenir qu’on les lui achète
n’était pas sans évoquer la tricoteuse de Santiago du Chili à qui en 1987,
j’avais acheté les mitaines noires. L’indifférence était la même dans les deux
cas. J’ai donné dix balles à la pauvresse, plutôt étonnée que les autres n’en
fassent pas autant.
A la librairie en
faillite La rage de lire, une soirée un peu pénible. On s’est livré sur ma personne à un exercice
d’humiliation systématique non en raison du contenu de mon œuvre dont non
seulement on ignorait tout mais ne voulait rien connaître mais de ma qualité d’écrivain français. C’était l’ordinateur révisant le livre, l’Allemand le
Français, la société anonyme l’identité culturelle. Une sorte d’Anschluss déjà
réalisé sur notre pays. A côté, l’impérialisme américain faisant figure de chef
d’œuvre d’humanisme !
On peut résumer la
différence par pour les Américains Devenez
américains c’est la meilleure société au monde ! Parlez américain c’est la
langue mondiale ! Alors que pour ces Allemands qui étaient là ce
serait Vous êtes française vous êtes
handicapée, ne vous inquiétez pas on est là, on va vous traduire en
allemand ! J’ai alors compris la réflexion de Willy Brand Je suis content d’être allemand, je n’aurais
pas aimé les avoir comme voisins !
J’y ai tout à fait
retrouvé l’attitude d’une traductrice germano-canadienne et du Goethe Institut
de Montréal qui m’avait invitée en 1992 apparemment pour systématiquement
m’humilier.
A un vernissage,
rencontre surprise avec le pétersbourgeois qui a diné chez nous. Il développe
une thèse que je soutiens depuis longtemps. A savoir que la liberté des
artistes en URSS était plus grande au temps des Communistes que dans la
Démocratie et l’Economie de Marché dans lesquelles plus personne en Russie en
ce moment ne fait rien. En effet sous le Communisme, il y avait l’Art Officiel
pour le conformisme et à côté pour l’Art, les autres circuits.
Incident antisémite
à la Poste. Je proteste mais personne ne me soutient et pas les Emigrants. Je
suis scandalisée.
Conversation avec ma
voisine déportée d’Athènes - âgée d’une vingtaine d’année - à qui je demandais
comment C’ETAIT ARRIVE. CA le nazisme persécutant les Juifs. Ce fut d’abord
m’a-t-elle dit le besoin de s’emparer de ce qu’ils avaient, de piller les
maisons et d’emporter jusqu’aux volets. Et comme j’insistais pour connaître
dans le détail le mécanisme du commencement de l’élimination, elle me dit que
cela s’est passé au moment où étant très nombreux, ils se sont coalisés autour
de la puissance de l’Etat. Elle fait également mention de nombreux étrangers
misérables engagés dans l’armée pour l’intérêt matériel. Elle précise qu’on
leur donnait une maison et qu’ils avaient une famille à nourrir.
Je lui raconte qu’au
Lycée l’avidité et la brutalité des Collègues m’évoquent ces commencements.
Nous tombons d’accord pour espérer, souhaiter, formuler que la différence
fondamentale, c’est l’Etat !
Gonflée à bloc par
un bilan de santé qui fait apparaître que non seulement je n’ai pas de
métastases mais qu’il ne me manque aucune substance quelle qu’elle soit, je
décide non seulement d’accepter la proposition de l’éditeur de Voix Richard
Meier de faire un texte pour sa collection Voir
comme on pense mais d’aller même au-delà et de proposer aussi d’en faire
moi-même les illustrations, ce qui n’était pas prévu.
La nouvelle forme
totalitaire à la mode est sans doute une formule sans troisième terme
(loi/père/nom) qui aurait alors complètement disparu. Cela n’est d’ailleurs pas
contradictoire avec la Démocratie. C’est en effet le plus démocratiquement du
monde que dans une famille, les enfants peuvent décider de dévorer la mère qui
de toute façon sera toujours minoritaire. Aussi à la Démocratie, je préfère le
Consensus.
Dans le sens du
retour d’une mère maternelle occultée on peut noter la disparition de l’espace
et du temps, et la généralisation de la désagréable habitude du tripotage.
Ces trois derniers
jours, record absolu de pollution, l’alerte a été déclenchée mais ne
correspondant à aucune mesure de protection. Visuellement, cela s’est traduit
pour moi mercredi matin à sept heures trente par une masse sombre et lourde en
haut de la rue La Fayette, assez peu engageante. Comme j’avais le sentiment que
j’allais tomber raide dans la Salle des Professeurs, j’ai mis un mot à mon amie
et suis rentrée chez moi. En sortant du métro Porte Champerret, on sentait déjà
l’odeur qui prenait à la gorge, avant même d’être en surface et en haut, la
Porte elle-même était nimbée d’un halo jaune pâle comme je n’en avais jamais vu
et qui prenait des allures de Science Fiction. Les avions eux-mêmes n’ont pas
pu atterrir et ont été détournés sur Londres et Francfort. Cela me fait
éprouver des symptômes de l’ordre de ceux que créait la chimiothérapie, en bien
moins fort évidemment !
On m’a volé mon imperméable
(d’une valeur de mille Francs) dans le vestiaire de la Salle des Professeurs.
L’accablement vient du fait qu’il n’avait rien d’extraordinaire et que joli
sans plus, il était d’un modèle courant. Je n’ai plus l’énergie d’aller déposer
plainte à la Police comme lors du vol de ma sacoche, il y a cinq ans. Je suis
maintenant à deux heures près - non plus à l’occasion d’une urgence ponctuelle
- mais désormais tout au long de l’année. En fin de compte, ne plus même tenter
de faire respecter la loi équivaut à entériner
l’état de guerre ambiant
Sur les balcons à
Paris et dans le coin de campagne, une espèce de poudre blanche recouvre toutes
les feuilles. C’est sans doute la retombée du nuage terrible d’il y a quinze
jours.
En fin de compte, mon
imperméable a été restitué. Une confusion extrême règne dans la tête des gens
du Lycée.
Après le deuxième
attentat dans le métro, celui du 17 Octobre – anniversaire du pogrome de 1961 –
le Plan Vigipirate a été renforcé. Fusils à la main, des Militaires ont été
postés dans quelques liens symboliques. L’étonnant est qu’on n’y prête pas
attention, alors qu’en fait c’est ahurissant. Tous les soirs ici ou là, des
émeutes, des voitures incendiées, une sorte d’Intifada rampante. On l’apprend
par la bande et on découvre en même tems que les informations ont été
censurées. Les transports fonctionnent de plus en plus mal et têtes baissées
les voyageurs ressemblent presque déjà à des vaincus. Les plus pugnaces ou les
plus jeunes occupent les voies pour tenter d’obtenir satisfaction. Les
Policiers les délogent. Partout un climat de violence, de haine et de bavures
qui entrent dans les mœurs. Une ambiance de chasse à l’homme qui rappelle celle
de la Guerre d’Algérie.
En descendant du
métro sur le quai de la station Opéra, je suis tombée hier après-midi sur –
commandée par un policier - une patrouille composée de trois Soldats avec des
mitraillettes à la main. L’effet était d’autant plus saisissant qu’ils
faisaient déguerpir un pauvre vendeur venu dont on ne sait où et qui remballait
son étal en carton ondulé, rangeant ses cacahuètes où on ne sait quoi. Un
spectacle serrant le cœur. Même si ces émigrants clandestins agacent et qu’on
voudrait abstraitement que cela cesse, le spectacle de cette chasse à l’homme
au faciès est plus navrant encore.
Dans la semaine
également, un voyageur excédé a pris le sac d’un mendiant dans un wagon et l’a
jeté sur le quai. Agitée de sentiments contradictoires, j’ai protesté.
A noter aussi un
effet télévisuel observé. Une Collègue nous raconte que sa fille perçoit la
mort comme quelqu’un qui vient avec un fusil pour nous tuer !
Naturellement elle se révolte, panique et pleure ! Joli résultat !
J’ai passé les dix
jours des vacances de Toussaint à rédiger/fabriquer CELLLA. En
abandonnant toute tentative de faire fonctionner le reste de la vie (ce qui est
nouveau) j’ai dégagé une capacité de travail augmentée de cinquante pour
cent ! C’est instructif ! De l’année scolaire 1984-85 pendant
laquelle j’avais écris Canal de la Toussaint, j’avais l’impression
d’avoir atteint le maximum de travail possible et ce sur une année entière.
C’est donc la différence entre une course de fond et une de vitesse. Mais j’étais
cette année là à deux tiers de temps.
L’ethnocide français
continue partout. Les meurtres dans ce contexte deviennent habituels et on a
vraiment l’impression que c’est la guerre, ce que les gens autour de moi
commencent à admettre. Cette impression que j’avais au début de l’année au
Lycée, d’être pied-noir pendant la Guerre d’Algérie se confirme comme dans le
film de Visconti Louis II de Bavière à
un moment tout bascule, on ne sait pas comment, l’angle de regard change (peut
être au début est il sujet puis après la bascule, objet) de même cette guerre
qui avait lieu LA BAS avec la France à la limite en position d’arbitre, en
aidant l’un ou l’autre, se transforme maintenant en une guerre ici, nous même
en situation d’être expulsés voilà ce qu’on ressent, et c’est assez déplaisant.
Cela a d’ailleurs
commencé il y a déjà quelques années avec le discours des enfants de harkis qui
au Lycée me tenaient un étrange discours sur le thème de L’Algérie c’est la France et du La
guerre, c’était un malentendu qui n’était pas un oubli/pardon du conflit,
mais un révisionnisme tendant à accréditer l’idée qu’il s’agissait du même
pays…. Cela entraînant le fait que les Algériens étaient donc ici chez eux.
Actuellement mon
droit à l’existence m’est contesté comme femme (islamisme) mais aussi en plus -
si on peut dire - comme occidentale (offensive de propagande pour la culture
arabo -musulmane) et enfin comme française par le double arasage de
l’unification issue du Traité de Maastricht et de l’extension rapide et sauvage
politico juridique d’un communautarisme à l’américaine.
On ne peut plus se
représenter en tant que citoyenne, d’où la perte de la citoyenneté. Et comme on
ne peut pas non plus se représenter en tant qu’être humain eu égard à ce qu’on
voit à la Télévision et sur les affiches, cela ne laisse plus beaucoup de
possibilités.
Une anecdote dans la
semaine à la piscine : Je glisse et tombe de moi-même dans l’escalier. Une
femme arabe qui était là s’imagine que c’est de sa faute et se confond en
excuses et en dénigrement auto culpabilisé. Cela me parait tellement ahurissant
et navrant - car comme femme je connais bien ce genre de mécanisme - je lui
réponds sur le fond, en ayant même de la main, un geste affectueux à son égard.
Je lui explique que cette auto culpabilisation n’a pas de raison d’être et…
qu’on est nombreux dans ce pays à vouloir qu’ILS restent. J’ajoute même que moi
je veux vivre dans un pays avec des femmes comme elle !
Avec le recul cet
incident et cette conversation pour sympathique qu’elle paraisse au premier
abord est en réalité assez inquiétante lorsqu’on y réfléchit car elle se situe
d’ores et déjà dans le cadre d’un conflit
intercommunautaire dans lequel dès le
départ, la présence en France des Arabes serait contestée. On mesure à cela
qu’on devient fou et que le contexte social nous tape sur le système. La
paranoïa est même avérée lorsque je me dis que les gardiens de la piscine ont
entendu notre conversation, ce qui est vraisemblable et que je vais avoir des ennuis en tant que pro arabe !...
En un mois j’ai
réglé CELLLA ! Qu’on me demande des textes c’est courant mais un
livre, c’est nouveau. Quel retournement de perspective !
On a fini par
apprendre que c’était l’usine EDF de Vitry qui était responsable de la
pollution subie…. Et je ne dis rien de l’audiovisuelle.
Mercredi un mendiant
asiatique s’est accroché à mon manteau en me suppliant de lui donner quelque
chose. Je n’ai rien fait. Le lendemain s’est pratiquement reproduit la même
scène avec un slave. Je lui ai acheté un paquet de biscuits qu’il a pris sans
me dire merci. Dois-je en conclure que je suis dans la biologie pure. De toute
façon je n’ai pas de politique déterminée à l’égard des mendiants. Hélas et
heureusement !
Dans les classes des
bizarreries notamment une Elève noire un peu claire est coiffée de deux façons
différentes des deux côtés de la raie du milieu. Un côté à l’africaine avec de petites
nattes et de l’autre avec les cheveux
décrêpés à la mode des Années
Soixante ! On pourrait y trouver
une idée intéressante mais en réalité cela mais mal à l’aise, pourquoi ?
Je suis de nouveau
physiquement très fatiguée. Comment s’en étonner, puisque depuis l’été j’ai
terminé mes trois œuvres : Le Marchoir, Fragment du Tiers-Drame,
Grand choix de couteaux à l’intérieur et sans compter l’article A
bord des mythes dans le vaisseau de l’écriture. Tout cela en travaillant à
plein temps…
Ces jours derniers,
les Algériens installés en France votent dans leurs consulats pour choisir un
Président de la République élu d’avance ! Scènes poignantes car le FIS
ayant interdit de voter, on voit ces pauvres gens pris entre deux menaces de
mort et/ou de répression. Les Consulats n’étant matériellement pas en état
d’assurer la chose ce sont des queues, des bousculades, des syncopes qui
serrent le cœur. On pense un moment que la France aurait pu se charger de
l’organisation puisque c’est sur son territoire, avant de découvrir l’absurdité
et le danger d’une telle idée ! Certains ont même fait la queue pendant la
nuit pour être bien sûr de pouvoir voter. A l’expression chair à canon pour dénoncer les guerres iniques on pourrait ajouter chair à
isoloir pour stigmatiser les consultations fictives de cette Démocratie
formelle qui ne recouvre rien.
La pollution a été à
son maximum dans la semaine écoulée : Vertiges, troubles, malaises,
crampes, paralysie, diarrhée. D’autres se plaignent de maux de tête intenables.
Les Collègues tombent comme des mouches et on n’est plus en état de secourir
qui que ce soit, même ceux pour qui on a de l’affection.
Le Faubourg
Poissonnière est comme d’habitude encombré mais la nouveauté est désormais que
les vélos et motos roulent allégrement sur l’un des deux trottoirs et l’ont
ainsi transformé en piste cyclable. L’automobile est dans Paris en train de
conquérir plus de place au détriment des habitants et de nous tuer.
Que faire d’une
situation intenable ? La laisser tomber !
J’ai appris d’un
salarié de l’EDF qu’à Vitry, l’usine responsable de la pollution de la période
précédente ne dépendait pas de cette firme mais était celle du chauffage urbain
brûlant les déchets.
Dans la Salle des
Professeurs du Lycée, situation hallucinante des Collègues de Français qui
tombe à bras raccourcis sur le Proviseur Alexiu et Bruno Guitard, le premier
ayant confié au second - selon leurs termes - les meilleures classes et
celui-ci s’étant mis à manquer au bout de deux mois! Il est vrai qu’abonné au
rein artificiel, il parait désormais au bord de l’agonie.
Par provocation je
leur ai dit Alors il aurait fallu
l’achever tout de suite ? Avant de m’entendre répondre par Bénédicte
dans le feu de l’action un Oui !
Pour elle, le mot inhumanité ne suffit même pas, c’est une machine sans pilote.
Mais j’ai été étonnée d’entendre Chantalle faire chorus avec les Collègues de
sa discipline !
En effet on ne peut
pas reprocher au Proviseur d’avoir pensé qu’enseignant dans les réputées meilleures classes, Bruno Guitard aurait la vie plus facile. Cela n’a pas suffi
mais il était nécessaire de faire ainsi, en terme de gestion du personnel ou au
moins d’humanité. J’ai donc simplement conclu d’un Morituri te salutant !
La porte de ma
classe s’est brutalement ouverte devant une horde de lycéens qui hurlaient pour
obtenir de mes Elèves qu’ils sortent, horde qui ne semblait même
pas prendre en compte le fait que j’étais là. J’ai dû employer la force
pour exiger que ces Jeunes accèdent à une prise de parole correcte pour
annoncer la manifestation de l’après-midi avec des phrases. Ce genre de
surgissement sauvage pour désorganiser la vie du Lycée qu’on a tant de mal à
mettre au travail sans y parvenir, est plutôt décourageant. Il n’y a pas de
discours ni de pratiques révolutionnaires - au sens de mise en cause d’un
système - ils veulent seulement participer à une société qui n’a pas besoin
d’eux, au contraire des Soixante-huitards qui par leur contestation refusaient
l’existant. Au j’en veux pas libertaire, ils ont substitué le j’en veux et je le prends au besoin par la
force.
Conversation avec
Chantalle pour analyser la situation. Nous sommes d’accord sur le constat de ce
que je nomme L’INVERSION - c'est-à-dire la permutation de l’enfant et de la
mère - permutation à l’œuvre de tous les côtés, il y a déjà un bon moment que
j’ai compris cela. Mais nous essayons d’aller plus loin car je cherche à
analyser la SUBSTITUTION. C'est-à-dire le remplacement de l’Autre, par l’Un
dans toutes les acceptions de cette phrase. Chantalle tire dans le sens de
l’USURPATION en tant que maillon intermédiaire.
C’est aussi ce que
j’ai observé chez beaucoup de nos contemporains. Cela a à voir avec la
différence entre l’enfantement d’un enfant à qui on transmet en même temps les
gamètes de la reproduction pour qu’il reproduise à son tour et la dévoration
digestion de morceaux disloqués qu’on a arraché à quelqu’un ou quelque chose et
qui eux-mêmes ne reproduisent rien, servant à nourrir – on pourrait dire - à
fonds perdus. En fin de compte il y a ceux qui produisent de la vie et ceux qui
en consomment.
L’épouse du Prince
Charles, Lady Diana expose à la BBC la façon dont elle a été manipulée et
envoyée à l’abattoir tandis qu’elle s’efforçait d’être une future Reine
d’Angleterre alors qu’elle n’était qu’une potiche d’honneur à la Cour,
ouvertement bafouée. Bref en ayant pris au sérieux ce qui pour les autres
n’était qu’une mascarade On est partagé entre la fureur du nouveau déballage à
la Télévision – déballage concernant les affaires génitales - et la
satisfaction de voir cette Princesse ruer publiquement dans les brancards du
silence concernant la réalité de la conjugalité.
Organisée par le PS,
le PC et les Syndicats, manifestation pour les Droits des Femmes aussi triste
qu’une manifestation de la CGT, un jour de Premier Mai. Beaucoup d’hommes, plus
particulièrement autour du carré des personnalités officielles et qui leur
servaient de rempart sécuritaire. Ces types encadrant les huiles féministes
n’avaient rien à envier à la manifestation des Islamistes du Boulevard Magenta
lorsqu’ils avaient fait défiler leurs femmes il y a quelques années.
Le thème presque
unique de cette manifestation était le Droit à l’Avortement, ce qui générait un
certain malaise. Des slogans originaux comme Ne vous laissez pas enculer par la morale des autres, un commando
avec des cagoules scandant Du Chiapas à
Paris, ôtons nos voiles, mettons des cagoules ! Le meilleur étant tout
de même Tout le pouvoir aux
Movietz ! Avec un M à la place du S ! Quelques revendications
concernant l’emploi et la démocratisation en faveur des femmes, mais aucune
allusion à l’Egalité.
Les petits panneaux
distribués par les organisateurs portaient sur l’IVG et la contraception ainsi
que sur l’emploi. Aucun drapeau ni rouge ni noir. De ci de là quelques
encouragements à la lutte contre les Intégristes et selon un panneau porté par
un type au besoin à coups de casseroles et de
rouleaux à pâtisserie…
Je n’avais aucune
envie d’aller grossir cette manifestation, d’abord parce qu’il s’agissait d’une
manipulation politique et ensuite parce que la pression qu’on avait fait sur
moi pour que j’y participe m’avait révulsée. Néanmoins j’ai trouvé une issue en
y portant mon masque de théâtre et mon drapeau féministe, transformant ainsi
une manifestation classique en protesta
artistique et singulière. Ainsi je
redevenais visible en tant qu’artiste révolutionnaire (mon drapeau noir portant
d’un côté l’inscription EGALITE et de l’autre Nous avons assez pleuré).
J’ai marché devant
le cortège durant plus d’une heure, le service d’ordre masculin m’ayant regardé
de travers mais laissée faire ! Ils ont dû me prendre pour un travesti
qu’il aurait été maladroit d’interpeller si c’était le mignon d’un ministre ou
plus simplement sans doute, les manifestations virant de plus en plus au
carnaval, ils n’y ont rien trouvé vraiment à redire. J’ai eu beaucoup de succès
de la part des manifestants des deux sexes, photographies et compliments
verbaux de la part des femmes.
Du coup je pouvais
même être contente de constater qu’il était bien qu’il y ait des dizaines de
milliers de gens pour demander l’amélioration du statut des femmes, même si la
revendication était formelle. Quelle évolution tout de même par rapport à la
répression du MLF au début des Septantes !
Je n’ai pas pu aller
à la piscine ce matin. J’ai attendu en vain le PC avant d’apprendre qu’il ne
circulait pas car le dépôt d’Aubervilliers était en grève. Je suis remontée me
baigner dans la baignoire. Il faut ajouter qu’avant d’attendre le PC, j’étais
malencontreusement montée au feu rouge dans le mauvais autobus, avant de
découvrir mon erreur comme je le vis foncer vers Neuilly !
Au Journal Télévisé
sur la première chaîne, trois minutes sont consacrées à la grève totale de la
SNCF et un quart d’heure à la mort de Léon Zitrone, présentateur vedette…
Vendredi dernier
avec une Canadienne, sur le référendum québécois au sujet duquel elle ne
comprend pas la volonté des souverainistes de faire la jonction avec les
Etats-Unis du Nord Est. Je lui explique qu’il s’agit de reconstituer les
premières implantations européennes pour organisée une REFONDATION, puisque la
Révolution en cours, c’est cela !
De son côté elle
m’explique que si en Amérique du Nord, la littérature et la poésie sont
connotées comme féminines, c’est parce que les hommes peuvent en raison de la conquête s’exprimer ailleurs dans des
valeurs masculines. En France au contraire, la société étant depuis longtemps
établie, les Féodaux n’ont plus à guerroyer et ne peuvent plus exprimer leurs
qualités viriles. Ils les ont donc déplacés vers la maîtrise de la langue et la
littérature en en éliminant les femmes à peine de ne plus rien avoir du tout.
Je ne sais pas si cette explication est exacte, mais elle est intéressante.
Enfin elle me déroule
que la critique littéraire telle qu’elle la conçoit et que moi j’attribuais à
la pensée américaine, est en fait l’enseignement d’un certain Lucien Goldmann
qui y a appliqué la théorie marxiste. A savoir que la superstructure est
gouvernée par l’infrastructure. C’est en prenant cela au pied de la lettre et
au sérieux qu’elles et ses consoeurs du même courant, en ont déduit que mes
œuvres étaient bien l’expression de l’économie politique régnante !
Un meeting de
l’Alliance des Femmes pour la Démocratie nous donne l’occasion d’entendre
Antoinette Fouque moins enthousiaste vis-à-vis de l’Union Européenne, nous
expliquer que celle ci est en train de préparer toute une série de textes
permettant l’harmonisation de la vie professionnelle et familiale qui serait en
réalité la prise en charge - au sein de la famille - des vieillards et des
handicapés. On découvre également qu’elle distingue la prostitution forcée et la
libre qu’elle organise sous la
houlette des Pays Bas selon les règles commerciales en vigueur.
Un arrêt de la Cour
de Justice de Luxembourg interdit les discriminations mêmes positives, par
contre selon Catherine Lalumière ce n’est pas vrai de celle de Strasbourg.
Cette dame affirma par ailleurs que l’effondrement du Communisme à l’Est a été
une catastrophe pour les femmes qui privées
de protection sociale sont tombées
en esclavage, vendues par la
Mafia, dans le monde entier.
Des femmes Arabes
expliquent que leur libération s’est effectuée par le bris des tabous. Pour une
Algérienne présente, c’est en assistant à la mise en terre des morts assassinés
(ce qui leur était interdit) et en la retournant en manifestation
anti-islamiste ! Quant à la Palestinienne Ambassadrice à l’ONU ou à
l’UNESCO, le bris du tabou consista à recevoir les condoléances, ce à quoi nous
dit-elle elle était bien obligée, puisque les hommes étaient en prison !
S’agit-il là du
pendant de l’émancipation des femmes travaillant à l’usine à la faveur - si
l’on peut dire - de la Guerre de 14/18 et dans le même contexte de morts ?
Il faudrait réfléchir plus profondément à ce contexte en y ajoutant le mythe
d’Antigone et l’effet que me fit personnellement le discours d’André Malraux
lors de l’entrée de Jean Moulin au Panthéon…
Dans la terminologie
des Palestiniennes, femmes académiques signifie acquises aux idées
d’émancipation. Elles nous précisent également que les Palestiniens n’ont
jamais voté et n’ont pas non plus un corpus légal homogène mais selon leur
expression une salade russe de lois
anglaises, ottomanes et d’occupation militaire israélienne.
Dans la série des
extravagances, du côté de la rue Daguerre, à l’étalage d’un bouquiniste un Cercan
à 10 Francs et deux Prunes de Cythère à 30 francs, ce qui est pratiquement
plus cher que le neuf… Il faut le faire ! Il y avait d’ailleurs dans cette
boutique toute une série de livres intéressants à croire qu’un intellectuel
venait de mourir et que ses héritiers s’étaient globalement débarrassés de sa
bibliothèque….
Comme je m’en ouvris
au bouquiniste, il me dit que non ce n’était pas ce cas de figure. Je lui ai
demandé alors s’il avait entendu parler du Mouvement des Gardiens des Livres qui s’était occupé de les conserver en les
rachetant au moment de la Révolution Soviétique. J’ai acheté chez lui cinq
livres du début des Editions des Femmes avec les couvertures illustrées et ai
conseillé à une acheteuse La Chambre jaune que je possédais déjà.
J’ai ajouté Voyez les Intellectuelles gardiennes du
livre, c’est nous ! Pour finir elle n’a pas pu acheter Les Prunes
de Cythère parce qu’elle n’était pas assez riche mais a tout même fait
l’acquisition de Du Côté des petites filles ! J’ai demandé pour
elle une réduction au boutiquier, ce qu’il fit !
Grande tristesse à
la limite de l’accablement à l’idée de faire demain la grève, peut-être au pire
complètement seule, au mieux à trois ce qui représentera entre deux et cinq
pour cent des effectifs. Grève qui sera dans le cadre de ce que j’ai appelé il
y a quatorze ans UNE OBJECTION DE CULTURE
entre Objection de conscience
et Révolution. Peut-être devrai-je écrire un journal politique dont le
terme qui me vient pour le qualifier serait A
rebrousse moi le verbe…
Vendredi dernier
nouvelle conversation sur la Shoah avec Maïr Verthuy. Je lui dis que la
spécificité du nazisme, c’est LA GRANDE MACHINERIE qu’on ne retrouve pas dans
les crimes des Serbes ou du Rwanda, bien qu’il conviendrait si on appliquait
strictement la définition juridique de les qualifier tout de même de CRIME
CONTRE L’HUMANITE. On voit bien que cela ne tient pas la route. C’est que le crime contre l’humanité ce
n’est pas l’extermination d’un groupe, mais de l’Humanité toute entière, par la
machine justement, l’humanité inhumaine devenant elle-même machine, la
rationalité scientiste en étant le vecteur. Cela permet de dissiper le malaise
que créé l’idée de qualifier de crime
contre l’Humanité, les crimes Serbes ou du Rwanda qui ne sont - si j’ose
dire - que des crimes collectif !
Des nouvelles de
Taverny dont une voisine m’avait dit qu’il y avait déjà eu plusieurs accidents
industriels qui auraient justifiés l’évacuation de Paris : Depuis 1994 une
usine de déchets industriels en faillite y est à l’abandon et fuit de partout…
Seyant !
Cinquième jour de
grève de la SNCF : Arrêt total. Pas d’autobus et plusieurs lignes de métro
sont fermées sans compter les étudiants et tout le
reste.
Ni bus, ni métro
sauf sur la ligne Lilas Châtelet. Déposée en voiture j’arrive au Lycée à sept
heures. La concierge est joyeusement interloquée. Si à l’arrivée des Collègues
quelques conversations particulières s’amorcent, elles avortent face à la
volonté générale de faire comme si de rien n’était. Il y a la moitié des
Professeurs et pratiquement pas d’Elèves. Quant au Censeure, elle veut que je
vienne faire des suggestions au Proviseur pour réorganiser l’accueil des
Elèves. Je préfère prendre les miens, cinq en 1TSC2 où je fais cours lentement
pour ne pas trop avancer et en 1TSC1, six qui ne veulent pas du tout du cours
mais demandent que j’explique pourquoi je pense que nous sommes dans l’impasse.
Ce que je fais en racontant l’histoire des cinquante dernières années.
A la Cantine prise
de bec avec JCF dont l’absence de compassion pour les souffrances de la
population, me choque absolument.
Je mets une heure et
demie à rentrer à pied, à cause de ma fatigue.
Le soir aucun train
ni métro, cinq pour cent de bus et la grève s’étend à la Poste, coupant pour
moi mon cordon ombilical avec l’Amérique et me menaçant ipso facto, d’asphyxie.
Faute de pouvoir
écouler ses voitures, Peugeot annonce le
chômage technique.
Ce qui me pétrifie,
c’est la douleur des gens. Lorsqu’on voit dans quel état nous-mêmes nous sommes
alors que nous n’avons pas de problèmes matériels… C’est un peu ennuyeux !
Septième jour de
grève totale à la SNCF et le quatrième à la RATP. Le Gaz, l’Electricité, les
Postes et Télécommunications entrent à leur tour dans le mouvement et
naturellement depuis longtemps, les Etudiants. Rien de révolutionnaire dans
tout cela, il s’agit au contraire de conserver ce que le Gouvernement veut
détruire.
Obscénité des
Journalistes qui emploient le mot coagulé
à propos du Mouvement Social et qui encourage à la marche à pied….
Les grèves
s’étendent et les manifestations deviennent moins pacifiques. On me dépose à
sept heures quinze près du Lycée et jusqu’à dix heures, une certaine mauvaise
volonté des Professeurs à aller dans leurs classes donne à penser qu’il va y
avoir mobilisation. A la récréation du matin, une Assemblée Générale grâce à
des manœuvres dilatoires repousse le projet de grève jusqu’à lundi dans
l’espérance que d’ici là le mouvement sera terminé. Je fais savoir que je
trouve cela honteux, mais plus honteux encore est la façon dont ils ont renvoyé
les Elèves présents pour ne avoir à leur faire cours… C'est-à-dire gagner sur
les deux tableaux, ne rien faire et ne pas se mouiller.
Quelques Collègues
m’ont fait part de leur contentement d’avoir entendu à la radio quelqu’un dire
la même chose que moi….
Dans la Salle du
Congrès à Versailles, Bernard Pivot fait lors des Championnats d’orthographe,
sa dictée officielle devant des candidats au zéro
faute ! On pourrait
trouver cela grotesque mais cela ne l’est pas. Dans cette liquidation du pays
et de l’Etat par le Gouvernement lui-même, cela a quelque chose de grandiose.
C’est une forme de résistance nationale. Comme si chacun faisait à sa mesure ce
qu’il pouvait faire, là où il était. Par ailleurs le texte de la dictée n’était
pas non plus tout à fait anodin mais au contraire une apologie de la langue en
tant que structuration. L’interview de Philippe Séguin né en Tunisie et de
l’Antillais Saint Robert qui avait fait zéro faute, apparaissaient comme la
confirmation de la structure politique de la France, coloniale et/ou favorable
à l’intégration. Sur le plan rituel, cela était assez émouvant.
Samedi après-midi,
les premières contre manifestations avec des allumés pleins de haine criant Les Cheminots au boulot !
Dixième journée du
mouvement. Force Ouvrière lance un mot d’ordre de généralisation de la grève
qui permet à tous d’être juridiquement couvert, ce
qui n’était pas encore le cas.
Il faudrait
comprendre pour quelle raison ce qui se dit en américain la correction politique s’est trouvé
traduit en France par un politiquement
correct !
Qu’elle soit décidée
collectivement ou non, je suis acculée à la grève. Au-delà des raisons morales
et politiques, je suis au bord de la crise cardiaque et décidée à venir une
dernière fois au Lycée en prévision de l’Assemblée Générale de huit heures dont
je suis quasiment sûre qu’elle n’aura même pas lieu, mais on ne sait
jamais !
J’ai décidé de me
porter individuellement gréviste car c’est le seul moyen d’avoir une situation
administrative qui me permette de rester légalement à la maison et pratiquement
on ne peut pas circuler. Je vais donc avertir l’Administration que je rentre
chez moi et qu’elle doit me considérer comme telle. A moins que le Lycée
s’insurge, ce qui serait étonnant. Il y aura bientôt plus que l’Enseignement
Secondaire qui ne soit pas en grève en ce qui concerne le Secteur Public et le
privé est en train de s’y mettre.
J’ai eu du mal à
prendre la voiture car je ne l’utilise plus en ville depuis des lustres. Je me
suis appliquée à rouler lentement et calmement. A cinq heures quarante-cinq du
matin, il y avait déjà dans la rue la circulation qu’il y a normalement à sept
heures trente ! On ne voit que des hommes. La circulation est elle-même
désorganisée par les voitures abandonnées ou d’autres qui garées en double file
attendent des passagers de co-voiturage. Et comme on me l’a fait remarquer
samedi tous les clous roulent, vélos sans lumière, pépés malhabiles.. Tout cela ne facilite pas !... Comme les trottoirs
servent de garage, la circulation piétonne laisse aussi à désirer.
Les efforts que les
gens font se lisent sur leurs visages. Ils ne sont ni stoïques ni résignés. Ils
souffrent en s’appliquant à le faire confortablement (si on peut dire). Ce qui
est odieux dans tout cela, c’est le cynisme des médias poussant à se lever et à
démarrer de bonne heure et la lucarne télévisuelle obturée par des Ministres
qui disent tous la même chose : On
explique, on dialogue et on ne cédera pas, on a tout notre temps ! C’est
également le discours tenu par le Président de la République depuis l’Afrique.
Un peuple dressé contre son Gouvernement qui n’éprouve pas la moindre émotion,
c’est inédit ou alors il faut faire référence à des situations de Coups d’Etat
ou de Révolution. Ce bras de fer glacial est d’une violence inouïe.
Mon alter ego est de
l’autre côté du monde, ma sœur et Chantalle pas très décidées à faire grève et
je n’ose pas téléphoner à mes parents de peur d’en prendre plein la figure.
Seule ma belle-sœur me soutient.
Arrivée à six heures
du matin dans les alentours du Lycée, je me gare en double infraction.
Heureusement les contraventions sont suspendues et j’attends dans la voiture jusqu’à
sept heures car il est quand même difficile d’entrer au Lycée avant. Je n’ai
aucune envie d’aller au café et d’ailleurs ils ne sont pas ouverts.
A huit heures ne
sont arrivées qu’Adélaïde et la secrétaire syndicale qui annonce la réunion
prévue pour dix heures. Je proteste. Elle se fâche. Je lui annonce que de toute
façon je me mets en grève individuellement. Elle tente de me faire croire que
je ne suis couverte par aucun mot d’ordre et m’attaque parce que je lis la
revue Esprit.
A huit heures cinq
au milieu de la confusion, j’affiche sur mon casier mon état de grève après
avoir retiré la plaque en émail indiquant Professeur
que j’y avais vissé il y a des années. Je
vais informer le Censeur et les Elèves groupés à la dérive. Je constate tout de
même que même mes Collègues les plus proches vont faire leurs cours y compris
le délégué syndical de FO qui a appelé à la Grève Générale !
A neuf heures dix,
je fais le point et j’en arrive après questions et recoupements à la conclusion
que non seulement je suis ce jour la seule en grève mais la seule à avoir déjà
fait les trois jours de grève du 10 Octobre, du 24 et du 28 Novembre. Quant à
m’entendre reprocher de ne pas être syndiquée par une Collègue qui n’applique
pas le mot d’ordre de son syndicat FO, il y a de quoi rire !
Comment tout cela
a-t-il commencé ? Le 10 Octobre il y a eu la grève massive des
Fonctionnaires pour répondre à Alain Juppé Premier Ministre qui avait décidé le
gel de leurs traitements. Lorsque j’ai fait la grève le troisième jour soit le 28
en emboîtant le pas à FO, c’était parce que j’étais choquée de la liquidation
en catimini de la fonction publique, liquidation
sournoise comme codicille d’un plan
plus général de Réforme de la Sécurité Sociale. J’ai vécu cela comme une atteinte à ma dignité d’agent au
service de l’Etat. De surcroît dans ce plan de Réforme, les Fonctionnaires
payaient deux fois, la première comme tout le monde avec le nouvel impôt
instauré pour boucher le trou de la Sécurité Sociale (Remboursement de la Dette
Sociale) et une deuxième fois par l’allongement des annuités nécessaires à la
retraite, le tout venant de l’Etat lui-même liquidant ses Fonctionnaires.
La situation est
inédite ! Face à face entre un Gouvernement qui ne veut pas négocier alors
que la grève s’étend aux Usines ainsi qu’aux Gardiens de Phares et Eclusiers
dont on se demande si ce n’est pas une blague… La jonction est en train de se
faire entre les Grévistes et les Etudiants. Les Cheminots sont invités dans les
amphis et comme l’un dit qu’ils y ont leurs enfants, on comprend que c’est la démocratisation de l’enseignement qui
produit cette confluence.
Ma situation est
meilleure que celle d’hier car ma déclaration en tant que gréviste, m’a
délivrée des tentatives impraticables de transbordements. C’est le douzième
jour sans transports en commun. On vient de mettre en service des Bateaux Bus
sur la Seine. Ils sont très lents et on y fait - parait-il - très froid !
Les Médias vantent la belle vue !! On dirait des Gardes-chiourme menant
chaque jour des Prisonniers au travail et cela serre le cœur !...
La construction européenne va-t-elle échouer
à Paris ? Se demande le
Spiegel qui ne se trompe pas sur la nature du mouvement. Partout en Europe, on
entend des commentaires de cet ordre alors que nul ici ne dit que c’est du
Traité de Maastricht dont il s’agit. C’est pourtant ce que je ne cesse
d’expliquer à mes Collègues et dans les Classes. Kohl nous menace d’une guerre
au siècle prochain si on ne fait pas la monnaie unique et dit qu’il n’y a pas de
monnaie unique s’il y a un mouvement social. On ne peut pas être plus
clair !
Quant aux
commentaires de la Télévision américaine, ils sont arrogants et humiliants. Ils
qualifient le mouvement de soubresauts
d’arrière garde qui n’empêcheront pas l’intégration de la monnaie
unique ! La Belgique et la Hollande ont suspendu les envois vers la
France…
Sont en grève aussi
les Gardiens de Prison et les Policiers qui ne s’occupent plus des
contraventions ! On entend même à la Radio des Intellectuels qui commencent à se laisser aller.
A l’EDF les
Grévistes se sont assurés la maîtrise des centres de facturation et appliquent
à tout le monde – y compris aux Entreprises - le tarif minimum dit des heures
creuses.
A la Radio, Alain
Touraine explique que c’est le monétarisme qui a aboli le politique. Enfin de
la vérité !
C’est mon sixième
jour de grève et mon second dans l’isolement complet. Je peux nommer ma
situation. Avant d’être chez moi en
grève avec occupation des locaux,
je suis en chômage technique en raison de l’impossibilité
des transports et de l’absence quasi-totale des Elèves. Du coup je découvre
dans la vie pratique ce que je ne connaissais que par la théorie.
Sont en grève
Michelin, Alsthom et Moulinex.
Un reporter suisse
est totalement sidéré de l’état de dépression nerveuse de l’opinion publique
française et explique qu’on lui a donné comme exemple de ce qui n’allait pas,
le fait que Juppé était chauve… Pourtant métaphoriquement,
c’est bien le cœur du problème.
Treizième jour de
paralysie totale et toujours pas de négociations. Il neige depuis hier et les
gens sont donc pour aller gagner leur vie, obligés de faire plusieurs heures de
marche à pied sous la neige ! Quand bien même on aurait pu être d’accord
sur la Réforme de la Sécurité Sociale, on ne peut plus céder maintenant à cause
de la cruauté du Premier Ministre.
Dans les Hôpitaux,
pathologies croissantes dues à la situation les accidents de vélo, les
fractures et les entorses dues à la fatigue sans compter les personnes âgées laissées
à l’abandon faute de transports.
Ma grève à moi,
c’est pour la dignité et il s’agit là
d’une déclaration de guerre du Gouvernement à la population qu’on préfère faire
mourir plutôt que d’ouvrir des négociations. On a l’impression d’avoir affaire
à des hommes ivres de puissance et c’est sans doute contre cela que les gens se
dressent.
Quand on pense que
les mesures prises par le Gouvernement l’ont été en vertu de l’article Trente
Huit de la Constitution et qu’elles sont normalement de la compétence du
Parlement, on se dit que si on ne peut les désavouer pour illégalité, elles
peuvent tout de même être considérées comme illégitimes à partir du moment où
elles mettent le pays dans cet état là.
Je calcule que j’ai
déjà perdu six fois Cinq cents francs, mais je ne le regrette pas considérant
que la situation est encore plus dangereuse que ce que j’imaginais. Cela me
fait penser à l’état de guerre décrétée en Pologne par le Général Jaruzelski et
mon retrait du Lycée évoquer - mutatis mutandis - le fait de laisser éteindre
les hauts fourneaux.
En milieu de
journée, je déjeune avec ma voisine. Elle analyse la situation comme une
dictature, non comme une menace mais comme un fait.
Quatorzième jour de
la paralysie complète des transports, septième jour de ma grève personnelle et
autonome. Il neige pour le troisième jour. Il fait moins cinq en banlieue
parisienne et dès cinq heures du matin, quand ce n’est pas encore auparavant,
les gens partent au travail en voiture, en vélo ou à pied et cela dure depuis
deux semaines. La Préfecture a demandé le rétablissement des contraventions. Le
Maire de Paris, Tibéri et Pons, le Ministre des Transports ont protesté. Les
Etudiants se battent entre Socialistes et Anarchistes. La Grève s’étend enfin à
l’Education Nationale, à Air France et aux Caisses d’Epargne.
Au Lycée on entend
les Collègues parler de la faire aujourd’hui Jeudi, mais comme Lundi les mêmes
qui y appelaient allaient faire leurs cours, on a du mal à le croire.
Conversation téléphonique avec CT. Nous sommes d’accord pour analyser la
dégénérescence des institutions à l’occasion du conflit mais la conversation
est malheureuse car elle-même n’est pas gréviste.
Alain Juppé de son
côté occupe toutes les places symboliques. Mercredi au Parlement, plutôt agressif
dans la fonction gouvernementale et le même soir, en costume de Père
Fouettard/Président appelant à la Fraternité. Par ailleurs, le commentateur
radio qui résumait la situation sociale n’hésitait pas à parler d’un Tu la sens ma grosse grève qui exprimait
le caractère extrêmement personnel pour ne pas dire sexuel du conflit.
Ceci étant sans
doute à mettre en rapport avec le caractère quasi sacré de la nature du lien
français ! Là c’est L’Etat/Nation qui résiste contre le Gouvernement qui
essaie de le liquider. L’intimité entre l’Etat et le peuple est dû au fait
qu’ils n’ont pas peur l’un de l’autre parce qu’ils savent que comme dans un
couple solide, la rupture est impossible en dépit du contentieux. Cela sans
laisser de côté la dimension politique très forte du mouvement.
C’est le huitième
jour de MA grève à moi et le quinzième du Mouvement en cours...
Sont en grève, les
employés de la Lyonnaise des Eaux ainsi que ceux de La Chapelle d’Arblay et du
Joint Français. Le mouvement s’étend jusqu’aux services financiers et même aux
fabricants de billets de la France. Les entreprises installent des crèches pour
les enfants du personnel…
Hier il y a eu
partout des violences. En Lorraine, un député-maire a été séquestré au fond
même de la mine ! Un engin de Travaux Publics a été projeté contre un
commissariat. Dans un port, une autorité a été murée dans son bureau. A
Soissons, manifestation de pneus brûlés et compagnie, c’est dire l’ampleur du
Mouvement... Trois mille manifestants à Guéret, du jamais vu ! Et deux
cents à Provins ! L’ampleur du mouvement en Province est l’une des
différences avec celui de Mai 68, et il y en a bien d’autres : Le côté
révolte là, des gueux où était le magistère de la parole, et l’affrontement
contre un homme là où était un refus de l’organisation de la société.
D’après les
autorités elles-mêmes, cinquante pour cent des Enseignants étaient grévistes
hier, et selon les Instituts de sondage, soixante pour cent des gens
soutiennent le Mouvement.
France Culture
explique que les Cheminots en sont le fer de lance et en tête de tous les
défilés parce que l’identité de la France, c’est le droit du sol. Les Chemins
de Fer comme les routes ont vocation à quadriller le territoire dans une sorte
de matérialisation de l’Etat/Nation. Cela c’est moi qui l’ajoute. Quant aux fumigènes rouges si spectaculaires qui accompagnent les manifestations, ils
expriment les signaux destinés à faire arrêter les trains en cas d’accident.
Seizième jour du
Mouvement et neuvième de ma grève personnelle. Vu de loin, on pourrait prendre
la crise sociale pour des Emeutes de la
faim dans un pays du Sud soumis à un
plan de redressement du FMI. Aujourd’hui Samedi, il semble qu’entre le peuple
français campé dans la révolte et les autorités bruxello-allemandes, il n’y ait
plus rien. On nous impose par la force la monnaie unique et le redressement
des comptes. Il faudrait trouver un terme qui ressemblerait à redressement judiciaire, peut-être même redressement
para militaire. Chevènement a rappelé la fâcheuse habitude de la
bourgeoisie française à appeler l’Allemagne à la rescousse…
Dixième jour de ma
grève personnelle et dix-septième du Mouvement. De ci de là quelques inventions
langagières comme les Kritères de Konvergence
et Alain Juppé convoquant les Ministres, là où autrefois on aurait dit les
réunir. Personne ne conteste la réintroduction dans la langue de la notion d’élite dont on aurait pu penser que le
nazisme l’avait définitivement disqualifiée. Cela me donne l’idée qu’on va
liquider ceux qui n’en sont pas. C’est d’ailleurs la logique du développement
qui continue, prendre la part utilisable et jeter ce qui ne l’est pas. Jusque
là, cela s’appliquait aux ressources terrestres et désormais semble t-il à
l’Espèce Humaine elle-même. Pourtant cette notion même servait à l’empêcher.
Dans la version étudiante cela donne le refus de la sélection, le refus de
fabriquer une élite un peu dans le
même esprit que lorsque nous disions Nous
sommes tous des Juifs Allemands.
Si les Chemins de
Fer, la RATP, l’EDF et les Télécom sont le fer de lance du mouvement, n’est-ce
pas parce qu’ils ont consenti le gros effort technique de la Modernisation et
qu’ils ont maintenant l’impression d’avoir été roulés ? Dans le genre On a installé les machines et maintenant on
est licencié ! C'est-à-dire qu’après avoir cru EN ETRE ils découvrent
que non justement, ils n’en sont pas.
C’est ce que les
Professeurs ont découvert, il y a une bonne dizaine d’années lorsque en 1984
nous avons été éjectés après avoir bien fait la leçon aux Elèves sur la
nécessité d’accepter la modernisation ouvrière, les gains de productivité, les
licenciements etc... Dont on pensait - il faut le dire
à notre décharge sinon c’est incompréhensible - que le socialisme répartirait les
gains ! Erreur funeste dans laquelle nous fûmes et qui peut se résumer par
la fameuse formule de l’Abbé Pierre A
quoi cela sert d’attendre son tour, quand il n’y a pas de tour !
A cette aune on peut
dire que la crise actuelle, c’est la découverte que pour la majeure partie de
la population, il n’y a
pas de tour. On peut dresser
un panorama d’ensemble de la modernisation
française : D’abord les
Agriculteurs dans les Années Soixante, les Ouvriers dans les Années Soixante
Dix, les Enseignants dans les Années Quatre Vingt, les Techniciens dans les
Années Quatre Vingt Dix… Et on se demande si ce ne sera pas le cas du Personnel
Politique dans les Années Deux Mille ! Si on entend par Personnel
Politique leurs Conseillers à savoir les experts. Ainsi pourrait s’expliquer
l’aggravation de la situation de certains autour de moi qui ont perdu un quart
de leur salaire réel depuis 1981 et on vu dégénérer leurs conditions de
travail !
J’ai dans le Jura -
lors des vacances de 1992 - appris comment survenait l’extermination du Tétras
Lyre, ce bel oiseau : Chaque fois qu’il voit quelqu’un il a peur et il
s’envole en consommant pour cet acte une énergie colossale. Or pour se nourrir
en hiver il doit manger des aiguilles de pain assez peu pourvoyeuse de
calories. Pour avoir de quoi survivre, il doit donc en manger tout le temps.
S’il est dérangé, la nécessité de l’envol augmente dangereusement la quantité
de forces à fournir, alors même qu’il n’a plus le temps de manger suffisamment.
Les dépenses augmentent, les recettes diminuent et l’équilibre se rompt.
D’une certaine façon
à peine métaphorique, c’est quelque chose d’analogue qui m’arrive. La notion de
manger étant alors à remplacer par la réinstallation dans mon univers poétique
et ma rêverie. Depuis quelques temps, ce n’est plus possible à cause de la
masse d’agressions de tous ordres. En même temps comme on tente de me mettre en
esclavage et de m’expulser de mon territoire, je dois consommer beaucoup
d’énergie pour me défendre, moi-même et lui. C’est l’équivalent d’un envol.
L’équilibre se rompt.
D’Europe n°1, on
apprend que Vendredi, une centrale nucléaire près de Bordeaux a été sabotée au
chlorure de sodium. Une tranche va devoir être arrêtée. Cela s’est peut-être
aussi produit ailleurs.
La nuit dernière au
dépôt des Flandres, quatre autobus ont été totalement incendiés, deux
partiellement endommagés. Ce sabotage est-il la conséquence du début de reprise
des lignes quatre-vingt-quatre et quatre-vingt-douze observée hier et ce matin,
trois bus en tout en deux sorties ! A Caen, pour obstruer les ponts et
éviter qu’on les déplace, on en a retiré les roues.
Le Gouvernement a
fait publier sa publicité à nos frais, dans tous les journaux. J’ai observé que
la partie concernant les Fonctionnaires avait mystérieusement disparue.
Dix-huitième jour du
mouvement et onzième de ma grève à moi. Hier soir à la Télévision, il apparaît
qu’Alain Juppé a encore perdu des cheveux par rapport à Mardi. Tout voûté et
avec une voix étranglée, il annonce qu’il retire le Contrat de Plan qui liquide
la SNCF, accepte de séparer la question des Retraites de celle de la Sécurité
Sociale et consent à ouvrir des négociations.
Pas de changement
sur le front de la circulation. A six heures du matin, parties avant les
embouteillages, trente voitures attendent déjà l’ouverture des grilles du
Ministère des Finances.
Les Carmélites
d’Abbeville ont organisé une soirée de prières pour la solution du conflit et
le Curé appelle à la création de Comités
de Parole ! Est-il un ancien Soixante-huitard ?
A seize heures, je
suis assez étonnée des réactions des Grévistes qui rejettent l’ouverture du
Gouvernement comme insuffisante.
D’après les chiffres
officiels il y a seize pour cent de Grévistes dans l’Enseignement, mais lundi
dernier on n’était que huit pour cent. Cette mobilisation est modeste mais
croissante !
Dix-neuvième jour du
Mouvement et douzième de ma grève personnelle. Il apparaît que les propositions
de négociations sont un leurre. Dans les transports de remplacement entre
Denfert et Stalingrad, une femme a été piétinée. Quant à faire croire que les
Entreprises privées ne seraient pas dans le mouvement, il suffit de lire le
Journal L’Humanité pour constater que
ce n’est pas vrai !
Le désespoir menace
ce matin. Les concessions du Gouvernement sont certaines mais m’ont tout de
même coûté Cinq cents Francs multiplié par douze soit Six mille francs, cela
fait un peu cher ! Les jours de grève ne seront certainement pas payés car
il n’y a pas eu d’accord général.
A dix-huit heures,
désordre complet avec des manifestations monstres dans tout le pays et un
Président de la République qui refusant d’en parler, fait scandale !
Mercredi 13
Décembre 1995
Vingtième jour du
Mouvement et treizième de ma grève personnelle. Je décide d’aller aux nouvelles
au Lycée et quitte la maison à six heures quinze. J’ai fait de l’auto stop qui
a très bien marché. D’abord un japonais qui écoutait des cassettes pour
apprendre l’anglais puis au Parc Monceau une mémé distinguée avec un chien qui
m’ont emmenée Place Clichy. J’ai réalisé qu’il y avait un malentendu et qu’on
me prenait pour une non gréviste mais je n’ai
pas démentie. J’ai terminé à pied et me suis aperçue qu’après tout ce temps
passé chez moi je ne savais plus traverser une rue et que c’était dangereux. Je
ne pensais pas que la désocialisation pouvait aller aussi vite.
Arrivée au
Lycée : surprise ! Dans le hall une annonce d’Assemblée Générale pour
le jour même à dix heures. Il semblerait qu’un mouvement se dessine. L’AG
constitué d’Apparatchiks et de deux Collègues très confus est une véritable
caricature. Mes efforts pour débattre ne sont pas couronnés de succès. Il faut
admettre qu’on préfère ne pas constater nos divergences et qu’ils font
seulement semblant de faire grève. On essaie de me faire croire qu’il y a des
AG tous les matins, ce qui n’est pas confirmé.
Quant aux
non-grévistes ils s’arrangent en arrivant en retard pour ne pas avoir à faire
leurs cours ou à partir avant, le tout au scandale du Censeur, désemparée.
L’impression que cela donne c’est qu’en temps ordinaire, maquiller le cadavre
donne encore le change aux yeux complaisants mais que par temps de grève on en
voit les vers grouiller. Je suis rentrée chez moi à pied durant deux heures de
marche assez pénibles à cause des vélos roulant sur les trottoirs, des voitures
qui y étaient stationnées et des camions qui n’hésitaient pas à monter dessus
pour avancer plus vite. Je me suis couchée exténuée avec une urticaire géante.
Dans les boutiques
autrefois pornographiques des Boulevards des nouveautés inquiétantes. Les
instruments sado masochistes qui n’étaient que des
simulacres sont devenus de véritables instruments de torture en métal. J’ai
également vu annoncée publiquement une soirée avec des images de corps de
femmes authentiquement suppliciées. Vu également des chaussures à talons dans
lesquelles le pied était tellement cambré qu’il ne pouvait que reposer sur la
pointe.
Vingt et unième jour
du Mouvement et quatorzième de ma grève personnelle. La déroute menace.
Certains dépôts de transports dans l’Est et le Nord reprennent le travail et la
Direction tente en force de rouvrir une ligne. On a beau savoir qu’il y a une
part d’intoxication dans tout cela, on est atteint.
Vingt deuxième jour du Mouvement et quinzième de ma grève personnelle. A
signaler l’absence de pillage qu’on peut attribuer à l’absence de moyens de
transports venus des banlieues ou aux services d’ordre des Syndicats. A signaler
également la disparition complète du Ministre de l’Intérieur. Hier le journal L’Humanité a publié les mauvais
traitements infligés aux Directeurs du Gaz de France. On sent venir la guerre
civile.
Vingt troisième jour du Mouvement et seizième de ma grève personnelle. La
reprise se confirme. Le délégué de FO me téléphone à la maison pour me dire
qu’au Lycée ils reprenaient le travail. Parce que ce coup de fil partait d’un
bon mouvement je me suis retenue de lui dire Pourquoi, vous l’aviez arrêté ?
Entendu cette
nouvelle inquiétante concernant la monnaie unique, le fait que les pensions de
retraite continueront à être payées en monnaie nationale.
A treize heures,
manifestation au départ de Denfert-Rochereau. Beaucoup d’écharpes et de
coiffures rouges portées et en vente. Des bonnets phrygiens ou non, de Père
Noël ou de casquettes. Emotion de voir dans la vétuste prison de la Santé les
Prisonniers agiter les mains et s’écraser aux fenêtres grillagées qu’ils ont
pavoisées à leur façon. On leur répond et je leur envoie même des baisers qui
me sont renvoyés. Une sorte de bonheur. L’image qui m’est venue devant ces gens
en cage et ces autres libres à la ronde fut celle des animaleries sur les quais
où on voit des pigeons libres venir picorer les grains qu’on donne à ceux qui
sont incarcérés.
Cette idée révèle
que j’ai déjà intégré que nous ne sommes plus des êtres humains au sens de
l’Humanisme Républicain. L’Espèce Humaine est coupée en deux entre l’espèce maastrichienne (la machine) et le rebut non rentable, le vivant. Le
refus de prendre même ne serait-ce qu’en compte le point de vue de l’autre est
en rapport avec cela. C’est contre cet état de choses odieux que la population
s’est élevée.
Dans la
manifestation un magnifique portrait de Marx peint est porté en procession par
quatre ou six personnes comme si c’était une chasse de nature religieuse. On
peut lire sur la banderole de derrière Marx
avait raison, le capitalisme c’est la misère ! Vive le Socialisme !
Au bar du Boulevard de l’Hôpital devant la Gare d’Austerlitz, une rangée de
Cheminots avec chacun un balise de détresse allumée. Cela a une allure folle et
aurait plu à Visconti. De ci de là d’autres trouvailles artistiques et
langagières dont des poubelles marquées Sécurité Sociale, Université, SNCF,
ouvertes de temps à autres par des gnomes de science-fiction. Elles ont eu
beaucoup de succès.
Avec les proches, on
va à l’aéroport accueillir mon alter ego retour du bout du monde où il était en
mission puis se changer les idées dans le coin de campagne.
Je reprends le
travail parce que j’en suis à dix-sept jours de grève, que la faiblesse du
rapport de force indique que je ne serai pas payée, et que je crains de
surcroît qu’on me compte comme telles les Vacances de Noël… La reprise est
d’ailleurs amorcée à l’initiative des Cheminots et la situation nouvelle rend
difficile la continuation d’un mouvement que l’entourage, manifestement
désapprouve. Mon ancienne partenaire de théâtre de son côté a déjà repris car à
ses dires, elle n’en pouvait plus. Enfin le Conseil de Classe des Première 4G
doit avoir lieu.
J’arrive donc au
Lycée en taxi et sans laisser les Collègues tenter de me faire croire quoi que
ce soit, je lance par provocation une collecte en faveur des Grévistes,
c'est-à-dire en l’occurrence moi-même. Cela ne fait pas rire du tout, mon amie
Chantalle. Par ailleurs j’affiche sur mon casier une œuvre graphique de JB
Regnault qui représente La liberté ou la
mort. On y voit un ange s’élançant dans les airs entre la République et la
Mort. J’y ai rajouté ce texte Pour la
défense des valeurs républicaines dix-sept jours de grève : Le dix
Octobre, le vingt-quatre, le vingt-huit Novembre et du quatre au dix-sept
Décembre.
Très gentiment le
Censeur me dit son contentement que le Lycée fonctionne à nouveau à cause des
Elèves qui sont en perdition… Je lui réponds qu’il y a aussi les Professeurs
dans le même état, dont moi-même ce qui provoque chez elle cette
réplique : Vous essayez de m’attendrir
mais je ne me laisse pas faire !
J’ai du mal à
remettre les classes en route, encore bien plus qu’après des vacances. C’est
qu’on est dans une sorte de porte à faux. Ce qui s’est passé était trop ou trop
peu et la victoire trop mince pour ce qu’elle a coûté. Il est difficile
d’expliquer tout cela aux Jeunes.
Les Elèves sont là
aux deux tiers et me donnent l’occasion de m’enhardir dans le style meeting,
bien au-delà de tout ce que j’ai pourtant déjà eu la possibilité de faire
l’année précédente. Quant aux Médias - selon l’expression de MCC - les Experts
et Journalistes recommencent
à nous
marcher sur la tête et cette ambiance s’applique aussi
au Lycée où on sent bien que les gens tâtent le terrain pour savoir s’il ne
serait pas possible d’engager la répression contre les grévistes. On sent bien
qu’il s’agit seulement d’une trêve des Confiseurs. Les Enseignants ne sont même
pas invités à une Table de Ronde Sociale qui a lieu sans eux.
La Table Ronde a
bien eu lieu mais n’envisage comme solution que le chômage partiel et la
consommation des économies. Les Salariés doivent donc s’arranger entre
eux ! Je me souviens avoir lu dans La destruction des Juifs d’Europe
de Raoul Hilberg que le Nazisme avait d’abord extorqué de l’argent jusqu’à la
ruine matérielle, avant de commencer la destruction des corps. Tout cela est
dans la logique économique de la dévoration cannibale. Cette confiscation
systématique est bien la grammaire nazie. Elle s’applique aussi aux procédures
employées. Il s’agit d’une pulsion d’emprise et de fusion aboutissant à la
totale destitution de l’autre.
J’ai passé
l’après-midi avec mon ancienne partenaire de théâtre qui refuse toujours
implacablement de prendre en compte ma revendication en tant que mère et cela a
été d’autant plus pesant que le Plan Juppé avait lui-même été consécutif au
déséquilibre des Retraites et de la Sécurité Sociale à cause du vieillissement
de la population.
Elle n’apprécie
guère ma distanciation par rapport au Mouvement et ce qui la contrarie
aujourd’hui c’est - selon le terme qu’elle emploie et que je déteste – qu’elle
ne récolte rien. Ce qui me fâche moi, c’est l’injustice ! Nos points de
vue ne sont pas conciliables, même si c’est auprès d’elle que j’ai trouvé le plus
de soutien durant le Mouvement.
Nous sommes allées
ensemble au squat de la Rue du Dragon, attirées par le côté vivant mais j’ai dû
constater ma répulsion grandissante pour la marge entendue dans son aspect
crasseux et déglingué que je ne supporte plus du tout, même si elle m’a attirée
dans ma jeunesse comme moyen d’échapper à l’hygiénisme de ma mère. Aujourd’hui
échapper à la clochardisation demande de l’énergie et c’est une toute autre
histoire…
Réveillon familial
comme d’habitude chez nous mais comme je suis fatiguée, j’allège un peu le
dispositif. Je suis néanmoins contente de cette réunion et des cadeaux que je
reçois, même si la conversation fait apparaître des divergences politiques.
Evacuation par la
Police du Centre de Tri de Caen ce matin. Il continuait la grève depuis un
mois. Ils appellent tout le monde à la rescousse. Mon ancienne partenaire de
théâtre est bien décidée à prendre un congé maladie à la rentrée me dit-elle,
si le mouvement recommence pour - comme elle le dit si joliment et si crûment -
Ménager ses forces. De nouveau entre
elle et moi la fracture et d’autant plus qu’elle a proposé les représentations
de son spectacle pour le squat du Dragon, en l’instrumentalisant. Les types lui
ont demandé si elle était d’accord avec leurs actions et elle a répondu par
l’affirmative alors qu’à moi-même elle a confié ne pas vouloir participer à
cette installation du Mouvement Droit au Logement.
Elle me présente
comme un engagement le fait de manifester et de jouer pour rien ! Ce
manque de rigueur ne m’étonne pas mais me hérisse car c’est cette méthode qui
nous a menée dans le mur lors de notre aventure théâtrale à Avignon ainsi
qu’avec notre livre La Rouge Florescence. Laisser croire à l’autre qu’on
est d’accord avec lui pour pouvoir l’utiliser est une attitude qui comporte
beaucoup de mépris. Je ne me vois pas prendre un congé maladie si les
prolétaires appellent à la rescousse ni non plus faire grève seule à nouveau…
J’ai tenté ce
mois-ci de lire Primo Levi et Boulgakov mais je n’y parviens pas à cause du
style ou plutôt de l’absence de style qui fait barrage. Après conversation au
Lycée avec la lectrice d’Italien, il appert que pour Boulgakov, c’est une
question de traduction mais que pour Primo Levi, c’est rédhibitoire. Si dans Si
c’est un homme, Devoir de mémoire et Rescapés et naufragés,
on ne s’attache pas au style, c’est parce que le témoignage l’emporte sur tout
le reste mais dans les autres ouvrages Maintenant ou jamais ou Le
Système périodique, je n’ai pas pu persévérer, les livres me sont tombés
des mains en dépit de l’intérêt pour le fond. Non que ce ne soit pas écrit mais
cela l’est d’une façon qui ne fait pas littérature.
Je m’en veux un peu
mais impossible de se contraindre, la littérature sans bonheur cela serait
absurde. Quant à Boulgakov si Cœur de chien m’avait emballée, ce n’est
pas le cas des œufs fatidiques. De même dans La Garde Blanche le
style fait-il écran. C’est sans doute qu’il renvoie à tout un univers culturel
et peut être de proverbes et de poésie que la traduction ne peut rendre ou bien
qu’il faudrait translaté dans l’univers français, ce qui serait un gros travail
mais me paraît possible.
J’ai oublié de dire
avoir vu à la Télévision un reportage sur les immeubles ébranlés de larges
fissures à la suite des travaux du métro Eole, agissant sur des fondations.
Cela est emblématique de ce qui se passe dans le quartier du Lycée et donne
cette impression d’extravagance. Une ville qu’on est en train de détruire sans
ménagement, sans s’inquiéter des rats qui n’ont qu’à détaler s’ils se sentent
dérangés. Or les rats, c’est nous ! Cela se passe Rue Papillon à deux pas
du Lycée. Quant aux habitants du quartier, ils se plaignent de la désinvolture
de la Direction de la RATP qui ne répond pas à leurs demandes. Comme quoi je ne
me trompe pas sur le caractère de ce qui se passe entre les gares Saint Lazare
et celle du Nord où je travaille. Cette atmosphère de liquidation de mon
habitat depuis 1992 est un des éléments de cet ethnocide français en cours.
Dans une brasserie
du Quartier Latin, une conversation surréaliste. La patronne annonce que les
grèves repartent le 4 Janvier, que c’est son frère qui est dans la Police qui
le lui a dit. Personne ne conteste, sauf un client qui dit seulement Je croyais que c’était le 8 ! Fermer
le ban !
Ce nouveau carnet
porte le nom de Rien ne va plus !
Avec leurs casques
rouges et leurs casquettes les Traminots de Marseille ont affronté les CRS en
chantant La Marseillaise. Cela faisait tout de même un drôle d’effet. Je me
souviens de l’un qui disait d’une voix déchirante complètement excédée Je suis prêt à mourir pour mes
enfants ! Finalement ils ont gagné !
Sporadiquement le
mouvement continue cessant là, reprenant ailleurs, impliquant plus les
entreprises privées qu’on ne le dit.
Déferlement obscène
autour de l’enterrement de François Mitterrand. Tous les journaux l’ont mis en
couverture et les kiosques en sont couverts. Plus inquiétante encore, la
révélation de son médecin annonçant que son patient avait le cancer des os dès
1981… et la réponse de la famille saisissant le Tribunal pour atteinte à la vie
privée alors qu’elle sature tous les écrans. Impression confortée par l’attaque
également devant les Tribunaux du magazine Match qui a publié la photographie
du Président sur son lit de mort et des extraits du livre du médecin Gruber.
Dans la soirée la famille demande la saisie du livre tout entier dont les
Libraires n’ont d’ailleurs plus un seul exemplaire, le jour même de sa mise en
vente !
Quant au Lycée, on
s’inquiète car tous les Collègues de Sciences et Techniques Economiques vont en
quelques jours être inspectés, soit les deux tiers de l’Etablissement. On n’a
jamais vu cela. Quant à moi-même, l’Inspectrice Madame B m’a expressément dit
que je devais tenir le cahier de textes en détail, pour que lorsque les Elèves
auraient échoué au Baccalauréat et attaqueraient en Justice l’Education
Nationale au motif que le sujet n’avait pas été traité, on puisse devant le
Tribunal leur opposer le cahier de textes !
Je lui ai répondu
avec un mépris placide que je n’y avais pas pensé mais que j’allais le faire.
Elle s’est du coup radoucie, me précisant charitablement que dans mon cours, tout n’était pas mauvais. Notamment mon
idée de faire faire un répertoire aux Elèves mais que je ne devais pas dicter
le sens des mots aux Elèves, qu’ils devaient le chercher par eux-mêmes dans le
dictionnaire. J’en ai été médusée. J’ai répercuté aux Collègues pour avoir
leurs avis et ils ont tous trouvé cela impraticable et ridicule.
Depuis un an, il me
semble que le langage disparaît purement et simplement. Ce ne sont plus
seulement chez les Elèves des phrases incorrectes mais plus de phrases du tout.
Je m’aperçois que de mon côté je dois chercher du vocabulaire qui autrefois
allait de soi et qu’en ce qui concerne les nuances intellectuelles - faute
d’interlocuteurs - j’ai perdu de la facilité. Autour de moi, mes divers
partenaires n’ont pas suffisamment résisté pour être encore opérationnels.
Enfin publiant moins - non faute de ma production mais d’Editeurs - j’ai moins
de visites de l’étranger et le tonus général, s’en ressent.
Le monde éditorial
lui-même s’est inversé. Il n’est plus répondu au manuscrit proposé avec des
arguments rationnels ou subjectifs qu’on pouvait admettre mais par des
circulaires qui ne portent même plus ni le nom de l’auteur à qui on s’adresse
ni le nom du livre refusé, le tout n’étant même plus signé. Ces circulaires
types disent seulement que ce n’est pas ce que la firme recherche. L’Editeur
n’est plus au service de l’œuvre - comme cela était le cas lorsque j’ai
commencé à publier en 1975 et jusqu’en 1990 - même si celui-ci cherchait en
termes de pouvoir, à l’influencer.
Désormais c’est
l’auteur qui est au service de l’Editeur, comme un fournisseur dont on peut
décliner la proposition. Comment s’étonner alors que les manuscrits soient
jetés à la poubelle comme des catalogues publicitaires encombrants dont on n’a
pas l’usage ? Souvent, ils ne sont pas même lus. Dans cette perspective,
on peut même comprendre la pratique qui se répand depuis un an ou deux de n’en
expédier que quelques pages. Ce n’est ni plus ni moins qu’une demande
d’échantillon.
Ajoutons à cela que
dans les médias, à la langue de bois s’est substitué un langage basic,
extrêmement pauvre. Les numéros des départements ont remplacé leurs noms et les
villes sont divisées en zones et centres affublés de nom divers. Ainsi au fur
et à mesure que le monde se complexifiait, sa représentation s’est simplifiée.
Dans la rubrique
l’état du monde éditorial il faut noter qu’A qui refusait pourtant mon texte Fragments
du tiers drame, m’a dit au téléphone savoir qui j’étais et s’inquiétait -
bien que n’en voulant pas - de savoir si mon manuscrit circulait et ce qu’on en
disait. Quant à D qui ne voulait pas de mon recueil de nouvelles Grand choix
de couteaux à l’intérieur je devais - pour récupérer le manuscrit - envoyer
vingt et un Francs de timbres ou un chèque de soixante francs.
A noter aussi, que
bien souvent les circulaires de refus sont accompagnées de l’envoi du catalogue
de la maison ou d’un bulletin de souscription, achevant ainsi l’inversion.
D’auteur potentiel, on est ravalé au rang de client possible, puisqu’on a ainsi
fait la preuve qu’on savait écrire…. Donc sans doute lire…
La saga des
Mitterrand continue. Le fils prend la succession du père et les Médias nous
expliquent à tour de bras la réunion des deux familles en une seule. Il ne
s’agit même pas de l’officialisation d’une maîtresse - ce qui est le cas depuis
plusieurs années - mais de l’instauration d’un nouveau modèle polygame. Quant
au scandale du détournement des fonds destinés à la recherche sur le cancer, on
dit qu’ils auraient servi à financer la campagne d’un ancien ministre très en
vue.
Une Canadienne m’a
appris qu’au début du siècle, on ne soignait pas les femmes contaminées par la
syphilis du mari pour ne pas alerter le pharmacien du quartier et protéger
ainsi la respectabilité de l’époux !...
Elle m’a raconté par
ailleurs les accusations de racisme dans le cadre du politiquement correct
dont le Tribunal des Droits de la Personne l’a lavée mais elle a tout de même
dû à l’Université participer à des séances que sous le Stalinisme on pourrait
qualifier d’autocritique et qui ont eu lieu trois fois par semaine durant un
trimestre ! La médiatrice noire étant payée par l’Université et les Elèves
participant également aux séances… Pour finir elle a dû signer une lettre dans
laquelle elle reconnaissait n’avoir pas eu conscience de la douleur qu’elle
avait causée.
La cause de tout
cela étant un accrochage avec un Elève noir qui dans le cadre d’un cours
d’étude de la femme, étudiant qui n’avait pas fait son travail et qui la
ramenait. Elle l’avait mouché sur le plan pédagogique et féministe. Mais
l’inquiétant était qu’elle donnait vraiment l’impression d’avoir subi un lavage
de cerveau et qu’elle y adhérait, approuvant qu’on ait réussi à lui faire
comprendre qu’elle était raciste.
Déjà - lors de mon
voyage de 1994 - j’avais constaté que tous ces Universitaires nord américains
étaient réduits au silence parce qu’ils préféraient se laisser piétiner plutôt
que de prendre le risque de se retrouver devant les Tribunaux et de perdre leur
emploi. Mais au moins y avait-il encore une garantie juridico judiciaire
institutionnelle, alors que dans le cas évoqué précédemment, on a affaire à une
sorte de démocratie totalitaire informelle dans laquelle chacun peut donner
libre cours à ses fantasmes de la démolition de l’autre.
Coup de téléphone de
la nièce de Madame Marguerite - ma quasi mère adoptive - pour me dire le
bonheur qu’elle a eu à recevoir la photographie que je lui ai envoyée. Elle m’a
précisé qu’ils avaient été acheté un
cadre et qu’elle allait mettre la photo dans sa chambre ! Je me suis
donc trouvé très heureuse de cela.
On apprend la mort
de notre Collègue Bruno Guitard. Raconter ce que fut cette amitié, brève,
intense et tragique ne relève pas de cette chronique. Par contre continuons
comme cela et j’aurais bientôt plus d’amis morts que vivants. Bernard Briquet
et Lili se sont suicidés, Mylène Dubois a glissé dans sa salle de bains
m’a-t-on dit, Jean Garreau s’est fait écraser sur l’autoroute et c’est
maintenant le décès de Bruno Guitard dont on pourrait dire qu’il fut – selon
l’expression consacrée - le meilleur d’entre nous ne transigeant pas avec
l’exigence culturelle, là où il m’arrive toutefois - pour survivre - de faire
comme le conseillait Vercors, une cote mal
taillée.
Comme je m’ouvrais
de cette particularité en Salle des Professeurs en demandant aux autres
Collègues s’ils étaient eux aussi dans la situation d’avoir tous ces amis
morts, ils m’ont dit que non. J’ai alors fait remarquer que j’étais dans un
micro climat culturel décimé et que ce genre de choses, morts prématurées dans
les milieux intellectuels, s’était déjà produite deux fois, une au moment de la
montée de l’Hitlérisme et l’autre à celle du Stalinisme. C’est là que Christian
s’est écrié Ce que tu dis est effrayant !
Plusieurs Collègues
ont alors évoqué la mémorable séance où une créature de la MAFPEN avait été
envoyée comme d’habitude pour nous laver le cerveau, et lors de laquelle Bruno
avait fait un discours d’une beauté rare ainsi que d’un courage extrême sur
l’état d’inculture totale dans lequel baignait le Lycée, le tout en tapant
violemment de sa canne sur la table commune, du genre table de Conseil
d’Administration. Mais comme Madame Souhaut disait qu’il était mort
glorieusement, je me suis récriée qu’il était surtout mort d’avoir continué à
mener un combat que les autres avaient partiellement abandonné. Il était sous
dialyse et avait quarante-deux ans.
A la Librairie en
face du Lycée, comme je demande où est le rayon Poésie, la libraire me dit Vous faites partie des survivants ! Cela
m’a bouleversée, émue et glacée. Je ne rêve donc pas ce rétrécissement culturel
constant. J’apprends également ce que je ne savais pas : Ce sont désormais
les distributeurs qui font la loi et les libraires ne peuvent plus se
réapprovisionner des best-sellers réservés aux Supermarchés…et autres
dictionnaires.
Pas de nouvelles de
l’enterrement de Bruno Guitard. Tout au plus une vague collecte pour des fleurs
hypothétiques dont on n’est même pas sûr qu’on pourra les offrir. J’invoque
Antigone. On me trouve emmerdeuse, mais le Censeur et la Secrétaire admettent
ma contestation.
Vague de violences
dans les Collèges et de grèves des Enseignants en réponse. Le Ministère ouvre
un numéro de SOS-Violences sur le mode de SOS-Amitiés, prévoit une formation de
gestion des conflits pour les nouveaux Collègues et embauche des Grands Frères comme médiateurs. Les dits
Grands Frères en provenance bien sûr des cités ! Dans le plan
précédent, on avait embauché des soldats,
avant de constater que cela n’avait rien donné !
Vendredi, signature
dans le bureau du Proviseur de mon rapport
d’inspection catastrophique, je m’en
doutais après l’entretien pénible du 15 Janvier lors duquel j’ai refusé de
faire mon autocritique après avoir fait un cours inverse ce qu’il aurait fallu
faire pour être dans les desiderata de la hiérarchie et masquer la faillite du
système. Tout au contraire, j’avais attiré l’attention de l’Inspectrice sur le
fait que mes Elèves ne connaissaient même pas les notions élémentaires. Le
Proviseur s’apprête à amortir le choc, je lui dis vous me donnez un exemplaire de cette prose haute en couleurs. Et
comme il s’exécutait j’ai repris Je le
déposerai à la Bibliothèque Nationale.
Par contre ce qui est
moins drôle c’est que ma note est tombée de quarante-cinq après péréquation à
quarante avant… ce qui n’est ni agréable ni fréquent et soyons clair m’interdit
désormais toute promotion ! En ce qui concerne le passage hors classe, ce n’est pas la gratification
honorifique qui m’intéresse mais cela m’aurait permis de toucher mille francs
de plus par mois, ce qui n’est pas négligeable à une époque où les salaires
sont gelés et baissent dans la réalité à cause de l’augmentation des
prélèvements.
J’ai mis une demi-heure à accuser le coup, avant d’aller m’en vanter
dans la Salle des Professeurs étonnée de constater que loin de m’enfoncer, les
Collègues paraissaient frappés de ce qui m’arrivait, comme s’ils découvraient
que l’Education Nationale n’était pas autant vermoulue qu’ils l’imaginaient et
qu’ils n’étaient pas eux-mêmes à l’abri de la répression. Enfin que
l’Inspection me conseille d’avancer dans le programme même si les Elèves ne
comprennent rien, fait tout de même un drôle d’effet. Pour le qualificatif approprié,
on hésite entre le
bête et l’odieux.
Finalement j’ai une fois de plus pratiqué là l’objection de conscience comme si lors de la Guerre
d’Algérie j’avais refusé d’employer la torture et qu’en dictant le sens des
mots, j’avais eu pitié des Elèves dénués de langage. Je leur ai d’ailleurs tout
raconté. Ils ont été passablement sciés !
Lorsque je vais au Lycée, il me faut désormais deux heures pour me
préparer et une heure pour y parvenir matériellement. Ce temps perdu est du
temps que j’ai en moins pour travailler à mes œuvres et c’est dur ! Depuis
vendredi dernier, les Elèves ont entrepris de casser les portes des classes et
depuis hier, les chaises ! Du coup ce n’est plus deux heures qu’il me faut
pour me mettre en route mais deux heures et demie auquel s’ajoute une heure et
quart de voyages, les bobos somatiques s’en donnant à cœur joie !
Sinistre soirée à la Maison des Ecrivains où je n’avais pas encore eu
l’occasion d’aller. A l’automne, une réunion dans une arrière salle de café
avait mis en contact tous ceux qui étaient intéressés par la création d’une coopérative. On a versé cent francs et
on a attendu la suite. Il n’y a plus eu de nouvelles jusqu’à la réunion d’hier
soir lors de laquelle on a appris que la dite coopérative a été effectivement
constituée, des collectifs organisés et que notre argent a servi à éditer
l’œuvre d’un écrivain mort… On apprend également qu’il y a en projet une
exposition pour laquelle les peintres présents dans l’assistance devront donner
une œuvre qu’on nous précise, devant être petite parce qu’il ne faut pas
abuser.
Je prends naturellement la parole pour faire remarquer aux autres
participants l’utilisation qui a été faite de notre argent et demande quelle
sera la suite des opérations. On entend parler de l’aide du Centre National des
Lettres, du Conseil Régional, d’une coédition avec… Je continue en attirant
l’attention sur le fait que la notion de coopérative
implique nécessairement la co-responsabilité
des coopérateurs et l’utilisation de leurs fonds propres, en rappelant
qu’il ne s’agit pas d’une invention d’aujourd’hui, mais qui se réfère à une
tradition historique.
Je mets les pieds dans le plat en demandant s’il s’agit d’une publicité
mensongère ou s’il est prévu d’une façon ou d’une autre, une co-décision. On me
dit qu’elle est exclue. Je ne me suis donc pas attardée devant un pareil
fiasco. A noter que cette coopérative avait été lancée à l’initiative de BN et
de DG avec à son bureau quelques autres comparses.
Vu à la Télévision à l’émission Nulle
part ailleurs, une promotion pour des sacs de couchage en papier pour SDF,
produit proposé par une firme qui voulait leur vendre quinze francs. Certains
animateurs étaient quand même gênés. On croit à chaque fois qu’on touche le
fond et puis non, cela se surpasse. J’en ai parlé en classe, comme de tout ce
qui me scandalise au quotidien.
J’avais invitée la lectrice d’italien à venir prendre le thé à la maison
car une ou deux conversations littéraires m’avaient donné à penser qu’on avait
des choses à se dire. Mais elle m’a posé un lapin !
Anniversaire de la création d’une certaine Maison d’Edition. Sont
invités des Banquiers, des Politiciens et des Scientifiques mais pas un seul
Ecrivain.
A la Télévision on nous explique le plan Juppé pour lutter contre
l’analphabétisme. Des Soldats viendront dans les écoles apprendre à lire aux
enfants, les plus grands apprendront aux plus petits et les entreprises devront
consacrer une partie de leur formation permanente à apprendre à lire à leurs
employés !! Il n’est pas question dans tout cela des Professeurs qui
d’ailleurs en tant que fonction semblent vouer à disparaître.
Vu à la Télévision également le brise-glace Lénine dans le port de Mourmansk où il a été abandonné. Son moteur
nucléaire a troué le fond du bateau et est tombé dans la mer qu’il pollue… La
Hague fuit également. Est-ce la cause de toute cette immobilisation de la
société ? Toutes sortes de symptômes dont les autres se plaignent aussi.
Le monde scientifique admet tout de même qu’à Paris et à Lyon, la pollution tue
effectivement… Mais après tout l’alcool aussi.
Championnats d’échecs : C’est Kasparov qui a gagné contre
l’ordinateur Deep Blue par quatre succès contre deux. Il est bien en effet le
champion du monde. Un commentateur l’avait d’ailleurs annoncé en disant que le
catalyseur de l’intelligence, c’était l’émotion et que l’ordinateur, lui n’en
avait pas. Plutôt qu’émotion, je dirais moi le mobile. L’HOMME a un mobile, pas
la machine !
Rejet complet au Lycée de l’interjection TA MERE qui nous accable. Ce
graphitage recouvre souvent les murs ! Les Collègues qui sont mères en
perdent la tête et se plaignent en tant que telles d’un ostracisme croissant.
Je leur conseille de faire la même chose que moi, à savoir de retourner la
formule en un MA MERE qui devient alors un cri de gloire et de majesté ainsi
que de l’accoler partout où c’est possible : Ma Mère la langue, Ma Mère la République, Ma Mère la Sécurité Sociale
etc… Mais elles ne comprennent rien parce qu’elles n’en sont qu’au
commencement de la prise de conscience féministe.
La Justice ne baisse pas les bras face à la violence dans les
Etablissements Scolaires. Nouveauté absolue : L’Elève qui a frappé un
Professeur et le Parent le Proviseur se sont vus infligés des peines de prison
ferme. Quant au Lycée l’apathie et l’aboulie gagnent les Collègues évitant les
frictions et se serrant les uns contre les autres, comme un troupeau en
détresse qui essaierait de faire masse pour pouvoir se défendre. Noël me dit
plutôt admiratif Tu es bien la seule
objecteure de conscience ici ! En 1TSC1, les Elèves approuvent qu’une
mère ait tué sa fille autiste ! A la Cantine, une Collègue hurle comme je
me sers de sauce dans le plat tant elle craint que le passant à quelqu’un
d’autre, il lui échappe ! C’est la roue libre généralisée.
Ce jour c’est l’achat à la librairie de la Galerie de la Gare Saint
Lazare de L’imparfait de l’objectif de Doisneau qui me sauve la mise
m’amenant à m’interroger sur mon obsession de la photographie et mon
impossibilité d’exercer correctement cette activité.
J’apprends qu’aux Etats-Unis le revenu disponible est retombé au niveau
de celui de 1955 ! De mon côté j’explique à mes amis d’Outre-Atlantique
qu’on est en train de tomber en esclavage par l’absence de statut et de voix au
chapitre et qu’on se moque de moi au Lycée lorsque je propose que les Elèves
qui n’ont pas de quoi payer la Cantine, puissent manger gratuitement, ce qui
avait lieu dans les Ecoles de la ville de Paris où ma mère était Inspectrice.
Nous passons l’après-midi à préparer l’affiche pour les conférences que
je dois donner en Avril/Mai à l’Académie de la Recherche au Couvent des
Récollets sous la houlette de JP Faye. Ils m’ont donné des conseils judicieux.
Malheureusement tout a été annulé et j’ai été choquée que GL qui en
était le vecteur ne m’en ait pas informée en temps utile, en dépit des messages
que j’avais pendant plusieurs mois laissés sur son répondeur, regrettant
finalement d’avoir pris cette perspective pour une certitude. Les explications
qu’il me donne concernant ce changement de cap sont peu convaincantes et me
laissent un goût amer car il est de fait impossible de savoir d’où vient la
décision. J’en arrive à la conclusion qu’après ces échecs de toutes sortes, ce
n’est même plus la peine de former des projets.
F a employé il y a trois semaines, le mot déshumanisé ! J’en avais été frappée, choquée et sidérée mais depuis,
plusieurs autres personnes l’ont aussi utilisé. Nous sommes dans une sorte de
régime policier soft, notion qu’en Sciences Sociales on était bien incapable de
prévoir. Le statut du salariat disparaît et on tombe en esclavage dans une
mondialisation ultralibérale, où plus brutalement encore à tous moments, on est
la proie saisie par un autrui qui
n’est plus un autre. Partout chacun cherche à s’emparer de ce qu’ont les Autres.
Au Lycée le Censeur tente d’embaucher les Professeurs pour faire le
travail de Secrétariat et cela après qu’on ait pour faire des économies,
licencié les Surveillants et les Secrétaires.
Certains Collègues prétendent me fournir les questionnaires à choix
multiples à soumettre aux Elèves lors des interrogations écrites… ou cet autre
qui affirme que si ma note pédagogique a été baissée, c’est parce qu’auparavant
j’étais surnotée ! Les Elèves
sont de plus en plus déchaînés, non dans leurs comportements que je parviens
encore à endiguer, mais dans leurs propos.
