Jeanne
Hyvrard
Sommes-nous
bien loin de Montmartre ? *
(Version WEB)
Autographie
de la vie française
1981-2000
Pour la Librairie Jonas 14 Rue Maison Blanche 75013 Paris, victime d’un
attentat :
Cocktail Molotov
Plastic
Les librairies sautent
Une à une
Encre Noire
Millefeuilles
Phénix
Et quelle autre encore
Pseudonyme anonyme
Puisqu’il est nom de femmes
sans nom
Jonas maintenant
Jonas la vingt-troisième du
nombre
Et quelle autre encore
Dont le nom n’est pas venu
jusqu’ici
Faute de mot
Faute de temps
Faute d’espoir
Les librairies brûlent
Fahrenheit 451
Que dit cet homme qui croit au
roman
Que dit cet homme qui croit
encore à la fiction
Que dit cet homme qui veut
croire que c’est seulement un film
Et que les lumières vont se
rallumer
Sur les spectateurs criant
bravo
A l’abri des fauteuils rouges
Jonas
La librairie autodafé
La librairie bûcher
La libraire brasier de lumière
noire
Pour que tout mot
Tout texte
Toute parole
Se fonde en un fagot unique pour
que se taise toute voix
Se consume en une braise unique
pour que cesse toute clarté
S’éteigne en une cendre unique
pour que meure toute vie
Fahrenheit 451 la chair des
livres calcinés au crématoire de la pensée
Mais les lumières ne se sont
pas rallumées
Les spectateurs n’ont pas crié
bravo
Ils sont là dans la rue
Au milieu des gravats
Des meubles cassés
Des verres brisés
Ils sont là debout au milieu du
passage
En proie au redressement
J’ai proposé ce texte aux Nouvelles Littéraires, sans succès.
C’est déjà
pénible d’avoir honte de son pays, sans en plus, avoir honte de soi.
Fureur de voir que
non seulement le prix des gâteaux augmente mais qu’en plus, leur taille
diminue. Il devient presque ridicule de n’en acheter qu’un.
Placet à l’héritier du Roi, pour obtenir la
grâce des condamnés à mort à l’occasion des Fêtes de Pâques de l’an 1981
A cette femme qui demandait
l’abolition de la mort
Il fût répondu
Que Messieurs les assassins
commencent
Oui qu’ils commencent
Et qu’il nous soit donné de
leur redonner la vie
Puisqu’ils ont pris sur eux le
fardeau du meurtre
Nous prendrons sur nous le
fardeau de dire
Ils sont avec nous dans la même
espèce
Car celui qui Jeudi partagera
avec les murs
Le pain qu’il n’a pas eu et le
vin de l’amertume
Ne dira pas à ces gardiens
Prenez et mangez faites ceci en
mémoire de moi
Car ils n’auront cesse de
l’oublier
Comme le remords le plus
profond de l’échec de tous
L’échec du meurtrier d’avoir
commis le meurtre
Et l’échec des autres de
n’avoir su l’empêcher
Celui qui Jeudi vieillira seul
dans sa cellule
N’aura avec lui ni Pierre ni
Jean
Ils dormiront trop fatigués
qu’ils sont
Pour écouter plus fatigués
qu’eux-mêmes
Il n’écrira pas à sa mère lui
désignant son ami
Femme voilà ton fils
Car de mère il n’en a point eu
Autre qu’assistance et
nourrices
Et d’amis il n’en a pas gardés
Faute d’avoir été aimé
Celui qui Jeudi ne dormira pas
Entre révolte et consentement
Atteindra Vendredi le terme du
voyage
Parce que la foule aura crié A
mort
Et que celui qui avait le
pouvoir de gracier
A préféré rejoindre le
meurtrier dans le meurtre
Et pourtant la foule
Elle le gracie
Que son sang retombe sur nous
et nos enfants
Car celui qui est derrière les
barreaux nous ressemble
Et que sa mort assouvit la rancœur
Celui qui Vendredi va mourir
Ne portera pas sa croix
Parce que celui qui avait le
pouvoir de le faire mourir
N’a pas jugé ce pouvoir
abominable
Au point de refuser d’en user
Préférant perdre pour lui-même
ses racines
Et tout ce qui le liant à la terre
Le nourrit et l’agrandit
Celui qui Vendredi va mourir
Ne verra pas les deux larrons
dans la cour de la prison
Il ne les entendra pas dire
Nous nous avons la récompense
de nos actes mais lui il est innocent
Car il n’est pas innocent
Et ils détourneront les yeux
Parce que celui qui possédait
le pouvoir de faire vivre
N’a pas voulu tenter ce petit
miracle
Miraculeux d’être un miracle
d’homme
Celui qui Vendredi va mourir
N’aura pas le temps de dire
Mon Dieu, Mon Dieu
pourquoi m’as tu abandonné
Car il sera basculé sur une
planche
Mains liées
Cheveux coupés
Chemise ouverte
Parce que le Prince n’aura pas
osé dire
Vous réclamez sa mort,
mais moi, je veux qu’il vive
Pour qu’il n’y ait pas deux
morts, là où il y aurait pu n’y en avoir qu’un seul
Celui qui vendredi va mourir
Ne fera pas la nuit sur la
terre
La vie continuera comme si de
rien n’était
La foule exultera criant
Justice est faite
Celui là au moins ne tuera
plus
Et le Prince dans son palais
N’entendra pas siffler les
pierres
Parce que tenant le pouvoir de
la foule
Le pouvoir d’être plus fort que
la mort
Il n’a pas jugé bon de rendre
grâce au jour
Celui qui Samedi va refroidir
la tête séparée du corps
Ne sera pas pleuré par les
victimes tendres qu’il a tuées
Il pourrira convulsé sous les
crachats et l’insulte
Il ne trouvera pas la paix
Parce qu’ayant commis
l’intolérable
Il ne lui aura pas été donné de
recommencer autrement
Celui qui Dimanche ne va pas
ressusciter
Mourra désespéré de n’avoir pu
croire à la bonté des hommes
Car il sera mort parce que le
Prince ayant affamé le peuple
N’avait plus à lui jeter en
pâture
Que la tête pâle d’un condamné
Que Messieurs les Assassins
commencent
Oui qu’ils commencent
Et qu’il nous soit donné de
dire
Qu’ils sont toujours avec nous.
NB. Envoyé pour
publication au Monde et au Matin. Sans succès.
Stupéfaction de
cette guerre qui se noue : Voir les fronts s’ouvrir, l’Afghanistan, La
Pologne, La Syrie, entendre la propagande éhontée pousser la population à la militarisation
à outrance, et à l’idéologie la plus réactionnaire. Stupéfaction de voir
fonctionner des manipulations vieilles comme le monde et ne pas savoir comment
s’opposer à tout cela. Comme on comprend comment il a été facile à la
génération précédente de passer à côté de la Guerre d’Espagne, du Nazisme et de
la Collaboration.
L’action à mener
consiste à obtenir de notre gouvernement la rupture des relations commerciales
et techniques avec la Pologne, au cas de son invasion par l’URSS. Il y a
urgence de se mobiliser en faveur d’une Europe indépendante, sans pour autant
savoir comment faire pour y parvenir. Comme si tout était suspendu aux
Elections Présidentielles en France d’abord et à l’invasion de la Pologne par
l’URSS ensuite. Comme si tout était en place pour une nouvelle tragédie que
personne ne peut pour autant empêcher. La nécessité pourtant de croire qu’elle
peut l’être et de tout faire pour qu’elle le soit.
Leçon de désespoir
en entendant Marie-France Garaud dire : Il
n’y a que deux moteurs à l’activité humaine, l’intérêt et la contrainte.
Chagrin de constater l’entreprise de décervelage de la Télévision et la banalisation de l’horreur. Notamment cette tentative de faire apparaître la guerre comme finalement un bon moment. Bientôt 39-45 ne sera plus que le répertoire de ses chanteurs...
L’énervement de
cette campagne électorale durant laquelle la Droite ne parle que de guerre et
d’armement et la Gauche si peu du changement de la vie. L’angoisse augmente au
fur et à mesure que l’échéance se rapproche. L’image qui me revient sans cesse
est celle d’une fissure dans laquelle s’enfilerait une eau noirâtre.
J’ai la crainte de
ne pas pouvoir jouer avec ma partenaire la pièce de café-théâtre Le Con métaphysique que j’ai écrite cet
hiver, pour des raisons de censure et/ou de risque de bagarre physique. J’ai de
surcroît la crainte de perdre mon emploi d’enseignante au Lycée Technique,
celle de voir mes conditions de travail s’aggraver, de voir mon niveau de vie
baisser, et qu’en fin de compte ma progéniture ne puisse pas faire d’études.
Mais j’éprouve aussi l’excitation de savoir enfin ce que les gens valent
vraiment dans mon entourage et y compris moi même car je suis lasse de ces
prétendus gens de Gauche qui bien souvent me paraissent vivre à Droite.
Aux Galeries
Lafayette, en essayant de la lingerie, le bonheur d’entendre les vendeuses
espérer dans la réduction du temps de travail aux trente cinq heures
hebdomadaires sans oser vraiment y croire.
Le chagrin du temps
qui couve dans ce retour à l’ordre dans tous les domaines. Aujourd’hui dans le
costume. Le retour des gaines, des talons hauts, des ensembles stricts quand
ils ne sont pas kaki ou de cette forme informe que je ne sais pas comment
nommer, disco ou quoi d’autre, une sorte d’apologie du rien. Des vêtements qui
n’ont pour eux ni la coupe, ni le tissu, ni la forme, ni même la couleur. Une
tristesse de vêtements pisseux. Toute la débilité de l’Amérique sans son
génie...
Enervement accru à
l’approche des Elections Présidentielles. Partout on ne parle plus que de cela.
Aujourd’hui il n’y a pas eu moyen d’entrer dans une boutique, sans que la
question soit sur le tapis.
Paix quand même,
paix aujourd’hui ! Le bonheur de ce bureau de vote où défile un peuple.
Beauté du suffrage universel. Conquête de plusieurs siècles. Superposition des
images de l’Amérique Latine et de l’Afrique. Décidément l’Europe est un
jardin ! Mais en fait, c’est seulement en écrivant ces lignes que je me
rends compte que le suffrage n’est pas si universel que cela. Il y manque
décidément celui des Immigrés. Satisfaction minable d’avoir mes papiers en
règle. Une pensée pour tous les clandestins lorsqu’ils présentent les
faux !...
Dimanche aussi,
profanation d’un cimetière juif. Terrifiante inscription : Nuremberg, bientôt la revanche !....
Dimanche soir :
L’étonnement du résultat du premier tour des Elections Présidentielles.
François Mitterrand fait vingt six pour cent. Les journalistes ont la tête déconfite.
Fascination de
Georges Marchais à la tête du Parti Communiste disant Je n’ai jamais changé…. J’ai
toujours dit… et disant exactement
l’inverse de ce qu’il disait huit jours auparavant. De toute façon, la
situation est la meilleure qu’on puisse espérer. Je pense cette fois qu’on va
gagner.
Pour Mille cinq
cents francs de provisions à Euromarché
afin de commencer les préparatifs de la fête du 10 Mai qui aura lieu chez nous et
d’avoir de quoi faire face aux provocations qui risquent de se produire le
Premier Mai. Commande du dessert pour Dimanche, chez le boulanger.
Bobby Sands -
patriote irlandais - s’est laissé mourir de faim. C’est odieux et
absurde ! Grandeur pourtant de cette dignité qui seule, reste aux
Opprimés.
L’énervement
augmente en attendant les résultats de Dimanche. De mon côté, je me réjouis
d’avance en me disant qu’il sera toujours bien temps de pleurer Lundi. En fait,
si François Mitterrand n’est pas élu, j’espère qu’il y aura la Grève Générale
car je me vois mal continuer comme cela.
L’énervement est à
son comble. La moitié des gens croyant qu’il va passer, dont moi et l’autre
moitié alternant entre les hauts et les bas dont mon voisin et la marchande de
journaux… Naturellement je parle des gens que je connais ! Par ailleurs la
ville entière ne discute que de cela. On ne peut pas entrer dans un lieu public
ou rencontrer quelqu’un, sans que ce soit le sujet !
L’étonnement
finalement que cette campagne se soit déroulée sans que ce qu’on appelle les affaires
ne viennent en débat. C’est peut être à cela qu’il faut juger le peu de
démocratie de la France. La découverte aussi que finalement une partie de mon espérance
n’est pas à attribuer à des questions politiques. Mais que l’attraction
éprouvée envers François Mitterrand est aussi affective. Comme s’il y avait
enfin un Président que je puisse aimer. A cause de son éloquence d’abord - et
j’y tiens - mais aussi parce qu’il parle des oiseaux et des chemins.
Un livre, une
vie, un gué, un point de passage obligé, une convergence, un sommet, une
nécessité. Tous les amis étaient là avec leurs enfants. Et j’avais préparé le
verre de chacun avec une étiquette collée qui le décrivait. On a été violemment
heureux, comme l’avait annoncé le bateleur du Parvis Beaubourg, John L’Indien.