Ce sont des factieux qui disent ouvertement ne plus vouloir ni du
livre, ni de la vie intellectuelle, ni de la culture, ni de la République, ni
de nous, ni de rien finalement de ce qu’à un degré quelconque on représente et
qui se légitiment de leur nombre pour se déclarer la nouvelle norme. Depuis
plusieurs années ils n’avaient plus aucune notion de ce que pouvait être le
Droit, mais maintenant c’est l’idée même de la LOI qui a disparu de leurs
têtes. Leur point de vue est qu’ils sont nombreux à penser ce qu’ils pensent et
qu’en conséquence de quoi, ils ont raison de le penser.
De semaine en semaine, c’est de plus en plus houleux et
cauchemardesque. Je viens de lire Le Passé ressuscité de Werfel publié
en 1928 et il me semble que cela décrit tout à fait la situation. Ce n’est pas
de bon augure.
Je me rends compte aujourd’hui à quel point l’état social est la
fausseté, le mensonge généralisé, non comme un mensonge ponctuel mais comme un
état structurel. Comment démontrer que le poète est celui qui contre toutes les
apparences dit la vérité ? Et pourtant je sais que c’est vrai !
Il me semble que ce que j’ai inventé, c’est le cubisme en littérature.
La haine des femmes, cet antisémitisme secondaire.
Découverte de l’Association Le Lys dont l’objet est la réconciliation Yougoslave
et dont j’ai appris l’existence, il y a huit jours sur France Culture. Je fais
un aller retour en taxi pour leur proposer les quatorze dessins sur la
Guerre de Bosnie faits l’an
dernier. Cela leur a plu et leur réaction a été favorable. J’ai montré
l’article écrit par Zelena Zuppa en 1983 et publié dans une revue Yougoslave.
J’ai donné Le Silence et l’Obscurité et ma bibliographie qui les a
fortement, impressionnés.
Naturellement on m’a dit qu’on n’était pas habilité à décider et que
l’exposition éventuelle n’aurait pas lieu avant six mois. On m’a demandé
combien j’en voulais, et j’ai été prise de cours, parce qu’elle semblait
trouver cette œuvre très bien. On y dit aussi qu’on va m’inviter à des
animations, rencontres, débats. J’attends la suite sans trop y croire car en ce
moment il n’y a plus de possibilité d’exercice libre et satisfaisant de l’Art
et lorsqu’on se présente comme telle on est rapidement transformée en
consommatrice, en usagère, en tous cas en cotisante…
Découverte d’A tires d’ailes
librairie entièrement consacrée à la poésie. J’y entre comme un éléphant dans
un magasin de porcelaines en écrasant la libraire derrière la porte. J’achète
un Chalamov pour justifier mon entrée et découvre avec stupéfaction…La
Baisure. Prise au dépourvue dans ma joie, je lui explique que j’en suis
l’auteure. Elle en semble très contente, me dit que les Editions des Femmes
c’est très bien, me demande mes coordonnées et me dit que peut-être on pourrait
faire quelque chose… Mais je n’y crois guère puisqu’en ce moment tout rate. Je
me réjouis tout de même de ce signe de ma survivance.
J’ai vu mon copain qui m’a donné quelques explications sur la
liquidation de l’Académie Européenne de la recherche et sur le fait qu’il n’a
pas défendu l’initiateur parce qu’il était méprisant avec tout le monde. Trois
jours après une Canadienne me dit qu’au contraire c’est un type très bien et
d’après son enquête un homme indépendant. Mon copain prétend être le seul
rescapé de l’Académie en question et ne dit aucun mal du Gouvernement. On
amorce une conversation de fond sur l’évolution politique de la société mais
elle n’aboutit pas car en fin de compte il est difficile de comprendre la place
de ce copain dans le système ambiant et il faut se défier de ses fantasmes de manipulations.
Promenade de deux heures et demie dans le Marais, moins luxueux qu’il y
a quelques années mais paraissant s’orienter davantage vers l’univers
artistique. De plus en plus d’enseignes et d’inscriptions en anglais. Bonheur
citadin, physique et esthétique même si en même temps il y a la brulure
profonde pour ne pas dire le sentiment d’être en voie d’exclusion de ce Centre
Ville qui était autrefois le mien. Il ne s’agit même pas de bilinguisme, mais
d’une substitution de l’anglais au français. C’est l’installation brutale d’un
système communautaire, sauf qu’il n’y a pas de place pour les Républicains, ce
qui est logique puisque ce système communautaire s’établit sur la destruction
de la précédence. Je suis hantée par des fantasmes de misère et d’errance. Le
meurtre de la mère et le révisionnisme ambiant sont les données essentielles de
l’air du temps.
Hier Mercredi une Américaine m’apprend qu’un article a été publié
contre … qui l’ont attaqué en diffamation et me demande de témoigner. Je refuse
au motif que les mauvais traitements sont généraux à Saint Germain des Prés et
pas spécialement là. Je lui ai expliqué ce qui m’était arrivée de terrible aux
différents endroits et que ce qu’il fallait dénoncer, c’était le fonctionnement
littéraire de ce pays dans son ensemble. Et peut être même au-delà, le
fonctionnement français, lui-même.
Nous sommes ensuite allées ensemble au Musée de la Photographie qui
vient de s’ouvrir et en sommes sorties consternées car toutes les œuvres
exposées évoquaient d’une façon ou d’une autre, des idées de torture et de
mort. L’analyse de nos réactions nous amène à découvrir que ce lieu qui
s’ouvre, le fait sur la mort et que c’est désormais la situation habituelle,
d’où notre accablement. Cette obsession de la mort amenant finalement la
confusion du vagin et de l’anus. Nous faisons état de notre pressentiment
concernant notre exécution en tant que femme. Nous ne sommes plus seulement
privés de notre citoyenneté - ce qui a toujours été le cas - mais désormais de
surcroît de notre qualité biologique d’humanité.
Je me souviens avoir lu un article d’un expert auprès des tribunaux qui
expliquait que la Shoah avait été possible parce que bien que n’en ayant pas parlé,
chacun savait bien ce qu’il avait à faire. Je crois qu’il s’agit là de quelque
chose d’analogue. Ce n’est pas la femme en tant que tas de cellules qu’il
s’agit d’éliminer mais le tas de cellules sexuées, c'est-à-dire l’Autre Sexe.
Et comme il y a deux sexes ou pas du tout, autant dire que ce qu’il s’agit
d’éliminer, c’est la sexualité. Quant à elle, sa crainte est que les hommes
parviennent à gester grâce à des
placentas artificiels, mais je n’y crois pas trop car le rendement de la
reproduction artificielle est déjà assez faible, ce dont le corps médical ne se
vante pas.
Revenant enfin sur le statut de la photographie dont je lui disais que
je n’étais pas sûre qu’elle soit un art mais peut être seulement une matière
première, elle m’a opposé le point de vue de son vieil ami Pignon L’Art ne fait pas bander ! Nous
sommes d’accord pour constater que les photographies le font puisque c’est même
la base de l’industrie pornographique. J’essaie de lui faire valoir qu’en tant
que femmes nous sommes mal placées pour avoir un avis sur le sujet et utiliser
de façon efficace ce critère… Mais elle ne veut rien entendre. Par ailleurs, la
référence dont elle s’autorise me parait un échantillon un peu limité.
Dimanche, conversation avec un éditeur italien qui explique que la
Lombardie elle, respecte les critères de Maastricht, ce qui donne à penser que
la coupure entre le Nord et le Sud de la péninsule est déjà pas mal avancée.
Cela recoupe les propos de l’étudiante de Pérouse qui prévoyait pour la
péninsule, une évolution à la Yougoslave. Par ailleurs il tient tout un
discours sur un Turin français et une Lombardie autrichienne. Quant à la
Vénétie, à l’entendre elle aurait depuis toujours été préposée à la défense
contre les Turcs.
Il n’y a plus une relation qui n’accuse pas la volonté de
l’interlocuteur - ou trice - de prendre le contrôle de ma personne. Aussi bien
une nageuse à la piscine qu’une femme de ménage de voisin à l’occasion d’une
fuite de machine à laver. Une voyageuse attendant à côté de moi l’autobus,
c’est saisi de ma main pour l’attirer à elle et regarder plus commodément ma
bague…
Quant à la poissonnière de la rue du Marché Poncelet, j’ai dû
intervenir tellement elle maltraitait l’un de ses salariés. Ce n’était plus une
relation de patronat mais d’esclavage. La dizaine d’employés se taisait et
c’était tellement choquant que j’ai dû lui dire qu’il était inconvenant de
houspiller ainsi les Employés devant la Clientèle.
Hier j’ai vu à la Télévision Le
Tambour (1979) le film de Schöndorff, un chef d’œuvre absolu, d’autant plus
que les femmes n’y sont jamais montrées de façon péjorative, ce qui est assez
rare pour être signalé. La scène du viol n’est pas non plus filmée mais
entendue. Je regrette de n’avoir pas vu ce film plus tôt, cela m’aurait aidé à
comprendre ma propre histoire.
Le mari de la concierge dit en ma présence à mon sujet à l’une des
Copropriétaires de l’immeuble : Je
n’ai jamais vu un caractère comme ça, on ne l’a jamais vue triste ! L’autre
confirmait et renchérissait tout en frottant et caressant éperdument la manche
de mon grand manteau rouge dont il est vrai émane confort, solidité et
sensualité, mais ce n’est pas une raison…
La semaine dernière dans une boutique, une femme s’est précipitée sur
moi en brandissant le bras qu’elle avait dans le plâtre et en me disant C’est mon bâton de maréchal !
Je suis allée hier au Cirque Joseph Bouglione Porte Maillot sous leur
chapiteau. Cela faisait bien une quinzaine d’années que je n’avais pas mise les
pieds dans ce genre d’établissement alors que dans l’enfance c’était ma
passion. J’y suis allée pour la première fois toute seule et sans l’alibi de la
distraction des enfants. Je pensai jusque là que ce que j’aimais dans cette
activité, c’était la prouesse sportive et la majesté des corps exhibés dans
leur gloire ainsi bien sûr que le fabuleux côté artistique.
Mais au vu de ce spectacle - est ce l’âge et la maturité - il m’a
semblé que ma passion pour le cirque prenait plutôt racine dans la métaphysique
et que celui-ci était un ordre imposé au chaos qu’il maîtrisait là d’une façon
baroque, instaurant dans le domaine du corps, l’équivalent de mon écriture
littéraire.
Il m’est apparu que cette succession de numéros racontait en fait
l’histoire de la domination de l’Homme sur le monde et à la limite la saga
occidentale. On pourrait presque décoder chaque numéro : Le dompteur pour
l’évincement des fauves, la cavalerie pour la domestication du cheval, la
maîtrise de la force animale avec l’éléphant, de celle des machines avec les
vélos, l’aspiration divine avec les trapézistes, la condition quotidienne avec
les jongleurs et tout ce qui rate avec les clowns. J’ai même eu l’impression
que c’était tout à fait cela en voyant le numéro de tango argentin, exprimer
l’aventure de la sexualité à l’Occidentale aujourd’hui révolue.
Quant aux tigres – fonctionnaires - ils faisaient le minimum. Le tigre
et la tigresse les deux premiers arrivés dans la cage se sont amoureusement
enlacés, cherchant plutôt à s’aimer qu’à faire leur numéro ! Par la suite,
l’atmosphère d’embrassade est devenue générale et euphorique. Montés sur leurs
plots les fauves paraissaient comme les Elèves dans les classes. L’un baillait
d’ennui, l’autre effondré avait les quatre pattes qui pendaient du plot au lieu
de rectifier en une impeccable position convenue d’avance. Monsieur Bouglione
lui-même apparemment, n’y croyait qu’à moitié. Quant aux clowns, ils étaient
plutôt meilleurs que ce qu’on voit ailleurs car ils avaient intégré le jazz, le
café théâtre et même l’animation du Club Méditerranée. Il m’a même semblé que
mon ancienne partenaire de théâtre aurait pu faire ce numéro plutôt mieux dans
le même genre et je le lui ai dit.
En ville, les inscriptions en anglais gagnent à une vitesse folle.
J’ai dit à un quidam inquiet dans l’autobus Si on pouvait vivre de la poésie, cela voudrait dire qu’on est son
souteneur !
La langue de bois télévisuelle atteint des sommets. Exemple : Un policier est mort des suites d’une
tentative de suicide… Il semble qu’il s’agisse de dire le moins de choses
possible, donc de le dire le plus longuement possible en occupant le terrain
pour que rien ne transpire dans une sorte d’anesthésie.
Sur le front de la liquidation, il s’agit maintenant de privatiser le
Téléphone. La disparition des Services Publics, voilà l’impensable pour un
cerveau français
Coup de folie européen sur le thème du fléau de la Vache Folle. J’interprète cela comme le moyen
de débattre du lien avec la mère et à l’occasion de la Conférence de Turin de
l’attitude qu’il faut prendre vis-à-vis de notre passé. Passé au sens du mythe de la nymphe Europe sortie de la
Méditerranée enlevée par Jupiter transformé en taureau. Sans parler du Minotaure. Quant
au projet d’abattre les vaches, j’y vois la fantasmatique répétition du meurtre
à venir contre les mères.
Réunion avec l’Inspectrice B qui m’a sanctionnée et qui nous dit de
considérer les salles d’ordinateurs comme des ateliers industriels ! Elle
dit G.O. au lieu de J.O. ou bien Ce qui
nous fait du tort, ce sont les inscriptions en faculté ! Elle parle
d’un interrogatoire comptable etc… Cette inculture et cette vulgarité fait
d’autant plus mal lorsqu’elle se permet de me sanctionner dans mon effort de reculturation de la langue. Enfin
elle-même à la fin de son intervention s’afflige apparemment du bas niveau des
élèves. Est-ce de l’hypocrisie ou de la schizophrénie ?
J’ai enfin compris le malaise que j’éprouve à constater l’extension partout
des hommes de ménage en provenance des Indes ou d’Indonésie. Ce n’est pas
seulement l’immigration clandestine qui se généralise mais c’est surtout que
ces nouveaux hommes de ménage, les boys, nous supplantent jusque dans le pire.
Déjà expulsées de partout nous ne pouvons même plus nous femmes, gagner notre
vie à notre dernière place, celle de femme de ménage. Même cela nous est
retiré !
La semaine dernière je suis allée au Salon du Livre avec arthrite et
béquilles. Ce fut physiquement horrible et la douleur a failli me faire
défaillir. J’étais à deux doigts d’appeler la Croix-Rouge si je ne réussissais
pas pour finir à sortir vers un taxi par mes propres moyens. Mais j’avais
décidé d’y aller, faute déjà d’être venue l’année précédente. On pouvait penser
que c’était une folie absurde et c’est dans ce sens que je peux dire avoir
donné ma vie pour mon œuvre, là où en effet la préservation de la santé - comme
dirait mon ancienne partenaire de théâtre - aurait commandé de passer
l’après-midi couchée. J’y ai donc récolté des informations utiles comme c’était
nécessaire mais les Editions des Femmes n’y étaient pas et cela m’a semblé un
mauvais présage.
Grande mise en scène inquiétante sur la question des vaches folles. Entendu à la Radio Les
consommateurs ne seront rassurés que lorsqu’ils auront vu les carcasses brûler
dans les champs ! Avant-hier à la Télévision on nous a montré les
incinérateurs pour bovins, de véritables fours crématoires qu’ils ont été
jusqu’à filmer de l’intérieur en actionnant les portes pour fermer. On était
donc à l’intérieur ! Le reportage se terminait sur la vue des hautes
cheminées… J’en ai eu des frissons...
Horreur de cette Histoire qui aujourd’hui nous éjecte après que nous
l’ayons faite !...
Dans les médias, on ne cache même plus la volonté d’installer un libre
échange mondial, de faire ici baisser les salaires pour les aligner sur ceux du
bout du monde et de tailler - selon
leur expression - dans les acquis sociaux. Notons au passage que le terme de dégraisser qu’ils emploient pour dire licencier est bien assorti et inquiétons
nous de ces images d’un dépeçage cannibale.
L’abandon et la résignation menacent. On pense aux agneaux rejetés par
leur mère lorsqu’ils cessent de lutter en tentant de s’en faire quand même
reconnaître ou bêlant à fendre l’âme d’être adopté par quelqu’un d’autre et
qu’ils se cachent alors dans un coin pour mourir quoique qu’il fasse. On n’en a
jamais vu aucun qui en réchappe.
Ajoutons là-dessus la violation du domicile du coin de campagne :
le volet arraché, le carreau cassé, la fenêtre ouverte et qui donne à penser
que ce qui pouvait être un refuge, en fait ne l’est pas.
J’ai lu Les Esclaves du sablier de Marejko qui cherche lui aussi
la compréhension du totalitarisme comme destruction du désir et de l’attente.
Ce qui est certainement juste. Un état consécutif à l’impossibilité de
supporter la séparation, bien qu’il n’en parle pas dans ces termes-là qui sont
les miens. Il met également la technocratie dans la catégorie des totalitarismes.
Il traite également du corps disparu
qui n’est plus que de la chair, s’il n’est plus en relation avec le monde.
Ce qui me frappe, c’est la capacité d’aborder ces questions qui sont
celles de mon travail dans des formes tellement différentes des miennes.
J’avais déjà eu cette impression très saisissante intellectuellement parlant, à
la lecture de Masse et Puissance de Canetti. Cette étrangeté à la
découverte d’un autre à la fois pareil et différent, c’est ce que j’ai éprouvé
en découvrant le Canada.
Dans le même ordre d’idées, ce que Prigogyne et Cie appellent LE TEMPS
qu’ils réintroduisent dans les Sciences, n’est-ce pas ce que j’appelle le lien
avec la précédance soit LA MERE au
sens large ?
Cette semaine à la Télévision on a un peu l’impression qu’on tombe du
côté où on penchait. C’est une explosion de manipulations visuelles. Au fameux
indicatif du Journal de France 3 où on voyait habituellement la France
fusionner avec les Etats-Unis, s’ajoute maintenant des présentateurs
démultipliés comme des clones ou des tumeurs cancéreuses et un public à qui on
fait faire des acrobaties, pirouettes sur lui-même et têtes en bas. Tout cela
bien sûr pour libérer l’être humain de sa réalité corporelle comme on a déjà
presque achevé de le libérer de son usage du langage. Il semble que c’est parce
c’est déjà fait sur le plan linguistique qu’on s’attaque maintenant au concret
du corps. On assiste à une sorte de destitution systématique.
A une certaine intensité, la beauté provoque chez moi de la douleur.
Est-ce la même chose chez tout le monde ou bien est ce le propre de l’artiste
qui en connaît le caractère divin, anormal ?
Le traducteur allemand de La Pensée Corps l’a fait lire à Madame
Capoto - intellectuelle italienne - Professeur de Sciences Politiques en
Allemagne qui n’avait jamais entendu parler de moi, mais qui a réussi à
détecter les fautes de traduction. C’est tout de même curieux ! Le même
jour une lettre pour un article Sexe et ordinateur qui trouve La
Pensée Corps très intéressante et se demande si j’ai pris cela chez
Merleau-Ponty.
Le traducteur allemand est d’accord sur la consigne implicite en ce
moment dans la société à savoir Tuer son
voisin. Situation analogue à celle de la Shoah lors de laquelle chacun
savait ce qu’il avait à faire car il aurait été impossible de commander tous
ces gens de façon coordonnée. Mais je n’ai pas osé lui dire qu’il s’agissait
d’abord de TUER LES MERES et qu’il n’y a qu’elles qui le sentent et le savent, la vache
folle en étant la prophétie.
Il me raconte par ailleurs que la syntaxe allemande est approximative
et comment la classe politique parle plus ou moins exactement en oubliant
éventuellement le verbe… Mais cela ne fait rien, on comprend quand même. C’est
impensable ici.
Il me raconte enfin que Leibnitz et Malebranche conversaient pour
essayer ensemble de dépasser une contradiction dont ils ne venaient pas à bout.
A savoir comment la liberté de l’Homme pouvait se concilier avec la toute
puissante de Dieu. Nous tombâmes d’accord pour nous demander ce qui aujourd’hui
était l’équivalent, et lui de me répondre LE DROIT. J’en suis restée pantoise.
Il y a de quoi y réfléchir.
Devant un homme malade ou saoul, allongé sur le trottoir Avenue Niel et
pour lequel personne ne s’arrêtait, je suis allée dans une cabine téléphonique
pour appeler le SAMU. Ils sont arrivés, ont constaté qu’il était en état de
marcher, lui ont fermement demandé de s’asseoir sur le banc et non pas par
terre puis sont repartis. J’en ai été estomaquée. Il m’a semblé qu’ils
manquaient et de compassion et de conscience professionnelle.
A la Télévision, sur la Trois, un reportage hallucinant sur la Centrale
nucléaire accidentée de Tchernobyl. On y apprend que l’explosion a correspondu
à deux cents Hiroshima et que six cents mille personnes ont participé avec
chars et hélicoptères au déblayage et remblais. Ils sont maintenant radioactifs
et abandonnés à ciel ouvert dans un vaste cimetière. On est pétrifié. On peut
se demander si l’arthrite qui m’accable depuis six semaines n’est pas une
conséquence de cette tragédie et peut être le début d’une maladie plus grave.
Dans la semaine du 16 Avril, une journée faste car j’ai eu le même jour
des nouvelles de la promotion de quatre de mes œuvres et j’ai reçu un
prospectus des Presses d’Edimbourg annonçant la parution des traductions
anglaises de La Jeune morte en robe de dentelle et aussi de La
Meurtritude ainsi que du livre de Jennifer Waelti-Walters.
Au téléphone une interview d’une heure par une femme qui voulait
traiter de La Pensée Corps dans un article dans la revue Interactive. Les questions qu’elle pose
sont intelligentes et j’éclaire sa lanterne avec application et efficacité
puisqu’à la fin nous tombons d’accord sur la nécessité d’un CDROM sur Internet
pour La Pensée Corps. Cela s’impose en effet puisque dès le début ce
livre a été conçu comme un hypertexte informatique. J’ai eu tout de même du mal
à faire comprendre à cette jeune femme de vingt-six ans que lorsque j’ai écris
cette œuvre, Internet n’existait pas encore.
Enfin la revue Europe m’a
annoncé qu’elle publierait cet hiver Fragments du Tiers-Drame que je lui
avais proposé au Salon du Livre où je m’étais traînée avec mes béquilles.
Au Lycée, il n’est plus exceptionnel qu’il manque sans aucune raison,
un quart de la classe. Personne ne fait rien, ce qui n’est pas nouveau mais
lundi il n’y avait que cinq livres pour trente élèves, et j’ai failli tout envoyer
dinguer.
Le Proviseur de son côté tente d’instaurer pour la section comptable un
Coordonnateur. Lors du Conseil
d’Enseignement j’ai dis Puisque la mode
est à l’Amérique, pourquoi ne l’élirait on pas ? Ce à quoi il répondit
D’accord s’il est bon ! A la
Cantine je reviens à la charge auprès de mes Collègues qui ne nient pas par
ailleurs que notre section périclite complètement et s’en plaignent.
Mais ils me disent aussi carrément qu’il n’est pas question de l’élire
et qu’on doit décider par consensus en
fonction des services de chacun. Ce qui de fait revient à dire avec le
décodeur que le petit consortium des Professeurs de Mathématiques, de
Comptabilité et d’Informatique s’organise entre soi au mieux de ses intérêts
professionnels et qu’il n’est à aucun moment question de coordonner
effectivement le travail et surtout pas avec les Collègues qui ne font pas
partie du lobby.
Ce sont d’ailleurs les mêmes qui il y a deux ans avaient fait un pré-conseil
avant le Conseil de Classe officiel dont j’étais, pour faire redoubler le quart
de la classe de 1TSC2, notamment tous les Elèves Noirs. Ceci comme sanction à
leur participation au Mouvement de Lutte contre le CIP (SMIC Jeune). Ce qui est
également apparu à ce Conseil d’Enseignement, aussi bien chez eux que chez le
Proviseur, c’est l’absence totale de toute préoccupation d’améliorer
effectivement - c'est-à-dire dans la réalité - le fonctionnement de la section.
A côté de cela, dans la Salle des Professeurs, l’ambiance est tout de
même meilleure comme si chacun avait pris conscience qu’on était effectivement
condamné et que s’était mise en place une sorte de gestion collective des
dérives et problèmes de chacun, le groupe apportant par consensus -
effectivement - une solution. Cela en proportion du fait que la situation
empire dans les Classes. On pense aux fourmis qui dans une inondation
s’accrochent les unes aux autres pour former ensemble une île flottante
salvatrice.
Je déteste le mot globalisation
qui remplace celui de mondialisation
en en évacuant ainsi la réalité matérielle mais il est néanmoins en passe - à
mon grand désespoir - de l’emporter. Il s’impose tellement que je ne peux pas
moi-même m’empêcher de l’employer.
Traversant la Lozère avec le chantier de l’A 75 qui n’est pas encore
terminé et qui fait en son sein et sans utilité une saignée, il m’est venu la
réflexion suivante : Irrationnelle du point de vue des transports
puisqu’elle est vide et double une voie déjà à Grande Vitesse - elle-même
déserte - elle révèle cette manie des ouvrages d’Art sans rapport avec le
contexte et répondant sans doute à des nécessités biologiques. L’HOMME n’est-il
pas alors simplement le frère aîné de la taupe et du castor aménageant son
territoire ?
D’où vient qu’on s’étonne avec l’an 2000 de voir survenir des choses que
la prospective avait pourtant annoncées ? C’est que la prévision avait été
faite par l’intelligence machinique alors que les dégâts sont
constatés par l’émotivité et il s’agit alors de deux zones cérébrales qui ne
communiquent pas nécessairement. Comme si le combat entre l’homme et la machine
avait lieu à l’intérieur de nous…
A la Radio on entend Alain Finkielkraut dénoncer avec fureur
l’aberration ontologique du drame de la
Vache Folle et tenter de promouvoir l’idée qu’il faut réfléchir à tout cela du point de vue de la vache. Je suis
bien heureuse d’entendre cela parce que c’est exactement la même chose que
j’exprime avec le concept de PENSER LA MERE, c'est-à-dire repenser notre
philosophie en se situant du point de vue
de celle-ci.
Dans un Lecture pour Tous de
1917, outre un superbe poème d’Edmond Rostand qu’a dû copier et développer
Aragon, des photographies de guerre qui poussent à la réflexion suivante :
Les hommes d’aujourd’hui ne seraient plus physiquement capables d’un pareil
effort corporel. J’y apprends aussi la vie des animaux durant toute cette
période et leur retour à la sauvagerie. Les cochons se mêlant à des hardes de
sangliers et les chats rejoignant les poilus dans les tranchées. Sans compter
le rôle des chiens comme estafettes. Mais cela je l’avais découvert la semaine
précédente dans une nouvelle d’Erynbourg.
Ouverture d’un nouveau supermarché Leclerc à Creissels près de Millau,
mais d’un tout autre modèle. De petit format, il présente peu d’articles et le
choix est restreint. Dans toutes les références, il n’y a le choix qu’entre
deux couleurs, le bleu et le vert. Cela crée une angoisse intense. D’abord bien
que le vert et le bleu s’harmonisent parfaitement, on est oppressé de voir que
c’est la firme Leclerc qui va décider des couleurs de la vie quotidienne et
qu’ils pourraient bien - au nom de la rationalité - en faire supprimer la
plupart pour les réduire effectivement à deux. Je ne sais pas si un livre de
science fiction a eu cette idée. En résumé si on analyse le fonctionnement
global cela donne : Après avoir ruiné le petit commerce qui avait
l’avantage de l’hétérogénéité même chère, on a supporté l’homogénéisation parce
qu’il y avait quand même du choix et maintenant, c’est l’homogénéisation et
l’absence de choix. L’horreur ce 29 Avril 1996 !
Quarante Sixième carnet : Mai 1996.
Ce carnet s’appelle Burned Out
et c’est bien de cela dont il s’agit. Au stoïcisme du TROP TARD ou du CA N’A
PAS D’IMPORTANCE qui était précédemment ma réponse aux événements, succède
désormais un TANT PIS de détachement qui n’est pas de l’indifférence mais
quelque chose qui relève - aussi scandaleuse que peut paraître la comparaison –
de l’univers carcéral.
Mars et Avril 1996 ont été deux mois de quasi invalidité en raison
d’une arthrite rebelle au traitement et incompréhensible dans sa cause après
les examens appropriés. De mon côté, je l’attribue à la pollution. Je ne suis
même pas sûre de réussir à aller au Congrès du CIEF à Toulouse, congrès auquel
je suis me suis inscrite par mes propres moyens, sans y être invitée et alors
même que je n’ai publié aucun livre depuis 1990.
La vie d’aujourd’hui est faite de petites et de grandes horreurs. Le
négationnisme de l’Abbé Pierre que Claude Lanzmann replace dans une stratégie
d’ensemble du Vatican pour abolir le judaïsme. L’incendie du siège social du
Crédit Lyonnais gangrené par les affaires mafieuses et au bord de la faillite.
Ainsi ont été détruites toutes les archives contenues dans le plus grand
bâtiment civil de Paris. Les salariés ont été mis au chômage partiel, payés à
mi tarif...
Cela évoque à Chantalle l’incendie du Reichtag, mais à moi-même plutôt La terre de la Grande Promesse le film
d’André Wajda traitant de la fureur du capitalisme naissant. Là c’est le
cannibalisme renaissant !...
Enfin la fatwa lancée par le Conseil des Musulmans de France agissant
là en tant qu’organe législatif du Droit Coranique. C’est une première ! Ne manquent pas de signaler les médias
toujours en retard d’une lucidité.
Au déjeuner avec mes amis de Montréal, j’ai développé ma compréhension
du nazisme comme le stade suprême du Capitalisme, l’organisation utilitaire
après la capitalisation. C’est la métaphore du film de Bilal Bunker Palace que je leur ai signalé
comme telle. Après-midi heureux avec eux, bien que leurs positions habituelles
sur la francophonie me déconcertent.
A une brocante en banlieue, sur le parking des bus au Carrefour Pleyel,
la misère serrait le cœur. On se serait crû dans un camp de réfugiés du Tiers
monde et le bas prix auquel étaient vendues de pauvres choses donnait à
réfléchir sur le niveau de vie de la population de ce quartier pour moitié
arabe. C’était organisé par des gens qui pouvaient indifféremment appartenir au
Parti Communiste, au Front National ou même simplement par la Mairie, car aucun
signe distinctif ne permettait de le comprendre. J’ai acheté pour cinq francs
une remarquable potiche baroque. Le retour en autobus cent soixante-quatorze
m’a fait traverser Saint Ouen et Clichy en pleine rénovation de bon aloi. De ci
de là, quelques belles habitations anciennes ont été préservées avec succès et
les masures ont toutes disparues. C’était pour aller consulter une
gastro-entérologue que j’avais fait la première fois la découverte de ces quartiers.
Le négationnisme gagne en
Salle des Professeurs ! On sent bien que le tabou a été levé. On s’épuise
à intervenir. On ne parvient pas à enrayer notre chosification qui avance
inexorablement. Sentiment partagé par les amies à qui j’en ai parlé.
Dans Le Nouvel Observateur de
cette semaine un manifeste signé par deux cents quarante-trois personnalités
pour demander la légalisation des couples homosexuels. Nous avons fait - comme
le dit si joliment Denis Roche - plus que diverger. Ce qui me déplaît dans
cette affaire, c’est le refus d’assumer la transgression. Comme en Salle des
Professeurs, je l’expliquais, Noël répliqua que tout le monde ne pouvait pas être
héroïque.
Par la suite je me suis sentie humiliée de découvrir quelle mascarade
était donc devenu le mariage et ce que avait été les vingt années écoulées pour
qu’on en arrive là. La réponse serait donc plutôt d’abolir le mariage, comme on
liquide quelque chose en faillite.
Lu dans Quelque chose de pourri de Malaparte, l’idée que l’homosexualité de masse est une réponse
à la tyrannie. Je ne suis pas convaincue mais il faudrait y réfléchir. Je crois
davantage à l’impossibilité de se projeter dans le futur.
Une conversation avec Chantalle sur ce sujet fait apparaître un
parallèle avec le fonctionnement de l’anorexie qui préfère se laisser mourir de
faim pour pouvoir dénoncer ce qui est imposé. Dans cette perspective, on
analyserait alors que plutôt que l’impuissance imposée par la tyrannie, mieux
vaut encore l’homosexualité puisque l’hétérosexualité de toutes façons n’y est
plus possible en raison de l’absence de projet d’avenir. Il faudrait y ajouter
également le refus de la différence. Encore faudrait-il analyser plus à fond
les logiques de la tyrannie et du totalitarisme qui ne sont pas la même chose.
L’homosexualité échoue à s’opposer au totalitarisme mais parvient peut être à
s’opposer à la tyrannie, en réintroduisant de la tendresse.
Hier soir Conseil de Classe dans le style habituel, c'est-à-dire les
Collègues étant bien décidés à se débarrasser au maximum des Elèves qui - selon
l’expression consacrée - ne sont pas de
souche comme l’avait fait radicalement la fine équipe en 1994. C'est-à-dire
en exclure ou faire redoubler un maximum. Je m’étais donc prémunie en me
renseignant sur ceux qui étaient dans la ligne de mire, à savoir les Juifs, les
Arabes et un métis de Kanak… J’ai pu parer les deux premiers coups avec
suffisamment de fermeté pour faire renoncer à l’idée de l’exclusion. De son
côté le Proviseur lui-même se souvenait de l’affaire de 1994. J’ai ainsi réussi
à empêcher le départ d’un Juif Marocain et du métis de Kanak, qui même s’ils
sont faibles ne le sont pas tellement plus que les autres, puisque c’est la
situation de l’ensemble de la classe.
Quant aux 1e4G pour qui j’avais réussi à obtenir pour le 3 Juin, la
conférence sur la drogue qu’ils m’avaient massivement demandé d’organiser, j’ai
trouvé une lettre du médecin scolaire qui l’annulait en raison de la proximité
des examens. J’ai répercuté aux Elèves qui ont comme moi-même, failli en
pleurer. Ne connaissant rien à la question j’ai dû pour les dépanner, écrire au
tableau des adresses trouvées dans les prospectus charitablement distribués par
l’Administration du Lycée…
Quand on pense que l’Inspectrice m’a demandé de truquer le cahier de
textes et que je me suis retrouvée à donner des adresses pour obtenir des
seringues propres… En 1990 le Proviseur m’avait dit que c’était de la
non-assistance à personne en danger de ne pas avoir donné suite à une demande
des Elèves…Cette fois ci j’ai donc essayé mais sans davantage de succès… Sans
doute devais-je déjà savoir à l’époque que je ne pouvais compter sur personne.
Comme suite, sans doute au mot d’Alain Juppé qui a dit mercredi que les
fonctionnaires faisaient de la mauvaise
graisse, il y a eu au Lycée deux attaques aujourd’hui contre LES GROS.
L’une directement contre moi qui me suis radicalement défendue et une autre
contre la femme de le Pen. Sans doute, ces gens-là ne pensaient-ils pas qu’en
reprenant ces thèmes ils emboîtaient le pas à un mot d’ordre ! D’ailleurs
moi-même, sur le coup je n’ai pas fait le rapprochement mais seulement par la
suite, en y réfléchissant. C’est sans doute ainsi que se véhicule la propagande
totalitaire, circulant d’inconscient à inconscient et évitant même la
conscience. Il s’agit là bien sûr d’attaquer le corps de la mère et de tuer
pour régler la question. C’est la même logique que celle de la vache
folle et à mettre en relation avec
l’extension du négationnisme.
Le tutoiement s’étend et c’est très pénible. Après une des femmes de
ménage du Lycée que je ne connaissais pas, c’est un des factotums. Les mêmes
d’ailleurs qui s’installent de plein pied dans notre conversation à la Cantine,
sans même respecter un délai d’approche. Même symptôme chez un employé de la
SNCF et la secrétaire du Proviseur. Il n’y a dans ces tutoiements aucun élément
affectif ou politique comme cela aurait pu être le cas dans les Septantes mais
là, la simple volonté démocratique d’abolir tout signe distinctif d’une
fonction quelconque.
A rapprocher de l’incapacité pratique des Elèves d’identifier un lien
quelconque. Dans un TP de Droit, ils ne pouvaient pas faire la différence entre
la situation coup de main
à un ami et la relation de patron
à salarié
pour la réfection d’un mur. Ce TU est à l’opposé de
celui que j’emploie dans ma littérature et c’est pourquoi il m’est si
douloureux, comme un signe supplémentaire de la profanation généralisée qui est
à l’œuvre.
Dernière galéjade des Collègues de Sciences et Techniques Economiques.
A la suite d’une redistribution des services due au départ de l’un des leurs,
DN et TNG ont demandé directement aux Elèves de Deuxième Année de BTS
Comptable, les cours d’analyse financière que leur avait fait Odile
Chamayou … pour pouvoir de leur propre aveu, faire le même l’an prochain !
Comme cette dernière se plaignait du procédé sur le fond comme sur la forme,
elle s’est faite rembarrée grossièrement par DN. Pourtant comment s’étonner
qu’un ancien PEGC monté du Lycée Professionnel à la faveur de la politique
mitterrandienne doive copier les cours de celle sortie de l’ENSET !
Il m’est venu l’idée que la volonté de mes Collègues d’éliminer les
Elèves Prolétaires ou dits non de souche
qui sont désormais les nôtres, trouve sa source dans la volonté d’éliminer le
miroir de ce qu’en vingt ans le Lycée est devenu. A savoir au milieu de la
Médina, un Etablissement en déshérence
dans lequel on n’apprend rien et vers lequel on vient lorsqu’on n’a rien de
mieux à faire. On ne peut pas encore dire que les Professeurs et les Elèves
n’en font qu’à leur tête mais on sent que cela vient. Des Collègues ne se
cachent même pas de ne pas assurer les cours qu’ils devraient faire.
Vu ce graphitage Capitalisme-Démission !
Vendredi au Lycée un accrochage carrément désagréable. Comme il était
question de créer une section syndicale SUD et que je disais que j’allais y
adhérer, MFS m’a brutalement reprochée d’avoir fait grève toute seule et d’être
à ce sujet prétentieuse, étant donné qu’eux aussi avaient fait grève mais
qu’ils ne s’en vantaient pas. La contradiction sur le coup ne m’a pas frappée
car j’avais dû d’abord faire face à l’émotion. J’ai répondu par une profession de
foi libertaire, leur expliquant que j’étais d’autant moins liée par leurs
décisions qu’ils n’en prenaient jamais.
Elle a alors renchéri de cette curieuse injonction Puisque tu respectes la loi, tu dois respecter les décisions du groupe.
Notons que pour un Professeur de Droit, cette conception des choses est
bizarre. Leur position elle-même étant le produit de la propagande télévisuelle
cela ressemble tout de même à une société totalitaire, d’autant plus que
l’autre faction procède de la même façon, les idées politiques n’ayant la
dedans pratiquement aucune importance.
Notons la remarque que m’avait faite F sur les faisceaux des fascistes,
faisceaux qui étaient un ensemble de branches liées ensemble pour être des
verges. Quant à la croix gammée, je pense que de son côté elle fascine, parce
qu’elle évoque le supplice de la roue.
Enfin des Collègues gauchistes m’ont sommée de venir aider les immigrés
clandestins qui s’étaient réfugiés dans l’Eglise Saint Ambroise. Je leur ai
répondu que si les choses continuaient ainsi ce serait bientôt moi la réfugiée
dont ils ne s’étaient d’ailleurs guère préoccupée.
Comme j’annonçais que je ne serai pas là au pot de fin d’année parce
qu’allant faire des conférences à Toulouse, ils se sont moqués de moi sur le
thème d’aller faire des confitures, en me donnant des recettes… Puis MFS a fini
par - pleine de rage - vitupérer qu’elle ne savait pas s’exprimer aussi bien
que moi car elle disait elle, elle n’avait pas fait l’Ecole du Parti ! J’ai répondu qu’elle
m’insultait mais comment pouvait elle le comprendre, comment pouvait-elle
saisir qu’il était contradictoire d’être à la fois libertaire et stalinienne ?
Mais c’est la passion qui les aveugle et la focalisation sur la victime
expiatoire.
Personne ne supporte plus personne, et les incidents ont lieu à
répétition. On entend en salle des Professeurs des choses ahurissantes depuis
la négation de la Résistance Allemande sous le nazisme à la nécessité
d’apprendre à lire aux enfants, et comme je démens systématiquement toutes ces
contre vérités - outre le fait que cela me fatigue énormément - mes Collègues
deviennent de plus en plus violents, au dernier degré avant l’insulte.
Le bibliothécaire M qui a déjà supprimé l’abonnement que j’avais réussi
à faire prendre à la Revue Esprit a expliqué à la Cantine qu’il fallait tous
les ans, se débarrasser des livres ! Comme je lui demandais s’il les
jetait, il m’a répondu qu’il les vendait chez Gibert ! J’ai repris que
c’était là que je les rachetais…
Les huit moines français enlevés en Algérie il y a deux mois ont été
froidement assassinés. On en est pétrifié d’horreur et écœuré d’entendre la
calotte tenter de nous mettre le grappin dessus dans le style de Notre Dieu… et le leur…C’est
dégoûtant !
La belle librairie de l’Avenue Franklin Roosevelt se met à vendre des
livres d’occasion ! C’est tout dire… Je tombe sur un Bernard Delvaille -
Trente Francs - Derniers outrages que j’attaque aussitôt. Et il
m’apparaît là que ces livres d’hommes dans la Collection Textes chez Flammarion sont le pendant des livres des Editions des
Femmes de la même période de l’après soixante-huit et qu’il y a eu là une
formidable révolution littéraire à laquelle –Deo Gratias- j’ai
participé. Il me saute aux yeux que cette histoire d’écriture féminine est une
vaste fumisterie. Après vingt ans, c’est une évidence ! Le MLF littéraire
et la Collection Textes ont tout en
commun et sont plus proches les uns des autres, qu’eux tous du reste de la société.
Emane de tous ces livres, la même plainte qui sourd en fragments parce que tous
ces êtres ont été broyés.
Moi-même j’ai écrit mes livres par fragments, et - avant le cancer en
1982 – les ai ensuite réunis pour faire un seul texte, et cela de justesse. Le
corps y est omniprésent, l’individualité exacerbée et la cruauté psychologique
totale. Il y a eu là une cassure dans la littérature et elle m’a échappée à
l’époque. Sans doute cette cassure littéraire annonçait elle la fracture
actuelle.
J’ai lu dans la foulée A l’Ami qui ne m’a pas sauvé la vie
d’Hervé Guibert qui me parait décidemment un écrivain et dont j’ai déjà lu Les
Parents Le Protocole compassionnel et Le Fou de Vincent. Il
m’apparaît dans la même lignée que ce que je dis plus haut. Leur homosexualité
est pathétique comme une sorte de pendant de notre révolte féministe. Et aussi
une issue face à ces femmes puissantes et revendicatrices. Le SIDA en est la
phase suivante comme chez nous la stérilité : une sorte de pénétration
intime de la mort sociale ambiante, jusque dans le c(h)œur
de l’être.
Je revois à une terrasse de café MFS. Je reviens sur la pénible
conversation que nous avons eue récemment au Lycée et je lui en montre - ce qu’elle admet - les contradictions. Elle me dit
que certains de nos Collègues se sentent inférieurs à moi et que c’est comme dans un couple il faut faire des
concessions ! Je n’en reviens pas et l’envoie gentiment bouler.
Mercredi : Onzième visite médicale pour tenter de guérir mes
genoux qui me tourmentent depuis trois mois. Le rhumatologue me renvoie au
généraliste… et du coup la boucle est bouclée ! J’en suis accablée !
Laquelle diagnostique une tendinite consécutive à la Chimiothérapie, tendinite
cachée par l’arthrite…
L’Américaine qui m’avait parlé du procès engagé par les Nouvelles Questions Féministes m’a
apporté l’article litigieux qui est effectivement ordurier et justifie le dépôt
de plainte. Je me félicite d’être restée en dehors de tout cela.
Nous devisons également sur les manœuvres à l’œuvre pour arracher l’enfantement
aux mères et que les militaires ont même engagé des recherches dans ce sens.
Elle me dit que dans l’ensemble les femmes sont pour, parce qu’elles vivent
cela comme une libération et qu’il y en à peine une douzaine pour s’y opposer.
Je lui conseille de créer une association pour les rassembler, ce qu’elle
accepte de faire.
Je lui raconte ensuite ce que j’ai découvert concernant la Collection Textes de chez Flammarion la semaine
précédence. Ce qu’elle admet parfaitement ajoutant que la fragmentation des
textes est à mettre en relation avec la fragmentation des corps. Elle ajoute en
plus de tout ce que j’ai déjà écrit, l’idée que le sperme est devenu inutile,
comme si l’homosexualité et la stérilité avaient été les deux facettes d’une
même situation annoncée déjà par les œuvres de ces gens là. Le SIDA, les
préservatifs, la séparation des sexes, la stérilité générale et la dislocation
étant venus ensuite.
Les Comices Agricoles à Yvetot. J’y vois avec des chevaliers en
tournois, le plus mauvais spectacle vivant que je n’ai jamais vu et je suis
pourtant bon public ! Les moutons sont moins beaux que ceux de la foire de
Neuchâtel. Mais il y a de beaux chevaux, leurs queues tressées avec des rubans
tricolores.
Retour par Rouen. L’ancien Hôtel Dieu où j’ai accouché si heureusement
a été rénové et rutile désormais comme un vrai Palais.
C’est en lisant le Bifures de Michel Leiris que je comprends
enfin ce qu’est un ratage alors que jusque-là j’étais plutôt choquée lorsqu’on
évoquait cette prétendue catégorie. Ce n’est pas que l’œuvre de cet auteur soit
inexistante - loin de là - A Cor et à cri est même un chef d’œuvre et à
la Martinique j’ai pour mes élèves, utilisé ses livres. C’est même ainsi que je
l’ai connu. Mais son Journal me paraît sans intérêt et ce Bifures
au cœur même du ratage.
Concernant la liquidation accélérée de la France, une conversation de
fond me fait apparaître que la disparition d’un monde est une chose fréquente.
Aux premiers exemples de l’Algérie Française, de l’Indochine, de l’URSS, de
l’Algérie du FLN, mon ami en ajoute bien d’autres, du Mali que nous avons
connu, à l’Afrique du Sud de l’apartheid, l’Ethiopie, l’Iran du Shah, sans
parler bien sûr du Proche Orient et de la Yougoslavie… Et de fait c’est exact !
Son idée de dire qu’un monde disparaît chaque année pourrait presque être
prouvée.
C’est donc bien parce que cela nous arrive aujourd’hui à NOUS, qu’on
est - selon lui - tellement affecté ! Je crois qu’il y a quelque chose de
plus. Outre le fait que c’est un ethnocide
comme je l’ai déjà écrit dans mes carnets précédents, c’est que la liquidation y ait lieu sans évènements
militaires ou symboliques qui permettraient de prendre appui pour l’affronter.
Selon mon analyse, elle a eu lieu par le Droit. Dans cette perspective, l’acte
fondateur se serait le Traité de Maastricht. La douleur venant alors en plus du
fait que la population aurait consenti à sa destruction… bien sûr sans savoir
car ne l’ayant pas lu. Ce que de mon côté j’ai pourtant fait, mais sans connaître
personne d’autre dans ce cas.
Dernière obscénité en cours, l’offensive catholique que Claude Lanzmann
a déjà dénoncée à propos d’Auschwitz se poursuit dans la ferme volonté de
transformer en martyrs, les huit moines français assassinés en Algérie - en martyrs
de la foi - alors que se sont les victimes du GIA. Aller les enterrer dans leur
prieuré pour le promouvoir en centre de pèlerinage me paraît particulièrement
obscène dans la conjoncture déjà terrible. C’est un peu comme en rajouter dans
le sens de la croisade qu’on sent déjà si tragiquement venir.
Enfin en lisant cette semaine dans Le
Monde, le récit de leur vocation depuis leur abbaye d’origine - j’ai la
certitude comme j’en avais déjà l’intuition avant cette lecture - que la dite
vocation, comme bien d’autres a été téléguidée dans le cadre d’un plan
d’ensemble. Tout cela me dégoûte. La déclaration de Lustiger après l’assassinat
Il faut que les Musulmans extirpent la
haine de leur cœur va bien dans ce sens là et est parfaitement assortie à
celles de l’Abbé Pierre dans le sens des Négationnistes.
Entendu dans la bouche d’un médecin : Lorsque je suis sortie de la faculté de médecine, je savais tout
soigner ! Sous-entendu avec le SIDA, ce n’est plus le cas…
L’épidémie de la Vache Folle prend de l’ampleur : Le chantage anglais au blocage de
l’Union Européenne nous mène doucement vers la levée de l’embargo. C’est déjà
fait pour la gélatine, le suif et le sperme bovin ! Et on apprend dans le
même mouvement que les chercheurs ont transmis la maladie aux moutons seulement
en leur faisant manger du bovin contaminé, ce qui veut dire que cela peut se
transmettre simplement à l’homme par le bifteck ! Il ne suffit même pas de
boycotter la viande car la gélatine est utilisée dans de nombreux produits. On
est inquiet, accablé et scandalisé. Terreur archaïque infantile de la
nourriture empoisonnée mais en plus celle biologique de constater qu’ils
entendent continuer à nous vendre sans réglementation des produits mortels pour
capitaliser avant de tuer.
Tout concourt à faire apparaître aux yeux de tous que nous sommes la
proie des mafieux, ce dont j’ai acquis la conviction depuis l’éclatement de
certain scandale que j’ai étudié en détail avec les élèves, lors d’une séance
de TP….
On apprend que la maladie de la Vache Folle est effectivement transmissible à l’homme.
Arrivée stupéfiante à Toulouse pour le Congrès du CIEF dans une ville
qui rutile rose après une remarquable restauration qui rend méconnaissable
celle de 1979 où je m’étais rendue après un mois de vacances en solitaire. On
dirait les palais de Saint-Pétersbourg en une autre couleur, les immeubles
ayant été soulagés de leur crasse, peinture, crépis, enduits quand ce n’était
pas de la fausse pierre. Le résultat est hors du commun et fait apparaître
Paris encore plus nécrosé. Nous sommes logés au Grand Hôtel sur la Place du
Capitole.
Avec JMG et un autre participant que j’ai connu au Québec, nous allons
superbement déjeuner. On me répercute illico les concepts nouveaux qu’on tient
d’un tunisien – à savoir la souchitude et
l’orignalité - dont j’avais justement
besoin. Je les développe comme l’insurmontable douleur de la mémoire de la mère
pour le premier et l’américanité hors sol achevée pour l’autre. Je propose
qu’on résume en Sud et Ouest, et JMG en Holité et Lassitude !
Un dîner très pénible avec trois femmes qui semblent avoir pris le
parti de m’humilier en tant que française et s’étendent sur l’idée qu’on ne
trouve rien à acheter qu’on ne trouve ailleurs, en dehors des enveloppes
doublées indispensables pour que les Français ne lisent pas le courrier et des
serviettes en cuir à moins de deux cents Francs. Je suis choquée et obligée de
leur dire qu’aucun des pires franco-français ne se permettraient même de parler
ainsi de l’Afrique - ce qui jette un froid - et j’ajoute que La France résistera encore lorsque
l’Amérique aura disparue déclenchant chez l’une d’entre elles, cette phrase
magnifique Je ne vois pas ce qui pourrait
détruire l’Amérique qui ne détruirait pas le monde. Ce n’est qu’après coup
que j’ai compris que cette attitude si pénible était la compensation au fait
qu’elles s’étaient par mégarde laissées piéger dans un dîner qu’elles n’avaient
pas financièrement les moyens d’assumer, en raison d’un taux de change du dollar
très défavorable pour elles.
Au matin je décode mon malaise comme je comprends que le futur de la
France, est comme le Cuba de Batista d’être un lupanar exotique. A entendre
certains, ce sont eux qui ont inventé la langue française et il y aurait des
droits à payer pour l’utiliser. Déjà au café, l’une disait que les gens qui
étaient attachés à un lien, c’est parce qu’ils ne tenaient pas debout par
eux-mêmes.
J’entrevois même qu’ils sont bien capables de déposer des brevets de propriété pour les
œuvres tombées dans le domaine public. Et je suis horrifiée parce que j’ai
l’impression que c’est vrai et que c’est la cause de ce négationnisme vis-à-vis
de la France à laquelle ils voudraient se substituer. En fait, ils sont en
train d’intégrer le Français comme un dialecte de l’Américain, probablement
parce que le Québec et la Louisiane vont se rassembler dans une enclave
francophone… L’Hexagone n’étant plus qu’un déchet. Ce que je sens de plus en
plus…
A Toulouse au Marché, davantage de masques Africains et plutôt plus
beaux que dans tout le Musée de l’Homme…. C’est l’une des conséquences de la
mondialisation ! Vu également un marchand de linge bon marché du genre de
Tati, dont l’enseigne était LE KOULAK.
Et enfin une inscription Le
réveil sonne, c’est la première humiliation de la journée ! Ce n’est
pas tout à fait faux !
Session sur la redéfinition de la Francophonie.
Mes considérations des jours précédents se confirment. Est à l’œuvre en
Amérique du Nord la fondation d’une Nouvelle France rendue indispensable par
l’absorption du Canada par les Etats-Unis. Il ne s’agit plus là de ce que j’ai
appelée L’AMERIQUE EN FRANÇAIS tout en développant en 1984 le concept de
CONTRELANGUE. Il s’agit de la cristallisation d’une refondation qui a prétention à capitaliser à son profit la
francophonie et le capital culturel français. A noter par exemple cette
réflexion entendue On a besoin de
consulter les archives mais la Sorbonne n’est pas sur Internet. Et tout le
monde de s’esclaffer et de se taper sur les cuisses. On nous explique ensuite
de façon très offensive, qu’il n’y aura pas de francophonie si l’Amérique n’en
est pas. C’est plus que de l’impérialisme, c’est de la menace sans doute à
cause des enjeux économiques sous-jacents.
La micro édition rend possible l’impression de textes retrouvés dans
toutes sortes de français oraux et marginaux plus ou moins approximatifs en
raison des circonstances. Par exemple le journal d’un bagnard canadien français
déporté en Australie en 1830 et autres chefs d’œuvre ejusdem farinae impossible
à éditer à deux mille exemplaires mais praticable à deux cents. La question se
pose alors d’établir une version écrite correcte en corrigeant les fautes mais
ils me demandent comment. Notamment jusqu’où corriger ?
Je leur dis de faire comme il a été fait au moment de la transcription
des langues africaines, à savoir établir un code mondial homogène qui
fonctionne dans tous les cas de figures. Mais on ne me comprend pas. Ils
donnent ensuite un exemple, à savoir comment transcrire GOMME ou GUM, l’enjeu
étant de choisir si cela serait compréhensible uniquement par les Américains,
ou si les Hexagonaux pourraient également en profiter. Un autre exemple portait
sur la serpillière à vaisselle
et je suis bien convaincue que ces exemples n’étaient pas le fait du hasard,
mais des métaphores totalement symboliques.
J’interviens pour leur dire que c’est le quart d’heure de vérité, la tea party
culturelle et linguistique. Soit ils
se décident à jeter à la mer les règles du français et ils se débrouillent pour
inventer ce qui leur manque : l’indépendance langagière, soit ils ont
besoin des codes français et ils les respectent en reconnaissant que la place
de la France dans la francophonie n’est pas la même que celle des autres pays.
Je leur dis même que c’est une question politique, mais je me heurte
naturellement au mur habituel… car il est des endroits où la France elle-même a
disparu, digérée par la francophonie. Heureusement deux ou trois femmes viennent
ensuite sournoisement me dirent leur soutien.
Il me semble qu’au-delà des intérêts matériels antagonistes existants,
il y a du révisionnisme dans l’air, si on entend par ce terme
l’inversion/substitution du lien avec la mère, qu’on dévore et dont on prend la
place. Je crois qu’il faudra bientôt payer des royalties pour utiliser
l’imparfait du subjonctif ou citer Christine de Pisan. Je le sens à la dureté
des affrontements dans les conversations, dureté qui rompt singulièrement avec
les ambiances habituellement très amicales.
Contresens d’un participant sur mon être-lieu. Je rectifie d’un là où
nous sommes la mère n’est plus projetée, elle est prise en charge par tout
le monde. Et comme par ailleurs je disais dans une conversation au
restaurant qu’il ne fallait pas retourner dans le ventre de sa mère, six
personnes au moins m’ont avec ravissement demandé Et pourquoi ? Avec un étonnement sincère et naïf !
C’est que dans le nouvel ordre mental il n’y a plus projection, mais
ENJECTION concept que j’ai déjà évoqué ailleurs et qui doit être une nouvelle
position ontologique, celle du fœtus dans le ventre de sa mère. Il resterait
alors à inventer celui qui permet de nommer la mère enjetée dans/en laquelle on nide.
Ce qu’on sent un peu partout et que je perçois la plupart du temps comme un
cannibalisme. Et un autre pour nommer le retournement entre la projection et l’enjection. Pour moi, l’entrée au CIEF.
L’amicalité qui y règne s’expliquerait alors parce que la mère n’a plus besoin
d’être polarisée sur quelqu’un.
Par ailleurs, stupéfaction de voir l’apparition d’une nouvelle
génération de femmes qu’on qualifie de post-féministes non comme une contre
révolution mais comme la négation même du concept de femme qu’elles réduisent à une fiction littéraire !...
Lu dans l’autobus cette inscription Skins,
prenez le chemin des fours car tôt ou tard nous vous décimerons ! Signé un
citoyen. Et aussi cette autre Le Pen
suce la bite à Hitler.
21 Juin 1996
Au Marché de la Poésie, je suis allée voir Michel Cluny que j’avais
rencontré à Toulouse pour lui proposer mes poèmes puisque je le croyais à tort,
Directeur aux Editions de la Différence alors qu’il n’en était que le manager
des traductions classiques. Comme de fil en aiguille j’en étais arrivée à lui
dire que dans le monde littéraire, les femmes étaient discriminées, que c’était
vraiment dur pour elles et même de plus en plus, il m’a répondu le plus
sérieusement du monde que ce n’était pas vrai, qu’il avait fait le compte et
qu’il y avait dix pour cent des publications qui étaient écrites par des
femmes !... Sans doute pense-t-il que le Parlement n’en ayant que cinq
pour cent - lanterne rouge de l’Europe - il est déjà très au-dessus de la
moyenne…
Quant au sketch sur le SIDA que mon ancienne partenaire de théâtre a
joué dans les allées du Marché, il a terriblement choqué ! Les gens
étaient gênés. Je partage leur attitude car dans les conversations le sujet est
devenu tabou tandis que sa prestation à elle était vulgaire en ramenant le
problème au niveau du caoutchouc et de l’érection, alors qu’il s’agit en fait
d’un mal sacré !
Mal sacré non pas par l’issue fatale car nombreuses sont les maladies
mortelles mais par l’empêchement qu’il fait de la poursuite du vivant voire
même de toute sexualité. C’est le corps social tout entier qui est là, frappé.
Il s’agit donc d’un fléau plus que d’une maladie. Le ramener à soi pour des
revendications individuelles ou catégorielles est assez indécent même si ces
aspects existent effectivement.
J’écrivais il y a plusieurs mois que les patrons licenciaient par
paquets de mille. Mais on n’en est plus là car désormais, c’est par paquets de
cinq mille. Au Crédit Lyonnais, dans les arsenaux et aussi chez Moulinex. On ne
pourra pas dire que les gens ne se sont pas défendus. Depuis dix ans les
manifestations ainsi que l’agitation sont de plus en plus violentes et n’ont
jamais cessé mais elles sont inopérantes. On est dans la logique du les chiens
aboient et la caravane passe, la globalisation ultra libérale étant la caravane et les
gens, les chiens ! Entendons là par gens,
les salariés et ceux dont le destin est lié à ceux-là, les artisans de la vie
quotidienne et les petits commerçants. La liquidation avance tous les jours
davantage. Je me souviens de ces banlieusards qui à Vars en 1991 disaient déjà,
on les a vu arriver
par quartiers entiers.
Je perçois la mort métaphoriquement comme un autobus qui arrive à une
station où on l’attend. On monte dedans et on y retrouve les passagers déjà
installés. Ce sont ceux qu’on a connus, qui sont déjà morts et vous accueillent
heureux de vous retrouver. C’est Bellego, le prêtre qui nous a mariés qui
conduit le véhicule tout en rigolant comme il le faisait d’habitude. L’idée
d’écrire une nouvelle sur ce thème.
La Radio nous le dit clairement. L’unité mondiale est faite. Elle est
incontournable, irréversible etc… tous ces mots de la propagande pour supprimer
toutes les pensées politiques. On nous explique bien que nos concurrents ce
sont les esclaves du Tiers Monde puisqu’ils sont moins chers et que si on veut
avoir une chance de perdurer, il faut gentiment accepter de renoncer à la Protection Sociale et au Droit du Travail.
Raymond Barre qui fut notre Professeur à l’Université, nous dit même
que la notion de salariat doit disparaître et que chacun doit créer son propre
emploi ! On ne peut pas être plus clair ! Le triomphalisme des Chefs
d’Etat fait frémir. On nous informe du volet social : on n’emploiera pas
les enfants ! Et on voit émerger le nouveau concept d’employabilité.
On a l’impression de la constitution d’un gouvernement mondial qui
diffuse un Dormez tranquilles pendant
qu’ils testent les cordes avec lesquelles ils vont nous pendre. En fait ce
n’est même plus la mondialisation mais bien plutôt la fusion !
Dans le même temps, nos émissions habituelles ferment pour la durée des
vacances.
Le journal Le Monde évoque
enfin les liens entre les Affaires et
la Mafia. Quant au juge Halphen, il a
effectué une perquisition surprise chez le Maire de Paris, lors de laquelle les
Policiers ont refusé de l’accompagner…
A la Radio, le bilan G7 : Pour Chirac le modèle européen peut être
maintenu ! Fermez le ban ! Et ordre au Président des Serbes de Bosnie
de démissionner. Quelle est cette nouveauté d’un Directoire Mondial s’arrogeant
le droit de destituer les Chefs d’Etat, là où d’habitude c’est la Guerre qui
permet d’obtenir ce résultat ? Klaus Fleck aurait-il raison ?
Visite d’une Américaine avec qui nous parlons de Narcisse. Il appert
que s’il s’oppose à l’expression de l’autre, c’est pour pouvoir continuer à s’y
mirer tranquillement sans qu’apparaisse quelque chose qui romprait le charme et
casserait la fiction qu’il est tout seul. A Toulouse, tous les écrivains ont
parlé d’eux. Mais il y avait plusieurs façons de le faire. Soit en ne parlant
que de soi, soit en parlant de soi de parler du monde !
Dans les Radios, les Journalistes commencent à changer de ton en ce qui
concerne les bienfaits de la mondialisation. Ils deviennent même franchement
critiques et même pour certains véhéments. Est-ce parce qu’ils ont compris avec
le G7 qu’on allait se passer des salariés, c'est-à-dire d’eux ?
Dans Le Monde du 3
Juillet, une double page de publicité concernant la Conférence Islamique,
institutionnalisant de fait un pan islamisme. Je suis absolument
scandalisée en tant que Femme, Citoyenne et Professeure et téléphone au journal
pour expliquer mon mécontentement ainsi que pour leur dire qu’étant donnée la
situation dans les classes, ils me fusillent dans le dos. On me propose
d’envoyer un fax qu’on transmettra. Je dis non et laisse mon nom et mes
coordonnées en leur disant que si cela les intéresse de savoir de quelle
manière ils torpillent le travail que j’effectue, ils peuvent toujours me
rappeler, ce qu’ils font d’ailleurs peu après.
Une femme autoritaire m’explique d’abord qu’il n’y a rien à dire contre
cette publicité puisqu’elle n’est ni mensongère ni diffamatoire. Je lui réponds
alors que si c’est pour m’expliquer que cette publication est très bien ce
n’est pas la peine que je téléphone pour protester et qu’on n’a qu’à en rester
là…
Elle change alors de ton et va passer successivement en revue tous les
arguments justificatifs que je vais démonter : l’absence de différence
avec une publicité pour la firme Renault, le fait que personne ne va la lire,
celui d’en avoir autrefois publié pour la Corée du Nord et la possibilité de
clairement différencier un article, d’une publicité.
Elle me propose ensuite de venir faire elle-même une conférence sur la
Presse à mes Elèves, je lui réponds que ce n’est vraiment pas la peine étant
donné que c’est moi qui la fais. Elle veut m’envoyer un dossier entier
concernant leurs publications sur l’Islamisme. J’objecte que c’est sans utilité
puisque je suis déjà en possession de cet article et devant son incompréhension
manifeste, je lui explique qu’en tant que CLIENTE et bonne cliente - puisque
nous sommes un ménage qui achète souvent deux numéros quotidiens éventuellement
utilisé dans les classes - si elle ne comprend pas, je cesserais de l’acheter
et de l’utiliser pour ma pédagogie. Elle me dit qu’elle n’aime pas le mot
client et préfère celui de LECTEUR.
Je lui demande alors pourquoi puisqu’à longueur de colonnes, ils font
l’apologie de l’ECONOMIE DE MARCHE. Elle finit alors par reconnaître que c’est
pour l’argent qu’ils ont accepté cette publication et me cite une somme
colossale. Je lui explique que je raconterai tout cela aux Elèves qui
m’écoutent et comment fonctionne la société. Elle est furieuse et on en reste
là. Je lui dis que la rupture est consommée.
Pour faire bon poids, j’ai vidé mon sac de tout ce que j’avais sur le
cœur. A savoir qu’ils étaient assis sur un volcan et qu’ils ne se rendaient pas
compte de la situation réelle, qu’ils allumaient la mèche du baril de poudre,
qu’ils étaient complètement coupés de la réalité… Etc… Je n’ai pas parlé des
publicités pornographiques pour ne pas compliquer, mais j’aurais pu.
Je lui ai également dit que la basse intelligentsia était réduite au
silence alors qu’en fait ils avaient besoin d’elle pour répercuter. Cela ne lui
a pas plu non plus. Pour la réduction au silence, elle a objecté qu’il y avait
le courrier des lecteurs. Il y a de quoi rire parce qu’elle semblait vraiment
de bonne foi convaincue qu’il y avait là un droit à la parole… Elle a ensuite
terminé sur le fait qu’elle n’aimait pas le mot Intelligentsia et préférait celui de Citoyens. Pardi !
La réflexion que tout cela inspire, c’est d’abord qu’ils tiennent
beaucoup plus compte du point de vue des Lecteurs qu’on pourrait le penser a
priori et surtout que les critiques du système sont plus valides que jamais, la
prétendue démocratie d’information et de marché avec des individus égaux et
atomisés est bien une idée de bourgeois ayant évacué l’existence des classes
sociales. On peut même se demander si cela n’a pas été fait dans le but
d’évacuer justement les dites classes sociales grâce à l’invention d’un
individu fictif déconnecté de tout et devenu une pure abstraction. Mutation qui
aujourd’hui s’achève en une ligne informatique et une chair encombrante jetée à
la poubelle quand elle n’est pas récupérée à titre de matière première.
Par ailleurs ce qui m’a frappée, c’est qu’elle essayait les uns après
les autres tous les arguments cherchant celui qui allait marcher dans une
perspective commerciale d’atténuer le mécontentement avec une relative
indifférence au sérieux de l’argumentation. On peut même avoir été choquée
d’invoquer le fait que les gens n’allaient pas lire cette page-là, lorsqu’on
est le journal réputé le plus sérieux du pays.
Journée de Délibération du Jury de Baccalauréat au Lycée Maurice
Utrillo à Stains : A noter que le barème de correction de l’épreuve
d’Economie et de Droit était déjà organisé de telle sorte que les Elèves
pouvaient - sans être sanctionnés - ignorer le sens des mots Droit, Contrat ou Balance Commerciale et que le Président du Jury nous avait expliqué
que tout le monde devait pouvoir tenter sa chance à l’oral… ce qui signifiait
qu’ils devaient tous avoir au moins huit de moyenne à l’écrit…
Mais de surcroît il nous dit pour commencer la délibération que tous
les Elèves devaient avoir leur Baccalauréat Technologique puisque sa vocation
était de les voir tous faire un Brevet de Technicien Supérieur. Ensuite la
pression n’a pas cessé. Ceux à qui il fallait rajouter quelques points pour
qu’ils aient la mention, il fallait les leur rajouter, et même chose pour ceux
qui étaient presque à dix. Il fallait ensuite repêcher ceux qui n’avaient pas
huit etc… Mais le Jury ne s’est pas laissé faire. Sur les seize Collègues -
sans compter les Présidents - quatre seulement suivaient ce qui se passait. Si
les autres renâclaient devant la politique des cent pour cent de réussite, cela
n’allait pas jusqu’à tenter de s’opposer au mouvement.
Par ailleurs le traitement informatique crée pas mal de
dysfonctionnements et de cafouillage, de contraintes supposées ou réelles au
point que rien ne prouve que pour faire passer les examens, elle soit plus
performante que le système manuel. Surtout lorsqu’il faut corriger, ce qui ne
manque pas d’arriver. Notons que les délibérations se font en connaissance du
nom des Elèves quand ce n’est pas de leur Etablissement.
On apprend aussi – concernant le Baccalauréat - que chaque année deux
mille plaintes sont déposées devant le Tribunal Administratif. C’est pour moi
une découverte stupéfiante car je pensais qu’il ne s’agissait que de deux ou
trois cas. Du coup, face à ce phénomène, je comprends mieux l’attitude que
l’Inspectrice a eue avec moi en Janvier. Je n’approuve pas, mais je
comprends !
Par ailleurs, l’ensemble du Jury a été assez odieux en se moquant des
Elèves asiatiques, de ceux qui avaient Marie dans leur prénom et systématiquement
des Elèves du Lycée de la Légion d’Honneur qui sont pourtant excellents. J’ai
dû intervenir pour arrêter ce jeu de massacre. Ils admirent qu’on y instruisait
les Pupilles de la Nation dont il n’y avait pas forcément lieu de se moquer.
Quelle ne fut pas ma surprise d’entendre ensuite le Président du Jury
dire en regardant sa montre Tiens le 4
Juillet, c’est le jour de l’Indépendance ! Je questionne De l’indépendance de quoi ? Le Jury
s’esclaffe en se moquant de moi qui ne sait pas qu’il s’agit de l’Amérique et
qui me fait la leçon. Et comme je me dis que vraiment l’américanisation va un
peu vite, qu’hier c’était l’affaire du pan islamisme, je reprends Permettez-moi Mesdames et Messieurs, de crier Vive la République Vive la
France ! Deux bonnes femmes se sont moquées de moi sur le thème de … Si cela
la soulage… Puis il s’est établi un silence de mort…
Ajoutons à cela qu’on est resté bloqué de neuf heures à quatorze heures
trente sans aucune pause ni aucun déjeuner. Quand à midi le Censeur a proposé
de faire confectionner des repas par les agents d’entretien, le Président et le
Jury les ont brutalement renvoyé d’un On
finit, on finit ! On a donc effectivement terminé à Quatorze heures
trente.
J’ai ensuite demandé qu’on m’emmène à Stains Centre à deux ou trois
stations de bus à côté pour pouvoir déjeuner. Parmi les trois ou quatre qui
avaient une voiture et à qui je l’ai demandé, aucun n’a voulu faire un détour,
peut-être à cause de tout ce que j’avais dit, mais aussi parce que
l’individualisme est devenu tel que c’est désormais inconcevable.
Du coup j’ai pris l’autobus jusqu’à Saint Denis où dans un fast-food
chinois, j’ai mangé des nourritures mauvaises, hors de prix et même
insuffisamment réchauffées au four à micro-ondes. J’ai ensuite voulu revisiter
la basilique mais j’ai calé devant les vingt-huit francs d’entrée qui m’ont
paru abusif pour visiter des morts. J’ai encore du reprendre quatre autobus
différents pour rentrer chez moi en piètre état, me faire la réflexion que je
ne pouvais plus maintenir une pareille consommation énergétique et que je
devrai nécessairement changer de style.
Emmenant une amie dans le coin de campagne nous avons eu le déplaisir
dès Paris d’une panne d’essuie glaces… Les deux premiers garages consultés du
côté de Pigalle où elle habite nous ont parus incompétents, voire malhonnêtes.
Celui près de chez moi s’est avéré plus professionnel. Mon amie a attribué
cette différence à celle de nos quartiers, avec dans la voix une amertume qui
m’a serrée le cœur. Je lui ai dit qu’elle avait la même réaction que cette
femme de ma famille qui habite la banlieue et s’extasie chaque fois qu’elle
vient chez moi sur la beauté et la propreté de mon quartier.
Réflexion que je me fais moi-même de façon de plus en plus insupportable
quand je prends l’autobus Trente au Parc Monceau le matin pour descendre Gare
du Nord au Lycée ou dans le Quarante Trois au fur et à mesure que je traverse
une ville défoncée par ce que je propose d’appeler la transurbanisation. En sens inverse le soir, la détente ne commence
que lorsque l’autobus remonte la Colline de l’Etoile et que je l’éprouve dans
le corps. Le fait est qu’arrivée par hasard Porte de Champerret en 1971 puisque
c’était mon père qui avait prévu cette installation pour notre retour d’Outre
Mer, j’ai toujours refusé de la quitter pour un quartier moins confortable.
Le PDG de la SNCF a été mis en examen et écroué. On n’en revient
pas ! Si d’ores et déjà une trentaine de patrons ont déjà été en prison,
c’est la première fois en ce qui concerne une entreprise publique. C’est tout
de même impressionnant ! On sent que l’Opération
Mains Propres est prête d’aboutir et on croise les doigts.
En URSS, Elstine est réélu. On nous présente cela comme un modèle de démocratie
en oubliant juste de nous dire que ce vote à bulletins ouverts ne comportait ni
enveloppe ni isoloir. On peut tout de même faire remarquer que dans ces
conditions quarante pour cent des Electeurs ont quand même osés voter
communiste !
D’une amie hospitalisée à l’Hôpital Lariboisière, j’apprends qu’il
manque de matériel, de compresses etc… et que le sous-sol est squatté.
Au Lycée Utrillo à Stains pour les oraux, étant donné l’expérience
précédente, j’ai dû apporter mon déjeuner dans des boîtes en plastique et faire
ouvrir la Salle des Professeurs pour le prendre. J’y ai découvert un escalier
qui descendait directement dans une Bibliothèque de deux étages de haut,
c’était saisissant. Je n’ai jamais vu dans aucun établissement une pareille
majesté. Mais malheureusement il semblait qu’il n’y ait pas beaucoup de livres.
Par ailleurs j’y ai découvert l’ouverture de herses qui se
déclenchaient en levant seulement la main.
Enfin pour retrouver mon chemin, visitant par force majeure Saint Denis
et Saint Ouen, j’y ai constaté la non ville que la banlieue
était en train de devenir ! Chaque immeuble, chaque centre sportif ou
entreprise est isolément à l’intérieur de clôtures individuelles fermées par un
portail amovible. Seule la Cité HLM et le commencement de bidonville ne l’est
pas. Cela pour les quartiers en rénovation. Je ne parle pas du traditionnel
tissu pavillonnaire qui par endroits subsiste ou des immeubles qui ne varient
pas de ceux des arrondissements de Paris et pourraient même sans difficultés,
s’y intégrer.
La dernière nouveauté en informatique est que le bitoniau qui commande
l’essentiel des manœuvres et que jusque-là tout le monde appelait la souris,
est désormais dénommé dans les milieux branchés le clitoris. Je pourrais dire : sans commentaires ! Mais
au contraire je vais dire que je ne rêve pas mon analyse de la situation
actuelle comme une pornographie informatique, les types remplaçant les femmes
par des ordinateurs et la mère par la Télévision.…
J’ai téléphoné à Madame Boitard de la DRAC pour demander à Amiens des
secours d’édition littéraire au nom du Pays de Bray en précisant que mon coin
de campagne était dans sa circonscription.
Des Editions des Femmes j’ai appris qu’un certain Jacobus - ou un nom
comme cela - universitaire américain de Caroline du Sud avait acheté TOUTES mes
œuvres !
18 Juillet 96
Pénible conversation avec une Canadienne qui a démissionné de son
Université, qui reproche à la France de ne pas être ethniquement pure et d’être
politiquement incorrecte en dégageant des concepts d’un discours qui se veut
politique alors qu’il est à la limite du délire. J’ai même dû défendre mes
Elèves Arabes Républicains dont elle rejetait globalement l’Islam en lui
précisant que de surcroît, c’étaient les meilleurs.
Elle me reproche finalement le modèle français qu’elle vomit comparé au
modèle anglo-saxon et en même temps trouve normal de partager avec le Tiers
Monde, même s’il n’adhère pas à nos valeurs car ce sont alors - selon elle -
les dommages intérêts de la colonisation !
Si elle avait connu le mot crouilles,
elle l’aurait globalement appliqué à tous les Hexagonaux et dans le mêmes temps
elle accuse la France d’être un pays raciste et antisémite.
Elle se moque de surcroît de nos petits
juges qui tentent de mettre en prison
les mafieux qui nous gouvernent parce que ces magistrats risquaient de se faire
assassiner et que c’était donc de la bêtise de leur part ! Elle n’a en
fait aucune idée ni de l’héroïsme, ni même ne serait-ce que de l’aspiration à
la transcendance.
Pour un peu elle aurait dit qu’on était une nation qu’il fallait mettre
sous tutelle. J’ai fini par perdre mon sang froid. Elle s’en est emparée pour
conclure que c’était elle qui avait raison, même si cela ne me plaisait pas.
Là-dessus pour clore ce pénible épisode, j’ai comme d’habitude crié : Vive La République, Vive la France !
A la Télévision, on entend parler de la peau comme vêtement souple et
imperméable…
Depuis quatre mois je suis malade : A l’arthrite et à la tendinite
s’ajoutent maintenant l’eczéma. La dermatologue que j’allais voir dans le
quartier m’a vulgairement posé un lapin en dépit de mon rendez-vous.
Ce carnet est dénommé J Lambda.
Une Elève entrant au Lycée avec un hijab noir sur la tête. Un présent
tellement présent que ce qu’il relègue en arrière ce n’est même plus un passé
mais quelque chose avec quoi, il n’y a plus du tout de solution de continuité.
Au présent encore, l’angoisse de voir de loin un tas d’ordures et de
craindre en l’approchant d’y découvrir un homme… Et la littérature qui se
demande si dans ce cas-là, il ne faudrait pas plutôt dire immondices,
qu’ordures ?
La caissière de ma superette chez Ed trouvant que ma facture de trois
cents sept Francs et quarante-cinq centimes est trop élevée, en trouve
l’explication dans le fait que c’est normal, puisque j’ai pris des produits de
luxe à savoir du chocolat !
J’ai été cueillie à froid par les BTS, ma meilleure classe alors que je
pensais que tout allait très bien, pour un véritable procès de Moscou du style habituel. Cela a été ma
fête, l’odieux le disputant à l’insupportable. L’un des Délégués m’a quand même
demandé s’il fallait se servir du livre.
Une inscription vue Rue Saint Ambroise à côté du garage de mon
père : Ils veulent faire de nos vie
des ombres, foutons le feu ! Cela fera de la lumière !
Au petit matin, un bruit de moteur dans ma rue. La stupéfaction à
l’idée qui me traverse la tête qu’on vient m’arrêter.
J’entre dans une sorte d’hibernation, autodéfense face à un état de
guerre sociale que je ne peux plus nier. Les comportements se transforment dans
le sens de la jungle. Je suis malade des parties basses depuis seize mois en
continu et ne peux presque pas marcher. Rien n’aboutit de ce qui requiert la
coopération d’autrui, même lorsqu’elle est payante, ce qui est tout de même
assez nouveau. Sortir est devenu à éviter et recevoir encore bien davantage…
Le scorbut a réapparu en banlieue parisienne. Quant à la création d’un
registre des opposants à la greffe d’organes, on est saisi du style de la
Journaliste expliquant que c’est pour ceux qui refusent de léguer leur corps
aux malades qui en ont besoin. C’est ce « qui en ont besoin » qui me terrifie. On dirait une
légitimation du cannibalisme et la culpabilisation de la proie qui se refuse à
être dévorée ! C’est la même tentative qu’on essuie sans arrêt au Lycée.
Entendu à la sortie du métro : Je
suis clocharde, je le jure sur la tête de Jean Baptiste. Et un autre à
l’intérieur tout à fait encourageant : Fuck
Blanche ! Quant à la folle du quartier,
elle déambule en disant à très haute voix Aujourd’hui
je suis Madame Chanel, je suis sur mon trente et un.
Voir et revoir outre nos
inquiétudes quelques ultimes espoirs. C’est ce qu’il y avait écrit au tableau lorsque je suis entrée dans la
classe des TSC1 qui ont mis la pagaille la semaine dernière. Je l’ai reprise en
mains et en suis plutôt contente.
Il est pénible de devoir protéger du racisme quelqu’une qui elle-même
ne s’en défend pas. Mais peut-être ne le peut-elle pas faute d’une prise de
conscience suffisante à cause de la difficulté qu’il y a lorsqu’on est femme
noire guyanaise de se découvrir femme française.
Deux affiches montrent des hommes enceints !!! Et une autre se
sert d’un poing levé pour une publicité de mouchoirs en papier.
Reçu d’une maison d’édition qui a pignon sur rue, un refus de publier
mon recueil de nouvelles Grand Choix de couteaux à l’intérieur.
Jusque-là rien à dire, c’est son droit, mais l’étonnant c’est le
commentaire : Un humour digne de
l’Almanach Vermot. Et ceci sans signature !
Téléphonant à mon ancienne partenaire de théâtre mon angoisse du
Mouvement des Routiers qui peut entraîner n’importe quelle conséquence - et on
pense au Chili - j’ai la stupeur de l’entendre me dire que cela ne la gêne pas
puisqu’elle n’a pas à circuler !
Au Lycée, les Elèves menacent de mort et les Collègues sont prêts à en
venir aux mains devant eux. Une ambiance de folie sur un bateau qui coule…
Dans la langue moderne l’expression Temps
réel signifie en fait instantané !
Bel exemple de renversement complet d’une chose signifiant exactement son
contraire. C’est plus que du décervelage, de l’invalidation !
Impossible d’expliquer aux plus Jeunes ce que peut signifier l’entrée
d’André Malraux au Panthéon. Comment leur expliquer qu’il était le support d’un
rêve aujourd’hui évanoui et que dans cette après-guerre
plombée de la mémoire du Nazisme, il avait le visage d’un aîné
acceptable.
A cent trente barrages aujourd’hui contre soixante-cinq hier, les Routiers
bloquent les frontières et un certain nombre de portes de villes et d’usines.
La frontière allemande est fermée, le ferry de Calais, Les Pyrénées, le port de
Rouen et celui de la Rochelle, au moins une usine Citroën et une de Renault,
toutes les grandes villes, les dépôts de carburant, Roissy Créteil et
Fontainebleau, la gare routière de Rungis. Les barrages sont totaux où passent
les voitures particulières mais il n’y aura bientôt plus d’essence et les
stations-services ont commencé à fermer. Les autocars scolaires ne fonctionnent
pas. Les transports de Metz sont en grève et quatre-vingt-deux pour cent des
Français soutiennent le mouvement.
Cent soixante barrages et les Cheminots emboîtent le pas.
Cent quatre-vingt-dix barrages. Les aériens et les Routiers danois s’y
mettent aussi.
Information de la fermeture du Port de la Rochelle et sa
conséquence : Ramener du Lycée à la maison l’unique paquet de feuilles
vierges que j’y détenais, puisque parait-il, c’est par là qu’on importe la pâte
à papier !
Ce qui continue aujourd’hui, ce n’est pas la Shoah, c’est le CRIME
CONTRE L’HUMANITE. Le refus d’accorder à certains le droit de vivre !
Deux cents cinquante barrages et l’échec des négociations sur
l’essentiel. Certains barrages ont annoncé qu’ils ne respecteraient même plus
les réquisitions. Au quotidien les incidents sont devenus permanents au point
qu’on ne parvient même plus à en faire état. La seule attitude qu’on puisse
prendre c’est celle du silence et de l’autarcie.
Vendredi en arrivant dans ma classe, le bureau était sur l’armoire…
Pour le dégager mes Elèves se sont avancés au risque de le prendre sur la
figure… Stupéfaction d’apprendre que le Collègue du cours précédent n’a pas
jugé bon de le faire descendre…
Si les Français se sont fait ravagés par le Traité de Maastricht, c’est
parce qu’ils ne croient pas au Droit et qu’ils s’imaginent qu’il ne s’applique
pas forcément. Ils ont dû penser que là cela serait pareil… et stupéfaction…
cela s’applique ! Il faudrait de surcroît réfléchir à l’idée que
Maastricht est peut être plutôt un contrat qu’un Traité !
Douzième jour de grève des Routiers et deux cents vingt deux barrages.
A la mi-journée il y aura dix mille stations service à sec sur les dix huit
mille… Toute l’économie européenne est touchée. Les Routiers Anglais se
plaignent que les Policiers Français ont pris le parti des Routiers Français…
Si on ajoute que les DDE apportent du combustible pour que les Routiers
puissent se chauffer… Cela me semble bien confirmer la dimension d’une
insurrection nationale.
Au Lycée, dans la liste des Professeurs de 1e2, le
Professeur Principal NV à oublier de m’inscrire. Je le lui ai fait remarquer.
Elle ne l’a corrigé que sur mon propre exemplaire, mais aucunement sur ceux de
nos six ou sept autres Collègues...
A la douleur de Jean Luc Godard cinéaste écrasé, répond la mienne.
Ayant vu son For Ever Mozart, son
chef d’œuvre, je n’ai personne avec qui en parler. Belle promenade autour de
l’Etoile pour rentrer chez moi en dépit de mon invalidité croissante et la
force le lendemain d’aller faire une dernière recherche au Centre Beaubourg
avant sa fermeture pour trois ans.
Tous les jours des attentats dans l’Hexagone visant des bâtiments
officiels. On ne s’en émeut même pas. La lecture du journal est une horreur
totale. La liquidation de notre monde s’y inscrit à vitesse accélérée, même si
des voix commencent à s’élever pour dire de résister, car elles commencent à
sentir que la vague les atteint aussi. Mais il est bien tard et le mal est
fait.
Ce n’est pas le cas de Rocard et de Sarkozy débattant chez Cavada du
chômage en termes abstraits et comptables. Ils parlaient l’un et l’autre de la
société comme de quelque chose à laquelle ils étaient totalement extérieurs et
dont ils avaient à la fois la maîtrise et la gestion. Une sorte d’horlogerie
miniature qu’ils prétendaient savoir réparer. C’est en cela qu’il y a quelque
chose d’effrayant chez eux.
Je suis effarée du discours anti-musulman de mon ancienne partenaire de
théâtre à qui il est impossible de faire comprendre la différence avec les
Intégristes Islamistes !
Hier Noël a dit qu’on était en guerre. Et aujourd’hui c’est une voisine
qui me dit la même chose !
Avant-hier, j’ai réalisé - à la lecture du Code Pénal - que
l’insurrection de Mai 68 faisait peser sur nous une menace de quinze ans de
prison, chose dont on s’était peu préoccupé à l’époque ou depuis. Comme je m’en
suis ouverte à un ami en rupture avec son milieu traditionaliste, il m’a dit en
rigolant D’ailleurs on les a fait !
Faut il admettre alors que sa dérive depuis cette époque trouve sa source dans
sa culpabilité d’avoir été ainsi brutalement été en opposition avec son
milieu ?