Cette journée qui n’en finissait pas.
L’attente meublée infiniment par l’épluchage des petits légumes, cette soirée
arabe par son hospitalité sans limite, mes achats excessifs commencés dix jours
auparavant, cette masse d’argent dépensée sans compter, cette vaisselle toute
entière offerte et j’en avais même rachetée pour la circonstance notamment un
plat rond exceptionnellement grand. J’avais tout sorti, les couis, les calebasses, les plats
tunisiens, tout le flamboiement de nôtre, de ma vie. Et par dessus tout, le
gâteau commandé pour cette occasion si particulière et sur lequel j’avais fait
inscrire au sucre glacé L’égalité ou
la mort !
Quelques minutes
avant le Journal de Vingt Heures, les invités debout devant la Télévision qu’on
avait pour l’occasion hissée sur le haut de l’armoire créole. Cette angoisse.
Cette ambiance de bistrot. Ce Soixante Huit moissonnant. Le parfait bonheur de
la conjonction de l’affectivité, du politique et de l’univers familier. Et
jusqu’au Tiers Monde qui était là, omniprésent par ses objets…
L’image est apparue
progressivement sur l’écran. D’abord le front et l’équivoque demeurée un moment
encore. Les yeux enfin et là il n’y a plus de doute possible. Le hurlement de
joie de tous ces gens qui étaient là. L’embrassement, la beauté, la chaleur, la
générosité coulant à flots…. Bonheur plus fort encore que celui que j’ai
éprouvé le Premier Mai avec mon masque de théâtre sur le parvis Beaubourg, ou
en dansant dans la rue du Renard…
Aussi fort qu’en Mai
68, l’explosion de la joie… et la soirée domestique écourtée pour sortir dans
la rue pour que notre bonheur soit plus fort encore… Et dehors, il l’était. Les
cris, les chants, les danses, les drapeaux, les farandoles, les baisers même
avec un inconnu et sur la bouche, le corps en délire au comble de l’explosion.
L’orgasme politique ! Et si le mot existe, pourquoi pas la chose ?
Cette nuit du 10
Mai, Place de la Bastille, cette farandole de mes amis, le drapeau brandi que
j’avais préparé/cousu pour l’occasion, drapeau noir portant en tissu à fleurs
le sigle féminin, et le slogan Nous
avons assez pleuré avec au revers la doublure blanche marquée en lettres
majuscules EGALITE ! La hampe était constituée d’un manche à balai que
j’avais passé à une peinture dorée qui a laissé sa marque sur ceux qui l’ont
porté… Ce drapeau sorti pour la première fois hors de la voiture
décapotée !
L’orage, l’orage
étonnant, l’orage ne changeant pourtant rien à la liesse. Ces cris animaux
venus du fond des corps. Ma partenaire théâtrale et moi même menant la danse et
les autres suivant nos bras ouverts. Cette soirée, chez nous et dans la rue,
une UTOPIE ! Une utopie en action !
La fatigue cuvée au
milieu des restes des victuailles trois fois trop nombreuses et des bouteilles
elles aussi en trop grand nombre. Une après-midi de chagrin car on entend déjà
la bourgeoisie libérale marquer les limites à ne pas dépasser alors même
qu’elle a elle-même voté pour François Mitterrand. J’ai planté une rose dans
mon chignon et m’en suis allée me promener par la ville…
Profonde
satisfaction de constater le tournant pris par les médias se mettant à cirer
les bottes de la Gauche avec la même servilité excessive que le pouvoir
précédent. Tel cacique socialiste posant la main sur l’épaule du présentateur
de la Télévision, dans un geste animal de possession.
Je suis obsédée par
cette phrase du Ministre de l’Intérieur nicaraguayen (Monsieur Georges ?)
disant à l’arrivée au pouvoir des guérilleros Notre vengeance sera le pardon alors même que sa femme avait été
tuée par les Fascistes. Ou bien dans L’Hernani
de Victor Hugo, lorsque Don Carlos qui vient d’accéder à la dignité impériale
demande conseil à Charlemagne dans son tombeau : Par quoi faut-il que je commence et que celui ci lui répond Mon fils, par la clémence ! Je souhaite profondément que tous ces présentateurs
ne soient pas licenciés, même si c’est une erreur politique car sinon à quoi
servirait il de gagner le pouvoir, si ce n’est pas pour faire mieux que la
Droite ?
La masse des
victuailles dont on ne vient pas à bout, ni non plus de la vaisselle. Symbole
du flottement. On s’étonne que tout se passe bien et de ce qu’on entend dire à
la Télévision. Des incongruités qui ont nom réduction du temps de travail et
nationalisations. La Bourse a baissé de 20% ce qui me paraît énorme.
Au Lycée
l’ambiance est un peu morne, en dépit du champagne qu’on boit presque par
devoir… Je propose sans succès qu’on rédige des Cahiers sur l’état réel de l’Enseignement ! Manifestement
personne n’a l’intention de faire quoi que ce soit dans le sens du changement.
Personne ne croit non plus à un danger de coup d’état fasciste. Cette fois
c’est sûr, le Corps Enseignant est un corps complètement mort, incapable de
quoi que ce soit, dans quelque sens que ce soit. Il me semble que le Ministère
de l’Equipement dans lequel travaille mon voisin est tout de même plus
dynamique.
Il reste encore
des victuailles qu’on ne parvient pas à finir et qu’il faut jeter parce
qu’elles sont pourries. Je suis sidérée de la disproportion entre ce que
j’avais prévu et ce qui a été absorbé ! J’en termine enfin avec la vaisselle
mais les bouteilles sont toujours sur le bureau…
La Bête relève la
tête : Dans la presse, l’affaire de l’Express
qui se restructure efficacement ou l’accord électoral signé entre les partis de
Droite, comme si la paix des deux jours précédents n’était pas à attribuer au
caractère démocratique des Français permettant une alternance sans heurts mais
qu’elle était plutôt à attribuer à un effet de choc, tout le monde étant groggy
et fonctionnant mécaniquement le temps de reprendre ses esprits. Je suis par ailleurs
étonnée de la focalisation de la haine sur les speakers de la Télévision. Je ne
la partage pas. Mon voisin dit qu’elle est due à l’impuissance des gens devant
ce qu’elle débite.
Légère mise en
mouvement au Lycée pour la rédaction d’un cahier demandé par le SGEN. Le
changement le plus notable - professionnellement parlant - réside dans le
renversement complet de la perspective. Depuis douze ans que j’enseigne, j’ai
toujours tenu un discours témoignage d’une autre parole que celle des
Dominants. Mon souci essentiel a toujours été de maintenir vivante cette
critique comme un trésor qu’il fallait absolument transmettre aux générations
suivantes alors que l’orthodoxie tentait de la faire disparaître et à un
certain moment y était presque parvenu. Le changement de Président de la
République rend brutalement caduc cet état de choses. De simples témoins, nous
sommes devenus gouvernementaux avec une responsabilité accrue. Je constate que
pour moi, ce qui change, c’est une exigence accrue de sérieux.
Au Lycée Jules Siegfried Paris dixième, la réunion prévue s’est tenue entre trois et cinq Collègues. La revendication qui a émergé est celle d’une Réforme de l’Orthographe. Il appert qu’il s’agirait donc d’une Révolution Culturelle car l’orthographe fait référence à un passé de l’Humanité qui ne les intéresse plus. Il resterait donc à débattre sur le fond de ce que peut une culture qui ne veut pas se souvenir ?
Pour le reste, si les Collègues veulent bien à la rigueur écrire leurs doléances, ils ne sont absolument pas prêts à la rédaction d’un état réel des lieux. Il est impossible de leur faire dire en public à plusieurs - dans un cadre socio politique - ce qu’ils reconnaissent pourtant en particulier. A savoir le fourbi qu’est devenu notre vie professionnelle et le désespoir qu’elle engendre. Bref l’opération vérité que je souhaite n’a pas lieu.
Le monde enseignant ne semble pas disposé à changer. La formule de Jacques Chirac La France a voté pour un changement de politique et non pour un changement de société serait elle exacte ? L’école me paraît totalement morte et non réformable. Les Professeurs en sont même à renier Mai 68 qu’ils ont pourtant fait ! Je me demande si le malentendu n’est pas encore plus profond que je le pense.
Les retournements de veste sont stupéfiants, mais c’est quand même la Télévision qui a le pompon, pour son naturel à passer la brosse à reluire dans l’autre sens. Le simple fait d’entendre le mot Droite employé à la Télévision, crée une drôle d’impression, celle d’entendre une vague de mots grossiers après une période de bonne éducation.
Encore un
acquittement scandaleux pour un policier qui a assassiné un Algérien. Espérons
que cette justice inique a rendu là, sa dernière injustice.
Journée
inaugurale. J’ai bien envie d’aller voir François Mitterrand aux Champs Elysées
mais je crains à cause de ma fatigue de ne plus pouvoir ensuite aller comme
prévu au Quartier Latin. Le dilemme est donc entre voir et participer. Mon
tempérament artistique me pousserait à me fabriquer une coiffure et un masque
spéciaux pour la circonstance mais je n’en ai pas vraiment le temps.
L’émotion ! Y
croire enfin, le voir dans un cadre où cela devient crédible et cela par la
médiation des symboles. Sans doute le reste de la ferveur sacrée qu’on pouvait
éprouver lors et pour l’avènement des rois. La mise en jeu de tous les
archaïsmes dans le rituel de l’intronisation permettant la sacralisation. Quel
code pour permettre la projection que le peuple fait sur le Roi et organiser sa
prise en charge ?
Déjà dans les
médias, dans les temps précédents, la mise à jour d’une légitimité, celle de la
Résistance et des Lettres. Jamais la France ne m’est apparue à ce point, coupée
en deux avec chacune son prétendant au trône. Il ne me semble pas qu’il faille
voir en François Mitterrand, le défenseur de la République, mais plutôt une
évolution vers la guerre civile, cette plaie permanente de la France agitée
depuis toujours de deux factions résolument ennemies. Comme s’il n’y avait pas
de désir de restaurer la République mais qu’il s’agissait de mettre en place un
autre chef, celui là aimé du peuple et incarnant la mémoire tout en conservant
la structure de la personnalisation.
Le prédécesseur de
l’actuel Président, Giscard d’Estaing était lui un amateur de chasse, et la
place qu’on avait faite à sa passion confinait au mythe. De son coté Mitterrand
préfère les tombeaux. Excessivement me semble-t-il. Dès la soirée de son
élection le 10 Mai, son premier discours a stupéfait lorsqu’il a dit Je rends hommage aux Morts dont je tiens le
simple amour de la patrie ! Je ne garantie pas le mot à mot du texte
mais l’idée. Ou bien Je rends hommage aux
miens ! Le lendemain, il s’est rendu sur la tombe de ses Parents et le
jour de l’intronisation, non seulement aux Champs-Elysées comme c’est la
coutume mais au Panthéon, lieu s’il en est, de bizarre déification de la mort.
Le soir, à la
cérémonie du Quartier Latin, je ne vois rien car je suis mal placée par
ignorance du trajet officiel. Mais cela n’a aucune importance, car ce qui se
passe ne se tient pas là. Il s’agit plutôt d’une réoccupation de la rue,
mémoire de Mai 68, dont le Régime nous avait chassés. L’essentiel est de
l’occuper à nouveau, un genre de grève sur le tas de la vie sociale, avec
occupation des locaux !
D’ailleurs, une fois
la cérémonie passée, les gens vont et viennent sur le Boulevard Saint Michel et
dans la Rue Soufflot. Cela tient de la manifestation, de la passagiata à l’italienne et du happening
artistique. Cela ne ressemble à rien de ce qu’on a déjà vu. Ce n’est plus
l’explosion de joie furieuse avec les cris qui avaient eu lieu lors de la
soirée du 10 Mai Place de la Bastille, mais ce n’est pas non plus Mai 68 car il
n’y a ni violence, ni prise de parole, ni slogans. Juste quelques signes
étonnants comme cette foule hirsute, barbue et encore un peu désordonnée qui
brandit ensemble le poing et les oriflammes tricolores en chantant la
Marseillaise qui a cessé, comme le drapeau national, d’être honteuse. On retombe
dans la symbolique du tableau de Delacroix, avec la République au sein nu et au
bonnet phrygien.
Je suis étonnée du
bouleversement des signes. La nouveauté me paraît être la danse. Si Mai 68
avait été la reprise de la parole, 81 me semble la reconquête du corps par les
cris et le mouvement, dans une ambiance évoquant les pays sous développés dans
l’esprit du carnaval. Une sorte de symbiose des cultures. Tout cela d’ailleurs
n’a pas ressurgi brutalement mais a été réintroduit petit à petit par le
Mouvement des Femmes depuis une dizaine d’années.