Selon Lipietz en sept ans, les tendinites ont été multipliées par sept
à cause de l’augmentation des cadences…
Au Lycée une collègue ultra gauchiste, affirme Pas de devoirs avant d’avoir des droits ! Faut-il voir dans
cette phrase, l’essence de ce que j’appelle les squatto-démocrates ?
C’est à l’exact inverse des défenseurs de l’Etat/Nation, que ce soient des
féodaux ou des Républicains pour lesquels les devoirs précèdent les droits.
C’est la transcendance de l’appartenance au groupe qui dépasse l’individu. Les squatto-démocrates sont au contraire
dans la vulgarité de l’accaparement et en cela les alliés des Capitalistes.
Terrible spectacle de ces carcasses de veaux déposées sur les marches
du Ministère des Finances à Bercy par les Eleveurs français ulcérés des
importations hollandaises. Carcasses posées non pas en vrac, mais bien
ordonnées comme pour un sacrifice rituel et barbare, succédant lui-même à
l’autodafé de Rungis. Ce qu’ils font aujourd’hui au bétail, demain le
feront-ils aux gens ?
Pour ne pas céder à la désespérance, on peut toujours se dire qu’on
vient ENFIN d’éditer La Divine Comédie illustrée par Botticelli et
commandée par Laurent de Médicis !
L’idée que ce n’est pas le Traité de Maastricht qui a déclenché tout
cela mais que au contraire, c’était parce que toutes les règles étaient de fait
abolies, qu’ils ont osé signer ce traité.
De son côté un chauffeur de taxi m’a dit concernant l’état social en
général C’est comme un verre de cristal
quand il est cassé, il est cassé !
Dans la semaine, six vagabonds sont morts de froid dont le dernier sur
le supermarché de la Belle Epine, construit à la place de la maison de mes
grands parents paternels. Mais personne ne parle d’ouvrir le métro. On est
habitué à cet état dans lequel on a été enfermé sans fuir lorsque c’était
encore psychiquement possible. C’est la nouvelle règle du jeu : il n’y a
plus ni loi ni morale, seulement la lutte physiologique de chacun contre tous.
Les émissions de Télévision et de la Radio sont suspendues pour la
quinzaine des vacances, alors qu’il n’y a que dix pour cent des gens qui vont
aux Sports d’Hiver ! On nous ressort à la place, des émissions d’archives
ou des rediffusions plutôt humiliantes. C’est qu’ils sont tellement imbus d’eux-mêmes
et tellement propriétaires de leurs émissions qu’ils ne supportent même pas de
laisser leur place à un Jeune pour un remplacement. Sans doute craignent ils
qu’en faisant là leurs premières armes, ils finissent eux aussi par tenter leur
chance. On me dit pire encore, qu’ils s’évertuent en fait à tuer dans l’œuf la
concurrence qui pourrait un jour ou l’autre, les détrôner !
Concernant les SDF il faut dire qu’ils ne vont pas dans les foyers
prévus à cet effet, qu’on les enferme pour les emmener on ne sait où et il
semble que justement, on en voit de moins en moins… Une cantatrice batave m’a
dit qu’il y avait à Amsterdam un centre dont on ne voyait ressortir personne…
Rappelons-nous aussi la nouvelle que j’ai écris sur les clochards du métro et
qui a été publiée en Espagne…
On en est à une bonne dizaine de vagabonds morts de froid. Des
attentats tous les jours et des tueries entre des bandes de Jeunes. A titre de
protestation Rue Scribe, le Comité des Sans Logis occupe le hall du Grand Hôtel.
Confirmation qu’il s’agit bien de quinze morts de froid depuis la
veille de Noël et cela dans une sorte d’indifférence qui doit être celle de la
guerre dans laquelle il n’est plus possible de s’émouvoir des morts, à peine
d’en mourir soi-même. Quinze sans compter les accidents et les crises
cardiaques…
Description de l’ambiance qui règne en ville : Europe N°1 décrit
la soirée de réveillon de Chirac : Il
a dîné au restaurant X avec sa femme, sa fille Claude et son compagnon. Et d’ajouter
cette précision étonnante le compagnon de
sa fille, bien sûr !...Comme si on avait pu imaginer qu’il s’agissait
de son compagnon à lui… Comme quoi on a largement dépassé l’ambiance
Mitterrand…
Grande inquiétude déclenchée par la répétition de cette information La révision du Traité de Maastricht en vue
de l’élargissement de l’Europe. Il s’agit de la modernisation des
Institutions notamment la suppression du droit de veto.
Je déclare l’état de guerre et de bonté.
L’état actuel de la France me fait comprendre celui de mes homologues
Sud-Américains que j’avais découverts lors de mon voyage en 1987, lorsqu’ils
m’avaient expliqué qu’il n’y avait pas d’autre solution que la lutte armée
qu’ils menaient...
Trois nouveaux morts SDF : dont une femme sous un pont dans une
commune dénommée Les trois châteaux ainsi
qu’un homme qui venait d’être licencié et errait dans les bois. Tout cela
ajouté au Lycée et à ma propre condition personnelle me fait le soir, éclater
en larmes.
Trois morts SDF supplémentaires. C’est tout juste si je prends la peine
de noter.
La légalité aujourd’hui, ce sont mes Chefs qui la violent.
L’adaptation c’est de considérer comme normales des choses qui ne
l’étaient pas dans le système précédent. En ce sens je suis désormais presque
totalement adaptée à l’horreur dans laquelle on baigne !
Racontée par ailleurs l’affaire
du turban islamiste en
Première 2 a eu des conséquences catastrophiques : mes Elèves ont régressé.
Bégaiement. Insolence etc… Le travail de cinq mois a été anéanti !
Je me suis fait envoyer sur les roses par le vendeur de la Librairie Compagnie à qui je demandais si le N°10
de La voix du Regard était sorti…
Etant donné qu’il doit y avoir dedans un article de moi et que mes livres sont
en vente dans cette boutique, cela m’a bouleversée.
Que la République fasse France
de tous bois ! Jolie
formule qui nous sauve du marasme dans lequel nous sommes ! Mais je ne
sais plus qui l’a prononcée à la Télévision, la semaine dernière…
Le problème fondamental d’aujourd’hui, c’est la réponse individuelle
donnée au fascisme ambiant. Tout le reste ne vient qu’après, de façon
secondaire.
J’ai vu dans le mois précédent la fameuse Comète dont tout le monde
parle. Très clairement avec ses deux suites mais elle m’a profondément déçue
parce qu’elle paraissait immobile et tout au plus une étoile un peu plus
brillante qu’une autre, là où je m’attendais à un spectacle fantastique dans le
style des filantes que j’aime tant. Lesquelles sont à la limite, nettement plus
spectaculaires.
Quand on se souvient du rôle de présage qu’elles jouaient et de la
description des troubles sociaux que Canetti en fait dans ses mémoires concernant
son enfance en Bulgarie… Le mois précédent José Castrillo - qui a été avec moi
un excellent élève - m’a fait remarquer qu’on pouvait mesurer le progrès social
au fait désormais qu’une comète pouvait traverser le ciel sans qu’il y ait le
moindre trouble dans la population et j’ai trouvé ce constat objectif de
l’avancée de la réception de l’esprit scientifique tout à fait encourageant…
Sur la Place Principale de Gournay, un chat circule devant les
boutiques au milieu des passants. Tous les trois pas, il prend une position
d’affût, pattes pliées et regarde dans toutes les directions… et redémarre pour
trois pas avant de recommencer le même manège. Il avait trait pour trait, geste
pour geste, l’attitude des soldats commandos qu’on voit dans les films de guerre.
Etant donné qu’il est peu probable qu’il les pastichait, on bien obligé de
conclure une fois de plus à l’attitude profondément animale des Humains dans
des comportements qu’ils ont l’habitude pourtant de classer eux-mêmes comme des
acquis culturels et/ou sociaux. Et comme à chaque situation de ce genre, j’en
suis troublée.
J’avais d’ailleurs déjà dans le passé assisté à une scène de chasse au
renard qui m’avait fait le même effet, l’animal défendant chèrement sa peau.
Concernant le coin de campagne, je me fais la réflexion qu’entretenir
un terrain, c’est déjà y ramasser les ordures ! Celles qui s’échappent des
poubelles mal fermées du voisin, celles jetées par les fenêtres du car de
ramassage scolaire… sans compter celles apportées par le vent ou sans doute
tombées des avions comme ce poudrier japonais.
Stupéfaction d’entendre ma mère de quatre-vingt-six ans m’expliquer que
même en touchant sa retraite, sa vie dans une chambre d’hôtel ne sera pas plus agréable
qu’avec mon père qui lui a balancé une gifle ! Celui-ci se défend en
disant que cela a dû arriver cinq ou six fois en soixante ans de mariage et que
donc une fois tous les dix ans, c’est acceptable ! Il ajoute d’ailleurs le
plus sérieusement du monde que c’est le seul moyen de la faire taire !
C’est la première fois que j’entends ma mère tenir sur le plan de la lutte des
femmes des propos vrais et non pas chercher à me faire croire à quel point
c’est bien pour elle d’être avec mon père. Mais tout de même cela fait un drôle
d’effet de savoir sa mère de quatre-vingt-six ans se faire mettre une claque et
ne pas être en être vraiment en état de la défendre.
Brutalement sans crier gare et sans signe avant-coureur, les Médias
font état d’un projet de dissolution de l’Assemblée Nationale, alors qu’il n’y
a aucune crise politique au sens strict. L’absence de fonctionnement réel de
cette Institution étant un autre problème, les manifestants occupant tous les
jours la rue d’une façon plus ou moins violente. Il s’agit en fait d’avoir
pendant cinq ans les mains libres - comme ils disent - pour pouvoir
mener la politique la plus dure qui soit, sans avoir à craindre une expression
populaire de mécontentement qui prendrait une forme électorale.
Or les cinq ans qui viennent sont ceux prévus pour l’arrimage des
économies autour de l’Euro, après avoir réussi à atteindre les fameux critères
de convergence ! Ce mélange de perversion et de cynisme fait froid dans le
dos. Cet hiver on pouvait déjà dire que la République était morte mais
désormais c’est aussi la démocratie, fut elle démagogie. On sent venir une
sorte de pouvoir paramilitaire…
Vu hier la Compositeure de l’opéra sur mon livret La Folle Baisure.
Elle a trouvé Paris dans un état catastrophique correspondant à tous points de
vue à ce que je constate et décris moi-même : notamment la pauvreté et
l’air abattu de certains. Le seul endroit en dehors du Tiers Monde où elle me
dit avoir vu une pauvreté pareille, c’est à Smolensk. C’est aussi mon idée que
ce qui se passe ici – mutatis mutandis - ressemble à ce qui s’est passé en
Russie : l’effondrement de l’Etat et la Révolution Ultra Libérale laissant
sur le carreau toute une partie de la population.
Comme je lui demandais s’il y avait aussi en Hollande des gens comme
cela, elle me répondit que non, cela n’existait pas pour des gens qui avaient
été autrefois intégrés à la société et qui avaient eu de véritables emplois
mais seulement pour des drogués. C’est bien ce que je pense et qui fend le cœur
en renvoyant au Chili où on m’a - en 1987 - parlé de
gens qui habitaient les bidonvilles alors qu’autrefois
ils avaient des appartements en ville.
C’est bien cette déchéance là qu’on sent être la contrepartie de
l’ascension des autres et cette impression de férocité générale à la faveur de
laquelle les gens veulent s’accaparer ce qu’ils convoitent commençant - dans
cette perspective - à porter la main sur les autres. Je comprends mieux comment
le climat d’avant-guerre a pu ainsi donner naissance à L’Opéra de Quatre
Sous.
Elle me conseille également d’éviter le métro qu’elle pense toxique en
raison d’émanation suspecte. Ce dont un ancien Collègue avait déjà fait état il
y a quelques années. Il est difficile de déterminer s’il s’agit d’un fantasme
ou de menaces effectives de sectes ou de terroristes…
Sur la route de la villégiature, ce ne sont plus seulement d’ancienne
caserne réhabilitée qu’on découvre entourée de barbelés et plantée de nouveaux
arbres mais des installations contemporaines baraquements en bois, en forêt,
derrière des clôtures de grillage...
Depuis quelques jours on parle des serial killers qui abandonnent de ci de là des morceaux de corps de femmes
tuées, enfermés dans des sacs poubelles comme quelque chose de normal.
Jeudi dernier, porte d’Asnières au feu rouge à dix-sept heures,
plusieurs hommes dans le style des habituels sinon normaux laveurs de
pare-brises ont tenté d’extraire un conducteur hors de sa voiture pour la lui
voler et/ou pour le battre ! Le concert de klaxons qui s’en est suivi et le
fait que l’automobiliste ait réussi à accélérer, a semble t-il fait échouer le
projet…
Jacques Chirac à propos de la dissolution de l’Assemblée Nationale,
demande à la population son soutien
contre tous les corporatismes et les blocages !...
Au Lycée certains Collègues refusant de saisir leurs notes sur
l’ordinateur, le Censeur nous a informés que c’était à nous, les autres
Professeurs de le faire ! On est donc en train d’inventer la responsabilité collective déjà imposée aux Médecins qui devront payer des amendes
globales en cas de dépassement des quotas de dépenses…. Cela est d’autant plus
étonnant que le Conseil d’Etat a déjà jugé l’affaire donnant raison aux
Collègues qui refusaient de le faire… Mais l’argument du Censeur est que quatre-vingt-dix
pour cent des Collègues le font déjà ! Autrement dit la légitimation du totalitarisme ambiant pour imposer l’illégalité, c’est un tout autre
régime.
J’ai lu qu’Hannah Arendt avait quitté l’Allemagne nazie, non pas tant à
cause de ses ennemis qu’elle avait de toutes façons mais parce qu’elle n’y
avait plus d’amis, les siens ayant - selon son expression - suivi le mouvement ! Je suis très
frappée d’avoir lu cela dans La Tradition cachée. D’une certaine façon
c’est ce qui m’arrive aussi, sauf que ceux qui n’auraient pas suivi le
mouvement sont déjà morts ! Elle note également que cette propension au
suivisme a été plus importante dans le monde intellectuel que dans les autres
milieux car les dits intellectuels avaient des théories sur Hitler. J’aurais
également tendance à dire qu’en raison de son jeune âge, de son masochisme, du
peu de considération qu’elle avait d’elle-même à cause du malheureux statut des
femmes, elle s’est trompée d’amis.
Sur le plan politique on constate que le Gouvernement a l’intention
sitôt la nouvelle Assemblée élue, de faire voter une loi d’amnistie sur les
délits financiers. Quand on sait le nombre de personnalités mises en cause
et/ou en examen, y compris les trois Ministres qui doivent l’être… on comprend
bien qu’ils vont nous passer sur le corps.
Hier journée à la Ferme du Paradis à Meulan avec les Associations de
Poésie Terpsichore et Europoésie. Assez réussi dans le genre
patronage. La salle rayonnait de bonté et cela faisait du bien dans ce contexte
de haine et de dureté. J’ai été mentionnée – avec diplôme à l’appui – pour mon
poème Je suis fatiguée comme la mort et j’ai lu à la tribune Pour toi
je planterai un magnolia devant une centaine de personne avec vraiment une
très grande satisfaction. Les interventions les plus remarquables furent celles
des enfants organisés par leurs propres Instituteurs et d’une poétesse
polonaise Joanna Ewa Jarzymovska accompagnée de sa traductrice à qui j’ai
proposé de traduire Le silence et l’obscurité que j’avais avec moi. Le
banquet républicain traditionnel était de bon aloi.
Présente, mon ancienne partenaire de théâtre était furieuse qu’on n’ait
eu le droit qu’à la lecture d’un seul poème, comme elle voulait absolument en
placer un second. Je n’ai pas cédé à sa tentative de m’entraîner dans sa haine
de tout ce qui la dérangeait et coupant court, je suis rentrée chez moi,
refusant de gâcher ma joie. A noter les propos surréalistes du Maire de Meulan
venu cinq minutes présider aux festivités : Oui Meulan est une ville culturelle… La Poésie a été inventée au 19e
siècle, peut être a-t-elle un avenir ! Fermez le ban ! La France
est décidemment un pays formidable… ou le propos plus approprié d’un anonyme Le poète, il doit faire des efforts pour
avoir l’air comme tout le monde et encore il n’y arrive pas toujours !
A France Culture, Emmanuel Todd dénonce les souffrances insupportables
de la population. Je suis
bien heureuse d’entendre un pareil terme, car il me semble que c’est ce que je
constate. Il dit aussi que la renonciation au Traité de Maastricht serait le
début de l’avenir, confirmant par là même l’angoisse de mort qui règne. Ce qui
d’ailleurs paraît fou dans cette affaire, c’est qu’on condamne la population,
au nom de critères abstraits calculés sur des statistiques discutables et
variables. Il dénonce également le côté pénitentiaire de cet EURO SANS ETAT et tenant lieu de loi exprimée
en termes comptables. Il va
même jusqu’à évoquer une dimension castratrice.
La rénovation de la Cour du Havre à Saint Lazare est presque achevée.
Le passage d’Antin, souk vivant et populaire a dû lui aussi être rénové. On
tremble de ce qu’on va découvrir. Le poissonnier auquel j’achetais quelquefois
de la nourriture en sortant du Lycée, sera –t-il encore là ? En tous cas
une immense publicité est déjà affichée sur la façade et représente pour le
compte de la FNAC, la fameuse femme avec une fermeture-éclair à la place de la
bouche !...
Mardi après-midi dans la Salle des Professeurs, mes très chers
Collègues - organisés en pré-conseil, dressaient ouvertement la liste des
Elèves de Techniciens Supérieurs Comptables qu’ils allaient évacuer et comme
par hasard il y avait tous les Arabes et un Juif radical pas particulièrement
mauvais.
Comme ils ont l’habitude de faire le coup, j’ai été obligée devant les
autres Professeurs que j’ai pris à témoin, de les apostropher sur le thème Vous m’avez déjà fait le coup il y a trois
ans, vous n’allez pas recommencer à virer systématiquement les Arabes et les
Juifs ! On imagine l’ambiance et la conversation qui s’en est
suivie !
L’étonnant était de constater qu’ils ne se gênaient pas pour opérer
publiquement comme si tout cela allait de soi. J’ai quand même eu la
satisfaction de constater le soir au Conseil officiel qu’ils avaient mis de
l’eau dans leur vin et que mon coup de gueule n’avait pas été inutile...
Aujourd’hui ce sont nos Collègues/Kapos qui font nos Emplois du Temps
et comme ce sont les moins diplômés - promus dans la période mitterrandienne -
cela jette un certain froid et crée un malaise. Mais plus étonnant encore,
force est de constater que les autres acceptent cet état de choses sans même
protester. De fait les anciennes structures ont totalement disparu par
d’infimes déformations successives, mais toujours dans le même sens. Je n’ai
pas été la seule à lutter contre ce qui se passait, mais personne dans cet
établissement n’a lutté plus que moi. Or cela n’a pas suffi et l’Ecole de
Enseignement Public est détruite.
Je suis allée hier - en dépit de ma fatigue et de mon désarroi - à un
défilé du Premier Mai plus cafardeux que jamais. Déjà, ces derniers temps, ce
n’était pas formidable mais là vraiment stressant. Des groupes minables qui n’y
croyaient guère marchaient sous des banderoles minimales des Syndicats habituels.
Ni slogan ni musique ni aucune invention de ce qui fait habituellement la joie
de cette sorte de rassemblement libérant l’angoisse et la haine sociale sous
des formes civilement acceptables. On avait l’impression d’être au bord d’un
écroulement des institutions traditionnelles. Les leaders syndicaux n’étaient
pas là et de façade, l’unité purement formelle. Ce que Blondel lui-même
confirmait.
Par contre la deuxième moitié du défilé était constituée de sans papiers
africains très applaudis pour leur slogan
C’est Juppé qu’il faut virer et pas les
immigrés ! Qui suscita en moi, un certain malaise. Suivaient - faisant
le même effet – des groupes de leurs homologues asiatiques, Kurdes composés
pour certains de femmes voilées qu’on ne pouvait pas cautionner et de Tigres
Tamouls en tenue militaire avec des enfants eux-mêmes en treillis… Tout cela
n’était guère rassurant… même si on se raisonnait pour se rappeler qu’il
s’agissait de réfugiés persécutés dans leur pays et qui n’avaient pas forcément
vraiment choisi de venir là.
N’était pas non plus très tonique la présence du stand d’un éditeur à
qui j’avais acheté comme l’an dernier un livre de poésie bien qu’il n’ait pas
répondu après que je lui ai envoyé - avec son accord express pourtant - mon
manuscrit Le Jour de gloire en Juin 95 ! Abonnée à sa revue, je
m’étais également sentie en droit de lui envoyer à mon initiative, mon texte Je
Suis en grève le deux Mai 96 resté lui aussi sans réponse.
Les seuls éléments émouvants étaient quelques Cubains avec des bakouas, chapeaux de paille typiquement
antillais et un drapeau en velours brodé d’un ancien pays de l’Est que je n’ai
pas réussi à identifier. Ainsi que la conversation que j’ai eu avec deux
Finlandaises qui m’ont dit qu’on fêtait aussi chez elles le Premier Mai, mais
en tant surtout que Fête du Printemps.
Au Lycée Mercredi un Elève turc de 1TSC1 persiste à lever les bras
lorsque je m’approche de lui pendant une interrogation écrite, pour montrer
qu’il n’a rien à se reprocher. Je lui explique sans parvenir à le convaincre,
que le geste n’est pas adéquat.
Dans la classe parallèle j’expulse un chahuteur qui fait sonner un
réveil. De retour après la récréation, il continue son agitation d’un Madame, Madame, il y a un morceau de craie
sur le rebord de la fenêtre !... Au milieu du cirque général et ne
voulant pas qu’il mobilise mon attention, j’évase d’un humoristique Nom de Dieu !... destiné à
relativiser l’incident. Ce qui était bien vu puisque le gros de la Classe
comprend ma réaction et rigole ! C’était sans compter avec les Musulmans
heureusement peu nombreux. Ils piquèrent du nez, consternés. Je n’avais pas
pensé que pour eux, il s’agissait d’un blasphème. J’en fus extrêmement
contrariée car ceux là sont des Arabes Républicains, pas intégristes pour un
sou !
Noël lui-même s’étonne et se plaint que l’Education Nationale lui
laisse tenir des propos ahurissants et il en déduit que c’est bien la preuve
qu’elle a du plomb dans l’aile. Il dit que normalement il devrait être viré à coups de lattes. D’une de nos
Elèves, il demande plutôt qu’un redoublement - qui pourtant s’impose
- elle passe rapidement dans la Classe Supérieure, pour éviter qu’elle
ne coiffe Sainte Catherine au Lycée !
Comme je disais que je ne supportais plus la situation sociale, et que
j’allais me mettre à hurler, une jeune femme de ma connaissance m’a dit de le
faire de préférence dans le métro, que c’est là que cela passerait le plus
inaperçu ! Cette remarque exprime exactement ce qu’il en est !...
Je suis verbalement violemment agressée par un Elève arabe d’une autre
classe que la mienne dans laquelle il était indûment entré pendant
l’intercours. On n’a pas voulu me dire son nom. J’ai donc dû enquêter sur une
base policière pour glaner quelques indices et m’apprête à le faire sanctionner
si comme son copain en est d’accord, il ne vient pas me faire des excuses. En
presque trente ans de carrière, aucun élève ne m’a parlé ainsi.
Assemblée Générale des Amis du Monde Diplomatique à la Salle de la
Mutualité totalement rénovée. Les caciques se sont empoignés de façon sauvage
dans le plus pur style de ce qu’était avant 68, l’AGEDESEP - section
Droit/Economie - de l’UNEF. C’est d’ailleurs peut être réellement les mêmes qui
ont simplement vieilli ! Le droit d’entrée à l’Association étant de six cents Francs et la cotisation
annuelle ensuite de cent soixante dix Francs, on est tout de même un peu choqué
de voir révéler toutes sortes de manipulations de tous ordres et j’en viens à
me demander s‘il ne s’agit pas là aussi d’une affaire analogue à celle de la Coopérative des Ecrivains qui
finalement nous a trompés.
Heureusement l’après-midi débute par un spectacle artistique
remarquable de la troupe dite Génération
Chaos qui délivre une prestation fabuleuse constituée essentiellement de
statistiques économiques commentées de façon très violentes. On est bouleversé
esthétiquement et politiquement et vient l’idée que ces jeunes gens sont des
Tupamaros faisant brutalement irruption sur la scène française. De toute façon,
j’ai déjà dénoncé la Sud Américanisation de la France.
On apprend qu’au Maroc - étant donné son prix - Le Monde Diplomatique soit loué !
Entendu de nouveau à France Culture - concernant les Humains -
l’expression d’objets vivants et sur Radio J, dans deux émissions différentes,
l’idée que la Shoah pourrait bien recommencer.
Quant à Edith Cresson, Commissaire Européen à vingt cinq millions
d’anciens francs par mois, disant Ils
en parlant des Français - comme c’est souvent le cas des Maastrichiens -
quelqu’un lui faisant état des drames que cela causait dans la société, elle
répondit : il faudra bien qu’ils s’y
fassent puisque c’est inévitable ! Lorsqu’on l’interroge sur l’amitié
de Mitterrand et de Bousquet, elle répond qu’il ne faut pas juger. Je me
souviens que lorsqu’elle était Première Ministre, elle traitait les Japonais de
fourmis ! Tout cela est glaçant…
J’apprends que la France est non seulement en queue de l’Union Européenne
pour la représentation des femmes au Parlement, mais soixante quinzième mondiale, derrière l’Ouganda !...
Au Lycée dans la lutte contre notre mise en esclavage, le nouvel
épisode est l’installation d’un poste téléphonique dans la Salle des Professeurs.
L’Administration veut le limiter à la possibilité pour eux de nous convoquer et
nous, nous exigeons de pouvoir également nous en servir à notre initiative.
Comme je fais remarquer que l’inverse ne serait pas normal, la secrétaire me
dit qu’en cas de besoin, pour les appeler on avait qu’à gueuler dans
l’escalier…
Deux de nos Collègues ne peuvent plus du tout faire cours dans leurs
classes, tellement ils sont chahutés pour cause de racisme…
Bénédicte hurlant dans la Salle des Professeurs qu’elle voulait tuer
l’élève Khayat qui au Bac Blanc - à la question sur le drame romantique - avait
parlé de Julien Sorel. Lorsqu’on sait qu’il s’agit là d’Elèves de 1STT
totalement déculturés, d’une jeune Arabe et de l’absurdité dans le contexte de
poser de pareils sujets, on devrait au contraire se féliciter d’une réponse si
près du but. Mais non rien à faire notre Collègue voulait tuer et hurlait dans
les oreilles de tout le monde, cherchant à accrocher quelqu’un… Et comme
d’habitude elle finit par hypnotiser Chantalle qui s’est gentiment assise pour
converser avec elle. Je lui ai dis qu’elle était tombée dans le chaudron et
alors elle a été furieuse…
A la sortie de la Salle des Professeurs, deux Elèves me harcèlent pour
que je leur retire leur zéro. Quant à celui qui m’a insultée, pas de
nouvelles !
Dans l’autobus, le conducteur grille allégrement les arrêts. Le ton
monte entre lui et les voyageurs qui s’inquiètent. La conversation s’envenime
avec l’une à qui il dit Vous avez le
choix Ou bien vous vous taisez et je vous laisse descendre, ou bien vous
continuez et je vous emmène jusqu’au prochain arrêt. Elle se tait et elle
descend. Je dis pour me soulager Quelle
ambiance ! Les voyageurs de l’autobus rigolent, ce qui permet de
décharger la tension, l’angoisse et l’exaspération car des incidents de ce
genre dans les transports, j’en subis de un à trois par jour ! La
fonction du bouffon amuseur, est elle d’assurer la régulation
psychosociale ?
A la Cantine du Lycée, Chantalle me fait remarquer qu’en matière de
fraises, les agents de service qui mangent avant nous, en ont consommé
largement hier mardi, alors que nous les Professeurs en avons seulement eu
quatre ! Déjà, cela s’est produit il y a quelques mois avec de la viande
immangeable qui nous avait été servie et au sujet de laquelle on nous avait dit
comme on avait protesté les agents ont eu
les bons morceaux…
De mon côté ce que je constate c’est qu’ils empiètent de plus en plus
sur l’heure de notre repas à nous, en prenant leurs aises après le leur qui
devance le nôtre. Ce qui apparaît - lorsqu’on observe - c’est que finalement
les Agents et les Elèves sont mieux traités que nous les Professeurs. Que
faut-il en déduire ? Non seulement que nous sommes prolétarisés cela n’est
pas une découverte, mais qu’il y a autre chose. Quoi ?
Cette phrase de Baudrillard qui dit une partie de ce que nous vivons Ce n’est donc plus l’Humain qui pense le monde. Aujourd’hui c’est l’inhumain qui nous pense.
J’ajouterai Qui en tout en cas nous
gère !
De nouveau exécution d’une Classe sur le mode d’une discrimination
visible, comme il y a trois ans. Mais là il n’y a même pas le motif qu’ils ont
fait la grève contre le CIP. On pourrait donc dire qu’il s’agit là de racisme à
l’état pur !
Déjeuner avec la nouvelle Assistante Sociale qui contrairement aux
précédentes semble prendre son travail à cœur. Nous échangeons nos points de
vue. J’apprends ainsi que nous allons être classés en ZEP (Zone d’Education
Prioritaire). J’apprends également qu’au Lycée Professionnel Marie Laurencin -
à côté de chez nous - trente pour cent des Elèves ont des parents sans papiers
et que même certains de ces jeunes scolarisés sont reconduits à la frontière.
Je finis par me demander si en fin de compte, cette masse de démission qu’on
enregistre tout au long de l’année ne sont pas en fait, des expulsions. Et
comme je lui demande si chez nous, c’est la même chose concernant le
pourcentage de sans papiers, elle de me répondre que Pas beaucoup !
Conversation sur le relent nazi qu’il y a dans l’air du temps. On me
fait remarquer que la différence réside idéologiquement parlant dans un
individualisme forcené et une absence de volonté de se reproduire.
Partout des grèves dures et des manifestations avec matraquages. C’est
le cas de mes Collègues de Seine Saint Denis qui l’ont été comme ils allaient à
l’Inspection Académique réclamer des secours contre les agressions violentes
dont ils sont les victimes dans leurs Etablissements. Bilan : un
traumatisme crânien !
Ma seule joie ces temps ci, c’est le cinéma auquel je retourne. Après
le chef d’œuvre de Jean Luc Godard Mozart
for ever, j’ai vu deux fois Reprise d’Hervé
Le Roux pour lequel j’ai fait une critique à l’américaine.
Vendredi j’ai vu Assasins(s) de
Mathieu Kassovitz qui n’est pas tout à fait un chef d’œuvre car Michel Serrault
semble avoir voulu diriger la mise en scène et donner un côté humain au
personnage, ce qui sonne faux. Si Kassovitz ne s’était pas laissé influencer,
on aurait eu un vrai chef d’oeuvre ! Michel Serrault dit lui-même dans un
entretien qu’il ne comprend pas le personnage et à soixante huit ans je n’en
suis pas étonnée. Mais n’importe quel Professeur qui a les Elèves dans les
classes, le comprend lui parfaitement.
On ne peut même pas parler de violence, tant son omniprésence dans le
film empêche d’une certaine façon qu’on la prenne en considération, voire même
qu’on la perçoive. L’effort d’humanisation de Serrault est donc plutôt à
contretemps, car on est dans une jungle absolue dans laquelle l’humain en tant
que tel, n’a pas lieu.
Mais ce que j’ai trouvé d’intéressant dans cette œuvre - outre ses
qualités cinématographiques novatrices - c’est le fait que la Télévision marche
du début à la fin, zappée sans cesse et montrant toutes sortes d’horreur qui
sont ensuite reproduites dans la société réelle. A la fin du film, c’est un
Elève de troisième qui sans état d’âme tue son professeur. C’est un travail sur
l’absence de filiation.
J’ai également vu le film de Jean Luc Godard Allemagne 90 neuf zéro, d’abord tourné pour la Télévision et
passant enfin en salle. Comme d’habitude bien sûr, il a sur le plan de la forme
plus d’une bonne coudée d’avance. Je crois reconnaître là des recherches
formelles qui sont cinématographiquement les homologues des miennes dans Canal
de la Toussaint, Ton nom de végétal et aussi Vous qui prenez sur
vous l’ordre du monde que j’avais commencé en 1991 pendant la Guerre du
Golfe pour l’abandonner et le détruire après la bataille perdue de Décembre
1995.
N’hésitons pas à le dire Allemagne
90 Neuf zéro fait apparaître For ever
Mozart, un chef d’œuvre d’académisme formel. C’est tout dire. Je subodore
qu’il faudrait le comparer au film de Rossellini Allemagne année zéro dont il se veut un hommage, un pastiche, une
reprise en compte…
Mon soutien en ce moment, c’est la lecture du Journal de Tchoukovski
qui raconte la période de la Révolution Russe. Chez les écrivains même détresse
- accablement et maladie - qu’aujourd’hui avec en plus la faim et le froid.
Mais en contre partie une solidarité humaine qui manque cruellement ici, bien
que je la sente venir au fur et à mesure que le partage commence à se faire
entre les individualistes définitifs et les refondateurs qui n’ont pas renoncé
à l’âme collective. Ceux là en quelque sorte serrent les rangs sur un mode
biologique et essaient - dans la mesure de leurs moyens - de ne pas en
rajouter.
Par contre si je constate des ressemblances dans la détresse
personnelle de l’écrivain, la différence essentielle tient à l’encadrement bolchévique - l’édition continue - là où chez nous elle est en
train de naufrager. Néanmoins ce soutien est en même temps écrasement puisqu’il
faut écrire dans le sens indiqué, là où à nous on ne nous demande rien et où on
ne compte plus pour rien, c’est tout !
Mais ma réflexion va plus loin. Il me semble qu’il y a erreur à décoder
les événements sur le mode de la
demande de propagande de la part de l’Etat Bolchévique. Cela, ce sont des grilles occidentales. Ce qu’on ressent plutôt à la lecture de Tchoukovsky
c’est l’effort de l’Etat Bolchévique pour organiser et articuler le tout :
Le Corps Commun.
L’utilisation des écrivains en étant plutôt la conséquence! La réponse à une
question du genre Que peut-on
faire d’eux ?
Ce qui me pousse à penser cela - en plus de tout ce que je sais déjà -
c’est l’attribution des rations matérielles après débat sur les qualités.
Est-il un bon poète ? Est-il un bon écrivain ? etc…
Là aussi il y aurait une étude de fond à faire. Ce que les gens ne comprennent
pas au sujet de la Russie, c’est la pensée
fusionnaire de l’indivision !
Ici c’est exactement l’autre bout de la chaîne : Une atomisation sans nom puisque ce sont les corps eux mêmes
qui sont en voie de dislocation
Horreur du changement de régime au Congo. Aux massacres de Kabila
s’ajoutent des disparus auquel l’ONU ne s’intéresse pas et pire encore - si on
peut dire - l’absolu mensonge qui recouvre tout cela. On fait semblant de
découvrir que Mobutu a détourné des milliards et que les Occidentaux l’ont
soutenu ! On fait semblant de croire que Kabila est un progressiste
libérateur alors que Guevara lui-même le décrivait dans son journal comme un
jouisseur avide d’argent… il y a plus de trente ans et il est peu probable que
cela se soit amélioré !...
La gauche du Parti Socialiste me parait elle-même assez inquiétante.
J’en veux quand même à Chevènement de ne pas dénoncer les massacres de Kabila
au Congo et le caractère obscène du régime qui succède à celui de Mobutu. Je
lui en veux aussi de ne pas informer sur la Conférence qui va avoir lieu à
Amsterdam dans trois semaines et dont les enjeux sont graves. Autour de moi
personne n’est au courant et si je le suis, je le dois à ma pugnacité dans la
lecture de la Presse.
Krivine à la Télévision, calme, débonnaire, rigolard avec ses cheveux
blancs et disant que si cela continue il n’y aura bientôt plus que son groupe
pour être anti-Maastricht… Ce qui n’est peut être pas faux… si on ajoute
Philippe De Villiers.
Coup de téléphone aux Editions An Amzer à qui j’ai proposé mes recueils
de poèmes à la foire de Quimper où nous sommes allées avec mon ancienne
partenaire de théâtre. Ils vont sans doute en éditer une partie mais ils ne
savent pas encore laquelle car me dit mon interlocuteur Vous n’y avez pas été de main morte pour me dire qu’il y en avait
beaucoup, ce qui était vrai ! Ils ont - disent ils - aimé mon style ancien ! J’aime bien
l’expression, je la trouve juste et en effet c’est tout à fait cela !
J’ai dans la foulée téléphoné à Voix qui m’a commandé Cellla
pour lequel j’ai déjà corrigé deux jeux d’épreuves mais dont - depuis le début
de 96 - je suis sans nouvelle.
Dans la rubrique sacrée, la machinerie virtuelle a réussi à faire
chanter ensemble Edith Piaf et Charles Aznavour, la chanson Tes yeux bleus. Quand on sait ce qui les
a liés, l’idée émeut terriblement, mais ce qui bouleverse encore davantage,
c’est l’imperfection de cette réalisation plutôt bric-à-brac. Il n’y a
notamment pas l’élan l’un vers l’autre que traduisent habituellement les voix
de ceux qui chantent ensemble et qui fait qu’on est transcendé !
Dans le même ordre d’idée Kasparov - qui a perdu son tournoi d’échecs
contre l’ordinateur Deep Blue dans des conditions discutables - demande qu’on
organise d’autres parties en disant IBM
doit la revanche à l’espèce humaine. Fermez le ban !
Alain Minc prône ouvertement la quasi fusion avec l’Allemagne, au motif
que vu de Singapour, l’Allemagne ou la France c’est pareil !... et taxant
ensuite à tout va, les contradicteurs d’être des populistes. Et ne perdons pas de vue qu’il est Président de
l’Association des Lecteurs du Monde !
Quant à mon ostéopathe au statut de profession libérale autrefois
profondément réactionnaire, il s’est mis à tenir des discours anticapitalistes.
De son côté l’entrepreneur qui me refait la salle de bains et a sous ses ordres
cinq employés, il me dit à midi sous couvert de plaisanterie concernant le Code
de la porte qu’il ne faut pas oublier Par
exemple 1789… Je lui réponds en rigolant Je vous entends parfaitement, mais maintenant il s’agit de le
faire !
Depuis un ou deux ans d’ailleurs, les gens se disent les uns aux autres
qu’ils sont prêts ! Et moi qui parle à tout le monde - et tout de suite
sur le fond - dans la rue, les boutiques, les transports, les lieux publics et
privés, je n’ai pas rencontré une seule personne qui ne soit pas d’accord et
qui soutienne la Classe Politique ! La coupure est complète...
Cette procédure d’agrément populaire d’une idée à l’inverse d’un
système représentatif devenu fictif, me fait penser au film de Costa-Gavras Etat de Siège - et il faudrait vérifier
- dans lequel on voit les Tupamaros voter sur un projet d’action à venir en
montant à tour de rôle dans un autobus pour donner leur opinion à la personne
chargée de la recueillir. Cela m’avait frappée à l’époque, comme procédure de
démocratie directe. Là il me semble que c’est une procédure analogue, mais
ouvertement et en gros sans doute parce que c’est l’Europe et peut être plus
particulièrement la France. En tous cas c’est très émouvant !
Sur un ton naturel et enjoué un marchand de journaux rue Rochechouart J’accepte tout : faux billets, chèques
en bois, cartes bleues volées…
Plusieurs magazines ont abandonné le papier glacé pour des papiers
ordinaires. J’en suis désespérée car c’est pour la beauté des images, le bruit
du froissement et l’odeur que je les achète ou me jette dessus chez les
médecins et coiffeurs sans compter que pour les collages artistiques que je
réalise, cela ne pourrait pas faire l’affaire…
A RFI un quidam a parlé de cette fameuse Conférence d’Amsterdam en
disant que cela être la nuit des longs
couteaux. Comme quoi je ne suis pas
la seule à voir ce que je vois.
Pénible excursion au Quartier Latin. Et c’est bien le mot excursion qui
convient. D’abord par l’ampleur de la tâche physique harassante étant données
l’état de mes jambes et par l’aspect de tourisme car plus rien ne m’y relie
d’autre que des achats d’articles relevant de boutiques spécialisées dans la
lecture et l’écriture. Mais même dans ce cas, j’y vais le cœur serré. Après y
avoir été pour toutes sortes de raison comme un poisson dans l’eau, j’ai le
sentiment désormais, à tort ou à raison d’en être exclue.
Situation hallucinante du pays :
En haut les Eurocrates qui préparent notre liquidation dans la fusion
transeuropéenne et l’abolition des Etats, des cultures et des nationalités. On
assiste à la constitution d’espaces transnationaux voulus pour briser les
structures existantes, alors même qu’historiquement et géographiquement, ils ne
correspondent à rien.
Au milieu, une classe politique dans sa très grande majorité
collaborationniste et qui évitant soigneusement toute allusion aux problèmes
réels est complètement coupée de la population. Cette classe là est intimement
liée à la classe médiatique qui se donne tous les jours un peu plus en
spectacle, le nouveau symptôme étant tous ces types s’appelant désormais par
leurs prénoms, se tutoyant et faisant publiquement état de leur affection à
haute connotation de tendresse.
En bas NOUS, la population qui se débat de toutes ses forces et
contrarie sur le mode violent l’action menée par les Eurocrates.
Les téléphones portables font des ravages. A la librairie La Hune sans
se gêner, une jeune femme répondait au milieu des stands sans avoir l’idée
d’aller dehors, ni même de concevoir qu’elle troublait la réflexion des
clients.
Partout sur les affiches, dans les magazines et les vitrines, des
images de femmes nues. Je me demande si pour finir cela ne joue pas un rôle sur
l’identification des uns et des autres. C’est peut être l’une des causes pour
lesquelles les hommes se prennent de plus en plus pour leur propre mère, et
peut être même nous aussi. Cette femme nue sans caractère, qu’on voit partout
est peut être la nouvelle idole totalitaire, cellllllllllle avec qui on peut fantasmatiquement fusionner sans
qu’aucun barrage puisse s’y opposer, la madone
cybernétique.
Je suis obsédée par le fantasme d’imaginer dans mon coin de campagne,
surgissant par les prés, un groupe de nazis en uniforme et parmi eux une
connaissance qui m’est chère. Ceci pour donner la mesure de l’horreur actuelle.
A la Télévision France 3 Picardie, un reportage sur les émeutes
agricoles. Un Eleveur laitier interrogé résume Finalement c’est toujours le producteur qui compatit ! Comme
quoi parfois les fautes de français révèlent la vérité. Ce que sait depuis
longtemps la création littéraire elle-même.
Divine surprise au résultat du premier tour des Elections : la
Gauche est majoritaire alors que personne ne s’y attendait. Le visage de tous
ces beaux messieurs hier à la Télévision faisait plaisir à voir. Ils en
rabattaient un peu de leur morgue.
Hier Juppé démissionne ! Cela aurait pu me faire plaisir, mais ce
ne fut pas le cas. L’humiliation d’un homme, fut il un ennemi n’est jamais
belle à voir. Cela m’a fait penser à La Loi de Thomas Mann dans laquelle
justement la première injonction de Moïse est qu’on ne doit pas se réjouir de
la mort de l’ennemi et j’ai été contente de constater que spontanément le
malheur de cet homme m’avait fait de la peine. Pourtant la grève de Décembre
1995 comme il était Premier Ministre fut affreuse et son manque d’humanité insupportable
et inquiétante, au point que j’avais même écrit dans mon texte Je suis en
grève cette phrase Je me souviens
Alain Juppé, de ton manque de compassion.
Jean Lebrun l’épingle ce matin à France Culture en rappelant qu’il
avait dit que les fonctionnaires
faisaient de la mauvaise graisse pour faire comprendre qu’il fallait s’en
débarrasser. Le Journaliste était alors là dans une sorte de fonction de
justice divine, presque de prononciation de sentence, le rôle du Destin dans
les tragédies antiques.
Une annonce dans le métro Suite à
un plan social à la SNCF, la connexion de Nanterre n’est pas assurée… etc…
Hier trois pompiers et deux contrôleurs RATP tourmentaient plutôt
qu’ils n’aidaient une femme âgée tombée dans la rue et qu’ils avaient assise
sur une chaise. Comme elle émettait des cris de désespoir, je me suis approchée
et un pompier m’a dit Circulez ! J’ai
dit que comme elle appelait j’arrivais, avant de m’entendre vertement répondre Vous voyez bien qu’on est là et qu’on s’en
occupe. J’ai montré que j’en doutais en disant simplement La bonté !
Je suis accablée de la faiblesse de la rentabilité de mes efforts pour
mettre Au Présage de la mienne en vente chez Publico. Heureusement j’ai
reçu le dernier livre d’Anise Koltz poète remarquable connue l’année dernière à
Toulouse. J’ai ouvert au hasard, j’ai lu un poème, absolument tragique et j’ai
éclaté en larmes. Je lui en ai voulu et j’ai refermé le livre que j’avais
néanmoins terminé à la mi-journée. Ainsi qu’un livre de Moyano. Là aussi je
tombe sur un texte qui me touche. Ce sont ces types de liens qui passent
maintenant là aussi au premier plan. Des liens d’artiste à artiste, directement
puisqu’il n’y a plus de médiation.
J’ai enfin terminé la rédaction de l’article sur La Reprise d’Hervé Le Roux commencé il y a plusieurs semaines. Je
lui ai envoyé en lui demandant une piste de publication. Je l’ai également
envoyé à Marie Victoire Louis de Projets
Féministes et sur son conseil à Chroniques Féministes en Belgique. Je ne
suis pas fâchée d’en être venue à bout, car cela m’a demandé beaucoup de
travail. J’ai vu deux fois le film. Et cela m’a fait plaisir parce que c’est la
première fois que j’arrive à mener à terme une critique à l’américaine,
c'est-à-dire autour de la métaphore centrale. Je voudrais l’introduire en
France et faire pour elle, ce qu’elle a fait pour moi. Je me suis rendue compte
cette année à quel point je m’étais américanisée non pas par la culture, mais
par le mode de pensée si on veut bien faire l’effort de voir la différence.
J’avais déjà commencé cet hiver une critique du même genre pour le
livre LTI de Klemperer mais je n’ai pas eu le temps - ou l’énergie ou la
motivation de le mener à bien - mais là en plus il y a ce flux
cinématographique dont j’ai parlé précédemment.
C’est partout la jungle et les activités de la vie quotidienne
deviennent un cauchemar. Un exemple : Tandis que je pèse mes fruits et
légumes au supermarché deux femmes derrière mon dos essaient de prendre ma
place en mettant leurs marchandises à elles sur le plateau de la balance, au
milieu des miennes. J’étais bien décidée à leur donner un coup de pied si je ne
parvenais pas à empêcher leur intrusion. Dans le même temps un homme clamait Les femmes c’est comme les melons, il faut
en essayer dix pour en trouver une de bonne ! Mais signe des temps, un
autre a tout de même protesté, ce qui m’a dispensée pour une fois d’intervenir.
Ensuite comme je faisais la queue, une môme jouait sur mon caddy à moi comme si
c’étaient des agrès et son frère me poussait le sien dans les reins sans doute
en espérant me faire avancer plus vite… Tout cela pendant que passe sur le
tapis roulant de la nourriture homogénéisée empoisonnée sous plastique à un
rythme trop rapide pour nous tandis que la caissière mécanisée nous jette tout
cela comme si nous étions des chiens…
J’apprends que le dioxyde de carbone est deux fois plus élevé dans le
métro qu’en surface ! C’est peut être la raison pour laquelle la paralysie
me prend lorsqu’il s’agit d’y descendre. Par ailleurs cela confirme les
intuitions de la Cantatrice.
Hier soir, meeting du Front National lors duquel Jean Marie Le Pen
présente à son public la tête en carton pâte de Catherine Trautmann - la Maire
de Strasbourg - sur un plateau ! Et cette image a été retransmisse dans
tous les foyers. On est là dans l’ombre noire du sacré. Sans doute ce que Jean
Genêt appelait l’aura des condamnés à
mort !
Au Lycée les Elèves ont commencé à démonter une porte et l’intervention
de la Surveillante Générale et du Censeur n’ont même pas suffi à rétablir
l’ordre. Je crains qu’à la rentrée prochaine, ils viennent nous cogner dans la
Salle des Professeurs. On a globalement perdu toute autorité et moi-même je
suis à la limite.
Dans la rubrique Nous les objets
vivants hier, pour se hisser sur son siège d’autobus, une femme s’est
vigoureusement appuyée sur mon genou déjà douloureux. Je l’ai dérobé en
allongeant la jambe et j’ai publiquement vitupérée.
Cherchant la conversation de fond avec mes Collègues, notamment deux
qui ont le même âge que moi, j’apprends de l’Une qu’elle lisait Le Monde lorsqu’elle était à Sciences
Po, mais apparemment plus depuis et d’un autre qui enseigne la Philosophie
qu’en matière de Jean Luc Godard, il en est resté à Pierrot le fou, c'est-à-dire il y a vingt ans ! Et pourtant
cet homme est un brave type qui enseigne Platon à ses Elèves…
Les services vétérinaires ont menacé de fermer la Cantine du Lycée pour
insalubrité !...
On aborde sans joie le deuxième tour des Elections Législatives.
Concernant le PS qui va sortir de là, on sait d’avance qu’il va mener la même
politique que la Droite, et encore en nous mentant davantage !
Un banquier RPR a été mis en examen ! C’est le premier cas !
Il est impliqué dans les détournements de fonds du Crédit Lyonnais, il était
responsable de l’ancien immeuble de France-Soir, du chantier du métro Eole qui
a fait écrouler un immeuble et du Passage du Havre à Saint-Lazare… De l’argent
s’est là évaporé et en quantité…
Cette affaire confirme la justesse de ma méthode de Sciences Sociales
au ras des trottoirs. C’est à la rentrée 1992 que la panique m’a prise au vu
des immenses chantiers qui généraient l’épouvante parce qu’ils étaient d’un
nouveau type. Par leur taille d’abord car il s’agissait de pâtés de maison
entiers qu’on démolissait intégralement et brutalement, et que les
constructions qui suivaient l’étaient avec des grues monstrueuses qui
surplombaient la ville. Ce qui frappait avant tout c’était le changement d’échelle
et le fait que l’être humain semblait ne compter pour rien !
Je suis stupéfaite de découvrir que dans la Salle des Professeurs, mes
Collègues font la tête. N’en croyant pas mes yeux et pour plus de sécurité je
les provoque d’un Vous n’allez pas faire
la gueule pendant toute la Législature ? Puis en questionnant
individuellement chacun pour lui proposer de fêter avec moi la victoire de la
Gauche, je m’aperçois qu’il n’y a personne pour le faire en dehors de deux
jeunes professeurs plus ou moins arabes ou métis. Il y a là quelque chose
d’accablant. De plus j’en soupçonne certains de voter davantage Front National
qu’ils n’en ont l’air.
Inversement chez le marchand de vidéo à côté du Lycée, l’employé est
rayonnant et le climat léger et rigolard.
L’étonnement d’entendre Madame Simone Veil (UDF) dire Cela va se régler dans le sang ! A
quoi fait-elle allusion ?
Une promenade au Quartier Latin se fait dans une toute autre ambiance que
celle d’il y a quinze jours. C’est beaucoup plus sympathique et je n’ai plus ce
sentiment d’exclusion de la fois précédente. La revue d’avant-garde La Voix du Regard N°10 dans laquelle est
publié mon article A bord des Frères Lumière est en bonne place dans la
librairie dans laquelle j’ai mes habitudes et cela me fait plaisir. Je fais
quelques achats. Naturellement cette différence d’état d’esprit par rapport à
ma visite précédente est à attribuer aux résultats des Elections qui recréent
la possibilité d’un futur.
Déjeuner hier et aujourd’hui avec mes très chères amies avec qui le
contentieux épais ne peut pas être abordé sans déclencher chez elles deux
séparément un comportement de fuite et de rupture. La relation est donc
engoncée dans la fausseté. Je ne supporte plus leur volonté de me maintenir
dans le formatage qu’elles ont institué et de tenter de me soutirer ce que je
leur donnais auparavant largement, mais que je ne suis plus disposée à faire,
car je les soupçonne en fait de double jeu politique.
Exposition Fernand Léger que j’ai toujours bien aimé. Mais ce peintre
ne souffre tout de même pas la comparaison avec les grands Matisse, Monet
etc... C’est un bon illustrateur qui subvertit les propos auxquels il est mêlé.
Ainsi, dans le Manuel de Droit du travail, il est parfait, ou bien sur les
billets d’entrée à la Fête de l’Humanité. Mais seul, en tant que tel, il est un
peu jeune, léger et c’est le cas de le dire. Ces œuvres sont plus des panneaux
décoratifs que des tableaux, si on veut bien admettre cette distinction. Les
détails sont intéressants à voir et il est également satisfaisant d’avoir le
temps d’y réfléchir. C’est justement à mon avis, l’avantage qu’il y a à
regarder les tableaux sur un livre de reproductions. Certes dans ce cas, la
dimension émotive que fournit la présence physique du tableau est alors
inexistante. Mais il faut noter et je cite de mémoire cette déclaration
reproduite sur les murs de l’Exposition Le
corps humain n’est pas plus important qu’un marteau ou un écrou…ou quelque
chose de ce genre… Il ne faut donc pas s’en étonner.
A l’arrêt de l’autobus en sortant de l’Exposition, le banc de trois
places est déjà occupé par deux personnes un homme et une femme qui n’ont pas
l’intention de bouger pour me laisser m’asseoir alors même que je ne tiens plus
debout de fatigue. Je fais du forcing et m’assieds quand même. On est serré à
se toucher mais ils ne se déplacent pas alors qu’il y a de la place des deux
côtés du banc. La bonne femme me dit alors Faut
maigrir ! Et moi de lui répondre du tac au tac Et vous vous devriez grossir vous seriez moins désagréable ! Vous
avez vu la gueule que vous avez ! Du coup elle se lève et je jubile
comme chaque fois que ceux qui m’agressent sont renvoyés dans les buts.
Hier de nouveau une pollution qui atteint l’indice de Sept. A tomber par terre !
Médusée, la France populaire attend la suite des événements. D’après
les sondages, la moitié des gens sont favorables aux Ministres
Communistes ! Deux plus un Secrétaire d’Etat ! Il n’y a pas d’état de
grâce et pour cause, mais au moins un espoir…
Avant-hier Rue de La Chapelle, un état de délabrement lamentable et
préoccupant pour l’une des rues d’un Paris devenu si chic…
Concerts de Chants Mongols et Tibétains, Salle Aydar, Square Rapp d’une
remarquable beauté. Un immeuble art nouveau avec un gigantesque figuier. Je
suis d’autant plus émue de ce chant mongol que la compositrice est partie
l’apprendre pour l’adapter à l’Opéra La folle baisure dont j’ai écrit le
livret. J’ai compris ce soir là ce qu’elle voulait dire concernant le fait
qu’on entend plusieurs voix à la fois et jusqu’à pouvoir imiter les chants
d’oiseaux. Vive émotion également devant la danse du Lion de Neiges et du Yack
réalisées par deux acteurs enfilés dans la même peau.
J’ai vu à la Bibliothèque du Lycée un petit film HIGHER, réalisé par
une Elève Safa Ung pour son Baccalauréat dans le cadre de l’option cinéma. Un
petit chef d’œuvre ! Et elle qui a mis en scène l’opus en question, de me
dire qu’il était prévu que seuls les garçons - douze sur quinze - allaient
jouer et qu’elle a dû parler du politiquement
correct pour qu’on fasse jouer dedans
au moins une fille qui en l’occurrence se trouve avoir été elle. Je suis
d’autant plus heureuse que j’ai martelé cette notion toute l’année dans ce sens
là, à savoir le sens américain, positif. Je me réjouis également que son petit
film roule sur le thème de la naissance. On y présente l’Ecole comme une
matrice qui enferme et la sortie comme la naissance à l’état de nourrisson. A
noter également une allusion cinématographique à la séquence de l’escalier
d’Odessa dans le célèbre Le cuirassé
Potemkine.
Dernier après-midi : conversation très prenante avec mon jeune
Elève Khayati, l’Intellectuel débutant. Je lui ai donné une leçon particulière
de Droit Public puis de fil en aiguille nous avons parlé du racisme, du
fascisme, du futur de la France en disant notre commune aspiration à l’harmonie
gallo-arabe et notre crainte de la Guerre Ethnique.
Comme je lui disais qu’il n’y avait pas que des racistes en France mais
aussi beaucoup de gens comme moi et comme je lui demandai comment nommer ce
courant, il dit en bégayant La France
Idéale. Et comme je disais que je n’étais pas une débutante dans le domaine
de l’Art - ayant déjà publié treize livres - il dit toujours en bégayant C’est une œuvre ! Je lui ai dis
aussi qu’en tant qu’intellectuelle émancipée, j’étais moi aussi dans la ligne
de mire des fascistes… ce que de toutes façons il savait déjà. Il m’a confirmé
ce que j’espérais, à savoir que le résultat des Elections validait
effectivement mon discours républicain.
Safa Ung est arrivée et la deuxième heure - qui normalement aurait du
être celle des Travaux Pratiques - a été consacrée à parler de son film. J’ai
proposé de lui faire une critique si son Professeur de Cinéma avait un endroit
pour la faire publier. Mais même sans possibilité de publication, elle était
très enthousiaste et poussait à la roue… Mes tentatives d’évoquer le fonds du
film n’aboutirent néanmoins pas car il m’apparut qu’en fait, c’était
inconscient !
A midi, assaut de propagande d’un Professeur venu d’un Lycée Catholique
et j’ai été obligée de la moucher durement avec le soutien de la Surveillante
Générale.
Les médias ne parlent que des Affaires Européennes et il n’y a plus
aucune nouvelle de la vie politique française. Cette notion semble avoir d’ores
et déjà disparu. J’ai lu dans le journal Le
Monde le récit de l’arrivée de Strauss-Kahn au Ministère de Bercy.
L’article n’était pas signé et se terminait pas un On aurait dit une scène du Parrain ...
Dans un réfectoire sans fenêtre, correction du Brevet de Technicien
Supérieur, encore plus truqué que d’habitude ! Cette fois c’est par écrit
qu’on nous demande de noter sur vingt deux, ce qui à coup sûr est plus sûr que
de noter sur vingt ! Je fais publiquement remarquer qu’on nous demande de
faire des choses qui ne sont pas régulières et contraires à la conscience.
L’Inspectrice qui nous avait abordés, en nous traitant d’abord de Collégiens qui
faisaient du bruit, répond que c’est comme cela et que c’est tout !
Personne n’intervient pour m’appuyer ni poser aucune autre question. Bref c’est
l’écrasement complet : En dehors du trucage du barème on nous recommande
par trois fois, l’indulgence.
De nouveau, dans un profond abrutissement dû à la pollution au point de
me demander si je ne vais pas être obligée de quitter Paris car concernant
l’ensemble de l’organisme, elle me rend malade.
Une publicité de Schweppes représente carrément une tête de mort avec
le slogan Gardez la tête froide !
J’ai vu hier une grande partie de La
pêche au Trésor des Marx Brothers. Le film tient la route et fait
apparaître Woody Allen comme un pâle imitateur. L’idiotie est ce ce qui n’est compréhensible que par la personne
qui la dit ou la commet. Au sens d’idiome ?
La tension monte dans le pays, le Gouvernement est pris en tenaille
entre l’Union Européenne qui fait pression pour continuer - au pas de charge -
la dite construction ultra libérale inouïe et inédite, tandis que la population
veut tout autre chose. Il n’y a aucun débat et la désinformation est organisée.
Ils n’osent pas encore nous dire comme l’Inspectrice récemment C’est comme cela point final mais on
sent bien qu’ils le pensent déjà. S’ils ne le disent pas encore, c’est parce
que pour le moment, le mensonge suffit. J’ai dans ma propre vie, constaté que
la force brute ne se dévoile que lorsque le mensonge ne suffit plus. Nous
faisons des efforts colossaux pour seulement nous assurer une place d’ouvrier
spécialisé dans le monde qui vient et encore, ce résultat n’est même pas
assuré. Nous serons au mieux le prolétariat fabriquant des idées, des concepts
et des informations dans la Grande Machine Cybernétique qui se met en place en
écrasant tout sur son passage.
J’ai lu Journal de guerre de Jean Malaquais tout à fait
instructif ! On y voit comment en fonction de ses conditions d’existence
il est en situation ou non d’avoir des préoccupations littéraires ou non. Un
changement d’unité militaire lui redonne le goût de l’écriture. Mutatis
mutandis je suis dans la situation dans laquelle il était dans une unité dans
laquelle la trivialité et la violence sans compter l’injure, finissaient par
empêcher toute vie intellectuelle.
Là, la trivialité c’est l’ensemble de la Télévision et de
l’Informatique, de la pornographie omniprésente et de l’économie comme
dévoration apologétique qui finissent par constituer ensemble une architecture
de satisfaction des besoins sans aucune culture. Ceci explique que dès que je
suis en relation avec quelqu’un (e) qui aspire à s’élever, la vie reprend
normalement. La culture est ce alors une mise en forme distante et
réglée ?
Une folle s’est installée dans le quartier il y a quelques mois et
depuis elle harangue le quartier avec des phrases qu’elle nous répète en
ritournelle Nous ne partageons pas les
mêmes valeurs. Je suis consciente à chaque instant : Vous êtes des bêtes
sauvages ! Ni agressive ni méchante ni dangereuse, elle est bien
tolérée par les habitants et j’en suis heureuse car cela démontre une fois de
plus que la rationalité qu’on tente de nous imposer n’est pas nécessairement
une réalité à la base. Elle arbore par ailleurs des costumes splendides et
ridicules qui sont des caricatures de la féminité, chapeaux à plume etc… Elle
se remaquille avec des gestes théâtraux, en occupant tout le trottoir ! Là
aussi, je parlerai de l’idiotie dans le sens que j’ai évoqué plus haut.
La première mesure prise par le nouveau Gouvernement est la
régularisation des sans papiers. Pas de hausse du SMIC, les Usines continuent à
fermer et celles qui ne ferment pas, licencient. On a le sentiment qu’on nous
jette et qu’on importe à la place de la main d’œuvre. Déjà en 1981, les
Enseignants ont été les grands oubliés de la réduction du temps de travail et
je n’ai jamais entendu qui que ce soit le faire ne serait ce, que
remarquer !...
Après le Rwanda en 1994, et le Congo Zaïre récemment, c’est maintenant
le Congo Brazza qui est en proie aux massacres… Parmi les évacués par voie
aérienne, une Scientifique accompagnée des cinq gorilles du zoo. Devant l’armée
occupée à cette tâche on est quand même un peu décontenancé pour ne pas dire
scandalisée. L’expression consacrée c’est L’EXTRACTION des Français. S’agit-il
d’une opération minière ou d’un arrachage de poireaux ? Dans la confusion
de l’homme et de l’animal qui va de paire avec l’abolition de l’humanisme, une
limite vient d’être franchie.
Beauté du pot chinois que j’ai acheté pour y mettre ma lessive. Si on
cherche à comprendre cette beauté si particulière, c’est l’éclat, le bruit que
fait le couvercle lorsqu’on le déplace – il évoque l’instrument de musique - la
qualité de la couleur dans sa nuance et dans sa transparence, le toucher et
quelque chose d’autre encore qui doit avoir trait à l’énergie et qu’on pourrait
appeler l’anti plastique !...
Emmenant ma mère en voiture dans mon coin de campagne, alors qu’elle
est âgée de quatre vingt six ans, en traversant le Vexin, elle a cette phrase étonnante C’est
beau ces coquelicots, on voit qu’on n’est pas encore en Enfer ! Je
n’ose pas comprendre !...
A France-Culture j’entends parler d’un quatorze Juillet à la Belge sur
le thème Wallons-z-Enfants de la Patrie,
le jour…etc…Comment mieux dire ce qui nous lie ?
J’écrivais il y a quelques temps qu’ILS licenciaient par paquets de
mille. On n’en est plus là. Electrolux débauche douze mille personnes … En
Europe ! Précisent-ils… Pour une globalisation, cela en est une…
A propos d’extraction et d’incurie… l’Ambassade de France à Brazzaville
au Congo, n’ayant pas tenu à jour la liste de ses ressortissants n’a pas pu les
trouver…
Hier, au Quartier Latin une pollution d’Enfer m’a empêché de respirer
avec sensation d’asphyxie et de brûlure, ce que je n’avais jamais éprouvé à ce
point là. Le Journal Télévisé de la Trois et Le Monde ont supprimé la publication des indices.
Il n’a pas été possible de ne pas signer le Pacte de Stabilité mais au
moins il est maintenant publiquement reconnu que cette construction européenne ne va pas de soi et qu’elle se fait contre
les gens, dans la violence. D’une certaine façon, c’est au moins la défaite de
la propagande.
Samedi dernier, soirée poétique à l’initiative des Messagères du Poème, une association basée dans le dix-huitième
arrondissement et consacrée à la poésie féminine. J’en ai eu connaissance grâce
aux Américains et à leur bulletin du CIEF. C’est dire si la communication
circule bien dans l’Hexagone. J’avais décidé d’y lire Pour toi je planterai
un magnolia et quelle n’a pas été ma surprise de constater que les cinq ou
six françaises qui étaient là parmi les trente trois femmes invitées, lisaient
toutes des poèmes d’amour avec deux catégories en fonction de l’âge. Les jeunes
flirtaient avec la folie dans le style de mes Soleils Immobiles et
celles de mon âge qui déploraient l’absence de l’homme ou son indifférence… Et
ô stupeur, c’est mon poème à moi qui m’apparaissait le plus lumineux et le plus
amoureux… Dois-je en déduire qu’à l’âge que j’ai, en matière d’amour j’ai
encore la meilleure part, ce que je crois déjà savoir !
Mais au-delà de ce premier constat, la question que je me pose est la
suivante : Etant donné que le choix du texte était tout à fait libre et qu’on
ne s’était pas concertées, comme cela a-t-il pu se produire. ? Sans doute
à cause de l’extrême codification de la société française. Le bon goût
consistait certainement - dans cette situation - à faire cela. Certaines
diraient qu’il s’agit là de l’aliénation des Femmes Françaises et c’est vrai
aussi. Le même phénomène a pu être observé pour d’autres groupes de pays mais
sur d’autres codes que l’amour. Par exemple les TOM/DOM ont clamé leurs
révoltes politiques contre la France, les Maghrébines toutes de timidité et de
réserve, les Européennes un peu décalées ainsi que les Canadiennes égales à
elles mêmes dans leur refus absolu du masochisme, du malheur et de quoi que ce
soit qui soit une entrave à leur développement et à leur confort. Ceci pour le
meilleur et pour le pire.
Au-delà de ces remarques ces trente trois voix féminines, chacune pour
leur compte, constituaient un ensemble puissant et prenant. Cela rendait
d’autant plus inacceptable la discrimination générale dont souffre les Femmes
qui paraissaient là nettement au-dessus de ce qu’on trouve habituellement.
Dans la foulée je suis allée à une lecture dans une institution
canadienne mais ce n’était pas la même musique. Sans doute est-ce dû à la
politique de subventions qui poussent à l’édition systématique pour la défense
de la langue française. C’est cela qui provoque un climat favorable à la
circulation des idées, à l’ouverture, à la novation mais c’est moins
convaincant en ce qui concerne les œuvres. Peut être y a-t-il aussi un certain
manque de transcendance qui de notre point de vue est indispensable à l’œuvre
littéraire.
A noter une publicité présentant l’homme d’affaires comme une poupée
sur un présentoir, moulé sous plastique avec ses accessoires, ordinateur et
téléphone portable, montre, cravate etc… Sinon des images de plus en plus
menaçantes : Des dobermans, des lunettes noires, des postures d’emprise.
Le Marché de la Poésie, un peu moins pénible que d’habitude car je
commence à m’habituer. J’ai porté à Dumerchez l’article sur le détournement de
l’argent du Centre National des Lettres dont il n’avait pas entendu parler car
il était d’accord pour l’édition du Jour de gloire, mais a du renoncer
justement, faute d’obtenir la subvention.
Au stand du Loup de gouttière
où se vend mon Au Présage de la mienne un homme nous cherche noise à
Gabriel Lalonde et à moi-même sur le thème du Je n’aime pas vos œuvres ni de l’un ni de l’autre, j’ai eu la
surprise d’entendre Gabriel que j’avais d’abord rencontré dans le vieux Québec,
répondre tranquillement Je m’en
contreciboire ! Il est difficile de porter plus loin l’invention
langagière et l’expression de l’essence du Québec dans sa Révolution Tranquille. Il
est sûr que dans ce stand, on respirait un autre air !...
Je suis allée voir ensuite l’un des éditeurs qui me l’avait demandé
lors de l’une de nos nombreuses conversations téléphoniques. Malheureusement
bien qu’il ait aimé mes textes, aucune perspective de publication. J’ai aussi
de ci de là prospecté d’autres stands, laissant notamment un recueil de poèmes
à l’Harmattan après avoir exposé ma situation.
Chez Encres Vagabondes le contact fut chaleureux et tonique et on s’est
trouvé d’accord pour que j’envoie une nouvelle. De même à La Voix du Regard que
l’allais saluer, on me demanda un autre texte, ce qui me combla d’aise car je
venais de terminer la critique cinématographique de La Reprise d’Hervé Le Roux.
Mais par ailleurs je n’ai pas pu aboutir dans d’autres démarches que
j’avais en cours, parce que c’était trop pénible…
J’y ai rencontré une très chère amie qui ayant appris - par des tiers
qui m’y avaient entendue - que j’avais participé à la soirée des Messagères du Poème au Centre
Culturel Belge alors que ce n’était pas son cas - bien qu’elle connaisse
l’organisateur - était déchaînée de fureur et glapissait dans tout le marché
qu’il était inacceptable qu’elle n’ait pas été invitée.
J’ai dû couper court en partant très mal à l’aise. Mais elle m’a
rattrapée au restaurant de la Place Saint Sulpice d’un Tu manges ! Crié à
trois mètres, comme si je commettais un délit et j’en ai été glacée. La
conversation qui a suivi était vraiment déplaisante laissant largement
pressentir que notre relation - déjà dans le coma - n’en avait plus pour
longtemps. Cela donnait l’impression d’un barrage qui venait de sauter et dans
un autre milieu, on aurait peut être dit A
l’abordage ! Finalement - par l’âge - enfin libéré du salariat, tout
ce qui en elle avait été refoulé remontait là brutalement à la surface avec la
conviction qu’elle allait triompher de moi dans un rapport de force qui lui
était enfin plus favorable !...
Le délire de l’acculturation américaine : On entend aujourd’hui en
France, la météorologie évoquer les
plaines du Sud Ouest alors qu’on aurait dit autrefois simplement
l’Aquitaine…
Les taxis qui étaient autrefois - outre leur facilité et leurs
bienfaits - une source de joie, un havre de paix et de médiatisation sont en
train de devenir impraticables. Leur niveau de vie a terriblement baissé et la
coupure est réelle avec les clients. On a vraiment l’impression qu’ils
cherchent à les en faire baver. Ils mettent maintenant leurs radios sans leur
demander leur avis. Je suis même tombée sur une chauffeure qui chantait en
anglais et étant donné son état d’excitation, j’ai évité d’en rajouter, me
contentant de ne pas donné de pourboire.
L’Avenue de Clichy est dans un état absolument crapoteux et des
éléments de façade semblent près de dégringoler. A signaler également les
grilles qui en rez-de-chaussée se généralisent et donnent une impression
carcérale.
Hier, deuxième tour au Marché de la Poésie après un premier passage
jeudi. D’autres contacts divers qui n’ont pas été aussi chaleureux que je
l’aurais espéré. Nous avons continué à rigoler avec Gabriel Lalonde à qui j’ai
expliqué le fonctionnement de la société française, mais la rencontre avec les
lecteurs n’a pas été aussi gratifiante que celles qui ont lieu aux Editions des
Femmes. Notamment les gens étaient un peu choqués de me voir dans un stand
étranger et d’autant plus que j’ai accusé le coup sur le thème de LA FRANCE EN
EXIL. Ce qui d’ailleurs n’est que la triste vérité !
Deux lecteurs ont même voulu mon adresse, pour quoi faire mystère,
l’avenir le dira… Un macho franco-français qui avait lu Mère la mort et
était au courant du mouvement américain, m’a encouragée tout en me volant un
livre. Il m’a par ailleurs montré qu’il ne comprenait rien à la situation car
niant la discrimination des Femmes et leur interdiction d’accéder à la Théorie.
Pur bonheur par contre avec deux lecteurs Professeurs dans le Nord qui se sont
emballés pour ce que j’avais écris sur les Conseils de Classe, me disant qu’ils
vivaient la même chose… Ils ont chacun acheté un exemple de mon Au Présage
de la mienne. L’un des deux était d’origine asiatique.
A signaler également sur les marches de l’Eglise Saint Sulpice un poète
faisant une performance au milieu de sculptures cadavériques et d’une grande
banderole sur laquelle était écrit La
décréation du monde a commencé ! C’est tout à fait cela !
Arrestation dans les milieux pédophiles. Quatre suicides !
Il y a plus de littérature à un comptoir de bistrot que dans tout
Saint-Germain réuni.
Après la suppression des allocations familiales au-dessus de vingt cinq
mille Francs par famille, la première mesure que prend le Gouvernement de
Lionel Jospin est l’affirmation de la nécessité de dégraisser le Mammouth, car c’est ainsi qu’il appelle
l’Education Nationale. Il y a projet de porter le service des Agrégés de quinze
à dix huit heures, ce qui est tout de même étonnant lorsque l’air du temps est
à la réduction du temps de travail - eu égard au chômage ambiant - et qu’on se
souvient qu’il n’y a déjà eu aucune amélioration lors de la victoire de 1981.
Ce rallongement parait plutôt motivé par la haine, car les conditions
de travail étant devenues impraticables, on comprend mal comment on peut en
faire davantage. Je n’approuve pas la différence des statuts mais pourquoi
brimer les plus diplômés ? Dans les Octantes, c’est bien le même Parti
Socialiste qui a promu tout le lumpen-prolétariat des PEGC en les alignant
sur les Certifiés alors qu’ils n’en avaient pas les compétences. Le même projet
prévoit d’ailleurs la liquidation des Grandes Ecoles et jusqu’à la mise en
cause de l’idée même des diplômes acquis. Quand on regarde l’ensemble avec un
peu de recul, on est glacé.
Après l’annonce de ces projets, je n’ai plus du tout envie de rédiger
le rapport que Janine Baude m’avait demandé la veille pour le compte des
Autorités concernant les mesures qu’on pourrait prendre pour aider le livre. En
effet avec de pareils projets pour l’Education Nationale, il n’y a rien à
espérer dans ce domaine. Au contraire il suffit d’aller au bistrot pour
retrouver la langue vivante, la société, l’âme, tous les affects qui font la
vie des gens - ce que j’appelle la littérature - et que depuis quinze ans dans
la continuité, les pouvoirs publics se sont acharnés à détruire, me maltraitant
moi-même à un tel point que je ne crois même plus pouvoir tenir le choc.
Si on y ajoute les projets de contrat de mariage pour les Homosexuels
que la communauté du même nom tente depuis des années d’arracher au Parlement
et qu’on met tout cela bout à bout, on constate un dessin qui fait un drôle
d’ensemble. On change de civilisation.
Je suis allée corriger le Baccalauréat au Lycée Balzac. Pas la moindre
annonce d’affichage pour s’orienter dans cet immense bâtiment. Manifestement on
ne nous attend pas. Quant au Chef de Centre, il n’est pas là et ne viendra
pas ! On découvre alors que la légitimité manque et que les Professeurs
qui viennent d’ailleurs sont là comme des idiots privés de sens. Une matière
correctrice sans architecture, sans forme, sans constitution. Bref on arrive
quand même à s’y mettre. A onze heures, la Directrice apparaît, vient nous
saluer et morigéner la CPE qui était prétendument la Chef de Centre en
disant J’en ai assez de ces CPE qui ne
veulent rien faire ! Puis elle est venue nous serrer individuellement
la main ce qui a eu comme effet de restaurer la légitimité de l’ensemble de
l’opération.
J’ai lu Le Testament français consternant comme livre en tant
que tel et j’ai été choquée qu’il ait obtenu en 1995 les prix Goncourt et
Renaudot.
Chez l’acupuncteure du Boulevard Pereire, comme elle-même trouve
l’ambiance sociale malsaine, je comprends que toutes ces mesures qui sont
prises instaurent une sorte de BIONOMIE D’ETAT, de gestion de la matière
vivante. Ils ne veulent pas gérer nos communes ressources, ils veulent nous
gérer NOUS et avant tout semble t-il dans nos vies privées. On a l’impression
d’une tentative de stérilisation.
Partout dans les images des femmes nues et le reste du temps affublée
des vêtements masculins type, notamment le slip et la cravate…
Les ventes des libraires ont diminué de moitié les six derniers mois.
On ne peut pas dire que cela soit porteur pour les maisons d’édition et les
poussent à accepter de nouveaux manuscrits.
A l’initiative du Syndicat des Ecrivains dans le cadre d’un S.E.L. je
suis allée hier soir à une réunion des Auteurs pour tenter de créer une
structure autogérée ayant pour but l’entraide. On y a lu des poèmes et des
nouvelles, mis en vente des livres. C’était sympathique et cela débouchera peut
être, contrairement à la Coopérative des Ecrivains qui n’a été qu’une simple
escroquerie. Les tables étaient installées comme pour les émissions de
Télévision, montrant par là que c’est bien elle qui désormais donne le ton. J’y
ai découvert du coup qu’elle rendait difficile la communication et était une
source de dislocation supplémentaire.
Brutalité inouïe dans le démantèlement des milieux pédophiles. On en
est au cinquième suicide ! La Directrice d’Ecole qui a cherché un
arrangement au lieu de dénoncer a été mise en examen. Mais lorsqu’on voit
comment on est accueilli par la hiérarchie lorsqu’on cherche à les alerter sur
les problèmes sociaux des Elèves…
On apprend que le Traité d’Amsterdam signé il y a deux semaines a prévu
la suppression des discriminations en raison des orientations sexuelles et que
du coup les Homosexuels demandent à grand renfort de médiatisation les mêmes
droits que les Hétérosexuels pour la pension de réversion, l’adoption des enfants
et les allocations familiales. Nombreux reportages destinés à montrer que les
couples homosexuels sont des couples comme les autres et des personnalités
politiques qui font chorus pour nous expliquer à quel point tout cela est
épatant. Pas un mot de critique ! Quant à la Gay Pride, elle prend cette
année le nom de bizarre d’EUROPRIDE. Quant aux entreprises, elles nous
expliquent à quel point les Gays sont des clients intéressants car ils ont un
niveau de vie élevé et sortent beaucoup.
Tout cela était d’autant plus poignant que ces reportages plus que
complaisants étaient suivis de séquences sur la fermeture de l’Usine Renault de
Bruxelles à Vilvorde dont les Ouvriers avaient espéré le sauvetage avec
l’arrivée du Gouvernement Jospin qui avait promis une Commission d’Expertise…
qui a malheureusement conclu à la nécessité de la fermeture !...
Lu de Pierre Legendre La fabrique de l’homme occidental qui
roule sur le narcissisme ambiant et dont j’ai la joie de constater qu’il se met
enfin au lyrisme, y compris pour la Philosophie. Je critique tout de même qu’il
voit dans le mythe d’Abraham, l’invention de la filiation et non comme moi de
l’espèce humaine et pense qu’il s’agit d’un père réel et non de ce qui peut
être le troisième terme, la loi, la forme, la constitution.
Hier splendide concert à la Collégiale de Gerberoy avec Jacinta - une
chanteuse yiddish - et un orchestre tsigane Les
Yeux Noirs. L’esprit soufflait là. Je n’ai pas voulu assister à la
deuxième partie qui jouait un quatuor de Brahms pour rester sur le goût sacré.
Je suis allée dire mon émotion aux organisateurs de ce festival. Ils n’en
avaient ouvertement rien à faire. Pourtant la qualité était bien supérieure à
celle des concerts de l’Abbaye de Sylvanès.
Dans la même semaine j’ai trouvé deux éditeurs pour mes recueils de
poèmes. An Amzer rencontré à la foire de Quimper prend effectivement Resserres
à louer et Ecbolade Poèmes de la Petite France.
Mais dans la même période l’horreur d’une visite au neurologue de Saint
Antoine car la paralysie qui m’affecte depuis la crise d’arthrite de Février
1996 a atteint de plus le bras droit. Le bâtiment était absolument crapoteux,
délabré, sale, à l’abandon, sentant la pauvreté et le malheur, une véritable
vision du Tiers Monde, n’eut été sur la porte des toilettes un poème que j’ai
recopié : Sur les comptoirs de
l’amertume/ Où vont trinquer nos désespoirs/ J’ai posé ma dernière thune/Pour
mon dernier calice à boire…
Comme il me disait qu’il ne savait pas ce que j’avais, il m’a conseillé
d’aller voir un psychiatre et comme je répondis que cela ne me paraissait pas
opportun étant donné que j’avais abouti dans ma psychanalyse, j’ai visiblement
aggravé mon cas. La conversation s’est envenimée et comme il disait que je lui
faisais perdre son temps, je lui ai balancé pour finir deux cents francs à la
figure… avant de m’enfuir !...
Etant donné ce que j’ai déjà écris dans Le Quimbois sur le
scientisme de la médecine de l’époque, il faut admettre que cela a continué à
évoluer dans le même sens. Le machinisme hospitalier a de fait rejeté dans les
cordes, toute humanité…
J’ai raconté le tout à la femme acupuncture que je fréquente depuis
quatre mois et après avoir appris que ce Collègue était jeune, elle m’a
expliqué que c’était leur nouvelle formation, on devait impérativement entrer
dans une case, si on n’était pas un carré mais un rond, on vous envoyait chez
le psychiatre et elle m’a parue assez au courant de la procédure…
Je suis allée proposer mes dessins concernant la Guerre de Bosnie, au Centre Culturel Yougoslave
Parvis Beaubourg en espérant une éventuelle exposition. Lorsque j’en ai dit le
thème, on m’a répondu un Quelle
guerre ? Il y en a eu des tas de mauvais augure. Et comme je disais
que cette série de dessins devait revenir à une institution yougoslave,
on m’a carrément proposé de faire une donation, ce qui m’a refroidie. J’ai dit
que c’était impossible ayant moi-même au sein de ce pays, besoin d’aide, ce
qu’elle a admis. Après coup je me suis dis que ce Centre devait être tenu par
les Serbes et que je n’y étais pas forcément la bienvenue. J’ai néanmoins pris
rendez vous pour la semaine suivante.
Aux oraux du Baccalauréat, je n’ai jamais vu une pareille disparition
de l’encadrement logistique local. Non seulement pas de Chef de Centre, qui
déjà n’était pas là aux corrections de l’écrit mais là, même les subalternes
sont absents. A huit heures du matin, on tombe sur la Directrice toute seule
sur le pont et se plaignant de ne pas trouver grand monde. Je lui dis qu’en
1940 à Chartres, il n’était que deux Le Préfet et L’Evêque et que le Préfet,
s’appelait Jean Moulin !
Les sujets à proposer aux Elèves sont désormais directement fournis par
le Centre des Examens ainsi que les Travaux Pratiques et les Corrigés. C’est un
tissu de propagande et il s’agit d’une façon ou d’une autre de réciter un
catéchisme dont les deux idées forces sont qu’il faut supprimer les dépenses de
l’Etat et baisser les salaires, avec comme thèmes annexes, la flexibilité et la
disparition des charges. Du coup on a rapidement l’impression que les Elèves
récitent des morceaux plus ou moins trafiqués et mal prononcés de ce par chœur
qui aurait lieu dans une langue étrangère qu’ils ne comprendraient pas.
De mon côté je me livre à ma pratique habituelle expérimentée depuis
des années. A savoir demander au candidat quel est son sujet favori et de lui
dire de m’expliquer tout ce qu’il sait concernant ce thème là. On élimine ainsi
le hasard de la question, voyant tout de suite au fond ce qu’ils ont comme
connaissances et compréhension de la matière elle même. Là, on constate qu’en
dehors de ce corpus plus ou moins su, il n’y a rien. Les Elèves paraissent un
peu morts.
Je découvre également que ce catéchisme parait normal à mes Collègues
qui fonctionnent de la même façon et n’y trouvent rien à redire. C’est même
cela qui a permis leur promotion et c’est moi qui suis désormais l’anomalie, le
fossile témoin du monde disparu. D’ailleurs, ils ne comprennent rien à mes
interventions. Comme la Présidente du Jury avait consigné sur le Procès Verbal
que nous avions fonctionné dans l’absence totale de soutien logistique, les
Collègues l’ont signé de façon… illisible ce qui en dit long sur leur peur.
J’ai de mon côté signé très lisiblement bien qu’à contre cœur tellement il
avait été désagréable de travailler avec eux car ils ont été jusqu’à modifier
une note déjà enregistrée pour empêcher un Elève de faire appel devant la
Commission.
Pour finir comme les Elèves attendaient les résultats massés dans la
cour du Lycée, et qu’ils me demandaient ce qu’il en était, je leur ai fait un
discours commençant par Reçue ou collée,
la Jeunesse aujourd’hui a droit à la compassion… et j’ai continué sur le
mode pédagogico-prophétique que me réussit si bien en classe… lorsque cela
marche… Ils m’ont applaudie et j’en ai été très heureuse. Cela rédimait ces
oraux (et écrits) plutôt nuls.
Enfin concernant l’impact de la Télévision sur la vie des gens à noter
qu’une Elève qui avait préparé une question me dit qu’elle allait essayer de me
répondre en direct et la Présidence
du Jury au lieu de parler de pause,
s’est mise à parler d’entracte !
Je ne me suis pas laissée découragée et j’ai honoré le rendez vous en
allant vaillamment montrer mes dessins de La
Guerre de Bosnie à Gordana
Glisic Jeblicka, Attachée Culturelle au Centre Yougoslave 123 Rue Saint Martin
Paris IVe qui m’a carrément dit non pour ma proposition d’exposition sur ce
thème. Elle m’a dit qu’il ne fallait plus parler de la Guerre et que d’ailleurs
elle n’était pas terminée.
Elle m’a raconté qu’ils avaient une fois exposé un tableau sur la Bataille de Vukovar et qu’il avait
fallu faire venir les CRS le jour du vernissage, qu’il n’était donc plus
question d’exposer des choses qui prêtaient à controverse et qu’il fallait
montrer des choses gaies… J’en ai conclu qu’ils voulaient tourner la page pour
des raisons pas forcément malséantes et ce n’est pas moi qui le leur
reprocherais car j’écrivais en 1985 : LE MONDE DOIT ETRE FAIT TOUS LES
JOURS.
Comme je lui demandais s’il n’était pas possible de trouver quelqu’un
qui achèterait, elle m’a dit que c’était impossible parce que les gens
n’avaient pas d’argent et en tous cas pas pour ce genre de dépenses. Ce que je
comprends également. Enfin elle me proposa de m’adresser à une association
serbe dont elle me donna les coordonnées. Cette femme m’a parue intelligente et
comprenant ma démarche… sans malice. Néanmoins elle me dit que j’aurais mieux
fait de les apporter au moment où cela se passait car cela aurait pu servir à
le dénoncer !...