En ce qui me
concerne, j’ai dansé sur le Boulevard à visage découvert avec une couronne de
lauriers dorés que j’avais tressé avec des roses et quelqu’un a crié « Thalie » ! Bonheur, bonheur de
cette danse folle sur le Boulevard, la musique, la danse, le costume, le
politique, tout prenant en masse dans une sorte de révolution/retrouvailles
avec le temps des processions. C’est l’éclatement du grand bonheur !
Je n’ai jamais été
autant photographiée, et je n’en ai plus peur ! En ce Mai 1981, tout ce
qui m’importe se trouve réuni : Le théâtre, le sacré, le social, le
politique, l’affectif aussi. C’est enfin la réunion de tout ce qui a été
séparé ! J’ai vu passé deux fous qui portaient des parapluies cassés qui
ne les abritaient pas de la pluie ! On peut s’interroger sur la
limite entre l’Art et la Folie. L’Art a il lieu lorsque les signes culturels
sont reconnus par l’époque et la folie lorsqu’elle les ignore ?
Philippe Maurice, condamné
à mort, vient d’être gracié. Enfin un Président opposé à la peine capitale et
qui n’attend pas pour la mise en œuvre !… Jetons La Veuve au ravin, que
les bois de justice pourrissent, et qu’ils retournent aux ordures !
« Je lui ai dit : embrasse tout le
monde ! Je ne pensais plus que
j’avais affaire à un Ministre ». Ainsi s’exprime Amélie Kerloch, Maire
de Plogoff après qu’on lui ait annoncé l’abandon du projet de la construction
d’une centrale nucléaire sur sa commune. Projet qui avait été largement
contesté.
Un militant basque
n’est pas extradé. Rien que pour ces condamnés à mort graciés, rien que pour
les militants gardés, merci ! Comme si ces mesures là me suffisaient.
Pierre Mauroy
après les cinquante cinq pour cent de voix obtenues par son Parti Socialiste au
premier tour des Elections Législatives déclare L’espérance a force de loi !
N’y eut-il sous
la présidence de François Mitterrand que ce qui a déjà eu lieu, à savoir un
condamné à mort gracié, l’arrêt de l’extension du camp militaire du Larzac,
l’abandon des expulsions, des Ministres Communistes et Robert Badinter à la
Justice, cela suffirait à la justifier.
Aux Elections
Législatives, le Parti Socialiste a la majorité à lui tout seul mais il y a
quand même au Gouvernement, des Ministres Communistes.
Des rumeurs
circulent : Les ateliers de Rhône-Poulenc auraient été déménagés, machine
par machine pour vider de son contenu, la nationalisation. Un commencement
d’inquiétude se fait jour. Le Ministre Cheysson est d’accord pour livrer les
Basques réfugiés aux Espagnols. Quoi d’autre encore que je ne veux pas
entendre ? La haine viscérale des commerçants dont j’entends bien qu’ils
sont prêts à tout. On pense au Chili, c’est le savoir de l’intelligence et
contre ce savoir de l’intelligence, il y a l’espérance du cœur. D’autant plus
semble-t-il que les Russes pourraient renoncer à la Pologne, ce qui donnerait à
penser que les vieux schémas ne s’appliquent plus.
J’ai retrouvé un ami
connu à l’Université, je n’avais pas vu depuis dix ans. Nous avons repris la
conversation comme si nous l’avions interrompue la veille. J’ai eu le bonheur
de constater qu’il partageait mes analyses sur les sujets principaux qui me
préoccupent.
Il y a tout de même du
changement.
D’abord au Festival
d’Avignon, la Police était invisible sauf le jour de la visite de François
Mitterrand et cette fois là, elle était étonnamment courtoise. Nous avons même
pu, avec ma partenaire, jouer sur la place ma pièce alors même que le Président
de la République sortait du Palais des Papes et ce sans que les Policiers nous
chassent ! Rien que cela est le symbole du changement. Son discours sur
les forces de la création du 10 Mai n’était donc pas mensonger…
Changement aussi
concernant l’enquête de la tuerie d’Auriol. On est sidéré de voir le Chef du
Service d’Action Civique, incarcéré.
Changement aussi au
Ministère de l’Agriculture qui distingue désormais, les agriculteurs riches,
des pauvres en disant que les subventions ont été données aux riches et sans
qu’elles aient eu de l’effet sur l’orientation des productions.
Mariage du Prince
Charles, héritier de la Couronne d’Angleterre. C’est l’opéra dans la rue. Le
dernier degré avant la folie. Ainsi en est-il de cette famille régnante à
travers les siècles. Les landaus, les carrosses, les uniformes séchés sur pied.
Les roues tournent encore, mais pour combien de temps ? On entend déjà les
craquements.
Pathétique de cette
famille royale tentant comme elle le peut de maintenir une tradition qui croule
sous le poids des tempêtes. Grandeur de cette famille digne dans son malheur,
de ne pas se cacher la vérité de la fin d’une époque, mais coulant debout comme
un capitaine de bateau qui refuse de l’abandonner. Magie troublante de cette
famille support du sacré, continuant à le véhiculer envers et contre tous,
simplement parce que cette société là n’a pas encore trouvé à inventer une
autre forme de sacré.
Pathétique effort de
cette famille tendant de se conformer au rituel alors qu’elle crève d’angoisse
au milieu de la crise économique, des meurtres, des faubourgs en flammes et des
grévistes de la faim irlandais mourant les uns après les autres. Bientôt huit.
Pathétique leur cortège comme leurs regards à tous scrutent les façades des
immeubles qu’ils longent à la recherche des canons de fusils embusqués.
Pathétique la grandeur de la conjonction de cette angoisse et de leur sourire
de commande. Pathétique, la grandeur de ce sourire séculaire et de ces yeux se
demandant lequel d’entre eux, les balles allaient atteindre.
L’opéra plus fort
que la vie. Cette fois, la vie elle même plus forte encore que l’opéra.
Shakespeare de rouge et d’incarnat, dans la rue. Pathétique ce discours sur
l’amour, alors même qu’il s’agit d’un mariage arrangé. Pathétique cette lecture
de la Lettre aux Corinthiens : Quand
bien même j’aurais la foi qui déplace les montagnes, si je n’avais pas l’amour, je n’aurais rien. Pathétique
la grandeur de ce discours sans rapport avec la réalité de la situation, et
pourtant surréel parce qu’il parle de l’idéal du réel.
Pathétique le
discours de Léon Zitrone, le présentateur télévisuel patenté de ce genre de
cérémonie, tentant de faire croire au conte de fée, pourtant si manifestement
tragique et mensonger, comme s’il commentait la chute d’un homme jeté d’un
hélicoptère d’un Regardez comme c’est beau !
Tragédie, les
émeutes de la pauvreté et de l’exclusion. Tragédie l’Irlande et la Première
Ministre Madame Thatcher butée dans sa dureté. Ce problème qui nous tombe sur
les bras, au nom de l’Union Européenne qui se fait contre vents et marées.
Déchirement de cette tourmente, creuset d’Europe.
Déplaisir
d’entendre les Iraniens crier A mort
Mitterrand et A bas la France ! Khomeiny à la mémoire courte car
durant son exil, il a été autrefois accueilli à Neauphle-le-Château et il nous
réclame maintenant l’ancien Ministre Bani Sadr en fuite que nous accueillons à
son tour. Je m’inquiète de ne pas comprendre car leur comportement ne coïncide
pas avec ce que je crois savoir des autres cultures. Et de ne pas comprendre,
je suis désarmée…
La Droite relève
la tête. La Gauche s’impatiente. Je m’inquiète du manque de fermeté du
Gouvernement. Comment feront-ils face en cas d’agression?
Anouar El Saddate,
le Président égyptien a été assassiné. Paradoxe de cet homme qu’on n’avait pas
eu le temps d’aimer et dont on voyait chez soi, à la Télévision, la mort en
direct. Son éloge funèbre télévisé comme un nouveau genre des temps modernes.
Giscard pathétique, lançant un message comme s’il était encore Roi. Tragédie
shakespearienne des grands déchus qui n’ont pas la grandeur qu’on parfois les
petits.
Partout on
respire la haine et la peur et depuis quelques temps même des attentats par-ci
par-là, alors même qu’ils ne sont revendiqués par personne. La lecture de
certains journaux est irrespirable, les prix augmentent à vue d’œil, les
filiales de Paribas s’expatrient ouvertement, Guy de Rothschild accuse en
première page du Monde le
Gouvernement de le nationaliser, parce qu’il est juif. L’association Phénix qui a pour vocation d’aider les
suicidants a appelé la police pour faire expulser des accueillis
contestataires. La seule amélioration est celle de la Télévision. On n’en croit
ni ses yeux, ni ses oreilles….
A la Télévision,
au Journal de vingt heures, un reportage sur la vie dans une usine de femmes.
La déléguée du personnel explique on
était les immigrées de l’intérieur et dans ma fonction de déléguée, je m’étais souvent demandée si je
l’étais d’une entreprise ou d’un bordel ! J’exulte que tout cela soit
enfin dit publiquement. On a lutté depuis dix ans et ce n’est pas en vain. Ce
combat là sera-t-il spécifiquement celui de notre génération ? Regardant
avec moi la Télévision, mon voisin a l’air gêné.
Notre chat roux
est mort. Pour la mort, il n’y a pas de consolation. Rien d’autre que
l’endurcissement et le refoulement. Le désespoir de ma progéniture est
épouvantable et me fait vaciller dans les tréfonds.
Concernant ma
chronique hebdomadaire à Radio Paris, l’une des nouvelles radio libres,
elle n’est pour le moment qu’un témoignage subjectif et partial, une sorte de Dit du Capital, mais je sens bien que va
venir la question d’un engagement plus effectif. J’ai même l’idée d’aller dires
en public mes chroniques, sur fond d’orchestre africain, pour voir l’effet que
cela ferait. Mettre en quelque sorte mon talent d’éloquence littéraire au
service du changement social.
Je ne parviens
toujours pas à me faire une opinion concernant la question de l’armement, mais
j’en ai un peu assez de tous ces gens qui se contentent d’afficher l’attitude
de principe du contre la guerre sans
jamais s’engager sur les moyens de l’empêcher. Les questions m’apparaissent
moins simples que lorsque j’avais vingt ans, suis-je en train d’évoluer vers la
Droite ? Schéma classique du vieillissement et de la progression sociale.
Gangrène de
l’inflation. Chaque achat est un étonnement. Des luttes se nouent un peu
partout dans la société. Quant aux Collègues du Lycée, ils demandent une
aggravation du Règlement Intérieur….
L’atmosphère sociale
se durcit. La Droite manifeste ouvertement sa haine. Le Quotidien de Paris tire à vue sur le Gouvernement. Il est des
journaux que je n’ose plus lire parce qu’ils me soulèvent le cœur. Une sorte de
délire qui empoisonne l’ambiance. A Gauche, de l’attentisme, le désir de ne pas
se compromettre avec un Gouvernement dont on sent bien que son avenir n’est pas
assuré. Je m’efforce de résister à l’angoisse, prise entre les fascistes et des
punks pacifistes sans aucune conscience des problèmes, pour ne pas dire coupés
de toute information. Pour le reste, c’est le dénigrement systématique.
J’agis à la
mesure de mes forces. Je participe à une émission à France-Culture pour
soutenir les contestataires de l’Association Phénix, je rédige une Lettre
ouverte aux Ministres de ce temps et je continue mes chroniques à Radio Paris. Actions dérisoires du point
de vue collectif, mais importantes pour moi et peut-être même pas si dérisoires
que cela dans le contexte de la déstructuration de plus en plus pesante.
Proclamation de l’Etat de guerre en Pologne à
l’initiative du Général Jaruzelski.
Coup d’Etat
Etat d’urgence
Etat de siège
Etat de guerre
Quel est le mot
Pour dire l’état de violence
L’état de mort
L’état de désespoir
Quel est le mot
Pour dire
Les privilégiés veulent garder leurs
privilèges
Les nantis ne veulent pas partager
Les puissants ne veulent pas
Quoi donc ?
Seulement entendre
Qu’autrui est autrement
Je suis allée à
la manifestation dont le rassemblement a eu lieu devant l’Ambassade de Pologne
pour soutenir le mouvement Solidarnosc.
J’y ai rencontré les Professeurs Jankélévitch et Bartoli que j’ai remercié pour
tout ce qu’ils m’ont donné. J’ai retrouvé un ou deux militants de l’UNEF à qui
j’ai pu placer - en matière de blague - la question
rituelle pour connaître le rapport de forces, lors de nos Assemblées Générales
à l’AGEDESEP de la Faculté de Droit On
est mino ou majo ? Ils ont rigolé et je me suis réjouie de cette
conjonction du sketch et de l’Histoire. J’ai croisé une femme du Mouvement de
Libération des Femmes maquillée de façon théâtrale, l’équivalence de ma
couronne fleurie du 10 Mai.
Et surtout le
bonheur des drapeaux rouges en rangs serrés, il y a bien longtemps que je n’en
avais pas vu autant. La manifestation s’est mise en route. Beauté des slogans
dans la nuit tombante, les chants de La
jeune garde et de L’Internationale, des
gens aux fenêtres, la neige Rue de Rennes, la première de l’année, un
commencement d’hiver. L’escarmouche avec les militants du RPR venus là on ne
sait pas trop bien pourquoi. Bagarre entre les drapeaux rouges et les drapeaux
tricolores avec des lances en bois.
Comme d’habitude
j’ai eu peur de ces affrontements physiques. Boulevard Montparnasse, un passant
a fait le salut hitlérien en injuriant les manifestants qui défilaient. L’ordre
de dispersion l’a sauvé du mauvais parti qui l’attendait. Mes sentiments sont
partagés concernant la fameuse problématique de la liberté d’expression.
Parfaitement lucide sur le sort que nous promettent ces gens là, je n’en étais
pas moins prête à le défendre contre le lynchage.
Concernant
l’écrasement du mouvement Solidarnosc
en Pologne, florilège des radioteurs sur le thème : Enfin la normalisation, les affaires vont reprendre, pourvu que les
Polonais ne se révoltent pas ! Bref les grands classiques !… Le
mot qui me parait traduire l’ensemble, c’est bien – selon la formule consacrée - le lâche
soulagement. Il est clair que les idéologues sont encore plus anti-ouvriers
qu’anti-staliniens.
Rencontre d’un
vieil intellectuel chrétien très préoccupé et déçu par l’attitude de l’Eglise
polonaise et de celle de Monseigneur Lustiger ! Je suis étonnée de son
étonnement, tant il est évident pour moi que l’Eglise ne peut en aucun cas être
un élément de progrès. Je décide d’axer ma chronique de Radio Paris sur la Pologne.
Le soir dans les
médias, les radioteurs essaient de nous faire passer l’intervention de son
armée comme le moyen de sauver la Pologne sur le thème : D’une part, c’est
cette dictature qui protège contre l’intervention soviétique et d’autre part,
l’armée est la seule institution qui perdure dans un pays désorganisé. Pour un
peu, on nous dirait que ce Coup d’Etat militaire est populaire. Il me semble qu’on essaie de nous faire
avaler des couleuvres.
A l’oreille, les
nouvelles polonaises sont rares : Les ouvriers de l’usine Ursus (les tracteurs de la banlieue)
lancent un appel à la grève. Le Comité clandestin de Solidarité, nom français de Solidarnosc
lance le même. Etonnement de cette loi polonaise, qui pour la grève, prévoit la
peine de mort !
Ce jour de nouvelles
manifestations en costumes nationaux, nous dit la radio. De nouveau des
frictions avec les fascistes au cri de Les
fascistes au Chili ce qui est bien le pendant du traditionnel Les Cocos à Moscou. Dans la foule, je
vois pour la première fois un drapeau européen.
Des débats sur deux
des trois chaînes de Télévision. Finalement l’espoir de l’Occident se résume à
ce que les ouvriers polonais acceptent le Coup
d’Etat militaire et se soumettent… Il
me semble qu’une culture qui n’a pas plus de projet que cela, est une culture
déjà morte.
La situation évolue
en Pologne. Au sixième jour de l’Etat
de Guerre, il y a maintenant quarante cinq mille arrestations,
quelques morts et surtout une résistance manifeste dans tout le pays. Les
hommes se battent à la hache, les femmes offrent des gâteaux. En France
l’opinion évolue car le soutien est ressenti comme une nécessité. Par contre le
Parti Communiste et la Confédération Générale du Travail refusent de condamner le
coup d’Etat militaire.
Les hommes avec des haches
Les femmes avec des gâteaux
Les seigneurs de Haute Silésie
Avec une bravoure féodale
Les mineurs avec des pioches
Les ouvriers avec du chocolat
Les grévistes de la Pologne Egalité
Je sens venir l’œuvre
littéraire…
Au Lycée, les Elèves
manifestent un intérêt exceptionnel pour cette actualité là dont à l’unanimité
ils veulent débattre. Du côté professoral, c’est au contraire la lâcheté
complète. Je tente sans succès de les mobiliser à coup de tracts, d’affiches
murales et de conversations. Tout en admettant que j’ai raison, ils me
manifestent une franche hostilité, probablement parce que je mets en évidence
leur passivité.
Depuis hier soir, la
Pologne me devient une vraie souffrance physique. Je retombe dans les troubles
psychosomatiques, comme si c’était à moi que la Pologne arrivait. Nuit pénible.
Une émission de
Michel Polac sur le thème des Radios Libres. C’est comme d’habitude dans son émission,
la pagaille générale mais il apparaît que les Radios Libres n’ont pas
grand chose à dire en dehors de leur revendication de détruire les structures
officielles qui les emprisonnent. Je reconnais dans ce mouvement une parenté
avec ceux des Lycéens et des Pacifistes. Il ne s’agit pas de défendre ou
proposer quelque chose à l’intérieur des structures sociales existantes, mais
de les désorganiser. C’est en ce sens qu’elles sont révolutionnaires, sans jugement de valeur sur ce terme. Quant au féminisme littéraire, il doit peut-être être rapproché de ces courants.
Grève des femmes.
C’est une première et un échec. Une manifestation du Mouvement de Libération des Femmes, plutôt
triste. Je cherche en vain à y danser mais il n’y a ni costumes, ni musique.
Des salopettes vertes uniformes et des revendications avec lesquelles je ne
suis pas nécessairement d’accord. Toutefois ce que je ressens, c’est la perte
de l’écriture. Les militantes portent des panneaux illustrés et non des
banderoles.
Situation sociale
de plus en plus glauque. Fluide me
dit un vieil intellectuel chrétien mais je ne partage pas le bonheur de ce mot
car elle me paraît plutôt complètement bloquée. Tout le monde est mécontent et
le changement ne se fait pas. L’erreur du Gouvernement me paraît être qu’il
s’imagine qu’il va pouvoir contenter et les travailleurs et les patrons alors
qu’ils sont en train de contrarier les deux.
Par ailleurs, il me
semble qu’il ne prend pas le tournant qui permettrait la mise en place des
structures nécessaires pour la nouvelle organisation technique. Ma
préoccupation principale concerne les changements sociaux et mentaux
nécessaires pour entrer dans l’ère de la robotique/ télématique/génétique. Il
se joue là en un temps accéléré quelque chose de colossal et bien peu de gens
sont sensibles à ce problème. Il m’apparaît aussi que cette désadaptation de
plus en plus grande entre l’évolution technique et la sclérose sociale, est
grosse de toutes les catastrophes à venir.
Je ne sais pas si
c’est l’influence de Karl Marx théoricien bon chic, bon genre - quoique passé
de mode - ou si c’est parce que je constate cela tous les jours dans la société
mais je suis portée à croire que ce que dit Marx est vrai. Ce décalage avec
l’effondrement social que je prévois - sorte de régression comme on le constate
déjà dans certains secteurs (famille, enseignement) - est le sujet du roman que
j’ai en projet et que j’ai dénommé Les
bateliers de Tibère
Mon patriotisme
est de plus en plus mis à rude épreuve au fur et à mesure que je m’aperçois à
quel point la société française est archaïque, comparée aux autres sociétés
européennes, que ce soit dans le domaine technique, social ou intellectuel.
Cela s’est vu à l’occasion de ma Lettre
ouverte aux Ministres de ce temps qui envoyée à tous les Ministres du
Gouvernement ainsi qu’aux journaux Le
Monde et Le Matin n’a obtenu
qu’une seule réponse auto-justificative du Ministre de la Culture.
J’éprouve aussi
une certaine humiliation à constater l’absence de Mouvement Alternatif Français alors qu’il est développé
ailleurs et que j’ai bien le sentiment d’en faire partie. Il me vient parfois
des pulsions de quitter ce pays pour rejoindre les zones plus évoluées de
l’espèce.
A ajouter pour
terminer le tableau, que je n’aime guère le mensonge gouvernemental sur
l’imminence d’une reprise économique qui pourrait être volontaire et d’un
retour à la prospérité. Il est pourtant évident qu’elle ne reviendra pas et que
la tâche de nos Ministres serait plutôt de préparer nos Concitoyens à cette
nouvelle donne - à peine d’un grand désastre - pour ne pas dire une liquidation
pure et simple.
Pour moi,
l’élément majeur de la situation me paraît être la conjonction antinomique
entre un progrès technique sans précédent et une régression sociale due à la
perte du leadership par les Nations Européennes. Il me semble qu’il serait
possible de préparer nos compatriotes à l’inévitable diminution du niveau de
vie en les orientant vers des préoccupations qualitatives. Ce n’est peut-être
pas compatible avec le Capitalisme, mais c’est indispensable à la survie de
notre société.
Des grèves
catégorielles pour le maintien des privilèges. Une Police qui refuse d’obéir.
Le changement n’a pas lieu, en dépit des incantations.
Demain j’aurai
trente sept ans ! Une étonnante jeunesse pour entrer dans la vie
intellectuelle, surtout pour une Femme. Par contre sur le plan personnel, mes
choix sont clairs. Cette Europe sombre économiquement, culturellement et
politiquement. La tentation serait le repli, car le besoin de sécurité augmente
avec la déstabilisation. Mais y céder serait mortel. Il faut tout au contraire
déborder la situation par l’avant.
Atmosphère
régressive. Le Ministre Deferre fait des propositions encore plus
réactionnaires que celles d’Alain Peyrefitte et Jacques Delors morigène les
Syndicats tout en favorisant les Patrons. Bref, je ne suis pas loin de me
séparer de ce Gouvernement qui n’a pas un seul instant parlé des problèmes de
la Jeunesse et de l’Enseignement et qui ne doit pas considérer que les
Enseignants sont des salariés puisque nous n’avons pas bénéficié de la mesure
de réduction du temps de travail !…
Emission Apostrophes de Bernard Pivot :
Cohn-Bendit et Sapho descendant en flammes Jean-Edern Hallier.
A la Télévision
encore, une émission sur le droit de cuissage. On n’a pas lutté pour
rien depuis quatorze ans, et si le 10 Mai n’avait servi qu’à cela, ce
serait déjà bien ! Des vendeuses de supermarché en grève pour faire muter leur
directeur qui abusait de la chose. L’idée et l’envie d’aller pour les soutenir,
leur jouer avec ma partenaire, ma pièce de café-théâtre : Le con
métaphysique !...
A l’émission de
Polac Droit de réponse, une critique
cinématographique et littéraire, tonique et rafraîchissante dans la mesure où
elle fait un constat de décès du milieu littéraire à cause de sa corruption.
C’est la première fois que j’entends employer le mot, mais c’est bien de cela
dont il s’agit. Une Américaine explique qu’aux Etats-Unis, les critiques ne
sont pas en même temps les employés des Maisons d’Edition comme ici et qu’il
n’y a pas de système de renvoi d’ascenseur comme chez nous. Ce sont les
Professeurs qui exercent en même temps la fonction de critiques. Je comprends
donc mieux les lettres que je reçois d’Amérique du Nord et que je puisse y être
littérairement mieux entendue pour mes textes tels qu’ils sont, et non à
travers une grille préétablie de la répartition des rôles et des privilèges -
comme c’est le cas - dans le milieu d’ici.
Si on se rappelle
l’émission Apostrophes de la veille,
celle sur le Service d’Action Civique
de la semaine précédente et le spectacle radical de Guy Bedos attaquant sur sa
gauche le Gouvernement et le Parti Communiste, il faut reconnaître qu’à côté de
l’ambiance droitière de plus en plus délétère, il y a quand même des tentatives
de décapages mentaux. Pour un Gouvernement de Gauche, c’est peut-être un
minimum mais on pouvait s’attendre à mieux.
Guerre
anglo-argentine au sujet de la propriété des îles Malouines. Une vision de
folie. La Royal Navy prenant d’assaut un îlot désert au milieu d’une mer
démontée de vent et de froid. Pavoisement des journaux britanniques sur le
thème Victoire, l’affront est
lavé ! Madame Thatcher rayonnante et la foule argentine menaçant des
mains l’Angleterre.
Absurdité de
l’enjeu réel, des îlots du Pacifique pour y faire flotter des bannières de
chiffon. Ils sont pourtant bien capables de faire tuer pour cela. Et peut-être
même d’engager la guerre mondiale qui ne demande qu'à démarrer puisque l’URSS
soutient l’Argentine. Est-ce une raison pour suivre la Grande Bretagne ?
De toute façon on ne va peut-être pas avoir le choix, étant donné que les
Marchands de Canons n'attendent que l’occasion pour mettre le feu aux
poudres !
Au Lycée et chez
mon voisin, bellicisme. J’entends ce dernier traiter Reagan d’illettré !
Malséance de la
République mitterrandienne. Le déplacement du présentateur d’Antenne 2 Bernard
Langlois, pour s’être permis de rendre compte de la mort de Grâce de Monaco
avec prétendument un respect insuffisant. Pourtant à la lecture du texte
incriminé, on n’y trouve rien à redire. Inquiétante aussi cette condamnation du
journal Hara Kiri pour Offense à la douleur ? Et un peu
bizarre ce projet de réforme du Code Pénal pour y inclure le délit d’incitation
au suicide. La littérature peut facilement entrer dans ce cadre là...