Enhardie par cet échec – si je peux dire - je
me suis rendue à la Galerie Blondel qui fait le coin de la rue Quincampoix et
j’ y ai recommencé le même discours. On m’a dit qu’on ne cherchait pas
d’artistes, ce à quoi j’ai répondu que cela tombait bien car je ne cherchais
pas à exposer. Elle a pouffé de rire et a bien voulu regarder la série de
dessins sur la Guerre de Bosnie.
Elle m’a dit que les gens n’achetaient jamais des images de guerre car ils en
voyaient déjà suffisamment à la Télévision ! Et même à la Galerie - car
c’est un commerce - et il faut vendre !
J’ai été frappée de constater que c’était quasiment la même
argumentation qu’au Centre Yougoslave et j’en ai déduit qu’il fallait que la
guerre reste taboue comme le moyen suprême de la prédation. D’une certaine
façon, le fond de l’affaire de la dévoration...
Conversation avec Jennifer qui trouve l’explication de l’attitude de
l’Association Le Lys (bosniaque) qui avait bien aimé ma série de dessins sans
pour autant donner suite. C’est dit elle dans la mesure où l’objet associatif
est la réconciliation, il n’est pas adéquat d’évoquer la guerre. Elle me
conseille de m’adresser au Musée de la Guerre ou à l’Unesco.
Conversant également les techniques d’émancipation psychique, il
m’apparaît que les Américaines ont à voir avec des techniques de
représentations imagées qu’il s’agit ensuite d’éloigner de soi, c'est-à-dire
une résolution du côté du HORS, alors que les Françaises sont basées sur la
parole, du côté de la perte et tournant autour de l’articulation du EN et du
HORS.
Preuve objective de mon enlisement intellectuel du à la situation
sociale : D’habitude à cette époque de l’année, je mets en ordre les notes
que j’ai pris au hasard tout au long de l’année sur des morceaux de feuille
éparses. Il en était ainsi depuis 1982 au moins et cela avait depuis abouti à
toute une série de regroupements semi-ouvrés. Or là, rien !
Ont tout de même été mises ensemble, les notes sur la Shoah constituant
à partir d’elles un article dénommé Souffrir avec moi du monde que j’ai
envoyé sans succès à un ou deux éditeurs avant de le faire à Serge Klarsfeld
qui m’a plutôt conseillé la revue des Temps
Modernes et m’a dit n’être pas d’accord avec moi sur le caractère
impensable de la Shoah.
Ce que d’ailleurs je ne devais pas non plus penser moi-même puisque ce
petit essai s’en préoccupe en cherchant justement à penser cellla, mais plutôt comme une transgression ou une nouveauté. Il m’a
dit que c’était un événement historique, ce que je n’ai pourtant jamais nié.
Mais cette remarque sur une différence de sensibilité m’a été utile.
J’en ai tenu compte en modifiant la dernière version pour y intégrer cette idée
qui d’une certaine façon a donné son assise et son aplomb au texte. Cette idée
du caractère impensable de la Shoah est en fin de compte en effet une idée de
la propagande pour dénier l’Evénement. Je comprends donc qu’il faut la
combattre - mais seulement après en avoir été victime moi-même – parce que
c’est le premier maillon d’un déni.
Je comprends aussi que si j’en ai moi-même été victime c’est parce que
la société française est d’héritage catholique, qu’il implique la négation de
la mort grâce à la résurrection et en ce qui me concerne, que ce sont les liens
avec un psychanalyste qui m’en ont délivrée.
Les Temps Modernes m’ont répondu par la voix de Claude Lanzmann
ou plus exactement par son secrétaire qui demandait que j’envoie directement
l’article chez lui.
J’ai vu la semaine dernière Les
affinités électives des Frères Taviani d’après Goethe. Si le film est
parfait du point de vue cinématographique, je suis consternée de cette ambiance
mortifère dans laquelle tout échoue. Je suis sortie de là avec un bourdon que
je n’avais pas en entrant. On n’est pas comme cela intoxiqué avec un livre car
comme il faut faire un effort pour lire - et dans ce cas-là - on abandonne.
Dans les publicités on voit des cadavres qui arborent les vêtements
qu’il faut mettre en valeur ! On croit rêver, mais non ! Ou bien une
femme d’affaires véreuse avec des menottes ouvertes et le slogan délit d’initiée … pour vanter un costume
de chez…
J’ai réussi à m’arracher à l’enfermement qui me gagne pour aller de
nouveau dans un Café Philo du côté de Jussieu. Je les avais
déjà fréquentés en 1994 avant de les abandonner parce que le niveau était
consternant. J’étais contente d’y être à l’aise, plus pour le contact affectif
qu’intellectuel…
La transformation de mon quartier est spectaculaire. Là où étaient les
boutiques de la vie quotidienne se sont maintenant des installations
nécessaires à la vie des entreprises, des boutiques d’électronique de tous
ordres, des biens immobiliers, des sociétés de conseils, de l’import export.
Bref l’apparition du dualisme qu’on voit dans les pays sous développés. Comment
s’étonner dans ce cas de l’angoisse de mort qu’on éprouve puisqu’on ne parvient
pas à briser l’étreinte ?
Des scènes étonnantes : Un homme occupé à téléphoner sur le trottoir
avec son portable, ses dossiers installés sur le rebord d’une fenêtre d’un
rez-de-chaussée dont les persiennes étaient fermées. Non seulement ses dossiers
étaient ouverts mais était aussi installé tout son petit fourbi de clefs etc…
et l’homme en costume et cravate ! Un cadre sans bureau fixe :
SBF ! J’ai vu aujourd’hui l’homme parfaitement mobile, tel que le rêve
l’ultralibéralisme.
Un autre quelques heures après était installé sur l’herbe de la Place
Pereire alors que la pelouse est interdite, dans une sorte de fauteuil relax et
lisait un vrai livre comme s’il était à la plage… alors qu’il était au milieu
des voitures !!
Plusieurs maires ont pris des arrêtés pour interdire aux mineurs de
moins de douze ans de circuler la nuit, non accompagnés. Cette décision me
parait de bon aloi dans la mesure où la Collectivité se substitue alors à la
faillite familiale. Ce n’est pas l’avis du Gouvernement et les Ministres
Chevènement et Royal ont critiqué ces règlements que les Préfets ont d’ailleurs
annulés…
Le sentiment que la fusion européenne est non pas irréversible comme ne
cesse de nous le répéter la propagande, mais plutôt irrésistible au sens d’une
pulsion qui nous dépasse. De toute façon, c’est un peu comme la conduite sur
verglas, il y a un moment où il vaut mieux continuer à rouler plutôt que de
donner un coup de frein brusque qui risquerait d’envoyer dans le décor. Je suis
par ailleurs convaincue que les prétendues Institutions
Européennes sont un pur leurre qui
fait croire qu’il y en a alors que leur fonction est au contraire de détruire
ce qui existe.
La polémique se développe dans les médias concernant les arrêtés
couvre-feu visant les mineurs de douze ou treize ans entre Minuit et six heures
du matin. Il est concrètement interdit de les laisser circuler la nuit. Mais
qu’y font-ils ? On se demande si le cassage des dits arrêtés n’a pas pour
fonction de détruire un peu plus la filiation en laissant les enfants divaguer
en dehors des familles. Enfin cette errance achève de confondre le jour et la
nuit, c'est-à-dire d’abolir la réalité concrète, ce que cherche à faire la
Révolution Cybernétique. Ceci va d’ailleurs dans le sens de la généralisation
du travail de nuit, qui avait pourtant été interdit en 1841 pour les femmes et
les enfants, inventant et inaugurant ainsi le Droit du Travail.
Incendie la semaine dernière au Palais de Chaillot et au Studio de
Boulogne… Après celui du Crédit Lyonnais l’an dernier. Hasard ou nouveau stade
du capitalisme mafieux ?
Conversation avec une éditrice qui m’a dit pis que pendre du texte que
je lui ai fait parvenir Défense et illustration de l’Amourante et
qu’elle envisage néanmoins d’éditer, ce qui est quand même une situation
nouvelle ! Je crois comprendre au cours de la conversation qu’elle a aimé
le texte mais qu’elle craint le ridicule en le publiant, sans compter tous les
arguments anti-commerciaux que je connais par chœur et qu’on me présente
habituellement. Je suis sortie de cet échange plutôt mal à l’aise espérant
finalement en fin de compte que l’affaire ne se ferait pas.
Télécom vient de sortir une série de publicités directement en anglais,
un vrai cauchemar. Partout sur les images, des femmes nues plus que jamais. A
sept heures du matin à la Télévision et sans aucune justification. Là j’ai tout
de même explosé qu’il s’agissait d’un viol qui détruisait mon univers mental.
Je me souviens que dans les Octantes j’étais obsédée par la curieuse
expression La bordélisation des rapports
de production – création de mon crû -
sans même comprendre ce que cela pouvait bien vouloir dire. Mais je crois
là désormais le savoir. Il s’agit de transformer en bordel l’espace social et
maintenant - dans la foulée - celui du foyer, l’espace domestique !
Les gens imposent la fusion par la force. On peut essayer de s’en
dégager de même, mais cela ne suffit pas ! On est dans une guerre
permanente qui use et à la fin de laquelle il n’y a jamais de traité de paix.
Dans cette ambiance totalitaire, tout et tous tendent
à imposer ce rapprochement pour téter
selon la formule canadienne ou dévorer. Le tout avec une absence totale de
toute autre préoccupation qui fait froid dans le dos.
Rencontré un type - ancien agent de l’EDF - qui explique le Fauvisme
par les modifications d’imprimerie qu’on peut faire grâce à l’ampoule d’Edison
dont la lumière était enfin continue. On imprimait alors couleur après couleur,
d’où le surgissement de couleurs aussi crues !...
Premier Salon du livre aveyronnais à Arzieu dans lequel un groupe
folklorique a dansé entre les stands avec un sérieux imperturbable, en mettant
ses évolutions exactement sur le même plan que les livres. Ce qui est
d’ailleurs aussi ma propre Philosophie. Le discours inaugural disait d’ailleurs
clairement qu’il s’agissait d’une réponse à la dissolution d’identité que
causait la mondialisation… Quelques caciques locaux, véritables apparatchiks
socialistes vivant de subventions m’ont semblé filer un mauvais coton ! Un
ami les décrit assez justement comme des courtisans en mal de créneaux. Quant à
l’hostilité dont ils ont fait preuve à mon égard, la cause en est pour lui dans
le fait que je démontre qu’on peut faire son chemin sans subvention là où eux
militent pour un art intégralement d’Etat.
Tuerie généralisée en Algérie au rythme de cent personnes par jour avec
des moyens artisanaux, au sabre, au couteau, à la bombe. On est étonné de voir
le journal Le Monde titrer L’Algérie en voie de normalisation. On
croît rêver ! Le corps de l’article développait la thèse du Gouvernement
algérien à savoir celle du terrorisme
résiduel…J’ai entendu des gens dirent que c’était lui qui tuait à tour de
bras et cela m’avait paru idiot… Ce sont surtout les femmes et les enfants
qu’on tue, il est vrai que ceux là se défendent moins et cela s’apparente à une
liquidation. Peut-être le Gouvernement et les Islamistes sont ils de mèche pour
liquider une partie de la population parce qu’il y a trop de monde - eu égard
aux ressources économiques - et que cela permet de fait de prendre leur place.
D’aucun autour de moi ne dit pas non !
Expliquant à une Américaine le sens de l’expression phare de Mai 68 Nous sommes tous des Juifs Allemands,
j’ai la stupéfaction de m’entendre répondre qu’il est déjà difficile d’être
allemand d’une part et juif de l’autre, et qu’il est donc extravagant de
prétendre cumuler les deux difficultés.
Soirée poétique avec l’Association d’Europoésie dans un petit
restaurant du côté de la Bourse. Je suis frappée de constater combien chacun se
risque sur son texte pour le meilleur et pour le pire mais surtout frappée
d’entendre les gens chanter si facilement leurs textes sur des musiques de leur
cru ! Il me semble que la poésie est en pleine expansion ! Notamment
un poète canadien - conteur plutôt - s’accompagnant d’un violoncelle nous narre
trois contes. Le premier d’Andersen, la théière,
un autre québécois et enfin un amérindien sur le thème de la cassure. Et le monde entier était
convoqué par et dans cette trilogie. Cela mériterait un plus long développement
car en fait, il s’agit là du fond.
De tels massacres en Algérie qu’on est dans l’ordre du génocide ! On se dit que cela
relève d’une intervention extérieure.
Madame Boisset une voisine d’un certain âge un peu handicapée avec une
canne, avec qui je plaisante souvent me dit Vous
êtes le soleil de cette maison !
AG a vendu son appartement à New York pour payer les études de sa
fille. Cela situe ce type de société et sa problématique quotidienne. Ici
logement et scolarité n’ont pas vraiment de points communs et ne relèvent
certainement pas d’une substitution.
Lady Diana, l’ex-femme du Prince Charles d’Angleterre est morte dans un
accident de voiture avec son ami égyptien britannique dans le souterrain du Pont
de l’Alma. Je me souviens de Maïr qui m’avait dit il y a quelques saisons,
comme la Princesse commençait à dire du mal de la famille royale dans les
médias : Je ne serais pas étonnée si
dans quelques années elle avait un accident de cheval… On se dit qu’en
France ce n’est pas le genre et qu’on a plutôt recours au prétendu suicide…
D’où est venue à Maïr cette intuition ? Shakespeare ? La tradition
britannique ? C’est tout un ! Naturellement la voiture est la version
moderne du cheval…
L’Afrique hurle à l’assassinat raciste, car pour eux il s’agissait
d’empêcher la Princesse d’épouser un musulman dont le père milliardaire taille
des croupières à la Famille Royale !
J’ai pris mon courage à deux mains pour téléphoner à Claude Lanzmann qui
me l’avait fait demander par son secrétaire après avoir trouvé très beau le
texte que je lui avais envoyé Souffrir avec moi du monde (Le crime
d’Oswiecim) Il m’a dit avoir eu une semaine horrible et de le rappeler la
suivante et qu’alors on se verrait. Je crois n’avoir jamais été autant
impressionnée de ma vie et que je ne pourrais même pas lui parler.
Je ne suis pas mécontente de ce sursis qui coupe en deux le choc !
C’est certainement avec Victor Hugo et Dostoïevski lorsque j’étais enfant,
l’artiste qui m’a le plus influencée, allais je écrire, je voulais dire qui
pour moi, a le plus compté.
Rencontré par hasard Jean François que j’ai invité à venir demain, voir
mes dessins.
J’ai vu une femme noire fardée d’un épaisse emplâtre de fond de teint
destinée à la faire prendre pour une Blanche ou tout au moins pour une basanée,
sans plus !
Etonnement et incompréhension de certains concernant la folle ferveur
qui a surgi lors de l’enterrement de la Princesse Diana et qui est prise à tort
pour une histoire digne du magazine Vue
et Images du monde alors que tout au contraire, elle incarnait la démocratisation. Comme l’a dit François
Giroud – qu’il faut pour cela remercier - toutes les
Femmes se sont reconnues en Diana bafouée et humiliée. Pas un mot néanmoins sur
le fond de l’affaire, de l’éventualité d’épouser un Arabe musulman et de
l’alliance possible qui en serait résultée. En même temps, ils comprennent
encore moins qu’elle était - d’une certaine façon - la championne de
l’américanisation, la starisation contre l’Aristocratie.
A noter à Westminster, le discours ahurissant
de Spencer, son frère, d’un rare courage et d’une violence étonnante. Dans le
genre Vous avez tué ma sœur, je ne vous
laisserai pas faire du mal à mes neveux et je veillerai sur leur éducation pour
perpétuer l’œuvre de leur mère etc… Ce ton inédit et incompréhensible pour
la société française - alors qu’il fut vigoureusement applaudi par la foule -
s’explique pour moi par les fondements même de la démocratie et de la royauté
anglaise : Premier entre les pairs, élu. Ce n’est pas comme cela l’aurait
été en France le vassal s’adressant à son suzerain, mais le pair (l’égal) qui
disait que l’alliance était rompue et qu’il pouvait y avoir la guerre. On a le
sentiment que la monarchie pourrait en choir.
Pour la première fois depuis six mois qu’il est mort, j’ai rêvé de
Marc. Il était en costume d’époque comme un philosophe des Lumières.
Concernant la désinvolture
lorsqu’on cherche l’étymologie du mot, on trouve l’involution et on comprend que cela s’applique tout à fait à mon
cas. L’involution c’est ce qu’ils essaient de m’imposer les uns et les autres.
La désinvolture, c’est le pas de côté qui me permet de m’en libérer.
Horreur des affiches dévoilant la société qui vient. Une campagne du
magasin le Printemps avec les slogans suivants Naître à soi même (une femme Phénix) Refuser de choisir (elle est vêtue d’une chemise d’homme) Etre l’unique paysage (elle est en tenue
de soirée) Et bien sûr partout des femmes nues dans des postures obscènes. A la
station de métro Havre Caumartin, d’un des deux côtés de la station six
affiches de femmes nues, le derrière en l’air dans diverses postures. On est
terriblement humilié !
Le passage du Havre est rouvert et comme je le craignais, rénové il n’a
plus rien à voir avec ce qu’il était ! On est passé du dernier souk populaire parisien à une galerie
marchande de luxe. Un
crève-cœur ! Combien de fois y avais je retrouvé mes billes au sortir
d’une journée de travail pénible !...
Leur optimisme se comprend, Eux ils s’en tireront toujours car marcher
sur autrui ne leur fait pas peur.
Dans le journal Le Monde une
publicité pour Vuitton encore plus obscène que celle vue hier pour la
City ! Une femme en posture de chien avec des accessoires Vuitton dont un
stylo dans la gueule. Un tel matraquage d’images défavorables aux femmes est
certainement l’une des causes qui expliquent l’aggravation de nos mauvais
traitements.
L’idée que la crise sociale ne peut pas se résoudre pacifiquement parce
qu’on ne peut pas se la représenter, parce qu’on n’a pas comme les Anglais la
possibilité de la projeter quelque part, comme eux sur la Famille Royale.
Lu dans L’Evénement du Jeudi des
critiques littéraires anti-femmes d’une violence et d’une vulgarité inouïes. On
s’attaque à leur âge, les traitant de rombières etc..
Je pourrais bien sûr écrire pour protester mais je devrais dans ce cas écrire
chaque jour plusieurs missives alors même que je n’ai pas assez de temps pour
mes propres œuvres.
Le teinturier persiste à me donner du Mademoiselle alors que je lui ai déjà dit de ne pas le faire. Je
lui dis alors que si cela continue j’irais chez son concurrent. Il m’invite
alors à prendre l’apéritif, ce que je refuse.
Je ne raconte pas la Prérentrée au Lycée. Contentons nous de savoir que
quatre ou cinq Collègues étaient au bord des larmes, quatre hommes et une femme
et que cela faisait un drôle d’effet. Il s’agissait naturellement des plus instruits.
Je les ai réconfortés avec les moyens du bord.
Le sentiment d’être laissée pour compte. Il faut dire que la
concurrence est énorme et qu’en termes de darwinisme
social, cela me laisse peu de
chances. Ni Lutte Ouvrière, ni la Fête de l’Humanité n’ont répondu à ma
proposition d’aller y vendre Au Présage de la mienne . Je leur
avais pourtant envoyé le livre dès sa parution !...
Cinquante Cinquième carnet :12 Septembre
1997
Hier j’ai téléphoné à quelqu’un que je devais voir et qui m’a par l’intermédiaire
d’un tiers encore demandé de rappeler. Cela m’évoque le Reviens demain de la fameuse histoire juive ! J’en arrive même
à me dire que c’est pour lui une nécessité psychique et peut être même le moyen
de tester la conviction et l’humilité du… Quel mot dois-je employer là ?
Challenger, protagoniste ou candidat… Confirmation le soir, c’est bien le Reviens demain de l’histoire !
Il fait état de l’erreur dans laquelle il était de me croire
psychanalyste. Il ajoute que son film va ressortir et qu’on va plutôt faire un
livre global avec d’autres textes et que c’est encore la meilleure solution. Il
finit par me dire J’ai beaucoup
d’affection pour vous ! Et moi médusée, de lui répondre C’est mon bâton de maréchal !
Ceci montre tout de même que Chantalle avait raison lorsqu’elle disait
que sa fonction de Directeur était honorifique et qu’on lui avait imposé des
Collaborateurs Grand Public. Le dernier numéro de la revue concernant le
Féminisme ne soufflait en effet pas mot des idées nouvelles et - contrairement
à sa mission - avait vingt ans de retard sur l’Amérique.
La French Review va publier en Mars 98 un compte rendu de Au Présage
de la mienne de Monique Saigal et ajoute que cela tombe bien parce que sera
un numéro sur le Québec !…
Le fond de l’affaire finalement concernant tous ces menteurs, c’est
qu’à force de mentir, ils ont perdu tout contact avec la réalité et n’ont pas
acquis la connaissance du monde qu’ils devraient avoir à leur âge! La vérité
est le premier moyen d’exploration scientifique. C’est la parole qui crée le
monde. En mentant, ils le détruisent et le font retourner au chaos. C’est elle
qui permet de s’instituer comme un sujet séparé du monde, comme quelque chose
de différent de soi. C’est sans doute ce que F appelle la différence entre le
sujet et l’objet !
Je suis déçue que Chronique
Féministe de Bruxelles qui était d’accord pour me publier La langue de
la parole, ma critique du film
Reprise d’Hervé Le Roux ait changé d’avis pour finalement m’annoncer
qu’elles hésitaient, qu’elles en couperaient peut être un ou des morceaux je
n’ai pas bien compris et je n’avais pas le texte sous les yeux. J’ai accepté
peut être par faiblesse mais aussi parce que je suis très lasse des difficultés
de publication et qu’il ne s’agit pas là d’un texte de fond, ni non plus d’un
littéraire. Entre temps je l’avais proposé à la Voix du Regard et ne savais plus quoi faire du tout !
Notamment les coupes proposées concernent l’aspect maternel du texte et son
caractère franco français… Finalement la problématique est en train de devenir
publier censuré ou ne pas publier du tout…
J’ai revu hier le film Artemisia d’Agnès
Merlet avec Monique Saigal, ce qui m’a permis de comprendre ce qui m’avait
échappé la première fois, la semaine précédente, à savoir à quel point ce film
était franco-français notamment par la place centrale qu’y occupe l’amour.
Incompréhensible pour les Américaines, il allait de soi pour moi au point même
de ne pas le voir en tant que pièce centrale du dispositif. J’avais il y a
quelques années, dit que j’écrirai un jour un livre pour expliquer aux
Américaines la place de l’amour dans notre vie culturelle – en tant que théâtre
- et en quoi elle constituait un contre poids à l’organisation politique.
En 1e 2 les Arabes et les Noirs, Dix Huit sur Trente trois
sont résolument majoritaires. Si jusque là les de souche ne l’étaient pourtant pas, ce n’était pas dans de
pareilles proportions et la diversité de la provenance des Elèves aboutissait
tout de même à une sorte d’équilibre dans l’hétérogénéité. Il n’y avait pas de
norme - point final - donc personne n’était anormal. La situation est tout à
fait différence : Désormais la norme c’est d’être Arabe ou Noir, en tous
cas musulman ! C’est du coup une toute autre situation...
Ainsi je continue à progresser dans une discipline nouvelle pour moi.
J’ai appris le nom de la deuxième femme du prophète Hager (la pierre), je
connais depuis deux ou trois ans le nom de la première Fatima (la sagesse) et
même le nom de sa nourrice. Par contre je ne m’attendais pas au déferlement de
plaintes racistes et les interdictions venues non seulement à l’entrée des
discothèques, mais même de certains magasins des Champs-Elysées dont notamment
Sephora.
Situation d’autant plus poignante qu’on venait de faire le travail
pratique concernant cette firme sur le thème du libre service de la parfumerie
et de la démocratisation de la consommation. Or ils me disent qu’ils ne peuvent
pas y entrer à plusieurs et que le videur leur donne comme raison de cette
interdiction qu’ils ont le look banlieue. Je leur dis qu’il me traverse l’idée
d’y aller avec eux, puis comme les plaintes continuent à déferler je leur
propose qu’on ouvre un cahier sur lequel chacun écrira ce qui lui est arrivé et
qu’on pourra déposer à la Bibliothèque Nationale… ou même le faire éditer. Je
précise que je ne m’engage à rien de précis, mais que ce sont des pistes. Les
Elèves me trouvent géniale ! …
J’ai entendu mon Collègue d’Histoire dire que lorsqu’il est arrivé au
Lycée - il y a vingt deux ans - il passait un mois sur la Révolution de 1848 et
maintenant deux minutes. Je trouve cet indicateur tout à fait pertinent. De mon
côté j’ai quasiment - faute de l’enseigner - oublié le corpus de ma discipline
d’origine…
A propos du Plan Chômage des Jeunes de Mme Aubry,
sur les kiosques la publicité pour le Figaro
Economie annonce Cinq mille emplois nouveaux chaque semaine, cela fait rêver dans les
chaumières et encore plus étonnant en bas en tout petit, illisible de
loin : Chaque semaine cinq mille
offres d’emplois dans le Figaro Economie.
A la sortie du Lycée, sur le mur de celui d’en face, une immense croix
gammée qui était déjà là le jour de la rentrée avec le sigle SS ! Pas un
mot des Collègues et on ne la fait pas effacer non plus.
Vu Le Cercle Parfait, un film
terrible sur Sarajevo en guerre. D’autant plus terrible que toute considération
politique en est bannie et qu’on est dans la guerre brute. Les habitants de
Sarajevo vivent là comme des animaux et sont des hommes par la réponse
culturelle et sociale qu’ils donnent à la condition qui leur est faite.
Inversement ici on vit comme des humains et on est des animaux étant donnée la
désocialisation et la déshumanisation qui règnent...
On y retrouve ce qu’on connaît de la Bosnie, ce climat si particulier
de tolérance et de vie commune, même dans le pire. D’une certaine façon, la
guerre les tue mais ne les entame pas. Quant au Cercle parfait, il est pour moi le symbole de
l’écriture en tant que trace, signe et concept. En tant que code abstrait
écrit. Le personnage principal du film, un poète qui ne peut plus écrire,
continue néanmoins de temps à autre à tracer des cercles parfaits à main levée.
Sans doute justement pour ne pas perdre l’idée de l’écriture, après en avoir
momentanément suspendu, la pratique.
Finalement La Voix du Regard refuse
mon article La langue de la parole sur le film La Reprise de Le Roux, tout en me disant qu’il est très bien mais
qu’ils n’en veulent pas parce qu’il est politique (sic !) et la revue de
Trois, elle aussi change d’avis sur la publication de mon texte De toutes
les couleurs dont on me dit tout de même qu’il sera publié dans un numéro
ou dans un autre… Tout cela est tout de même assez déstabilisant. Ce ne sont
pas les refus que je critique, mais les changements d’avis. Les engagements qui
n’en sont pas et néanmoins paralysent en empêchant d’autres démarches…
Je me retrouve de nouveau au tapis à cause de la pollution. A onze
heures du matin, on ne pouvait plus respirer Porte de Champerret et cela
alimente l’angoisse de mort. Ce que le corps réclame, c’est l’économie de
mouvement et la suppression de tout ce qui n’est pas absolument vital. Je viens
de passer pratiquement vingt quatre heures, couchée.
Tentative de proposer mes revues américaines à une librairie
spécialisée dans la vente des périodiques anciens, dans l’espoir de réussir
enfin à faire circuler les idées et aussi parce que me consacrant aux livres,
je ne peux pas tout faire ni tout garder. Malheureusement il y avait dans la
boutique un quidam qui s’est carrément moqué de moi et du féminisme avec deux
autres qui avaient la gestion de l’établissement en me demandant si les revues
en question dataient de 1880. Ils se sont moqués aussi du fait qu’Arcade la seule revue littéraire
féminine soit exclusivement réservée aux femmes.
Ceci pour montrer comment une femme de mon âge est accueillie dans le
monde intellectuel (?) français ! Je ne me suis pourtant pas laissée
démonter et j’ai décrit la France comme un Fort Chabrol à l’extérieur duquel
les idées circulaient en tant que telles sans se demander si c’étaient celles
des femmes. Par ailleurs le libraire m’en proposait un prix d’achat si bas que
j’ai préféré ne pas m’avilir davantage. Rappelons tout de même qu’à Toulouse il
y a cinq saisons, j’ai eu l’impression que certains Américains allaient déposer
la propriété de la langue française et nous faire payer des droits pour
l’utiliser… appliquant l’idée de francophonie à la France elle-même.
En rentrant de cette pénible expédition à dix huit heures, je suis
tombée sur un type qui le membre à l’air, urinait contre le mur de l’immeuble.
J’ai choisi de ne rien dire. Trois heures auparavant j’avais lu dans Kouznetsov
qui expliquait qu’au bagne c’étaient les toqués qui luttaient sur des détails,
car les vrais de vrais dissidents avaient juste assez de force pour préserver
leur humanité et d’autant plus qu’ils étaient condamnés à des peines plus
longues. Et il prenait comme exemple la lutte contre le vol de chaises par les
gardiens considérant que cela n’avait aucune importance.
Pour enrayer la dérive des transports, j’ai décidé cette année de
n’emprunter pour aller à mon travail que les autobus quatre vingt quatre ainsi
que le quarante trois et encore en changeant au Carrefour Saint Augustin. Avec
l’idée qu’il pourrait en résulter une idée de roman. Je peux même rajouter des
contraintes supplémentaires comme celui d’emprunter l’autobus de huit heures
zéro deux !
Avant-hier une personnalité très en vue racontait à la Télévision
comment il avait été sur ordre de Mitterrand écouté dans le téléphone et il
s’étonnait qu’aucun journaliste n’ait protesté. J’ai eu un moment l’idée de lui
envoyer Au Présage de la mienne et de lui
expliquer que j’étais de mon côté obligée de me faire éditer à l’étranger. Puis
il m’est revenu qu’étant le Directeur de la rédaction d’un grand journal, il n’était pas tout à fait étranger à
ce qu’était devenu la société française qui avait été consciencieusement
démantibulée. Et j’ai renoncé à ce projet.
On se demande aussi par moments quelle est la nature ontologique de
cette Humanité qui n’a même pas conscience d’elle-même, préoccupée uniquement à
parasiter. Ceci s’appliquant à un genre de loubards qu’on a pour la première
fois dans nos classes et qui relèveraient bien de la catégorie : petites frappes.
De toute façon il semble que les humains et les animaux soient
désormais sur le même plan. L’abattage d’une ourse écologiquement réintroduite
dans les Pyrénées est qualifié de m
eurtre, le chasseur étant sommé de s’expliquer et ne se tirant d’affaire
qu’en plaidant la légitime défense !... Les deux protagonistes étant désormais sur le
même plan.
Entendu dans l’autobus un jeunot d’une quinzaine d’années, lui-même pas
particulièrement sexy Dans le quatre
vingt douze, il n’y a jamais de bonnes meufs ! Après l’Etoile, il n’y a
plus rien, on crève la dalle !
Niveau record de pollution. Je ne peux plus respirer du tout et me
demande s’il ne faut pas téléphoner au médecin.
Hier étonnante surprise : De nouvelles épreuves de Cellla
après dix huit mois de silence… Sur la couverture, ma photographie enfant
sortant de ma boite aux lettres, c’était bouleversant.
Une maison d’édition refuse mon recueil de poèmes concernant
l’engendrement, au motif que c’est poétiquement nul…
Médecins du Monde lance dans le journal Le Monde, une pétition pour demander l’intervention des Nations
Unies en Algérie. Je signe et je l’envoie. Je pense un moment mobiliser les
Collègues, puis j’y renonce tellement la situation me paraît avec eux
désespérée.
Hier au Lycée j’ai eu le sentiment que cette année serait
d’un tout autre ordre que les années précédentes. On assiste depuis des années
à une dégradation continue par les mêmes mécanismes, mais il y a le passage du
quantitatif au qualitatif et nous en sommes là. Je pourrais résumer la
situation en disant qu’auparavant nos élèves étaient aliénés et que maintenant ils sont asservis, même si je ne comprends pas exactement ce que cela
signifie.
Quant à l’Elève que j’avais l’an dernier empêchée de s’installer parce
qu’elle portait un turban je l’ai croisée dans le couloir puisqu’elle est
maintenant en Terminale. Elle m’a dit qu’elle me regrettait ! Propos
étonnant et qui donne à réfléchir sur la pédagogie. A son dire mon successeur
n’a aucun humour et il n’y a aucune vie dans son cours. J’en suis quand même
étonnée, car c’est l’un de ceux avec qui je rigole en Salle des Professeurs…
Socialement parlant je pense que nous en sommes cette rentrée au stade
de la disparition de ce que j’ai appelé ailleurs le CA/LA comme un espace de
projection, de distance et de parole, même si celle-ci est tordue dans son
contenu. Cet effondrement correspond au passage de la spéculation
investissement à la dévoration pure et simple. Le bourreau n’a plus à
s’adresser à la victime, le sort de celle-ci est scellé.
Totalement insolite au fronton d’un autobus, cette inscription Opéra Glück !
Hier en 1e2 : provocation des petites frappes qui
entrent en classe en scandant en cœur J’aime pas les
femmes ! On imagine le rififi pédagogique qui s’en est suivi. J’ai
pour finir refusé de faire cours.
Devant le blocage de la situation, je me suis résolue à interdire de
cours les trois petits caïds, en les empêchant d’entrer en classe, ce qui
équivalait à me substituer concernant les sanctions à l’Administration dont
c’est la prérogative. Ce que j’ai fait là était illégal et dangereux eu égard à
la responsabilité civile. Sitôt passées les deux heures avec la classe, la
Surveillante Générale est venue dans ma salle avec l’un des petits voyous et
m’a engueulée devant lui et la classe en m’expliquant que je n’avais pas à
faire cela, ce que je savais parfaitement pour l’avoir militairement décidé
pour sauver les vingt huit autres bons élèves.
Je la laisse dire en lui annonçant que j’irai la retrouver dans son
bureau, dont j’obtiens qu’elle ferme la porte avant de lui expliquer dans
quelles conditions se fait cette classe… Elle m’annonce que j’ai rendez vous
avec la mère du petit caïd à treize heures. Si on pense que j’ai ce jour là –
vendredi - cours de neuf à treize heures et ensuite de quatorze à dix sept on a
envie de rire du toupet qu’il peut y avoir en nous fixant - sans nous consulter
- un rendez vous pendant notre heure de déjeuner. Il est vrai que depuis
quelques années, il faut batailler pour avoir le droit de manger… Les Parents
d’Elèves ont pris la fâcheuse habitude de nous adresser par l’intermédiaire de
l’Administration, ce genre de convocation à rendre des comptes… Encore heureux
lorsqu’on ne les trouve pas directement à la sortie de la classe. J’ai donc
remis les pendules à l’heure (c’est le cas de le dire) en affirmant qu’il n’en
était pas question et que la Réunion des Parents aurait lieu normalement le
lundi.
Le conflit de fond porte sur le fait que l’Administration tente
d’obliger les Professeurs à garder en classe les Elèves quoi qui se passe - et
d’ailleurs elle ne veut pas le savoir - alors que les Collègues tentent par
tous les moyens de se délester des perturbateurs. Les billets de la CPE sur
lesquels il est simplement inscrit L’élève
un tel est autorisé à rentrer en classe à telle heure n’ayant de fait plus
aucune valeur… Un Collègue avait déjà l’an dernier attiré notre attention sur
le libellé Un groupe d’élèves est
autorisé à rentrer en classe. Ce qui n’était pas mal non plus. Ajoutons que
la CPE elle-même en conflit ouvert avec le Censeur et le Proviseur raconte à
qui veut l’entendre qu’elle n’est même pas en situation de tenir le compte des
absences !
Mercredi dernier à cause de la forte pollution, on a interdit la
circulation des automobiles portant une plaque d’immatriculation paire. D’après
mes propres observations, Rue La Fayette et Carrefour Saint Augustin, seule la
moitié des véhicules concernés ont obtempéré. Cela n’a pas empêché la
propagande de nous raconter le soir que tout avait très bien marché et qu’on
était formidable !! C'est-à-dire de nier ce qui est pourtant le cœur du
problème, le mépris ou l’ignorance dans laquelle les Français sont de la Loi, qui
du coup est remplacé par la propagande.
Hier Réunion des Parents des Elèves de 1e 2. Cela se passe
bien, sauf avec la mère du petit caïd qui avait déjà tenté de m’imposer un
rendez vous pendant l’heure du déjeuner. Elle attaque d’un J’attends votre version des faits sur un ton de bouledogue tout en
s’installant en position d’arbitre entre son fils et moi qu’elle place sur le
même plan. Deux fois de suite elle revient à la charge sans que j’obtempère.
Mais je finis par lui dire que son fils n’a
fait que copier sa façon d’emmerder !
Je trouve en arrivant au Lycée un mot dans mon casier pour aller voir
le Proviseur, ce dont m’avait menacée la mère du petit caïd comme je n’avais
pas obtempéré à son injonction. J’y vais en ayant déjà préparé ma réponse. A
savoir que si on avait reproché à Papon d’avoir obéi, cela ne risquait pas de
m’arriver. Le Proviseur m’a demandé ce qui s’était passé et je le lui ai
raconté. Je suis sortie de là pleine de haine pour l’humiliation qui m’était
infligée, non pas contre le Proviseur qui était dans sa fonction mais contre ce
petit caïd à l’égard duquel j’ai aussitôt décidé une quarantaine vengeresse. Il
me fallut beaucoup d’énergie pour reprendre ensuite la classe dans laquelle
point positif, on entendait une mouche voler…
Au retour, le soir, j’ai découvert en ville devant la FNAC des Ternes
un véhicule d’un nouveau modèle. Une sorte de camionnette 4X4 mais avec des
fenêtres grillagées ornées de petits rideaux empêchant de voir à l’intérieur.
Ils étaient peints en bleu tout en étant tout de même une sorte d’ambulance. La
plaque minéralogique montrait qu’on venait de les mettre en circulation.
J’apprends par ami d’ami que les Elèves des Collèges de Vitry ne
parviennent pas à entrer en seconde ! Autrement dit, nos Elèves au Lycée
Siegfried, Paris Xe serait le bas du haut du panier. C’est tout dire !
Le rififi continue avec le petit caïd à la Maman. Alors qu’on avait
deux heures de cours ensemble il n’arrive que pour la seconde… J’ai demandé au
Proviseur ce qu’il convenait de faire, mais il m’a dit de le prendre avec un
billet de la CPE qui s’occuperait de son cas… Ce dont je doute fort puisqu’il
n’y a pas de sanctions. Mais miracle, le jeune ne réapparaît pas !... On
lui a tout de même mis un avertissement… J’en conclus que mon insurrection a
porté ses fruits.
Dans la Salle des Professeurs, le discours selon lequel nos Elèves sont
des animaux, discours qui a commencé l’an dernier, est désormais totalement
installé.
A la Cantine sur les six Collègues qui sont là, quatre sont d’accord
avec la CPE sur le fait qu’on assistait à un commencement de guerre civile. Une
jeune femme de ma connaissance me fait remarquer que c’est crédible…
Au déjeuner à la Cantine mes Collègues Mesdames G, J, V et M s’en sont
prises à mes chevaux blancs. J’ai dit que je trouvai cela beau et que c’était
bien quand on était grand-mère ! L’ambiance a alors tourné au glacial. La
secrétaire et MN présents, n’ont rien dit. Ces dames en ont alors rajouté en me
disant que Les employeurs n’aimaient pas
beaucoup cela ! Je n’en ai pas cru mes oreilles et leur ai répondu
calmement que c’était la preuve qu’on n’avait pas peur de la mort. Ils ont
alors changé de sujet… Pour se moquer de ce qu’ils avaient vu à la Télévision…
des maisons que les pauvres achètent en kit… à charge pour eux d’en terminer
les aménagements. Tout cela m’a provoqué un certain malaise et il m’a fallu un
peu de temps pour comprendre pourquoi. Seul Forestier m’a témoigné un peu
d’amitié.
J’ai acheté chez un brocanteur à côté du Lycée un tableau représentant
un homme faisant un discours dans la plus pure tradition française. Il date de
1934. L’emportant en autobus, un voyageur m’a demandé si c’était Aristide
Briand.
J’ai vu hier F à qui j’ai raconté l’état du Lycée et pour finir je lui
ai parlé du crypto nazisme télévisuel. Mais il m’a coupé en disant ni crypto ni seulement télévisuel, mais nazisme tout court. J’ai
été soufflée bien que nous ayons déjà eu cette conversation lors de notre
dernière ou avant dernière rencontre. C’est d’autant plus frappant que F est un
homme sérieux et modéré qui - ayant déjà adulte traversé la Guerre - ne parle
pas de cela à la légère. Je lui ai
dis alors que je testai régulièrement cette idée auprès d’anonymes rencontrés
de ci de là dans les bus et les rues et ailleurs sur le thème Vous ne trouvez pas que cela pue le nazisme
et qu’ils me répondaient toujours oui. Il a semblé sidéré. Mais ce type de
réaction n’est pas étonnant car son métier le coupe structurellement de la
réalité sociale.
A la Télévision, la speakerine s’adresse à Henri Emmanuelli, l’un des
caciques du Parti Socialiste pour lui demander s’il n’a pas peur d’être
accueilli chez les ouvriers par des jets de boulons. Il lui répond On n’a pas eu peur du CNPF, ce n’est pas
pour avoir peur des Ouvriers !
Aux Beaux Arts, dans le cadre du Salon du livre, débat sur la nouvelle
critique de cinéma. Outre les
superbes bâtiments que je connaissais déjà j’ai eu le bonheur de découvrir l’Amphithéâtre d’Honneur, qui bien sûr n’est pas aussi beau que celui de la
Sorbonne mais tout de même pas mal du tout. La ville elle-même était plus belle
que jamais dans cette journée d’Octobre et j’éprouvais pour elle le même amour
physique que dans mon adolescence avec toutefois la crainte de la perdre, faute
de parvenir à m’y maintenir…. Même si je suis capable de faire dans ce domaine
la différence entre le fantasme et la réalité.
Le prétendu débat sur la nouvelle critique s’est avéré en fait n’être
qu’un gigantesque mime de ce qui était arrivé autrefois aux Cahiers du Cinéma
lorsque François Truffaut et Jean Luc Godard y renversèrent les critiques
installés dans les fameuses Années Soixante. Pourtant les revues Positif et
Cahiers du Cinéma semblaient de bonne foi, en l’attente de sang neuf qu’ils se
plaignaient de ne pas voir arriver. Mais dans la salle, les jeunes s’avéraient
incapables de faire une phrase qui tienne debout et comporte une idée. Ce
n’était décidemment pas cela, ni sur le fond ni sur la forme.
Cela avait tout de même un point commun avec le mouvement de Mai
68 : les deux sans doute dans la tradition de la disputatio, remontant elle-même au Moyen Age…
J’ai rencontré N.B. à qui j’ai dit en rigolant que je cherchai à caser
ma critique sur le film Artémisia.
Elle protesta de la nullité d’un film qu’elle n’avait aucune envie de voir.
J’ai été choquée du procédé et il m’a fallu là une fois de plus remettre
durement les pendules à l’heure, mais j’ai tout de même été atteinte par une
sorte d’empoisonnement et pour l’éviter j’ai dû quitter les lieux.
Dans la Salle des Professeurs je vois les uns et les autres avec qui un
peu de conversation était encore possible basculer du côté de la chape de
plomb, interdisant toute parole culturelle dans l’espace commun. Quant à Noël
il dit qu’on ne lui fera jamais croire que comme dans Lacombe Lucien, on devient fasciste par hasard. Ne faudrait il pas
là lui répondre en citant Churchill Le
hasard n’est qu’une attention insuffisante au détail ! Le détail étant
là, la structure psychique. En l’occurrence la transformation du fonctionnement
logarchique en phénomène de bouc
émission.
La position sage consiste à dire que CELA nous est arrivé. Au sens d’un
événement historique inouï. Au sens où j’ai autrefois pour les Elèves, défini
et commenté l’Histoire, comme ce qui s’imposait à la vie des individus. Reste
seulement à savoir quelle réponse on donne à cet événement là ! Ce qui est
sûr c’est que nous sommes dans cette autre chose.
J’ai reçu il y a trois semaines mon très beau Resserres à louer
mon premier recueil de poésies édité chez An Amzer. Je constate avec beaucoup
de déplaisir que pour des raisons diverses je ne peux - sauf à ma fille - le
donner à personne de ceux qui m’entourent….
A la Cantine, la conversation roule sur l’amour ! Je crois un
moment que cela va être intéressant et je m’en mêle avant de découvrir sidérée
qu’il est question de Mère Térésa et de Sainte Thérèse de Lisieux. Je proteste
contre l’intégrisme montant. Hélas, ils se retournent contre moi en me traitant
d’intégriste laïque.
Dans la soirée je parle avec Liénart de tous ces fascistes qui nous
cernent. Son analyse à lui concernent la structure mentale d’iceux et fait
appel à deux notions auxquelles je n’avais pas du tout pensé et qu’il serait
peut être utile d’explorer à savoir la
duplicité, et l’effacement de la conscience.
Eu égard au fameux slogan de Mai 68, j’ai trouvé une variante dont je
ne suis pas peu fière Nous sommes tous
des Juifs Allemands, mais certains le
sont plus que d’autres…
J’ai vu au Quartier Latin le premier film de Bruno Bontzolakis Familles je vous hais qui tourne autour
du thème de la volonté d’une fille de s’émanciper d’un militant
d’Extrême-Droite. Elle fait ce qu’elle peut dans la situation dans laquelle
elle se trouve. J’ai essayé de faire partager ce point de vue aux Employés du
cinéma qui m’ont envoyée sur les roses en me disant que c’était un échec
commercial complet. Ce n’est pourtant pas contradictoire…
Le lendemain j’ai vu un chef d’œuvre franco-ukrainien Un ami du défunt. Il confirme bien mon
intuition, qu’il ne s’agit pas là de capitalisme mais d’autre chose.
Le Ministre de L’Education Nationale et de la Recherche, Claude Allègre
affirme que l’anglais doit cesser d’être
une langue étrangère… Fermez le ban !
Je romps avec beaucoup de gens ces temps ci, c’est dommage mais comme
ils tournent très mal, je n’ai guère le choix.
Hier je suis allée aux Puces de Montreuil,
malheureusement elles avaient pratiquement disparues et étaient remplacées par
un simple marché ordinaire de vêtements et d’ustensiles tenus majoritairement
par des Arabes, un couple de commerçants européens de souche vendant des voiles
islamiques au milieu de ses articles de bonneterie. Je n’en suis pas revenue.
Le voyage dans le PC fut à lui seul une expédition haute en couleurs. Entre
Montreuil et Bagnolet on avait déjà là l’impression d’être devenus américains
et que tous ces pauvres gens - et quel spectacle de crasse et de pauvreté -
étaient les Emigrants venus vers le Nouveau Monde, semblables à ceux dont on
nous vante aujourd’hui la légende en nous montrant les photographies. La
société française déjà adaptée à la modernité est devenue indifférente à eux,
comme eux-mêmes sont indifférents à elle. Ce sont des sociétés étanches dont le
communautarisme serait une sorte de fine fleur déjà très organisée !
L’étang de Berre est contrôlé
par des blindés légers. Information
de France-Info à dix sept heures deux. Le nouveau blocus des Routiers a
commencé hier soir. Les CRS ont tout de suite fait dégager la frontière
franco-espagnole. Bagarre avec les Routiers étrangers. Une ambiance carcérale
sous l’œil froid de Bruxelles qui demande à la France de veiller à la libre
circulation des marchandises ! Les Routiers en question ne gagnent même
pas sept mille francs nets par mois pour trois cents heures de travail. On a un
peu l’impression d’une révolte à la Spartacus, l’Union Européenne organisant
les enchères à la baisse. On les a déjà trompés sur les acquis de l’an dernier,
lesquels n’ont pas été appliqués…
Tous ces pauvres gens disent d’eux-mêmes qu’ils sont les Chiens de la route…ainsi qu’au Ministre Gayssot
qu’ils sont traités comme des bêtes, jouant là leur dernière bataille. Tout
cela est assez abominable. Et d’autant plus que le Gouvernement est menacé
d’amende s’il ne parvient pas à faire dégager. Les firmes étrangères demandent
l’ouverture de corridors de circulation comme on le fait en temps de guerre
lorsque les Nations Unies interviennent.
Des Policiers partout dans les aéroports, les dépôts de carburant, les
grands centres d’approvisionnement etc et les portes de Paris… On est étonné
d’entendre que c’est à titre préventif. Bien que gênant, le blocus des Routiers
est soutenu face à l’Administration Européenne. Entre les deux, le Gouvernement
et les prétendues élites qui ne voudraient pas avoir l’air
de collabo mais qui ne trompent
personne …
Je soutiens à un ami qu’il n’y a là dedans aucun libéralisme car il
n’est question ni d’individu, ni de raison, ni d’émancipation et que le sujet a
disparu au profit d’une simple utilité cannibale. Les Routiers s’entretuent en
fonçant les uns sur les autres pour tenter de défendre leurs pauvres conditions
d’existence.
Le nouveau patron de France Culture a bel et bien réformé très
brutalement la chaîne. On n’y fait plus la différence avec Europe N°1 ou RTL
qui sont plus rigolotes, plus amicales et même plus favorables aux femmes.
Débat hier soir entre Madame Claude, tenancière de bordel et Antoinette Fouque
sur le thème Faut il rouvrir les maisons
closes ? Les livres écrits par chacune de ces deux dames étant mis sur
le même plan. Voilà où on en est ! Il n’y a pas un poil de culture dans
tout cela.
Les Justes d’entre les Nations qui ont été questionnés à l’occasion du
procès Papon et à qui on a demandé s’ils savaient le sort auquel était destiné
les Juifs, ont répondu : Non bien
sûr, mais on voyait bien comment ils étaient traités. Ca me parait résumer
parfaitement la problématique et être tout à fait valable pour aujourd’hui.
Voir comment les gens sont traités ! Etre présent à ce qui se passe…
CF qui est au Lycée le Professeur le plus sérieux, a tout de même admis
en particulier qu’on fabriquait effectivement de futurs clochards et qu’on
était bien nous-mêmes en voie de désintégration !
Je vous la rends un peu
mieux ! C’est par ces
paroles que le kinésithérapeute appelé d’urgence à cinq heures du matin a
quitté la maison après trois quarts d’heures de vigoureux massages pour
rattraper le tour de rein contracté la veille au jardin.
Ce qui m’émeut dans cette phrase, c’est la dimension sacrée. L’intimité
avec le corps de la patiente - chez elle, de nuit - avait été introduite par le
fait que le mari ouvrit les portes et mena à la chambre… la restitution
symbolique se faisant au moyen de cette phrase quasiment rituelle… et laissant
entrevoir d’étranges relations entre les types. En tout deux cents trente
francs pour ce déplacement nocturne, le rapport qualité prix en valant la peine
car sinon je ne pouvais plus bouger du tout ni aller au Lycée, ce qui aurait
encore désorganisé un peu plus et le Lycée et ma vie….
Dans ma meilleure classe, les Elèves se sont moqués de moi comme je
faisais référence à la Révolution Française et à ses principes. Le fait qu’il
se soit agi d’Elèves Arabes et Asiatiques n’apaise pas, tout au contraire. On
perd chaque semaine davantage de terrain en ce qui concerne le corpus culturel
français et l’avoir droit de cité en France. On
assiste purement et simplement à une sorte de colonisation de la part de
l’extérieur, de n’importe quel extérieur ! Sans doute sommes nous totalement
nécrosé et à la veille d’un événement essentiel.
Ce cahier là se nomme la Deshominisation.
Et c’est bien cela le nom de ce qui nous est arrivé. Deshumanisation ne convient pas car l’affectivité est assez
présente et si une partie de la population se comporte avec un égoïsme et une
dureté sans nom, toute une autre resserre les rangs et développe
l’entraide ! Par contre la Deshominisation
est générale au sens de la perte des savoirs culturels et institutionnels qui
constituent l’Espèce Humaine. C’est le langage qui se perd et la socialisation.
Tout cela au profit d’une consommation et d’une capitalisation forcenée de la
part de ceux qui sont en situation d’une façon ou d’une autre de l’extorquer.
.
J’apprends d’un ami qui effectue une mission en Roumanie, qu’à cause
des pots de vin touchés dans l’entourage de la Commission de Bruxelles et des
différents intermédiaires, il ne percevra lui-même que la moitié de ce qui lui
est dû !
C’est le pharmacien qui me raconte que ses confrères retirent les
vignettes des médicaments pour faire croire qu’ils ne sont pas remboursés, ne
pas alerter la Sécurité Sociale sur le montant de leurs ventes et éviter les
impôts.
C’est Noël qui nous raconte au Lycée que l’Etat a dû verser quarante
mille Francs à une école privée tenue par des Ecclésiastiques pour qu’ils
veuillent bien scolariser un élève de moins de seize ans dont plus personne ne
voulait, sorte de victoire posthume de Jules Ferry. Et il faut de surcroît y
ajouter les frais d’internat, l’ensemble étant bien sûr payer par le
contribuable !
J’ai expédié mon petit livre Minotaure en habit d’Arlequin aux
Editions de la Table Ronde, POL, Le Rocher, Calmann-Lévy, L’Harmattan. Le texte
s’est terminé brutalement ce mois ci après avoir traîné entre 1983 et 1992,
mais on n’en est plus là car il traite manifestement de la période précédente
et c’est effectivement pour cette raison qu’il s’est terminé. C’est en le
mettant au point pour la version finale que je me suis rendue compte qu’il
était dépassé.
En Première 2, dans une Classe très difficile avec des Elèves qui ne
travaillent pas du tout, le Professeur Principal est une nouvelle Collègue
Arabe qui nous met nous les Professeurs et eux les Elèves sur un pied d’égalité
en prétendant exiger des uns et des autres - selon ses propres termes - un
engagement à ne pas agresser ! Elle cite comme exemple d’agression le fait
de dire à un Elève que sa place n’est pas au Lycée. Je me suis contentée de
dire que je ne partageais pas ses conceptions pédagogiques.
Scène de genre : Les Elèves se battant dans le couloir, je sors
pour intervenir. Mon Collègue Forestier sort également de la salle d’à côté et
me demande comment on écrit baïonnette. Je
lui conseille alors de se rabattre sur le mot fusil, mais il explique que c’est
impossible car il s’agit alors d’une ampoule à baïonnette… Comme par bonheur
mon armoire est juste là dans le couloir, je l’ouvre et lui prête le
dictionnaire que j’y range… Voilà pour l’ambiance qui règne dans
l’Etablissement.
J’ai vu au Cinéma Drancy-Avenir
d’Arnaud Des Palliers qui m’a déçue, car l’auteur qui réalise habituellement
des courts métrages, se lance là dans sa première grande œuvre. Mais il s’agit
en fait de trois petits films mis en ensemble et dont l’amalgame ne prend pas.
L’inadéquation de la forme finit par faire écran, les visibles emprunts à Alain
Resnais et à Claude Lanzmann empêchent le contact avec l’auteur lui-même. Quant
au propos de la présence de la Shoah elle-même au cœur même de notre présent,
cette idée est si terrible qu’on ne peut pas l’affronter sans la médiation
d’une forme parfaite. Je suis d’accord sur le fond, mais pense qu’on ne peut
l’envisager qu’en s’abritant derrière le bouclier de la poétique au sens
fondamental, d’esthétique.
Alain Coulange à qui j’ai adressé Minotaure en habit d’Arlequin
chez Le Rocher m’a répondu que cela lui plaisait bien et qu’il comptait
l’éditer dans le cadre de son Ecole des Beaux Arts de Tours. J’ai du coup
regardé à nouveau toutes les photographies que j’ai faites du Lycée dans la
même période de la Mi-Octantes… Ce qui est stupéfiant, c’est que ces images ne
me font plus du tout la même impression qu’au moment où je les faisais. Elles
donnent l’idée d’un chaos complet mais terriblement vivant et le fait est que
l’Enseignement fonctionnait encore. On y voit des plantes et des inscriptions
de toutes sortes qui sont le signe de l’organisation. Maintenant tout cela a
été rationalisé, c’est ce mot là qui décrit exactement ce qui s’est passé.
Toute vie a disparu. La folie et la violence habitent désormais l’établissement
déserté par l’Instruction.
Impossibilité de mettre en cause la nécessité d’installer cet Euro sans
Etat. C’est désormais un dogme.
Dans les transports urbains de Province, le caillassage est général
ainsi que les agressions de conducteurs y compris au révolver. Comme on demande
à un responsable pourquoi ils ne remettent pas un deuxième employé comme
autrefois, on s’entend répondre sans rire Parce
que cela ferait une deuxième victime. Comment comprendre alors qu’on fasse
subir cela aux voyageurs ?
D’où des grèves des traminots qu’on fait cesser en accompagnant les bus
avec des CRS et en accordant les trente cinq heures… Martine Aubry Ministre des
Affaires Sociales explique bien que ce sera la seule exception car elle ne
souhaite pas que cela s’applique dans les Entreprises Publiques.
Entendu à France Culture, dans l’émission Panorama cette formule assez bien vue : Aujourd’hui la société désocialise !...
La chanteuse Barbara est morte ! Comme elle avait milité contre le
SIDA, à côté des registres de condoléances
que la Radio appelle cahiers de doléances,
la Mairie a installé des corbeilles de préservatifs… C’est ce que j’appelle le fantastique social et cela n’aurait pas déparé mes nouvelles de Grand Choix
de Couteaux à l’Intérieur.
Dans l’autobus, une femme vitupère parce que le journal Le Monde que je lis contient un article
qui attaque Stéphane Courtois pour son Livre Noir du Communisme dans
lequel il l’assimile au nazisme. Elle s’emballe sur le fond et sur la forme et
je vois venir le moment où elle va m’agresser directement et non pas seulement
en faisant semblant de parler à son mari. J’ai alors l’idée d’étendre les bras
et les jambes, lui restreignant ainsi l’espace dont elle dispose et miracle,
cela fonctionne, elle se tait !
Mardi à dix huit heures au Lucernaire, j’ai vu le film suisse Le journal de Rivelsaltes. Il y a un an
j’avais entendu parler de ce camp où avaient été internés les Républicains
Espagnols pendant la Guerre. L’article du journal Le Monde disait également qu’y étaient aujourd’hui retenus les
Etrangers en situation irrégulière et je n’en avais pas cru mes yeux !
J’avais affiché l’article dans la Salle des Professeurs et en vain
attiré dessus l’attention des Collègues. Un moment j’ai formé le projet d’aller
enquêter sur place lors de mon hypothétique voyage le long de la frontière Sud.
De surcroît le film me révèle que ce camp a concentré les Juifs destinés à
Auschwitz après un passage à Drancy.
C'est-à-dire qu’il ne s’agissait pas seulement d’un camp de prisonniers
mais bien d’un maillon de l’Extermination. C’est de la même façon que j’ai
appris que la Bibliothèque Mitterrand a été construite sur l’emplacement d’un
autre et l’existence d’encore de l’un à Bordeaux : Mérignac.
Ainsi ai-je passé ma vie avec l’idée issue de la propagande que
l’unique camp de concentration français avait été en Alsace le Strudhoff, alors
la France en avait été en fait couverte et que cet appareillage était en train
d’être réactivé.
Claude m’a de son côté appris qu’il y avait un centre de rétention à
l’intérieur même de la Gare du Nord.
Des nouvelles des Etats-Unis. L’exemple de la fille d’une universitaire
qui pour vivre doit cumuler deux emplois travaillant ainsi quatre vingt heures
par semaine. A trente francs pour l’un comme serveuse et à soixante comme
gérante de boutique pour l’autre !
Il y a un mois, j’ai dit à la femme médecin qui me soigne que j’aurai
une vieillesse radieuse. Et je le crois, aussi délabrée suis –je aujourd’hui.
J’ai appris à France Culture que l’Hôtel Musée de Nissim de Camondo que
je me réservais de visiter quand je le pourrais, à côté du Parc Monceau et qui
me fascinait comme toutes les belles demeures qui donnent à rêver, était en
fait le lieu d’une tragédie. Bien que rien ne l’indique, cette famille juive a
fini à Auschwitz. Apprendre cela est pour moi une épouvante. Celle de voir que
cinquante deux ans après, je continue à en apprendre et du pire…
Au Lycée, j’apprends qu’on a rappelé des Collègues qui étaient en
formation pour qu’ils reprennent leurs cours parce qu’on n’avait pas de
remplaçants. Le statut lui-même ne protège plus et c’est parce que j’avais
l’intuition qu’on pouvait être affecté à tout autre chose que j’ai évité la
mutation pour demeurer dans ce poste dont j’étais administrativement titulaire
à l’ancienne manière depuis maintenant vingt deux ans. Mais on sent bien qu’ils
vont réussir à nous faire bouger quand même, puisque c’est l’un des slogans à
la mode. Cela va avec la liquidation en cours et l’idéal de Maastricht de la
circulation à tout va.
Claude Lanzmann le montre d’ailleurs de façon obsessionnel
dans son film Shoah et JM Le Clézio aussi dans une nouvelle que j’avais lue
dans le journal mais dont je n’ai pas conservé le titre, juste avant la
signature du Traité…
Quant à la Première Ministre Edith Cresson, elle avait dit à propos du
déplacement de l’ENA vers Strasbourg qu’il fallait donner un grand coup de pied dans la fourmilière … Déplacement qui
s’est avéré par ailleurs un gouffre financier épinglé par la Cour des Comptes
et un échec complet.…
Une Collègue dit avec raison qu’on lâche les Elèves sur nous comme des
chiens pour nous mordre les fesses et elle parle même de pitbulls. Cette
saisissante métaphore littéraire exprime bien l’essence de ce qu’on vit :
l’entre-tuement, la férocité, la manipulation. De mon côté j’analyse la situation
comme l’installation du taylorisme dans l’Enseignement, avec son slogan
phare : Ne pensez pas, on pense pour
vous. Dans cette perspective - selon cette Collègue - il n’y a même plus
besoin d’être formé puisque nous devenons de simples exécutants. Cela me parait
très juste et expliquer correctement ce sentiment de prolétarisation…
Par certains égards tout cela est l’affrontement entre la Bourgeoisie
qui veut aller jusqu’au bout de La Révolution de 1789 en achevant de liquider
tout ce qui dans l’ordre ancien a réussi à y résister et cet ordre ancien qui
pourrait bien déclencher justement une Contre Révolution… D’aucuns vont jusqu’à
dire que la prétendue élite républicaine, c’est l’ancienne noblesse
de robe… Quant au peuple au milieu de tout cela, il ne compte pour rien…
Satisfaction tout de même d’entendre Jean Pierre Chevènement, Ministre
de l’Intérieur dire qu’on n’a jamais débattu de l’Ouverture à l’Est et qu’il
faudrait tout de même le faire. C’est la première fois que quelqu’un le dit dans
les médias. On en éprouve gratitude et soulagement.
Dans le Journal Le Monde un
titre annonce que la fusion des deux banques suisses SBS et UBS entraîneraient
la suppression de treize mille emplois. On a beau essayer de se représenter la
chose, on n’y parvient pas. Plus haut, je m’étonnais déjà des licenciements par
paquets de mille mais on n’en est plus là ! Et quand on voit comme les
gens ont du mal désormais à trouver un emploi…
Maintenant les gens mangent n’importe où, n’importe quoi, n’importe comment :
Notamment des sandwichs dans les transports en commun… C’est
écoeurant !...
D’après Chantalle, le bibliothécaire ne s’occupe plus du tout des
livres et ne commande plus que des cassettes.
A la Télévision, le Téléthon qu’on aurait aussi bien pu nommer le
Prométhon. Une série de manifestations destinées à produire du spectacle pour
faire donner de l’argent. Danses folkloriques, exercices sportifs difficiles,
démonstrations culinaires, bref un pot pourri chaotique. On peut s’étonner
qu’on se donne tant de mal pour collecter de l’argent pour soigner les maladies
graves génétiques alors que par ailleurs on fait si peu de cas de la vie
humaine… ou bien moderniser au-delà du raisonnable des fauteuils roulants… Mais
un ami m’explique qu’en fait il s’agit de progrès technique et que le corps
pourrait aussi bien être celui d’un mannequin.
Vendredi, l’angoisse de perdre l’usage du langage et de ne plus pouvoir
échanger des idées était si forte que dans l’autobus en regardant comme
d’habitude la ville je me suis mise à faire des exercices de dénomination à
voix haute des choses réelles que je voyais autour de moi Echarpe, balcon, trottoir, grille, etc…
L’hostilité va croissant dans les transports en commun, soit qu’on se
moque de moi ouvertement à cause de mon manteau rouge Eh la mère Noël – personne d’autre n’en porte- ou parce que
j’exprime du contentement à rencontrer par hasard un ancien Collègue - deux
jeunes mimant alors notre conversation - soit encore à l’encontre de ma
personne toute entière envers qui on manifeste un mouvement de déplaisir des
gens en face de qui je m’assoie.
Au Lycée lui-même, des Collègues instruites pensent que c’est fichu et que la haine a pris le dessus.
Le monde a décidemment bien changé, au Franprix, cette fois je me suis
fait engueuler en arabe…
Au bout de dix mois d’acupuncture je remarche enfin après deux ans de
quasi paralysie. J’éprouve même des sensations physiques inédites.
Lors du Procès Papon, on en apprend tous les jours. Par exemple qu’on a
pu faire passer pour Polonais des Juifs hongrois, dans le but seulement de
remplir les trains qui sinon ne l’auraient pas été. On apprend aussi qu’en 1968
en Hollande, on a vendu des bijoux confisqués aux Juives mortes à Auschwitz, en
toute connaissance de cause et à des prix dérisoires, car l’évaluation n’avait
pas été refaite. Les acheteuses étaient heureuses de la bonne affaire. Et cela
après qu’ait été établi que l’or qu’on a déposé dans les banques avait été
retenu après la guerre, là aussi en toute connaissance de cause.
Non seulement le fameux je ne
savais pas - allégué par tout un chacun à la ronde
- était faux, car on voyait bien les gens raflés avec leurs étoiles jaunes mais
tout au contraire tout cela était parfaitement su et consenti pour ne pas aller
jusqu’à dire approuvé, comme la source de divers profits possibles.
Cet aplomb à rapter/gober l’autre et à nier le faire, me parait une des
composantes du nazisme qui perdure encore aujourd’hui.
Si on n’a pas pu imaginer la possibilité de l’écroulement de l’URSS
avant que cela se produise, c’est parce que la propagande occidentale avait
réussi à nous la faire croire plus puissante qu’elle n’était dans la réalité.
Je viens de dire le Gilles de Drieu La Rochelle et suis révulsée
par ce livre mortifère. J’avais pourtant bien aimé - du même auteur - celui qui
parle de la Guerre de 14/18 sans doute La Comédie de Charleroi trouvant
les autres plus décevants et finissant par penser qu’on a alors affaire à un écrivain raté, même si certaines remarques ou descriptions sociales
présentaient un certain intérêt. Mais dans Gilles, c’est la lectrice
elle-même qui est empoisonnée par la répétition de la même scène qui traduit
l’impossibilité de la relation.
Il n’y a là non plus aucune littérature au sens de distanciation et
d’invention de mise en forme, mais un vérisme insupportable. J’étais finalement
furieuse d’avoir lu ce livre, un peu comme après avoir vu au cinéma Les affinités électives… Dans les deux
cas tout échoue et c’est insupportable, on a l’impression d’attraper le spleen
pour rien !
J’ai vu dans le métro un Tsigane en costume Prince de Galles, chemise à carreaux, chapeau de
feutre avec à la main un sac en plastique rouge rayé usagé, modèle Prisunic. Il
en sortait le manche sculpté d’un violon et d’un archet. L’homme avait les
larmes aux yeux.
Sur la métaphore du tunnel dans lequel nous sommes et dans lequel -
tête dans le guidon - nous pédalons avec constance en évitant de réfléchir au
paysage, une jeune femme de ma connaissance me dit qu’elle, elle n’a jamais
connu que ce tunnel. Quant à moi je lui raconte sans cesse qu’il y avait
autrefois, autre chose. Et c’est là que je prends conscience qu’avec les Elèves
comme j’essaie de leur apprendre le bon comportement dans le tunnel (pédaler
régulièrement, souffler, ne pas faire de commentaires sur le béton, ne pas
tourner la tête dans tous les sens, se dire qu’il y a une ouverture au bout
etc…) eux finissent par m’expliquer très clairement qu’ils ne peuvent même pas
entrer dans le tunnel parce que les Policiers le leur interdisent.
Répercutant cela à un ami, il m’avoue lui qu’il n’envisage même pas
qu’il y ait une ouverture au bout… J’attribue donc mon relatif optimisme à mon
éducation ultra rationaliste d’abord et au fait que travaillant au quotidien
avec la Jeunesse, on y trouve en soi un élément de gaîté et d’espoir et
d’autant plus que je constate que mon action pédagogique en améliore le niveau.
Enfin la perspective d’être bientôt démobilisée et pensionnée me permet
d’espérer des jours meilleurs.
Comme l’an dernier, les Collègues pendant les heures de service se sont
enfermés dans la Bibliothèque du Lycée hier midi pour ripailler et sabrer le
champagne mais cette année pas moyen pour ceux qui ne voulaient pas participer
à cette beuverie de faire quand même leurs cours – comme l’an passé – car cette
fois, ils ont été globalement supprimés entre douze et quatorze heures. J’ai
donc - pour manifester ma désapprobation - du manger toute seule à la Cantine
pendant que mes Collègues buvaient.
Au Réfectoire, les Elèves Noirs et Arabes particulièrement nombreux ont
été abandonnés par la Surveillante Générale qui elle aussi bambochait. J’ai eu
la vision sinistre d’une sorte d’apartheid… L’après-midi un Elève arabe m’a dit
qu’il ne trouvait pas bien que les Professeurs se soient réunis entre eux… Je
lui ai répondu que j’étais bien d’accord et n’y avais pas été à cause de cela.
Un autre a alors ajouté que c’était à cause de mon instinct maternel…
Il y a en effet eu sans doute un peu de cela, en tous cas lorsqu’on
voit l’effet anti-pédagogique d’une ribouldingue pareille, on ne peut que
déplorer l’insouciance des Collègues. Il n’y a vraiment rien à défendre dans ce
Lycée !
Finalement entre le Ministre Allègre qui veut nous liquider et eux qui
veulent persister dans leur incurie, il se pourrait que par désespoir je sois
neutre… De toute façon la liquidation de la MAFPEN et de ses prébendes est déjà
un assainissement. Je suis petit à petit rejetée du côté des Elèves, déjà
simplement sur le plan humanitaire de la chair en péril. La façon dont ils sont
traités évoque la Guerre d’Algérie.
De même que l’Arabe était chair à torture simplement parce qu’il était
Arabe - et c’est l’essence du colonialisme - de même aujourd’hui au Lycée,
l’Elève est chair à mépris et à mauvais traitements simplement parce qu’il est
Arabe ou Noir ! Et finalement cette atmosphère fondamentalement raciste
prend le pas sur toutes les autres considérations pédagogiques qui bien
évidemment dans un tel contexte n’ont pas lieu d’être.
A la limite, l’Ecole ne fonctionnant plus du tout, on est en prise
brute sur le racisme et là il n’y a pas à hésiter, je suis complètement à leurs
côtés contre mes Collègues qui d’une certaine façon ont déjà consenti à ce
qu’on se débarrasse de ces Elèves là.
Sur Canal Plus à l’émission Forum de Gildas, les jeunes Lycéens invités
décrivaient la répression permanente dont ils étaient victimes jusqu’à être
contrôlés dix fois par jour par les Policiers. Ils vont même jusqu’à dire que
la Police leur fait une espèce de Guerre Civile à laquelle répondent les
émeutes.
La Cour Européenne de Justice met sur le même plan les Etats, les Individus
et les Entreprises et aboli toutes les hiérarchies. L’ordre qui s’impose et
tente de s’installer juridiquement est celui dans lequel on peut être
indifféremment unis hétéro ou homo sexuellement car dans le système de la
bourgeoisie, contrairement au système féodal la filiation n’a pas d’importance
puisque la transmission est contractuelle et volontaire…
On apprend aux informations du matin qu’à Lyon la Duchère, la nuit a
été calme. Mais dans d’autres bulletins, une dizaine de voitures ont été
incendiées. Quand on entend parler les gens de la cité, on se rend compte que
cette hypothèse de Guerre Civile est de moins en moins extravagante et à les
entendre elle serait imminente. J’apprends que dans leur vocabulaire le mot République est connoté négativement et
s’applique notamment à l’arrivée de la Police. Cela explique peut être les
rigolades en classe, lorsque je fais allusion à cette notion que je tente de
transmettre…
La machine rend aujourd’hui inutile – selon la logique en vigueur- une
partie de la population. Par ailleurs il est exclu que la totalité des Humains
de la Planète accède au niveau de vie occidental. Il n’est donc pas absurde que
l’élimination d’une partie de la population soit comme surnuméraire,
programmée. Mon idée de révolution mondiale avec distribution gratuite de biens
abondants grâce au machinisme, n’est peut être après tout qu’une hypothèse
optimiste. Je pense plutôt qu’ILS vont nous tuer et que l’état d’abandon et de
déréliction dans lequel sont laissés des secteurs entiers - l’urbanisme, les
hôpitaux, les écoles - s’expliquent ainsi.
D’ailleurs dans les Classes non seulement les Elèves ne sont pas
choqués lorsque je tiens des propos de ce style et même tout au contraire, ils
le confirment. Dans certaines Classes, certains ont pris eux-mêmes l’initiative
de briser le tabou et ce sont eux qui ont dit qu’ILS allaient nous tuer. Je me
sens d’ailleurs dans le même sac qu’eux, contrairement à mes Collègues qui
pensent qu’ils vont sauver leurs propres peaux.
Dans cette ambiance de dureté systématique on peut se demander si ce
qu’on prend pour des méchancetés gratuites ne sont pas en fait des tentatives
de tester quelle est la victime la plus faible qu’on pourrait commencer par
éliminer sans trop de difficultés…
A Dammaris Les Lys, cette fois, c’est la Guerre Civile et encore on
peut s’interroger sur l’adjectif ! Des cocktails Molotov ont été lancés
des étages sur les Policiers qui ont répondu en tirant des grenades
lacrymogènes à l’intérieur des appartements...
Courses au Quartier Latin. Irrespirable étant donnée la circulation.
Les annonces en anglais prolifèrent, l’américanisation gagne à une vitesse
foudroyante générant une certaine angoisse car dans un tel contexte, cette
langue est plutôt une cause d’allergie.
Tout est décoré et illuminé, y compris dans ma propre rue où pour la
première fois pour financer la chose il a fallu en plus des commerçants - sur
mon conseil - faire payer les riverains. (J’y ai mis trente francs). A Centre
ville, il n’y a pas une boutique qui ne soit pas décorée. Mais c’est tout de
même le sapin l’objet de tous les soins, même si on n’en a qu’un seul élément,
une branche, une boule ou une guirlande. On a l’impression d’une fête païenne
dont les Dieux seraient ensemble l’Arbre - mémoire du Paradis - et
l’Electricité. Pas la moindre crèche à l’horizon…
On sentait bien depuis quelques années venir ces fêtes dionysiaques par
la fusion petit à petit des fêtes de Noël, du jour de l’An et de l’Epiphanie,
l’ensemble devenant une affaire unique. L’icône qui représente cette idée là,
c’est la peinture de la Fée Electricité de Raoul Dufy. Mais les illuminations
dépassent largement le Centre Ville puisque les quartiers le sont également,
grâces aux associations locales, soutenues elles mêmes par la Ville de Paris.
Inversement ceux qui l’étaient autrefois comme les Champs-Elysées ou le
Carrefour Havre Caumartin, le sont beaucoup moins. C’est donc comme si cela
avait été le point de départ des illuminations qui avaient ensuite essaimées
dans toute la ville.
On se demande en voyant certains quartiers qui ripaillent pendant que
d’autres sont au bord de la Guerre Civile si en comparaison de Beyrouth, ce
n’est pas qu’une question de degré et cette possibilité de coexistence à
quelque chose d’intolérable. Plus que jamais les valeurs doivent être la Morale
et la Bonté, dans le même mouvement.
Finalement, quelles que soient les opinions politiques qu’on puisse
avoir sur ce qui se passe, j’ai plus à voir avec ceux qui sont conscients de la
situation et ont une attitude en conséquence, qu’avec ceux qui partageaient mes
options autrefois mais refusent de prendre en compte l’obsolescence de certains
raisonnements.
J’ai entendu Louis Aragon LIRE une strophe de son poème Est-ce ainsi
que les hommes vivent … Le passage Changer
de lit, changer de corps, à quoi bon etc… C’était absolument tragique et
sans espoir, effet qui n’est pas reproduit dans la version chantée…
Papon a dix jours de congé pour Noël au moment même où dans le détail,
les preuves montrent qu’il a bien été actif dans la déportation des Enfants
Juifs en 1942. Et lorsqu’on se souvient qu’il était encore Préfet de Police en
Octobre 1961 lors du pogrom anti arabe et en 1962, lors des événements de
Charonne… sans compte dans les Années Soixante Dix, Ministre du Budget, on a
comme un flottement…
A Strasbourg, trois cents voitures ont été incendiées dans l’année
écoulée. C’est à peine crédible.
Des émeutes partout, des véhicules brûlés, des bombes dans le midi, des
bus caillassés, des chauffeurs assommés par les loubards, une voiture de La
Poste immobilisée pour qu’on puisse y voler les paquets à distribuer, des
manifestations de chômeurs occupant les locaux des Assedic et brisant les
portes des Préfectures etc. Ajoutons à cela les massacres permanents en
Algérie, les Kurdes tentant de trouver une terre d’asile etc… des jeunes
assassinés à tour de bras par la Police, des gens mangés par des chiens, des
amoureux tuant leurs dulcinées etc… Tout cela donne l’impression d’une Guerre
Sociale qui se généralise…
J’ai reçu hier une jeune punk féministe qui habite dans un squat à Lyon
et m’a dit qu’un étudiant lui a conseillé de lire dans l’Encyclopédie
Universalis l’article fascisme pour
en tirer la conclusion que c’était tout à fait le régime dans lequel on était.
La même jeune femme partage mes analyses les plus pessimistes et elle se
considère en résistance au milieu d’une guerre. Elle m’apprend que les lois
concernant l’avortement ou les violences conjugales sont tournées par le moyen
des médiations qui se contentent de faire la morale, ce qui est
effectivement une régression par rapport à la puissance législative.
Bien que cette punk de vingt et un ans soit une marginale, j’ai le cœur
serré de constater qu’en fait de l’âge de mes propres Elèves elle est comme eux
sans espoir de réussir à s’intégrer à la société et être d’ores et déjà dans
une position d’exclusion. Cette acceptation de la pauvreté et du manque chez
ceux qui débutent dans la vie me parait l’insoutenable nouveauté de l’époque.
Le contentement tout de même de l’entendre dire qu’elle a adoré Les
doigts figuier que j’ai pourtant écrit il y a vingt ans dans un état
catastrophique. Elle me dit aussi que je suis la première personne qu’elle
rencontre qui lui explique clairement ce qui se passe.
Avec beaucoup d’efforts - car en plein marasme - j’ai tenté de porter à
la librairie A Tire d’ailes qui avait
en rayon La Baisure quelques exemplaires de mon nouveau recueil de
poèmes Resserres à louer. Hélas lorsque je suis arrivée elle était en
faillite avec des annonces de liquidation à moitié prix… J’ai surmontée le choc
en en appelant à ma morale absolue et je me suis dit que j’allais faire comme
j’ai toujours fait, c'est-à-dire autrement !
Enfin face à l’église Saint Séverin, trois rois mages couronnés en
complet veston avec des cadeaux modernes dans les mains m’ont créé un choc
artistique comme chaque fois que je vais en ville. Du coup je me suis dit que
les choses s’équilibraient, parce que la création continuait, celle du monde et
c’était bien là l’essentiel.
Ce qui domine en ce moment, c’est la question de la surpopulation. Elle
joue aussi pour les artistes. De même pour les Ecrivains par rapport aux
lecteurs. Il faut donc changer l’organisation artistique pour promouvoir un
autre statut de l’Art.
Si le stress est avec la pollution l’une de principales causes de
dégradation de ma santé, la version dentaire est cocasse. A force de serrer les
dents au propre et au figuré, j’ai trois plombages qui ont sauté d’un seul coup
et la dentiste n’en revient pas d’une pareille situation.
De tous les côtés, la propension à parler de l’INVENTION DE, que ce
soit du littoral, de l’enfance, de la mémoire etc… ainsi que du fait que cela
s’applique à tout, on finit par croire que c’est nous qui avons créé le monde
et qu’on peut par ailleurs se débarrasser de toutes ces idées qui ne sont que
de simples… justement… inventions.
Bref un décervelage en règle, puisque c’est la grande abolition/destitution que
résume finalement assez bien cette terrifiante publicité qui s’étale dans la
ville pour le parfum Montana Just
me ! La peau est le langage universel. Ajoutant que le personnage
représenté est androgyne…. Evidemment !...
Un incendie qu’on a toutes les raisons de croire un sabotage a
désorganisé la Gare du Nord. Les voyageurs ont été abandonnés à eux-mêmes
pendant plusieurs jours, des navettes annoncées se sont avérées fictives et les
gens se sont retrouvés dans des gares sans aucun train ni employés pour les
secourir ou les guider.
Entendu Claude Chabrol raconter à France Culture que l’acteur Maurice
Ronet qui était porté sur la bouteille avait horreur de la drogue et l’exprimait
en disant qu’on n’avait jamais vu un drogué lever sa seringue à la santé d’un
ami. C’est tout à fait ma vision des choses ! Et comme il parle plus avant
de cet acteur en question, je découvre que c’est à cause de lui que Drieu la
Rochelle m’est apparu comme un écrivain acceptable notamment à cause de son
film Le feu follet !
Acceptabilité dissipée avec la lecture de Gilles que j’ai trouvé
répugnant et dont l’œuvre cinématographique est tirée.
La terreur paralyse tout. La société a disparu, ce qui arrive
habituellement je pense en cas de guerre ou de révolution mais est là d’autant
plus traumatisant qu’apparemment, il ne se passe rien, tellement le couvercle
des médias veille à ne rien laisser filtrer. Et pourtant cela passe quand
même : une véritable antifada
dans les quartiers.
Je crois que ce que ce que veulent les émeutiers, c’est un territoire
sur lequel n’intervienne plus La
République. Déjà au Lycée, ce sont nous qui nous sommes petit à petit fait
expulsés du bâtiment. Les Révolutionnaires radicaux qu’il m’arrive d’appeler
les Bolchéviks occupent de ci de là,
de façon violente pour imposer un partage. Cela en ce qui concerne la classe
populaire.
A l’autre bout de la société, l’élite
autoproclamée qui par moments flirte
avec le Nazisme organise à vitesse accélérée l’abolition des Etats, des
Nations, des Frontières, et des Institutions pour imposer à marche forcée de
faire ratifier par le Parlement le Traité d’Amsterdam qui dissout encore un peu
plus notre souveraineté.
Je m’interroge avec angoisse sur les différentes possibilités de
manipulations qui pourraient accompagner l’installation de la monnaie unique,
l’Euro… Quel est le degré de collusion entre les mafieux et la dite élite autoproclamée ?…
Stupéfaction d’entendre Madame Danièle Mitterrand expliquer sur France
– Inter que L’Euro est une transition,
une étape, et que dans le domaine de la monnaie on a prévu tout à fait autre
chose…ou quelque chose de cet ordre… On s’interroge sur la signification
d’une pareille information.
La Concierge m’a royalement offert cent cinquante francs pour racheter
mon vélo presque neuf, car depuis le cancer de 1982 je ne m’en sers plus.
Devant mes protestations, je suis allée jusqu’à lui montrer le catalogue de la
CAMIF pour témoigner des prix réels. Elle a alors accepté de réviser sa
proposition jusqu’à deux cents cinquante francs. Ajoutons qu’avec la voisine,
je suis celle qui lui donne les étrennes
les plus importantes et elle n’a vraiment pas à se plaindre de ce côté-là… Je me
suis donc sentie terriblement humiliée. Je pourrais envisager l’ouverture d’un
agenda L’humiliation aujourd’hui c’est…Mais
il y en a trop, je n’y parviendrai pas.
Les émeutes continuent. Les Chômeurs occupent des agences des ASSEDIC
en nombre croissant en dépit des Policiers qui les évacuent régulièrement, les
faisant se déplacer ailleurs en propageant le mouvement qui gagne en vigueur.
Le décalage entre la conjoncture de la fusion européenne - le
Gouvernement refusant d’organiser le référendum dont il sait trop bien la
réponse - et les émeutes ainsi que les occupations sur le terrain réel, est
terrible. Mais en fait, c’est logique parce que la démocratie a complètement
disparu et qu’on ne demande plus leur avis aux gens qui du coup, l’exprime
ainsi.
Vu dans le magazine Vogue des
images de cauchemars en forme de publicité : De belles femmes vantant des
produits. Elles sont torturées, mutilées, greffées de façon chaotique. Je n’en
reviens pas, c’est à hurler ! Les couturiers de San Francisco ont
réintroduit le corset dont les ventes ont été multipliées par quatre dans leurs
collections ainsi que les pieds bandés… Et France Info de commenter Nos bonnes vieilles féministes doivent se
retourner dans leurs tombes !...
Mardi j’ai repris les cours d’Education Physique que j’avais dû arrêter
il y a deux ans à cause de la crise d’arthrite et des paralysies qui s’en
étaient suivies. L’ambiance fasciste du lieu m’a coupé le souffle ainsi que
celle de l’hostilité à mon égard alors que - par prudence - je n’ouvrais même
pas la bouche, connaissant bien le terrain. Je me suis donc demandé
pourquoi ! J’ai rapidement compris qu’il fallait l’attribuer à mes
composantes matérielles et physiques. D’abord j’étais pieds nus alors qu’elles
avaient toutes des baskets. Elles avaient les cheveux courts colorés en blond
pour les jeunes et teints pour les autres, alors que j’ai moi-même une
abondante chevelure blanche. Elles étaient minces comme j’étais grosse et
c’était jusqu’à mon pantalon moiré vert d’eau qui n’était vraiment pas dans la
note. Ainsi ne suffit il pas de se taire et c’est sans doute pour ce genre de
raison qu’on me jette parfois des regards de haine qui me font chavirer…
A l’acupuncture, la femme médecine m’a dit que mardi, dix femmes se
sont effondrées en larmes dans son cabinet et elle ajoute en parlant de la
relation que nous entretenons On est un
îlot de résistance ! Je trouve la formule émouvante. Avec les
festivités, ses patientes ont grossi, et elle me dit froidement Le record, c’est trois kilos ! Chacun
son humour… Par ailleurs évoquant l’agitation générale, elle me dit C’est la révolution, qu’est ce que vous en
dites, il me semble que c’est cela… A moi aussi, il me semble que c’est
cela. Mais je sais désormais que la Révolution ce n’est pas le romantisme de
Mai 68 et de Guevara mais les squats d’immeubles et la boucherie…
Le même jour à la sortie de la supérette ED, la mendiante roumaine à
qui je propose au choix une boite de conserve de salade mexicaine ou un sac de
pruneaux, me répond dans un français approximatif qu’elle ne connaît ni l’un ni
l’autre. Il y a quelques semaines, je lui avais donné trois mandarines. Je lui
ouvre alors mon filet pour lui faire des propositions. Nous nous mettons
d’accord sur les blinis… O l’Est !...