La crise n’est
plus seulement une idée abstraite. Elle a maintenant des images. C’est écrit en
gros sur la devanture de la Charcuterie : Sandwich Hamburgers, articles qui ne s’y vendaient pas
auparavant parce que les clients salariés achetaient à midi des plats cuisinés.
De même cette
bande de clochards dans le quartier, sans compter les deux isolés, extrêmement
jeunes.
Enfin dans le
catalogue de vacances de la Ligue de
l’enseignement Vacances pour tous, une réduction du nombre des séjours et surtout de leur durée.
La norme devient la semaine alors qu’elle était auparavant, la quinzaine. Par
ailleurs la qualité matérielle des brochures elles-mêmes, diminue.
Dans le même
temps, le racisme et la méchanceté se généralisent dans les conversations.
Dans la mode tout
cela se traduit par des vêtements d’hiver qui ne sont pas chauds, des
mini-robes droites et des capes qui ne couvrent qu’une partie du corps, comme
s’il fallait vraiment économiser le tissu. On voit aussi depuis quelques temps
des enfants qui lavent les carreaux.
Hommage solennel à
Mendès France. Bizarre impact de cette mort qui ne correspond pas à ce que
l’homme fût de son vivant. Quel mythe la France est-elle en train de
s’inventer ? Hommage au Palais
Bourbon, musique, discours de François Mitterrand toujours avide d’éloge
funèbre et nous parlant encore une fois de Jaurès et de Lincoln assassinés.
Lecture de L’appel à la jeunesse de
Pierre Mendès France (1955).
Je suis frappée
de cette cérémonie qui me paraît complètement à côté de la plaque. Les Ecoliers
qui y participent ont d’ailleurs l’air de s’ennuyer ferme. Un appel pathétique
des adultes envers ces Jeunes pour qu’ils mobilisent leur enthousiasme envers
la République. Alors que manifestement, ils n’en ont rien à faire. Non pas
d’une amélioration collective, mais certainement pas dans cette forme là, celle
de l’ancienne société.
Il me paraît de
plus en plus net que nous allons maintenant vers une révolution profonde qui
n’a plus rien à voir avec les canaux et les concepts du monde que nous avons
connu. C’est plutôt parce que ces institutions là ne fonctionnent plus, les
valeurs et les modes de pensée étant caducs et les outils mentaux en vigueur ne
permettant plus de rendre compte de la situation réelle. On a parlé pour la
Révolution de 1789 de pays réel et de pays légal, il faudrait
maintenant parler de pays réel et de pays parlé.
Je suis de plus
en plus persuadée que les Socialistes vont échouer parce qu’ils sont
complètement tournés vers le passé, leur générosité n’a pas pris le tournant, ils
n’entendent pas ce que dit et veut la Jeunesse, même s’ils l’invoquent dans
cette cérémonie d’aujourd’hui.
Chez le Félix
Potin du quartier, un comble ! Le refus de la gérante de pratiquer les
prix affichés, au prétexte qu’elle les a mis comme ça mais que cela ne veut rien dire et que ce n’est pas
réellement le prix. On s’est fermement disputé. Cela donne une idée de
l’ambiance qui règne et de ce qui pourrait advenir si la situation continuait à
se dégrader. Est-ce ainsi qu’on en arrive aux rayons dégarnis et au marché
noir ?
Pierre Mauroy à
la Réunion La Réunion c’est la
France ! On se demande ce qu’ils ont ces Socialistes. Si cela
continue, aux Elections Municipales du printemps prochain, je m’abstiens !
Un commencement
d’agitation au Lycée à propos d’une suppression de poste. En fait c’est toute
la lassitude et l’exaspération qui commencent à faire surface. L’eau passe par
dessus les digues même si pour le moment, c’est dans la plus grande confusion.
Echec de la
Gauche aux Elections Municipales. Le racisme - jusque là ambiant - se
cristallise y compris au sein des gens de gauche qui au Lycée en rendent la CGT
responsable avec, je cite : leur
connerie de grève d’immigrés. A Marseille : Gaston Deferre, le Maire
et Ministre de l’Intérieur a appelé à voter pour lui avec un argument
étonnant : A savoir qu’il était
mieux placé que les autres pour refouler les immigrés. Au plan national Le
Pen a fait onze pour cent des voix. Je me sens de plus en plus prise à la gorge
et propulsée en avant plus loin que je ne l’aurais souhaité.
La Gauche fait
preuve d’une absence complète d’imagination et d’une impossibilité d’impulser
ou de catalyser quoi que ce soit. Elle semble politiquement morte. Ceci est apparu petit à petit dans les flottements des deux dernières
années et dans l’incapacité du Gouvernement à engager de vraies réformes contre
l’inégalité et la sclérose. Elle n’a pu que reprendre les thèmes racistes de la
Droite sans pouvoir les combattre, ni proposer autre chose.
La catastrophe ne
me semble plus très loin. J’éprouve du chagrin au spectacle qu’offre le Pays.
Je ne peux me détacher de cette notion et sans doute n’est-ce pas souhaitable.
Chagrin de ce Gouvernement accumulant les bêtises et calquant ses méthodes sur
celles de la Droite. Mensonges, virage à cent quatre vingt degrés,
improvisations, reculade, cela sur la forme. Sur le fond, je ne suis pas contre
le Plan de Rigueur mais trouve tout de même gênant qu’on le mette en place
juste après les Elections Municipales et qu’on fasse payer prioritairement les
salariés. Le tout avec une absence de projet concernant le chômage, la desindustrialisation et la préparation
au changement, les trois questions les plus importantes.
Je n’aime pas
davantage la Droite politique qui pilonne systématiquement tout ce que fait le
Gouvernement et qui tente de soulever les gens, comme aujourd’hui avec la grève
des Etudiants en médecine. Je n’aime pas non plus l’impudeur des Patrons réclamant
la liberté des prix, du travail et de l’embauche dans la plus pure tradition du
dix neuvième siècle où le syndicalisme était interdit. Je n’aime pas cette
Presse ameutant la population sur des questions sans importance et parlant de Goulag à propos des restrictions de
sortie de devises à trois mille francs par personne (alors que le SMIC
n’atteint pas trois mille cinq cents Francs). Je n’aime pas ces Salariés
refusant toute modification de leur situation et campant sur la notion
d’avantages acquis, s’imaginant que c’est cela qu’ils vont pouvoir répondre au
déficit extérieur et à l’endettement consécutif. Je n’aime pas ces Commerçants
tournant sournoisement les étiquettes dans leur coin et jurant la main sur le
cœur qu’ils n’arrivent pas à joindre les deux bouts. Je n’aime pas non plus
ceux que j’appelle les Bateliers de
Tibère qui recouvrent de l’appellation bon
sens, leur virage à droite.
Week-end en
Bretagne. Les restaurateurs et les hôteliers ne semblent pas vraiment suivre
les conseils du Gouvernement. Ils ne pratiquent guère la modération. C’est à se
demander si notre pouvoir d’achat n’a pas subi un rude coup !
Un effort
colossal pour écrire un article anti-raciste que j’envoie au Monde et au Matin. Je l’intitule Les
transnationaux. Il m’est
difficile d’écrire une langue qui ne soit pas littéraire, mais simplement
claire.
Haine de cette
Bourgeoisie soutenant les Socialistes parce qu’elle pense qu’eux seuls peuvent
faire accepter au peuple de supporter les privations. Haine de cette
Bourgeoisie critiquant le Gouvernement parce qu’il ne fait pas l’affaire, comme
un Maître morigène son majordome
parce que la maison va à vau-l’eau et menaçant de se passer de ses services en
l’absence de redressement de la situation. Haine de cette Bourgeoisie pour qui
la restriction des inégalités se limite à resserrer l’éventail des salaires en
laissant de côté les autres revenus et à fortiori les rentes et les dividendes.
Haine de ces Gouvernants se pliant à ses comédies de laquais trop heureux
d’être invités au Château. J’ai le pressentiment que ce Gouvernement ne tiendra
pas le coup, d’avoir trop fait pour amadouer la Droite et ne s’étant pas
suffisamment appuyé sur la Gauche.
Symptomatique et
écoeurante cette nouvelle reculade sur la restriction des devises touristiques.
Il a été décidé que pour les voyages à l’étranger dépassant les deux mille
Francs alloués, on ne marquera sur le carnet prévu à cet effet que mille sept
cent cinquante Francs !… Mesure illégale s’il en est ! Non seulement
les vacances à l’étranger ne concernent que seize pour cent de la population
mais en plus on décide qu’on n’appliquera pas la mesure pour les plus riches
d’entre eux… A savoir ceux qui partent en agences de voyages, décourageant
ainsi ceux qui auraient fait l’effort du camping ou de la diminution de leur
train de vie. Tout cela n’est qu’un détail, mais symptomatique de l’ambiance …
Finalement avec
ces ordonnances injustifiées, on a non seulement une politique de Droite, mais
des méthodes de Droite. L’absence de démocratie, l’absence de projet.
On entend parler
d’un Mai 68 à l’envers. C’est
vexant ! D’une part qu’on puisse comparer cette agitation corporatiste à
la générosité idéaliste soixante-huitarde mais aussi l’idée même qu’on puisse
abolir les résultats de cette quasi-révolution. Exemple le titre du Matin : Les femmes après le féminisme. A la réflexion ce qui me contrarie
dans tout cela, c’est qu’alors qu’on ne peut pas comparer, on compare quand
même et que ce à l’envers signifie dans la conscience collective, que ces
matérialistes pourraient bien nous faire rentrer les mots dans la gorge.
Humiliation aussi
de ce scandale de la dioxine, déchet toxique consécutif à l’accident de l’usine
chimique de Seveso. Il apparaît que différents pays - dont l’Italie - prennent
la France pour une poubelle, en tentant de se débarrasser sur nous, de leurs
produits nocifs. Tous les clichés sont battus en brèche. Notre pays apparaît la
lanterne rouge de l’Europe et le Wall
Street Journal va jusqu’à nous traiter du Mexique de l’Europe. Je suis d’autant plus enragée que mon cancer
du sein diagnostiqué l’été dernier et actuellement en traitement est peut-être
dû à une affaire de ce genre. J’ai le fantasme de créer une association de défense
des cancérigénés en rébellion contre
les Industriels.
2 Mai 1983
Ma partenaire
théâtrale a fait commenter dans ses classes du Val Fourré à Mantes La Jolie,
mon article Les transnationaux avec
dissertation de la phrase le terme même
d’immigrés. Un militaire, père d’Elève – vingt ans d’armée - est venu lui
demander des comptes… Quelle ambiance ! J’ai de mon côté envoyé ce texte à
une dizaine de journaux. Je suis triste de voir d’un côté tous ces interviews
de gens se lamentant sur le vide de la pensée, pendant que je ne parviens pas
moi-même à me faire entendre socialement, même si je le suis littérairement.
La littérature ne
m’intéresse plus dès lors qu’on m’enferme dedans et qu’on ne me tolère ni
politiquement, ni philosophiquement. Pour moi, l’écrit est un combat. Cela ne
manque pas d’exemples dans les pays de l’Est où on est expédié en Sibérie pour
un recueil de poèmes, sans compter la Roumanie où il faut une autorisation du
Gouvernement pour posséder une machine à écrire. Ici, ils refusent de publier
tout ce qui met en cause l’ordre établi. Tout cela fait finalement un syndrome
où mon combat d’écriture et mon combat politique se rejoignent.
Il ne s’agit plus
d’une revendication artistique mais de l’arrivée dans la lumière de mon
féminisme qui a toujours été politique et ce qui me tient debout aujourd’hui,
ce sont les essais que j’écris et non la littérature. Tenir un journal ne m’a
jamais intéressée ni non plus l’introspection littéraire. Mais je découvre
cette fois à la réaction qu’ils suscitent, que mes textes sont dangereux pour
la société. Bien qu’on me l’ait déjà dit, je ne l’avais pas réalisé. Mes
différents carnets de notes fusionnent en fait dans cette chronique politique.
Je suis frappée
d’entendre Edmond Maire parler avec insistance de la solidarité, sans doute en
relation avec le phénomène de la mondialisation. Solidarité, les partisans vivants de la mondialisation, contre la
politique des blocs et pour l’internationalisation. Solidarité est nécessairement un mouvement international.
La menace
protectionnisme m’étouffe. Je n’ai pas envie d’être enfermée avec ces sclérosés
qui refusent d’affronter les problèmes d’aujourd’hui, à savoir l’unification du
monde, la révolution télématique et robotique ainsi que la désindustrialisation
de la France. J’ai un peu le même réflexe qu’Assia Djebar - invitée avec moi
l’été dernier au Canada - qui expliquait que le problème des femmes
algériennes, était de sortir… J’ai horreur de cet ordre renfermé qui repose sur
l’écrasement des femmes.