Mercredi j’ai racheté une cafetière électrique dont j’avais essayé de
me passer pour plusieurs raisons : leur laideur, le fait qu’on trouve la
même chez tout le monde, l’électricité statique, le machinisme généralisé,
l’excès de café toujours disponible. Je voulais voir également à partir de quel
moment je ne serais plus - tellement mes réveils étaient pénibles - en
situation de me faire ne serait ce qu’un nescafé ! Et bien voilà j’y suis.
J’ai donc racheté une deuxième cafetière électrique au Prisunic, assez
belle : Deux cents quatre vingt dix neuf francs.
Le Ministre Allègre a proposé aux Elèves de remplir un questionnaire
leur présentant l’Ecole comme inutile, ennuyeuse et sans intérêt. Un chef
d’œuvre de démagogie et un camouflet supplémentaire pour nous qui sommes
insultés par notre supérieur hiérarchique. Plusieurs d’entre nous envisagent de
ne pas participer à cette mascarade tandis qu’une de nos petites camarades
n’hésite pas à proclamer avec un aplomb insupportable que c’est aux Syndicats à s’occuper de faire remplir cela !
Stalinisme oblige… Précisons qu’il y a aussi un questionnaire pour les
Professeurs et un autre pour les Etablissements…
Le climat du jour : Une bombe artisanale contre une école primaire
à Strasbourg.
Troisième nuit consécutive durant laquelle dans de nombreuses villes de
province, les CRS évacuent les Comités de Chômeurs qui occupent les Bâtiments
Publics les plus divers. Les Etudiants leur emboîtent le pas.
Incident à ma succursale de la BNP, le facteur mauricien ou malgache
pour qui j’ai des sympathies attend pour remettre une lettre recommandée comme
il y a la queue de quatre ou cinq personnes. Un employé lui balance tout haut Tu es bronzé, tu reviens de vacances ? Scandalisée
et mourant de honte, trop en difficultés moi-même et en délicatesse dans un
endroit où j’ai déjà fait plusieurs scandales publics, je n’interviens pas
d’autant plus que des événements scandaleux, il y a du matin au soir.
On a du mal à croire que ma maladie soit le manque d’énergie et que je
doive aller toutes les deux semaines à l’acupuncture me faire recharger les
batteries et pourtant cela est ! Je ne suis néanmoins pas fière de cet
état de choses et d’avoir du me contenter par des mimiques expressives et
silencieuses de vérifier notre sympathie commune, l’accord sur nos sentiments
et notre même désapprobation de cet état social…
Les manifestations continuent. La Bourse du Commerce a été mise à sac.
Dix sept Policiers ont été blessés. Quant au défilé, il y avait en tête le
Syndicat Général de la Police avec banderoles et drapeaux, ce qui faisait tout
de même un drôle d’effet. On n’est plus loin de la crosse en l’air. Il semble
qu’il y ait une certaine division du travail, les Actifs continuant à
travailler tandis que les inactifs…font la Révolution ? La nouveauté et
l’impression générale, c’est que le peuple entier est actuellement dressé
contre ses dirigeants, cette fameuse élite
autoproclamée… On retrouve un peu
l’atmosphère de 1995 lorsque le Secteur Public luttait pour le compte de tous,
tandis que le Secteur Privé consacrait plusieurs heures par jour à la marche à
pied dans la neige pour aller à son travail.
Conversation hier après-midi avec la thésarde DN arrivée tremblante et
qui m’a dit pour finir : Quand on vous
voit, cela donne envie de résister ! Quel plus beau compliment ?
Là il s’agit maintenant de la génération des petites filles qui viennent me
voir et la conjoncture politique fait qu’on m’écoute tout à fait.
Tentative de lecture de D’un château l’autre de Celine mais le
livre m’est tombé des mains, tellement il est confus et pas construit. Une
illisible débâcle.
Concernant ce qu’on a vu à la Télévision, l’attaque d’un supermarché
pour en piller les nourritures, je n’ai trouvé personne avec qui en parler. On
ne peut pas davantage en classe, parler du mouvement des Chômeurs. Le soir aux
informations, le ton a changé. Black out complet sur le mouvement et diversion
sur des sottises sans intérêt.
Les Policiers sont encore intervenus pour faire dégager les bâtiments
occupés. L’Ecole Normale Supérieure de la Rue d’Ulm a été investie par les
Chômeurs. Non évacuée, elle a été fermée. Le décalage entre la dureté de la
situation extérieure et la chape de silence des Collègues est insupportable.
Aujourd’hui je me dis que je ne vais pas pouvoir y aller. Trop de désespoir et
de difficultés.
Cette fermeture ressemble à celle de la Sorbonne en 1968. Elle avait
mis le feu aux poudres au système étudiant. J’éprouve de la difficulté à
enseigner sans le recours à cette sorte de garantie symbolique. Partout des
locaux occupés, les plus divers, patronaux, mairies, Parti Socialiste. Soixante
dix pour cent des Gens soutiennent le mouvement et plus de cinquante désapprouve
l’attitude du Gouvernement.
De ci de là dans les rues, des vêtements abandonnés. On n’ose pas trop
regarder de peur de voir quelqu’un dormir dedans. Un élément de la terreur est
bien ce qu’on voit, et l’autodéfense consiste alors à ne pas le voir…
Hier à la Télévision, des images de l’Ecole Normale de la rue d’Ulm.
Sur le toit, Elèves et Chômeurs mélangés avec une grande banderole demandant le
partage des richesses. En bas, les Policiers et tout le quartier bouclé. Dans
le même journal, le Ministre Allègre expliquant que l’Ecole sélectionne trop et
enseigne des choses dépassées qu’il faut moderniser. L’ensemble était à serrer
le cœur car la Rue d’Ulm paraissait comme un vieux bateau prêt à couler avec
ses marins pauvres et désespérés.
Je crois que cette image là est la plus tragique que je n’ai jamais
vue. Cela n’est pas spectaculaire comme les fosses communes du Rwanda parce que
c’est une image abstraite : Les deux bouts de l’ancienne société qui
fraternisent et tentent en se solidarisant de sauver ce qui est déjà mort…
Impossible d’en croire ses oreilles et pourtant à treize heures en TSC2
un Elève Musulman s’est mis à psalmodier quelque chose qui ressemblait à
l’appel du muezzin ! Pas d’un seul coup, mais en deux fois.
Noël a dit cet après-midi à nos Collègues que les propos les plus
outranciers que je tenais étaient très en dessous de la vérité ! J’en ai
été sidérée. Il me semble qu’en effet effectivement en dépit du silence pesant,
une prise de conscience a quand même lieu concernant ce qui se passe. Le
caractère policier ne leur échappe
pas mais ils disent alors que c’est Jospin qui a pété les plombs ou dérapé.
D’autres, plus proches de moi commencent à se demander si on n’est pas
déjà dans un régime fasciste, notamment un Elève noir excellent
qui voit dans la Police, une garde prétorienne qui donne à réfléchir. Il semble
avoir connaissance, sans doute en raison d’expériences politiques qui lui sont
propres - peut être les africaines - avoir la possibilité de discerner quelque
chose que moi - faute de cette expérience spécifique - je sens mais ne voit
pas.
D’un taxi hier, j’apprends que des Jeunes se font volontairement
estropier en mettant leurs pieds sous les roues pour toucher des indemnités…
De la Télévision et notamment d’un reportage sur Arte, l’idée que nos
Dirigeants tirent de drôles de plans concernant la gestion de la monnaie
commune et de l’épargne… qu’il s’agirait de capitaliser…
Le Quinze, j’ai acheté un beau petit tableau de F. Nicoli représentant
un bord de mer normand au début du siècle. Je n’ai même pas réfléchi. J’étais
tellement piétinée des émeutes du Lycée - bagarres, hurlements des Elèves,
humiliations et fuite des Collègues presque sous les coups, silence épais des
autres concernant ce qui se passe - qu’il m’était indispensable de retrouver
mon intégrité psychique.
Marchander et acheter un tableau donne lieu à une véritable
conversation efficace, pleine de sens, de code, de présupposés qu’on confirme
de part et d’autre. Le fait que le brocanteur ait été noir, rédimait pour moi
la panique dans laquelle je m’étais trouvée quand je suis intervenue dans la
salle d’à côté la mienne d’où V s’était enfuie et dans laquelle une bande
d’Elèves noirs géants par la taille, se bagarraient et hurlaient.
Sans doute, le moyen de me faire savoir au fond de moi que cela n’avait
rien à voir avec le caractère ethnique des Elèves en question. Ce qui pourtant
n’est pas vrai, puisque dans cet Etablissement Scolaire nous sommes au bord de
la Guerre Civile Ethnique. Enfin l’icône même du tableau : des gens en
beaux costumes début de siècle sur une plage normande confirmait à soi seul la
forme disparue. L’Histoire (alors qu’on est en plein dedans, plus que jamais),
la Géographie (les provinces) alors que je ne sors plus en dehors des deux lieux
de villégiature si on excepte le voyage à Amsterdam – pour assister au
spectacle des Soleils Immobiles - la société organisée, classes sociales
et activités et le bonheur qui émane de toute cette scène.
Manifestation pour soutenir l’insurrection
des Chômeurs. Il y a plus de monde que prévu. Une miniature des défilés
habituels. On n’y voit pas les Immigrés qu’on a vus au Premier Mai. Des
Intellectuels singuliers. L’ensemble est carrément offensif mais comme
toujours, étant donné que je ne suis d’accord avec personne, je m’ennuie
d’autant plus rapidement que j’ai déjà dû effectuer un gros effort pour y
aller. Je vais me changer les idées à une brocante dans le Marais. J’ai donc
été très étonnée d’y découvrir que je n’avais plus du tout le sentiment
tragique d’exclusion que j’ai habituellement dans ce genre de situation. Ce
quartier m’apparaît là mien, sans problème et la xénophobie n’y avait aucune
place. Comme quoi cet état d’esprit dépend bien du sort qui m’est
fait !...
Hier matin, courses au Marché Poncelet. On y sent la Guerre Civile
naissante qui dans ma vie dépasse donc l’espace professionnel du Lycée où je la
sens en permanence à l’état naissant. Je me suis faite bousculée comme jamais.
Il pleut et je n’ai pas de parapluie, mais un simple châle, comme personne n’en
a. J’ai par mesure pratique, pour mettre mes achats, mon sac à dos bleu et vais
lentement et rêveusement m’arrêtant de façon irrationnelle pour penser. Il est
clair que je n’ai ni l’allure, ni le comportement dominant et on me le fait
sentir physiquement. Sans doute bientôt va-t-on me taper dessus dans la rue, je
le sens venir…
A contrario, à l’arrêt et dans l’autobus, mon humour fait merveille et
on voit bien qu’il y a en germe deux types de sociétés qui s’apprêtent à
s’affronter.
A la Télévision sur la Deux à l’émission Polémiques, une militante associative arabe analyse elle aussi les
émeutes de banlieue comme une intifada.
Une personnalité très en vue y allant de sa langue de bois et de sa propagande.
J’apprends qu’en américain existe déjà l’expression Surplus people. Depuis quand ?
Je m’étonne par ailleurs sur le plan de la politique intérieure de
constater que les Communistes et les Verts tout en siégeant d’un côté au
Gouvernement, participent de l’autre à la contestation grandissante.
L’Ecole Normale Supérieure est fermée depuis Mercredi dernier ainsi
qu’une quinzaine d’autres Bâtiments Publics tels que des mairies. Personne ne
s’en émeut, sans doute parce qu’ils ne savent même pas de quoi il s’agit mais
au bout de six jours, c’est un peu abusif !
Le Mouvement continue notamment celui des Inutiles qui tentent de faire reconnaître leurs droits autour du slogan Un emploi est un droit, un revenu c’est un
dû ! Des occupations et des évacuations policières, le Fouquet’s où
ils se sont attablés en criant On a faim avant
d’en être expulsés etc… Mais durant déjà depuis plus d’un mois, le mouvement
n’a néanmoins pas obtenu grand-chose.
A la Télévision, l’obscénité d’une femme représentant seule l’ensemble
des Travailleurs et tentant de séduire le représentant des Patrons. Le
mouvement des Chômeurs de plus en plus agressif envahit le siège du Parti
Socialiste après avoir investi hier le Conseil Economique et Social et avoir
été - à cent soixante - embarqué par la Police.
Cela fait apparaître comme encore plus insupportables la présentation
des Collections des Grands Couturiers, notamment celle de JC Gautier qui exhibe
des femmes quasiment nues dans des accoutrements humiliants et ridicules, le
crâne rasé et les seins à l’air - c’est presque une nouvelle norme - la jupe
fendue derrière afin qu’on leur voit la raie des fesses. L’hyperbole dirait
qu’on est dans un bordel de camp de concentration et que la libération des
mœurs s’effondre là dans l’épouvante.
Je saisis sur l’ordinateur, le texte de mon manuscrit de Ton Nom de
végétal pour en accélérer la parution chez l’éditrice de TROIS qui m’a
donné son accord il y a maintenant presque quatre ans ! C’est la première
fois que du coup, je relis un de mes livres, si on excepte que j’ai du le faire
pour adapter La Baisure en livret d’opéra ! Passons sur le côté
absurde de mettre au propre le manuscrit, car quel autre mot employer après le
quasi sabotage de MCR qui me l’a tapé, un livre dont la critique en anglais
circule déjà en Amérique du Nord.
Je le trouve très bien et le sens qui m’en avait échappé au moment de
sa construction (1983-1991) m’apparaît aujourd’hui limpide. C’est une création
du monde qui est en fait sa décréation selon
un néologisme entendu au Marché de la Poésie. Je ne sais pas encore quel parti
je vais prendre concernant l’édition de cet énorme livre. De son côté les
Editions … qui connaissaient l’existence du livre et m’avaient demandé à le
lire, ne m’ont jamais répondu….
Je découvre avec des amis américains que la question de l’indépendance
du Québec peut être aussi mentalement envahissante que la dislocation organisée
par l’Union Européenne et dans un cas comme dans l’autre entraîner des
modifications mentales personnelles… Quant à la question du Nazisme, on me fait
remarquer que la comparaison ne peut pas se maintenir dans la mesure où
actuellement les Etats se désagrègent… Enfin comme je décris les bagarres et les
hurlements des Elèves, on me dit qu’il y a la même chose dans certaines de
leurs Universités.
A l’émission Culture Matin qui a France Culture faisait autrefois ma
joie de chaque jour, il n’y a plus un seul invité politique… Ce n’est plus qu’une
émission culturelle et on entend Jean-Louis Ezine parler de lui en disant Je suis tête de gondole à France
Culture !...
Les Collègues du Lycée ne supportent pas le Ramadan des Elèves pourtant parfaitement non - violent ! Ils
tentent d’organiser des cabbales pour essayer de l’empêcher… La fête de clôture
ayant eu lieu hier, le fait est qu’il manquait entre trente et quarante pour
cent des Elèves qui de toute façon en dehors de cette conjoncture peuvent
parfaitement ne jamais venir aux cours sans non seulement être inquiétés mais
passer tranquillement dans la classe supérieure.
Quant aux absences religieuses elles mêmes, les Elèves Juifs manquent
traditionnellement une huitaine de jours pour les fêtes d’automne, même si cela
fait à chaque fois controverse.
Entre temps le Ministre Allègre s’est aperçu que les statistiques
d’absence des Professeurs étaient truquées, ce qui ne m’étonne pas parce que je
me suis trouvée plusieurs fois seule dans l’Etablissement avec les Elèves et la
liste des Collègues manquants était extraordinairement longue… Sans compter les
anecdotes des Elèves surgissant dans la Salle des Professeurs pour demander à
Monsieur un Tel ou Tel Autre S’ils font
leurs cours aujourd’hui ?
La conversation s’envenimant Claude est intervenu pour dire que cela
n’avait aucun sens de mettre sur le même plan les absences des Elèves et celles
des Collègues, ce qui est l’évidence même. C’est alors que la parole
prophétique m’a traversée et que je leur ai dit : C’est inacceptable la façon dont vous parlez du Ramadan et des Elèves.
Cela sent la Guerre d’Algérie ! Je vous déteste parce que vous avez la
haine des Arabes !
Les salariés du magazine Alter Eco ont obtenu les trente cinq heures
mais ils ont dû accepter en échange un engagement de blocage des salaires non
limité dans le temps, sans compter une baisse de un pour cent pour ceux qui
touchent plus de neuf mille nets et trois pour cent pour le haut de la
hiérarchie !
J’ai vu Maïr à qui j’ai proposé mon interprétation du discours de
Spencer à l’enterrement de sa sœur Lady Diana, discours d’un baron s’adressant
au Roi en tant que son égal, ce qu’elle m’a confirmé. Et comme je déplorais la
relative bêtise de la Princesse qui s’était crue plus forte que la Famille
Royale, elle me dit qu’il s’agit en fait de l’hybris
de la tragédie antique. A savoir : entre l’orgueil
et la vanité, ce qui va perdre le héros qui se prend pour les Dieux.
Chez Durand à Nulle Part Ailleurs
à la Télévision, j’ai vu Bernard Pivot se plaignant de ce que son émission à
lui passe tard dans la soirée, qu’elle n’a pas de public et qu’on ne lui écrit
plus comme autrefois pour le remercier d’avoir amené à la lecture. Durand
quasiment triomphant se moque presque de lui alors qu’en fait c’est lui qui le
remplace…
Dimanche en banlieue avec l’Association de Poésie Terpsichore dans les
vestiaires du Gymnase Pierre de Coubertin après une demi-heure de train… Tout
cela pour entendre des poèmes dont l’un était remarquable… Difficile de porter
plus haut l’amour de la poésie ou le sentiment de la solitude. Mais le poème de
François Fournet que je ne connaissais pas avant cette équipée, méritait bien à
lui seul le voyage.
Ambiance révisionniste dans la Presse. J’en suis scandalisée !
J’ai également téléphoné à Raczymow la semaine dernière parce qu’il avait été
la victime d’un article ordurier où il était pris à parti comme juif et comme écrivain ! Mon soutien lui a fait plaisir. Je ne le connais
pas particulièrement mais c’est le mari d’une ancienne Collègue.
Petite réunion de voisinage. Je dois ferrailler pour me faire respecter
et contrer le discours anti femme d’un malotru.
Nouvelles menaces de matraquage de l’Irak. A la Télévision on nous
montre de nouvelles armes effarantes. Des missiles qui traversent plusieurs
murs de béton sans exploser et qui détruisent ainsi bien plus encore que tout
ce qu’on connaît. On dirait de la Science Fiction.
La société française est dans le coma. Découverte dans la semaine
écoulée dans le Mensuel Le Monde Diplomatique d’un nouvel accord en passe d’être signé concernant
l’OMC. Il est dénommé l’Accord Multilatéral d’Investissements par lequel les firmes pourront obtenir des
dommages intérêts de la part des Etats qui prendraient des dispositions qui objectivement leur feraient perdre des
possibilités de profit et cela après arbitrage privé de la Chambre de Commerce
Internationale.
Comme j’en parle avec une amie, celle-ci fait le rapprochement avec les
Juifs qui devaient payer leur billet de chemin de fer pour Auschwitz lors de la
Shoah. Quelques jours plus tard je prends connaissance du Traité d’Amsterdam
qui achève de nous déposséder de ce qui nous restait de souveraineté pour instaurer
une sorte de Conseil d’Administration dans lequel les votes ont lieu au prorata
des parts possédés.
Sidérée d’entendre Claude Régy à France-Culture dire publiquement ce
que je pense depuis 1992 à savoir que la Shoah pourrait bien reprendre et
qu’une partie de l’Humanité est prête à se débarrasser de l’autre. Répercutant
cela à Maïr, j’ai l’occasion pour la première fois de parler de cela avec une
adulte connue car jusque là je ne pouvais le faire qu’avec les Elèves ou des
inconnus.
Elle me confirme par ailleurs que les Intellectuel(le)s qu’elle connaît
sont effectivement coupé(e)s de la réalité et assure également qu’il faudrait
qu’ils/elles se mettent en cause dans leurs propres responsabilités pour
dénoncer ce dans quoi nous plongeons.
On a du mal à croire que la Guerre contre l’Irak puisse reprendre et
pourtant. Dans cette perspective je regrette d’avoir jeté Vous qui prenez
sur vous l’ordre du monde en 1995, livre qui traitait de cette Guerre et
s’était arrêté avec elle. Si j’avais pu penser qu’elle reprendrait je l’aurais
conservé… d’autant plus que c’était incontestablement mon travail intellectuel
le plus intelligent. Trop même ! Au point que je n’aurais certainement pas
trouvé à l’éditer et que c’est une des raisons pour lesquelles je ne l’ai pas
conservé.
19 Février 1998
Scène de genre : J’ai rendez vous au restaurant marocain l’Atlas
10 Bd Saint Germain avec un ancien Elève âgé désormais de trente cinq ans.
J’arrive et demande si mon ami est là. On me montre une vieille femme sur le
trottoir et je dois faire le forcing pour entrer et le trouver assis à
m’attendre. C’était donc impensable pour le serveur auquel je m’étais adressée
et la suite n’est pas plus réjouissance car lorsqu’il m’appelle jeune fille je suis obligée d’insister pour qu’il m’appelle Madame. Sous entendue une femme mariée
honnête n’aurait jamais dû se trouver dans cette situation…
Les anciens Ministres Joxe et Chevènement également scandalisés par l’AMI
protestent eux aussi contre ce monopole américain qu’ils qualifient d’une
authentique Révolution Copernicienne par l’instauration d’un monopole mondial, fait sans précédent !
Menaces sur l’Irak qu’on menace de raser si elle ne laisse pas
inspecter ses palais pour qu’on puisse s’assurer qu’ils sont bien vides.
Junger est mort à cent deux ans. Il n’a cessé de me décevoir comme
écrivain. J’avais aimé Le Journal de guerre mais n’en ai rien retrouvé
dans Les Falaises de marbre et encore moins dans Le Cœur aventureux
dont j’ai dû me débarrasser, tellement il m’avait déplu. Je ne comprends pas la
fascination qu’il exerce sur les Français qui le prennent pour un grand
écrivain, sauf à conclure qu’ils ne l’ont pas lu. Mais le plus étonnant est l’anecdote
selon laquelle les gens ont cru que François Mitterrand était allé le voir pour
parler littérature alors qu’il s’est étonné qu’on le presse de livrer le secret
de sa longévité. Las de ses questions, il a fini par répondre à Mitterrand que
c’était parce qu’il avait arrêté de faire de la politique à l’âge de vingt cinq
ans !
Scène de genre : deux SDF sont couchés sur une bâche au bout du
quai de la station de métro Temple. J’avise un voyageur pour lui demander s’il
voit la même chose que moi et comme je lui trouve le faciès intellectuel, je
lui fais remarquer qu’on est la quatrième puissance mondiale et que cela n’est
pas très normal… Il me répond sentencieusement que trop d’impôt tue l’impôt !...
L’animateur du Panorama à France Culture, Michel Bylovski s’est
suicidé. J’avais envoyé Au présage de la mienne à l’émission mais on ne
m’avait pas répondu et je ne sais pas si on en avait parlé. Cela m’étonnerait
car aucun autre des animateurs de cette chaîne à qui je l’avais adressé, ne
m’avait répondu.
Aucun sauf JM Borzeix, le Directeur qui a lui-même été licencié
quelques temps après. Je ne sais pas si tout cela a un rapport mais peut être
d’une certaine façon tout de même car si France Culture m’avait bien soutenue
du temps des Editions de Minuit et du Seuil, ce fut ensuite motus et bouche
cousue à partir de Canal de la Toussaint sauf Philippe Vallet en 1986…
Puis en France, plus rien.
Vu le film de Jonathan Nossiter Sunday
un chef d’œuvre absolu qui mériterait un texte si je n’étais pas déjà submergée
par toute sorte d’autres tâches et difficultés. L’échec de mes deux
propositions de textes à la Voix du Regard
ne m’a pas découragée ni non plus auprès des Cahiers du Cinéma. Le film propose là une métaphore
de la création du monde et du paradis terrestre dans le milieu crapoteux des
sans abri new-yorkais. Face à ce qu’un poète sur les marches de Saint Sulpice
appelait en Juin dernier la décréation
du monde, on assiste là au contraire à sa recréation avec la
réaffirmation de la possibilité de projeter. En ce sens ce quatrième film
complèterait bien mon texte Les trois niveaux de la conscience. Il faut
donc que je trouve une autre formule !
La compositeure de notre opéra est venue me voir. Rentrant de Mongolie
et de Russie elle m’a dit que l’Euro y circulait déjà ainsi qu’en Hollande.
Elle m’a parlé également d’un projet d’étatisation
des corps sans pouvoir m’en dire davantage. Elle était très affectée
par la difficulté qu’elle a à trouver un producteur pour notre Folle Baisure !
Je me suis aperçue que si j’avais depuis longtemps compris que ce qui
était en jeu c’était la fin de l’Humanisme, c’était à cause de mon
américanisation relative aux quinze ans écoulés. Non que j’approuve cette
évolution, mais je la constate.
Bonheur de découvrir qu’il puisse y avoir pour certains le désir et le
besoin de lire mes textes, et qu’ils en aient même une véritable faim. J’ai
refusé de fournir mon texte à … par fidélité à … Pourtant je devais bien le
savoir puisque j’avais déjà dans le passé éprouvé une fois du déplaisir qu’on
m’extorque un texte que je ne voulais pas livrer et face auquel l’air de
triomphe que je constatais chez la partenaire m’avait confirmé dans l’intuition
de la compréhension que j’avais de la nature de nos relations. Elle l’avait
dévoré comme une prédatrice de la pire espèce. Affamée, avide et sans pitié.
J’ai appris qu’on attachait des émeraudes au cou des momies comme signe
de la résurrection. Mais le fait demeure que leur origine géologique est dans
les lacs salés disparus. Ceci expliquerait la symbolique de la pierre verte
dans mon Ton Nom de végétal comme mémoire du là autrefois, il y avait un
monde qui n’était pas un désert… A noter qu’il n’est pas étonnant que les
Egyptiens en est gardé la mémoire puisque le Sahara n’a pas cessé de s’étendre,
et qu’au plan sémantique on appelle jardin,
les impuretés de ces pierres...
Entendant un groupe de Musiciens russes dire que c’était l’Euro qui
allait les sauver, il m’est venu l’idée que cette monnaie unique ne donnerait
pas seulement lieu à un monétarisme libéral comme on l’avait déjà vu, mais
serait du même coup un ustensile de pilotage de toute la vie économique
remplaçant la dimension juridique et institutionnelle.
La crainte de mourir d’ennui par un processus analogue à la torture
blanche.
Conversation avec le lecteur anglais sur les mythes. Il m’explique que
ceux auxquels doivent s’intéresser les Féministes sont Robinson Crusoé, Dom
Juan, Médée et Salomé…
Un Elève extérieur – saoul - s’est introduit dans le Lycée pour y
chercher sa copine. On a réussi à l’arraisonner mais le Proviseur informé l’a
relâché sans s’en inquiéter davantage !...
Sur Canal Plus, les types arborent maintenant du rouge à lèvres, la
mode ayant été lancée il y a dix jours par Dominique Strauss Kahn Ministre des
Finances !
On entend dire que nos services vont être augmentés de deux heures et
que cinq devront être consacrés aux Elèves en difficulté.
Vendredi à la sortie du Lycée, j’ai commis l’erreur fatidique de
remonter vers le Nord, direction vers laquelle je n’étais pas allée depuis
plusieurs mois. A cent mètres j’ai découvert une métropole du Tiers Monde. Des
masses de Noirs et de Levantins se pressant dans des quantités de boutiques
d’intérim dont l’une affichait rechercher un
comptable sachant aller jusqu’au bilan. Une boutique de téléphonie globale comme on en avait vu en
Bolivie en 1969, tenue par un indou avec un turban de velours qui n’aurait pas
déparé au Palais Favart à l’Opéra Comique. Il parlait avec deux acolytes une
langue que je ne connaissais pas. Cette trouée de beauté et de fantastique m’a
apaisée et réconciliée avec ma condition professionnelle parce qu’à ce degré
là, on était carrément dans autre chose...
Dimanche conférence sur le thème Psychanalyse
et Judaïsme, le thème m’intéressait mais les mauvaises conditions
matérielles m’ont empêché d’en tirer parti et j’ai quitté les lieux pour une
brocante sans intérêt. Devant un bureau de vote rue Monge, un jeune insultait
deux néonazis qu’il désignait à la vindicte populaire non seulement comme tels
mais également en tant qu’homosexuels. Les trois Policiers présents qui
auraient dû maintenir le calme, ne cherchaient pas vraiment à l’établir…
Le grand couturier Armani a installé il y a quelques mois sa boutique à
la Place du Drugstore de Saint Germain et il a inondé la Presse de ses
publicités particulièrement dans les espaces habituellement réservés aux
livres, ce qui faisait tout de même un effet un peu désagréable. Le clou était
le défilé prévu sur la place Saint Sulpice, mais le Ministre Chevènement l’a
interdit en raison des risques d’insécurité.
Un train de marchandises a été attaqué dans les environs de Marseille
et pillé par de jeunes voyous. Un autre l’avait déjà été il y a dix jours mais…
il était vide…
Ce ne sont pas seulement les dents que j’ai serrées en permanence au
point de me faire sauter trois plombages comme je l’ai dit précédemment, c’est
aussi les poings. Toutes ces contractions me rendent physiquement malade.
Heureusement, je parviens petit à petit à mettre en place de nouveau
comportements.
Locuteurs natifs ! C’est à eux que le Ministre de l’Education
Nationale entend s’adresser pour faire enseigner les langues vivantes dans les
Ecoles Primaires dès la rentrée d’automne. Enseignement exclusivement oral nous
précise-t-on ! Comme ces Nouveaux Elèves et Nouveaux Enseignants ne
sauront sans doute ni lire ni écrire cette langue étrangère - sans parler de la
nôtre - on se demande à quoi cela peut bien servir, mais en fait on s’en
doute !...
20 Mars 98
Hallucinant Conseil de Classe de 1e 2 lors duquel on apprend
que sur trente trois, vingt trois Elèves ont été dispensés de natation. Le Professeur
qui a la Classe en charge explique furieux que ce
n’est pas une histoire de Ramadan.
Elle a en effet écrit à la Mosquée de Paris pour demander ce qu’il en était et
il lui a été répondu qu’il n’y avait aucun problème car s’ils buvaient la tasse
s’était involontaire et ne comptait donc pas ! La Collègue en concluait
que nos Elèves n’avaient donc aucune raison de se dérober.
Mais en fait le problème n’est pas le Ramadan mais ce que nos Jeunes appellent la pudeur. Après toute une conversation lors de laquelle chacun
faisait l’idiot, j’ai fini par mettre les pieds dans le plat ! Le fond de
l’affaire est que les Musulmans veulent se baigner avec des shorts longs que
n’acceptent pas les piscines. Constatant qu’on allait demander l’avis de la
Mosquée j’ai compris que la Loi Républicaine avait d’ores et déjà disparue dans
la zone de la société dans laquelle j’étais. A noter également qu’il n’a pas
été question des jeunes filles, comme si elles, il était totalement
inenvisageable qu’elles se baignent….
Ambiance de plomb au Lycée. Comme je dis à Adélaïde que les fascistes
vont arriver au pouvoir, elle me répond qu’ils y sont déjà ! Les seuls
contacts intéressants que j’ai au Lycée, c’est avec les Elèves ! Mais
quand je repense à ma vie à Balzac (1972/75) je trouve que cela fait quand même
une sacrée différence...
En 1TSC2 le petit rayon laser rouge qui rend aveugle a fait son
apparition et la panique m’a prise comme j’ai vu le petit point se déplacer sur
le mur. J’ai demandé que l’auteur s’en fasse connaître mais comme cette requête
est restée sans effet, j’ai cessé de faire cours en invoquant le droit de retrait dont j’avais
récemment appris l’existence par les machinistes de la RATP qui en proie à des
agressions qu’ils ne supportaient plus, le pratiquaient. J’ai ramassé toutes
mes affaires et je suis sortie.
Je me suis repliée dans la Salle des Professeurs dans laquelle était
installée la représentante des Editions Mazenod à qui après conversation sur ce
qui venait d’arrivée j’ai acheté son superbe ouvrage sur Delacroix, à cause
notamment de la reproduction du tableau La
noce juive à Tanger qui m’a fait découvrir que ce laser pouvait à tout
jamais me rendre incapable de contempler une oeuvre d’une pareille beauté. J’en
ai même eu l’idée d’écrire une nouvelle sur ce thème. Les langues se sont
déliées et j’ai appris que d’autres Collègues avaient été avant moi victimes de
cette dangereuse exaction sans pour autant avoir réagi.
Informé de la situation, le Proviseur est venu me rejoindre vingt
minutes après et m’a dit qu’étant donné que lui-même n’était arrivé à rien, mes
cours étaient supprimés. Je l’ai chaleureusement et respectueusement remercié.
Sans doute m’avait il dit cela parce que les Elèves lui avaient fait part du
fait que j’avais invoqué le droit de retrait.
Au déjeuner, à la Cantine, a débuté une très heureuse conversation avec
le lecteur anglais qui m’a dit là vouloir être écrivain. Nous avons ensemble
commenté le tableau de Delacroix pendant une heure. Je lui ai expliqué que ce
serait le cœur de la nouvelle dont j’avais le projet et cela m’a bien
reconstituée.
La Collègue guyanaise - très noire - a proclamé qu’au vu de la
situation politique, elle demandait à se faire larguer n’importe où au-dessus
de l’Amazonie. La parole a commencé à circuler avec quelques autres également -
pour raisons diverses - menacés.
Les deux heures de l’après-midi n’ayant pu avoir lieu à cause du
contentieux, j’ai terminé la journée avec une demi classe de 1e2. A
la fin du cours je leur ai montré dans le livre que je venais d’acheter la
reproduction de la Noce Juive qui
leur a plu, ainsi que quelques autres tableaux. Les garçons ont voulu que je
leur montre les femmes nues représentées dans les œuvres de Delacroix.
J’ai trouvé cette demande terriblement émouvante de la part de ces bons
petits jeunes Elèves arabes en proie aux troubles de la sexualité, d’autant
plus émouvant que l’Art prenait là, la place de la traditionnelle pornographie.
Dans le même temps, les filles protestaient que ce qui les intéressait, elles c’était
le tragique et je ne sais plus quoi, furieuses que leurs camarades ne
s’intéressent qu’aux femmes nues !....
Je leur ai dis que c’était bien qu’elles se rendent compte si jeunes de
cette réalité car il m’avait fallu à moi, attendre trente cinq ans et qu’il
fallait y voir l’un des effets de la Révolution Féminine dont je leur avais
parlé le matin même. Ainsi fut redîmé l’accident du matin dont les suites
demeurent tout de même incertaines.
Au Salon du Livre j’ai rencontré JBP qui n’a toujours pas - à cause me
dit il de sa longueur - publié dans la revue
qu’il dirige, mon texte Fragments du Tiers Drame qu’il a accepté au
même salon, il y a déjà deux ans. On se dit un mot sur le résultat des
Elections et je lui décris la situation au Lycée au bord de la Guerre Civile,
plus personne ne croyant à la République. Il est d’autant plus étonné que cela
se passe Gare du Nord. Il me dit aussi qu’il suffit de faire un texte pour dire
tout cela, et qu’il le publiera illico mais je tiens davantage à mon texte
littéraire qui attire lui l’attention sur les Arabes Républicains et me
souviens qu’il n’a pas répondu à mon envoi d’Au Présage de la mienne.
A Ferrières en Bray arrestation de bandes de mineurs SDF, cambriolant à
la ronde. On n’aurait cru cela possible qu’en Amérique du Sud et en Russie,
mais maintenant nous en sommes là.
Réunion des Professeurs de Techniciens Supérieurs pour faire le point
sur la formation donnée. Contre toute attente, cette réunion m’a parue utile et
s’est bien passée. Le ton a changé, mes Collègues sont désormais conscients de
l’obsolescence et l’avouent nuement. J’apprends incidemment que nos Elèves ne
font pas la Comptabilité sur les ordinateurs mais encore sur du papier et
qu’ils ne sont pas capables de faire un bilan… De toute façon ils n’ont qu’une
machine pour deux et cela deux heures par semaine…
Une semaine que je ne fais pas cours en TSC2 soit pour une durée de
sept heures. Aucune solution en vue !...
Au Lycée, découverte de l’inscription SPLIT dans un cœur passablement
émouvant, lorsque je repense à ce que fut le voyage en Yougoslavie en 1966 avec
tous ces gens qui chantaient dans les cafés, ce qui m’avait bouleversée.
Au Lycée, un Vendredi d’épouvante dans la Classe dont j’ai suspendu les
cours. J’ai dû jeter toutes mes forces dans la balance pour faire céder les
Elèves et ils se sont mis à trois parmi les meilleurs pour me lâcher le nom du
propriétaire de l’engin que je prenais pour l’un des Arabes qui me soutenaient.
En plus du reste, je suis déçue.
A Goussainville, les Elèves se sont battus à l’intérieur du Lycée avec
des haches et des armes à feu ! Le bilan n’a pas été publié. Des éléments
extérieurs s’étaient introduits. Et le fond de l’affaire pourrait bien être
Garges-Les-Gonesse contre Goussainville. Cela laisse tout de même rêveuse. A
Bagneux, c’est un vol de clé et un refus de dénonciation qui a amené le
Directeur a appelé la Police. Il en a résulté une fouille à nu pour des Elèves
d’une Classe de Perfectionnement…
En Seine Saint Denis deux cents Lycées et Collèges sont en grève et le
nom du département a réapparu. Lorsque c’était Allègre qui tenait le haut du
pavé, on parlait plutôt du quatre vingt treize. On retrouve l’atmosphère
d’explosion qui est celle des prisons lorsque, excédés les détenus mettent le
feu à leurs paillasses et montent sur les toits…
Le terme de Réunification est
en train de s’imposer pour l’entrée des Pays de l’Est dans l’Union Européenne…
On est étonnée car la dernière fois qu’elle a été unie, c’est sous Hitler…
La violence commence là ou l’autre est dénié d’être un autre, un
autrui, un autrement. Nous sommes désormais dans ce cas de figure de façon
permanente. Il n’y a pas d’autre type de rapport. C’est sans doute ce
qu’exprimait le slogan Fuck it très à
la mode ces temps derniers. On l’entend moins mais c’est sans doute parce que
c’est désormais devenu une réalité !
A Tourcoing un jeune a été mortellement blessé d’une balle tirée à bout
portant par un camarade, pendant un cours de Sciences Naturelles, l’arme ayant
été passée sous la table. Ce matin, les Ministres Allègre et Royal s’étonnent
de la présence d’armes à feu dans les Lycées… Il est bien temps !... Le
même qui hier soir comptait disait il sur les Vacances de Pâques pour faire
retomber la pression des deux cents Ecoles en grève dans le département.
Vendredi après-midi dans la Salle des Professeurs scène de folie pure
et simple de la part de la guyanaise. Noël et moi tentant d’endiguer cet
évènement extrême avec gentillesse, affection et humilité, choses inédites dans
ce lieu.
Arrivant au Lycée, j’ai la satisfaction d’apprendre que l’Elève
propriétaire du laser a été convoqué par le Censeur comme j’en avais fait la
demande, mais je déchante rapidement lorsque je sais qu’elle ne lui a même pas
dit qu’on savait à quoi s’en tenir. Elle m’a également précisé qu’elle ne
voulait plus entendre parler des problèmes de la classe. Tout ceci équivalent
finalement à un acquittement.
Christian prend le problème plus au sérieux et concernant cette classe,
parle de rébellion, ce qui me paraît
la notion adéquate pas seulement pour cette classe mais pour l’ensemble du
Lycée. A savoir, la perte globale de l’autorité qui n’intimide plus et
l’absence de la force, qui nous laisse sans aucun moyen de coercition. Cette
taxinomie militaire me parait plus conforme à ce qui se passe que toutes les
perspectives prétendument pédagogiques qui étant donné le contexte, n’ont plus
aucune raison d’être…
Je découvre aussi que la Classe de Première passant un Bac Blanc
j’aurais pu rester une heure de plus à travailler pour moi chez moi… si j’avais
seulement consulté mon agenda, ce que je n’ai pas fait…C’est un incident parmi
tous ceux qui nombreux émaillent ma vie quotidienne et sont typiques de l’état
désemparé dans lequel je vis…
Au Lycée toujours, voyant dans la Cour le propriétaire de l’engin, je
descends lui parler et lui rappelle qu’auparavant je l’ai toujours soutenu ce
qu’il sait, et qu’en conséquence de quoi j’ai le sentiment d’être trahie. Mais
il ne veut rien savoir. Reprenant les cours après dix heures de suppression, en
TSC2, je trouve sur mon bureau un papier anonyme avec des inscriptions
bizarrement contradictoires et qui semblent traduire une atmosphère à la fois
confuse et obscène.
Dernier incident de la journée, par une fenêtre je vois de l’autre côté
de la Cour deux de mes très bons élèves de la classe de 1TSC1, la classe
parallèle à celle de l’incident. Le garçon écrase le cou de la fille sur le
montant horizontal de la fenêtre de la Salle de Travail qui tient lieu de
permanence. Je n’en reviens pas et après une hésitation, j’accours. La torture
est finie ! J’appelle le garçon, lui dis que je les vus et exige qu’il
fasse des excuses. Il s’y décide à la troisième injonction. Précisons qu’il s’agit
de deux Elèves Arabes qui sont par ailleurs des trésors de culture et de
courtoisie.
Appréciation de Claude Lanzmann sur Papon condamné aujourd’hui à dix
ans de prison : Il aurait dû être
condamné à la perpétuité avec sursis ! Appréciation qui signe son
génie. Il a soixante treize ans.
Entendu une nouvelle forme de menace sémantique Je fais ta mère dans tout le quartier…
Scène de genre au Lycée : bousculée par un Elève, l’Intendante
renverse dans l’escalier, les paquets qu’elle portait… Elle tance le jeune en
lui disant qu’il aurait pu faire attention, lequel réplique Qui t’es toi pour me baver dessus ? Et
elle sans se démonter de répondre Je suis
l’Intendante et toi un petit con !
Sur mon bureau en entrant je trouve une inscription très agréable :
mon nom de famille suivi de Tu
pues ! En trente ans de carrière, c’est la première fois qu’il
m’arrive une affaire de ce genre…
Une atmosphère non seulement de fin de règne ou d’époque mais même de
fin de Civilisation. L’Euro va entrer en vigueur en janvier prochain du moins
pour les entreprises et j’ai l’idée qu’il va être étendu aux pays de l’Est avec
qui on va être fusionné. Cela est dû sans doute à ma lecture du Cassandre
de Christa Wolf auquel je n’avais rien compris mais qui était la prophétie de
l’effondrement de la RDA et de son absorption par l’Ouest. C’est désormais pour
nous la même atmosphère plombée et saturée d’angoisse de mort qu’il y avait
dans ce livre, le no future des inscriptions sur les murs.
Petit à petit, les fonctionnements cessent et l’anomie s’étend. Le
Lycée est un grand bâtiment vide dans lequel de jeunes Arabes et Noirs viennent
pour s’y amuser et qui ne comprennent pas vraiment quels sont ces gêneurs
adultes qui prétendent s’y opposer puisque ce bâtiment n’est à personne. Les
phrases elles mêmes ne sont plus comprises, elles ne renvoient à aucune idée,
aucune représentation mentale. L’idée même d’un cours, d’un ordre, d’un état,
d’une loi, ne signifie rien. Il n’y a même pas transgression, il n’y
a pas
tout court !
Mes Elèves de 1TSC1 étaient à deux doigts de casser la figure au
Professeur d’Informatique et j’ai dû m’interposer. C’étaient les mêmes que lors
de l’incident de la veille plus quelques autres. Des Elèves excellents !
A la Télévision, ce qu’on regarde désormais, ce sont des gens qui se
regardent dans un miroir ! C’est un comble. Ainsi par exemple vendredi
Durand invitait un tel et son frère qui de plus expliquaient combien et comment
ils étaient le miroir l’un de l’autre. C’était vraiment obscène, notamment
lorsqu’ils expliquaient qu’ils se téléphonaient au milieu de la nuit pour
juguler leur angoisse.
Lors d’une commande par téléphone au supermarché Télémarket, je suis
tombée sur une espèce d’illettrée qui avait du mal à lire et à comprendre pour
les écrire les nombres que je lui disais, références lues sur le catalogue de
la firme. Or tout le système de commandes alimentaires repose sur ce principe
et j’en ai éprouvé une angoisse profonde. D’ailleurs il n’y a pas que là que la
langue semble se dérober.
Entendue cette réflexion : Les
gens ils ont le téléphone portable et le fax maintenant ils n’ont plus besoin
de personne et c’est chacun pour soi…
Un numéro de L’Evénement du Jeudi
sur Mai 68 est à la limite du révisionnisme ….sans un mot sur les neuf
millions de grévistes ni l’espérance libertaire. C’est présenté comme un
complot venu de l’étranger et relayé par quelques agitateurs professionnels.
Il y a déjà quelques semaines L’Express
présentait Cohn-Bendit de la même façon… Tout cela est assez inquiétant.
Au Lycée, fureur des Collègues à propos de l’Aïd El Kébir. J’ai été
obligée de leur dire que ce n’était tout de même pas la fête du mouton qui
était responsable de l’effondrement de l’Education Nationale. Par ailleurs les
accusations que nos Elèves portent des vêtements chers qu’ils auraient volés - ce que recouvre l’expression codée tombés du camion - ne me semble
pas pertinente, nos Elèves respirent la pauvreté.
A Goussainville, les Collègues ont refusé de reprendre le travail après
la bagarre à la hache et aux armes à feu. Mais l’Inspecteur s’est déplacé en
menaçant de les porter grévistes et de leur faire ainsi perdre leur
salaire ! C’est donc le choix entre deux formes de mort !... Une
Américaine voit dans mon Minotaure en habit d’Arlequin la société
dévorant le Corps Enseignant, ce qui n’est peut être pas faux. Quant aux
Cheminots qui barrent les voies pour faire aboutir leurs revendications
syndicales, ils sont la proie physique des voyageurs exaspérés. On les
comprend ! Il en découle des bagarres. En Bretagne les Agriculteurs ont
mis à sac les systèmes électroniques des gares. Systématiquement,
tranquillement - presque sans colère - un acte de guerre, rendant impraticables
les communications avec toute la région ainsi que la route de Rennes à Brest
depuis plusieurs jours sur le pont de Morlaix. Un début de sécession ?
Ravissement de la découverte de la Haggada
lue dans un livre publié par les Z’Editions. Un texte tout à fait littéraire
que j’ai ensuite entendu à la radio chanté en hébreu. Emotion toute
particulière des voix d’enfants qui demandent le sens des rites que je découvre
moi-même du même coup, notamment la coupe
de vin comme symbole des plaies
d’Egypte. On est d’autant plus choqué
de constater ce qu’en a fait le Christianisme.
Apprenant enfin la parution du deuxième tome du Journal de
Tchoukovsky - dont j’ai adoré le premier - je cours l’acheter le jour même mais
découvre malheureusement exposés en librairie, d’autres livres plutôt
inquiétants.
A Vézelay où j’étais en repérage pour mon opéra, à hôtel, d’une cabine
de douche fonctionnant mal, cette réflexion m’est venue étonnamment virtuelle C’est un sous système foireux !
A L’EDF les anciens salariés font trente deux heures payées trente cinq
et certains jeunes sont embauchés à trente deux heures payés trente deux…
A l’Hôtel du Cheval Blanc à Vézelay où nous sommes descendues avec ma
comparse l’hôtelier lui a demandé quels étaient nos liens familiaux. Elle me
dit qu’elle s’est retenue de dire que j’étais
sa mère !... Hier une Américaine me dit son affection, me
remercie de ce que je lui donne et affirme que pour elle je suis une mère.
Dans les deux cas ces choses sont dites avec bonheur et vénération et cela me
fait réellement plaisir.
Chez Gildas, Samedi midi mise en évidence d’une fameuse
contradiction : La Droite importe de la main d’œuvre immigrée alors
qu’elle est idéologiquement contre et la Gauche apparemment généreuse de
principe est obligée de la restreindre au nom de sa politique économique. Il ne
faut pas s’étonner de cette impression de tromperie généralisée sans issue.
Petites horreurs à tous les étages. Une exposition Jacke and Dinos
Chapman à la Galerie Daniel Templon présente des corps monstrueux, non comme
tels mais comme des possibilités parmi d’autres, c'est-à-dire fait sauter toute
norme du corps humain. Ayant eu l’information par le magazine L’Evénement du Jeudi, je me refuse à
l’aller voir, même pour des raisons d’enquête sociologique.
A la Télévision le soir un reportage sur le film Kissed dont le thème est la nécrophilie, n’est pas seulement une
bande annonce, mais un film sur le film dont on est obligé de se détourner pour
ne pas être empoisonnée.
A France Culture quelques Intellectuels en vue débattent de la
libération sexuelle et de la permissivité. Je suis estomaquée de n’entendre
durant une heure de débat évoquer la sexualité qu’en terme de pédophilie et considérer
les condamnations pénales que comme une insupportable répression, assimilant
les réactions de la population à des actes pro nazis. Où en est-on ?
J’apprends d’ailleurs incidemment que l’avocat d’un pédophile dans une bourgade
a été déshabillé par les Villageois.
Exposition du Saint Suaire de Turin alors que le Carbone Quatorze a
établi qu’il datait effectivement du Moyen Age. Les Médias nous présentant la
Science comme une opinion parmi d’autres sur le même plan que la foi des
Pèlerins. La Télévision va jusqu’à nous annoncer sur le ton de la confidence
que certains savants contestent l’authenticité de l’objet…
Les conflits en cours avec certains et certaines ne sont pas sans
rapport avec la perte de la souveraineté consécutive à l’Ultralibéralisme. Il
s’agit dans ces cas là du mépris de la mère, du sacré, de la tradition, au
profit de l’instauration d’un ordre alimentaire et technique strictement
matériel uniquement organisé pour la satisfaction des besoins.
Dans un des restaurants où j’allais naguère près du Luxembourg, non
seulement la nourriture autrefois suave est désormais devenue infecte mais de
surcroît j’ai passé le déjeuner en face d’un écran géant qui projetait des
Femmes en tenue légère avec d’énormes seins nus, puis d’autres vues où la dite
poitrine était fragmentée. Je ne sais pas exactement en quoi consistait le jeu,
mais je l’imagine…
L’Anglais continue à gagner du terrain. L’église de la Trinité arbore
une grande banderole sur laquelle est marqué ESPERANCE et HOPE, et des boutiques
affichent des annonces uniquement en anglais.
En perspective sept heures de cours avec au moins trois conflits
prévisibles. Une situation intenable.
J’ai partout des contractures qui me causent une sorte de paralysie et
ne vois aucune amélioration en perspective, ni secours possible.
J’ai de moins en moins de force et suis obligée de restreindre mes
activités y compris littéraires. Notamment je n’ai pas eu le courage de prendre
le train pour aller à Meulan pour un entretien sur une radio libre. Et d’autant
moins que j’avais déjà eu l’occasion d’expérimenter l’insécurité de la ligne.
J’ai dû décommander et la partenaire n’était pas très contente…
C’est un peu la perte de ce que MB appelait à mon sujet Ce don tremblant au monde.
Un Intellectuel s’interroge sur - gorgés d’images – ces enfants qui
sont devenus des meurtriers. Il dit - et l’idée me parait intéressante - que
tous les enfants ainsi envahis ne deviennent pas délinquants mais qu’il faut
pour qu’ils le deviennent que les Parents aient menti sur le monde réel d’une
façon si pesante que l’enfant ait préféré s’enfermer dans le monde des images
qui sont - si on peut dire - un mensonge franc.
Je fais le lien avec mon choix littéraire que j’ai toujours résumé comme
la logique de l’albatros de
Baudelaire qui décide de ne plus atterrir
du tout et de régler ainsi le problème des rapports de l’imaginaire et de la réalité.
Il resterait alors à comprendre pourquoi cela donne d’un côté la délinquance
et de l’autre la création artistique. Mais
il est vrai que si dans mon enfance je me suis enfermée dans la lecture c’était
bien pour fuir des parents oppressant par leur déni.
Vu Samedi vers midi, devant chez moi, trois personnes emmener une jeune
femme menottée derrière le dos. J’ai pensé à la traite des femmes, à ma
progéniture à ce titre concernée et en dépit de la peur des représailles qui
pourraient malencontreusement pour moi survenir, j’ai prévenu la Police qui m’a
dit qu’il s’agissait peut être d’une arrestation normale, chose à laquelle je
n’avais pas pensé parce que ceux qui l’avaient arrêtée avaient surgi d’une
voiture banalisée. Mais du coup j’ai été traumatisée à l’idée d’un enlèvement
policier comme on en voit dans certains pays.
En 1TSC2 je m’interroge sur le résultat pratique de mon opération IL
FAUT QUE FORCE RESTE A LA LOI ! La classe est complètement déglinguée,
l’Elève qui a dénoncé et qui était mon meilleur ne vient plus, le dénoncé
s’aplatit si lamentablement que je me demande s’il n’est pas drogué, il est en
train de devenir un bon étudiant et il va sans doute être renvoyé. On peut se
demander si tout cela valait vraiment le coup.
Pourtant ne pas le faire aurait été pire, mais il est bien coûteux de
maintenir à ce prix là une Institution qui a d’ores et déjà disparu. Dans
l’ordre du pouvoir maternel de sevration dont je me
réclame pour me substituer à l’ordre et à l’autorité défaillante des Pères dont
je vois partout les effets, l’idée qui me vient ce serait de mettre en échec
cette formule qu’on sent sous jacente Dieu
est mort, tout est permis. Naturellement dans cette perspective, Dieu serait
considéré comme la projection de la mémoire de la mère.
Eclate désormais au grand jour l’avidité des Eurocrates qui dès qu’ils
ont obtenu quelque chose dans l’ordre de notre dépossession, n’ont de cesse
d’obtenir le stade suivant, un peu comme on presse des enfants d’aller au lit
en faisant semblant de respecter les rites du coucher et de leur raconter des
histoires alors qu’on est déjà tout à la joie de la fiesta qu’on fera sans eux
dès qu’on en sera débarrassé. Les émeutes ne sont pas encore devenues
permanentes mais suffisamment fréquentes pour que la Télévision signale - eu
égard aux éventuelles difficultés de circulation - les jours où il n’y en a
pas. Tout cela n’empêche pas nos dirigeants de collaborer avec zèle à
l’européanisation.
Dans vingt six départements dénommés sensibles – c'est-à-dire
comportant ce que le langage codé dénomme cités - on a remplacé les commissariats par des gendarmeries. Cela concerne un million
six cents mille personnes d’après la Presse. Personne n’a fait de commentaire,
bien qu’il s’agisse d’une nouvelle grave car la Police
dépend du Ministère de l’Intérieur et la Gendarmerie de la Défense. Cela sent
les Evénements d’Algérie, avec l’envoi de la troupe pour maintenir l’ordre…
Engagement d’une guerre jamais reconnue…
Roland Dumas, Président du Conseil Constitutionnel a été mis en examen
pour détournement de fonds de la firme Elf. Lorsqu’on met tout cela bout à
bout, on croit rêver !...
Les tags s’étendent sur toute la ville de Paris de plus en plus
souillée. Ce n’est plus seulement dans les quartiers défavorisés en voie
d’abandon, mais dans le XVIIe lui-même. Dans certains immeubles de mon
quartier, on semble avoir même renoncé à lutter contre. C’est encore un élément
supplémentaire qui va dans le sens de la mort.
Divers coups tordus dans l’installation de la Banque Centrale
Européenne. Je ne croyais pas éprouver dans toute cette affaire, un pareil choc
affectif avec dans la bouche un goût de cendres ainsi qu’une certaine aboulie…
A Evry, les Jeunes ont incendié le Salle du Conseil Municipal. On est
tout de même étonné que des nouvelles pareilles passent pratiquement inaperçues
et ne déclenchent aucun commentaire.
Alors que partout le temps de travail diminue, le rapport Mérieu
préconise l’allongement de celui des Enseignants, d’une heure pour les
Certifiés et de deux pour les Agrégés !... Déjà l’absence de toute
réduction lors de l’arrivée de Mitterrand au pouvoir m’avait inquiétée, avec
raison lorsqu’on a vu la suite. En fait nous, nous tombons en esclavage, tandis
que d’autres – considérés comme inutiles - semblent voués à un sort encore plus
défavorable ! En ce qui me concerne, moi-même et mes proches ce week-end,
l’expression qui s’est imposée pour nous, c’est le travail forcé !
A force d’homogénéisation, tout stimulant disparaît et je meurs
d’ennui. Est-ce la maladie de langueur dont nous parlent les œuvres littéraires
de nos prédécesseurs ? Si la matière vivante est comme me l’a dit un
médecin celle dans laquelle l’information circule, je peux dire qu’il ne
circule rien pour moi qui me soit utilisable de façon positive et que je dois
néanmoins en permanence me structurer pour parvenir à m’en défendre.
Entendant à la Radio Bérénice de Racine, j’ai été sidérée de
trouver cela bien théorique dans le contexte social et l’ai mise dans la
catégorie des récits des griots. C’est que je me trouve désormais dans la
situation des Africains en voie d’acculturation, lorsqu’ils sont obligés de se
détacher de leur patrimoine, non pas parce qu’ils le méprisent
- ce n’est pas du tout le cas tout au contraire - mais parce que la
relativité leur en est brutalement révélée.
Le Conseil d’Enseignement qui devait se tenir a été le symbole de sa
destitution. Non seulement le Proviseur et le Censeur ont renoncé à présider en
haut de la table mais on est resté deux heures à ne pratiquement rien faire. Du
coup les sentiments très affectivement positifs que j’éprouve pour le Proviseur
Alexiu m’ont submergée, d’autant plus tragiques qu’il prend sa retraite à la
fin de l’année. Sa voix, sa beauté, sa tenue, sa dignité, sa froideur distante
et à mon égard respectueuse n’a cessé de forcer mon admiration. J’ai été
pendant des saisons l’une des rares à qui il serrait la main.
Quant à moi, je lui ai toujours donné du Monsieur tout court, comme on
le doit au supérieur hiérarchique, alors même que les Elèves eux mêmes
l’appelaient par son nom. Il ne m’a jamais fait aucune remarque ni pendant mes dix
sept jours de grève de 1995, ni lors de la sanction de l’Inspectrice lorsque ma
note pédagogique a été ramenée de quarante cinq à quarante !
Sans doute la perspective de son départ rejoint elle cette angoisse et
ce désespoir de la disparition de la génération
des Pères, celle de tous ces types qui certes nous contraignaient et -
d’un point de vue féministes - nous écrasaient mais au moins maintenaient la
société en nous y consentant une place garantie pour prix de notre adhésion.
Tous les Collègues craignent l’arrivée de son successeur qui peut tout
faire écrouler. Noël résume le passage au Lycée Siegfried du Proviseur Alexiu
de cette phrase Il est arrivé comme
l’aurige de Delphes, et il repart comme le postillon de Longjumeau. Ce qui
d’une certaine façon n’est pas faux…
Dans l’après-midi je suis allée me renseigner pour passer
éventuellement le Concours de recrutement exceptionnel de Magistrats auquel je
pense depuis un moment. Mais il me semble réclamer beaucoup d’énergie et de
travail d’ici le mois de Septembre, pour être ensuite - en cas de succès -
expédiée six mois en stage à Bordeaux puis après ailleurs en province encore et
pour finir enfin n’importe où…. A Limoges comme je le dis en rigolant à
l’employée qui distribue les dossiers à remplir et rectifie… A Cayenne !
Je mesure du coup les différences d’imaginaires culturels d’un
Ministère à l’autre. Si pour une personnalité publique, la relégation c’est
Limoges - d’où le verbe Limoger
utilisé par le vulgum pecus - à la Justice cela se dit Cayenne du nom du bagne, même s’il est aujourd’hui fermé.
Il faut de surcroît y ajouter le parcours du combattant que représente
la constitution du dossier d’inscription qui doit comporter des photocopies
certifiées conformes, les états de service à l’Education Nationale, l’enquête
de moralité etc… Bref en me représentant simplement les deux années à venir,
cela me parait si accablant de difficultés qu’il s’agirait de fait d’une
aggravation de mes conditions de vie par rapport à celles pénibles
d’aujourd’hui où je n’ai déjà pas assez de temps ni de tranquillité pour
écrire. Ce qui me donne à penser que dans cet autre cas de figure je n’aurais
plus du tout de possibilité de m’adonner à mon art.
J’en arrive à la conclusion que le meilleur choix est encore de passer
les cinq ans qui me restent au Lycée Siegfried le plus tranquillement possible
car avec les lois en vigueur, je peux prendre ma retraite à cinquante huit ans.
Dans les toilettes de l’Espace Seize où à côté de chez moi, je fais de
la Gymnastique, une femme d’un certain âge - impeccable - m’entreprend pour
m’expliquer qu’avec l’âge il faut être très soignée, sinon cela fait négligé…
discours destiné en fait à contrer ma pratique des exercices nus pieds et de
mes cheveux non teints libres, blancs et épars.
Elle me demande alors Devinez
quel âge j’ai et je m’entends lui répondre Je m’en moque ! Mais comme elle continuait sa mission
civilisatrice, j’ai été obligée de contre attaquer d’un Vous avez de beaux yeux mais votre rouge à lèvres ne vous va pas du
tout ! Elle demande Il n’est pas
assez foncé ? Moi : Il vous
donne un air sanguinaire ! Elle : Il est gras. Moi : On
voit que vous avez faim ! La dessus je détale heureuse de constater
que mon agressivité m’a permis d’empêcher d’être maltraitée et de trouver une sorte
d’estime de moi inédite remplaçant la culpabilité que ma famille m’avait
inculquée chaque fois que je me défendais efficacement et finalement à peu de
frais !…
L’idée qu’en sifflant les femmes sur le mode sexuel les hommes font
remonter à la surface, les amours des oiseaux.
Je suis hantée par la déportation et pense que la prophétie finale de Ton
Nom de végétal Babylone, Babylone, de
toi je me souviens est effectivement tout de même mauvais signe. C’est une
conséquence de la brutale mutation européenne.
Voyage en taxi très pénible avec un chauffeur mauricien qui me fait
l’apologie de l’Euro au nom d’un Nous
Les Européens, règle ses affaires à l’aide de son téléphone portable,
met la Radio en me demandant quel poste je souhaite, me demande des conseils
pour ses investissements et a sur sa banquette une petite matraque en bois. Le
moment de paix espéré se transforme en cauchemar…
Je me désocialise et ai de plus en plus de mal à sortir de la maison.
Prendre l’autobus pour aller au Lycée est devenu un exploit. On a l’impression
que l’Etat s’évapore et que la population s’effondre. Je suis persuadée que les
Pays de l’Est vont entrer dans l’Union Européenne en 2002 et que l’Euro va
s’appliquer immédiatement à eux. Je pense aussi qu’il y aura la guerre comme
dans l’ancienne Yougoslavie, car ce grand ensemble invertébré ne pourra pas
vivre à vingt ou vingt cinq…
Au Lycée, l’épouvante d’entendre la Surveillante Générale réclamer un Coup d’Etat.
Je contre-attaque en en appelant plutôt à la Révolution, mais cela tombe
complètement à plat dans un silence glacé et je découvre que je suis environnée
de fascistes même si deux d’entre eux sont peut être communistes ou anarchistes
et deux autres presque des amis. A l’heure qui suit dans la classe d’à côté
j’en entends l’un se battre avec les Elèves comme déjà plusieurs fois dans
l’hiver. Quant à l’autre je l’ai déjà deux fois tiré hors des coups des Elèves…
Je suis aspirée dans le trou de la violence brute comme dans le métro
une jeune noire style black de banlieue, étend ses jambes sur ma place et que
j’ai envie de la cogner. Je n’en suis pas revenue et me suis maîtrisée.
J’ai vu hier La leçon de tango, un
très mauvais film narcissique sur le tango qui est la métaphore centrale du Paradis-Fiction, partie centrale de mon retable littéraire Ton nom de
végétal. En faire la métaphore de la
lutte contre l’Ange - elle-même
symbole de la judéité - sans qu’il y soit question ni de spiritualité ni de
sensualité ni même d’amour et presque sans aucune signification
cinématographique ni même de la simple image, il faut le faire ! On se dit
qu’il s’agit donc dans les critiques favorables qu’on a lues d’un spécial copinage et on se jure que plus jamais on ira voir un film
conseillé, comme c’est déjà le cas pour les livres…
Près des Grands Magasins de Saint Lazare, un jeune d’environ vingt cinq
ans est - avec son pitbull - assis par terre derrière un petit panneau J’ai faim. Il est apparemment en pleine forme
et en bonne santé. A la terrasse du café, j’éprouve comme les autres
consommateurs un certain malaise. Le jeune se lève, détache sa chienne qui se
promène au milieu des passants. Il se rassoie et recommence à mendier…
A l’Eglise de la Madeleine, je vais à un concert offert par le
Ministère des Anciens Combattants pour célébrer l’Armistice. J’y ai été invitée
par une Collègue dont le mari compositeur de musique va y être joué. La séance
débute par une Marseillaise
orchestrée à coups de timbales et de roulements de tambour absolument
effrayants. Une musique d’hommes préhistoriques déferlant sur l’ennemi, des
sons qui auraient été en harmonie avec le poème de Victor Hugo : L’Expiation.
Cette musique à elle seule faisait peur, c’était le but et cela a continué
ainsi pendant tout le concert extrêmement offensif. Cela m’a traumatisée et
désemparée car c’était la musique impériale d’un pays s’apprêtant à envahir ses
voisins et cela ne donnait nullement l’impression d’une nation décomposée mais
au contraire terriblement pugnace. La partie artiste en moi n’a pu s’empêcher
de voir là la prophétie d’un futur militaire annoncé là aussi dans Ton Nom
de végétal et corroboré par certaines informations déjà recueillies dans
cette chronique. Cette impression a aussi été celle d’une autre Collègue MFS
qui nous accompagnait et également du lecteur anglais Christopher Davis.
On croise dans la rue de tels corps étrangers en détresse qu’on se
demande si ce ne sont pas des esclaves qui viennent de s’échapper de chez leurs
maîtres. Hallucinant !
Mme Kristeva a organisé au Louvre une exposition officielle sur la
mort, prétendument pour la dédramatiser. En fait les corps mutilés présentés en
rajoutaient encore sur la panique ambiante…
Vendredi je rencontre la Concierge Mme P en sortant à Onze heures
trente et de nouveau en rentrant à dix huit heures trente. Elle me fait une
réflexion sur la longueur de ma promenade. Ce n’est pas la première fois
qu’elle me fait des remarques sur mes sorties, les jours où je ne vais pas au
Lycée…
Au Conseil d’Enseignement deux ou trois Professeurs très critiques et
agressifs font remarquer au Proviseur que dans d’autres lycées, non seulement
on leur sert le café mais que certains Directeurs les invitent même à déjeuner.
Ils lui parlent comme à un inférieur ou au choix comme à un enfant. Voilà
l’ambition des Collègues.
Hier ma mère me donne sa recette pour rester en forme jusqu’à quatre
vingt sept ans (ce qu’elle a) : Bien s’habiller, se pomponner, lire les
journaux pour se tenir au courant et ne pas se laisser cerner par les
souvenirs !
Dans la rubrique des panneaux lus en ville et qui pourrait
éventuellement servir de titre pour un recueil de nouvelles, j’ai lu celui-ci Cinquante pour cent sur les miroirs
biseautés.
En Salle des Professeurs pour la décoration, on nous récemment installé
sur la cheminée, le buste en plâtre d’une Vénus quelconque. Hier matin en
arrivant, je l’ai découverte enroulée dans un châle noir version tchador, que
j’ai aussitôt retiré.
Scène de genre qui illustre la confusion ambiante : D.L qui mange
dans la Salle des Professeurs comme un porc et apporte son repas dans une série
de sacs m’a dit - d’un air engageant - sans me demander mon avis On va manger des fraises… J’adore les
fraises mais j’ai quand même refusé.
Un car de Police s’est arrêté devant le Lycée et les Fonctionnaires
sont entrés. Mme JG a dit Ils viennent
chercher l’un de nous mais qui ? Mon sang s’est glacé ! En fait
ils donnaient suite à des plaintes pour vol des Commerçants du Quartier et parce
qu’une de nos Elèves leur avait tiré la langue. Mais le pitoyable et l’odieux
était le contentement des Collègues qui attendaient avec impatience
l’embarquement de la jeune fille alors qu’ils n’avaient même pas pris soin de
l’éduquer et qu’ils se font eux, chahuter à mort.
Parfait bonheur ce dimanche comme j’ai des nouvelles de Richard Meier
qui me dit que la réduction du montage de la malle africaine et littéraire que
j’ai fait pour Cellla lui plait bien et qu’il s’y met tout de suite. De mon
côté j’ai mis plusieurs jours avant d’aboutir tout à fait. Je ne suis donc pas
seule à travailler le dimanche.
La femme du Maire de Paris Mme Tiberi a été mise en garde à vue et on
ne peut pas se réjouir d’un pareil événement qui à lui seul signe l’air du
temps. Partout les affaires sortent… On craint et on désire une vérité qu’on
connaît déjà.
Hier les Forains ont barré le Boulevard Périphérique et les Policiers
les ont fait dégager à coups de révolver.
Aujourd’hui, c’est la bataille rangée et le pillage à la Foire du
Trône. Les Ouvriers de l’Arsenal de Toulon ont dressé des barricades. Partout
des transports en grève, des émeutes dans les Cités, des tueries. Comme c’est
partout en même temps, on n’arrive même plus à se tenir au courant…
Hier au Conseil de Classe on a exclu du Lycée le responsable de l’affaire du laser. J’ai tout de
même un peu peur qu’il revienne avec un révolver mais il faut ce qu’il faut.
C’est l’application pratique de l’adage IL FAUT QUE FORCE RESTE A LA LOI !
Samedi sordide à la Cité Universitaire à l’Assemblée Générale d’un
journal lors de laquelle il est apparu clairement que l’objet de l’Association des Amis n’est pas comme
je le croyais la reconstruction de la
citoyenneté autour d’activités
publiques, mais plutôt un moyen de financement en provenance de lecteurs
passifs. Le droit d’entrée était déjà de six cents francs et les cotisations
annuelles depuis le lancement n’ont fait qu’augmenter… La salle était
d’ailleurs assez remontée et agressive sans pour autant trouver vraiment les
moyens de se défendre efficacement. Le repas lui-même du niveau du Restaurant
Universitaire était néanmoins facturé cent trente francs.
Cette semaine au Lycée, dangereuse apparition du thème de la mauvaise
odeur de certains Elèves notamment de celui qui a dénoncé le responsable du
laser et se trouve être noir. Il se trouve que c’est actuellement mon meilleur
Elève et que je n’ai rien remarqué de tel.
Une éditrice à qui j’ai envoyé il y a plusieurs saisons un manuscrit
qui l’avait intéressée m’annonce au téléphone qu’elle ne le prend pas et se
répand dans un discours hallucinant sur sa vie personnelle et ses soucis de
famille. Dans ce cas, la destitution de l’auteur se traduit par sa transformation
en oreille captive et complaisante car comment garder une parole libre dans ce
cas de figure ?
Cinquante neuvième carnet : Mai 1998
Un incident symptomatique : Comme je m’apprête à mettre mes
lettres dans la boîte, un homme s’avance habillé d’un bleu jean civil en haut
et en bas et me tend la main en me disant Donnez
les moi, je suis de la Poste. Complètement désarçonnée par l’absence
d’uniforme, j’hésite. Il m’envoie sur les roses en remontant dans sa voiture
qui elle a bien le look du service en question.
Voilà donc le résultat pratique de l’absence d’uniforme : stress
et conflit, certes pas trop grave mais montrant bien que le vêtement sert
effectivement dans ce cas à assurer le fonctionnement social. Ma méfiance était
d’ailleurs justifiée car on entend partout des histoires de timbres décollés et
de courrier jeté…
C’est en préparant pour les libraires à la demande de l’Editrice de
Trois au Canada, une notice de présentation de Ton nom de végétal que
j’en ai enfin compris la signification sept ans après l’avoir terminé. Le sens
en est la nécessité de replacer au centre la globalité/totalité
refoulée dans la logique binaire des Temps Modernes. Finalement tout cela est assez
logique. C’est le stade d’après la conception de la logarchie analysée dans La Pensée Corps. Je suis très émue
de cette découverte. Le stade d’après aurait été Le Livre des Pertes -
la mise en ordre académique de tout cela - si j’avais été en situation de
parvenir à l’écrire. Mais la masse des difficultés tous azimuts a fini par m’en
empêcher.
De nouveau des bouchons de protestation des Routiers, alliés cette fois
aux Forains. Le cocasse est l’adaptation de la cartographie qui signale la
position des barrages en question avec une signalétique précise : Trois
couleurs rouge, orange ou jaune pour les barrages bloquants, filtrants ou escargots. Emouvant !
A la Télévision apparition dans la bouche du journaliste Guillaume
Durand de l’expression Les Garçons,
lorsqu’il s’adresse à des hommes. Comment le comprendre ?
A signaler qu’on a doré le haut de l’Obélisque de la Place de la
Concorde. L’incarnation même du Veau d’Or. Voilà où nous en sommes pendant que
les gens crèvent…
Aussi désagréable que soit Philippe Sollers, il a quand même une vertu,
celle d’incarner la transgression revendiquée comme telle à une époque où tout
l’effort de la Classe Gouvernante consiste à nous faire prendre la
transgression pour une norme respectable, c'est-à-dire pour nous faire perdre
l’idée même de la loi. Ce qui est abominable en ce moment ce n’est pas
seulement l’abolition des lois, c’est qu’on veut nous en faire perdre jusqu’au
souvenir !
Dans le même temps, le Droit est de plus en plus présent comme des règles administratives et techniques sans référence ni à une
société ni à un Etat. S’invente ainsi un juridisme
sans légalité ni légitimité. Le Droit qui naît est conçu
comme du même ordre que la loi, or je suis convaincue que cela n’a rien à
voir !... Il faudrait tout repenser à partir de la Théorie du Contrat et des Traités signés. Rude épreuve !
A France Culture, une femme parlait du rapport qu’elle avait fait
autour du projet d’Union Civile qui consacrerait - selon ses propres mots -
exclusivement la communauté de lit
qui irradie la communauté de toit et qui ne
pourrait s’appliquer à aucune autre forme de liens comme tentait de l’enrober
le journaliste qui la recevait… Ce qui est terrible avec ces gens là c’est leur
volonté de démolir tout ce qu’il avait avant eux ! Cette brave dame
expliquait ensuite en ce qui concerne le droit des homosexuels à adopter des
enfants que, pour l’abolition de la
différence des sexes, il faut y aller par étapes !
Il faut bien admettre que les romans Le meilleur des mondes
d’Huxley ou Un bonheur insoutenable de Levine étaient - question anticipation
- très en dessous de tout ce qu’on vit actuellement. La revendication est donc
non seulement le totalitarisme mais me semble t-il de surcroît, quelque chose
de plus comme le révisionnisme qui abolit la mémoire et le négationnisme de l’il n’y
a pas, généralisés. En un sens, mes
œuvres La Jeune morte en robe de dentelle et Cellla sont
prémonitoires dans la mesure où c’est bien cela qu’elles essaient de cerner
pour pouvoir ensuite sans doute le penser….
Je suis allée Place du Colonel Fabien, au siège du Parti Communiste,
pour voir une Exposition de Peintres d’une part, mais surtout pour avoir
l’occasion d’entrer dans ce lieu mythique, cette possibilité à elle seule étant
le symbole de la Perestroïka et du deuil de l’Union Soviétique. Je n’ai pas été
déçue. De l’extérieur, on peut encore croire à des artifices d’architecture
mais de l’intérieur c’est un véritable blockhaus sans fenêtre avec pour la
Grande Salle, des portes étanches hermétiques dignes des navettes spatiales,
sans compter les caméras de surveillance.
A voir cela on comprend mieux la posture du Parti Communiste dans le
passé. Le qualificatif de stalinien
est très en dessous de la réalité car il s’agit plutôt là d’un lieu qui relève
d’une logique de Guerre Civile. On s’étonne même de sa prétendue stratégie
démocratique qui n’est pas crédible au vu du Siège Social…
Comme on a par ailleurs fini par apprendre que le Parti en question
avait été financé par la RDA, on est bien obligé d’en conclure qu’il s’agissait
alors d’une sorte de base avancée. Par ailleurs, l’Exposition de Peinture était
en matière d’Art Moderne, remarquable et très au-dessus de ce qu’on voit
habituellement dans ce genre d’exposition….
Après les trains de déchets nucléaires dégageant en France et en
Allemagne une radioactivité mille fois supérieure à celle autorisée, le
scandale est celui de la dioxine trouvée dans la viande et le lait maternel.
Elle s’accumule dans les graisses y compris humaines…
A L’Espace Seize, l’intégrisme
physiologique gagne encore du
terrain. Après la gymnastique en chaussures, on voit apparaître le port de
gants. Il est vrai que certains mouvements requièrent qu’on pose les mains par
terre…
Après avoir lu le Journal de Tchoukovsky, je me demande quand
même - par comparaison avec celui de Madame Mandelstam - ce qui fait le destin
des uns et des autres. Pourquoi les uns sont ils du côté du refus radical et
les autres des compromis, comme celui-ci ? Il faut dire qu’Ossip
Mandelstam étant juif il y a déjà pour lui, la nécessité de faire face à l’antisémitisme.
Je suis frappée de ne trouver dans le Journal de Tchoukovsky aucune
notation personnelle ni politique mais d’après la Préface, on apprend que les
personnelles ont été coupées, les politiques n’existant pas, probablement pour
des raisons de sécurité qu’on peut facilement comprendre.
On peut penser que l’acceptation de la Censure pour parvenir à
fonctionner tout de même à l’intérieur de ce cadre est à mettre en relation
avec le besoin d’affiliation, parce que l’auteur est né de père inconnu. Par
ailleurs étant le fils d’une paysanne, il a eu assurément l’occasion de trouver
dans le régime communiste une promotion sociale effective qui explique sa
fidélité au régime, en dépit de ses turpitudes.
Daniel Cohn-Bendit a été à Nanterre entarté par la CNT. Il est exact
que sa starisation a eu lieu au détriment des millions d’anonymes qui ont fait
le mouvement de Mai 68 qui n’aurait été rien sans eux.
Dans la banlieue de Dieppe où j’étais en excursion individuelle, j’ai
été contrôlée par la Police qui a noté mon nom. Comme j’ai demandé pourquoi on
m’a répondu VIGIPIRATE ! J’ai trouvé cela glacial ! Si on ajoute les
six soldats en tenue et en armes devant la Gare du Nord, et ceux qu’on croise
brutalement au détour du métro, cela signe une ambiance !
On a l’impression que les dominants s’abandonnent complètement à leurs
fantasmes sans ne plus jamais prendre en compte ni les autruis que nous
sommes, ni la réalité. Partout j’entends dire à la base que la classe
dirigeante actuelle est nazie. Et chaque fois que j’en ai entendu un ou une le
dire, je n’ai jamais entendu personne, protester.
J’ai voulu prendre un autobus dont la ligne avait été supprimée parce
que le conducteur avait été agressé par un pitbull. Cela ne donne même plus
lieu à un article dans les médias, c’est la nouvelle norme admise! Je me
suis rabattue dans le métro et là j’ai eu l’impression que les gens étaient en
train de devenir fous de terreur, d’angoisse et d’abandon. Au Lycée, ils le
sont déjà !
Au matin, Rue de Châteaudun, une boutique d’emploi d’intérim Manpower
qui n’est pas encore ouverte a - dans un recoin de son seuil - sur le
paillasson deux hommes qui dorment avec de pauvres blousons. J’ai été
absolument traumatisée.
La veille il y avait six manifestations en ville. Trompée par la RATP
qui avait annoncé que la grève n’aurait pas d’effet, je suis partie en autobus
une heure et demie avant pour aller au Lycée. Mais les autobus avaient tout de
même été détournés sans que cela soit annoncé, interdisant tout le Centre Ville
depuis Friedland Haussmann. Je n’ai jamais vu une opération pareille comme un
fait accompli sans aucun préavis. On pense au bouclage des Territoires Palestiniens.
J’ai fini par trouver un taxi dont le téléphone portable m’a permis de
prévenir mon Etablissement que je serai en retard d’une demi heure. Le
chauffeur m’a fait l’apologie des Fascistes. Je lui ai fait remarquer qu’en
tant qu’étranger, ce n’était pas nécessairement son intérêt. Il m’a répondu
qu’il n’avait rien à craindre car il était chrétien libanais et qu’ils avaient
une fois manifesté avec eux. Il m’a précisé que ceux qui étaient menacés,
c’étaient les Juifs et les Arabes. Bref ces temps derniers, les taxis
deviennent encore plus pénibles que les transports en commun et ce n’est pas peu
dire ! Ils me transportent désormais comme une proie tombée dans leur
repaire.
Sur l’ambiance, à noter l’anecdote lors de laquelle une fasciste est
venue au secours de sa copine que je venais - après qu’elle m’ait attaquée en
piqué - de traiter de Connasse. Comme
je lui disais que c’était une affaire entre elle et moi, elle a repris Il n’y a pas de relation privilégiée !
Comment mieux dire le totalitarisme et l’indifférence qui en résulte ?...
Suppression croissante – si on peut admettre l’expression - des
Transports Publics. La Guerre Urbaine est désormais rebaptisée Mouvement social !
Dernière trouvaille de la Télévision : On se proposait de faire
courir des femmes à qui on avait fait enfiler des slips de sports masculins
leur découvrant les fesses entre lesquelles on avait glissé quelques billets de
banque. J’ai bien sûr été me coucher illico pour marquer ma
désapprobation !
Grève d’Air France pendant le Mondial de Football. Aux dires de deux
Américaines de ma connaissance cela montre la véritable image de la France qui
de toute façon n’est plus cotée
à l’argus. Cette mauvaise image étant
l’une des raisons pour lesquelles les Etudiants ne choisissent plus d’étudier
le Français. La tournure de la conversation était si terrible que j’ai fini par
devoir la suspendre.
Par ailleurs remettant sur le tapis l’un de mes chevaux de bataille - à
savoir la composante française dans la fondation de l’Amérique, composante
toujours à l’œuvre - l’une a fini par admettre qu’elle avait bien en effet été
occultée et que le mouvement hippy lui-même a pris naissance au Québec. C’est
peut être aussi ce qui explique la dimension maternelle du mouvement qui
jusqu’ici m’avait échappé, y compris le thème des children flowers, le
terme de baba-cool et peut être même aussi l’aspect communautaire et fusionnaire.
L’une de ces Américaines m’a demandé si je me rendais bien compte de
mon impact Outre Atlantique. N’hésitons pas à dire que non. Je le sais
rationnellement parce que tous ces gens me le disent, mais cela n’a d’existence
que lorsque je suis avec eux et que je vois alors la ferveur et la vénération
dont ils font preuve… Le reste du temps je ne peux pas me le représenter.
Inversement je leur offre la possibilité de projeter sur moi la figure
de la mère, ce qui leur permet du coup de dégager un espace pour œuvrer.
Problème que de mon côté je n’ai pas pu résoudre, qui m’a amenée à terminer la
psychothérapie et à rédiger Défense et illustration de l’Amourante.
D’ailleurs cette affaire de projection de la mère pour pouvoir convenablement s’individuer dans le système de la représentation est le nœud de ma
théorie.
Mercredi soir, début de la Coupe du Monde de Football. Paris est bouclé
pour permettre la tenue d’un gigantesque spectacle de clichés ethniques pour ne
pas dire raciaux. La Télévision qui encensait cette piètre mise en scène n’a
pas hésité à nommer les géants Les dieux
du stade…et quand on pense à ce que le film dont c’est le nom recouvre, on
est un peu surpris ! De toute façon j’ai justement trouvé cette esthétique
néonazie dans la mesure où ces quatre géants symbolisant les races étaient de
grands types entourés d’une foultitude d’animalcules végétaux, purs produits
des greffes et des clones. Un peuple de minuscules chimères avec des yeux et
des pattes n’importe où rampant aux pieds des géants. Les costumes étaient
moches, lourds et chauds, inconfortables à porter. On n’avait eu aucun égard
pour les figurants qui d’ailleurs travaillaient gratuitement.
Depuis le début du Mondial, les bagarres de rues n’ont pas cessé dans
une ville ou dans une autre à Lyon ou à Marseille où aux dires des témoins,
cela a carrément pris une allure de Guerre des Anglais contre les Arabes.
Des Tsiganes de toute beauté lavent les pare-brises des voitures arrêtées
aux feux rouges, Porte Clichy.
Des gens apparemment normaux, âgés de trente, trente cinq ans qui
fouillent dans les poubelles pour y récupérer les médicaments tout en lisant
les notices, sans doute pour faire un tri.
Avec le vieillissement de la population, dans les autobus, en admettant
même que les gens soient polis et de bonne volonté, il n’y a plus du tout de
place à céder. Cela fait un effet glacial.
Rare soulagement après l’achat de deux très beaux costumes chez Britania Rue Saint André des Arts. C’est
là que j’avais acheté en 1982, le fameux costume vert qui avait déclenché
l’explosion d’art vestimentaire avant de s’enliser dans les suites du cancer.
Hier soir à la Librairie du Québec présentation vente de mon livre Grand
Choix de couteaux à l’intérieur publié chez Vents d’Ouest au Canada. Je
fais comme d’habitude un tabac. Vaste et profond bonheur. Beaucoup de mes amis
littéraires sont là dont deux de mes anciens Elèves. Les causes du succès de ce
genre d’activités sont toujours les mêmes, dont ce que le libraire résume à mon
sujet d’un chaleureuse et enjouée et
que je sais moi être un don total à la rencontre de l’autre, sans filet.
Ce flot de vénération me bouleverse absolument, me sauve la vie, me
donne la force de continuer mais en même temps me fait mesurer – incrédule - ma
condition quotidienne, m’obligeant à admettre que je fonctionne dans une sorte
de dédoublement qu’on voit dans le film ukrainien Un ami du défunt lorsqu’il est nécessaire de s’adapter à une situation
cataclysmique.
Par ailleurs sur le fond, le libraire a tranquillement expliqué que les
nouvelles sont plus dures à écrire que les romans, parce que si dans les romans
on peut mettre trente pages vaseuses et mal faites, c’est impossible dans les nouvelles
qui doivent être impeccablement construites. Je trouve l’idée intéressante et
peut être vraie. Un roman moyen est encore lisible, ce qui n’est pas le cas
d’une nouvelle ratée.
Enfin il a dû d’autorité clore la réunion comme une prise de bec s’envenimait
dangereusement entre les Européens et les Américains au sujet de
l’hétérosexualité.
Vendredi matin, surveillance du Baccalauréat. Chaos complet. Les Elèves
ne parvenant même pas à numéroter correctement les pages de leurs copies. Je
vais ensuite à Arcueil rendre les copies du BTS dont la correction est truquée.
La compositeure de l’opéra dont j’ai fait le livret, me fait part de
son projet d’en autoéditer la partition, sans penser apparemment qu’en tant
qu’auteure du texte j’en étais l’une des propriétaire et que j’avais en tant
que telle, mon mot à dire… L’atmosphère s’est même carrément refroidit lorsque
j’ai expliqué qu’elle ne pouvait pas le faire sans mon autorisation et que j’ai
justifié mes réticences par ses comportements éditoriaux antérieurs concernant
nos activités communes autour de mes poèmes…
Elle ne prit pas en compte mes critiques et mes doutes développant un
discours assez inquiétant d’où il ressortait qu’elle voulait pour elle seule la
propriété du texte, moi-même en étant exclue ce qui était, on ne peut plus
clair. Au long de la journée la conversation continua à empirer et elle a
opposé un refus absolu à l’idée de signer un contrat qui ne soit pas léonin, même si elle était d’accord pour
me soumettre à la correction, deux jeux successifs d’épreuves du texte.