Je suis écoeurée
de la réaction des Médias à la promulgation du Plan de Rigueur. La radio mène
l’agitation sur le thème, la restriction des libertés, les droits de l’homme
etc… et les journaux Le Matin et Libération sur celui de Comment frauder. Le consensus s’établit
en fin de compte sur la xénophobie pour ne pas dire le racisme et le désir des
Congés Payés au soleil. Il me semble que le désastre nous pend au nez.
Une rentrée
morose, même si on laisse de côté les effets terrifiants de mon traitement
médical, et les menaces de licenciement de mon voisin. Une rentrée inquiète
surtout. Un horizon international de plus en plus lourd, par la multiplication
des conflits et leur enlisement. On a l’impression d’une guerre mondiale commencée.
Un consensus semble s’être établi contre les Immigrés, sans que rien ne puisse
l’entamer car les gens se confortent les uns les autres, jusque dans notre
milieu, pourtant censé être progressiste.
On est d’autant
plus démuni que les problèmes du travail clandestin sont réellement menaçants
pour nous tous et quant aux femmes voilées, je ne peux pas les supporter. Tous
les beaux discours que je peux me faire sur le respect de l’identité de l’Autre
ne peuvent contrecarrer mon rejet profond et violent de cette pratique. Je sens
même venir l’incident, car je suis moi-même menacée dans la mesure où lors d’un
détournement d’avion, des terroristes islamiques ont obligé les femmes
européennes à se couvrir la tête.
Omniprésence de
cette question des Immigrés. Le problème est tellement épais qu’on ne voit pas
comment on peut le résoudre. Il semble qu’on ait bien tardé notamment, en ce
qui concerne les domaines de l’urbanisme (les Zones d’Urbanisation
Prioritaire/ghettos) et celui de l’Enseignement… L’unanimité s’est faite de
supprimer l’étranger en tant que tel, soit par l’expulsion et ce point de vue
paraît majoritaire dans le pays, soit en affirmant qu’ils ne sont pas à leur
place notamment dans l’Enseignement, soit par l’obsession de l’intégration
comme dans mon cas.
Un attentat à
Beyrouth contre la force multinationale française et américaine. Chagrin de voir ainsi la
France rejetée dans un nombre croissant de pays et l’inquiétude de constater
qu’il est difficile de résister à la propagande. Comme si l’intelligence et la
raison étaient submergées. Une certaine confusion est née du fait que les
catégories précédentes de la pensée ne fonctionnent plus et que les
interventions extérieures ne relèvent plus d’un simple impérialisme traditionnel
mais d’une tentative de prendre en compte un Tiers Monde qui s’impose de fait.
J’éprouve comme
une menace que Kadhafi retienne en otage nos compatriotes et qu’on tue nos
soldats à Beyrouth, non pour des raisons politiques mais par sentiment
d’appartenance au groupe. Le fait est là ! Ce sentiment d’ordre national
s’étend en ce qui me concerne, à l’Europe toute entière et a à voir avec mon
sentiment maternel, voire même avec mon inquiétude concernant la gestion des
corps. Il s’agit d’une réaction animale de défense de la horde dans le
dépassement complet des clivages et divergences. C’est en ce sens que je suis
maintenant moi aussi dans la sauvagerie, faute pour le moment de voir émerger
des valeurs nouvelles.
Débarquement des
Américains à Grenade pour s’opposer à un régime ultra cubain. Merci Monsieur
Reagan de nous rappeler que les Américains peuvent dans certains cas être aussi
inquiétants que les Russes. La différence étant tout de même qu’ils sont à même
de nous conserver nos privilèges, ce que ne sauraient pas faire les
Soviétiques.
Remise en liberté
d’un terroriste libyen, probablement échangé contre les otages français… Quel
aveuglement !
Je me sens de
plus en plus submergée par des pulsions complètement archaïques. Il me semble
que de même qu’on peut parler d’une économie
de guerre, je suis en train de m’installer dans un psychisme de guerre
qui me terrifie, au vu de ce que j’y découvre.
Dans les classes,
la situation est devenue intenable. De semaine en semaine, il me faut faire des
efforts croissants pour m’y maintenir, tant mon angoisse augmente. Des Elèves
m’ont même prise à partie sur le
contenu culturel de mon cours, selon leurs propres termes. C’est la
première fois que cela se produit!
Néanmoins je
continue ma campagne anti-raciste qui a quelques effets auprès des Collègues,
mais aucun sur les Elèves. Devant l’ampleur de la situation, nous avons invité
le Mouvement contre le Racisme et pour l’Amitié entre les Peuples à venir nous
faire une conférence. Le débat a été parfaitement minable et structuré autour
de deux hérésies : D’une part l’idée fausse que le Lycée serait une bulle
quasi familiale qui nous tiendrait à l’abri des conflits du monde et d’autre
part que cette association serait une
sorte d’assistante sociale qu’on pourrait vilipender de ne
pas faire son travail correctement !
Terrorisme des
Eleveurs de porc qui ont été le mois dernier, jusqu’à scier les voies de Chemin
de Fer pour obtenir pour leur production, des prix plus rémunérateurs. Le
Gouvernement a cédé à la pression et a même libéré leur leader emprisonné.
Cette semaine, ce sont les Routiers qui à leur tour bloquent les routes et
l’accès aux Stations de Sports d’Hiver, pour obtenir on ne sait même pas quoi
exactement. On a plutôt l’impression qu’il s’agit de se défouler des
désagréments consécutifs à la grève des Douaniers mais prenant cette fois une
tournure résolument anti-gouvernementale. Voir sur ce thème mon article De la main invisible à la main armée.
Dans les deux
cas, on trouve une lourdeur identique à celle que je rencontre dans les
Classes, lourdeur née du refus de prendre en compte la réalité, comme si la
violence pouvait suppléer aux nécessaires raisonnements économiques. Cela
suscite une inquiétude plus intellectuelle que politique, bien qu’on sente
sous-jacente aussi bien chez les Eleveurs de porc que chez les Elèves, une
certaine volonté de puissance, une régression infantile qu’on pourrait mettre
en relation avec la notion de Grande Bouche que le psychanalyste Gérard
Mendel développe dans son livre Cinquante Quatre Millions d’individus sans
appartenance.
Manifestement les
anciennes notions de l’Economie Politique ne fonctionnent plus, notamment celle
de la production, de l’échange et de la répartition. On assiste à l’éclosion de
tout autre chose. La mise en place de l’idée d’une économie qui ne serait plus
que distributive, la négociation
étant remplacée par la pression, l’Etat cessant d’être un arbitre régulateur pour
n’être plus qu’un distributeur. Ceci
expliquerait peut-être que les Elèves soient devenus totalement étrangers à la
notion de groupe et de légalité, pour finir par convertir tous les problèmes en
termes de subventions.
L’économie
fantasmatique en train d’émerger est celle dans laquelle les revenus seraient
sans rapport avec la contribution, ce qu’on peut encore à la rigueur
comprendre, étant données les modifications techniques en cours mais plus
gravement encore sans aucun rapport avec la réalité économique elle-même. Cela
se traduit dans la pratique par des revendications à la fois d’un surcroît de libéralisme et en même
temps de l’augmentation de la
Couverture Sociale. La contradiction n’est pourtant qu’apparente, si on veut
bien admettre que libéralisme veut simplement dire l’abolition des réglementations et Couverture Sociale non
pas nécessairement socialisme mais simple
augmentation du confort et de
la sécurité.
Tous cela recoupe
les analyses faites précédemment, à condition d’admettre que le nouveau
fonctionnement relève du racket et que ce qui apparaît comme des corporatismes
anciens est en réalité la possibilité de créer de nouvelles solidarités
destinées à être des Groupes de Pression. C’est à cause de cette nouvelle donne
que prend corps le fantasme du retour des Immigrés dans leur pays d’origine,
car ils apparaissent alors comme des concurrents dans une économie distribuante.
Dans un raisonnement d’économie réelle, le rejet ne serait pas le même, car on
comprendrait qu’ils consomment moins qu’ils ne produisent.
Dans le même
ordre d’idée, on observe la dérive complète du mot capital qui ne signifie plus du tout les moyens de production mais désormais uniquement une richesse
qu’il s’agit de répartir - ce qui est assez aberrant -
économiquement parlant…
Le Gouvernement a
cédé sur toute la ligne, ce qui n’empêche pas les barrages routiers d’augmenter
partout. L’angoisse de mort de ces jours derniers a disparu, puisque ce que je
craignais est arrivé. C’était prévisible puisque c’est désormais dès qu’il y a
un conflit, l’attitude du Gouvernement. J’ai l’impression qu’on me tire dans le
dos, tandis que je me tue à tenir le front
dans les Classes. Une sorte de trahison des Chefs, à l’arrière. Je suis
scandalisée d’apprendre qu’on va de surcroît verser des indemnités aux
Camionneurs au motif qu’ils n’ont pas pu travailler pendant les barrages…
Il sera versé
deux mille francs à chaque camionneur, au lieu de l’amende qu’ils auraient du
avoir si on avait appliqué la loi.
Naturellement mon
article De la main invisible à la main
armée m’est resté sur les bras. Mais il y a du progrès, car le Monde m’a répondu que c’était intéressant mais qu’ils n’avaient pas de
place !
La déconfiture
s’accentue tous azimuts. Tout le monde s’en moque car leur seule préoccupation
est de savoir si les approvisionnements en pétrole continuent... Une bataille a
fait vingt mille morts dans l’indifférence générale. Tous les jours, ces
cadavres sont pourtant jetés par la Télévision dans nos salles à manger. Ma
tentative de prendre de la distance par rapport à tout cela a duré huit jours
et ressort comme d’habitude en œuvre d’art… Cette fois un terrible collage sur
Beyrouth !
Le pire cauchemar
est tout de même celui de ces huit cents mille personnes dans la rue pour
s’opposer à la tentative de supprimer les privilèges de l’Ecole Privée. Il est
pénible d’entendre parler du lobby
de l’enseignement public. On croît rêver mais on ne parvient pas à enrayer
le processus. De reculade en reculade, le Gouvernement ne parvient pas à
s’imposer et la Droite s’enhardit en lui contestant de plus en plus sa
légitimité. C’est un peu comme dans les Classes, plus personne n’écoute alors
que le Professeur continue quand même à faire semblant.
L’Eglise reprend
du poil de la bête et se fait menaçante, confirmant la régression généralisée.
Tout se passe comme si l’avancée soixante-huitarde n’avait même jamais existé.
Une ambiance de mollahs et le tchador qui nous menace. Ni prêtre, ni pasteur, ni rabbin/ Producteurs sauvons nous nous
mêmes… Peut-on prétendre que ce combat là dont nous parle L’Internationale, soit dépassé ?
Plus étonnant
encore, le Gouvernement interdit une manifestation en faveur d’un dessinateur
soviétique emprisonné à cause de son oeuvre, sans compter il y a deux semaines,
l’interdiction de la conférence des opposants au Gouvernement de la Côte
d’Ivoire. Il est difficile de déterminer la vraie nature de ce régime qui tient
tant à faire respecter l’ordre à Droite et à L’Est. Est-ce simplement une
République de Copains, sans envergure ni projet ?
Complément de
désespoir si je peux dire, quelqu’un pour qui j’avais de la vénération prend
position pour cette manifestation prétendument bon enfant, en faveur de
l’Ecole Privée.
Indécente,
ridicule et dérisoire, grève des fonctionnaires pour protester contre les zéro
cinq pour cent de perte de pouvoir d’achat, subi par sa fraction la plus riche.
Les transports sont sans dessus dessous. Je fais pression pour empêcher les
hésitants de participer à ce mouvement que je réprouve. Obtenant satisfaction
sur ce point du service de l’Etat, je suis aussi fière que lorsque j’ai pris
mon premier poste à Rouen devant quitter Paris pour confirmer l’unicité et
l’unité du territoire!
La plaie est
désormais ouverte.
Au Lycée, les
Elèves ne reconnaissent plus notre autorité nous passant quasiment sur le
corps. On ne m’a jamais parlé aussi agressivement et en classe, d’une manière
aussi unanime. En TG2 - terminale comptable - la situation est totalement
bloquée, je ne fais plus cours depuis trois heures et je ne vois pas d’issue au
conflit. Mes Collègues cogèrent comme ils peuvent, pour garder une illusion de
pouvoir sur les événements. Je les trouve grotesques tant sur le fond que sur
la forme. L’hypocrisie est reine. Le radeau coule. La conséquence positive en
est le rapprochement affectif des Professeurs dans leur commun aveu de panique,
face à l’impossibilité de s’adapter tant à l’ordinateur qu’au magnétoscope. En
matière de plaisanterie, on parle de transformer le Lycée en Entreprise Privée.
A l’extérieur, il
n’y a plus ni quête idéologique, ni respect de la légalité. Ce ne sont plus que
des rapports de force, au sens strict. A l’incendie par les viticulteurs du
Midi, d’un supermarché, Leclerc riposte en affirmant qu’il ne vendra plus du
tout de ces vins là, sans aucune référence ni à l’ordre, ni à la loi, ni à la
morale !… Du côté des Sidérurgistes, ce sont les barrages routiers qui
cherchent à tirer de l’argent des automobilistes pour soutenir leur mouvement.