J’eus alors la désagréable impression qu’une spoliation était d’ores et
déjà en cours. Je lui dis en partant en matière de blague Je vais en parler à mon soviet suprême et je
te préviens, cela va chier !... ce qui déclencha entre nous, une
ultime rigolade complice. Puis plus sérieusement j’ai ajouté : Tout cela c’est l’hubris, quand dans la
tragédie, le héros antique a la tête enflée et se met à défier les dieux !
C’est ce qui le perd !
Un ami à qui j’ai raconté cela en est tombé raide, quant à moi je me
suis dit que je venais de subir un accident industriel ! C’est ce terme là
qui m’est venu…
Dimanche au Marché de la Poésie elle avait changé d’attitude, sans
doute avait elle pris conseil et l’aspect juridique de
l’affaire ne lui était plus incompréhensible. Mais de mon côté, passablement
échaudée, je préférai m’en tenir là…
Par ailleurs la vitalité du stand des Editions Voix où je signais Cellla
en compagnie de mes amis, m’a réchauffé le cœur. Richard Meier m’a dit que
ce qui l’intéressait, c’était l’Histoire du Livre !... Du coup j’ai
compris pourquoi celui là avait mis si longtemps à sortir !...
Lundi soir la Concierge était en larmes parce qu’un des habitants de
l’immeuble lui a dit de retourner dans son pays. Le nouveau voisin - ancien
déporté de Ravensbrück – remplaçant l’ancien auprès de la voisine - elle-même
ancienne déportée à Bergen Belsen - lui a fait une lettre de protestation
auprès du gérant.
J’ai vu un documentaire à la Télévision sur les nomades mongols qui reprenaient
la route après avoir été fixés par les Communistes désormais effondrés. Ils
retournaient à leur territoire traditionnel vers l’Ouest et accrochaient en
signe d’harmonie avec les esprits, des rubans dans les arbres. J’y ai reconnu
une pratique mienne dans mon jardin. Pratique combattu par l’environnement qui
trouve cela bas de gamme et me conseille
avec insistance d’utiliser du raphia
plutôt que des morceaux de mes vieux vêtements ou du linge de maison !
Soirée de la mise à la retraite du Proviseur Alexiu qui quitte le
Lycée. Craignant le pire, je suis partie. J’ai bien fait. Une Collègue en
soutien gorge et jupe en paille a - aux dires d’Adélaïde - exécuté une danse du
ventre devant notre supérieur hiérarchique … Pétrifié, parait-il car je
n’y étais pas. Personne n’a rien dit ! En y réfléchissant j’ai dû être
avertie qu’il allait se passer quelque chose d’anormal lorsque j’ai entendu la
future danseuse dire à Mme Souhaut Vous
me prêterez votre collier tout à l’heure non comme une demande, mais comme
une décision. Il était d’ailleurs plus raisonnable que je m’en aille car
j’aurais certainement fait en scandale en voyant dans cette affaire la
métaphore de l’état de l’Institution.
Renseignements pris la danseuse aurait l’habitude de ce genre
d’exhibition lors des voyages avec les Elèves où les prétendus Séminaires Pédagogiques, voire les relations avec l’IUFM que la rumeur
publique qualifie au choix de stages de pâte
à crêpes ou danses bulgares afin
d’attirer l’attention sur l’abandon complet de la dimension de transmission des
savoirs…
Je suis passée ensuite à une prétendue réunion constitutive d’un groupe de quartier d’Initiative Républicaine, émanant du Parti Socialiste. Je suis tombée sur un
apparatchik qui écoutait d’un air poli, protecteur et un peu ennuyé ce que lui
racontaient les trois travailleurs que nous étions et dont il n’était pas
évident que j’ai été la plus radicale. La coupure entre une base
révolutionnaire désormais - faute d’autre possibilité - et une nomenclature
préoccupée uniquement de conserver ses postes en agrandissant ses privilèges
est hallucinante voire d’une certaine façon, fait peur. On se dit qu’on ne rêve
pas et que l’abandon est bien réel.
Se caler alors sur cette phrase entendue il y a quelques mois dans la bouche
d’une résistante : En 1940, les
horaires des cars pour Londres n’étaient pas affichés.
La façade de l’Hôtel Lutétia recouverte de banderoles publicitaires
pour la firme Danone.
Déception que La Quinzaine Littéraire n’ait pas annoncé la soirée à la librairie du Québec,
alors que j’avais quand même fait l’effort inouï de les prévenir, ce qui
représentait un pas de plus dans le sens de la normalisation mes comportements.
Ce qui fait le plus peur dans la rue et ailleurs, c’est cet air
d’avidité allumée qu’on les gens. Peut-être sont-ils ivres ou drogués, mais je
crois surtout que c’est l’excitation psychique du on peut tout faire, il n’y a plus de flics et la perspective de
pouvoir laisser librement s’exprimer les pires pulsions. Ils ont des airs de
marins en bordée à la recherche de la bonne affaire ou de la bonne fortune, de
ce dont on va pouvoir s’emparer pour se servir ou au moins s’amuser voire peut
être même se défouler.
Un hooliganisme latent général dont celui de la Coupe du Monde de
Football n’était qu’un fleuron. L’idée qu’on peut désormais tuer les policiers,
mettre à sac les villes, molester les passants, maltraiter les femmes et les
enfants et que tout cela est maintenant toléré. Et quand Anne Barth dit que La France, c’est la tolérance à
l’intolérable, cela me parait assez bien vu !
On apprend également que les hooligans sont classés par catégories, les
C étant les plus dangereux, ceux qui frappent sans prévenir et sans faire de
quartier. Il me semble que dans mon entourage, j’en connais et cela donne à
réfléchir.
Cette atmosphère folle du Mundial est en plus grand et plus monstrueux
encore l’ambiance du Lycée. Chaque classe tentant de se tenir serait en effet
l’équivalent d’un match qui se joue pendant que dans les couloirs, les
hooligans se battent. Tuer un Professeur ou un Policier, cela parait normal
simplement parce que c’est un Professeur ou un Policier. Et cette mort
elle-même n’interrompt rien. Elle est comme déqualifiée. Quand on voit ce que
la société tolère ces temps ci comme un quasi état de guerre interne, on est scandalisé.
Néanmoins cet air d’avidité allumé n’est pas général. Pour d’autres,
c’est l’accablement ! Est-ce déjà le clivage entre les proies et les
prédateurs, clivage que je ressens partout !
Dans le petit couloir minable qui sert de salle d’attente à
l’acupuncture que je fréquente, sur quatre ou cinq mètres carrés s’entassent -
assises ou débout - un grand nombre de patientes. L’inconfort y est patent et
c’est là que jeudi dernier une jeunette au bon milieu de tout cela expliquait
dans son téléphone portable à son père qu’il faudrait qu’il n’oublie pas de
prendre des valises vides à cause du déménagement. Comme on s’éternisait dans
cette conversation, je lui ai fait remarquer au bout d’un certain temps qu’on
n’était pas forcément obligé les unes et les autres de participer à tout cela.
Elle s’est excusé gentiment et repliée un petit peu plus loin en parlant un peu
plus bas, ce qui prouve qu’elle n’avait pas vraiment conscience de ce qu’elle
faisait. A noter que toutes ses conversations tournent la plupart du temps sur
des questions d’intendance, problèmes concrets et souvent digestifs.
La pression est forte autour de moi, pour que je me connecte tous
azimuts à mon tour afin qu’on puisse me joindre à tous
moments, me dit-on. Mais je
résiste.
Notre espace se restreint inexorablement comme un boa qui nous
digère !
Cette semaine, c’est l’introduction d’autobus entièrement couverts de
publicités et non plus seulement comme autrefois porteurs de panonceaux sur
leurs flancs. Lorsqu’on est à l’intérieur du véhicule on ne voit plus
l’extérieur qu’à travers un tamis ou une moustiquaire, ce qui est assez
angoissant. J’ai protesté auprès du chauffeur qui ne m’a pas soutenu. Si on pense
que le stress génère des toxines qui m’empoisonnent petit à petit, on comprend
par quel processus je suis physiquement en train de mourir de la situation
sociale. J’ai fait de la propagande sur ce thème auprès des autres voyageurs.
L’autobus roulant je me suis aperçue qu’on ne pouvait pas durablement regarder
dehors parce que le maillage faisait mal aux yeux et que ce constat était
tellement intolérable qu’on préférait le fuir.
De toute façon, il y a de moins en moins de transports publics qui sont
quasiment supprimés chaque fois qu’il y a des festivités. Ce qui aboutit de
fait à la consignation de la population à domicile. Nos maîtres sont ainsi
devenus ceux du Temps et de l’Espace et c’est une des raisons de cette ambiance
carcérale…
Hier, remarquable concert de Pavarotti au Champ de Mars causant
naturellement les suppressions et bouclages habituel. Retransmis seulement sur
la chaîne cryptée, on ne bénéficiait même pas du spectacle. La ville était de
fait perdue en échange de rien.
Déferlement de carnaval comme nous sommes qualifiés pour la finale du
Mundial. C’est le retour du corps commun refoulé. Le gardien de but s’est
permis de dire qu’il ne voulait plus voir dans les tribunes officielles de
costume cravates et que tous ces gens devaient mettre des jeans et des baskets
pour manifester debout leur ferveur !...
Les enfants de Saint Denis où est pourtant situé le stade où il se
tient n’ont même pas eu droit à quelques billets gratuits, comme c’était
autrefois la coutume. On sent bien la montée d’une pression qui n’est plus
structurée par rien ni eros ni thanatos, quelque chose d’encore plus
primal, ce qui au fond de moi m’a toujours empêchée de mourir, le souffle. La
pulsion de vie à l’état brut. Une déferlante d’une puissance inouïe.
Du coup la cote de popularité de nos dirigeants a brutalement augmenté,
de dix points pour Jospin Premier Ministre et de quinze pour le Président
Chirac, simple traduction de l’euphorie ambiante, comme quelqu’un qui a bu
trouve qu’il fait beau. Du coup l’inanité de ces cotes de popularité est
visible de tous, alors qu’on avait de mal à théoriquement le démontrer.
Au marché de la rue Poncelet, les vendeurs de légumes eux-mêmes étaient
habillés en bleu/blanc/rouge et la rue toute entière parlait tout haut du football.
Passage poétique : le bus soixante trois enfile d’un seul coup
tout le Boulevard Saint Germain sans aucun arrêt parce que c’est Dimanche matin
de bonne heure et que personne n’en demande l’arrêt, ni du trottoir ne fait
signe.
Et une autre bâche est étendue sur le Musée Beaubourg, tenture
représentant l’immense photographie de Max Ernst et de sa femme, installés dans
la fameuse statue du peintre Le
Capricorne. Le vent s’engouffrant dans la banderole, cela donnait
l’impression qu’assise sur le trône, sa femme respirait…
Dans le Marais, Haut Lieu de loisirs homosexuels, un bar avec un
panonceau annonçant Bar hétérosexuel.
Voilà où on en est.
En tant que femme de cinquante
trois ans, je n’ai plus droit à la société. En tant que femme, je n’ai pas droit à la vie
intellectuelle. En tant que professeur,
je suis rayée de la carte. En tant que française,
on est désigné à la vindicte par l’idéologie dominante anglo-saxonne. En tant
que bien en chair, j’apparais
comme délinquante, en tant qu’affectueuse
comme dangereuse, en tant que morale,
comme arriérée, en tant que fantaisiste
comme une malade qu’il faut soigner voire pire. Tout cela ne me laisse pas
beaucoup de place pour exister.
Preuve de la profonde empathie qui me lie aux autres, comme je suis
bouleversée de leurs souffrances, je suis pareillement envahie par leur joie,
leur liesse, leur allégresse, alors que je me moque complètement du football.
Le marché noir des places pour la Finale de la Coupe du Monde a lieu ouvertement
aux Champs-Élysées où les places se négocient entre quinze mille et vingt mille
francs. De ci de là les fenêtres sont pavoisées. Je n’ai jamais vu cela, même
pour le quatorze Juillet. Sauf à la villégiature.
Folie de la liesse de la Victoire de la France à la Coupe du monde. Un
déferlement digne des phénomènes qu’on peut voir dans les pays sous développés
et qui s’explique de la même façon. Ecrasé tout le temps - un moment retrouvée
– la fierté se manifeste violemment. C’est là aussi dire où nous en sommes. Le
phénomène a au moins le mérite de montrer que les Nations n’ont pas autant
disparues qu’on essaie de nous le faire croire. La métaphore centrale des
commentateurs c’est Une liesse comparable
à celle de la Libération. Qu’est ce à dire ?
Au défilé des Champs Elysées, je jubile de constater que les
Inspecteurs des Renseignements Généraux sont cette fois exactement endimanchés
comme les autres spectateurs français moyens, alors que les jours précédents
ils étaient déguisés en amateurs de football… Et dire que dans ma jeunesse je
croyais que leur costume de velours côtelé était leur uniforme normal et
permanent, alors qu’ils étaient simplement grimés en Etudiants…
Expliquant que j’aime bien photographier mes compositions domestiques,
on me dit que c’est le principe des natures mortes. Je suis frappée d’une telle
acuité artistique, synthétique.
J’ai envoyé mercredi dernier une lettre recommandée à la Compositeure
avec Accusé de Réception sur le conseil de Mr Montico de la SACD et j’apprends
qu’elle allait publier dans une revue non seulement la partition de mes poèmes
ce que je lui avais interdit, mais de surcroît un article sur notre excursion à
Vézelay, avec même ma photographie ce dont je croyais l’avoir dissuadée. Je
l’ai informée qu’il s’agissait là d’une atteinte à la vie privée…
Il faut admettre que mon erreur avec elle a été de fonctionner comme si
on était dans le monde littéraire, alors qu’elle est de l’univers du spectacle.
Les oiseaux urbains fréquentent de plus en plus les balcons, il faut
désormais les en chasser et on a l’impression qu’ils voudraient entrer dans les
maisons. Comme j’ai également l’impression que les gens physiquement se collent
de plus en plus contre moi et je me demande si cela n’a pas un lien avec la
radioactivité. Un journaliste de RFI a dit que la pollution nucléaire dépassait
largement les normes autorisées et pires encore pour la pollution chimique. Le
fait est que j’éprouve à nouveau certains troubles déjà rencontrés lors du
traitement anti-cancer. On me dit que je parle de plus en plus de pollution.
La guerre fait rage au Kosovo, pratiquement l’Albanie contre la Serbie,
depuis quatre ou cinq jours et néanmoins pas un mot ni à la Télévision ni dans
le journal Le Monde, pourtant le plus sérieux qui soit. Pourquoi ce
silence ? Pour laisser tranquillement les Serbes bouter hors, voire tuer
les Musulmans sans que l’opinion publique s’émeuve, comme ce fut le cas pour la
Bosnie ?
On a la désagréable impression que la mise en garde à vue est en train de
devenir une habitude, une nouvelle norme d’exception douteuse dénoncée
d’ailleurs par Amnistie Internationale. On est en train de passer au rétablissement de la question ordinaire. Encore un nouvel élément de stress.
A Saint Germain des Prés, un zonard était assis nu sur le seuil du
dispensaire Mabillon. Il a été emmené par la Police.
Pas une affiche qui ne présente une femme autrement qu’en position
ridicule ou humiliante. Si on remplaçait femme par juif, on serait terrorisée
de l’antisémitisme ambiant et on se dirait que la Shoah est proche.
Passablement scandalisée de l’affaire de Bill Clinton où le FBI examine
l’ADN de l’éjaculat présidentiel sur la robe de la donzelle
avec qui il est suspecté d’avoir eu une relation de ce type. On atteint là le
comble de l’obscénité pornographique et du scandale totalitaire.
Bien que je n’apprécie pas l’écrivain Junger en dehors de son Journal
je suis bouleversée par la lecture d’Orages d’acier qui traite de la
Guerre de Quatorze. Avec Le feu d’Henri Barbusse, je finis par me
représenter la chose. J’y parviens d’ailleurs d’autant plus que dans les Illustrations de l’époque, je trouve des
cartes, des articles et des photographies qui complètent la compréhension.
On est médusé de l’effort humain que tout cela représente, de
l’obéissance, du patriotisme, de l’attachement au sol et de l’énergie humaine. On se dit que la Révolution
Cybernétique en cours rend tout cela désuet alors qu’en fait c’est faux,
puisque la Guerre des Balkans est du même ordre. C’est un paradoxe auquel il
faudrait réfléchir.
Quant aux illustrations elles mêmes, elles sont dans le plus pur style
du réalisme socialiste soviétique et
me convainquent de ce dont j’avais depuis longtemps l’intuition : à savoir
que cet art là n’a rien à voir avec la propagande bolchévique mais correspond à
autre chose. Quoi ? L’homo sapiens en Prométhée du vingtième
siècle ? Plus grand que
lui-même. Ce qu’Aragon exprime par son : nos yeux furent les premiers à voir les nuages plus bas que nous !
J’ai lu ce printemps beaucoup de revues littéraires et j’ai compris que
ce n’était pas ma personne individuelle qui était combattue comme je
l’imaginais en tant que dissidente mais le courant littéraire que je représentais.
Ainsi les Minimalistes règnent ils en
maître et veulent ils éliminer tout ce qui n’est pas conforme à leurs vues. Ce minimalisme a à voir avec la dématérialisation généralisée et son remplacement par la virtualisation. Ces réflexions me sont inspirées par la lecture de C’est
moi qui souligne de Berberova dans laquelle elle explique que la NEP se
traduisit en littérature comme la fin
du symbolisme et le début
du futurisme, celui-ci à son tour inaugurant l’emprise du politique sur l’art. Par ailleurs
ce livre m’est apparu toxique à cause de son apologie de l’égoïsme et de
l’opportunité.
C’est en l’expliquant à d’autres que je comprends mieux que le Quartier
de la Gare du Nord voit l’apparition d’une nouvelle ville, en réalité un comptoir colonial tête de pont
d’un nouveau monde.
A l’émission de France Culture Panorama,
un chef cuisinier est interrogé pendant un quart d’heure sur le fait qu’il
vient d’obtenir sa troisième étoile dans un guide gastronomique. On comprend que l’ancien responsable de l’émission
se soit suicidé en voyant ce qu’elle devait devenir. Néanmoins la connexion
avec d’autres aurait peut-être pu retourner son désespoir en lutte politique
La Globalisation va son train d’enfer et il est pratiquement impossible
d’y montrer ne serait ce que de la réticence car elle est donnée comme une
nouvelle référence absolue qui disqualifie tout ce qui l’a précédée. C’est sans
doute la définition de la modernité
qui fait apparaître le passé comme dépassé ! Mais cette globalisation
américaine n’est pas rassurante.
C’est la conquête d’un nouvel espace sur lequel les habitants
précédemment établis ne comptent plus pour rien. Il n’y a pas seulement entre
les nouveaux maîtres et les nouveaux esclaves une complicité objective
d’intérêts comme je le croyais jusqu’ici mais une complicité subjective !
C’est ce qui m’est apparue à cette rentrée.
Une espèce d’arrogance, un refus de se percevoir et de se montrer comme
étranger qu’on désormais les nouveaux émigrants et que n’avaient pas du tout
leurs prédécesseurs. C’est l’arrogance des gagnants en collusion avec les
nouveaux patrons. Non seulement ils ne contestent pas l’ordre ultra capitaliste qui s’instaure partout mais ils le propagent puisqu’ils
y ont comme nos maîtres, intérêt. Ma formule En démocratie la proie sera toujours minoritaire me semble bien
s’appliquer là aussi.
Au Marché du Livre, j’en ai acheté onze pour deux cents trente cinq francs.
Comme d’habitude profond soulagement de ce chaos dans lequel chaque ouvrage
tente sa chance pour son compte et où les Marchands éprouvent globalement un
respect visible et sensible pour l’ensemble des clients qui en savent plus
qu’eux sur la valeur et le prix des marchandises dont ils font commerce.
Je suis à la recherche de nouveaux auteurs ou du développement de ceux
que j’ai récemment découverts. Parce que pour ceux que je connais déjà, je les ai
tellement assimilés qu’ils sont devenus ma propre substance. Je suis étonnée
quand même de ceux dont j’ai tout oublié et qui pourtant ont été si importants
pour moi, décisifs même : Simone Weill, William Faulkner, Charles Morgan,
Somerset Maugham. Pour ces trois derniers, je ne saurais même pas évoquer un
seul de leurs romans alors que j’en ai lu plusieurs de chacun lorsque j’étais
adolescente au Lycée Hélène Boucher.
Arrivée à la maison d’un nouvel ordinateur monstrueux incorporant
directement Internet, et remplaçant le précédent. Plus besoin de Modem. Mais
l’écran est trop lumineux et je ne sais pas si on pourra le régler. Il émet des
radiations que j’éprouve dans le corps comme celle de la Télévision, mais en
beaucoup plus fort. Il faut s’en tenir à soixante centimètres, mais à cette
distance je ne peux pas lire même avec mes lunettes, donc cela ne va pas non
plus.
On va me faire un site Internet, car cette modernisation est
irrésistible au sens où la refuser relèvera là de la négation du principe de réalité. Ce n’était
pas le cas du Minitel et des fax dont j’ai fait l’essai avant de les abandonner
- comme d’ailleurs le magnétoscope imposé contre mon avis en 1990 - Là
c’est bien moi qui suis demandeuse.
Au fur et à mesure que le reste dépérit sans qu’on ne puisse rien
empêcher, ce nouvel agencement s’impose et connecte de mille façons malgré soi
et contre soi. On en perçoit le caractère brutal, totalitaire et néanmoins
vital. Paradoxe de me retrouver de cette façon, davantage intégrée au monde
américain alors que depuis vingt sept que je suis dans cet appartement, ma
situation n’a pas changé ! L’urgence est maintenant d’en apprendre
correctement les fonctionnements techniques.
Ecroulement du système financier global à la suite de la suspension des
paiements de la Russie et de la non cotation du rouble
qui en fait ne vaut plus rien du tout. Ce n’était pas difficile à prévoir. Un
ami à moi de retour d’une mission en 1992 était rentré avec la conviction que
la privatisation était impossible et m’avait ainsi permis de former le concept
que ce pays était en fait en indivision. Mais ce qui est obscène dans
cette affaire, c’est la volte face des médias qui après l’avoir encensée pour
son adhésion au capitalisme libéral, la vouent désormais aux gémonies.
Contradiction également en ce qui concerne l’Etat : D’un côté
l’ultralibéralisme ordonne de le supprimer et dans le même temps la critique se
plaint que les impôts ne rentrent pas…
Je suis déjà très fatiguée par à peine deux semaines de vie parisienne.
La pollution me rend absolument malade jusqu’à la quasi paralysie des jambes…
Sans compter les fils électriques qui pour tenter de se connecter à Internet se
répandent dans presque toutes les pièces, au point qu’il n’y a même plus d’endroit
à l’intérieur de l’appartement dans lequel il me serait possible de me
préserver des radiations. Quant à la lumière de l’écran, même avec des lunettes
de soleil, c’est difficilement supportable. Cerise sur le gâteau, la Télévision
omniprésente… Le point positif de tout cela est néanmoins qu’Internet établit
des relations qui court-circuitent certains barrages germanopratins. A la
limite, on voit émerger une sorte de TECHNIZDAT au sein duquel, chacun(e) peut
tenter se chance. Peut-être la fonction d’éditeur
est elle en train de disparaître depuis dix ans, comme on l’a déjà constaté
pour celle du secrétariat. Il faut
alors se réorganiser.
Vu au Théâtre de l’Atelier, la pièce de Thomas Bernhard Avant la retraite qui m’a tout de même
déçue. Pas de ressort dramatique, pas d’évolution entre le début et la fin, un
décor peu convaincant, une mise en scène faible, un jeu médiocre… Tout cela
pour dire que l’effort d’aller au Théâtre même entre deux taxis, n’est pas
vraiment rentable dans ce cas de figure. Indépendamment de mon propre volume
excessif, même pour les autres spectateurs le standard des places ne convient
plus avec l’augmentation générale des tailles. Sans même parler de moi, les
autres occupants du même rang souffraient visiblement…
Si on s’interroge sur la vogue de cet auteur, il faut admettre qu’il
est sans doute un peu surfait, comme Junger et sans doute pour la même raison.
Mes compatriotes ne les lisent pas, mais projettent leurs fantasmes sur ces
auteurs là. Sur Junger celui du Grand Ecrivain loyal, patriote anti-nazi tout
en restant officier et pour Thomas Bernhard celui du grand écrivain qui dénonce
le nazisme ambiant de la société autrichienne contemporaine. Là, dans cette
pièce, le succès consistait à oser faire porter un uniforme nazi sur la scène
du Théâtre de l’Atelier… Les spectateurs étaient aux anges, mais pas forcément
pour les raisons respectables qu’on croit…
Western Air Lines, compagnie américaine licencie d’un seul coup vingt
sept mille cinq cents employés, soit la moitié de ses effectifs. Cette
information a elle seule, résume l’air du temps… mais se relative lorsqu’on a
compris qu’il ne s’agissait en fait que d’un simple lock-out technique.
Dans la rubrique des images de femme sur papier glacé, outre le fait
qu’elles sont de plus en plus minces et en position d’esclaves soumises, cette
fois l’une porte une sorte de collier/ceinture élastique qu’on peut plus ou
moins rétrécir pour étouffer…
Sur le seuil du cinéma Mac Mahon où on projetait Ben Hur, vers huit
heures du matin un homme dormait pieds nus, la tête dans son sac.
Au réveil, il m’apparaît clairement qu’en ce moment, ce qui m’empêche
de vivre ce n’est pas seulement la déstructuration/dislocation tous les jours
plus ample, mais plus gravement encore, la perte de l’idée même de la nécessité
d’une structure sociale.
En 1968, l’extrême contestation avait pour but un changement radical et
profond des dites structures, mais en aucun cas leur abolition. La preuve en
est l’affiche réalisée par l’Ecole des Beaux Arts sur le thème Structure en réfection présentée comme
un panneau, Attention Chantier ! Voilà encore un exemple
comme quoi, il ne faut pas confondre le
contraire et la négation.
Mais comme l’homme est une espèce grégaire comme pour les abeilles ou
les fourmis, l’absence de cette structure sociale aboutit non seulement à une deshominisation, mais au-delà à un désanimalisation. En fin de compte nous
ne sommes mêmes pas seulement des sous humains mais des sous animaux.
On a enfin réussi à me brancher sur Internet. Mais je ne veux pas de la
messagerie électronique car je trouve qu’elle accroît la décorporalisation à l’œuvre.
On se sert de la femme comme d’une servante. Dans les milieux
intellectuels, elle peut en plus lire et écrire.
On finit par tomber du côté où on penche. Ainsi Le Nouvel Observateur a-t-il fini par publier une
publicité représentant un mort. Un mannequin jouant le rôle de… Du moins je
l’espère…
Je suis submergée par la pollution et la destruction sociale. Il
faudrait comme dans Le Cœur conscient de Bettelheim observer au ras du
terrain ce qui se passe.
Je pars pour le Séminaire d’Accueil de nos Techniciens Supérieurs
Comptables pour une longue et dure journée. Je m’aperçois que j’ai oublié les
médicaments que je dois prendre et les rachète dans une pharmacie. J’ai
également oublié mes stylos billes que je rachète de même dans un bureau de
tabac dans lequel je les oublie sur la caisse sans que le buraliste me
rappelle… Tout cela relève semble t-il d’actes résolument manqués !...
Dans le métro des routards et routardes blanches et hippies qui font la
manche sont arraisonnés par des CRS en posture martiale…
Du côté du Boulevard Magenta où a lieu le Séminaire, je découvre
Constantinople ce qui tout de même me fait un choc car c’est complètement le
Tiers Monde. Je me demande un moment ci je ne vais pas acheter un caméscope
pour filmer tout cela.
Le déjeuner avec les Elèves est difficile. Coca, jus d’orange, chips,
pizzas, poulet et tartes aux pommes avaient été commandés par les Collègues
organisateurs. Un record de diététique ! La crudité des couleurs m’a
donnée envie un moment d’en faire une peinture !... A elle seule elle
témoignait de l’américanisation.
Malheureusement sous la rubrique poulet, une fois les cartons ouverts, c’était
effrayant ! Ce n’était que des bouts constitués d’ailerons, c'est-à-dire
ni le blanc ni la cuisse, mais des petits restes faits d’os et de plumes avec
de la peau dans lesquels en fait il n’y avait pas de chair, rogatons que les
ménagères avisées utilisent généralement pour faire de la soupe et que moi je
jette pour aller plus vite dans les travaux ménagers. Mais là j’ai vu mes
Collègues servir les Elèves en leur demandant Pizza ou poulet ? Servir cela sans en être émus et les Elèves
non plus prouvent que pour eux, c’était normal !!!
Je rappelle qu’au Lycée la Cantine est vide puisque les Elèves ne
peuvent pas la payer. Là les repas sont payés par l’Association des Elèves,
Association financée par eux-mêmes à hauteur de Trois cents francs par an la
première année et de Deux cents pour la seconde.
L’après-midi était consacré à la visite en car d’une Usine Pernod en
grande banlieue, organisée par un Collègue. Manque de chance, les Ouvriers
terminant le travail le vendredi midi, l’Etablissement était vide et on a vu le
matériel (les chaînes de montage) à l’arrêt complet ce qui n’était tout de même
pas l’idéal du point de vue pédagogique… puisque de toutes façons, ils n’ont
jamais vu d’Usine. On y apprit que les Ouvriers touchaient sept mille deux
cents francs bruts pour trente cinq heures de travail et que cette réduction de
la charge de travail s’était là aussi accompagnée d’une baisse de salaires….
Face à certaines pensées très négatives on craint parfois d’être en
train de devenir raciste. Mais il suffit d’entrer dans un magasin avec un
vigile noir en costume cravate pour s’apercevoir qu’il n’en est rien et être
soulagée…
La justice américaine a expédié sur Internet le rapport du Procureur
concernant l’Affaire du Président Clinton et de sa stagiaire. Les gens se sont
rués dessus et les Médias ont répercuté, cette globalisation pornographique
allant avec le reste. On essaie de rester en dehors mais il n’y a pas moyen.
Dans l’autobus on ouvre le Journal Le
Monde et un cahier spécial sur lequel
le rapport est imprimé tombe sur les genoux… Je me dis qu’il faudrait le mettre
illico à la poubelle mais on est dans le bus où il n’y a pas d’ustensile de ce
genre…
Comme sur la quatrième couverture visible - même sans ouvrir - sont
publiés les arguments juridiques des avocats du Président, je me dis qu’il faut
peut être lire cela car j’ai une claire conscience que si les Français traitent
l’affaire comme une gauloiserie, pour les Etatsuniens c’est un crime au sens
pénal, ce qu’on n’a aucune chance de faire comprendre ici à nos concitoyens…
Je remets la décision à plus tard et lundi soir j’oublie le journal au
Lycée, avec la Quinzaine Littéraire et mes chaussures de rechange
car cette rentrée ci je me suis remise à porter des talons hauts que je ne
portais plus depuis au moins quatre ans, si ce n’est plus…
Mercredi il est question de diffuser la cassette de l’interrogatoire…
On est entraîné de force dans une sorte de partouze globale qui me révulse et
qui confirme bien la dérive post soixante huitarde contre laquelle je n’ai pas
cessé de lutter. Partouze par ailleurs à connotations digestive…
Une jeune femme m’a raconté que dans son entreprise située dans un
secteur de pointe, ses Collègues de bureau ne parlaient que de cela depuis
plusieurs jours et que les messages électroniques étaient saturés de blagues
salaces que les gens inventaient sur ce sujet et faisaient circuler.…
Hier au Lycée, j’ai donc retrouvé le rapport en question - que j’ai
sous la pression ambiante entrouvert - lisant un titre ou deux de la rédaction
avant de trouver le courage et la force de le jeté refermé dans la poubelle de
la Salle des Professeurs. J’ai eu chaud, ils ont bien failli m’entraîner…
Les êtres humains sont désormais représentés sur les affiches et les
images avec de grosses têtes et de tout petits corps, de plus en plus petits
vers les pieds, comme s’ils étaient vus de haut. Cette nouvelle figuration
s’impose partout. Ainsi l’être humain ne peut plus être en tant que tel ni dans
la société disparue, ni dans l’imaginaire modifié. Il y a donc une sorte de
destruction ontologique qui s’ajoute à la destruction corporelle due aux
empoisonnements de la nourriture, de l’air et de l’eau.
Rentrée terrifiante. Les Elèves me parlent comme si on était dans la
même bande et que ce soit eux, les chefs !...
Les gens en ce moment posent sans arrêt leurs affaires sur les vôtres,
ce n’est ni un hasard, ni du mépris ou de la désinvolture comme je le croyais
jusqu’ici mais plutôt la première manœuvre de couverture en vue d’un vol
éventuel, cela étant devenu comme naturel.
Soulageante conversation à la Cantine lors de laquelle avec quelques
Collègues, il nous apparaît que les Elèves nous prennent pour des caves. On sent bien d’ailleurs
lorsqu’ils sont massés sur le petit pallier de l’entresol, comme ils convoitent
en fait de s’approprier le bâtiment dans la logique des actions de l’Association Droit au Logement qui organisent des squattage en
ce moment, et combien cet immeuble serait pour eux un hangar à palabres confortable. La Salle des
Professeurs leur apparaît comme le donjon du château dont il faudrait
absolument s’emparer, d’abord parce que cela est la pièce la plus agréable à
habiter en termes d’appartement - hormis le logement du Proviseur - et aussi
parce que c’est le cœur du réacteur de la machine qu’il faut absolument
débrancher pour avoir enfin la paix.
Ce qui frappe, c’est cette volonté invasive provenant de corps libres,
offensifs, délinquants sans autre agressivité qu’une vie qui veut vivre dans un
univers qui n’a plus aucun rapport avec le nôtre. Et comment s’en étonner comme
déjà un tiers de nos Collègues sont eux-mêmes des prolétaires déculturés montés
en graine à la faveur de la massification des Octantes ?
Si l’année dernière, j’avais pour la première fois en Première, une
Classe majoritairement noire et arabe (sans compter les Asiatiques et les
Yougoslaves), cette année c’est le cas de deux de mes Classes sur trois. En
Première, désormais ils le sont presque tous avec quelques gaulois isolés
terrorisés agressifs et probablement enfermés dans un racisme réactionnel. En
BTS comptable ils sont également devenus majoritaires alors qu’en 1994, lors de
leur exclusion massive durant un Conseil de Classe règlement de compte, ils
n’étaient qu’un quart.
L’idée que nous sommes dans une utopie réalisée et comme telle un
cauchemar peut peut-être s’appliquer à cette école dans laquelle les Elèves ne
veulent pas apprendre ni les Etudiants étudier, l’utopie étant d’avoir accompli
l’Ecole pour Tous y compris pour
ceux qui n’en relèvent pas. Si l’Utopie
est un genre littéraire patenté, reste à voir ce que cela pourrait donner
appliqué à l’Economie…
Nous sommes bien dans un système
totalitaire, un techno-publicisme dans
lequel des individus s’agrègent sur le mode de la simple juxtaposition sans
aucune articulation. Aucun lien n’y fait sens, il ne s’agit pas même d’addition
mais d’agglomération. C’est la formation de tumeurs cancéreuses appliquées au
corps social. S’installant quelque part, elles prolifèrent et créent des
chemins pour pomper la substance. Les monades sont interchangeables et ne sont
affectées à aucune fonction particulière. La sexualité devient digestive et la
filiation disparaît. L’absence de distance est élevée en principe. Les objets
sont de simples ressources auxquelles il s’agit d’avoir accès de la façon la
plus confortable possible sans qu’ils soient la propriété de quiconque. Tout
sens est proscrit car il ferait référence à ce qui a précédé.
Sous une plume communiste dans le Journal Le Monde, cela résumant
bien ce qui se passe : Comment
expliquer que ce qui était sacré il y a vingt ans soit aujourd’hui sans
importance ? C’est exactement cela ! La société française a été
détruite en vingt ans… Quand on pense que celle des Incas l’a été en deux
seulement, on peut penser que cela a encore été assez long…
Le monde urbain est devenu une telle épouvante qu’on se demande comment
cela a pu avoir un rapport quelconque avec urbanité. Et d’ailleurs est ce que
cela en a un ?
L’Inquisition continue concernant l’affaire de Bill Clinton. La
cassette enregistrée lors de son interrogatoire est projetée dans tous les
Médias américains et même à New York, dans la rue ! Elle dure quatre
heures trente. J’avais donc raison de ne pas croire un seul instant que cet
enregistrement était destiné à épargner le Président dans ses mouvements et
déclarations, tout au contraire…
J’avais déjà fait la même prévision lorsqu’on nous raconta qu’on
enregistrait désormais les témoignages des mineurs pour qu’ils n’aient pas à se
répéter. En fait il semble qu’il s’agisse plutôt d’alimenter le peep-show
mondial. C’est ainsi qu’hier au journal Télévisé, on se voit jeter à la figure
les lettres de la stagiaire Monica, l’objet du scandale. On ne peut pas
échapper à ce flot qui monte et il y a parait-il d’autres cassettes
d’interrogatoire ! Décidément oui, inquisition totalitaire cybernétique…
Sept heures quarante cinq: Je râle,
je glose et je décampe voilà des verbes pour rendre compte de ma vie
matinale !
J’ai reçu des Editions Trois, les épreuves de Ton nom de
végétal. Etonnement et ravissement de voir corrigées les fautes
d’orthographe des mots que j’ai pourtant inventés ! C’est la preuve qu’ils
ne sont pas gratuits mais correspondent bien à quelque chose…
A quatorze heures dans le haut de la rue de Maubeuge, tout contre un
bistrot et une pharmacie, un type cyanosé est étendu de tout son long en
travers du trottoir, une main enfoncée dans son pantalon et l’autre tenant une
bouteille. J’entre dans la pharmacie et je signale la situation à la
pharmacienne qui fait comme si tout était normal affirmant qu’il est très bien
avec sa bouteille.
Je la rappelle sans succès aux devoirs de sa profession mais elle
persiste dans sa volonté d’abstention. Je finis par lui dire Très bien, on en reparlera quand ce sera
votre tour et je m’en vais. J’hésite à téléphoner au SAMU étant données les
malheureuses expériences précédentes que j’ai essuyées ces derniers temps dans
ce genre de conjoncture. Du coup j’abandonne…
Dans l’autobus Cinquante Six, deux femmes voilées et deux femmes noires
qui transportent des matelas. Une impression d’accablement. Le Boulevard
Magenta devient les Champs-Elysées de la nouvelle Istanbul qui se développe
vers l’Est de Paris pendant que la ville blanche s’étend à l’Ouest au-delà de
la Grande Arche.
Je me faisais du souci pour mes cheveux blancs qui n’étaient pas politiquement correct et au sujet desquels certains faisaient déjà pression pour
que je les teigne. Mais je ne m’en fais plus. Bientôt plus personne ne se
souviendra qu’ils sont tels à cause de l’âge et comme on trouvera cela très
beau et original, on me demandera les références de la marque de cette couleur
argentée.
Un nouveau Collègue qui vient d’arriver - replié d’abord de
l’Entreprise puis de l’encadrement de la MAFPEN également supprimée -
m’explique avec une apparente gentillesse qu’il est normal qu’à mon âge on ne
cherche pas à innover et que je me réfère à l’Enseignement traditionnel… Le
même m’explique par ailleurs que bien évidemment il n’est pas question de faire
le programme mais qu’il ne faut pas le dire… Voilà. C’est bien la tendance
dominante au mensonge, à la collaboration et à toutes sortes de combinaisons.
Dans l’escalier central du Lycée, on croise le Collègue CF emmenant de
force un adulte inconnu de type d’Asie Centrale proférant une langue inconnue.
C’est l’une des caractéristiques de la situation actuelle. N’importe quoi peut
surgir à n’importe quel moment.
Au Carrefour Saint Augustin devant la Parfumerie dont le seuil est
assez large, à huit heures et quart du matin un homme est endormi dans un sac à
viande blanc. On aurait dit un linceul. Auparavant dans le bus Quatre Vingt
Quatre, une folle n’a pas cessé d’ameuter les gens pendant tout le trajet sans
que personne n’intervienne..
On a greffé un quasi bras de cadavre à un vivant ! Le Journal Le Monde
qui pourtant est un habituel propagandiste de toutes les manipulations
médicales depuis des années, fait un virage à cent quatre vingt degrés pour
dénoncer l’opération.
Deux bonnes nouvelles juridiques dans la semaine : Le Tribunal
d’Appel a donné raison aux Syndicats contre l’EDF dans l’affaire des trente deux
heures avec réduction des salaires aux trente deux trente cinquième, ce qui se
traduisait pour les Jeunes par un temps partiel. Quant au Conseil d’Etat, il a
annulé l’arrêté de Jospin autorisant la commercialisation des semences du maïs
transgénique.
Concernant de ci de là dans divers contextes, une demande de démocratisation à laquelle je crois bien
davantage en tant que valeur qu’à une prétendue démocratie, j’entrevois que ma requête de participer aux décisions
concernant le mode de vie familial
en relève. En ce sens le féminisme serait une simple demande de
démocratisation. Cette idée permet de l’intégrer à la modernisation d’ensemble
des rapports sociaux.
Scandale de détournement de fonds à la Commission de Bruxelles, Madame
Cresson est mise en cause. Un quidam cherche sans succès à déballer les
scandales immobiliers de la ville dont elle est maire.
Je ne supporte plus la viande, déchirée de chagrin à l’idée de cette
proie qui a perdu la vie. Ce n’était pas comme cela autrefois, mais cela l’est
devenu depuis que nous-mêmes sommes pourchassés. Douleur de voir à la
Télévision une femelle esturgeon enceinte qu’on va éventrer pour lui voler ses
œufs, le caviar. Ce qui peut apparaître comme un désordre mental est le résultat
de l’abolition de l’être humain et de sa permanente destitution qui nous
déniant notre humanité nous ravale au rang des animaux. Notre sort parait
scellé et on pourrait bien rester sur place dans une société dévitalisée,
désorganisée et livrée au pillage.
Etonnante scène dans l’autobus. Après des giboulées, un arc en ciel
s’étend au-dessus des Tuileries. Les gens regardent, au mieux curieux car cela
n’arrive pas si souvent. Assise en face de moi une Japonaise - pour autant que
je peux en juger ethniquement parlant - se pâme d’aise
littéralement. J’ai lu dans les romans de Kawabata ce type de sentiment
vis-à-vis d’un certain nombre de phénomènes tels que cerisiers en fleurs ou
feux d’artifice et je n’avais pas compris parce que n’en possédant pas les codes
et les grilles culturelles, tout cela me demeurant étranger. Mais là, je l’ai
vu !
Hier soir, des gaz lacrymogènes au Lycée font parvenir leurs vapeurs
jusque dans la Salle des Professeurs. Le nouveau Proviseur Théo Battistella y
entre ensuite et nous restons une demi- heure à discuter. Mais la parole
prophétique m’a saisie, parole inspirée pour lui témoigner de mon refus radical
de cette situation, des compromis, des complicités et de toute la propagande
des Autorités.
Contre toute attente et prévision mon intervention a porté ses fruits
car le Proviseur s’est décidé à porter plainte - en
liaison avec mon discours - me dit il lui-même. J’en suis stupéfaite !
Mais d’autres fronts s’ouvrent, Intendante ou Collègue me faisant la leçon
comme à une petite fille ou tentant de m’expliquer l’arriération des Musulmans
d’un C’est dans leur culture de
nature racialiste qui m’a obligée à
quitter la conversation. On ne peut même plus manger dans un climat serein, la
conversation tournant souvent mal.
Quant à certain monsieur qui attend encore qu’on l’écoute à sens unique
avec une admiration religieuse comme le demande habituellement les hommes
Français, je suis obligée de lui dire qu’étant grand-mère et exhibant mes
cheveux blancs, j’ai passé l’âge de ce genre d’exercice…
Par ailleurs la Salle des Professeurs qui nous est - comme son nom
l’indique - réservée et nécessaire pour notre fonctionnement, elle est
désormais envahie par l’Administration.
L’élément intolérable du bouleversement à l’œuvre est qu’il s’agit d’un
processus dont on comprend à chaque moment qu’il n’est qu’une étape dans une
mutation plus large, le grand démantèlement, la liquidation.
A la Superette Ed, altercation violente avec un vieux pépé très alerte
qui à la caisse me prend ma place alors que mes marchandises sont déjà sur le
tapis roulant. Cela dure un moment car je tente et espère rentrer dans mes
droits mais rien à faire, il me dit cyniquement qu’il en a vu d’autres car il a
quatre vingt sept ans ! Du coup je lui réponds Sans doute du temps des nazis, cela n’a pas dû vous gêner beaucoup avec
le comportement que vous avez. Il en est resté coi en se contentant de
ricaner…
Dans le journal Le Monde, la photographie d’un défilé de
mode chez Hussein Chalayan présentant notamment un mannequin auquel la chaise
pour s’asseoir a été incorporée, l’appui tête sur la tête, les accoudoirs sur
les bras et l’essentiel sous les fesses…
Explosion également dans les affiches d’images de femmes la bouche
grande ouverte, ce qui n’était pas le cas auparavant et est sans doute à mettre
en relation avec l’affaire Clinton…
Grève des autobus à Paris dans vingt et un dépôts sur vingt trois comme
réponse à deux agressions contre les chauffeurs, lesquelles ayant eu lieu
intra-muros. La réponse est désormais systématique ainsi qu’à la SNCF comme
d’ailleurs dans les Lycées et Collèges et pour la même raison…
Comme je disais à ma voisine qui a été déportée à Bergen-Belsen que le point
commun entre le nazisme et la situation actuelle était cette volonté des
dominants d’imposer leur fantasme contre la réalité, elle me le confirma en
ajoutant l’idée du sans limite et me dit elle Tout ce qui leur passe par la tête, ils le font. Ce que j’appelle
de mon côté, l’absence de censure ou de tabou…
J’ai oublié de dire que la semaine dernière, on m’a téléphoné des
Etats-Unis pour me mettre au Conseil d’Administration du CIEF et que j’ai
refusé ne voulant pas mettre le doigt dans l’institutionnalisation de la
littérature ni dans la quête du pouvoir et/ou des honneurs. Sans compter les
difficultés pratiques qu’aurait engendrées cette situation…
Le Faubourg Poissonnière croule sous les boutiques vides, les
graphitages et la déréliction. Néanmoins quelques immeubles grandioses déjà
restaurés donnent à penser que le quartier pourrait reprendre du poil de la
bête. Curieuse ambiance en ville. Il n’y a plus une relation normale, autrui
n’est plus apparemment qu’un gêneur incompréhensible.
L’air du temps encore : Au portail de la cathédrale Notre Dame,
une statue a eu sa tête volée et huit autres ont été endommagées.
Depuis le début de l’année, les agressions dans les transports ont
augmenté de trente pour cent. Blocage complet des trains et du RER autour de
Paris. Des gardiens de prison ont dressé des barricades à Nanterre et depuis
huit jours démarrage d’un mouvement lycéen.
Le fameux Contrat d’Union Civile pour les Homosexuels (PACS) qui devait être voté hier, ne l’a
pas été, car les Députés Socialistes ne sont pas venus mais ce n’est –
paraît-il - que partie remise… J’apprends cela d’un chauffeur de taxi très
remonté contre cette institutionnalisation et qui me dit effectuer un sondage
d’opinion sur ses clients... Dans la foulée il détracte le milieu des Radios et
des Télévisions qu’il dit tout entier dans cette mouvance… Je trouve sur le
coup le propos excessif mais j’y réfléchis le soir en pensant que la pulsion
hétérosexuelle est en elle-même une pulsion de propagation de la vie, même si
elle ne se réalise pas à tous les coups. Quant à la prétention de certains
homosexuels à être une élite autoproclamée, aurait elle à voir avec
le tropisme pour la reproduction artificielle et le clonage,
inventant ainsi une sorte de nouvelle espèce ? En province les pro et anti-pacs en sont venus aux mains…
La curieuse impression que la Télévision donne en spectacle la mort de
l’espèce humaine !...
En l’enseignant aux Elèves, j’approfondis la théorie et découvre que
les auteurs classiques de la pensée libérale ont fait abstraction du temps,
mais je me dis et le leur répercute qu’après tout c’est normal puisque leur
vision est une conception machinique (celle de la Grande Machinerie de
l’Univers). In petto je fais le lien avec le thème révisionniste de l’abolition
de la génération, emblème du temps, de la vie, de la mort et de la filiation
humaine. Finalement tout cela est cohérent et jusqu’à l’expression temps réel qui signifie en fait instantané !...
Dans la rubrique révisionniste - puisque c’est dans l’air du temps - à
signaler la béatification par le Vatican de la carmélite Stein, morte à
Auschwitz ! Ce qui est déjà passablement déplacé dans le contexte des
croix installées à cet endroit et l’affaire de l’installation d’un Carmel,
conflit à peine résolu. Mais plus grave encore, la fixation à la date de la
mort de cette prétendue sainte déportée, de la commémoration de l’ensemble de
la Shoah montre qu’il s’agit bien là d’une tentative de christianiser la Shoah.
Dans le hall de l’immeuble, dans un sac en plastique un préservatif
usagé qui a été jetée sur la terrasse du rez-de-chaussée et ce n’est pas
paraît-il, la première fois. Confirmation par la Concierge disant qu’elle en
avait déjà ramassés dans la cour.
Toute l’énergie est employée à lutter contre la pulsion de fuir
n’importe où ce qui serait la réaction normale d’un animal en proie à l’effroi
ambiant. La situation actuelle est que je peux n’importe quand être tuée par
n’importe quel voyou qui ne serait même pas nécessairement jugé.
On a au Lycée l’impression que la Jeunesse déjà en proie à la délinquance est en train de basculer
dans la criminalité. On ne compte plus
les Ecoles volontairement incendiées et les meurtres du Personnel Enseignant.
Les Employés des Transports vivent la même chose mais réagissent plus
fermement. Les Collègues ne veulent absolument pas regarder la réalité en face
- à savoir notre faillite - ce qui mettrait en cause leur idéal démocratique,
masque idéologique de la chasse en meute et de la dévoration de la proie.
En ville, immonde campagne de publicité pour la firme Yves Saint
Laurent programmée pour sortir au moment de la légalisation du PACS. On y voit
des tableaux célèbres modifiés comme l’Olympia de Manet et quelques autres
ejusdem farinae dont les femmes nues ont été remplacées par des jeunes et beaux
types…
15 Octobre
Nouveau mouvement des Elèves. Le Lycée a été attaqué Mardi mais je ne
l’ai appris qu’hier. Des Jeunes qui n’étaient pas les nôtres - ou qui peut être
l’étaient - sont entrés en force dans l’Etablissement en dépit de l’effort du
Proviseur Battistella pour s’y opposer. Ils ont semé la panique dans les
étages. Une chaise et les poubelles ont été jetées dans l’escalier central, un
rétroprojecteur et les extincteurs cassés, les meubles renversés. Après l’avoir
fait d’un carton, ils s’apprêtaient à jeter le mobilier dans la rue lorsqu’ils
se sont aperçus que cela risquait de blesser les leurs et qu’ils y ont renoncé.
Madame le Censeur a fermé à clé le local de la photocopieuse et passant dans
les classes où étaient les ordinateurs, a demandé aux Collègues de s’y enfermer
avec leurs ouailles. Ce qu’ils ont fait. J’ai reconstitué les évènements en
recoupant les différents récits des Elèves et des Collègues.
Hier Mercredi, le mouvement a démarré à dix heures par une Assemblée
Générale dans la cour, ce qui a fait que je n’avais plus d’Elèves du tout. Par
contre les meilleurs de ceux que j’avais eu l’année précédente sont venus me
trouver pour en discuter - ce que j’ai fait par devoir
- bien que cela me cassasse le pieds car je souhaitais pour des raisons
d’économie d’énergie rester en dehors de tout cela.
A la séquence suivante, je me suis retrouvée avec deux Elèves en 1TSC2
qui ne voulaient absolument pas être absentes et comme je ne voulais pas non
plus leur faire cours pour elles deux, nous avons continué la discussion.
Mais en fait de discussion, ce fut plutôt de leur part un flot de
paroles dont il ressortait qu’elles étaient confrontées à un univers de
délinquance. Je me suis donc de nouveau trouvée plongée dans cet univers que je
ne cesse pourtant de tenter de juguler et/ou d’éviter, sans pour autant y
parvenir. En fin de compte il n’y a pas moyen d’échapper à ce monde sans règles
ni lois ni limites dans lequel sont mêlés les Professeurs destitués et les
Elèves.
On peut connecter là mon texte Minotaure en habit d’Arlequin
dont une critique américaine m’a donné le décodage. Ce sont les Elèves qui sont
le Minotaure et qui dévore un Corps Enseignant que la société leur a donné en
pâture. Ceci expliquerait l’air radieux que je lui ai donné sur la couverture
du livre et qu’elle trouvait elle, normal puisque disait elle, il venait de
manger ! Cela m’a paru lumineux ! On peut aussi comprendre que cela
m’ait été soufflé par Picasso lui-même qui avait dû l’observer avec son propre
enfant (Paul en habit d’Arlequin ainsi
que la représentation qu’il en fait dans le tableau dont le nom m’a servi de
titre pour le livre et aussi d’inspiration). Je n’ai fait qu’en exagérer les
traits, confortée par ma propre expérience mais finalement c’est bien de tout
cela dont il s’agit…
Citons à l’appui que j’avais proposé à ces Elèves qui ne participaient
pas au mouvement de contestation de faire un travail personnel comme si je
surveillais une simple permanence mais elles ne l’ont pas voulu, préférant
fusionner avec moi-même. Je n’ai pas voulu non plus les rembarrer parce que ce
sont d’excellentes Elèves et que je ne voulais pas me fâcher avec elles en
pensant au reste de l’année qui dans cette classe s’annonçait plutôt bien…
Bref en résumant le tout on pourrait dire que nos petits camarades post
soixante-huitards ayant tué le père, leurs enfants - à savoir les Jeunes
d’aujourd’hui - sont en train de DEVORER LA MERE. Ils voudraient en fait une
nourrice chacun et davantage de confort…
Néanmoins la conversation avec ces deux jeunes filles m’a permis
d’apprendre que dans la Cité des Flandres
– le quartier d’à côté d’où viennent beaucoup de nos Elèves - on tirait
régulièrement aux armes à feu pour un regard de travers et que la situation
était pire à Paris qu’en banlieue dans la mesure où la Capitale n’avait pas
l’habitude – elle - de gérer ce type de difficultés là où les autres
municipalités avaient réussi à la longue à mettre en place des contre-feux.
J’ai également appris concernant la Cantine que le fond du problème
était que les Elèves ne savaient pas fonctionner en table de huit
car les premiers qui se servaient prenaient tout et que les autres n’avaient
rien, malheur auquel s’ajoutait le fait que lorsqu’on leur demandait de passer
le broc d’eau, ils le jetaient d’un bout de la table à l’autre. Il ressortait
de cela qu’un self service pouvait être une solution en permettant un
fonctionnement individuel puisque le collectif n’était plus possible, en raison
de la perte des savoirs sociaux.
16 Octobre 1998
Comme on s’y attendait, la manifestation des jeunes Lycéens a été
l’occasion d’une mise à sac d’un nouveau genre. On continue à parler de casseurs alors qu’il s’agit déjà d’une
sorte de guerre civile et sociale dont le cœur de l’action est le
pillage ! La propagande médiatico
étatique oppose les bons Lycéens
réclamant davantage de moyens matériels pour travailler mieux et les Casseurs venant les troubler. Mais la
réalité n’est pas celle là ! Les Casseurs
sont eux-mêmes des Lycéens et les réputés bons, réclament en fait de plus en
plus de confort et de droits sans jamais admettre qu’ils ont aussi des devoirs
et des fins transcendantes. Je vois dans tout cela - au mieux - les prémices de
ce que j’appelle l’Economie Distributive.
Hier l’après-midi s’est passé dans la Salle des Professeurs car je
n’avais plus du tout d’Elèves. En prévision de cette conjoncture, j’avais
emporté mon travail littéraire mais je n’ai pu le réaliser car pour supporter
la tension psychique qui régnait dans la pièce, il fallait participer à la
conversation des Collègues dont il ressortait qu’ils ne supportaient plus leur
situation de destitution et voulaient en fait être séparés de leurs ouailles.
On apprend par l’employée de l’Intendance que l’invasion du Lycée a
duré moins de trois quarts d’heure et que les chaises ont été jetées dans la
cour… Décontractée, elle conclut que cela aurait pu être pire ! Impossible
ensuite de parler de la mise à sac de la ville car ses propos tournent autour
de l’Intendance et comment celle-ci s’est arrangée avec le Proviseur pour la
répartition du tour de garde des Congés !
On apprend également du Professeur de Philosophie qui y a sa femme et
ses enfants que le Lycée Jacques Decour au Métro Anvers a également été
saccagé. La Radio a évoqué des évènements analogues à Lyon.
Je propose à mes Collègues qu’on signe une pétition contre la mise à sac
des Lycées, mais cela ne les intéresse pas.
La greffe du bras a produit un effet de représentation du corps comme
une construction de pièces détachées à la faveur de laquelle je me suis rendue
compte qu’elle était culturelle et à ce titre pouvant être ceci ou cela. Mais
l’absence de représentation de son corps n’est pas plus confortable…
L’air du temps est crépusculaire. Les fonctions sociales disparaissent
les unes après les autres dans une sorte de régression inouïe où il s’agit bien
en effet comme le souhaite le révisionnisme
de faire retourner l’enfant dans la matrice pour qu’il soit comme n’étant
jamais né. Une sorte d’instinct de mort
paraît à l’œuvre et pousser l’espèce à sa propre disparition. Peut-être après
tout comme un insecte abandonne sa vieille peau.
Un ami me dit que la technique sert à réaliser ses désirs. Je n’avais
jamais envisagé les choses sous cet angle et cela peut expliquer ce résultat
constaté. Si elle est en effet aux mains des dominants, elle peut servir à réaliser
ce qui – fantasmatique – autrement, ne le serait pas. Là, réorganiser la vie
post-humaine. Mais pour moi la Technique,
c’est tout autre chose et j’en suis arrivée à la conclusion qu’il doit y avoir au
sein de la matière humaine, une pulsion technique (Prométhée).
A Londres, arrestation du Général Pinochet à la demande d’un juge
espagnol qui s’est saisi de l’affaire. Illustration de l’idée que chaque être
humain a vocation à construire le monde.
Dans les Médias ce Dimanche, offensive des Autorités pour faire passer
à la faveur du mouvement lycéen, la Réforme Allègre dont la mesure essentielle
consiste avant tout à rallonger notre temps de service alors que partout
ailleurs, il diminue. Une partie serait consacrée au travail personnalisé avec
les Elèves dont on ne sait pas encore si ce ne serait pas notre totale
dévoration étant donné le non fonctionnement de l’Institution.
De toute façon le Gouvernement est prêt à tout pour démontrer la
réussite de sa politique de démocratisation
de l’Enseignement et de l’Egalité
des Chances, tout en déboursant le moins d’argent possible. On sent
bien que les Autorités seraient même prêtes à nous imposer les Elèves chez nous
pour qu’ils profitent d’un meilleur environnement culturel qui compenserait
leur handicap social… ces mêmes Elèves qui ont des casiers judiciaires,
trafiquent des marchandises et rackettent leurs camarades…
Par ailleurs pour la première fois nos salaires diminuent non seulement
en termes réels, mais même en valeur nominale avec la diminution du taux des
heures supplémentaires. Comment s’étonner de cette récurrente angoisse de
mort ?
Plus sidérant encore on entend dire que les Lycéens étant désormais des
adultes (étant données le nombre d’années de retard accumulées) il faudrait
organiser avec eux, la cogestion. On
parle d’un Conseil de la
Vie Lycéenne, organisme paritaire dont on ne sait pas encore la
fonction… Bref ce qui au début n’était qu’une fiction à haute teneur idéologique un peu
ridicule, bascule dans le plus complet délire et fait peur car cette vaste
machinerie coûte très cher aux Contribuables et ne produit rien. De plus elle
évolue à antagonisme croissant !
On a l’impression que la Classe
Cyberdominante - après avoir détruit
les réseaux ainsi que les fonctionnements culturels et politiques - semble
avoir entrepris de détruire les Institutions Humaines (l’Ecole et la Famille)
pour nous ravaler au rang des animaux avant de récupérer les billes
biologiques, les gènes, les organes, les tissus, les gamètes et même maintenant
avec l’affaire du bras, des membres ! Comment s’étonner de cette ambiance
de plomb ?
On apprend aussi que ce ne sont pas cinq blessés qu’il y a eu Jeudi
comme on nous l’a dit dont deux très grièvement : un Elève poignardé par
un racketteur et un Policier, victime d’un traumatisme crânien mais plutôt une
centaine…. Ce qui me paraît plus conforme à la vérité de la violence des
combats qu’on a vus à la Télévision.
Bilan médical à l’hôpital Saint Antoine. Il pleut dans le sous-sol de
la radiologie. Ils ont mis des pots pour récolter l’eau et il y en a plusieurs.
Depuis la Rentrée, les tags deviennent des mots : Welcome, war, bonté, j’ai faim. Cette
dernière inscription juste en face du Lycée et s’expliquant peut –être par la
désertification de la Cantine.
Magie d’Internet qui s’applique admirablement à mon cas et à mes
besoins. C’est une Révolution de l’importance de l’invention du feu, de
l’Agriculture et de l’Imprimerie. La quatrième Grande Révolution de l’Humanité
Profond malaise généré par une nouvelle manifestation de Lycéens dont
le Ministère dit approuver les revendications alors que dans le même temps, il
demande aux Commerçants de baisser leurs rideaux de fer et qu’on a mobilisé
cinq mille cinq cents Policiers sur une distance de la Place d’Italie à
Denfert-Rochereau. Malaise d’autant plus important qu’avant même la
manifestation une cinquantaine de Jeunes ont déjà été arrêtés dont une
vingtaine placés en garde à vue, les trains de banlieue venant à Paris ayant
été saccagés. J’étais tellement angoissée que je n’ai même pas pu aller à mon
cours de Gymnastique.
21 Octobre 1998
Dans la mesure où ce qui se met en place, c’est l’Economie Distributive -
les besoins fondamentaux étant gratuitement satisfaits par une société machinique - le complément logique en est nécessairement la Reproduction
Artificielle car il n’est pas
possible de loger et nourrir gratuitement les gens sans maîtriser en même temps
la natalité sinon c’est ingérable, économiquement
parlant.
Je ne suis parvenue à faire que trois heures de cours dans les trois
derniers jours lors desquels j’aurais du en prononcer quatorze. En 1TSC1,
quatre Elèves ont refusé de faire le devoir que je proposai et sont repartis, démontrant
ainsi l’authenticité de leur envie de travailler.
On a même vu une Elève rester deux heures dans la Salle des Professeurs
assise à la grande table, en train de fumer et de papoter avec deux de nos
Collègues. Elle prétendait continuer ensuite avec moi mais - en dépit de
l’affection que j’ai pour elle - j’ai refusé pour n’être pas complètement
absorbée. Je lui ai donné en compensation un petit livre que je venais de lire,
en m’excusant de ne pas être en état de lui parler.
L’Infirmière du Lycée m’a confirmé que les deux tiers des cas des
élèves qui se trouvent mal l’après-midi, le font parce qu’ils n’ont pas mangé à
midi.
Cette semaine une brutale floraison de bérets à la Guevara, et les
journalistes de la Télévision qui - allez savoir pourquoi - se laissent pousser
la moustache…
Ce week-end, notre Ministre Claude Allègre nous a expliqué que le
mouvement lycéen était également dirigé contre nous les Enseignants et l’appel
de la FIDL - sous ensemble du Parti Socialiste - à manifester donne
effectivement à penser qu’il s’agit bien de manipuler les Jeunes pour faire
passer la Réforme.
Tout cela évoque les Gardes Rouges de Mao Tsé Toung lancés lors de la
Révolution Culturelle contre les Intellectuels pour les forcer à réaliser leur
autocritique. On a également appris que la manifestation de la Nation avait
fait deux cents blessés dont beaucoup de graves à coups de couteaux et de
traumatismes crâniens. Je trouve irresponsable de jeter ainsi les Jeunes dans
la rue en en faisant la proie des pillards et des incendiaires qui se
déchaînent à cette occasion.
Pourtant je ne suis pas contre les mouvements lycéens – notamment pas
contre ceux qui luttent contre des mesures iniques et j’en ai soutenu
plusieurs. Par contre j’ai déjà abandonné en cours de route celui de 1986
lorsque je me suis rendue compte de son aspect confus et post politique.
A la hauteur de la porte de Bagnolet, voyant une boutique de
l’Association Emmaüs je suis descendue de mon autobus. J’espérais une brocante
mais il y avait seulement de si pauvres vêtements bon marché que cela serrait
le cœur.
Visite exaltée au Musée des Arts Africains de la Porte Dorée dont la
bâtisse m’est apparue un véritable palais. Dans l’effondrement général, tout ce
qui a forme subjugue et remet les idées en place. Sans doute cela a-t-il à voir
avec mon thème de L’idée, c’est la forme et
de l’idélonne. Un palais construit
pour être un musée est une parole interculturelle. J’y vois de beaux objets et
cela améliore mon état.
A la Télévision, deux experts en champignons sont venus nous expliquer
qu’il ne fallait plus en manger parce qu’ils étaient devenus radioactifs et de
véritables éponges à absorber les toxiques de la Terre. C’est dommage car
j’adore ce mets. Par contre je suis sidérée de voir confirmer mes pires
intuitions concernant l’empoisonnement général.
A côté de chez moi chez la coiffeuse, deux harpies vitupéraient la
présence de l’Epicier Ed au bout de la rue affirmant qu’on n’aurait jamais dû
en autoriser l’ouverture au vu des désordres et salissures que cela a
entraînés. Elles débinaient les produits et n’osaient pas dire qu’elles ne
voulaient pas de ce magasin pour pauvres.
Après avoir fait une réflexion sur la faiblesse des salaires je me suis
retenue de leur demander si elles voulaient qu’on déporte les pauvres en grande
banlieue, me contentant tout de même de leur dire qu’au Lycée les Elèves ne
pouvaient pas payer la Cantine et qu’ils ne mangeaient pas à midi. Elles ont
fini par se taire, mais cela sent de plus en plus un Chili immonde.
Exposition des œuvres de Picasso conservées par sa concubine Dora Maar
avec laquelle il a vécu avant et pendant la Guerre. Cet entassement énorme de
dessins, de photographies, de lettres était émouvant comme le signe qu’une folle
avait tout gardé de ce qui concernait l’être aimé. Conservation d’autant plus
troublante que délaissée, elle a fait un séjour à l’asile et bien qu’artiste
elle-même n’a guère pu œuvrer. Elle est néanmoins morte presque centenaire l’an
dernier et ses trésors sont maintenant vendus aux enchères.
Beaucoup sont venus à cet évènement très parisien. Mais la surprise
était la beauté de tous ces gens là la plupart en couple hétérosexuel, bien
habillés et avec des visages pleins d’intelligence et de bonté, d’humanité et
d’humanisme. Cette troupe était à elle seule un spectacle. Je n’en ai jamais vu
à la fois autant de si beaux. Ils étaient une œuvre à eux seuls !
Malheureusement, d’un point de vue pictural, les tableaux du Maître n’étaient
pas ses meilleurs…
Annonçant un accident de tramway je ne sais où, Europe N°1 commente
qu’il a été sans gravité pour les passagers qui selon l’expression du
Journaliste ne souffrent QUE de contusions et de fractures…
L’atmosphère irrespirable vient du fait que l’ordre hiérarchique étant
écroulé, chacun tente de mettre le grappin sur autrui pour le dominer et le
vassaliser. Chacun est potentiellement la proie de l’autre. L’impression qu’on
est fait comme des rats.
La femme qui me traite à l’acupuncture constate chez moi une absence
totale d’énergie.
Après un dernier baroud d’honneur qui m’a conduit à passer une nouvelle
fois cinq heures en Salle des Professeurs, le mouvement semble terminé.
Totalement déglinguée et au bord de la crise de nerfs, je suis parvenue à
reprendre en main mes trois Classes.
Caractère insupportable de cette globalisation
où la propagande nous impose plusieurs jours de suite le drame des inondations
en Amérique Centrale non pas comme l’objet de notre compassion humanitaire mais
comme une passion qui serait également la nôtre avec obligation de prendre en
charge des sinistrés comme si c’étaient nos voisins de palier. Sensation
renforcée par la mondovision lors de laquelle les victimes nous demandent
devant les caméras et sur un drôle de ton qu’on leur fournisse ce dont elles
ont besoin : nourriture, couvertures, médicaments etc… comme on dresse une
liste de commissions pour le supermarché.
A rapprocher des retraités qu’on voyait la semaine dernière à la
Télévision et qui expliquaient qu’ils voulaient aller au théâtre et au cinéma
mais qu’ils n’en avaient pas les moyens.
Obscénité de cet étalage de besoins non élaborés en dehors de toute
mise en forme du désir, de la frustration, du manque et de la sublimation.
Je ne supporte pas cette prétention des gens à voir leurs besoins
satisfaits comme si c’était un droit. C'est-à-dire en fin de compte la position
du fœtus qui n’a même pas conscience de la présence de sa mère. Le mauvais
augure vient alors du fait qu’on a affaire à une tentative de nidation pour se
faire entretenir dans la totalité de ses besoins.
La perversion vient également du fait que la Nation en tant que
solidarité a été systématiquement détruite, qu’on prétend en récupérer le
créneau pour nous greffer autre chose qui nous est étranger et qui devrait
fonctionner sur le même modèle.
Une fois de plus, le fond et la forme sont séparés pour être utilisés
chacun et chacune de leur côté.
La dernière blague russe : Est-ce
qu’on peut manger des pommes de Tchernobyl ? Oui, mais en enterrant le
trognon profondément.
Un quart des arbres européens sont malades. Comment s’étonner alors de
mon état de santé désastreux ?
Mort de Jean Marais, acteur qui enchanta les femmes avant le triomphe
d’Alain Delon. Je l’imagine arrivant au Paradis, ouvrant la Porte et disant de
sa voix inimitable Bonjour, je suis la
Bête. Belle est elle déjà là ? En référence à son film culte, bien sûr !...
Ce matin j’en suis pratiquement venue aux mains avec une ou deux Elèves
d’une Classe qui occupaient ma salle et ne la quittaient pas suffisamment
rapidement à mon goût. L’une des deux m’a dit comme je la poussais dehors Vas te faire foutre ! Et elle m’a
donnée un coup de pied comme je la croisai par mégarde dans le hall, sans
l’avoir vue… Mais je l’ai sentie. Ce n’est pas forcément la première fois, cela
a déjà du m’arriver.
Vu sur un mur une inscription en face du Lycée Ne reste – t - il que la guerre pour tuer le
silence ?
Au Club de la Presse de France-Culture, le chœur des Journalistes bien
en vue expliquant que ce n’est pas Pinochet qu’il faut arrêter mais Castro car
Pinochet c’est le passé, et Castro le présent.
Cohn-Bendit se parachute en France comme tête de liste des Verts aux
Elections Européennes. Il se proclame libéral et affirme qu’il faut faire une Europe jouissive. Cela symbolise bien ce qui s’est passé depuis trente
ans : Les Uns faisant joujou avec les Autres et la société… pour jouir sans entraves et les autres,
mourant des conséquences…
Il faudrait réfléchir suffisamment pour comprendre comment le
Libéralisme finit par rejoindre le nihilisme
totalitaire.
C’est que la préoccupation finale n’est pas vraiment la liberté mais
bien plutôt de casser quelque chose. Mettre à bas ! Enfreindre ! A la
limite ce qui les intéresse, c’est la transgression, la perforation, le viol
mais ils n’ont en fin de compte rien à faire de la liberté. Ce qu’ils veulent
c’est la libéralisation et ce n’est
pas du tout, la même chose.
Le Lycée est devenu un Hall de Gare
et une Salle des Pas Perdus. Nous n’avons plus aucune
autorité sur les Elèves et je suis moi-même en passe d’être débordée. S’il faut
chaque heure expulser un ou une Elève, ce n’est pas vivable. Les Collègues sont
eux-mêmes en proie au ressassement de la névrose
de guerre mais ce n’est pas pour cela qu’il y a des conversations sur
la réalité sociale.
J’étais tellement fatiguée de ma journée au Lycée que je n’ai pas pu le
soir me rendre à la soirée poésie organisée à L’Ourse Bleue. L’enfer du Lycée invalide désormais la vie
littéraire.
Comme j’expliquais aux Elèves que les animaux étaient moins féroces que
les Humains parce qu’ils laissaient partir leurs ennemis qui avait fait acte de
soumission, deux d’entre eux m’ont expliqué que c’était parce qu’ils ne
pensaient pas aux représailles.
Ils ne veulent pas détruire le monde, mais seulement le formater de
telle sorte qu’ils puissent le consommer plus aisément.
Sur la quatre, à la Télévision hier soir un jeune et mignon Journaliste
bien propre sur lui, dans le style de la chaîne et de l’époque se moquait
ouvertement de Frédéric Mitterrand qu’il traitait de ringard. L’accusé ne niait pas qu’on le poussait vers la sortie et
n’était pas loin de dénoncer le côté totalitaire du régime affirmant C’est lorsque les régimes sont près de leur
fin qu’ils tuent le plus… J’en ai été sidérée !... Le Journaliste
s’attaqua ensuite à Santini qui a pourtant interdit les OGM dans les cantines
de sa commune, pour lui conseiller de prendre la direction de l’émission
comique de RTL Les Grosses Têtes !
Comme on demandait à Cocteau s’il préférait aller au Paradis ou en
Enfer, il répondit que cela lui était égal
parce qu’il avait des amis
dans les deux endroits !...
Expliquant aux Elèves - après celle des classiques libéraux – la doctrine
keynésienne, il m’est venu à l’idée
que cela correspondait à une nouvelle vision du monde exprimé aussi par la
physique. Au dix neuf siècle un monde fixe avec une représentation
photographique et la vision des Sciences fixes allant avec. Au vingtième, le
cinéma et une vision des Sciences dynamiques…
Ces derniers jours, quatre vagabonds sont morts de froid, dont l’un à
l’entrée d’un hôpital. Lorsqu’on voit quotidiennement comment cela se passe, on
se doute de la façon dont il a été reçu. Rue de Courcelles un émigrant du
Levant installé à l’arrêt d’autobus du 84 sous sa couverture aluminium
s’ébrouait à son réveil et s’apprêtait à ingérer une boisson énergétique
globale du genre de celles qu’on vend en pharmacie. Il serrait tellement le
cœur, que j’ai failli descendre de l’autobus pour aller le secourir avant de me
rappeler que moi-même j’étais tout à fait en difficulté tentant de me maintenir
dans un environnement pour moi meurtrier.
Quatre nouveaux morts de froid. Il y a pourtant de la place dans les
refuges mais les vagabonds n’y vont pas et même s’enfuient à l’arrivée du SAMU
Nouvelle prise de bec en Salle des Professeurs à la récréation du
matin. La conversation démarre sur le traité d’Amsterdam et j’entends Mme MFS –
comme moi juriste et économiste - qui me dit qu’elle n’a pas le temps de s’occuper du Traité d’Amsterdam parce que sa
préoccupation prioritaire ce sont les copies ce qui n’est certainement pas mon cas !
Je lui réponds que je suis connue comme un mauvais professeur et que ma notre
pédagogique a été baissée.
Un nouveau Collègue dans le style contremaître replié dans
l’Enseignement intervient pour expliquer en me visant qu’il en a assez des
donneuses de leçons…
Mais Bosetti prend ma défense en affirmant que je suis la conscience de
l’Etablissement ce qui n’est pas un mince compliment et provoque ma
reconnaissance…
Puis la conversation a repris comme on me reprochait de ne pas arrondir
les angles et que j’arguais qu’en mille neuf cents quarante ce n’était pas non
plus le moment, le Contremaître a alors explosé d’un Je m’en bats les couilles du Traité d’Amsterdam !
Si on pense que tous ces braves gens ont la charge d’enseigner le Droit
et l’Economie dans leurs Classes, on mesure la situation… et le décalage avec
les conversations lors desquelles ils font semblant de transmettre des choses
très pointus aux Elèves, comme les mécanismes de l’article quarante neuf trois de la Constitution. La vulgarité de certains
évoque vraiment le personnage du film de Bertolucci Mille Neuf Cents.
Vu vendredi au-dessus de Paris un vol d’oiseaux migrateurs en formation
de V, vers le Sud. C’est la première fois que je vois cela et cela change des
avions désormais devenus habituels.
A la Commission Permanente de Jeudi, le Proviseur Théo Battistella a
fait état de sa volonté de nous supprimer les récréations, d’allonger les heures
de cinquante cinq minutes à soixante et de supprimer des postes d’enseignants
en prenant en compte - selon son expression - notre manière de servir… Inutile
de dire l’affolement indescriptible qui en a résulté chez les Collègues… De
leur côté les Elèves sont dans un état d’insurrection croissante d’un jour à
l’autre et - fait nouveau - on entend désormais l’émeute d’un étage à l’autre.
Accélération des grandes manœuvres de fusion dans la Perestroïka mondiale. Dans la même journée Hoestcht rachète Rhône Poulenc et la
Deutch Bank une firme américaine qui la place au premier rang mondial !
Pinault prend par surprise Bouyges Téléphone. Les services publics, la Sécurité
Sociale et le Droit du Travail sont en voie de liquidation. Tout cela dans le black
out complet.
Dans une brocante villageoise du Pays de Bray, j’ai acheté une peinture
sur verre et demandant à la vendeuse d’où elle pensait que cela venait, elle
m’a répondu Cela vient sûrement d’une
maison. Et posant la même question à un autre auprès de qui je venais pour
une dizaine de francs d’acquérir une statuette africaine en bois, il me dit de
son côté Du pays d’origine
sûrement ! Cette naïveté digne d’Ubu, me ravit !...
Fin crépusculaire de la France. Black out complet sur le Traité d’Amsterdam,
ratifié par l’Assemblée Nationale sans débat réel ni informations et dont le
texte est introuvable.
En l’expliquant à mes Collègues, j’ai compris que la Révolution
Cybernétique, c’était l’invention d’un homme
artificiel et que ce n’était pas tant
l’homme qui devenait une machine - ce qui est vrai par ailleurs - que le robot
qui est déjà de l’homme, si on parvient à clarifier cette notion.
Vu dans le Magazine Elle du mois de Novembre, ce stupéfiant titre
d’article avec photographie : L’accessoire
à la mode, le bébé !
Au Lycée, les Collègues du nouveau style ont réussi à nous faire
installer dans le Hall du Lycée, un horrible sapin publicitaire en plastique
avec un bandeau Truffaut - Plus belle
sera la terre ! Ce sapin a été acquis par la Classe des Techniciens
Supérieurs Comptables dans le cadre d’une Action Commerciale. Les Collègues que j’ai tenté de
mobiliser contre cet acte, n’y ont rien trouvé à redire.
J’ai oublié de raconter que vendredi dernier, les Elèves de 1e3
m’ont harcelée en exigeant la légalisation de la drogue.
Lamentable réunion intersyndicale pendant les heures de cours (cela est
inscrit dans le Droit du Travail). Mais aucun des problèmes réels n’a été abordé.
Ma dénonciation de l’action publicitaire s’est heurtée à une fin de non
recevoir absolue !...
Magie d’Internet. Ce matin en surfant, j’y vois en anglais quelqu’un
qui disait qu’il fallait absolument lire Mother Death ainsi que A
dead girl in a lace dress qu’on pouvait trouver au quatrième étage de la Bibliothèque.
Mais il n’était pas précisé où c’était, du moins n’ai-je pas pu le décoder.
Cela m’a bouleversée.
Des images publiques d’une obscénité insoutenable. Des corps nus des
deux sexes, jambes relevés près à être pénétrés. Une sorte de viol permanent
des intimités et des consciences allant de pair avec l’extension des idées de
progrès génétiques et de clonage humain. J’ai même fini à la longue par m’y
habituer. Jean François Kahn lui-même qui n’est pas un exalté dénonce
explicitement le côté concentrationnaire de notre situation.
J’avais lors de mes trajets en autobus constaté particulièrement dans
les appartements des beaux quartiers, une quantité anormale de fenêtres
noircies et détruites, me faisant la réflexion que ce ne pouvait pas comme chez
les pauvres, être le résultat de chauffage défectueux. Je m’étais interrogée
sur ce phénomène. J’ai entendu la responsable de la lutte anti-délinquance du
Ministère de l’Intérieur qui dénonçait le phénomène comme une nouveauté apparue
dans les règlements de compte privés… Je me suis sentie fière de l’avoir
détecté et attribué à ce qui est finalement une pratique mafieuse…
Le journal Le Monde peu suspect d’exagération, titre Guerre Civile à Toulouse ! Il y a
eu bataille entre la Cité délinquante et la Police impuissante. Là non plus je
ne suis pas étonnée, puisque la Guerre Civile, nous l’avons déjà au Lycée.
Ceci tandis que dans quinze jours, on fait monnaie commune avec la
Finlande. On croît rêver. Mais non en fait c’est cohérent, ce sont deux
versions de la même transformation, la dissolution de la France…
Hier soir à RTL on attend qu’on nous passe le reporter en poste sur le
terrain à Toulouse, au cœur de la bataille, puis on nous dit que non, on ne
nous le passe pas parce qu’il vient de recevoir un coup de couteau dans
l’abdomen ! On est sidéré ensuite d’entendre le commentateur nous dire que
ce coup de couteau donné par un jeune au reporter est sans gravité. On apprend
aujourd’hui qu’il l’a reçu comme il défendait son caméraman à qui on était en
train de voler son outil de travail ! A leur tour sans doute de vivre ce
que nous vivons déjà nous les Enseignants et les Conducteurs d’autobus.
Une sorte de drôlerie psychosociale à considérer la devise de Vichy Travail Famille Patrie. Alors qu’elle
apparaissait jusque là comme le comble de la pensée réactionnaire surtout pour
les Soixante-huitards, l’idée vient que sans être un idéal, cette devise
pourrait être considérée comme une protection ontologique minimum. Or cela ne
l’est pas. C’est dire où on en est !
Dans un texte sur l’Economie de la Lorraine, une élève de Première
prononce Longwaï à l’américaine au
lieu du français Longwy… signe
objectif de l’ambiance !...
Bombardements intensifs sur l’Irak. Les Elèves sont terrorisés d’un
monde pour eux devenu incompréhensible et à juste titre terrifiant. Ceci ajouté
aux événements de Toulouse et au bouclage des Palestiniens dans les Territoires
Occupés, n’améliore pas leur état. Quand je suis entrée dans la Classe de
Première dans laquelle ils sont presque tous Arabes ou Noirs, ils avaient le
masque de la mort sur leurs visages figés et silencieux…
Après avoir renvoyé leurs Elèves, les Collègues se sont enfermés dans
la Bibliothèque pour bambocher avec ce que chacun avait apporté à manger ou à
boire. Cette ribouldingue me fait horreur. On y singe un bonheur qu’il n’y a
pas, méprisant la Cantine et le traditionnel déjeuner de Noël, surchargeant le
travail du personnel de service qui devra augmenter d’autant ses nettoyages
après qu’on ait transformé les lieux en graillon.
Je suis donc allée manger seule à la Cantine
comme les années précédentes et si on m’avait demandé pourquoi je n’étais pas
avec eux, j’aurais simplement dit que je n’avais pas envie de faire la bamboula
avec des Collabos.
J’ajoute qu’ayant passé ma vie à travailler, je ne sais pas m’amuser,
au sens technique du terme…
Conversation d’ascenseur avec une voisine à qui je dis que je passe les
vacances à m’occuper de ma belle mère. Elle me demande son âge. Et comme je lui
dis qu’elle a quatre vingt onze ans, elle rétorque - selon sa propre formule -
qu’elle ne comprend pas pourquoi on prolonge ainsi les gens. Elle se lance
ensuite dans une propagande pour l’interruption de la vie qui me coupe le
souffle. Je refuse d’en discuter d’un La
vie est sacrée et je m’en tiens là. Mais c’est bien dans l’air du temps.
De mon côté j’ai dans la queue de la boulangerie, pris une place qui
n’était pas la mienne et je n’en suis pas très contente, car c’est bien la
contamination de l’ambiance.
J’apprends de France Culture que les Marchands ont toujours tenté
d’émettre leur propre monnaie en concurrence avec celle du Prince. Voilà qui
est fait et améliore la compréhension de tout cela. C’est donc bien avec
Maastricht et Amsterdam, le triomphe de la Bourgeoisie marchande qui voit
devant elle s’ouvrir un nouveau champ de développement et de profit avec
l’industrialisation du vivant. Ceci implique évidemment la destruction des
structures héritées de l’époque précédente : la famille, l’école, la
nation, la culture qui étaient des formes d’organisation du vivant. On serait
mal à moins !
Ecoeurée par l’ambiance dans les taxis qui se défoulent sur les femmes
seules qu’ils ne supportent pas, j’ai repris le métro. Bénéfice sans doute des
deux ans d’acupuncture et de la reprise de la gymnastique depuis un an, car en
Mars quatre vingt seize au Salon du Livre, je marchais avec une béquille
Concernant les chauffeurs de taxi toujours, le clou a été atteint à la
fin du trimestre comme l’un d’eux me racontait très à l’aise - alors que je ne
lui demandais rien - qu’ayant pris deux clients dont la femme, selon son
expression manquait de respect à
l’homme, celui-ci (le chauffeur) s’est mêlé de la conversation pour conseiller
au type de lui retourner une claque. Et ce chauffeur - après avoir comme c’est
désormais l’habitude, saturé tout l’espace de sa parole - attendait que je
l’approuve…
Les Chômeurs ont attaqué le Monoprix Gourmet des Galeries Lafayette et
sont repartis avec des chariots pleins sans que la Police intervienne. Les
années précédentes, on entendait cela concernant les pays d’Amérique du Sud,
avec les discours des Curés qui expliquaient que ce vol là n’était pas un
péché, étant donnée la situation sociale. Le Pape condamnant tout de même ces
Curés Rouges, l’honneur de la corporation… Mais de là à penser que cela allait
se faire en plein Paris et dans le Centre… Une sorte d’effarement de la
situation que de toute façon on ne peut plus enrayer, au mieux ne pas perdre de
vue au nom du principe de réalité…
Apparition depuis plusieurs années sous couvert d’ethnique, de
l’intégration de l’esthétique arabe et africaine dans les objets, le mobilier,
les tissus, les dessins sur les nappes, les plateaux, les couverts.
J’ai offert autour de moi à la famille des nappes et des serviettes du
Jacquard Français…
Nuit de la Saint Sylvestre. Des émeutes dans plusieurs villes de
province, au total une centaine de voitures brûlées. Des images de Guerre
Civile urbaine. Si elles passaient sans légendes à la Télévision, elles
pourraient être prises pour celles de l’Amérique du Sud au temps des
dictatures.
Fugitive preuve de ma sensation de chosification. Enfilant le peignoir
éponge après le bain, je me suis dis que c’était du buvard…
Curieuse météorologie printanière. Si ce n’était la faible lumière, on
se croirait au mois de Mai. Cela après une tempête de plusieurs jours.
Hier au Lycée, terrifiante reprise des cours. En Salle des Professeurs,
les Collègues avaient une tête pas possible, on se serait cru dans la salle
d’attente du service de cobaltothérapie de la Clinique Hartmann que je
fréquentais à l’automne 1982.
Les Elèves - eux en plein Ramadan - sont repliés sur eux-mêmes et
déstabilisés par l’entrée en vigueur de l’Euro, alors qu’ils n’en n’ont ni les
billets ni les pièces. Moi-même je ne suis pas à l’aise.
Achat de linge de maison dans la continuation de ce que j’appelle le Plan Textile.
Un moyen d’exorciser l’angoisse du futur en m’assurant que ni moi ni ma
progéniture nous ne manquerons.
Les horreurs continuent : Samedi matin, réunion des Parents des
Elèves de la Classe de Première. Je leur dis là réalité telle qu’elle est à
savoir l’impossibilité pratique de faire cours et le problème de fond du
contenu qu’on ne peut plus transmettre. C’est l’émeute ! Les Parents
m’attaquent en piqué et veulent me faire ma fête. Je découvre une violence qui
explique aussi celle de leurs enfants. Depuis deux ou trois ans qu’on a ce
genre de réunion, je suis confrontée à la découverte que les comportements asociaux
des Elèves, sont déjà ceux qu’on observe chez leurs parents. Ce qui finalement
est logique comme étant le produit de l’absence d’Education.
Tout cela avait été précédé des discours démagogiques du Proviseur
ainsi que de l’Orientatrice et on peut admettre que les Parents aient ensuite
été pris à rebrousse poil lorsque je leur ai cassé le morceau. Ajoutons la
stupéfaction d’entendre le Proviseur expliquer aux Parents que les Professeurs
devaient être respectés - selon ses propres termes - au nom de la Déclaration
Universelle des Droits de l’Homme qui prévoit que tout être humain est
respectable en tant que tel et quelles que soient ses qualités ! On était
médusé de l’argumentation !
J’ai tout de même eu la satisfaction d’entendre la secrétaire du syndicat
affirmer devant tous que j’étais réputée pour dire la vérité alors qu’elle
avait plutôt l’habitude de me torpiller au-delà du raisonnable. De son côté ce
fut aussi la stupéfaction d’entendre Noël - arrivé en retard et n’ayant pas
entendu ce qu’on avait dit précédemment - brosser un tableau pis que pendre de
la classe. L’atmosphère a fini par se détendre.
On comprend que dans un tel contexte, le temps libre étant tout entier
consacré à la nécessité de récupérer des agressions précédentes et à se préparer
aux suivantes, le climat ne soit pas vraiment à la création littéraire…
Lundi soir, on a tiré les Rois dans le Réfectoire du Lycée. Il y avait
à peine un cinquième des Collègues et c’était absolument sinistre bien que la
galette en elle-même ait été excellente.
A treize heures une nouveauté : deux Elèves musulmans embusqués à
la sortie du Réfectoire des Professeurs, scandaient comme si c’était une tare Ils ont été à la cantine. C’était le
Ramadan et j’en ai été soufflée. Je n’ai rien dit du tout car la réalité c’est
qu’on est submergé par les incidents de tous ordres…
Sarcasme d’une jeune femme de ma connaissance qui me suggère de
demander un certain quota de Professeurs parmi les Enseignants ! Je trouve
effectivement l’idée savoureuse…
Il est clair qu’il y a surpopulation, y compris des Artistes et des
Intellectuels dont la Télévision permet la concentration de la production. Pas
besoin d’être Prophète pour comprendre que l’élimination est inscrite dans la
situation elle-même.
Accrochés à leur téléphone portable, les gens ont transformé la rue en
espace privé dans lequel ils s’exhibent. On ne rencontre plus personne.
Spectaculaire et massif Ramadan des Elèves. Ils forcent
l’admiration !
Parmi les satisfactions tout de même, celle voir le Sénégal interdire
l’excision. C’est le premier pays qui prend une mesure pareille. Je n’ai pas
cessé dans mes Classes de faire campagne contre cette pratique barbare
provoquant souvent des ripostes houleuses d’Africains qui me disaient carrément
de me mêler de ce qui me regardait. Dans le meilleur des cas, je déclenchais
tout de même une pénible gêne mais je l’ai toujours fait, chaque fois que j’en
ai eu l’occasion. Il serait mégalomane et paranoïaque de se croire à l’origine
de cette interdiction, néanmoins le fait que les nouveaux émigrants fassent
désormais l’aller et le retour avec le pays d’origine, n’a pu qu’aider à la
diffusion des idées. Je suis contente que dans ce domaine, mon action en tant
que militante de base ait eu de l’effet !
Dimanche, lecture dans la librairie L’arbre
à lettres Rue Boulard avec la Revue Midi. J’ai lu mon poème En vivant et
survivant tandis qu’un saxophoniste improvisait dans mon dos une sorte de
Sonnerie aux Morts, à glacer le sang. On m’avait présentée comme un écrivain des années soixante-dix ce qui n’était pas très agréable, mais j’ai mis les rieurs de
mon côté en complétant illico … et des
années quatre vingt dix, deux mille quinze, deux mille cinquante…Nous
sommes allés ensuite chez la peintre Hélène Villers qui nous a reçu avec
chaleur. Cette matinée réconfortait car la gentillesse, la politesse et
l’amicalité du milieu tranchait tout de même singulièrement avec le Lycée qui
n’est plus que jungle brutale. J’avais même du mal à croire qu’on était dans la
même ville.
J’ai vu un homme couché sur le trottoir avec des menottes attachées
dans le dos au-dessus duquel deux Policiers très polis disaient Levez vous ! C’est la première fois
que j’en entends vouvoyer quelqu’un dans ce genre de situation. D’autant plus
surréaliste qu’ils l’ont ensuite installé jambes écartées contre le mur, après
qu’il ait effectivement réussi à se lever sur le même ton….
Le matin même à deux immeubles de chez moi sur un tas d’ordures avant le
ramassage des éboueurs, une clocharde complètement défoncée est assise sur un matelas de mousse. J’en ai été estomaquée mais
je n’étais pas en situation de lui donner quoi que ce soit que d’ailleurs elle
ne demandait pas. Pour bien expliquer à la Bête en moi qu’il s’agissait d’un
être humain et non d’autre chose, je l’ai saluée d’un sonore et convaincu Bonjour !
Nos prédécesseurs ne pouvaient pas imaginer la Shoah. Nous nous savons
que cela a existé. C’est sans doute ce qui explique notre paralysie, catatonie
métaphysique.
Selon Maïr Verthuy l’âge de la prise de conscience du féminisme, c’est
trente cinq ans ! A cette aune, la mienne qui eut lieu en mille neuf cents
soixante dix neuf à l’âge de trente quatre n’était donc pas - comme je l’ai cru
longtemps - ridiculement tardive comme je le pensais. Par ailleurs, je crois
que c’est impossible avant trente ans…
Samedi dernier, comme je mangeais dans un self service à l’Etoile un
enfant des rues – apparemment franco-français de souche - âgé de moins d’une
dizaine d’année a essayé d’entrer par la porte de sortie en m’en demandant
l’ouverture. Je n’ai pas donné suite un peu mal à l’aise de mes deux plats
alors qu’il avait certainement faim. Il finit par pénétrer dans l’établissement
par la porte d’entrée, se promène entre les tables, ressort, revient vers la
vitrine et pointe vers moi le doigt dans la signification de fuck it avec un regard de haine
absolument terrible.
Dans la Salle des Professeurs le téléphone portable nous rend la vie
impossible. Les bonnes femmes restent ainsi en liaison avec leurs mômes,
rabattant la vie professionnelle sur la familiale et en faisant profiter tout
le monde…
Par ailleurs on ne compte plus les Lycées fermés pour cause d’incendie
volontaire ou de Guerre des Gangs.
Allez on
écrase la mémé ! Gueule
joyeusement une femme à vélo en fonçant vers moi, vigoureusement encouragée par
le Ouais de renchérissement de deux
jeunes crânes rasés au comble de l’enthousiasme comme ils pédalaient Rue Saint
Lazare avec moi, dans les clous, en fin d’après-midi. Je précise que la mémé
c’était moi et que ma traversée était parfaitement tranquille. Je n’en suis pas
revenue ! Le choc passé, je me suis dis que décidemment je ne rêvais pas
et que tout cela était bien dans l’air du temps. Cette idée de tuer l’autre
pour améliorer un peu sa position, c’est bien CELA qui est à l’œuvre.
Dans la Salle des Professeurs, on nous a remis
une nouvelle sonnette ultra stridente en remplacement de celle que nous avions
pris sur nous il y a une dizaine d’années de déglinguer car nous ne la
supportions plus et entendions déjà suffisamment celle de l’escalier. Sans
compter la grande pendule, bien située et parfaitement lisible.
Mais ce qui était terrible à voir, c’étaient les Collèges suppliant
l’Ouvrier venu l’installer, de la régler de telle sorte qu’elle ne sonne pas
trop fort… On mesure là la détresse, le stress et l’oppression que nous vivons
au quotidien pour que ce surcroît paraisse intenable.
A la Librairie de la galerie marchande de la Gare Saint Lazare, je
demande en vain au libraire s’il a Du fond de l’abîme de Sieldman dont
j’ai lu la critique dans le Journal Le Monde
le matin même, comme on indiquait qu’il venait de sortir. Le libraire soutient
mordicus que non non ils n’ont jamais les livres dans ces conditions là. Je lui montre l’article qui indique clairement qu’il s’agit du journal du Ghetto de Varsovie.
Je lui dis alors Mais les bouquins de cul
vous les avez bien - Il en avait une pleine table en présentoir - Il va falloir réfléchir à cela !
J’étais soufflée de mon culot et heureuse de cette sortie…
Au Lycée, le Chef des Travaux Tertiaires nouvellement nommé a projeté
de demander aux Collègues de mettre leurs cours en mémoire sur L’Intranet…
Fusionnons ! Modernisons !
26/1/1999
J’apprends d’un urbaniste que dans les grands ensembles il y a des
terrains vagues et vides qui n’appartiennent à personne. A certains endroits la
propriété n’est même pas en règle et il n’y a pas de différence entre l’espace
public et le privé. Je me demande si cela n’a pas d’effet sur nos Elèves dont
beaucoup en viennent.
Les Elèves stagnent dans le
couloir et on ne peut plus passer. Aucun ne s’écarte jamais ; Engager le conflit
amène à se faire insulter. Il est inutile de penser leur expliquer qu’il
devrait nous céder le passage, rien dans leur psychisme ne permet de se
représenter une chose pareille. Lorsque je suis dans l’escalier, je tiens donc
fermement la rampe et refuse de la lâcher quelle que soit la situation.
Pas plus d’ailleurs que la nature des liens économiques, comme le
demandait un exercice que nous avions à faire. Tout ce qu’ils peuvent dire
c’est être ensemble et cela
s’applique à toutes les situations. J’ai donc tenté d’expliquer la différence
entre mon enseignement, leurs copains, et la caissière du supermarché. Voilà où
on en est en Première !
Je tente donc de sauver ce qui peut l’être et j’ai dû pour cela me
résoudre à abandonner les deux caractériels que nous avons désormais dans
chaque classe depuis la fermeture des
sections spécialisées (Les cinq années précédentes, nous n’en avions
qu’un) ! J’ai également abandonné les loubards en m’efforçant depuis
l’année dernière de les marginaliser.
Alors qu’habituellement les Classes démarrent le travail effectif vers
la Toussaint, il a fallu cette fois attendre le mois de Janvier.
Comme suite à l’affaire de la cloche rétablie dans la Salle des
Professeurs, l’un d’entre nous lui a cousu un sac rembourré molletonné kaki
avec des rubans cadeaux au bout, du plus bel effet, une véritable œuvre d’art,
efficace de surcroît. Noël et moi avons bruyamment manifesté notre joie. Il a
trouvé le mot juste pour caractériser la situation : L’EPIPHANIE au sens
de la manifestation.
En fait ce qu’on craint, c’est de tomber sur un mort.
Le dévergondage est le mot
général qui couvre le mieux ce qui se passe. Ce qui manque aujourd’hui à la
société, c’est la vergogne. On a
l’impression d’être dans une maison de passe
où tout le monde aurait le derrière à l’air.
On apprend qu’il y a en France dix mille morts par an de maladies
contractées dans les hôpitaux. On n’en revient pas ! Le Maire de
Villepinte a fermé l’Hôpital du même nom pour cause de manque d’hygiène et de
sécurité. Voilà des indicateurs de la misère ambiante !...
Au Grand Magasin La Samaritaine à l’entrée des couloirs
techniques - tout en haut - ce n’est même plus le bilinguisme mais l’anglais
pur et seul. On lit : Do not
enter !
La panique gagne au Lycée. On est débordé par les Elèves et j’ai la
stupeur d’entendre mes Collègues femmes faire état de leur sentiment de
dislocation psychique consécutive à ce que nous vivons. Elles ont affiché des
posters artistiques dans le but conscient de se restructurer et pour ne pas
perdre de vue ce que nous étions. Elles ont même failli installer une belle
espagnole du dix sept ou dix huitième siècle, fardée et chevelue avec un beau
costume féminin. C’était à la fois réconfortant et déchirant….
Conversation inquiétante des Collègues sur Céline qu’ils aiment pour de
mauvaises raisons. En fait ils ne l’ont même pas lu (de même que Jünger). Ils
font l’apologie D’un château l’autre. J’essaie d’en débattre
sérieusement en faisant remarquer que ce livre est illisible, filandreux, mal
construit et tirant à la ligne car manifestement l’Editeur l’attend mais
impossible d’obtenir de l’un ou de l’autre une parole sensée qui aurait montré
qu’il savait de quoi ils parlaient… Ce qu’ils aiment chez cet auteur, c’est
donc le fascisme !
JM Cavada invité à l’émission Thé
ou Café se voit projeter en premier reportage, la ferme où l’Assistance
Publique l’avait placé enfant comme il avait été abandonné. On interroge aussi
son ancien camarade de classe. Il regarde et dit Si vous commencez comme cela, on va finir en larmes et ce n’est pas
très bon pour la santé du public, le matin !
Coup de téléphone d’Anne Marie Alonzo qui du Canada m’annonce la
parution de Ton Nom de végétal. Quand on pense que ce livre a commencé
il y a seize ans pour se terminer il y en a huit et que si ce livre ne
paraissait pas, j’allais mourir !...
Match Nice-Cannes. Le gardien de but de cette dernière s’est vu jeter
dessus des boules de pétanque, des téléphones portables etc… et être envoyé à
l’hôpital avec un traumatisme crânien. La Radio nous précise que c’est fréquent
et je n’en reviens pas ! Doit-on alors admettre qu’est cible tout ce qui
représente un ordre quelconque ou plus simplement qu’on peut viser.
J’ose à peine l’écrire, mais comme l’un des Collègues en Salle des
Professeurs disait s’ennuyer, EE lui a conseillé de me battre et cela
sérieusement. J’ai tenté sans succès d’expliquer que cela était inacceptable et
me suis vengée en bourrant sa boîte à lettres de papier hygiénique.
Le soir au dîner, je constate que je mange directement le gigot et les
poireaux avec les mains, ce que je n’avais pourtant jamais fait, même lors de
la chimiothérapie.
J’ai revu la représentante de la firme Mazenod qui l’an dernier m’a
vendu le livre des reproductions de Delacroix ! Nous avons repris la
conversation. Elle m’a dit qu’un pareil livre nécessitait un investissement
d’un million nouveau et que le seuil de rentabilité était à quatre cents. Elle
m’a dit en vendre un par jour, souvent plusieurs, notamment au personnel
hospitalier qui l’achetait pour la même raison que moi.
Dans le Dixième Arrondissement, un Professeur a été agressé dans sa
Classe à coup de couteau et n’a dû son salut qu’à son portefeuille qui a fait
écran ! Autour de moi - quelles que soient leurs difficultés - mes proches
ne risquent pas comme nous, leur vie.
Les Médias ne font même plus d’articles sur ce sujet alors qu’on est en
train de passer de la délinquance endémique à un commencement de criminalité. Des enfants tuent pour
voler, et les douze ans de prison infligés à un mineur assassin d’épicière
suscitait à la Radio une dénonciation d’une trop grande sévérité. La vie
humaine semble avoir perdue toute valeur et l’idée même d’une interdiction
quelconque paraît inconcevable.
Je lis en ce moment Du fond de l’abîme de Siedman que j’ai fini
par trouver. Il est obscène de dire que j’y trouve des points communs avec ce
que nous vivons, néanmoins cela est ! La famine est remplacée par l’empoisonnement
de l’air, de l’eau, de la nourriture et de la propagande des affiches et des
médias. L’enfermement est remplacé par la destruction des liens et des repères
de toutes sortes livrant la monade isolée à un univers absurde au sens de privé
de sens.
Noël me raconte que lorsqu’il rentre il boit un whisky et se couche, ne
voyant plus la femme avec laquelle il vit que le week-end et encore pas le
samedi matin dit il car il faut qu’il décompresse. Sauf que je ne bois pas
d’alcool depuis plus de quatre ans, c’est aussi ce que je vis. Il dit qu’il est
devenu infréquentable parce qu’il ne peut plus parler que de l’horreur du
Lycée.
Je crois que c’est ce que vivent tous les Collègues Républicains. On
voudrait pouvoir faire autrement, sortir, rêver, se promener, œuvrer, bricoler
etc… mais en fait on ne le peut pas parce qu’on est soumis quatre jours par
semaine à ce qu’il faut bien appeler, une torture qui produit une dégradation
qu’on ne peut enrayer.
A son émission Répliques,
Finkielkraut rend les féministes responsables des émeutes dans
les quartiers, la violence des garçons venant alors de leur difficulté à
s’affirmer…
Les Jeunes ont pratiquement pris le pouvoir au Lycée et la situation
est insurrectionnelle. Dans même temps la Réforme suit son cours et retire les
Professeurs aux bons Elèves pour les affecter aux mauvais…. Les photographies
pornographiques envahissent l’Etablissement, dans les Cahiers de Textes,
affichés sur les murs, passés sous les portes…
Le Corps Enseignant bascule dans une fusion collective d’autodéfense. Je pense que c’est très
précisément hier que la chose s’est produite. C’est lors de l’affaire de
l’ambassade américaine à Téhéran que j’avais observé cette constitution de moi collectif
des otages. J’avais été frappée par le fait que serrés les uns contre
les autres, ils faisaient physiquement masse.
Dimanche 7 Février 1999
Assemblée Générale de l’ARIPA aux Beaux Arts. En plein marasme, j’ai eu
bien du mal à m’y traîner mais le choc esthétique m’a remis en route. Comment
décrire cette beauté si particulière des Beaux Arts, l’un des nombreux palais universitaires qui font de Paris mon Trésor. Un vieil amphithéâtre
- celui de morphologie - vétuste, mal fichu et poussiéreux avec des bancs sans
dossiers horriblement inconfortables surtout pour moi dans l’état où je suis.
Les idées me furent rapidement remises en place. Il y avait au mur à droite une
reproduction de l’Adam de Michel Ange, à gauche une grande peinture classique
de Rubens ou de Vélasquez ou de quelqu’un de ce genre représentant une mise à
mort. Les Elèves assis entre les deux le sont donc entre la vie et la mort. Au
sol trois statues d’hommes vivants si on ose dire. C'est-à-dire ni dans la genèse ni dans le martyre.
L’amphithéâtre était séparé de la chaire (la scène) par une rambarde en
bois plein dans laquelle était pratiquée deux petites portes de circulation.
Tout autour de la chaire, une série de tableaux noirs prédécoupés en petites
unités de taille humaine et le clou, une autre série de tableaux au-dessus sur
une petite passerelle à laquelle on pouvait accéder par deux échelles
métalliques droites du modèle qui servent à monter sur les toits. Tous
portaient en haut et en bas des dessins à la craie. C’était soufflant !
Voyant cela et pensant à mon Lycée, je me suis dis que je travaillais
dans un bantoustan et que l’inégalité sociale était désormais tellement
ossifiée qu’elle relevait en fait de l’apartheid.
L’Assemblée Générale a ensuite complété la Cérémonie. L’Institution
elle-même, son fonctionnement, son contenu, les participants, les idées
débattues et les points de vue échangés complétaient le bâtiment lui-même.
Pourtant tout cela était terriblement français
et ne faisait aucune place aux idées nouvelles, mais au moins on avait affaire
à de la forme et de la beauté, c'est-à-dire à une formosité.
A noter que l’ARIPA traitaient des œuvres d’art mal restaurées comme si
c’était des prisonniers maltraités sur lesquels on s’efforçait quand même de
veiller…
Une bombe incendiaire a été jetée hier soir à Grenoble sur un autobus
qu’elle a complètement détruit. Les gens ont réussi à s’échapper et le
chauffeur est très choqué. Voilà ce que la Radio nous raconte sur un ton
exquis ! Ce genre d’évènements est devenu quotidien mais les épisodes vont
crescendo. Je ne serais pas étonnée d’entendre qu’on a tiré au bazooka sur une
voiture de pompiers. Je suis depuis longtemps convaincue que ce qu’ils veulent
ceux qui font cela, c’est conquérir un TERRITOIRE dans lequel ce qu’ils
appellent LA REPUBLIQUE n’entre plus. Ce sont à leur manière des souverainistes. Au Lycée, ils sont à
deux doigts de la victoire.
Les Agriculteurs ont mis à sac l’ENA et le Ministère de
l’Environnement. Le décalage entre la fermeté des discours du Gouvernement et
son laxisme dans la pratique est écoeurant. Plusieurs villes de province sont
privées de Transports Publics à cause de la réaction des chauffeurs aux
agressions. La nouveauté du jour est en plus du sentiment de déclassement / déqualification,
le sentiment nouveau d’être une paria quasiment condamnée à mort, sentiment
qu’on peut rapprocher de celui qu’on éprouve lors du cancer. Ce sentiment vient
de l’abandon des Autorités qui ne nous portent pas secours et nous donne ainsi
à penser qu’on ne fait pas partie de l’espèce humaine, ou plutôt qu’elle n’est
qu’une fiction. On a tendance à ne plus s’occuper de soi, parce que cela n’a
plus de sens.
Bagarre à la Très Grande Bibliothèque ultra informatisée. Les gens ont
forcé les barrages pour occuper de force les places réservées qui étaient
vides. L’une des deux Employées a eu la clavicule brisée et l’autre enceinte a
perdu son enfant ! Partout c’est la violence des rats qui se battent à
l’intérieur d’un tonneau lorsque le niveau de l’eau qu’il contient, monte.
Un article dans le Journal Le
Monde hier soir sur les Cités
dangereuses dans Paris et en banlieue. Notamment celle de Curial/Cambrai dont
viennent nos Elèves. Le Journaliste dit qu’il faudrait faire sauter les tours.
Je résume notre situation au Lycée : Nous
tentons d’instruire des Elèves dont il est question
de détruire les maisons.
Terrible grippe qui me met au tapis. Je n’ai jamais été si mal depuis
la Chimiothérapie qui a changé ma vie. J’ai même dû manquer le Lycée une
semaine, ce qui n’avait pas dû m’arriver depuis le cancer en 1982. C’est une
sorte de disjoncteur qui a sauté pour soulager une pression insupportable, le
corps se mettant hors circuit d’une vie qui ne le concerne pas.
Néanmoins deux bonnes nouvelles : Mes petites camarades sont en
train d’obtenir la Parité, ce qui n’est pas une mince
victoire même si cela choque mon républicanisme
et que je n’étais pas pour cette méthode. Deuxième succès : une peine de
prison ferme a été infligée à une exciseuse
et aux parents de la petite victime.
Epouvantable arrestation d’Ocalan, Chef Kurde ostensiblement maltraité
avec la complicité générale. Des émeutes kurdes, partout en Europe. Il n’est
plus possible de nier ce conflit porté ainsi au cœur des villes. Ils sont cinq
cent mille en Allemagne.
Hier soir dans l’autobus quatre vingt douze, je m’assoie dans la
rotonde du fond (normalement six places) où était installé tout seul un
adolescent noir. Stupéfaction de l’entendre au terminus me dire comme nous
descendons Merci ! Je n’en suis
pas revenue. Il vit donc un ostracisme suffisamment pénible pour éprouver de la
reconnaissance pour quelque chose qui pour moi allait de soi car je ne me suis
pas installée là pour lui faire plaisir, mais parce qu’il y avait de la place….
En mille neuf cents quatre vingt dix huit, il y a eu huit mille
voitures brûlées. Ceci n’est pas sans rapport avec le trafic de pièces
détachées.
Visite à l’Hôtel Camondo et au Musée Baccarat tous les deux
esthétiquement de mauvais goût, mais dans la famine mentale dans laquelle je me
trouve, mieux vaut le mauvais goût que rien.
J’ai lu dans un articulet d’un journal qu’un cannibale avait mangé une
cuisse de sa victime avec des pâtes et du fromage. Le mauvais goût là, est ce
le fromage ?
A l’émission Staccato, Antoine
Spire et consorts découvraient enfin les
théories fiction américaines et
tentaient d’en débattre pour éclairer ce qui est pour eux une nouveauté. J’ai
inventé les miennes dès mille neuf cents soixante quatorze, sans contact avec
personne ni savoir de quoi il s’agissait. J’en ai appris l’existence reconnue
seulement lorsque j’ai été invitée pour la première fois au Canada en mille
neuf cents quatre vingt deux.
Mais ce qui était intéressant dans leur débat, c’était de voir la pensée française structuraliste et rationaliste
s’emparer de cette idée nouvelle
croyaient ils de l’extérieur pour la rationaliser
et la théoriser. C’était
méconnaissable et en même temps, exactement cela.
Ce qui me fascine dans cet entre deux de la culture franco américaine (la mienne) dans laquelle je
vis depuis mille neuf cents quatre vingt deux, c’est cela. Cette absence de
point de passage avec l’obligation de traduire d’une culture dans l’autre, sans
continuité. L’espèce de cassure permanente dans laquelle on est.
Fermeture de la Librairie des Femmes, là on a vraiment l’impression que
c’est le coup de grâce.
A Villeneuve d’Asq, à la demande d’une société à qui le nom de la rue Gay-Lusssac
dans laquelle elle était installée ne plaisait pas à cause de son sens
d’homosexuel en anglais, le Conseil Municipal a accepté de la rebaptiser. La
firme a choisi Newton ! Bel exemple d’inversion, passer de Gay Lussac à
Newton il faut le faire ! C’est la colonisation.
L’idée terrible que ce déferlement d’images de mort à la Télévision est
sciemment orchestré pour y habituer les gens et la leur faire considérer comme
quelque chose de sans importance… Cela bien évidemment dans la perspective de
leur extermination ! Il s’agirait pour le moment de conditionner les gens
à être tués ! Qu’ils soient tués par des voyous, dans des accidents de
chemin de fer ou des inondations parce que l’ordre social n’a pas été maintenu.
L’essentiel étant qu’il n’y ait pas de révolte contre ces morts qui ne sont
plus naturelles mais des négligences et des désinvoltures parce que cela
coûterait de l’argent pour - selon leur formule - l’éviter. Le retournement
mental étant désormais qu’un humain coûte.
Ce qui est vrai dans la logique de son utilité puisque avec la Révolution
Cybernétique, on n’en a plus besoin. Du moins de la grande masse.
Sauver le monde cela veut dire ne pas contribuer ni
collaborer à sa destruction. En ce qui concerne soi, le laisser SAUF. Cette
idée n’est donc pas si ridicule qu’elle en a l’air de prime abord.
Pas un visage féminin parmi ceux que je croise qui ne relève de la
compassion ! Un vrai massacre !
Vu hier soir à la Télévision un film de Claude Sautet Classe tous risques de mille neuf cents
soixante avec Lino Ventura et Jean Paul Belmondo débutants. Un petit chez
d’œuvre de Sautet avant Sautet et lorsqu’il s’efforçait dans un film policier,
d’imiter le cinéma de Duras et de Robbe-Grillet. On est frappé de voir comme en
ces années là, les gangsters étaient eux-mêmes respectueux de la Morale et des
Bonnes Mœurs. Notamment les deux mioches qu’ils emmènent avec eux dans leur
fuite sont l’objet de toutes leurs attentions pour essayer de leur faire avoir
une vie normale. Lorsqu’on voit aujourd’hui que les enlèvements d’enfants sont
devenus fréquents à l’intérieur des couples séparés, on est sidéré. C’est bien
le cinéma qui permet de se représenter la société.
Ai-je dit tout le bien que je pensais du nouveau roman de Modiano Des
Inconnues qui va aussi loin qu’il est possible dans la dénonciation du néo nazisme
ambiant et de la propension des
hommes ces temps ci à se prendre pour des femmes ? Il dénonce également
les sectes qui enlèvent les gens et va jusqu’à mettre sur une piste précise.
Quant aux trois parties de son livre qui ne sont pas des nouvelles rassemblées
mais des parties articulées de la même œuvre, j’y retrouve ma façon de faire de
Ton Nom de végétal... sans doute pour la même raison qu’il me faudra clarifier
plus tard…
Entre le dévoreur et le dévoré, il n’y a plus ni loi, ni forme,
ni langue et d’une certaine façon même pas d’image au sens où ce qu’on nous
montre ne présente, ne représente ni ne codifie le monde mais est quelque chose
d’autonome et de recomposé dont la fonction est d’occuper le terrain pour
empêcher que quelque chose d’autre s’y tienne. Cet imagiaire - et j’invente
là le terme - interdit aussi bien la réalité que l’imagination.
Comme dans mes premiers livres, j’inventais le troisième terme de la non vie
pour l’opposer comme négation aux deux autres contraires faisant entre eux le couple mort/vie, de même
la soupe médiatique est elle
la négation du couple réalité/imagination.
D’où vient ma superbe liberté d’écriture ? Je l’éprouve une fois
de plus en rédigeant Le Fichu écarlate conte écrit pour ma progéniture
et que j’envisageais un moment de faire publier dans une collection pour
enfant. Mais vingt cinq ans après le début de mon travail littéraire d’adulte,
je constate que ma position n’a pas changé. Quand il s’agit de se censurer pour
être publiée, je fais toujours le choix inverse. Aller jusqu’au bout de mon
oeuvre et me moquer de ne pas être éditée … ou du moins préférer ne pas l’être,
que de l’être au prix de ma mutilation.
Dans le style des événements quotidiens observés sur le terrain avant
d’être confirmés et analysés par les Autorités, j’ai observé cet hiver la
généralisation d’une couverture verdâtre sur les façades et le bitume. Algues,
mousse ou lichens, quelque chose de nouveau qui n’existait pas du tout
auparavant. Je n’ai entendu personne en parler, ni n’ai rien lu concernant ce
sujet…
Je suis accablée de cette chronique que je ne parviens pas à faire
cesser et qui me prend encore un peu plus de mon énergie déjà insuffisante pour
m’assurer une vie normale.
Les liftings du visage se répandent à grande vitesse et comme ils
produisent de l’inexpressivité, cela concourt à l’établissement de
l’homogénéité… Les hommes s’y mettent aussi, ce qui abolit encore un peu plus
la différence des sexes.
Assemblée Générale de mon Association de Poésie. Nous sommes cent
quarante trois adhérents. Un couple d’artistes ukrainiens absolument
bouleversant de vitalité et de générosité. D’après le Président Claude Aslan,
il y aurait au Conseil Général des Yvelines soixante dix personnes mises en
examen ! Cela donne l’ampleur de la situation.
Mon ancienne partenaire de théâtre était là ! Elle a fait comme si
notre contentieux n’existait pas et a tenté par tous les moyens de renouer avec
moi, m’envoyant le jour suivant un bon de souscription pour son dernier livre…
La dentiste m’a dit qu’avec bientôt mes trois couronnes, ma denture -
étant donné mon âge – était supérieure à la moyenne ! J’en ai été soufflée
m’imaginant de fait la seule dégradée et découvrant donc que les autres s’en
cachent, ce que la dentiste m’a confirmé. Comme quoi mes efforts de gestion
dans ce domaine, ont porté leurs fruits. Par ailleurs cet automne mes analyses
biologiques ont fait apparaître sucre zéro et cholestérol zéro ce qui a
enchantée la femme médecin qui m’a dit qu’avec mon poids, c’était inespéré…
Yehudi Menuhin est mort à plus de quatre vingt deux ans. On nous
repasse à la Télévision son dernier interview. Des
images d’archives nous le montrent jouant du violon à tous les âges de sa vie.
On est sidéré de l’entendre enfant joué divinement, c’est le mot. Mais était-ce
la bande originale ?
Au vu ensuite des photographies qui se succèdent, ce qu’on découvre
c’est la force toute spéciale de l’adolescence et de la jeunesse comme une
insurrection qui se lève, puis qui triomphe. Force qu’il n’y a plus chez
l’homme adulte ni chez le vieillard qui parle sereinement de sa vie accomplie.
Qu’en déduire ? En le voyant ainsi représenté, l’idée peut être que ne
sont vraiment bien dans la vie que la jeunesse et la vieillesse lorsqu’elle
peut constater la confirmation des aspirations initiales dans une vie réussie.
Ce qui éclate chez cet homme, c’est la jouissance de jouer. Sans doute
de l’ordre de l’orgasme comme moi lorsque j’écris ou lis mes textes à haute
voix. Mais peut être y a-t-il dans le violon un aspect physique, les vibrations
du bois, les ondes, les énergies quelque chose que la Science ne connaît pas
encore mais qui est. Là je l’ai vu !
Par ailleurs, s’il y a des moments où la Télévision se justifie comme
espace sacré, c’est bien là. La succession des photographies de cet homme
jouant à tous les âges du violon, était une jouissance sans égale. Sans doute
parce qu’il s’agit d’un musicien. Je crois que cela n’aurait pas fonctionné
avec un écrivain se situant d’emblée dans l’éternité et sur qui le temps est sans
prise parce que dès le début il le défie en en acceptant l’oukase.
Il me semble même qu’il y a entre le musicien et l’écrivain une
contradiction, voire une contrairation
- selon mon concept - qui doit être du ressort de l’opéra et qui explique peut
être la rupture brutale qui a eu lieu avec la Compositeure de ma Folle
baisure. Comme si elle n’avait pas su soutenir le parti de la musique comme
je soutiens celui du verbe qu’elle a voulu s’approprier et qu’à cause de cela,
la construction entière s’est effondrée.
J’ai vu à la Comédie Française, Le Révizor de Gogol. Mise en
scène catastrophique, transformant la pièce en farce burlesque dans laquelle le
seul jeu des acteurs consiste à se bousculer, courir, crier, tomber au point
qu’on n’arrive même plus à suivre le texte. On finit par se demander si c’est
fait exprès… dans le contexte général de destruction volontaire, non seulement
de la culture, mais même de la langue. Cette hypothèse doit être fondée car à
l’émission Le masque et la plume on
entendait un critique dénoncer cela à propos d’un autre spectacle, donnant à
penser qu’il s’agit d’une mode. J’ai écrit une lettre de protestation à la
direction en demandant un dédommagement C’est la première fois…
Après-midi à la Comédie Française, d’autant plus pénible que dans le
hall, j’ai rencontré une Collègue Mademoiselle Willems qui était là avec sa
très chère amie et sa filleule et qui m’a agrippée physiquement d’une façon
sauvage, me reprochant comme j’avais eu la jeune fille comme Elève de ne pas
l’avoir su… On aurait dit trois clones…
A noter qu’il est de plus en plus fréquent que les gens portent la main
sur moi. J’ai appris de France Culture qu’à Rome, on ne devait pas toucher les
Citoyens Libres, mais que les Esclaves étaient à la disposition de tous…
Dans une brocante Dimanche, une femme s’est accrochée à mon bras et
comme je lui expliquais qu’elle exagérait, elle s’est moquée de moi comme si
j’étais une chocotte. J’ai été mortifiée, me suis dit que ma réaction était
inadaptée et que j’aurais dû simplement physiquement la secouer…
Cela fait penser à la massification
dont parle Canetti dans Masse et puissance. Les gens ne comprennent même
pas que cela ne doit pas se faire. C’est à la fois terrorisant et préoccupant…
Au Lycée, arrivée vendredi des Aides-Educatrices payées par le Ministère.
Embauchées pour cinq ans dans le cadre des Emplois-Jeunes, elles doivent trente neuf heures
pour un SMIC. Considérées comme nos concurrentes briseuses de statut, nos
Collègues ne veulent pas en entendre parler et envisagent mal que j’ai
pragmatiquement au moins, l’utilisation de celle qui a une maîtrise d’Histoire.
J’ai eu en effet l’idée - après en avoir parlé aux Elèves - de
l’utiliser pour les entraîner à lire ainsi qu’à parler et cela à partir de textes
concernant l’Histoire des Techniques à laquelle, ils ne connaissent absolument
rien, ce qui est bien dommageable pour l’enseignement de mes matières…
Il y a là toute ma méthode de mère de famille habituée à articuler tout
et n’importe quoi pour résoudre les problèmes qui se posent - la plupart du
temps les besoins à satisfaire - et tirer parti des opportunités, différentes à
chaque fois.
Par ailleurs sur le plan syndical, je comprends le point de vue des
Collègues et l’approuve…
Démission forcée de la Commission de Bruxelles convaincue de graves
désordres financiers. Enfin une bonne nouvelle !...
Crémation de ma tante Irène au Funérarium de Gonesse où notre venue
avec mon père a provoqué une gratitude éclatante chez ma cousine et son mari et
montre bien qu’on ne se trompe pas en agissant ainsi.
Traversée laborieuse vers Villetaneuse, mon père ayant à quatre vingt
cinq ans une conduite automobile incertaine, n’obéissant qu’à peine à mes
indications tirées pourtant de la carte routière, me demandant de quelle
couleur était les feux de signalisation et s’arrêtant plusieurs fois pour
uriner en pleine ville… Une équipée sauvage relevant de l’écriture d’une
nouvelle fantastique. Ajoutons qu’on nous avait conseillé d’éviter Garges-Les-Gonesse
à cause des manifestations qui s’y déroulaient et comme l’heure tournait, mon
père appuyait sur le champignon pour que nous puissions arriver dans les
délais. J’avais beau lui expliquer que cela n’avait pas d’importance d’arriver
en retard, il fonçait dangereusement.
Arrivée au Crématorium de Joncherolles, j’ai été terrifiée par les
majestueuses installations cachées derrière un rideau d’arbres au bord d’une
voie de chemin de fer. On ne pouvait pas ne pas penser à Auschwitz, ni éviter
de penser que de telles constructions ainsi agencées relevaient d’un projet
plus vaste.
A l’intérieur les aménagements et la cérémonie elles mêmes étaient
ordonnés afin que la mort soit autant évacuée qu’il était possible, de telle
sorte que ceux qui n’étaient pas en état d’en affronter la réalité n’y soit pas
confrontés.
Ainsi sans doute une sorte d’habitude se prend – t -
elle… risquant à terme de faire le lit du pire…
Hier soir, hallucinant Conseil de Classe des Première Trois au cours
duquel je découvre que la Conseillère Principale d’Education et l’Assistant
Social me trompent et mentent effrontément au Proviseur qui demande des
explications comme je mets sur le tapis la question d’un Elève quasi fou qu’ils
n’ont pas convoqué comme c’est la procédure et comme j’en avais fait la
demande… Ils ont soutenu mordicus que l’Elève ne s’était pas présenté. Mensonge
confirmé le lendemain par l’Elève à qui j’ai raconté toute l’affaire.
On apprend également que sur une Classe de plus de trente élèves arabes
et noirs un seul va à la piscine, les autres le refusant… par pudeur !
Quant aux Délégués des Elèves, deux petits caïds, on découvre avec
stupéfaction qu’ils parlent au Proviseur encore plus mal qu’à nous, dans la
mesure semble t-il où le Chef d’Etablissement leur est encore plus étranger.
Ce nouveau Proviseur Battistella reconnaissant tout de même qu’on
crevait de la situation et passant deux heures et demie à ne pas résoudre les
problèmes, là où son prédécesseur Alexiu ne les résolvait pas non plus, mais en
trois quarts d’heure…
Les Collègues s’étonnent que le Bibliothécaire qui pourtant ne fait pas
grand-chose, réclame les livres qu’ils ne restituent pas spontanément. Dans
leur idée, ces livres sont en train de devenir leur propriété. Je leur ai
conseillé d’aller en acheter car il fallait bien que les Editeurs les publient
et les vendent… Cela ne leur a pas plu du tout ! Je les soupçonne à la
faveur de la débâcle de vouloir se partager la bibliothèque non pas pour la
lire mais pour avoir des textes pour faire leurs cours… De toute façon elle a
déjà été plusieurs fois pillée.
Inversement les Elèves de Première Année de Technicien Supérieur
Comptable se sont pressés contre moi dans l’escalier, parce qu’ils avaient
entendu dire que j’avais écris un livre… Le Professeur de Comptabilité à qui
ils s’en étaient ouverts leur avait dit que c’était très difficile parce que
j’étais quelqu’un de très intelligent (sic) et qu’ils n’avaient rien trouvé
sous mon nom civil. Je leur ai dit comme à chaque fois que ce genre de court circuit
se produit, qu’ils n’avaient pas besoin de me lire puisque mes idées, ils
baignaient déjà dedans pendant mes cours. Je leur ai quand même indiqué mon
recueil de nouvelles et le moyen de le trouver au Salon du Livre… La ferveur
des élèves, leur amour qui désormais n’est plus donné d’emblée mais doit être
conquis, fait quand même chaud au cœur et on ne peut pas, ne pas être glacée de
la différence avec les Collègues.
Pénible Salon du Livre où mon Ton Nom de végétal n’est pas
arrivé pour la signature prévue, qui n’a d’ailleurs même pas été annoncée. Je
dois me contenter de mon recueil de nouvelles Grand Choix de couteaux à
l’intérieur et ne suis pas très heureuse de mesurer ma marginalisation
depuis le Salon de 1990 avec les Editions des Femmes. Cela en dépit de la
présence chaleureuse de deux anciens Elèves d’il y a vingt ans Fuentes et
Bontemps parmi les meilleurs à qui j’ai enseigné, de ma progéniture radieuse et
de la conversation de fond avec Magnon, au sujet de la pensée femme et de l’Œdipe. Il faut dire que la
présentation du Québec en termes folkloriques - dans le style de nos Cousins Bûcherons - ne facilite pas l’ouverture littéraire et que je suis
un peu déçue.
Je téléphone à l’Editrice de Trois qui me demande de faire pression pour
essayer d’arranger les choses… J’y retourne donc le mardi et une conversation
avec Robert Beauchamp, de la Librairie du Québec me soulage et me navre.
J’apprends que Ton Nom de végétal est coincé dans les Entrepôts de
Rungis… avec tous les livres de cette maison d’édition… et quelques autres… Il
me dit aussi que le kiosque du Québec a été organisé par les Français selon le
système de la sous-traitance du Salon du Livre. Il parle des copains et des
coquins et même pire...
Je n’en crois pas mes oreilles. Il me dit aussi qu’ils n’ont pas eu les
dix employés prévus par le contrat, qu’il n’y avait aucun libraire sur le
stand, aucune installation matérielle au moment de l’ouverture du Salon et
qu’ils ont tout fait pour empêcher le libraire de la Librairie du Québec d’y
être. J’ai répercuté le tout à Anne Marie Alonzo, l’Editrice de Trois bien
décidée à porter l’affaire devant les tribunaux. Ce qui me permet de retrouver
la paix.
Heureusement quelques contacts heureux m’ont réconfortée…
Epouvante de la déclaration de Guerre faite par l’OTAN à la Serbie et
des bombardements y compris sur Belgrade. Ils commencent le lendemain même à la
tombée du jour.
Passablement émue j’ai fini par dire après une heure de désordre
péniblement jugulé en Première Trois : L’OTAN
déclare la Guerre à la Serbie et cette connasse bavarde et rigole depuis une
heure… J’ai dit cela comme on dit bien des choses en cours, et souvent des
biens plus terribles dans la pratique quotidienne des Classes.
Mais là c’est devenu une affaire d’Etat dont le Proviseur s’est mêlé en
venant me chercher dans un autre cours pour me demander des comptes. Parmi les
Elèves en rébellion, il y avait deux petits caïds et deux filles à tendance
intégriste radicale, la majorité étant Arabo-Musulmane pour autant qu’on puisse
en juger par le style…
Epouvante au Kosovo que les Serbes vident. Longues cohortes de
centaines de milliers de réfugiés. Cela m’évoque le génocide arménien. Les
Médias parlent des Khmers Rouges…
Lundi soir, Boulevard Magenta comme j’ai voulu acheter le journal Le Monde
au kiosque et que je ne prends jamais celui du dessus, il m’a été tendu par une
femme voilée. Je l’ai refusé et elle m’a dit Vous n’en voulez pas parce que c’est moi qui vous le donne ce qui
était tout de même également vrai. J’ai répondu que je ne prenais jamais celui
du dessus parce que j’avais peur que cela porte malheur (ce que je ne crois pas
vraiment mais qui était une façon de raconter court). En femme des Lumières,
elle m’a expliqué le plus sérieusement du monde, que ce n’était pas vrai.
En fait ce qui me gêne dans l’exemplaire du dessus, c’est que le titre
à l’air libre a déjà été lu par d’autres, alors que celui que je tire d’en
dessous me fait une sorte d’effet de création du monde, une présentification dirais je dans ma
langue intellectuelle.
Sous l’abri bus du quatre vingt quatre à sept heures cinquante cinq,
partant au Lycée de la Gare Routière Champerret, un corps est étendu de tout
son long dans un sac de couchage kaki, la tête reposant sur les habits, chemise
blanche et bleu jean. Pas de bagage. Tout autour tout fonctionne normalement.
Tout le monde fait semblant de ne rien voir..
Envoi à Claire Tréan à la suite de son article paru dans le journal Le Monde,
de mon livre Au présage de la mienne. Dans son texte Kosovo feindre
de découvrir, elle demande Qui se souvient
du visage hagard des morts
de Srebrenica ? Je lui ai donc répondu : Moi ! Du coup j’ai découvert le
sens profond de cet ouvrage, l’effort pour conquérir une autre terre après
avoir été chassé de la sienne. Cet effort n’abouti pas car en fait, c’est de la
planète toute entière que l’homme est expulsé par la machine… Ce sont les flots
de Kosovars qui me le font comprendre…
Jeudi, extravagant effort d’un petit caïd que j’ai fini par mater. Il
s’efforce de me répondre – sans doute sur le conseil de quelqu’un, peut-être de
la surveillante - par un sourire. On voit alors son visage se tordre agité
d’une sorte de convulsion, un affreux rictus grimaçant agite des muscles qui
manifestement n’ont jamais fonctionnés et enfin en bandant toute son énergie,
il parvient à faire le geste qu’il faut : le sourire ! Là aussi j’ai
rencontré le sacré. Sa face était là le reflet du souffle de la divinité. J’ai
été médusée. Je lui ai dit que j’étais très touchée, que je le remerciai et que
je lui en tiendrai compte.
La matière
humaine surnuméraire. Voilà la phrase qui vient en voyant qu’on a enfermé
derrière les barbelés les réfugiés Kosovars coincés entre les Serbes qui les
chassent et les Macédoniens qui ne veulent pas les laisser entrer. Ils n’ont
rien et s’enfoncent dans la boue. Ce n’est même pas un camp de concentration
qui vient de surgir à Blace sur la frontière, mais un non lieu, vide et clos.
Le troisième jour de la décréation,
l’eau et la terre mêlées et l’homme en voie d’abolition. Eux/Nous/ Les Autres
dans des états de destruction
différents, mais au sein du même processus.
Bombardements de Belgrade depuis les bases de l’OTAN situés en
Allemagne. Voilà où nous en sommes. Considérant cela depuis ce que nous fûmes
dans les Années Soixante et Soixante Dix, on est tétanisé!
La découverte à cinquante quatre ans que le goût du pouvoir est majoritaire et c’est le
contraire, l’exception. Horreur de ne les voir, les uns et les autres
qu’occupés de leur bien être personnel ignorant semble-t-il que le vivant est
une masse solidaire et que son souffle est unique. Dieu est un. C’est la façon qu’a le judaïsme de dire la chose.
Cette manière de sans vergogne, pour son confort dévorer l’autre, est-ce ce que
d’aucuns appellent le mal et que je ne comprends toujours
pas ? Je découvre aussi à quel point me fait horreur l’absence de Morale
ou son rejet car c’est en fin de compte la seule chose qu’on puisse opposer à
la Nature monstrueuse du monde. La Morale est le seul viatique de
l’Humanité ! S’en priver laisse sans biscuit…
Le Proviseur a fait installer dans la cour une guérite, cabane en bois
pour que ses enfants puissent jouer et cela sans en référer à l’Intendante.
Quant à l’ancien bureau du Proviseur qu’Alexiu avait abandonné en nous
confisquant une classe pour être lui même plus à l’aise, celui-ci a décidé de
la transformer en chambre d’amis… Précisons que l’appartement de
fonction du Lycée fait quand même déjà à lui seul cent cinquante mètres carrés
et qu’il n’a que deux enfants. Je découvre chez cet homme un goût du pouvoir
que les Proviseurs n’avaient habituellement pas. J’en ai connu une dizaine en
tout… Le précédent ne faisait rien, mais ne maltraitait personne… Celui-ci est
un fanatique. Je redécouvre la formule que j’avais mise au point il y a des
années La Nomenclature veut qu’on pense
comme elle, la Bourgeoisie se contente qu’on fasse semblant.
Conversation à la Cantine la semaine dernière entre une Professeure
d’Anglais et une Emploi Jeune fraîchement arrivée, sur la façon
de faire un mariage blanc pour obtenir la nationalité
américaine. A aucun moment l’idée de fraude n’a été évoquée, même pour la
repousser…
La même Professeur cette semaine, nous explique que la culture française, c’est du pipeau
parce qu’on n’y fait aucune place ni aux Antillais, ni aux Arabes et qu’on y
occulte l’Esclavage des Noirs…
La conversation venant enfin au Lycée sur la Guerre des Balkans, je
mesure à quel point mes Collègues ignorent finalement tout de la Yougoslavie.
J’ai lu dans le journal que le téléphone portable procurerait dans le
cerveau des ondes qui stimuleraient la production d’endorphines. On comprend
mieux alors cet engouement disproportionné avec l’intérêt de la chose…
Hier au Conseil d’Enseignement d’Economie et de Droit, le Proviseur
nous a expliqué que si notre message ne passait pas auprès des Elèves, c’était
parce que nous ne savions pas le mettre en scène et que pour y remédier on
allait nous envoyer un intervenant de la DRAC. En fait de Conseil, on a eu
droit à une demi-heure de rectification
socialiste !
J’ai oublié de dire que le Proviseur nous a par ailleurs confié faire des
cauchemars la nuit sur l’horreur du Lycée et avoir en arrivant trouvé la
situation bien étrange. Comment comprendre alors sa dualité/duplicité.
La Révolution Cybernétique, c’est la mise au centre de la Grande
Machinerie. Comment s’étonner qu’on fasse la guerre aux civils ? J’ai
découvert cette chose brutalement à l’Hôpital en Mille neuf cents quatre vingt
deux et trois, mais ne sachant pas encore comment le nommer dans cette forme,
j’ai écrit Ton Nom de végétal et c’est ce qui explique sa structure en plusieurs
parties. Dans Paradis Fiction, c’est la décréation et dans le Roman,
cette marginalisation qu’on vit actuellement.
Je pense aussi que l’invention du Monothéisme,
c’est la mise au centre du monde de la Création ou de quelque chose qu’il
faudrait approfondir et la marginalisation de ce qu’était auparavant l’harmonie des animistes. Les trois
étapes ayant bien sûr à voir avec les changements du système de la représentation.
A mon tour je dis bonjour désormais aux Chauffeurs de bus après avoir
trouvé cela ridicule chez les autres. C’est que j’ai enfin compris que cela
voulait dire Vous n’avez rien à craindre
de moi…
Dimanche dernier à la Fête de la Poésie organisée par mon Association,
je me suis retrouvée à Aubergenville dans un baraquement préfabriqué derrière
le Hangar des Pompiers, le tout coincé entre la bretelle de l’Autoroute et un
champ de luzerne. Les Enfants des Ecoles participaient au Récital et j’ai été
traumatisée de les découvrir tous blancs, tellement dans ma tête désormais les
Elèves sont nécessairement arabes, noirs ou asiatiques…
Je suis bouleversée par la lecture du Blé en herbe de Colette
dont j’attendais fraîcheur, romantisme, délassement. Or c’est un livre
absolument désespéré sur la nature structurelle des rapports homme/femme !
On n’y trouve même pas l’amour qui peut pourtant n’être pas qu’aliénation et
transcende tout cela. Ceci va dans le sens de la critique américaine qui
considère que la littérature est plus efficace que la sociologie. Je trouve ce
livre autrement plus dur que tous ceux de Simone de Beauvoir réunis et à mettre
dans la même catégorie que l’Ainsi meurt l’amour, la nouvelle de Tolstoï
sur le même sujet.
Ai-je dis que le Proviseur envisageait d’embaucher des vigiles et qu’à
Strasbourg dans un de ses anciens postes, il avait des chiens de garde pour le
Lycée ? Les Collègues ont été absolument estomaqués.
Tous les jours Dix mille Kosovars arrivent en Albanie et en Macédoine,
lesquelles sont submergées. Ils arrivent avec vieillards et enfants, sans
bagages. Un flot ininterrompu. On n’a jamais vu cela : un pays qu’on vide
de ses habitants !
Les Serbes tuant les hommes, les Réfugiés sont principalement des
Femmes et des Enfants. Situation d’autant plus tragique que les Femmes n’ont
pas l’habitude d’être autonomes. Un petit reportage nous a montré à la
Télévision l’une d’elle en larmes qui retrouvait un mari qu’elle croyait mort
et exprimait ce qu’elle éprouvait en disant Mon
mari, c’est ma gloire ! Cela m’a plu ! C’est gloire au sens
hébreu (khabod ou un terme comme
cela) qui signifie la pesanteur et le
sacré. J’ai entendu là un écho de la
façon que j’ai moi-même de vivre la chose.
Achat d’un nouveau réfrigérateur. J’ai eu du mal à me décider tant les
couleurs étaient vulgaires et n’auraient pas déparé le fish and chips d’une banlieue anglaise. Une jeune
femme de ma connaissance parle du rouge
coca et du bleu poubelle qu’il ne
faut pas confondre avec le bleu électricité.
Fabrication de veaux clonés en utilisant le premier lait de la mère qui
contient des cellules vivantes. On en reste pantois, mais en fait c’est plutôt
moins traumatisant que le trafic des gamètes car c’est une voie totalement
différente et il ne peut pas y avoir là de confusion. Il n’y a plus aucun
rapport entre les deux circuits. Quant à Dolly, la brebis clonée, on en
développe un élevage en Nouvelle Zélande avec un gène humain pour leur faire
produire du sang à utiliser dans les produits pharmaceutiques.
Confirmation que les laboratoires américains déposent bien la propriété
des gènes décodés.
Ce matin, dans ma rue, une femme de mon âge, mal habillée, triste,
accablée sous le poids de ses sacs à provisions pleins de légumes, m’a jeté un
coup d’œil de détresse absolue à la vue de mon air qu’elle devait trouver
pimpant. Le printemps radieux, l’air estival rajoutaient encore semble t-il à
son épouvante. Je me suis tournée vers elle lui disant Courage ! Vous savez, c’est très dur pour toutes les femmes en
lui tapant sur l’épaule d’un geste affectueux. J’ai été bouleversée qu’elle se
confonde en remerciements en répétant Merci !
Merci ! C’est bien vrai !
Sur les convocations du BTS, le Français - anciennement littérature puis culture générale - a disparu ! La case
imprimée comprend Anglais, Espagnol, Allemand et autres langues. On a écrit
Français à la main !...
J’ai relu dans Bettelheim que la société totalitaire génère l’ennui, la
perte d’imagination, du désir et du temps. C’est en effet ce que j’observe,
corroboré par ceux avec qui la conversation n’est pas complètement rompue.
Une Collègue ni très maligne ni très cultivée demandait en Salle des
Professeurs pourquoi on n’accorderait pas l’indépendance à la Corse ou à la
Bretagne si quatre vingt pour cent des habitants en exprimaient le désir. C’est
avec un sérieux papal que Bosetti a répondu accompagné par un autre Collègue Parce que la République est une et
indivisible ! On mesure tout ce qui sépare le démocratisme populiste et
la déontologie lettrée. C’était d’une beauté inouïe presque sacrée.
Après le Divan, la Librairie du Palais des Congrès, celle des Femmes,
c’est maintenant celles des PUF de la Place de la Sorbonne qui va fermer. Il
n’est pas vrai que ces pertes sont compensées par des ouvertures ailleurs.
Vendredi après-midi suppression des cours et remplacement par une
séance de guignol que la DRAC nous a facturé quatorze mille francs. C’est
honteux et bouleversant de voir les Collègues marcher ainsi au pas…
Je croise dans la rue du Lycée, l’Intendante en larmes après s’être
violemment disputée avec le Censeur. Le Proviseur a fermé les Salles de Travail
après avoir apposé une affiche extrêmement dure, dénonçant la situation.
Je perçois maintenant les Elèves comme des choses, moi-même aussi
d’ailleurs, et même depuis plus longtemps. J’ai beau me dire intellectuellement
que ce n’est pas vrai rien n’y fait, la perception persiste. L’expression se faire jeter qui jusque là n’était
qu’une métaphore perd sa distance pour se rétrécir dans un à plat de sens
strict plus tout à fait figuré. Dans la partie la plus primitive de moi, il
s’agit bien en effet de se débarrasser de CA.
Je suis effarée de ce que j’éprouve là, mais il faut bien l’écrire si
je veux que cette chronique soit le témoignage de notre destruction. D’ailleurs
depuis une semaine, c’est sur ce thème que conversent les Professeurs
Républicains. Il s’agit de redîmer l’humiliation permanente. A commencer par le fauteuil signe de la majesté
professorale qu’on doit aller chercher au fond de la classe… et reprendre à un
Elève.
Après la fermeture des prétendues Salles de Travail transformées de
fait en caravansérail, les Elèves
n’ont plus du tout d’endroit où aller en dehors des heures de cours. J’avais
pourtant attiré l’attention de l’Administration, lorsqu’elle avait décidé de
construire dans l’immense préau couvert et fermé qui servait auparavant aux
Jeunes de Salle des Pas Perdus… On y a construit une superbe Bibliothèque qui a
coûté quatre vingt millions anciens et dans laquelle ils ne se rendent pas
parce qu’ils n’en n’ont pas l’usage, les deux dites Salles de Travail, une
salle de prestige pour la réunion du Conseil d’Administration, et deux bureaux
pour l’Assistante Sociale et la Conseillère d’Orientation qui elles même ne
viennent qu’une fois par semaine et encore….
L’espace qui était celui des Elèves leur a donc été confisqué pour
rien. Ils se tiennent maintenant dans le seul endroit qui reste avec la cour et
les couloirs, à savoir le hall transformé de ce fait en porcherie et devenu à
son tour un lieu de chaos, de cris et de bousculades comme tout le reste de
l’établissement. Or on est obligé de le traverser pour aller à la Cantine.
J’ai ainsi dû attraper à bras le corps un de mes anciens Elèves - voyou
à l’allure de souteneur- refermer sur lui mes bras et l’expédier valdinguer de
l’autre côté, puisqu’il est acquis qu’en aucun cas ils ne nous cèdent la place,
même si on leur dit Pardon ! Ce
qui ne signifie rien pour eux. Je m’attendais donc à la bagarre que j’avais
malencontreusement déclenchée, lorsque j’ai eu la surprise de l’entendre me
féliciter d’un Madame … – mon nom
civil - vous en avez de la force qui
m’a sidérée. Cette adaptation me navre !
Mercredi plusieurs Professeurs Républicains sont restés dans la Salle
des Professeurs, sans autre nécessité que de se reconstituer ensemble une image
d’eux-mêmes. Jeudi également où on entendit des propos extrêmes. L’un exprima
qu’il n’y avait que deux moyens de faire taire les Elèves : Le tampon imbibé dans la bouche ou le
gourdin. L’autre proposant qu’on les
mette dans la cour et qu’on les arrose de temps en temps et moi-même disant
qu’on a affaire à des choses. Sans
que quiconque des présents disent le contraire.
Tous ces propos étant bien sûr destinés à restaurer nos ego mis à mal par la colère rentrée
elle-même générée par les mauvais traitements que nous ne cessons de subir.
Ajoutons à la Cantine, les mains baladeuses d’un ancien Collègue revenu
faire passer les examens et que j’ai dû rembarrer à coups de poing ! Il
m’avait déjà lorsqu’il était au Lycée, quelques saisons auparavant, carrément
sexuellement agressée dans le vestiaire de la Salle des Professeurs en me
plongeant les mains dans le soutien gorge pour me malaxer les seins !
Lundi de Pentecôte
Sur le parvis de l’église Saint Ambroise, vers quatorze heures un jeune
déculotté est accroupi et défèque tranquillement.
L’Assistance Sociale ne veut plus rester dans l’Etablissement dans
lequel elle ne vient qu’une fois par semaine. Sur les soixante Collègues,
j’apprends que seulement trois – dont moi - lui ont signalé un Elève en
difficulté. Je découvre également que les Elèves qui n’ont pas de papiers, les
obtiennent automatiquement et crois voir là une des raisons pour lesquels on ne
peut renvoyer personne, étant peu ou prou considéré comme un centre
d’insertion…
Force est de constater, que quand bien même il n’y a aucun conflit - et
en dehors des problèmes pédagogiques de fond - les Elèves restent dans la cour
sans venir en classe. Les croisant dans le hall je me contente de leur
dire : Vous avez complètement perdu
la tête. Avec un autre Collègue la situation sera différente mais la désertion
aura lieu à un autre moment…
Le Censeur informée n’a rien trouvé à dire d’autre que le séchage des cours par les Première Trois
n’était pas vraiment une nouvelle nouvelle. C’est ainsi que j’ai appris que
cela arrivait souvent à mes Collègues qui pourtant ne s’en vantent pas… Et en
bonne gestionnaire elle m’a informée qu’on venait de mettre les livrets des
Elèves dans la Salle des Professeurs et que je n’avais qu’à les faire pour -
selon sa formule - m’avancer dans mon travail. Ce que j’ai en effet
opportunément réalisé.
On a affaire désormais à des effets sans cause parfaitement
déstabilisant. Il n’y a même plus de conflits réactionnels. J’analyse cela
comme une revendication de supprimer la précédence et d’être dans une sorte de
fantasme d’auto-engendrement. J’ai réagi à la séquence suivante en les prenant en
Classe mais sans faire cours. Ils ont été décontenancés comme devant un poste
de Télévision en panne que personne ne venait réparer… J’ai ainsi pu me
reconstituer en m’affirmant de nouveau comme sujet !...
J’ai eu l’étonnement de constater le vigoureux soutien de mes Collègues
qui trouvaient mon attitude très bien et courageuse. Comme Line disait sa honte
d’être Professeur, que tout le monde faisait chorus pour combattre ce sentiment
en se plaçant plutôt en victime objective, elle me demanda si moi-même j’avais
honte. Je lui ai répondu que Non !.
C’est alors que Bosetti a ajouté à mon sujet Elle ne peut pas avoir honte, elle fait de la Résistance et moi de la
Collaboration. J’ai été très heureuse de ce propos. Notre profonde amitié
depuis vingt cinq ans transcendant le clivage politique et reposant sur notre
commune nécessité affective, notre effort d’intégration sans grand succès et
notre fonction de bouffons lui pour la question sociale et moi pour la
métaphysique.
Un orage terrible ! Le ciel s’est obscurci Dimanche à faire
craindre à la tombée brutale de la nuit vers dix heures du matin. On comprend
que sans explications, nos ancêtres aient pu croire à des prodiges et à des
signes célestes. La peur m’a prise. Une tempête de pluie comparable à celle de
la tempête tropicale essuyée aux Antilles en 1970. On finit par admettre que
cette dernière était pire mais auparavant on a comparé. L’électricité a sauté
et le linge est resté coincé dans la machine. Mais cette panne là contrairement
aux précédentes a duré une trentaine d’heures et les surgelés ont dégelés. La
station Alma-Marceau était fermée pour cause d’inondation. Du jamais vu !
Réunion amicale des habitants de l’immeuble, à l’initiative de la
Mairie. La conversation roule sur les congélateurs dégelés et les antagonismes
apparaissent dans la façon de poser les problèmes et d’en envisager les
solutions.
Au Lycée, la secrétaire vient me chercher pour me conduire chez le
Proviseur qui exige que je reprenne les cours tandis qu’il se dispute au
téléphone avec son épouse qui lui raccroche au nez.
J’obtiens de ne le faire qu’après avoir obtenu une lettre d’excuses
auquel il demande de faire rajouter un couplet sur la notion d’emploi du temps…
Il me dit avoir reçu des lettres de parents contestant un zéro que j’ai mis à
un Elève pour un devoir non rendu et il me précise que ce sera interdit par le
Règlement Intérieur, réservant cette sanction aux devoirs…non remplacés !...
J’accepte donc de demander cette lettre
d’excuses à la dizaine d’Elèves qui
persistent à se présenter au cours que j’ai supprimé… Il s’en suit des
tentatives d’explications alambiquées. Les Elèves se justifient du fait que
l’Administration est incapable de dire si les Professeurs font leurs cours ou
non !
Ce qui me paraît tragiquement exact car matériellement le bâtiment
me parait plus souvent vide qu’à son tour. Je m’étais même une fois retrouvée
toute seule avec la Concierge et les Elèves. La conversation s’envenime. A bout
d’argument je leur jette à la figure ma vie d’écrivain.
Là-dessus deux bons Elèves se lèvent et s’empoignent dans la plus
terrible bagarre à laquelle j’ai jamais assistée. J’ai crû qu’ils allaient
s’étrangler, j’ai ouvert la porte pour appeler au secours mais leurs camarades
ont réussi à les séparer… L’un d’eux s’enfuit.
Je vais chez le Proviseur lui répercuter les conséquences désastreuses
de son initiative et obtient du bout des lèvres qu’il me laisse supprimer les
deux autres heures que j’aurais eu avec cette Classe. C’est tout de même ma
victoire contre lui et contre les Elèves qui ne sont pas revenus…
Si on ajoute qu’il n’y avait pas de transports à cause de la grève
consécutive au meurtre d’un conducteur et que j’ai dû aller au Lycée en
auto-stop avec mon petit panneau Gare du
Nord. on mesure l’absurdité de ma situation. Je
fais des pieds et des mains pour atteindre un lieu où mon travail est
impossible… Je pense aux vers d’Aragon : Sa vie elle ressemble à ces soldats sans armes/ Qu’on avait habillés
pour un autre destin/ A quoi peut leur servir de se lever matin/ Eux qu’on
retrouve au soir désoeuvrés incertains…
Le soir au Conseil de Classe, ils passent tous en Première puisque
grâce à Lionel Jospin, c’est la loi. Ainsi fabrique t-on une horde d’Elèves
illettrés, asociaux, de plus en plus féroces et offensifs au fur et à mesure
qu’ils prennent conscience qu’ils sont condamnés par leur asocialité même…
On me donne de plus en plus souvent une place assise dans les autobus
et déjà l’an dernier une jeune femme avait voulu m’aider à descendre les
escaliers de la Poste Wagram. Je suis émue et surprise de voir une jeune
Collègue avoir pour moi les attentions que j’avais moi-même pour nos Collègues
vieillissants.
Après celui de la vache folle éclate ces jours ci le scandale des aliments qui sont très
nombreux à être contaminés à la dioxine. Ce que je sais depuis longtemps, grâce
à mes lectures et à mon expérience. En fait c’est toute la chaîne alimentaire
qui est atteinte. Quant au surgissement du vocable : produits dérivés pour parler des gâteaux, biscuits, crèmes, œufs
etc… ils sont eux-mêmes décalqués du vocabulaire des marchés financiers….
On apprend que les farines animales comportent des huiles de vidange…
Cela m’évoque les sacs alimentaires vus dans la Bray sur lesquels étaient
imprimés la curieuse mention Produits de
nutrition…A quand la simple paire de lèvres pour indiquer que cela se
mange ?…. Et encore façon de parler puisque cela tue ! Un animateur
radio nous explique tranquillement que s’il fallait se débarrasser des
carcasses animales autrement que dans la nourriture, cela coûterait plus cher…
Donc justifie avec la rationalité capitaliste, le pire choix !
Le Canard Enchaîné publie un rapport de la Direction des
fraudes concernant les farines animales dans lequel il appert qu’on y met en
plus de tout ce qu’on a déjà dénoncé - comme les carcasses d’animaux morts
éventuellement de maladies - les boues des stations d’épuration, les eaux de
lavage des camions et bâtiments ainsi que le produit des latrines… On en est
confondu ! On se dit que cela renvoie à des fantasmes néonazis
Samedi dernier à la petite sauterie organisée par les Cahiers du Détour pour la parution de
leur numéro annuel dans lequel j’avais publié un texte, j’ai rencontré Guy
Noden qui en avait un également et nous avons sympathisé en parlant de la
Guerre d’Algérie. Je lui ai raconté comme adolescente j’avais fait plusieurs
séjours à l’infirmerie du Lycée Hélène Boucher occupée à seulement déchirer des
mouchoirs, symptôme incompréhensible mais décodé par la suite comme la
fabrication de charpie. Je lui ai dit à quel point cette guerre m’avait rendue
malade par ses mensonges et ses dénis de la torture. Je parviens à lui faire
dire sans trop de difficultés ce qu’il en a été de ses activités à lui pendant
cette guerre.
J’ai fini par lui faire remarquer que j’avais moi aussi dans ce numéro
là du Cahiers du Détour un texte car
nous avions eu toute cette conversation sans que je lui ai annoncé être
écrivain. Je lui montre alors le texte publiée dans la revue Au commencement
la nuit (la brume) flottait déjà dans le vallon. Il éclate de rire et
m’explique qu’il est éducateur à la Prison de la Santé et qu’il a la veille,
fait étudier mon poème par les Prisonniers.
C’est ce que j’appelle Ma vie
dans la main de l’Ange pour nommer ces grâces qui surviennent de façon
aléatoire et compensent les horreurs de ma vie, me permettant en fin de compte
de les surmonter... Il me raconte ce qu’en ont dit les prisonniers qui ont
choisi ce texte là parmi plusieurs autres proposés. Les commentaires ont
tournés autour de l’idée de l’enracinement de l’auteure dans un coin de
campagne déterminée (qu’ils ont cru être la Vendée), de l’innocence du nouveau
né et de la dureté de la vie qui s’abat sur nous avec pour finir la nostalgie
des aubépines. Une première lecture ayant eu lieu pour la compréhension et une
seconde pour y mettre le ton…
Je suis étonnée dans cette histoire de voir qu’ils ont pris le logiciel et l’électricité comme des éléments négatifs alors qu’ils sont pour
moi, l’accomplissement technique de l’ingénierie humaine, les pivoines et les roses
symbolisant l’état intermédiaire de la culture. Je suis également surprise que
ce poème ait pu inspirer des Prisonniers… Mais c’est peut-être parce qu’il
racine lui-même dans mon propre sentiment d’enfermement.
Je tombe toujours des nues de voir à quel point les gens peuvent se
reconnaître dans ma littérature et combien ce que je crois particulier, est en
fait général. Il y a là pour moi un mystère, sans doute celui de la langue, comme âme littéraire.
Dans le petit spectacle fait ensuite à partir des textes par l’Atelier
Théâtral annexe du complexe ACERMA qui publie la revue en question, j’ai été
étonnée de retrouvée mon texte dans une interprétation très naïve qui n’était
aucunement la mienne. Mais le chœur inventé à la fin - en ajoutant en écho les
téléphones portables et les hélicoptères - m’a réjoui car c’était là une vraie
trouvaille…
Je suis allée à reculons au Marché de la Poésie et n’ai pas été déçue
lorsque j’y ai vu la Compositrice de mon opéra vendre – ce que j’avais interdit
par lettre recommandée avec accusé de réception - le disque de mes poèmes
qu’elle a mis en musique. Je suis immédiatement allée pour déposer plainte au
Commissariat de Police au coin de la Mairie du Sixième. Il m’a renvoyé à celui
de la rue Jean Bart qui m’a lui-même dit d’écrire directement au Procureur de
la République qui me convoquerait.
Pour le flagrant délit c’était raté ! J’ai donc proposé de faire
faire un constat d’huissier ce que le policier lui-même a trouvé parfait. J’ai
consulté la liste affichée dans le Commissariat et ai été voir Madame B
laquelle m’a informée que je devais d’abord prouver mon lien avec l’affaire.
J’ai fait un aller retour en taxi pour aller chercher chez moi le dossier et me
suis félicitée d’avoir mes papiers bien en ordre. Je suis retournée à son étude
quelques minutes avant la fermeture.
Hier je retourne au Marché de la Poésie avec tous les incidents et les
difficultés habituelles car je suis bien incapable de mentir ni même de faire
semblant, même si cela pourrait favoriser la simple réalisation de mes
objectifs. J’ai la joie d’y rencontrer ma sœur à qui je fais lire le poème paru
dans la revue Midi N°7 concernant
notre mère. Je lui donne également une affiche correspondante sur laquelle il y
a ma photographie à l’âge de cinq ans à Luchon où nous étions ensemble.
Consultant de ci de là les différents ouvrages, je suis effarée par
l’absence de qualité des textes publiés à coups de subventions. La médiocrité
du style et la quantité de fautes de grammaire les rendent pratiquement
illisibles.
J’y fais la connaissance de Mme Favretto Editrice de l’Atelier de
l’Agneau qui me trouve sympathique et me propose d’éditer une plaquette d’une
quarantaine de pages.
Egalement stimulée par une conversation sur la beauté avec Gabriel
Lalonde je reprends le texte issu de l’agenda La beauté aujourd’hui que je considérai comme
virtuellement abandonné et j’en achève dans la foulée la troisième version.
J’en modifie le titre au profit de La Formosité.
A la Maison des Examens à Arcueil nous sommes traités comme des chiens,
l’Inspectrice exigeant même de contrôler nos airs de scepticisme concernant le sujet à corriger et le barème appliquée
aux copies. Comme je lui demande ce que nous devons faire si les notes sont
trop basses, elle soutient que cela ne peut pas se produire et comme je suis
présidente adjointe du jury donc à ce titre présente à cette réunion de
coordination, elle m’explique que je devrais alors faire pression sur les
Collègues…. pour qu’ils appliquent effectivement le barème… lequel empêche
d’attribuer des notes basses parce qu’il a été établi sur un échantillon de
trois cents copies qui ont produit une moyenne de huit.
Je proteste que c’est absurde et anti-scientifique, mais en moi-même je
découvre la parfaite application du proverbe allemand que m’a transmis Fleck Ce qui ne doit pas être, ne peut pas être (à
moins que ce soit l’inverse) mais pour cette idée là, cela revient au même…
C’est la quintessence du régime en place qui n’est peut être finalement que
celui du socialisme réel la négation de la réalité
lorsqu’elle ne correspond pas à leur fantasme.
Cérémonie de fin d’année au Lycée. Une nuée d’enfants dont on a
l’impression qu’ils sont à la mode. La fille du Proviseur se rue vers moi en
disant Vous avez une belle jupe Madame.
Ce qui d’ailleurs était vrai puisque c’était ma jupe blanche en dentelle. Le
Proviseur commentant Elle est
nature ! J’ai ajouté C’est pour
cela qu’elle est venue me voir, elle ne s’est pas trompée.
Au Lycée de Courbevoie où je corrige, on nous demande de rentrer
travailler chez nous, ce qui est contraire à la consigne. Les copies restent
classées comme pendant l’épreuve et elles ne sont de fait pas anonymes. La
Présidente me dit qu’il n’est pas question d’harmonisation.
Bernard Kouchner est nommé Gouverneur du Kosovo, le premier état généré
par l’ONU. C’est en fait le Proconsul d’un impérialisme américain triomphant.
On ne sait plus quoi penser de cet ordre qui s’impose de plus en plus
communautaire au sens de la cantonisation
homogène.
J’ai réalisé ces jours ci que la notion de nationalité n’avait plus
aucun sens dans un monde dans lequel les Etats étaient destitués. C’est
seulement aujourd’hui que je comprends enfin le Corps Politique (Body Politic) que Jennifer tentait de
m’expliquer il y a dix ans. Un corps de loi s’appliquant à un groupe de personnes. Je ne pouvais pas le
concevoir, pensant dans un système où la loi s’applique à tout le monde sur un
territoire. Le Corps Politique, c’est le système communautaire des lois s’appliquant par catégorie physique. C’est en fait ce qui permet la
discrimination par rapport à notre système
républicain et c’est pourquoi je ne
pouvais pas le comprendre, mais en voyant ce nouveau système s’imposer, je peux
me le représenter.
Réception obscène du prétendu livret tel que l’a conçu la compositrice
de l’Opéra. A soi seul cet objet matériel relève du precium doloris.
J’ai consulté une avocate pour lui confier l’affaire. J’ai trouvé au
Palais de Justice son adresse dans la liste des quatorze mille avocats
installés à Paris dont deux cents quarante spécialisés dans les droits
d’auteur. J’avais sélectionné les Femmes habitant le quartier… Je suis allée la
rencontrer dans son cabinet que j’ai alors découvert spécialisée dans les affaires européennes et la propriété
industrielle, ce qui m’a paru
parfaitement tourné vers le futur comme je le comprenais. Elle a accepté d’être
associée aux résultats, ce qui avait scandalisée la Conseillère précédemment
consultée à la Mairie sur le même sujet !
Jury de Baccalauréat : Je suis Vice Présidente du Jury et j’ai déjà
constaté des irrégularités dans les corrections de l’écrit. Mais lorsque
j’apprends que la Présidente qui jusque là était absente ne viendra pas non
plus à l’oral et que c’est à moi de prendre effectivement le commandement, je
suis bien obligée d’assumer.
Comme j’ai détecté de nouvelles anomalies dans la procédure suivie,
pour me couvrir je demande à la Chef de Centre qu’on me fournisse le Règlement
de l’Examen. Mais comme on ne peut pas le faire, je refuse la fonction au motif
que les Elèves font de plus en plus de procès, ce qui d’ailleurs est
vrai ! Je déroule tout un argumentaire sur le thème que je ne veux pas me
retrouver au Tribunal Correctionnel, ce qui serait un déshonneur etc…
Les Collègues trouvent qu’on perd du temps et sont furieux que je ne
veuille pas embrayer. Une cabbale se forme pour me ridiculiser. On appelle au
téléphone la Maison des Examens qui finalement nomme une autre présidente. On
me dit de rester, que je demeure Vice Présidente et que je n’ai pas
d’inquiétude à avoir car seul le Président de Jury est responsable pénalement.
Comme quoi je n’avais pas rêvé le problème.
Finalement deux jeunettes qui n’auraient jamais l’occasion d’être
présidente autrement, prennent les commandes en frétillant. Vers quatorze
heures trente, se pose la question du caractère
éliminatoire du zéro au sujet duquel
personne ne connaît la réponse juridique, mais que mes Collègues balaient d’un
revers de manche comme sans importance…
Finalement, on finit pas obtenir le Règlement
qu’on avait refusé de me fournir à neuf heures du matin, ce qui avait déclenché
mon retrait. J’exulte et rage en même temps, me livrant une fois de plus à ma
parole politique prophétique. La délibération a duré cinq heures, entassés à
vingt cinq dans une salle trop petite. Temps passé à vérifier des chiffres et
des copies…
Une fraude est découverte à mon initiative parce que le candidat
n’avait pas présenté de photographie avec sa pièce d’identité mais plutôt une
simple déclaration de perte de ses papiers… De fil en aiguille… On recherche
les copies de l’écrit et il faut bien en convenir en comparant les écritures,
le devoir de mathématiques a été rédigé par un autre ainsi qu’à l’oral j’ai
interrogé un autrui différent du candidat. Ayant de mes yeux
vu cela, j’en suis traumatisée…
Il est vrai que la circulaire des injonctions nous mettait bien en
garde contre les substitutions d’identité mais j’avais du mal à y croire, or là
je la vois ! Le jeune monte sur ses grands chevaux et on n’est pas trop de
quatre pour le juguler. Il fait venir quatre ou cinq copains à la rescousse.
Après avoir tout fait pour étouffer l’affaire, la Proviseure fait évacuer tout
le monde et fermer les grilles du Lycée. La confusion est à l’extrême sur le
parti à prendre car on se trouve dans une situation inédite. La bouffonnerie le
dispute à l’odieux.
Finalement le climat s’est amélioré hier soir dans la mesure où les
autres membres du Jury se sont rendus compte que ce que je disais était non
seulement vrai mais nécessaire et faisait apparaître autrement mon incartade
généralisée. Je les vois alors - avec une satisfaction ambiguë - être aux
petits soins pour moi, me servir et trembler…
L’après-midi on fait un rapport au Centre des Examens qui ne manquera
certainement pas de le mettre à la corbeille sitôt qu’il l’aura reçu. Mais ce
qui m’importe c’est qu’on le signe et que j’en emporte photocopie. Je ne
l’obtiens pas sans mal et je vois la peur changer de camp. Je me paie le luxe
de sortir le Code Pénal de mon sac - précaution que j’ai prise pour la première
fois, le matin même - et de faire la lecture de l’article correspondant à la fraude aux examens. On encourt
trois ans de prison et soixante mille francs d’amende, les complices tout
autant.
Pour finir je fais un petit discours aux Secrétaires plutôt défaitistes
pour tenter de leur redonner confiance dans la Justice. Je vais jusqu’à leur
dire Nous ne vous abandonnons pas !
Je ne leur dis pas que ce NOUS recouvre les Républicains mais je leur fais pour
finir le V de la Victoire.
J’envoie une lettre au Procureur de la République de Nanterre pour
l’informer de tout cela, et comprends qu’il s’agit de savoir si on est prêt à
prendre des risques pour lutter au sens large, contre la Mafia. Je m’efforce de
ne pas trop penser aux représailles éventuelles que j’encours. Je n’attends
aucun soutien de mon Ministère et m’apprête plutôt à supporter stoïquement les
ennuis. J’ai néanmoins en même temps, l’impression de retrouver une dignité professorale perdue, non
contre l’Elève fraudeur, mais contre l’Education Nationale qui m’a laissée
piétinée sans me défendre, depuis des années.
Vendredi dernier je suis allée à une conférence à la Faculté de Droit
sur l’unicité de la Shoah. J’attendais des outils juridiques techniques. Quelle
surprise d’entendre pendant une heure et quart un vieux ponte dire que la
Shoah s’expliquait par l’œuvre du Démon ! Je n’en
suis pas revenue… Il notait tout de même que la particularité en était le
caractère industriel… Je suis partie sans attendre la fin prévue dans la
soirée.
Sinistre 13 Juillet au soir. En dépit de nos efforts, pas un
seul endroit où trouver un bal populaire ou une manifestation patriotique. Un
orchestre industriel attendait vingt deux heures à la Bastille mais les
passants ne manifestaient aucune velléité d’occuper le pavé. Démoralisés, on
s’est rabattu pour dîner chez Léon !
Le lendemain, le défilé était ouvert par la Garde Royale marocaine qui
scandait Dieu, la patrie et le Roi !
Hassan II était assis à la tribune officielle à côté de Chirac. Seuls ici ont
protesté le journal l’Humanité et La ligue
des Droits de l’Homme.
Dans la Quinzaine Littéraire outre un article incendiaire
contre la Grande Bibliothèque qui dit ce que je dénonce depuis longtemps - à
savoir qu’elle a été voulue pour ne pas fonctionner -
on apprend qu’un philosophe italien - dont je n’ai pas retenu le nom - traite
du Corps Politique comme moyen
d’éliminer une partie de la population…
Conversation impossible avec mon gestionnaire d’Internet qui me réclame
des sommes incompréhensibles et me donne des consignes qui ne font pas sens… On
a l’impression de perdre pied dans les problèmes techniques.
Au Moulin d’Andé pour accompagner en voiture Anne Barth qui ne pouvait
pas s’y rendre autrement et voulait retourner sur les lieux de sa jeunesse. Centre subventionné d’aide à la
création cinématographique - dans un lieu enchanteur - les gens étaient tout
à fait dans la ligne. J’ai appris que le Ministère de la Culture envisageait
d’institutionnaliser ainsi des Centres
de Référence qui monopoliseraient peu à peu toutes les subventions et
deviendraient de véritables Sovkhozes
de la Culture directement
financés par l’Etat. Et qu’il y en avait déjà huit en fonctionnement dans cette
perspective de rationalisation culturelle.
Cela a été pour moi un traumatisme comme à chaque fois que je découvre
que le totalitarisme est plus avancé que ne l’imaginent mes pires analyses. En
tant que Québécoise, l’accueil qu’on fit à la visiteuse n’a pas été chaleureux,
c’est le moins qu’on puisse dire.
Vu Place de la Bourse, un immeuble entier squattés par des Artistes,
avec sur la façade de grandes banderoles peintes.
Internet : l’électrification des cerveaux : Mêmes causes,
mêmes conséquences.
En achetant Les Cahiers du Cinéma
et en découvrant le supplément sur Histoires
du Cinéma de Jean Luc Godard, je me suis fait cette réflexion : On se tuerait pour voir ces films là !
Aux Puces de Saint-Affrique, voyant le panneau annonçant Deux cents francs les six chaises, un
type commente A ce prix là, ça ne vaut
plus coup de rester debout ! Dada pas mort !
Attaque hier à la sortie de Millau du Mac Donald’s en construction au
pied de la Route du Larzac par une centaine de personnes et quatre tracteurs.
Le chantier a – selon les termes des organisateurs - été démonté et les matériaux récoltés portés devant la Sous Préfecture.
La construction a été bombée d’inscription Bœufs
aux hormones NON ! Poulet dioxine NON ! Mac Do GO HOME ! Et
sur le toit une grande inscription à la peinture MAC DO DE FORA, GARDAREM
ROQUEFORT.
Cette action visant la protestation contre les Etats-Unis qui ont
augmenté de cent pour cent les taxes sur l’importation de ce fromage, en
représailles au refus de l’Union Européenne de laisser entrer leur bœuf aux
hormones et s’implanter l’alimentation industrielle américaine.
Lors de cette expédition, les menaces contre l’Etat Français étaient
pratiquement les mêmes que celles faites aux Américains. L’Etat Français était
dans la ligne de mire au cas où il ne resterait pas neutre dans ce conflit qui
opposait Roquefort aux Américains !...
De toute façon depuis un quart de siècle que nous fréquentons la
région, nous l’avons vue se reconstituer en proportion de la nécrose
parisienne. On pense à l’assassinat du Préfet Erignac et on ne se dit que tout
est possible. Le Midi Rouge n’est pas un vain mot. A les voir ainsi déchaînés,
on pensait aussi aux Jacqueries. Les
voyant vider le chantier et évacuer les matériaux on était frappé par leur
familiarité avec la pesanteur terrienne et l’habitude de manier non seulement
les tracteurs mais les tronçonneuses pour débiter les panneaux, et toutes les
espèces de matériaux employés à pleines mains. On voyait bien qu’ils avaient
l’habitude de se colleter avec la Nature. Impensable à Paris, cette action
paraissait là presque naturelle, d’autant plus qu’elle avait déjà été précédée
quelques années auparavant par la victoire sur le projet d’extension du Camp
Militaire du Larzac.