Chaque jour apporte des nouvelles de ce genre, le tout dans une passivité
manifeste de l’Etat qui cède systématiquement à la force !
Dans le même
temps, apparition d’une mutation sémantique. Le mot site remplace celui d’usine, à la notion de bassin d’emploi s’ajoute maintenant la série noire des déficits, les défaillances
d’entreprise, la notion de milieux
économiques apparaissant dans Libération
et dont on se demande à quoi ils l’opposent au juste. Il me semble que dans
tout cela est en germe, un changement dans l’économie et la société, sans que
je comprenne encore la nouvelle architecture.
Désenchantement
général. Bien que je sois par raison politique opposée à l’abstention, l’idée
m’en traverse en voyant se rapprocher les Elections Européennes. Je trouve cela
symptomatique, car plus civique que moi, tu meurs ! En ce moment il y a un
rejet général de ce qu’il faut bien appeler la politicaillerie et on sait très bien où cela mène...
On subit en ce
moment une propagande effrénée dont les gens ne se rendent pas compte. Ce
lavage de cerveau est pourtant sans équivoque pour les urbanistes québécois et
anglais que j’ai eu l’occasion de rencontrer et qui se moquent ouvertement du
concept de libéral libertaire que
j’ai - dès son apparition - dénoncé moi-même comme le nœud de la confusion. Il
pourrait se résumer ainsi : Pour la
Droite, la Gauche n’est jamais autant elle-même que lorsqu’elle est à droite,
et pour le Gouvernement c’est : nous n’avons pas changé, nous
appliquons le programme pour lequel nous avons été élu Tout cela est faux
et aboutit à un décervelage complet.
Quant aux anciens
Gauchistes, ils ont tournés à Droite, pour ne pas dire à l’Extrême Droite et
présentent leur évolution comme un progrès dans la voie du réalisme. De leur
côté, les racistes se présentent comme ayant
le courage de dire tout haut ce que tout le monde pense mais personne n’ose
dire… Il faudrait faire une analyse détaillée des ressorts de la
propagande, dont la palme revient tout de même à A.M. qui se présente comme un
homme de gauche, faisant l’apologie du travail clandestin et proposant
l’étrange notion d’un capitalisme
soixante-huitard.
Je ne parle même
pas du journal Libération dont les
positions me paraissent depuis longtemps douteuses. Tout cela participe à
l’émergence d’un climat corrupteur. J’en viens à penser que je vais m’abstenir
de lire les journaux et de regarder la Télévision pour échapper à cette
ambiance…. A signaler tout de même l’apparition du journal Vertiges qui n’hésite pas à dénoncer le dérayage complet ! On
se sent moins seul…
Morne campagne
électorale sans aucun intérêt. Jean-Marie Le Pen passe à la Télévision et à la
Radio, presque tous les jours. C’est trop pour être tout à fait un
hasard ! Il développe ses idées d’une fois sur l’autre. Le Gouvernement ne
m’intéresse plus du tout. Je regrette seulement d’avoir cédé aux pressions de
mon entourage pour me faire voter aux Elections Municipales, alors que je
désirais m’abstenir et que la suite ait montré que c’était bien cela qu’il
convenait de faire !
Je cherche
désormais à comprendre les mécanismes de la propagande et de ce que j’appelle l’enfollement. Notamment au Lycée le
sept Juin, lors de la réunion avec les Parents d’Elèves, lorsqu’on nous a
clairement annoncé la condamnation à mort de l’activité professionnelle que
nous avions jusque là connue. On nous somme de trouver des moyens pour réaliser
des objectifs qu’on ne nous précise pas. Dans tous les domaines apparaissent
depuis des années des formes vides de sens.
Trois nuits à
très mal dormir, grande fatigue, énervement, crise d’angoisse, probablement dues
à ces quatre jours successifs d’examen durant lesquels on m’a demandé de
fournir plus de travail que je ne le pouvais en raison des séquelles de ma
chimiothérapie. Mais il n’y a pas que cela.
C’est aussi et
surtout qu’on passe du quantitatif au qualitatif. D’une société glauque, émerge
maintenant quelque chose de nouveau que j’ai justement déjà vu fonctionner aux
dits examens et qui est maintenant en train d’envahir la société toute entière.
Non seulement la jungle déjà répertoriée depuis un bon moment mais aussi le non
sens absolu, le triomphe de la forme vidée de tout contenu. Cela dans le
consensus total qui s’est justement établi sur cette base. Ont disparu les
notions d’idéal, de morale, de métaphysique, d’humanisme, d’égalité, et jusqu’à
semble-t-il, de sexualité et de féminisme.
Une société
globalement impuissante, en train de devenir folle et sadique. On nous repasse
à la Télévision une deuxième fois au ralenti pour qu’on en profite bien les
images des plus spectaculaires des accidents. Cette technique se généralise,
qu’il s’agisse des sports ou des meurtres. Il ne s’agit plus de la mise en
place mais de l’installation achevée d’une société indifférenciée et/ou
d’indifférence. Le mot de totalitarisme
ne convient pas vraiment parce qu’il fait référence au nazisme, au stalinisme
ou à Khomeiny en Iran. Ou alors il faudrait parler d’un totalitarisme cool ou
soft dans lequel règne le conformisme.
Les Médias ont
fait le marche pied à Le Pen d’une façon éhontée. Soit
que les Médias lui soient acquises, soit qu’il s’agisse d’un calcul politicien
pour diviser la Droite. Ce calcul serait alors à courte vue et on se demande
comment les intérêts d’un groupe qui cherche à se maintenir au pouvoir
pourraient prévaloir contre les intérêts de la collectivité, car en ne rejetant
pas Le Pen de la vie politique, on admet que ses idées y ont droit de cité. Et
c’est là qu’est la perversité car la devise de la République comprenant
l’Egalité, le racisme en est par principe exclu.
Que faire de
cette ambiance fascisante entrée dans les mœurs ? Je n’ai plus envie
d’écrire des nouvelles dans le style de celles du premier trimestre. A la
Commission d’Admission dans les classes de Brevet de Technicien Supérieur, une
Collègue a trié les dossiers des étrangers en disant Ceux là on ne les prend pas ! Face à cette déclaration, la
littérature elle même est sans objet. Elle ne peut pas démasquer ce qui l’est
déjà. Je n’ai plus envie de répondre à l’agression politique, comme dans mon
sketch qui se terminait par Pas de poésie
politique et bien plus rien que de la politique ! Les comportements
anciens ne conviennent plus, il faut inventer une stratégie nouvelle.
Le plus
inquiétant est encore la réaction des gens sur le mode du N’en parlons pas ! Y compris dans les milieux
germanopratins. Cette attitude est d’ailleurs bien décrite par Bruno Bettelheim
dans son livre Survivre : Faute
de pouvoir mettre en œuvre ce qu’il faudrait si on prenait conscience de la
situation réelle, on préfère occulter le phénomène. Face à l’ahurissante montée
de Le Pen, la réaction est plutôt ni vu
ni connu. On quitte le domaine du politique pour celui de la névrose. Toute
l’année cela a été mon impression constante, ce vent de folie épaisse se
manifestant d’abord par la négation totale de la réalité. Même ambiance dans la
classe politique. Les gens sont sonnés ou complices et une fois de plus, ont
pris le parti de faire semblant.
Tout cela n’est
pas pour moi une surprise, à cause de la fascination que Le Pen a exercé toute
l’année sur les gens du Lycée mais aussi bien dans le milieu littéraire, avec
l’absence totale d’accueil du Silence et l’obscurité contrairement à mes précédents livres, sans compter l’impossibilité de faire passer un
article quelconque. C’est le refus absolu d’entendre un son de cloche
dérangeant, il est massif depuis un an. Le cri entendu chez Talbot Les Arabes au four était tout de même un
avertissement sans équivoque.
Les foulards
tricolores fleurissent avec les tenues ad hoc. Nous ne sommes pas au bout de
nos peines concernant la manifestation de Dimanche. Le gouvernement paraît
complètement dépassé face à l’hallali de l’ensemble de la presse écrite. Le Monde ne se contente plus de nous
bourrer le crâne et lâche ouvertement Mitterrand.
Sur cette toile
de fond politicienne sans rapport avec les problèmes réels à résoudre, le
matraquage brutal, aux usines Talbot du leader des ouvriers immigrés, Akka
Ghazi. Je me reconnais en lui, dans son combat pour ce qu’il appelle la
dignité. C’est le seul des leaders que je ressens justement comme un leader
auquel je peux adhérer et soutenir pleinement. Son refus de passer dans ce
qu’on nomme la cage à rats pour
entrer dans l’Usine et sa lutte pour passer par une porte normale. Un combat
pour la dignité que l’adversaire ne comprend même pas et auquel il ne peut et
ne sait répondre que par la force.
Une rentrée
épouvantable au milieu d’une bande de fous à lier. Je n’ai réussi à tenir le
coup qu’en photographiant à l’intérieur du Lycée ce que je suis parvenue à
nommer ensuite L’Asole. Une
conjonction d’enfermement et de néant. Ce n’est ni la lourdeur charnelle de la
prison, ni les terreurs de l’imagination à l’asile. L’Asole : Le vide, la mort, les formes, l’indifférence
affichée de l’Administration piétinant les circulaires pédagogiques au mépris
du sens. Le népotisme ouvert sur des bases plutôt pétainistes...
Le seul point
positif est l’éclatement de la vérité sur l’état de l’Ecole. Est-ce dû au
remplacement du Ministre Alain Savary par Jean-Pierre Chevènement qui remet au
goût du jour la nécessité de transmettre des connaissances et de combattre
l’illettrisme ? Je me méfie tout de même des discours sur l’ordre, la
discipline et l’exaltation de l’Histoire Nationale. Partant d’une volonté de redressement,
il peut très bien amener le pire. Quant au combat contre l’ignorance il
pourrait mettre en accusation les immigrés sur le thème : ils retardent tout le monde… Le problème
est de savoir si ce changement pourra infléchir quoi que ce soit. Au vu de la
situation du Lycée à la Rentrée, on peut parier que non.
A signaler
également la propagande militariste. On ne rate pas une occasion d’exalter ce
sentiment. C’était hier l’anniversaire de l’épisode des taxis de la Marne dont
on ne s’était jamais préoccupé jusque là. Quel décalage entre l’imagerie que
les réalisateurs tentaient de faire naître et la parole des survivants
interviewés. Ils pleuraient presque de chagrin au souvenir de la tuerie !
A l’Asole (contraction de l’Ecole et de
l’Asile) nécessité, après la visite de l’entreprise de camions Trailor à Soissons, d’ajouter l’Asine (contraction entre l’Usine et
l’Asile). Journée Portes Ouvertes dans l’établissement fermé et occupé par la
CGT. Les ouvriers font marcher l’usine comme lorsqu’elle fonctionnait dans la
réalité. Démonstration mimétique d’un monde mort. On voit accrochés aux
machines des panneaux qui disent je. L’un d’eux déclare On veut m’euthanasier mais je ne suis pas incurable ! Un syndicaliste nous fait visiter et tient un
discours incohérent. Il s’avère incapable de nous expliquer les causes de cette
restructuration à laquelle lui même n’a manifestement rien compris...
Ce qui frappe
chez Trailor, c’est la découverte
d’ouvriers non pas perdus mais abandonnés. Comme simplement jetés à la mer et
n’y comprenant rien. Leurs discours, leurs panneaux, leurs tracts, leurs
revendications ne s’exprimant qu’en termes de coûts des machines et de
manœuvres de travail, sans aucune compréhension même légère des problèmes
économiques. Les problématiques de la gestion leur sont totalement étrangères.
Nous leur posons quelques questions pour tenter d’y voir clair mais ils ne les
comprennent pas. C’est sans doute le résultat du taylorisme et de sa fameuse
formule Ne pensez pas, on pense pour
vous ! Non associés aux affaires depuis toujours, ils n’ont aucune
idée de ce qu’elles signifient. Il faudrait inventer un concept pour exprimer
ce résultat là, celui de la division sociale.
Encéphalogramme
plat de la vie politique. On a beau savoir rationnellement que cela serait pire
si la Droite était au pouvoir, on ne comprend pas en quoi ce pouvoir là est de
Gauche. On a l’impression d’avoir des morts à la tête du pays.
A l’initiative de
l’Association Adam, un week-end sur
le thème Les hommes et le sexisme. Fiasco
complet en dépit de l’attraction du sujet. Rien à dire sur l’organisation
matérielle mais le vide des interventions, laisse pantois. Des communications
invertébrées souvent sans rapport avec le sujet. Dans le meilleur des cas,
c’est la reprise des idées féministes d’il y a quinze ans ! On se demande
également quelle est la signification des propos de ces hommes qui tiennent le
discours des femmes.