Le tout accompagné d’un bruit d’Enfer qui n’était pas le même devant le
Mac Do (le ti ti ti ti ta ta bien connu) que durant le déplacement vers la Sous
Préfecture, alors qu’à cet endroit ce fut le roulement d’exécution, un boucan
comme je n’en avais jamais entendu, mais qui devait être celui que jouaient les
tambours pendant les batailles pour encourager les soldats. Le ti ti ti ti ta
ta de devant le Mac Do étant plutôt le simple appel à la marche (Et l’indicatif
de Radio-Londres et de la Résistance)
J’ai vu Rue Saint Maur dans le Onzième un drapeau rouge tranquillement
installé à une fenêtre et ce n’était pas une serviette qui séchait. Je n’en ai
pas cru mes yeux…
J’ai lu dans les Mémoires d’Elie Wiesel qu’il pensait que si le mal
contaminait tout aujourd’hui, c’était parce que les bons n’avaient pas assez la
fierté de leur bonté. Cela me parait vrai et rejoindre cette idée du culot des pervers que je ne
constate que trop.
Suite à l’affaire de Mac Do, quatre Agriculteurs et un responsable
associatif sont en garde à vue.
Les quatre Agriculteurs sont désormais écroués et le responsable
associatif José Bové – basé à Montredon - dans la nature. Nous sommes tout de
même étonnés d’une réaction aussi dure alors que dans le pays les mises à sac
sont quotidiennes un peu partout et apparemment sans suite. De son côté, la
France est condamnée devant les Tribunaux Européens pour avoir laissé faire…
Visite au Musée Maillol et Exposition Haring. Devant cette avalanche de
corps et de figures de femmes, j’ai bien la confirmation que ce n’est pas
l’exhibition des corps féminins qui est gênante, on en a ici la preuve. Si on
en cherche la cause, c’est d’abord bien sûr parce qu’il y a là, la médiation de
l’Art qui fait la différence avec la pure pornographie. Mais c’est aussi parce
qu’elles sont représentées dans leur gloire et qu’on voit bien qu’il les aime
vraiment. De même que le peintre Bonnard.
Quant à Haring que je ne connais pas, je découvre que je le connais
quand même de l’avoir vu popularisé un peu partout dans les villes et les
magazines, toutes ces années…
Il en est souvent ainsi quand quelque chose a été intégré à la société
comme un art collectivement parlant, on est toujours étonné lors de la
rencontre avec celle ou celui qui l’a effectivement inventé. On est alors
presque gêné que ce ne soit que CELA. Mais c’est néanmoins ce CELA qui a fait
la brèche dont on a bénéficié. Ainsi Haring faisant désormais partie des
paysages urbains familiers.
A bien y réfléchir, hormis ceux qui ont la grâce de la jeunesse et ceux
dont la réussite sociale est éclatante, les gens m’apparaissent tous de
pitoyables épaves malheureuses, comme une espèce de norme bien cachée. Est-ce
dû à l’allongement de la durée de la vie, au phénomène urbain ou à la
technologie totalitaire, publicité comprise ?
Les quatre Agriculteurs ont été mis en liberté provisoire sous caution
de Cent cinq mille francs chacun, mais non le responsable associatif qui s’est
finalement livré à la Police et est dénoncé dans la Presse comme un véritable
agitateur !
Antisémitisme ordinaire d’un journal qui à propos d’Un Amour de
Swann adapté au cinéma par Schondorff, insiste sur le fait que Proust était
juif et présente Swann comme un bourgeois juif alors qu’à mon avis cela ne joue
aucun rôle dans La Recherche du temps perdu. C’est désigner comme juif pour le plaisir de séparer des
autres…
Si je ne craignais la clochardisation après avoir renoncé aux
chaussettes pour ne plus avoir à les démêler d’un inextricable tas familial, je
découvre la jouissance du pantalon directement sur la peau. Malheureusement je
ne pense pas que ce soit une voie dans laquelle il faille poursuivre…
L’articulation langagière que je préfère, c’est le CAR. C’est elle qui
permet de passer de la pensée simple à la pensée complexe et de prendre en
compte l’ensemble des facteurs (le contexte) que néglige le
DONC trivial qui ne s’intéresse qu’à une idée fixe préétablie (en général un
intérêt logique). CAR est l’articulation qui fait passer de la logique à ce que
j’appelle LA CHAIQUE.
Une jeune femme à qui je m’en ouvre ajoute que le CAR remonte vers
l’avant alors que le DONC descend vers le futur.
Gardons nous d’admirer la retenue des gens. Celle-ci m’impressionne
toujours. A tort ! La plupart du temps, elle n’est que de l’avarice et ils
ont souvent une si haute opinion de leur personne
qu’ils veulent seulement se garder pour eux-mêmes.
J’ai vu sur Arte Vive la cacahuète,
film allemand de Dietmar Klein (Mille neuf cents quatre vingt douze), un
petit chef d’œuvre ! Néanmoins je mesure également comme cette chaîne
parvient à nous faire passer les problèmes allemands comme les nôtres et que
c’est d’autant plus pénible que les nôtres ne sont plus évoqués dans les
médias. C’est l’étouffoir complet et l’aliénation.
L’avocate contactée pour l’affaire de l’Opéra a déclaré forfait au
motif que cela demandait trop de travail. Il me faut donc reprendre les démarches
à zéro.
Les impôts ont augmenté de dix à quinze pour cent. C’est le
tollé ! La propagande nous arrose de la promesse qu’ils baisseront l’an
prochain…
Rentrée littéraire pire que tout. Les livres promus reflètent l’air du
temps. Pornographie gratuite, meurtre, dévoration et narcissisme. Je mesure à
quel point je ne suis pas à la mode. M.S a bien aimé ma Formosité que
l’Atelier de l’Agneau va publier bientôt.
Elle y voit la démocratisation de la
beauté. Je trouve cette idée très
juste et très intéressante. Elle est également d’accord avec moi sur le fait
que le féminisme est une revendication de la démocratisation. Je lui définis ce que
j’appelle la forme comme
l’introduction dans le monde romain de l’idelonne
grecque avec en plus sa mise en mouvement
et lui montre dans le livret du film Histoire(s)
du cinéma les propos de Jean Luc Godard qui vont dans le même sens…
L’agitation autour de Mac Donald’s continue. Celui qui est en
construction en haut de ma rue, à la place de la belle brasserie où j’avais mes
habitudes est couvert d’inscriptions furieuses du genre Mac hormone plus Coca dioxyne égal : Viva la Muerta ! Bouffez
Mac Do et creusez votre tombeau etc…Et pour finir US Raus !
Une trouvaille sémantique : nouillorquais !
Comme je voulais envoyer un mandat international, l’Employée de la
Poste m’a expliqué que c’était plus rapide par Western Union, alors que
je ne faisais qu’en découvrir l’existence. J’ai été choquée me souvenant de la
découverte de La Paz en 1969 et des infrastructures américaines plaquées sur le
pays. J’y retrouve exactement ce que j’ai déjà écris dans Au Présage de la
mienne en Mille neuf cents quatre vingt quatorze et qui vient d’être publié
L’américanisation de la France, c’est la
sud américanisation !...
Il me regarde avec ses yeux.
J’ai peur ! J’ai l’impression qu’il va me sauter dessus dit Guillaume Durand sur Europe N°1 après
avoir jeté à la figure d’Allègre la réalité de la situation de l’Enseignement
et la cruauté de ses fonctionnements.
Une journée passée à tenter de meubler le vide. Le résultat concret est
le changement d’horaires : Au lieu de commencer à huit heures cinq, on
commence désormais à huit heures juste et au lieu de terminer à dix sept heures
cinquante on terminera à dix huit heures quinze. Quand on sait qu’il est
impossible de faire cours après seize heures, cela s’impose !
Les Classes de Premières comprennent maintenant trente cinq Elèves et
la nouvelle Conseillère Principale d’Education - puisque c’est ainsi qu’on doit
les appeler - invente de nous faire reporter les absences des Elèves sur les
registres, ce qui est normalement le travail des Surveillantes….
Plus étonnant encore le nouveau Censeur, qu’on doit désormais appeler Proviseur Adjoint est une ancienne acheteuse
du rayon sacs des Galeries
Lafayette, et elle se présente à nous
en nous expliquant qu’elle n’y connaît rien ce qu’avait également précisé la
nouvelle Surveillante Générale en nous annonçant qu’elle était de son côté, une
ancienne Chef du Personnel. Plus inquiétant encore, nous ne comprenons rien à
ce qu’elles racontent, pas plus d’ailleurs que ce que nous dit le Proviseur.
Cela est à mettre en relation avec le Marché de la Poésie de Juin, lors
duquel j’avais trouvé les livres nouvellement parus, illisibles. En fait c’est
le style choucroute de la Télévision.
On apprend enfin que le Foyer des Elèves fonctionne comme une caisse noire et que l’argent en est détourné. Quant aux fonds sociaux, ils ont servi à acheter des lunettes aux Elèves, des pull-overs
et des vêtements propres pour qu’ils puissent se présenter dans les
entreprises...
J’ai déjeuné mercredi avec DP avec qui j’étais en Terminale au Lycée
Hélène Boucher et qui travaille depuis trente ans chez Framatome. Elle s’occupe
actuellement de moderniser les Centrales Atomiques Bulgares. Quelle
stupéfaction comme j’emploie le terme globalisation,
de l’entendre me demander de quoi il s’agit et de n’en connaître ni le mot, ni
l’idée !
Terrifiante rentrée des élèves : Des deux côtés de la rue
d’Abbeville, ils attendent l’ouverture. D’un côté les Blancs pour le Lycée
Privé Rocroy Saint Léon et de l’autre, les nôtres, Arabes et Noirs, celle du
Lycée Technique Public Siegfried, le mien.
Et le fait est que si dans ma Classe, l’an dernier, ils étaient
majoritaires, ils sont désormais les deux tiers.
Tueries et déportations de masse au Timor. Après ceux du Rwanda, et
ensuite de la Yougoslavie, on a l’impression qu’on est
entré dans l’ère des grands massacres et que cette ambiance de plomb qu’il y a
partout, c’est cela ! Je ne peux me déprendre de l’idée que les hommes
préparent notre mort et que c’est pour cela qu’on est si mal traitées, sans
même qu’ils soient tentés de le masquer. J’ai la conviction que je vais être
tuée et nous tous au Lycée. Je ne parviens pas à le refouler. La lutte ne
suffit pas et l’étau se resserre…
L’inventeur de la peinture moderne, c’est Chardin.
José Bové est libéré grâce au fait que sa caution a pu être payée par
une collecte mondiale. On est sidéré de l’écho de l’affaire. Les fermiers
américains en ont payé une bonne partie mais l’Afrique et l’Asie également.
Ainsi peut on mesurer que la lutte du Larzac contre l’extension du camp
militaire était prophétique puisque ce militant y a fait ses premières armes en
squattant une ferme menacée.
J’ai réceptionné les trois Classes sur cinq heures. J’ai pour les
mettre sur les rails dépensé une énergie colossale et du coup l’après-midi me
suis endormie dans la Salle des Professeurs. C’est bien la première fois que
cela m’arrive. C’est inquiétant !
Une publicité pour RTL présente un singe en posture du Penseur de Rodin avec ces deux textes Où allons nous ?
Et Penser est essentiel !
Les Collègues se plaignent de voir le Proviseur nous déverser sa vie
privée dans la Salle des Professeurs et d’y entendre l’écho de ses scènes de
ménage. De mon côté je souffre de la saturation croissante de l’espace public
par les fantasmes exhibitionnistes utilisant tous les courts circuits digestifs
et sexuels.
Vendredi10 Septembre
L’acupunctrice qui me soigne et travaille à l’Hôpital avec son mari
dont on est en train de fermer le service, énonce que l’objectif du Ministère
de la Santé n’est pas de soigner mais de limiter les dépenses. Comme je
l’informe de l’état de maladrerie des Elèves, des Professeurs et de
l’Administration du Lycée en demandant qu’on alerte les Autorités, elle me
répond qu’il n’y a rien à espérer car déjà elles ne veulent plus des malades
dans les Hôpitaux…Comme quoi je ne rêve pas le fond de l’air…
Un Collègue nouvellement arrivé au Lycée se plaint qu’on y
vouvoie !! J’y reconnais bien cette ambiance populacière anti-individu.
Mais comment s’en étonner lorsqu’on entend le Ministre Allègre affirmer qu’un professeur seul ne peut pas être un bon
professeur et que dans la langue de bois officiel, le mot Professeur est systématiquement remplacé
par Equipe.
Nouvelle menace en Salle des Professeurs. Celle de nous retirer les
casiers dans lesquels nous rangeons nos livres et nos affaires, pour les
remplacer par des ordinateurs. Notons que nous en avons déjà trois dont
personne ne se sert en dehors de l’obligation qui nous est faite d’y relever
nos notes.
Mauvaise surprise de la Rentrée, l’autobus Quarante Neuf que je prends
en alternance avec le Quarante Trois pour aller au Lycée a été supprimé - au
nom de la rationalisation - ce qui allonge mon temps de transport !
Aggravation s’ajoutant à celle déjà due aux emplois du temps eux-mêmes alourdis
et mal faits. Les rationalisations
apportent de semaine en semaine des conditions de vie plus difficiles. Elles ne
prennent jamais en compte le sort de la matière humaine qu’on pressure tous les
jours un peu plus.
A noter qu’on a vu dans les Octantes surgir le terme de Directeur des Ressources Humaines et celui de Personne Ressource qui annonçait cela. Je remarque aussi que depuis quelques
mois on entend en médecine définir des objectifs en pourcentage de population
et non en termes d’individu. Cette appréhension globale, me parait porteuse du pire…
L’individu, le malade, le patient ne parait plus une notion pertinente en
médecine.
Quant au Proviseur qui a supprimé le bénéfice de la Première Chaire au
professeur d’Histoire qui a pourtant le pire service du Lycée avec huit classes
avant le Baccalauréat sans aucun dédoublement, on a l’impression qu’il n’est
pas chargé de diriger une unité pédagogique – le Lycée - mais d’être un simple cost-killer.
Son projet annoncé est de transformer les économies ainsi réalisées en achat de
matériel informatique ! Quant au Chef des Travaux Tertiaires qui jouit de
cinq heures de décharge, il veut équiper tout le monde de messageries
électroniques. Comme je lui demande pour quoi faire, il me dit que c’est pour
que les Collègues et les Elèves puissent nous en adresser. Je tente de lui
expliquer que nous nous côtoyons déjà suffisamment - pour ne pas dire que nous
sommes les uns sur les autres - mais il ne comprend pas…
CA résume en disant qu’Ils veulent
absolument intercaler l’écran entre les gens et surtout entre les Elèves et
Nous. Je pense qu’il a tout à fait raison.
J’ai rencontré par hasard dans ma rue un comparse de mon Association de
Poésie. Nous avons échangés nos vues sur la situation invivable pour tous les
deux. Néanmoins il m’a dit que lorsque faisait défaut même l’espérance, il
restait encore à compter sur le hasard. J’ai trouvé cela intéressant.
Lecture des Lettres de Russie de Custine. Stupéfaction de
découvrir qu’en Mille huit cents trente neuf, il dénonce toutes ou presque les
tares qu’ - en les dénonçant en URSS - on a attribuées au Régime Communiste…
Demandant à mon Collègue d’Histoire ce qu’il en pense, il me dit qu’en effet il
y a eu aux Etats-Unis un livre américain qui disait effectivement cela…
L’angoisse est si énorme que je suis arrivée au Lycée à Sept heures
vingt cinq pour commencer à huit ! La rue était noire et déserte. Et j’ai
vu arriver Adélaïde et Noël avouant un comportement analogue. Nous avons été
saisis. Nous avons en moyenne cinquante cinq ans et tentons de nous organiser à
l’intérieur de la situation professionnelle pitoyable et scandaleuse qui nous
est faite…
Déjeuner face au nouveau Censeur qui me tient des propos amicaux mais
me fixe étrangement jusqu’au moment où cherchant à remplir son ticket de
Cantine, elle me demande un stylo au motif qu’elle ne trouve pas le sien. Comme
le décalage entre les mots et le regard m’a glacée et que je pense qu’elle me
teste, je lui réponds qu’elle n’a qu’à
continuer à le chercher et qu’elle va bien finir par le trouver, ce qu’en effet elle fait. Je me
dis qu’en quinze secondes viennent de se jouer le sort de nos relations
futures !
Elle développe par ailleurs des conceptions artistiques qui me
révulsent et qui sont celles que Jean Luc Godard dénonce dans son Mozart for ever. A savoir le
découpage des réputés meilleurs morceaux d’une œuvre pour les consommer en
maillot de corps entre les papiers gras et la charcuterie.
Elle envisage de créer pour les Elèves, une association dans ce sens,
pour populariser l’Opéra. On y retrouve bien cette notion d’abolition qui m’a été soufflée par une vieille dame de mon
association de poésie et qui est l’essence du bouleversement à l’œuvre.
Je découvre avec stupéfaction que l’étymologie de abolere est sentir, indiquer, annoncer ce qui est en fin de compte l’idée de l’esthétique et de la poétique
telle que je la présente dans La Formosité à savoir la transmission, la filiation
et la culture.
Les horreurs continuent, particulièrement dans la publicité. Celle des
Galeries Lafayette affichent un Passez à
l’acte en montrant les doigts en forme de pistolet qui tirent. Une autre
présente un corps noir sans tête, accroché à un cintre et tenu par une main
blanche… On est traumatisé chaque fois qu’on voit une image de ce genre,
c'est-à-dire en fait tous les jours et à n’importe quel moment.
Les impôts continuent à augmenter. Hilberg explique dans son livre que
le nazisme a commencé par pressurer économiquement les Juifs avant de les tuer.
Je ne peux m’empêcher de penser que quelque chose du même genre est à l’œuvre…
Il est question d’utiliser les fonds de la Sécurité Sociale pour verser des primes
de Quatre mille cinq cents francs par travailleur aux entreprises qui
appliquent les trente cinq heures ! Quatre mille cinq cents francs par an
et de façon pérenne, comme ils disent si joliment…
De son côté la Sécurité Sociale rembourse de moins en moins les
médicaments, et particulièrement ceux que je prends et dont j’ai eu pourtant
l’occasion de constater les bienfaits. Quant on met bout à bout tout ce qui se
passe, on a l’impression que ce qui est en cours, c’est la liquidation de la
médecine et des médecins parce que pour les patients, c’est à l’œuvre depuis
déjà un bon moment…
Le rapport d’Irène Théry - homosexuelle elle-même - prépare une
liquidation pure et simple du mariage…
J’ai entendu une Elève raconter à une autre une rencontre : J’ai bouffoné, je lui ai dit Bonjour Madame,
comment allez-vous ?
En revenant sur mon CA PENSE JON SUIS en exergue de La Pensée Corps
et en expliquant au nouveau Censeur la Révolution Cybernétique, il m’est venue
l’idée que le CA PENSE pouvait s’appliquer à l’ensemble du facteur humain plus
Internet et les Logiciels formant ensemble La
Grande Machinerie et le JON SUIS au facteur humain accompagné de et par la
Télévision. Le CA PENSE JON SUIS résume donc aussi - bien que je n’y ai pas
pensé en l’écrivant - la nouvelle représentation du
monde (celle que j’appelle l’emprésentation)
à savoir, La Grande Machinerie au
centre et La Matière Vivante à la
périphérie.
C’est une Révolution Copernicienne de la pensée. De même que chacune des
étapes historiques a été inaugurée dans l’orthodoxie française par Les Grandes
Invasions pour le Moyen Age, Les Grandes
Découvertes pour la Renaissance, on
pourrait dire que le temps cybernétique qui vient est inauguré par la création
de La Grande Machinerie,
c'est-à-dire celle de la connexion des machines.
Stupéfaction d’entendre une Collègue d’anglais me dire que le Proviseur
n’en a rien à faire de nous et attend seulement qu’on parte pour nous remplacer
par des machines. Comme elle lui disait qu’au Laboratoire de Langues elle ne pouvait pas faire
asseoir tout le monde, il lui a dit d’attendre
que les effectifs dégonflent…
A l’occasion d’une adaptation cinématographique de La Princesse de
Clèves dont Maïr Verthuy dit qu’elle est le prototype du manque
d’expérience féminine - ce qui l’amène à croire tout ce qu’on lui dit - un
article de Philippe Sollers la ramène à une personnalité masochiste adonnée à
l’autoérotisme, ce que par ailleurs il encourage…
La politique d’écrasement systématique que mène le Proviseur a abouti
au fait qu’il a désormais tous les Collègues contre lui, ce qui pourtant n’est
pas une situation coutumière. La lutte de classe a commencé entre l’Intelligentsia et la Nomenclature. Chez les Elèves, en dépit
de mes efforts pour empêcher le communautarisme, tous les groupes d’Elèves, les
Arabes, les Noirs, les Asiatiques affichent à l’égard de l’Etat Français une
hostilité ouverte qui rend l’Enseignement absolument impossible.
J’ai appris à la Cantine que le Collège Colonel Fabien à Montreuil a
fait l’acquisition des cassettes du film de J.L. Godard Histoires du Cinéma. Comme quoi il ne faut jamais désespérer...
A la Cantine toujours, mes petits camarades tombent d’accord sur l’idée
que les frites se mangent normalement avec les mains. Comme j’essaie tout de
même d’expliquer que ce n’est pas le cas dans tous les milieux, ils me font
taire en affirmant que là où on ne les mange pas avec les mains, il n’y en a
pas…
Insurrection Générale des Elèves contre les Professeurs qui donnent des
devoirs ou qui vont trop vite…
On ne peut pas à
la fois comprendre et prendre
des notes… se plaignent ils.
De mon côté - et c’est la première fois - je ne cherche même plus à
mettre au travail les Elèves qui n’en manifestent aucune envie. Pour la
première fois également, je ne suis même plus sûre de parvenir à établir la
Classe.
Pour la première fois également cette année nos quatre Administrateurs
sont tous les quatre incompétents au sens professionnel et matériellement
incapables d’effectuer le travail de leur fonction. Le Lycée n’est donc plus
administré mais un bâtiment avec sept cents personnes à la dérive, une sorte de
nef des fous ! Si le Lycée fonctionne encore c’est grâce à la vieille garde républicaine qu’on
traite comme des domestiques arriérés dont on cherche à se
débarrasser. Le Collègue concerné a enfin reçu les dix huit nouvelles cartes de
géographie qu’il avait commandées il y a quatre ans et demi
!
Mais l’explication de fond est peut être à trouver dans ce que m’a
expliqué une Elève des Techniciens Supérieurs de Première Année, à savoir
qu’avec le clonage et les transferts de gènes (elle ne le disait pas mais
c’était sous entendu) on allait pouvoir leur transmettre directement nos
connaissances...
C’est sans doute cette représentation ahurissante du monde qui explique
d’une part leur extrême passivité et d’autre part cette gluance croissante
auprès de nous, générant la sensation de plus en plus forte d’être la proie sur
laquelle ils cherchent à mettre la main. Cela donne un autre angle de regard
sur l’inversion ambiante. Plutôt qu’apprendre et comprendre, ce qu’ils veulent
simplement c’est prendre... les gênes qui sont les nôtres et dont ils s’imaginent
qu’ils portent le savoir…
Cela est dû à la disparition même de l’idée de la Culture… et comme le
note un ami, au fait qu’ils se représentent eux-mêmes comme des ordinateurs
dont il suffirait d’ajouter des barrettes au disque dur pour le rendre plus
performant ! Ceci s’accompagnant de l’idée que des gênes plus ou moins
performant donneraient lieu à la hiérarchie des postes occupés.
J’en suis tombée raide, bien loin d’imaginer qu’ils avaient une telle
représentation du monde, même si j’en observai convenablement les effets. Cela
serait à étudier et exploiter pour le livre que j’ai éventuellement en projet
sur Les causes d’erreurs en Sciences
Sociales.
On nous affiche en Salle des Professeurs - sur le panneau officiel -
les procédures à suivre pour devenir Proviseur ou Censeur, tout en nous
l’annonçant verbalement. Tous les Collègues Républicains se marrent ouvertement
d’une franche gaîté et Noël de répondre Nein !
Danke ! Je suis saisie et émerveillée de son culot et de son à propos.
Peut-on considérer cela comme un acte de résistance ? Je réponds
oui !
Un accident nucléaire au Japon dont bien sûr on nous dit qu’il est sans
importance. On a commencé par nous dire l’accident
est clos - chef d’œuvre de la novlangue
- avant de rectifier en l’incident est
clos. J’ai pourtant depuis quelques jours horriblement mal à toutes les
articulations, plus quelques autres désordres physiologiques étonnants et
inexpliqués.
J’ai revu le film de Marcel Carné Les
Visiteurs du soir pour la troisième ou quatrième fois. Je suis étonnée de
constater que cette œuvre a dû jouer un rôle dans l’établissement de mon
imaginaire amoureux et que notamment le bahut de notre mariage offert par mes
Parents a été choisi comme la réplique de celui qu’on voit dans la salle à
manger du château qui sert de cadre. A noter aussi que mon mari jeune
ressemblait aussi à Alain Cuny et qu’il y a une certaine superposition des deux
dans ma tête, d’autant plus que le propos déroulé par le film, m’allait comme
un gant et que le tout m’irradie encore aujourd’hui !...
J’ai lu La Confession d’un enfant du siècle dans laquelle la dépression romantique s’explique par l’existence des pères en tant que soldats
de l’Empire. Cela mérite d’être retenu et d’autant plus que c’est sans doute la
première tentative de l’histoire subjective d’une génération, ce qui est de mon
côté, ma propre démarche.
Par contre en ce qui concerne la relation de sa liaison avec Georges
Sand, je suis déçue voire même un peu scandalisée. Musset que j’aimais beaucoup
n’en sort pas renforcé dans mon estime, tout au contraire…
Incident vendredi dernier à Clermont-Ferrand. Comme les Lycéens
faisaient irruption dans un Etablissement, un membre du personnel est mort
d’une crise cardiaque.
L’agitation gagne tous les corps de métier. La grogne s’étend. Entendu
un routier dire On est méprisé des
patrons, on est méprisé des clients, on est les chiens de la route !
Cette formule pourrait s’appliquer aux Professeurs et aux Conducteurs
d’Autobus…et à tous les Salariés !...
La propagande nous explique que le moral des Français est excellent, la
preuve ils consomment. Mais ce peut-être et c’est souvent une simple
compensation à l’humiliation.
Rififi avec les Elèves Arabes de Première qui me soutenaient mordicus
qu’il n’y avait pas de différence entre le régime politique du Maroc et celui
de l’Angleterre parce que dans les deux cas il y avait Roi et Reine. On peut
comprendre et admettre à la rigueur leur ignorance, mais l’insupportable est leur
refus d’accepter mes explications. Enchaînant ensuite sur l’élection du
Président algérien Bouteflika évinçant tous les candidats, ce fut encore bien
pire, sur le thème Vous n’y connaissez
rien ! Moi j’ai de la famille là-bas…
L’autobus Quarante Trois se faisant lui-même rare après déjà la
suppression du Quarante Neuf qui avait alourdi considérablement mon temps de
transports, je m’en suis ouverte à un chauffeur de la ligne qui m’a confirmé
que c’était bien le cas car on manquait de chauffeur et de matériel. Il a
ajouté qu’ils avaient également compté beaucoup sur la nouvelle ligne de métro Eole, mais cela ne marchait pas. J’ai déjà écrit au Ministère de
l’Environnement pour attirer son attention sur le ridicule de la situation mais
avec le Quarante Trois lui-même en voie de disparition, on frise le mensonge
odieux…
Les Elèves sont très excités après que j’ai eu avec eux une controverse
sur la définition et la place du Droit
de la Famille dont je
subodorais qu’ils n’allaient pas tarder à la référer à la Charia. Je m’étais même un peu moquée d’eux … Un grand Noir à
casquette est venu s’agiter si près de moi que j’ai vu le moment où il allait
me frapper et je l’ai expulsé. Appelant à l’aide ses camarades, il en a résulté
une émeute que j’ai jugulée par mes moyens habituels.
Quelle ne fut pas ma surprise en partant de trouver dans mon casier une
convocation pour lundi chez le Censeur…que j’ai ensuite rencontrée inopinément
à l’arrêt de l’autobus, Rue Lafayette... Elle me demande alors de but en blanc
selon ses propres paroles Quelles mesures
je compte prendre pour que l’Elève qui est venue se plaindre, ne se sente plus
humiliée J’ai illico contre attaqué de mon côté en la questionnant elle, sur les
mesures qu’elle comptait prendre elle pour mettre de l’ordre dans le
Lycée et qu’on puisse enfin y enseigner…
On est monté ensemble dans l’autobus et le cirque a continué. Comme
elle me demandait de parler plus bas, je lui ai dit que je n’avais rien à cacher,
que les Citoyens pouvaient bien être au courant de la façon dont cela se
passait dans les Lycées et j’ai résumé la situation en parlant encore plus
fort… Les voyageurs se tordaient de rire et une femme m’approuvait même de la
tête, laquelle me dit Courage !
Comme je descendais. J’ai pensé à la chanson de Brassens l’Auvergnat Toi l’étranger qui m’a souri…
Lundi matin, convoquée chez le Censeur le ton avait complètement changé
en raison de la volonté de part et d’autre d’aller decrescendo. Après l’après-midi du vendredi dans le style des Marx
Brothers, la matinée faux cul était à elle seule - par
le décalage entre les deux - le symptôme de la perturbation de l’Etablissement…
La Censeur allant jusqu’à prétendre que mes
conseils et mon expérience pouvaient lui être précieux…
Quand j’ai repris les Elèves de cette classe hors normes, j’ai trouvé
le fauteuil trempé probablement d’urine. Sans que je puisse le prouver.
Jeudi comme Bosetti disait à un jeune Elève noir d’arrêter de bavarder
en continu parce qu’il ne pouvait plus le supporter, celui-ci lui a répondu
selon ses propres termes Si vous ne
pouvez plus me supporter, vous n’avez qu’à prendre votre retraite. Comme
notre Collègue lui demandait de quitter la pièce, l’autre refusa. Après m’avoir
lu le rapport qu’il avait fait au Proviseur et dans lequel il demandait une
sanction/exclusion, je vis mon ami partir, disant en tremblant Je vais boire ! J’ai cru qu’il
allait tomber par terre de détresse et j’en ai été moi-même déchirée, sans
compter l’humiliation partagée professionnellement parlant…
Tout cela avait déjà été précédé d’un obscène déjeuner comprenant un
hamburger entre deux petit pain (style Mac Do), des frites et un gros beignet
plein de crème qui avaient déclenché la révolte des Collègues, révolte qui
avait tourné à l’émeute comme le personnel de la Cantine s’était dédouané en
nous expliquant – Elèves à l’appui – que c’étaient les Jeunes qui avaient
décidé du Menu !... Après le déjeuner ( ?) l’émeute a gagné la Salle
des Professeurs dans laquelle l’Aide Educateur a soutenu que c’était aux Elèves
à décider puisqu’ils étaient les plus nombreux !...
On s’est expliqué assez durement et comme je revendiquais des pouvoirs
en tant que mère et grand-mère j’ai terminé mon discours comme
souvent - y compris en classe - par Vive
la République, Vive la France. Et je ne sais pas pourquoi, j’ai cette fois
ajouté Et Vive le Roi ! A ma
grande stupéfaction personne n’a rigolé ni protesté, mais en chœur ils ont
demandé Lequel ?
Un ami de quarante ans avec qui j’ai fait mes études avait déjà mis
plus de vingt avant de me dire que sa mère était allemande et encore quinze de
plus pour me raconter que le rabbin de Strasbourg avait dû mettre une annonce
pour marier sa Grand-Mère. Son Grand Père venant de Roumanie s’est alors
présenté et c’est ainsi que son père est né.
J’en ai été bouleversée, surtout de voir comment au fil du temps, mon
camarade français s’est transformé en une toute autre personnalité de moins en
moins française. J’ai également aussi appris que dans un établissement
confessionnel, il avait eu comme Professeur Emmanuel Levinas et que c’était en
fait à travers l’Elève que j’avais été attirée par le Philosophe. Ainsi finis
je par comprendre la nature de ce qui m’avait paru son extrême étrangeté. Toute
cette modification est due au bouleversement même de la société française.
Au Salon de la Revue je profite de ma rencontre avec le rédacteur de l’une de celles qui ont pignon sur
rue pour lui rappeler de vive voix qu’il
n’a pas répondu à ma lettre dans laquelle je démentais formellement la
prétention de la compositrice de mon Opéra de se présenter comme l’auteure de
mon livret adapté de mon propre ouvrage, ce qu’elle tentait pourtant
d’accréditer par le biais de la revue en question.
J’ai alors eu la désagréable surprise de constater qu’il prenait le
parti de la musicienne en m’expliquant les projets qu’ils avaient ensemble et
en dénonçant mon attitude à moi qui selon lui ne faisait que freiner les possibilités
éventuelles de représentation. J’en
ai éprouvé une amertume terrible et j’ai été obligée de lui rappeler qu’on
était sur le terrain judicaire et qu’il était responsable de la publication de
la revue.
Nous n’avons pas pu concernant l’une de mes publications nous mettre
d’accord sur les dessins à fournir pour un tirage spécial qui en comprendrait
car mes expériences précédentes ont été traumatisantes par le nombre de pertes
s’avérant en réalité de simples vols…lesquels m’ont rendue méfiante non pas par
tempérament ou par goût mais par révolte morale contre les pratiques courantes
dans le milieu…
Mardi, visite au Commissariat du quartier où on m’a convoquée après ma
plainte au Procureur de la République de Nanterre à qui j’avais dénoncé la
fraude avérée au Baccalauréat passé au Lycée Montalembert de Courbevoie.
J’appréhendais beaucoup les suites de cette affaire, mais finalement je suis
tombée sur mon homologue lui-même mis au placard… La séance qui a duré plus
d’une heure - en fait mon interrogatoire - a tourné à la franche rigolade et à
la fin contre l’état de la société et le déni de nos Gouvernants. Dans un coin
de son bureau, un voilier d’enfant… Sans doute celui avec lequel il jouait
autrefois… Nous avions en fait, le même âge et le même look !...
Je suis convoquée chez le Censeur avec l’Elève qui a mené la rébellion
des Techniciens Supérieurs dans le clash précédent. Je n’ai jamais subi
pareille humiliation en trente deux ans de carrière. J’ai trouvé absolument
insupportable d’être convoquée en même temps qu’un Elève et sans même avoir été
entendue auparavant, l’Administration s’instituant l’arbitre de deux parties
qu’elle place sur le même plan.
Je me suis donc rendue chez le Proviseur lui-même avec un rapport
concernant l’Elève en cause et pour demander contre lui un avertissement. J’ai
pendant une heure et demie - en larmes et en colère - hurlé tout ce que j’avais
sur le cœur au sujet de l’humiliation que nous subissions dans ce Lycée. J’ai
précisé qu’en aucun cas je ne me rendrai à ce genre de convocation et que je
voulais qu’on me foute la paix.
Le Proviseur a donc annulé la convocation. Ce qui est une victoire au prix d’un
terrible choc nerveux.
Je ne me souviens pas de toute ma carrière avoir parlé ainsi à un
Proviseur. C’est d’ailleurs d’une certaine façon impensable et le signe d’à
quel point ce Lycée a perdu tous ses repères. De retour dans la Salle des
Professeurs, la découverte des Collègues elles-mêmes bouleversées, sans doute
d’avoir pris connaissance d’un aspect de moi qu’elles ignoraient.
Samedi à la Réunion des Parents, entendre le Proviseur expliquer qu’en
sortant du Lycée Siegfried les Elèves peuvent aller dans les Classes
Préparatoires aux Grandes Ecoles, révulse absolument. D’autant que ce Lycée est
le lieu de délestage concerté de toute l’Ile-de-France, comme je l’ai entendu
dire il y a quelques années par un apparatchik
de l’Orientation et que les cours qu’on est censé y faire n’y ont même
pas réellement lieu. Nous baignons dans une violence croissante que
l’incompétence absolue de nos Administrateurs aggrave encore en sapant le Corps
Enseignant et toutes les structures !...
L’aide éducateur nous explique que Les
Examens, ce n’est pas son
truc - selon sa propre expression - et
expliquant complaisamment qu’il a fait trois ans de faculté et deux ans
d’Institut de Photographie sans obtenir, faute de travail, aucun diplôme. Comme
je lui fais remarquer qu’il vit au crochet de son père, il est furieux et tente
par tous les moyens de justifier sa logique parasitaire.
Une Elève arabe vient me dire en particulier qu’être arabe, c’est quelque chose : une Nation,
une Religion mais qu’être Noir, ce n’est rien ! A noter que dans cette Classe, un tiers sont d’origine
africaine et un autre tiers des pays arabes.
Enfin le Proviseur provoque une émeute en proposant de réaménager la
Salle des Professeurs de façon inhumaine. Une double rangée de casiers
boucherait purement et simplement l’une des deux fenêtres pour dégager la place
pour mettre des ordinateurs.
Pour me promener et me détendre après ces expériences consternantes, je
suis allée à la vente des costumes de l’Opéra qui avait été annoncée comme
devant se tenir ce jour Place de la Bastille. Mais hélas c’était en fait une
manoeuvre organisée par les copains et les coquins pour emporter pour une
bouchée de pain, des portants entiers de superbes vêtements pour les revendre
ensuite avec bénéfice, alors que la population anonyme n’avait elle, plus rien.
Lorsque je suis arrivée tout était déjà terminé, deux mères désemparées
serraient contre elles des petites filles tristes et silencieuses à qui elles
ne savaient pas quoi dire. Les gens étaient très mécontents, mes homologues
faisaient signer des pétitions de protestation et se proposaient même
d’intervenir en Justice…
De mon côté j’ai commencé à haranguer la foule dans le sens de la
révolte mais m’apercevant de la présence de policiers en civil, j’ai laissé
tomber pour éviter les complications.
Le soir à la Télévision en reportage sur la vente des costumes à eu
lieu, ne faisant aucune place à ce qui s’était passé réellement et déroulant la
même propagande que celle qui avait été développée toute la semaine sur le
thème de Ces costumes ne sont vendus que
dix francs, parce qu’ils ont déjà été payés par vos impôts et pour que chacun
d’entre vous puisse avoir quelque chose de l’Opéra etc…
Cette affaire de costumes n’est pas un détail. Dans le même temps, les
Magasins de L’Opéra du Boulevard Berthier sont en voie de démolition, sans
doute pour récupérer le terrain pour la spéculation immobilière ou s’y loger.
C’est la liquidation - version Opéra - de ce que de mon côté je vis au Lycée.
Lorsque j’allais à vélo dans mon précédent poste à Balzac entre Mille neuf
cents soixante douze et quinze, je passai avec émotion devant ces grandes
bâtisses très sales et bien qu’elles aient été assez sinistres, je rêvais
qu’elles seraient tout de même un jour ou l’autre, restaurées. Et bien
non ! Depuis j’ai même appris qu’elles avaient été construites par Eiffel,
ce qui donne à penser que je ne m’étais pas trompée sur leur intérêt…
A signaler aussi vendredi un trac du syndicat Force Ouvrière qui nous
informe que le Statut de l’Enseignant
datant de Mille neuf cent cinquante - défini par l’obligation d’enseigner dix
huit heures dans sa matière - sauterait le Quinze Décembre et que le service à
faire serait à l’avenir déterminé localement par les Conseils d’Administration
et ceux de la Vie Lycéenne. Totalement démoralisés, les Collègues se plaignent
désormais des mêmes troubles que moi et qu’on peut résumer comme l’impossibilité de vivre. Le fait est que
j’en fais au Lycée de moins en moins et vois le moment où je ne vais plus rien
faire du tout, pétrifiée par la perspective de l’abattoir !
Lundi soir dans l’autobus, les gens en sont venus aux mains sur un
incident raciste. Je ne suis pas intervenue, je n’en suis ni fière ni pas
fière, cette abstention m’étant désormais une nécessité physiologique si je
veux survivre.
Au Cinéma à Millau. J’ai horreur des multiplex avec ces petites salles
modernes et étouffantes. J’aime, j’aimais passionnément les grandes salles des
cinémas de province qui sentaient le moisi avec des publicités fluorescentes
pour les commerces locaux. Je dirais cela à Jean Luc Godard, je suis sûre qu’il
me dirait de sa voix inimitable Bien
sûr !...
C’est sans doute la sortie de l’année et elle me tient lieu de
vacances. J’ai même fait trois quarts d’heure de queue pour l’exposition Le fauvisme ou l’épreuve du feu et ne me
souviens pas en avoir jamais fait autant. Mais j’ai été récompensée. Je n’ai
jamais vu - même à Montréal ou à L’Ermitage - un pareil entassement de chefs
d’œuvre que j’aime tant et dont on voit si peu. J’en ai pleuré d’émotion et je
crois que cela non plus ne m’était jamais arrivé. Je ne pensais pas que les Fauves étaient si nombreux. Stupéfaction
également de découvrir ceux de l’Europe de l’Est dont j’ignorais tout, y
compris les Russes.
Il m’est venu alors l’idée que les Russes avaient continué sur leur lancée
avec le Réalisme Soviétique que je défends contre tous depuis mon voyage en URSS en
Mille neuf cents soixante treize, alors que l’Ouest s’était engagé dans
l’abstraction. La différence venant bien sûr de la Révolution Bolchévique qui a
créé une sorte de détonation quasi nucléaire donnant cet art là. Le sentiment
d’une puissance inouïe. Par ailleurs, la dimension d’indivision et de fusion
corporelle propre aux Russes a empêché l’abstraction qui poussait quand même de
toute façon pour les raisons machiniques du progrès technique. Inversement de
l’autre côté à l’Ouest, le progrès technique n’a pas été encombré par la
puissance physiologique du corps révolutionnaire triomphant.
Enfin après avoir vu les tableaux de Suzanne Valadon sur le thème de L’autre moitie de l’avant-garde, on se
prend à rêver de ce que ce serait si on y avait aussi mêlées les femmes…
J’ai la semaine dernière raconté à F mes démêlés avec l’Education
Nationale. Et lui qui n’est pas suspect de s’en laisser compter - et pour cause
- m’a dit que j’étais une résistante.
De la part d’un rescapé de la Shoah, ce n’est pas rien ! Il a aussi à mon
sujet parlé de Joyaux. J’en ai été
bouleversée.
Résumons : Le Parti a pillé la Mutuelle de Santé des Etudiants au
bord aujourd’hui de la faillite. La Procureure qui a permis que cette affaire
arrive devant les Tribunaux a été sanctionnée. Le Ministre de l’Economie qui a
organisé la privatisation de l’Economie mis en cause a démissionné. La Presse
prend le parti du Ministre en menant l’assaut contre ce qu’elle appelle le pouvoir
des Juges….
Le Futurisme est il
l’intermédiaire entre les Fauves et l’Art Abstrait ? Le groupement de ceux qui croyaient, voulaient,
espéraient un progrès technique humaniste. C’est en ce sens que je sens mon
œuvre comme une reprise du Futurisme.
Par ailleurs je répète là, croire avoir
inventé le cubisme en littérature.
Le mépris dans lequel ils tiennent la production doit avoir à voir avec
le mépris qu’ils ont de la mère et de la maternalité
comme une machinerie esclave….
Hôtel du Nord, cet autre chef
d’œuvre ! Voilà la
réflexion qui m’est venue en le voyant hier à la Télévision. A force d’avoir
l’habitude de ce pool de films classiques qui ont bercé et formé ma jeunesse,
on ne sait même plus ce qu’il y a dedans. Et là en le redécouvrant, je suis
médusée.
J’ai revu également La vie et
rien d’autre. Sidérée là aussi de la qualité de l’œuvre mais plus gravement
encore - si je peux dire - de redécouvrir le concept d’œuvre tellement je l’ai perdu de vue dans le marasme actuel.
Cette expérience intime m’a traumatisée.
Hier soir à l’émission Le Masque
et la Plume féroce empoignade entre les Critiques et un Cinéaste sur le
thème du vous êtes responsable de la mort
du cinéma… Je repense avec amertume qu’en dépit de mon pedigree franco
américain et de mes efforts soutenus et durables, je n’ai pas réussi à faire
publier mes textes sur le cinéma. J’envisageai d’introduire les nouvelles
méthodes apprises du Canada et plusieurs articles m’avaient demandé beaucoup de
travail. Ils se plaignent maintenant de la nécrose du milieu mais c’est logique
puisqu’il est opposé à toute ouverture, relève ou sang neuf. Je ne vais
d’ailleurs plus guère au cinéma, car la publicité empêche d’y rêver et quand on
a vu les acteurs venir nous raconter le film à la Télévision, on n’a plus guère
envie d’aller le voir…
Entendu il y a quelques semaines, Martine Aubry dans une émission de
variétés, expliquer à la Télévision les difficultés qu’elle a rencontrées dans
ses Etudes de Sciences Economiques. N’ayant pas suffisamment travaillé et étant
refusée à son examen de Juin, son père Jacques Delors lui avait fait apprendre
la dactylographie pour la faire embaucher à la Banque de France… Mais son
succès à la session de Septembre lui permit d’en réchapper. Néanmoins par la
suite, elle ne put pas devenir journaliste comme c’était son désir car son père
s’y opposa au motif que ce n’était pas un métier convenable pour une femme,
puisque tous ses collègues lui passaient alors sur le corps. Je raconte cela
parce que bien que plus âgée qu’elle, de mon côté aussi mon géniteur m’interdit
cette carrière qui était également mon souhait. On peut considérer que ce fut
l’aventure de toute une génération !...
Devenir journalistes nous était interdit parce que c’était l’équivalent
de devenir putain, ce que mon père
devait savoir, même s’il ne l’avait pas verbalisé. De mon côté comme mes études
supérieures battaient de l’aile en soixante trois, soixante quatre on me fit
apprendre à taper à la machine chez Pigier, comme une position éventuelle de
repli, si je ne pouvais pas surmonter ce mauvais passage…
Emeutes tous azimuts dans ma Classe de Première. Personne n’en vient à bout,
mais moi je les trouve excellents. C’est bien la première Classe depuis des
années qui comprend ce que je raconte et qui pose des questions pertinentes. Je
leur ai demandé de respecter l’oasis qu’on avait créée ensemble eux et moi. Et
lors du plus grand chahut qu’il m’ait été donné d’affronter je me suis trouvée par inspiration
– comme diraient les Camisards – non seulement à leur faire faire des exercices
de respiration mais à leur tenir un drôle de discours.
J’ai continué sur le thème qu’on avait les pieds sur la terre et que
par eux on était en contact avec le magma du centre de la Terre mais que la
tête était du côté des étoiles. L’être humain étant ainsi à mi chemin entre la
lave et le ciel, on était en équilibre et qu’il fallait essayer de se tenir
dans cette position là ! Et miracle, ils se sont calmés !
J’ai moi-même été ahurie de ce petit discours et de son efficacité.
J’ai ensuite pu faire cours normalement sur la Décentralisation, les Conseils
Municipaux, Généraux et Régionaux etc… Mais après mon cours cela a redoublé de
plus belle et ils ont échangé des gifles et des coups de poings…
Stupéfaction effarée et scandalisée de voir que dans les médias, Hitler
est à la mode.
Dans le même temps, la langue s’appauvrit, se rationalise et disparaît
en visant le minimum de mots. Tandis que les images de synthèse favorisent
toutes les versions ordurières des corps.
Lundi en TSC2 lorsque je suis arrivée en Classe il y avait renversés
sur mon bureau, le fauteuil et une chaise. J’ai fait un discours incendiaire
qui s’est terminé par Vous voulez
humilier les Professeurs, vous aurez l’Apocalypse ! Vous voulez humilier
la République, vous aurez les Fascistes. C’est alors établi un silence de
mort absolument pétrifié et glacial. J’ai repris le contrôle de la situation.
Ceci est à verser à la gloire de la parole, y compris au culot de la prophétie.
Horreur de cette Union Européenne qui nous présente l’entrée de la
Turquie comme un fait acquis et précise cette nouvelle règle Aucun pays ne pourra s’opposer à l’entrée
d’un autre... Nous sommes déjà fusionnés avec la Finlande et le serons
bientôt avec le Pakistan ou le Maroc, tout cela sans aucun contrôle
démocratique et encore moins républicain sur la gestion et les décisions prises
alors même que les détournements ont lieu presque ouvertement.
C’est de l’optimisme de prendre la femme pour un objet. C’est en fait
une niche écologique : Celle de l’homme.
Comme le Proviseur venait dans la Salle des Professeurs me demander ce
que je pensais de sa dernière circulaire, je lui ai carrément dit que je ne
supportais plus sa propagande. Miracle, le style en avait
changé le lendemain !
Quand quelqu’un entre dans la Salle des Professeurs, l’angoisse se lit
sur les visages et si c’est un collabo, tout le monde se tait.
L’avis de l’ensemble des Collègues, c’est qu’il faut tuer (sic) le
Ministre Allègre qui se répand dans les journaux en entrevues ordurières
expliquant qu’il faut non seulement diminuer les programmes mais les heures de
cours, les livres, les examens et les concours…
Nous ne résistons que par notre moi collectif qui parait
assez puissant pour assurer la défense.
On a l’impression d’être en proie aux Khmers Rouges avec les Elèves
dans le rôle des Gardes de la même
couleur.
Les statistiques ayant fait apparaître dix pour cent d’illettrés, la sous-ministre a dit à la Radio qu’ils avaient décidé pour
y remédier de ne plus mettre de Professeurs inexpérimentés dans les Cours
Préparatoires… Quelle odieuse façon de nous renvoyer la faute de ce qu’ils ont
eux-mêmes organisés !
J’ai entendu J.L.Godard déclarer Les
films seraient encore plus beaux s’il n’y avait pas les images… Comme quoi
je ne me suis pas trompée sur mes analyses concernant les bandes sons.
Notamment déjà, celle de Soigne ta
droite !
Victoire anti-libérale globalisée aux négociations de Seattle. C’est
Jose Bové le leader et le Roquefort l’emblème. Même si ce n’est pas tout à fait
la réalité objective, cela fait du bien après toutes ces humiliations. Plusieurs
jours d’émeutes dans la ville sous couvre feu ont fait échouer les négociations
en redonnant du courage aux Délégations.
Au Lycée, Mardi Trente. Bagarre générale à la suite d’un coup de
téléphone portable SOS envoyé par une Gauloise
à son père, pour réclamer du secours contre un Arabe à qui elle avait déjà
donné une paire de claques. Le géniteur est arrivé et a dérouillé l’Arabe
d’abord à l’intérieur de l’Etablissement puis à l’extérieur. La Police est
venue.
Vendredi, guerre du fauteuil que les TSC2 - en le retirant - m’obligent
à aller rechercher y compris à l’étage au-dessus. J’ai dû cette fois le
redescendre par l’escalier de secours alors que j’avais déjà sur les bras, ma
sacoche et mon sac à dos que je ne pouvais pas abandonner à cause des risques
de vol. J’ai ensuite fait l’appel dans un silence de mort. Pour la première
ceux qui ne répondent même plus à l’énonciation de leur nom se sont tout de
même signalés personnellement au moins par un petit geste. Le fin sourire d’une
Elève du Grand Sud, Indienne ou Mauricienne - impassible depuis le début de
l’année - a été ma récompense !
Lundi soir en 1TSC2, les deux éléments perturbateurs, un grand Noir
très agité et un Arabe assez âgé paralysent complètement le fonctionnement de
cette classe très faible qui pourtant comprenait remarquablement sur les
questions difficiles de la Comptabilité Nationale. Je veux exclure le grand
Noir, mais l’Arabe lui dit Ne sors
pas ! Je réitère au Noir un Votre
chef vous donne une consigne, mais moi je vous donne un ordre !
Il ne l’exécute pas et me nargue du regard, posture obscène de jambes
écartés et de ventre en avant. Le cours est suspendu pendant vingt minutes et
je finis par dire qu’il est selon mes propres mots incroyables que deux petits
merdeux empêchent toute une Classe
de travailler. J’ajoute que ce
n’est pas la peine qu’il se lève mercredi
matin car je ne le
prendrai pas ! Ce en quoi je m’avance un peu car c’est parfaitement
illégal, mais il faut bien que je fasse le sheriff.
C’est alors qu’un autre Elève agité border line en pleine amélioration
se met à grogner et crier sur le thème enfantin pour savoir si lui il pourra
venir. Je lui confirme même que je souhaite sa venue et que je l’aime bien, ce
qui avait besoin d’être précisé après les empoignades violentes et grossières
du début de l’année. Puis je confirme mon affection au reste de la Classe qui
roucoule de joie et de bonheur, en excluant néanmoins les deux agitateurs.
C’est alors que l’Arabe me traite de vieille
dame.
Je ne me dégonfle pas et répond comme je l’ai appris des québécoises
que ces deux là doivent certainement avoir quelques problèmes … je censure
le détail…. Le Noir sort chercher le Censeur qui ne vient pas mais que
je rencontre dans la Salle des Professeurs comme j’ai commencé à rédiger mon
rapport dans lequel je relate exactement les faits y compris le terme merdeux et la phrase finale que je ne
regrette absolument pas voire même contresigne sans équivoque.
J’informe également le Censeur que les Collègues qui ont la Classe se
plaignent des odeurs de shit et que de mon côté je pense qu’il s’agit bien de
petits intégristes mafieux, même s’ils ont quand même vingt cinq ans, et qu’il
faudrait déclencher une enquête de police… Formellement le Censeur me soutient.
Le Mercredi matin je me prépare en allant au Lycée à prendre un coup de
révolver ce qui m’émeut moins qu’on pourrait le croire. D’abord parce que je ne
crains pas la mort mais aussi parce que je pense que statistiquement ils ne
savent pas tirer correctement et que je ne serais que blessée… ce qui me
permettra d’obtenir un congé qui durera jusqu’à la retraite ! J’en arrive
à comprendre l’état d’esprit des soldats de la Guerre de Quatorze / Dix-Huit.
Divine surprise en arrivant au Lycée un mot du Censeur confirme
l’exclusion de l’Elève que j’avais pris l’initiative de prononcer et évoque -
dans des termes juridiques - une sorte de pré-correctionnelle. On se situe donc
désormais sur le terrain du Droit et je l’attribue au fait qu’on lui avait déjà
dit avec Noël que si les Elèves nous touchaient, on envoyait nos avocats, ce
qui n’est pas habituellement le son de cloche des Collègues plutôt veules et
soumis.
Une autre explication ait qu’ils aient eu vent de mon intervention
judiciaire pour dénoncer la fraude au Baccalauréat et qu’ils se méfient de ce
que je pourrais faire. Ce en quoi d’ailleurs ils n’ont pas tort car je pensais
bien le matin même, leur envoyer une lettre recommandée pour les mettre en
garde contre la montée de la violence et me placer à cet égard sur le terrain
du Code Pénal…
Dans les magasins censés être en plein boom des achats de fin d’année,
il y a partout des réductions de vingt à trente pour cent et des propositions
de crédits sans frais. J’en arrive à penser que les indices sont truqués. Six
millions de personnes ont pour vivre moins de Trois mille huit cents francs par
mois, ce qui explique sans doute que tant de gens mangent des sandwichs dans la
rue, sans compter la pauvreté des habits.
Parmi les petites horreurs du quotidien, une émission à France Culture
lors de laquelle un type très à l’aise nous explique que le corps est un objet
encombrant qui fait obstacle à la communication et dont il faut envisager de se
débarrasser… On se demande si les gens se rendent compte de ce qu’ils
racontent… On voit aussi malheureusement comme ma mère était une femme
d’avant-garde dans ce genre de projet et comment j’en subis à tous points de
vue les effets aujourd’hui.
Du bibliothécaire on apprend qu’avant son arrivée, de Mille neuf cents
soixante douze à Mille neuf cents quatre vingt treize, quatre mille livres ont
été volés à la bibliothèque du Lycée, dont deux fois mon Canal de la
Toussaint
A la lumière de la situation actuelle et du livre de Lydia Tchoukovkaia
qui fait complètement l’impasse sur la politique, je me demande si on ne
pourrait pas considérer en URSS que les massacres des années Trente ont été
causés par la surpopulation. Comme en Algérie aujourd’hui. Un décalage entre
les ressources disponibles et les gens.
Dans le journal Le Monde, l’annonce que la Russie vient de
prendre un décret pour interdire le débit
des animaux domestiques en viande
de boucherie. On lit en filigrane que
cela commence à prendre des proportions et que donc la famine gagne du terrain.
Si on ajoute qu’il y a quelques semaines le Tribunal de Petersbourg a condamné
quelqu’un parce qu’il commercialisait du cadavre humain, on en a la certitude…
De plus en plus fort : Deux homosexuels britanniques ont fait
fabriquer de la progéniture en Amérique grâce d’abord à un ovule donné
anonymement fécondé artificiellement par l’un d’entre deux et mené à terme
grâce à une mère porteuse. Des jumeaux sont nés qu’ils ont réussi en Octobre à
les faire inscrire à l’état civil américain comme n’ayant pas de mère mais deux
pères. Ils cherchent actuellement à obtenir des passeports pour les importer en
Grande Bretagne …
A la Cantine je raconte innocemment avoir vu le film La Bûche et dis bien que ce ne soit pas
un chef d’œuvre en avoir trouvé le propos puissant, intéressant et important.
Il s’agit en effet d’un déballage des hypocrisies, mensonges, moments pénibles
de la vie des couples plus ou moins adultères ou familiaux. Mais ce qui sort de
là rayonnant, solide et immarcescible, c’est l’importance de la progéniture, de
l’enfantement ainsi que de la filiation et cela pour les deux sexes. Quelle n’a
pas été ma stupeur devant la réaction de déferlement de haine de mes deux
Collègues présentes envers le film d’abord puis la réalisatrice ensuite qui
serait - ce que j’ignorais totalement - la fille de Gérard Oury et avait
embauché son propre fils ainsi qu’une copine dans le film alors que la nièce de
la Collègue elle, ne faisait pas la carrière qu’elle aurait méritée…. J’ai été
sidérée de ce torrent de frustration dont on entendait bien au son de la voix
qu’il allait déferler en emportant tout.
En remontant j’ai croisé Adelaïde et Chantalle à qui j’ai lancé Je n’ai jamais compris pourquoi l’Art était
subversif mais ce que je sais, c’est qu’à intervalles réguliers, je
l’éprouve ! Elles ont rigolé.
Puis dans la Salle des Professeurs, les Collabo se sont regroupés dans
la petite pièce assez excités pendant que nous les Républicains gardions le
silence dans la grande. J’ai dit Ca me
fait penser à Visconti et le professeur d’Histoire a repris Aux damnés ? Montrant qu’on sentait
bien la même chose… Ce fut certainement l’instant le plus sacré de ce quart de
siècle passé ensemble dans la Salle des Professeurs.
L’Administration lui a demandé de ne pas arriver le matin à sept heures
cinq car parait il sa présence gêne le ménage…. Cette demande a scandalisé tout
le monde !
A la Faculté de Tolbiac, une Etudiante a été rouée de coups et laissée
blessée sans secours dans un amphithéâtre parce qu’elle avait eu une bonne note
à un devoir. On ne rêve donc pas lorsqu’on voit commencer la destruction
physique des gens instruits et cultivés après les avoir vus toutes ces
dernières années réduits au silence, marginalisés, bafoués, humiliés, pillés,
insultés etc… Sans doute parce que nous sommes pour eux des concurrents
insupportables et que notre élimination physique est nécessaire à leur
promotion…
A Seattle, les Ouvriers américains qui manifestaient avec les
contestataires scandaient Tous ensemble,
tous ensemble… le slogan de la fameuse grève de décembre Mille neuf cent
quatre vingt quinze !...
D’après les statistiques, la délinquance est supérieure à Paris comparé
à la Seine Saint Denis.
Le Professeur de Philosophie m’explique qu’elle enseigne Avicenne et
Averroès à nos Elèves arabes et qu’il n’est pas question qu’elle leur enseigne
Descartes ! C’est bien le pire des racismes communautaristes qui rejoint
le Droit à la Différence qu’a inventé le Parti Socialiste dans les Octantes pour
accepter l’excision et le voile islamique. C’est même le cran d’après car il s’agit là d’un devoir de différence, un apartheid
ethnique racial essentialiste.
Vu à la Télévision en Islande une cérémonie pour fêter le solstice en
traversant un tumulus préhistorique dans l’axe du soleil levant…. Cérémonie à
laquelle participe le Premier Ministre…J’en ai été soufflée, je ne suis donc
pas la seule dans cette vénération et ce goût pour les rites qui permettent de
vivre correctement le sacré, à savoir le lien avec le monde.
La fin d’année au Lycée a lieu avec l’obscénité de la ribouldingue
habituelle à laquelle je ne participe pas. Mais je suis obligée d’aller à la
réunion qui suit lors de laquelle sous prétexte de nous montrer le
fonctionnement de l’Intranet, le Chef des Travaux nous inflige la projection
d’une version pornographique de Carmen qui soulève le coeur…
Dans les magasins on est submergé par la pacotille en provenance de
Chine. Avec les symboles traditionnels de Noël on trouve en même temps, les
cloches de Pâques et n’importe quoi. Cette confusion illustre bien celle de la
société et des mœurs.
Scène de genre, avenue Wagram un peu en dessous de l’Etoile dans le
chantier de rénovation d’un immeuble, je vois par terre un grand paquet et je
m’angoisse à l’idée d’y trouver un clochard dont je crains qu’un jour ce soit à
l’état de cadavre. Mais non, en m’approchant c’est un homme dans un sac de
couchage, un litre de Coca Cola à côté de lui et un roman policier d’Agatha
Christie ouvert à la page en lecture et retourné sur le trottoir faute de
marque page… Naturellement personne ne s’arrête. Voilà des années qu’on ne
s’arrête plus pour porter secours aux allongés.
Dans un Grand Magasin, dans un stand de linge de maison où j’ai mes
habitudes, je retrouve la vendeuse habituelle avec qui j’ai déjà sympathisé et
échangé des vues sur la situation. La conversation a porté là sur les trente
cinq heures et la baisse de l’Euro. Alors que je lui disais comme je l’ai déjà
fait cent fois à des anonymes qu’Ils
allaient nous tuer, pas plus que les autres auxquels je l’ai déjà affirmé,
elle ne s’est pas récriée mais au contraire a confirmé. Et comme
j’approfondissais en la questionnant sur
la façon dont Ils allaient
s’y prendre, elle me répondit Mais
comme ils font là ce que je précisai d’un en nous étouffant petit à petit qu’elle approuva. Elle me prit
alors le bras de façon affectueuse, édulcoration d’une étreinte…
Disant à un ami qui jusque là le contestait qu’on était les prisonniers
des Mafieux qui avaient mis la main sur l’ensemble des richesses de la Planète,
j’ai eu la surprise de l’entendre me répondre que oui, c’était tout à fait
cela ! Ce changement d’opinion étant à attribuer au fait qu’il est
désormais lui-même touché.
Quant à ma dentiste qui vient de s’informatiser avec un logiciel de
vingt cinq mille francs, elle me montre ma denture sur l’écran. On peut mettre
en pointillé les dents qui manquent les trois ou quatre de sagesse, les dents
plombées et les couronnes… C’était si beau que je lui ai demandé de me faire un
tirage papier. J’ai dit aussi que ce serait facile pour l’Etat de centraliser
tout cela pour pouvoir aisément identifier les cadavres, étant moi-même – dans
cette perspective - contente de porter une broche à la jambe. Elle s’est
récriée au nom de la vie privée, mais je lui ai dit que cette notion était
obsolète car dans les hôpitaux on tuait bien les malades, elle a convenu que
c’était bien la réalité…
Dans la rubrique inversion/confusion à la Télévision hier soir un film
sur Jésus mort et ressuscité ! Pour Noël c’est réussi… En fait ils
confondent avec Pâques, mélangeant la mort et la naissance !...
Dans les magasins les objets domestiques en métal se répandent. Un
armement inédit qui ne dit pas son nom. Devant une cuillère en bois, le mot qui
m’est spontanément venu c’est spoon
qui m’a tout de même fait un drôle d’effet. Je l’ai retourné en positivité en
me disant qu’au fur et à mesure que l’anglais se généralisait, on finirait par
s’y mettre sans s’en rendre compte… Par contre - au vu d’objets en feutre - je
suis passée au large, pensant qu’avec ces mafieux là tout était possible…
On apprend qu’en Allemagne Kohl aussi détournait de l’argent.
Cyclone ! Dans Paris le vent souffle à cent soixante-dix
kilomètres/heure et à deux cents cinquante sur le Pont de Normandie !
Dimanche sur la moitié Nord et Lundi sur le Sud. Soixante quatorze morts !
Un quart des lignes haute-tension de l’EDF sont inutilisables. Les pays voisins
doivent nous prêter du matériel. Les gares sont fermées, les voyageurs
abandonnés à leur sort. La famille voyant ses projets annihilés se replie à la
maison transformée en caravansérail. Ajoutons une marée noire que la Ministre
de l’Environnement Voynet prend avec beaucoup de détachement.
Je n’ai pas eu le temps de raconter ma déception lors de ma visite au
Centre Culturel Russe où je me suis annoncée comme un écrivain faisant des
recherches sur Akhmatova, ce qui - je m’en suis rendue compte - n’était pas une
bonne idée. Il n’y avait pas de livres en français sur la poésie russe début de
siècle. J’ai quand même pu - dans un catalogue du Centre Pompidou - lire des
critiques de Mandelstam et Tchoukovsky concernant la poétesse, articles publiés
en Mille neuf cent vingt et un et vingt trois….. C’était terriblement émouvant,
car ces deux auteurs sont pour moi des amis avec qui je vis et visite à
l’occasion. Finalement je me suis dis que c’était toujours le Centre de
France-URSS. La boutique de souvenirs était dans le style habituel sans poupée
d’Elstine…. Mais avec un Kremlin surmonté d’une l’étoile rouge.
Fin d’année terrible : Quatre vingt cinq morts et six cents mille
foyers sans électricité ni téléphone. Plusieurs lignes de chemin de fer n’ont
pas été rétablies. Un tiers de la forêt est détruite et la moitié des bois
parisiens. Des clochers ont été emportés. Un clocheton de la Cathédrale de
Rouen si chère à mon cœur est tombé sur le chœur qu’il a défoncé. Un vitrail de
la Sainte Chapelle, le toit du Panthéon, les verrières du Mont Saint Michel
etc…sans compter les désastres pour les Agriculteurs et les Industries…
Ma conviction est bien qu’il s’agit de cyclone dans la mesure où dans
ma rue, j’ai effectivement vue une colonne d’air qui tournoyait dans un sens et
dans l’autre. Confirmation donnée par les Américains qui les ont intégrés dans
leur liste sous les noms de Lothar et Martin. Les deux !
Les prétendues fêtes du Millénaire voient les populations se promener
dans une ville vague et vaine car si les transports sont gratuits, ils ont été
supprimés et toutes les boutiques sont fermées. Les gens divaguent un peu
allumés avec cet air que je connais si bien : celui du prédateur qui sait
qu’il va saisir sa proie.
Vu avant-hier au Musée Maillol, l’Exposition Boulatov qui m’a vivement
impressionnée car ce peintre me semble dénoncer comment le Communisme et le Libéralisme
empêchent également de vivre à cause de l’omni et oppressante présence d’une
propagande effrénée. Notamment le tableau du saut qui m’a semblé saisissant sur
le thème de l’écroulement du Mur de Berlin.
Achetant le catalogue je m’en suis ouverte à la vendeuse d’une
vingtaine d’année qui m’explique qu’il s’agit de Clint Eastwood et que le
peintre travaille sur l’obstacle du regard. Comme elle insistait pour me dire
ce qu’il fallait en penser et que n’était pas du tout ma vision des choses, la
conversation à tourner à l’aigre.
Ce qui m’arrive souvent ces temps derniers comme je tente de parler
d’Art avec les gens.
Le malentendu vient du fait que je leur parle de l’œuvre elle-même
alors qu’ils veillent au
politiquement correct version française ! Pour eux l’Art doit
être un instrument de propagande dont il s’agit de vérifier qu’il a bien la
ligne juste…
L’idée de ce fonctionnement m’était venue à la lecture d’un recueil de
nouvelles d’Elsa Triolet dont il était clair que la fonction était de diriger
l’imaginaire des prolétaires… Cela m’était arrivé une autre fois au sujet du
film Apocalypse Now qu’un Collègue avait trouvé indécent.
Les deux difficultés coup sur coup m’ont fait souvenir qu’Akhmatova
avait dit que dans les Années Vingt, en Russie l’Art avait été supprimé.
La formule m’avait parue saisissante comme me révélant quelque chose que je
n’aurais pas cru possible et qui pourtant était en train de se passer…
L’interdiction portant en fait sur la création d’une forme qui donne à penser
et transmet. D’où le reproche qui lui a été faite d’être formaliste.
Obscénités de ces informations télévisées lors desquelles la
présentatrice nous explique avec un sourire exquis que les Fêtes de fin d’année
se sont très bien passées et que rien n’est venu troubler les festivités. Elle
détaille des agressions sans gravité, une quarantaine
de voitures incendiées à
Strasbourg en nous expliquant que c’est une coutume
pour fêter le Nouvel An !
On est scandalisé du décalage entre la phraséologie de la propagande
sur les droits du consommateur, l’arbitrage du marché, les droits de l’homme,
le choix des produits etc… et dans la réalité la négation complète de la
personne, son bien-être et sa sécurité minimum. Preuve à l’appui, les
informations qu’on reçoit par la suite, à savoir qu’il y a eu mille personnes
qui se sont présentées aux urgences et que c’est un quart en plus que l’an
dernier !
Seule lumière de cette fin d’année tristounette, j’ai vu le trente et
un dans le Marais sur un rebord de fenêtre une assiette de petits fours et
quelques autres douceurs alimentaires déposées là à l’intention sans doute des
clochards…
On n’ose même plus échanger des vœux, de crainte d’avoir l’air déplacé.
Ce que Noël appelle la partouze pédagogique. La bise du Proviseur, alors même que je lui avais
clairement signifié mon refus d’en être, mais il a passé outre.
Une Collègue a donné une gifle à un Elève noir qui l’avait poussée.
Elle est tombée par terre et nous raconte cela à la récréation de dix heures.
Je lui manifeste de la compassion mais suis bien la seule. Je propose qu’on
contresigne tous son rapport mais cela tombe dans un silence glacial. Pourtant
on pourrait considérer cela comme un accident du travail.
A propos d’un Elève qui n’était pas tout à fait en règle et que j’ai un
peu laissé de côté, la nouvelle Surveillante Générale vient me dire comme on
morigène un enfant, qu’elle aimerait bien que je sois plus gentille avec… il
est venu me trouver etc…. Cette femme n’a pas trente ans et d’une vulgarité
inouïe ne déparerait pas en étant cantinière en campagne… Elle me précise que
le père de l’Elève a été dans le coma pendant des mois, qu’il est mort et que
c’est pour cette raison que l’Elève n’était pas venu et elle réitère sa
demande. Je lui réponds qu’effectivement je n’en savais rien mais j’ai regretté
finalement de ne pas l’avoir envoyé quand même sur les roses car tout cela nous
dévoie complètement.
On annonce dans le journal VSD que Claude Allègre va être prochainement
mis en examen pour l’affaire de la mine d’or dont j’ai déjà connaissance.
Ils viennent de cloner un singe et de greffer les deux avant bras avec
mains… venus d’un donneur anonyme multi-organes. Ce
qui veut dire avec le décodeur qu’ils ont complètement débité un cadavre au
mieux et qu’ils l’ont au pire, tué pour l’avoir plus frais…
Les Collègues en sont à souhaiter l’instauration d’une Monarchie, qu’ils précisent néanmoins Constitutionnelle.
Incidents à tour de bras. Chez le photographe pour la photocopieuse
devant lequel un homme dans le genre des Ministres de Franco attend que je lui
cède la place alors que je suis en train d’opérer. Je ne me laisse pas faire
lui expliquant que j’ai les mêmes droits que lui à cet usage. Il dit à mon
sujet C’est une bête ! Je suis
obligée de le traiter de Vieux Schnock !
La Librairie en face du Lycée a changé de propriétaires. Je suis
accueillie par un troisième homme client ou ami qui me précise qu’ils ne
vendent pas de tringles à rideaux… Je déroule la stratégie habituelle à la
Québécoise comme chaque fois que je suis méprisée en tant que bonne femme,
expliquant de quoi il retourne. Et comme les choses s’enveniment et que les
deux patrons n’interviennent pas je finis par lui dire Occupe toi de ta mère ! Ce qui déclenche en réponse un Et en plus elle est grossière !
Ce qui d’ailleurs était vrai dans le code en vigueur mais je répondais par
la grossièreté des paroles à la grossièreté des sentiments, faisant ainsi
advenir visible la réalité de la situation.
Franche rigolade sur la langue de bois en vigueur dans l’Education
Nationale. Le référentiel bondissant signifie
le ballon. Mais le plus énorme c’est
la Secrétaire du Syndicat complètement stalinienne qui explique sérieusement
que c’est ainsi parce que le ballon sert à l’Elève à se situer dans l’espace
par rapport à lui. Parole absurde et monstrueuse qui m’a fait quand même
comprendre ce que jusque là je n’avais pas saisi, à savoir l’invention de ce
terme référentiel qui n’existe pas au
dictionnaire et a surgi à la place de programme,
avant d’en voir son sens élargi.
Cela veut en effet dire que le sujet (l’Elève) doit désormais se situer
par rapport à l’objet (le ballon). C'est-à-dire là aussi une inversion de
l’objet et du sujet. Il s’agit donc de modifier en profondeur le psychisme. Et
probablement en relation avec la Révolution Cybernétique qui place la
Machinerie au centre et renvoie la matière vivante à la périphérie.
Je suis très contente de cette découverte, depuis le temps que j’avais
l’intuition que tout cela avait été froidement mis au point.
Agitation au Lycée à cause de la fermeture prévue d’une Section
Comptable et de son remplacement par une Troisième Année spécialisée dans Les Entreprises
Culturelles. Réunion secrète de
certains Collègues avec la cellule culturelle de l’Académie (re-sic) repaire de Nomenclaturistes de tous poils. Les
Collègues cherchent à se placer et c’est le panier de crabes qui éclate au grand
jour. L’air du temps est au meurtre symbolique voire réel.
Peut être l’apparition du terme de tempête
centennale à la place de séculaire relève t-elle de la même
logique tendant à faire perdre la mémoire que contient l’idée de séculaire et
qui de toute façon est fausse car la tempête n’a pas lieu tous les cents ans
mais deux ou trois fois par siècle. Il s’agit d’une régularisation
mathématique.
Dans l’autobus comme un homme voyait que je cherchais en vain un étui à
lunettes que je n’avais pas, il m’en a offert un rose fluo… Un publicitaire.
L’homme était arabe. C’est ce que j’appelle ma
vie dans la main de
l’ange.
J’ai décidé de tenir un
catalogue de mes œuvres littéraires. Le fait est que les oublis commençant à devenir
nombreux, la chose s’imposait pour des raisons pratiques. J’ai fabriqué
moi-même le carnet avec des feuilles de papier à dessin et un reste de la toile
qui m’a servi à rénover le fauteuil du Grand Père Fontaine qui est sur la
loggia. J’ai continué mon travail en Salle des Professeurs avec ma trousse de
couture. Les Collègues ont été étonnés mais plutôt épatés. Quant à moi je
l’avais apportée pour RESTER SUJET. Grâce à une action simple et efficace,
servant à affirmer l’AGIR, même si la grammaire souhaiterait qu’on dise action.
Jacqueline nous expliquant en Salle des Professeurs que les Israëlites
font du bruit dans son immeuble le shabbat parce qu’ils n’utilisent pas
l’ascenseur, qu’on entend leurs pas lourds dans l’escalier, et comme c’est
intolérable de dépendre comme ça du rythme des autres…
Le Chef des Travaux m’a dit que je ne valais pas la corde pour qu’on me
pende et m’a coincée dans un recoin de la Cantine quand il n’y avait plus
personne d’autre que lui et moi pour me menacer. J’ai fini par lui dire pour me
dégager des choses très désagréables sur son arrière train et l’état dans
lequel il était…
Il faut dire qu’auparavant il s’en était pris à mon âge et à mon volume
en m’insultant, me traitant de grenouille qui s’enflait, de Charlot etc… Il
avait d’ailleurs commencé par me dire que j’étais insupportable parce que je
méprisais tout le monde et que j’avais dû rectifier que Non non ! Pas tout le
monde, mais lui etc… La prise de
bec étant partie de l’impossibilité de mener une conversation même anodine à
cause de son scientisme grossier… Il faut dire que ce monsieur a pour fonction
de nous obliger à utiliser les ordinateurs pour nos cours, quelle que soit la
matière…
Les Elèves n’obéissent plus du tout et on a affaire à des émeutes lors
desquelles ils parlent entre eux en Arabe.
Mutinerie à la Cantine des Professeurs tellement la nourriture est
mauvaise, quasiment pénitentiaire. Non seulement ce n’est pas bon, pas chaud,
pas suffisant mais encore sinistre dans la présentation. Une nourriture
systématiquement industrielle. Le fromage est toujours en portion emballée, les
desserts des crèmes industrielles ou des fruits en conserve et des compotes, du
riz, des pommes de terre, des nouilles etc…
L’Intendante totalement incompétente a déclaré forfait. Plus rien n’est
réparé, et maintenant c’est en quantité qu’il n’y a même pas assez de
nourriture, ce qui ne m’est jamais arrivé alors que je fréquente les cantines
depuis l’âge de onze ans, à l’exclusion des deux années à la Martinique. Partout
et toujours il y avait au moins des légumes à volonté et là même pas ! Et
comme on demandait à l’Intendante pourquoi il en était ainsi, elle nous
expliquait que c’était parce qu’elle devait faire des économies ayant perdu
beaucoup d’argent l’année précédente. Il faut dire que la gestion était
invraisemblable…
Dans la Salle des Professeurs Jacqueline profitant que je me lève pour
prendre quelque chose dans mon casier, s’assied à ma place. Comme j’essaie de
la récupérer un groupe de Collègues tentent de m’y faire renoncer sur le thème
que je suis un chien qui s’est indûment approprié un fauteuil et qu’il est
légitime dans ce cas de le faire lâcher prise…
Conseil de Classe de 1TSC2 dans laquelle j’ai eu au premier trimestre,
les graves incidents avec les deux Elèves particulièrement violents. Je suis
effarée de constater que le Noir qui m’avait tenu tête est là aussi tellement
déchainé que personne ne parvient à le faire taire et pas même le Censeur qui
n’est pas suspect dans cette séance de le laisser faire. Je n’ai jamais vu une
telle situation en trente deux ans de carrière… Plus aucun de nous, Professeurs
ou Administration n’avions la loi…. Les Collègues confirmant le caractère
inédit pour eux aussi de cet état de fait.
C’est alors qu’un jeune Collègue Professeur de Français soulève le
problème de l’élève H soumis à de mauvais traitements de la part de ses
condisciples. Il est bon, affectueux, intelligent, lucide et compétent et
j’avais bien constaté sans en comprendre la cause, que depuis quelques semaines
il naufrageait complètement, se repliait sur lui et devenait fou.
Quelle n’a pas été ma surprise d’entendre les délégués des Elèves dont
le grand Noir à qui j’avais déjà eu à faire ne pas nier les faits, n’y voir
aucun mal et se défausser en disant que l’autre n’avait qu’à se défendre…
J’ai alors tapé sur la table au sens propre, dis que je censurerai les
propos contraires à l’ordre public et ajouté qu’il me semblait qu’il y avait quelque chose de bizarre dans cette
classe, mais maintenant je comprends, ça pue le nazisme ! Et comble
d’étonnement, personne n’a protesté contre ce commentaire hallucinant tenu à
propos de celle-ci, en Conseil de Classe.
Mercredi, le clou en Première Une où déjà la semaine dernière ils
parlaient entre eux en Arabe en s’insurgeant contre moi, mes tentatives
d’enrayer le chaos ont débouché sur une prise de bec sévère. Une jeune fille
arabe - sympathique par ailleurs - Djemila A. mais qui ne fait rien et bavarde
sans arrêt est venue après le cours, me demander des explications que j’ai
refusé de lui donner, car je connais la musique en lui faisant signe de la
main, de partir…
Elle m’a alors traitée de Grosse
Vache et de Petite Conne. J’ai
fait un rapport demandant une exclusion temporaire. J’avais d’abord proposé
seulement un avertissement mais des Collègues en qui j’ai confiance m’avaient
convaincue que ce n’était pas suffisant. J’ai mis dans mon rapport que les deux
injures étaient d’ailleurs contradictoires et blessaient la logique du tiers
exclu… Façon de me moquer gentiment de l’Administration que je méprise encore
plus que la fraction mafieuse des Elèves…
A Bondy, nos chers bambins ont mis du détergent dans la machine à café
des Professeurs tandis qu’à Montpellier, c’est de la mort aux rats ! A
Mantes la Jolie, trois Elèves ont jeté un petit de sixième du haut de
l’escalier parce qu’il refusait de continuer à faire leurs devoirs
d’Espagnol ! Partout des histoires de rackets, de viols et de cocktails
Molotov sans compter les vols, incendies, passages à tabac et destructions diverses
devenues depuis longtemps, monnaie courante. Partout, le long des rues, les
fenêtres du rez-de-chaussée, se couvrent de grilles.
Jusqu’à Noël encore les Elèves étaient pour moi un élément positif en dépit
des difficultés que je pouvais avoir dans mon Enseignement. Désormais c’est une
sorte de répulsion physique que j’ai pour toute une partie de l’Ecole, une
partie de l’Administration, une partie des Collègues, une partie des Elèves et
cela c’est nouveau….
Cette répulsion provient non seulement des postures de leurs corps mais
aussi de leur conversation, de leur voix, de leur langue plus que de leur
langage. Répulsion de leur mise en scène dans la mesure où ils prennent des
attitudes mensongères stéréotypées aggravant encore cette ambiance générale
factice.
Quant aux Elèves que je ne supporte plus du tout - le quart de
l’effectif - c’est non seulement à cause de l’absence de points communs entre
eux et moi ainsi que la conviction intense que non seulement cela ne s’arrange
pas au fil du temps mais au contraire s’aggrave irrémédiablement.
Nouveau clash dans la même Classe de Première où je me suis entendue
dire à une fille que je ne supporte plus du tout parce qu’elle provoque et sème
le chaos Vous, R fermez votre sale
gueule ! On imagine la suite…
Le Ministre Allègre a fait part de son désir d’imposer un barème de
sanctions répertoriées d’avance. Une sorte de Code Pénal lycéen dont je n’étais
pas vraiment partisane mais auquel j’étais tout de même prête à me faire… En
réalité, il a développé son point de vue dans lequel il est apparu qu’il
trouvait qu’il y avait trop de sanctions et qu’on devait les remplacer par des
travaux d’intérêt général ou des devoirs supplémentaires… Le tout bien sûr
confirmant l’impossibilité de se débarrasser d’eux d’une manière quelconque. On
passerait alors d’une impossibilité pratique de le faire, à une impossibilité
théorique… On évolue vers un enfermement des Professeurs et des Elèves dans le
même lieu ségrégué.
Intense propagande pour nous expliquer qu’il n’y aucune différence
entre nous-mêmes et les animaux. Tous les jours plusieurs documentaires ou
articles enfoncent le clou.
En dépit de ma relance, l’Administration n’a toujours pas répondu à mon
rapport. J’entre en Classe et l’insulteuse y est. Je lui demande de sortir ce
qu’elle ne fait pas. Elle se met à nouveau à vociférer. Je sors alors moi-même
pour aller chercher les Autorités et j’entends une clameur de victoire dans la
pièce que je viens de quitter, comme si c’était un match de foot. Mon cœur
s’est serré.
Je demande au Proviseur de venir chercher la fille puisque personne n’a
répondu à mon rapport et que je veux en être débarrassée. Il vient avec moi
mais dans son antichambre nous trouvons la fille et deux ou trois de ses
copines. Je lui dis donc que cela va et il me raccompagne tout de même à ma
classe dans laquelle le travail reprend à peu près normalement.
Après les cours du matin, je pars au Bon Marché acheter de la laine
pour tricoter un couvre lit… J’ai acheté cette laine soldée à quarante pour
cent de sa valeur, je l’avais repérée précédemment lorsqu’elle l’était déjà à
soixante dix pour cent et parce que je craignais de ne pas en avoir
suffisamment avec ce que j’avais déjà acheté.
Je retourne au Lycée pour les cours de l’après-midi après avoir déjeuné
sobrement chez moi, et trouve dans mon casier une note de service qui m’annonce
que Djemila A. qui m’a insultée reprendra les cours, Mercredi. Est joint une
lettre d’excuse mensongère dans laquelle elle décrit la scène comme si elle
avait proféré les injures entre ses dents pour elle-même et que je ne les avais
entendues que parce que j’avais prêté l’oreille de façon indiscrète. J’ai
failli en avoir une crise cardiaque. Furieuse et humiliée je suis retournée
chez le Proviseur qui n’était pas là.
Mardi le Chef d’Etablissement n’est pas là.
Mercredi en Salle des Professeurs, il entre et fait son habituelle
tournée des popotes en serrant les mains etc… Tout en tricotant et en ne
cessant pas de le faire – relativement courageusement - je lui déballe
sèchement ce que je pense de son absence de soutien. Il commence par me dire
qu’il ne faut de double peine et que puisque j’ai pris une sanction - j’avais
dans mon rapport annoncé que j’excluais la fautive Jeudi et Vendredi - et que
donc il n’avait pas à en prendre de son côté.
Je lui ai fait remarquer que ce n’était pas cher payé pour la gravité
de l’injure mais lui a argué du fait qu’il avait consulté l’ensemble du dossier
de l’Elève qui n’était pas la pire… qu’on pouvait en faire quelque chose… etc
Je lui explique à quel point la lettre d’excuses est mensongère et il a
le toupet de me dire qu’il le sait très bien et qu’elle a reconnu la réalité
des faits…Que déduire de tout cela ? Le Pire, le cynisme, le mensonge,
l’arbitraire etc…
Je finis par lui dire devant les Collègues, à quel point je trouve tout
cela inacceptable.
Je suis obligée d’arrêter cette chronique tenue depuis vingt ans, car
je ne suis pas en état physiologique de la poursuivre et elle prend trop
d’énergie alors que je ne parviens d’ores et déjà plus à me maintenir au
travail qui est devenu un véritable CALVAIRE. Un travail forcé qui tue.
*
Fin de la chronique recopiée en 2010 des carnets manuscrits. Lesquels
ont été détruits. Leur numérotation ne correspond pas à leur nombre effectif
matériellement parlant car il en existait en même temps beaucoup d’autres sur
de nombreux sujets, la plupart ayant eux aussi été détruits.
Cette chronique se veut celle
de la société française. Elle n’est en aucun cas un journal littéraire ou
culturel et ne relate qu’une petite partie de mes activités.
J’en ai supprimé tout ce qui
touchait à la vie personnelle - au sens de privée - m’efforçant pour le reste
de coller aux originaux, n’en améliorant jamais que le style – notamment en
supprimant l’argot, omniprésent - et jamais le fond. Quitte à ce que le texte -
et c’est le cas - perde de son mordant.
J’ai sabré les répétitions -
qui étaient nombreuses - chaque fois que je les ai dans la masse, repérées et
les passages sans intérêt, assez rares. J’ai contracté les descriptions
filandreuses et ôté quelques jugements grotesques sur la vie politique. J’ai
censuré tout ce qui menait tout droit à un procès et est encore allégé le texte
pour sa mise en ligne sur la Toile. Tout cela dans une perspective de
publication.
Enfin le titre est extrait d’un
poème de Blaise Cendras La prose du
Transsibérien et de la Petite Jehanne de France …
Jeanne Hyvrard
Mise à jour : janvier 2019