S’agit-il de
l’apparition d’un tiers sexe, d’un monde de copains dont les sexualités sont
d’ores et déjà exclues au sens où le simple fait de rappeler des évidences
biologiques les fait ricaner ? J’ai ainsi
déclenché l’hilarité la plus complète en rappelant que l’œuf fécondé était le
résultat de la rencontre d’un ovule et d’un spermatozoïde. Par ailleurs, aucune
référence aux manipulations gestatoires en cours ni au fait qu’elles pourraient
bien rendre caducs les problèmes du féminisme, du masculinisme – en inventant ce néologisme - et jusqu’à l’ordre même
de la famille.
Je fais donc le
même sempiternel constat. A savoir que la décomposition sociale est toujours
plus avancée que ce que je crois et en même temps, celui de l’aveuglement
complet des gens quant aux modifications fondamentales en train de se faire, le
plus triste étant peut-être les soixante-huitards fossilisés. On se serait cru
à l’UNEF des années 1963/64 sans que le temps ait coulé. Un week-end stupéfiant
de paroles de mort, de vide, de non sens et de barbarie suicidaire. Le son de
cloche fondamental étant le refus d’enfanter, le refus de l’amour, le refus de
l’élément sexuel lui même. Les femmes qui étaient là n’étaient même pas
féministes et citaient Lacan, s’appropriaient les discours féministes sans pour
autant s’y impliquer.
La pression
augmente dans les conversations, non pas comme on en a depuis longtemps
l’habitude en faveur d’un retour à l’ordre mais pour empêcher certains propos
de se tenir. A la limite pour empêcher la vie elle même d’avoir droit de cité.
De semaine en semaine, l’espace se rétrécit. Le discours médiatique qui nous
tient lieu de politique affiche une banalisation complète du racisme (et à
cause de cela, je suis bien contente de la sortie de mon livre Auditions musicales certains soirs d’été
qui le dénonce). A constater aussi un virage à Droite des Socialistes qui
tiennent un discours de plus en plus démagogique et sécuritaire et une
propagande éhontée pour le libéralisme sauvage.
La seule lumière
de cette période a été le colloque tenu à Millau sur les problèmes fonciers.
Nous y avons rencontré des syndicalistes paysans radicaux, ultra vivants,
dynamiques, préoccupés de l’avenir de la société et de l’établissement des
Jeunes. Néanmoins leur projet de repeuplement agricole nous paraît une
aberration qui ne peut s’expliquer que par des préoccupations d’ordre
biologique. L’espèce, le groupe plutôt, s’inquiétant de la désertification et
cherchant par intérêt et/ou sécurité, à quadriller à nouveau son territoire.
Conversation avec
un chauffeur de taxi qui me reproche d’être une égoïste parce que je n’emploie
pas de femme de ménage et me refuse ainsi à donner du travail aux pauvres.
C’est la première fois que j’entends ce raisonnement en France, alors qu’il est
courant aux Antilles. Encore un signe de l’entrée de notre pays dans le
sous-développement. Désormais, il ne s’agit plus d’empêcher le dualisme de la
société mais de l’organiser, chacun ayant parfaitement conscience de sa place.
Au Lycée, le
bourrage de crâne de plus en plus pesant rend les échanges verbaux, de plus en
plus violents, invalidant les conversations qui étaient encore possibles il y a
seulement quelques semaines. Désormais chacun se tait pour limiter les risques.
Dire bonjour est devenu un acte courageux et y répondre une prise de position
politique. La vis est resserrée chaque semaine et l’ordre moral s’impose. J’ai
même dû y cacher le journal que je lisais dans la rue…
Le racisme et la
violence sont installés. Manifestation après l’assassinat d’un ouvrier turc.
Situation tragique de ces hommes qui ne pouvaient même pas crier des slogans
car quasiment incapables de prononcer les mots français, de la même façon sans
doute que nous, les mots turcs. Ils nous ont demandé au passage de leur
apprendre à prononcer les mots racisme
et fascisme. Il n’y avait
pratiquement pas de femme parmi eux, à part une qui baragouinait un anglais
aussi lamentable que le mien et qui nous a offert des bonbons !
Comment rendre ce
timide effort de fraternisation ? Curieuse manifestation avec les Français
d’un côté et les Immigrés derrière, avec des Français encore sur les trottoirs
comme s’ils n’osaient pas descendre dans la rue avec les Immigrés. Ma
partenaire de théâtre et moi, on s’était mises avec eux et ils en avaient de la
gratitude jusqu’à nous adresser la parole avant de découvrir le désastre du
silence qui s’instaurait parce qu’ils ne connaissaient pas la langue.
Difficulté
croissante de tenir en parallèle mes différents carnets. Je me repose à chaque
fois la question de l’écriture d’un journal pour conclure toujours à la même
impossibilité de le faire à cause des risques d’inauthenticité, sans compter
les erreurs consécutives au point de vue duquel il se situe, à savoir un excès
de subjectivité. J’ai en horreur ce genre littéraire, et pourtant je ne sais
pas comment rendre compte de cette étonnante réalité en train d’advenir.
Au Lycée cabale
contre Clément Rouhet, le Collègue réputé chinois. En fait métis vietnamien. Depuis
des années, des ragots courent à son sujet mais c’est maintenant une véritable
rumeur d’Orléans… Une pétition d’Elèves l’a fait sur le champ dessaisir d’une
classe. Les Professeurs se sont érigés en juges et sans le coup d’arrêt que j’y
ai fermement mis en jetant dans la balance tout mon poids moral - assez grand
il est vrai - c’était l’hallali. Mais il me semble que ce n’est que partie
remise… Ce sont ceux qui ont mené la danse qui ont repris les cours dont il
avait été dessaisi, alors qu’ils n’y avaient normalement aucun titre ni droit
pour le faire…
L’intéressé m’a
expliqué lui-même que c’était parce que nos Collègues ne parvenaient à le faire
destituer sur des bases pédagogiques que leur cabale avait inventé cette
histoire de mœurs, comme la seule possibilité de le faire révoquer. J’ai tenté
d’en impliquer dans la conversation quelques uns que je croyais honnêtes mais
ils se sont dérobés. On imagine aisément ce que tout cela peut donner en temps
de guerre...
Toujours est-il
que cette affaire nous a permis à Clément Rouhet et à moi-même de nous avouer à
quel point nous avions physiquement peur dans cet établissement et comme notre
lien nous permettait ensemble d’y résister. Il a résumé la situation par cette
phrase : Si je comprends bien, j’ai
une gueule de métèque et à toi on te reproche d’aimer les étrangers !
C’est exactement cela. Ma partenaire de théâtre me confirme la même chose dans
son établissement à elle. Tout cela traduit bien l’air du temps, l’exclusion du
racialement désigné. Mais comme tous ces gens se croient de Gauche, ils ne se
perçoivent pas comme racistes. On a affaire à une sorte de racisme forclos.
La société
extérieure a fini par entrer dans le Lycée mais d’une façon inattendue, à la
manière d’une inondation. L’angoisse de ne pas savoir qui est de quel bord et
de quel côté va tomber un tel lorsque la société va se partager. S’y ajoute un
sentiment nouveau de précarité et de prolétarisation accélérée qui n’apparaît
que cette année dans la conversation. Certains Collègues admettent même la
mutation technique et culturelle, ce à quoi - jusque là - ils se refusaient. On
observe aussi une diversification des attitudes qui vont de la réaction
tatillonne modèle dix-neuvième siècle, à la fuite, au cynisme et à la démagogie
en passant par une adaptation réelle à l’absurdité ambiante.
On assiste
également à un effondrement de d’identité nationale qui entraîne une sorte de
paralysie générale. Sans doute à la suite de la mondialisation et de la crise
économique. Le Pen apparaît dans ce contexte comme une réaction à cet état de
chose, l’égal de Khomeiny et sans doute pour la même raison.
Stage de
formation continue à la MAFPEN, dans les locaux de la Sorbonne. Ce lavage de
cerveau produit par une société d'ores et déjà totalitaire fera l’objet d’un
article à part. Il m’a rendu malade et je ne fais face que grâce à la méthode
Coué. Mais il y a plus grave, mon affliction profonde devant des prétendues
négociations avec le Patronat sur le nouveau concept à la mode : la flexibilité
du travail. Il me semble que c’est un
véritable démantèlement du Droit qui se prépare et je crains qu’on impose un
travail partiel aux femmes. Je ne comprends pas que les Syndicats se prêtent à
de pareilles guignolades.
Dans l’autobus, un
type s’adonnant à l’antisémitisme et disant qu’Hitler n’avait pas tort. J’ai alors ameuté tout l’autobus contre
lui…
En Nouvelle
Calédonie, les gendarmes désobéissent ouvertement au Gouvernement. A la
Télévision, on voit sur la route de Thio, cinq d’entre eux qui reculent
affolés, devant un Canaque brandissant un morceau de bois. La peur et la haine.
Le soir à la
Radio un invité fait purement et simplement l’apologie de la torture en
Algérie. Trop c’est trop !
Profonde tristesse
ces temps derniers, due à mes difficultés éditoriales, la censure exercée
contre moi par les revues littéraires, le Salon du Livre et le relatif silence
de la critique sur mes deux derniers livres publiés aux Editions des Femmes.
Dans le même temps
l’intensification de la Régression qui de semaine en semaine donne une
impression d’installation à vitesse accélérée dans Le meilleur des mondes
d’Huxley ou dans le 1984 d’Orwell. Tout cela s’appuyant sur une
propagande échevelée que personne ne dénonce puisqu’elle a pour fonction la
consolidation d’une nouvelle classe dominante celle des Communicateurs.
La manifestation
du MRAP du 7 Mai a rassemblé les deux cents derniers antiracistes de Paris.
Quant au Comité Stop Racisme, il est
déjà totalement pris en main par des apparatchiks qui manifestement ont tout
organisé, ne nous laissant comme possibilité qu’une adhésion totale. Tout était
déjà prévu : les cartes, le montant des cotisations et la structuration
verticale, bien entendu !
Impossibilité
complète de tenir une parole qui serait venue de la base et aurait tenté d’en
rencontrer d’autres dans leur expérience vécue. Il me semble qu’il y a là
aussi, régression et une impudeur totale dans la démonstration de l’appareil
qui ne cherche même pas - comme par le passé - à conserver au moins les
apparences d’un débat politique. Il s’agit là d’une pure forme, sans aucun
contenu politique et d’organisations qui règlent entre elles des problèmes de
préséances et de protocoles. La parole en est exclue, les individus et le
peuple, inexistants.
Quant au contenu
même des actions envisagées, j’ai été sidérée de les découvrir à côté de la
plaque. Il était question de faire des procès en s’appuyant sur la loi de 1972,
alors que Le Pen a gagné les siens neuf fois sur dix, de fonctionner comme
Amnistie Internationale, de faire pression par lettres sur le Gouvernement,
d’organiser des soirées musicales pour que les Communautés se connaissent entre
elles, alors qu’elles se connaissent très bien. Tout cela m’a donné
l’impression d’un humanitarisme mièvre sans rapport avec la tourmente dans
laquelle, ma partenaire de théâtre et moi-même, sommes engagées dans notre vie
d’Enseignantes. C’est d’ailleurs ce que nous leur avons dit avant de partir de
façon spectaculaire pour marquer le coup !… Il est d’ailleurs à noter que
sur les trente cinq personnes présentes, il n’y en avait que trois d’immigrés.
Après-midi bon
enfant à la Fête de Lutte Ouvrière à Presles.
Contentement d’avoir réussi à récupérer mon autonomie - marche et oxygénation -
perdues à cause de la maladie depuis trois ans. Ce que j’aime dans ce genre de
manifestation c’est la possibilité de rêver et d’être avec d’autres qui
partagent la même utopie. Ainsi au Forum de l’Education, quel soulagement de
rencontrer un groupe de gens pour qui il va de soi que l’autonomie des
Etablissements Scolaires les livre aux Patrons, tandis que l’absence de culture
générale est une mesure anti-populaire. La rencontre du même est un soulagement
qui repose le corps et le détend ainsi que l’absence d’agressivité. Une bulle
de bonheur et de paix dans la cessation de la tension quotidienne, ce cauchemar
qu’on trouve désormais partout.
Les trois dernières
affaires : La coupe d’Europe de Football, l’éviction des Arabes et des
Noirs à la Commission d’Admission en BTS dans mon Lycée et l’interdiction de
passer à la Télévision le film de Mosco : Des terroristes à la retraite. Trois affaires pour lesquelles j’ai
écrit des lettres de protestation.
La première à
l’Ambassadeur de Belgique pour protester contre le fait que le match
Liverpool-Turin ait quand même été joué au stade du Heysel après les quarante
morts causées à l’intérieur du stade par les bagarres des supporters anglais.
La deuxième à la
Directrice de mon Etablissement et la troisième pour protester contre la
censure à Antenne 2. Mais ces affaires exigent pour être traitées - et
nerveusement s’en remettre - plus de temps qu’il n’y en a, avant que ne se
produise une autre affaire nécessitant la même attention et le même traitement…
Ces trois
affaires expriment la même chose, à savoir l’établissement d’un nouvel ordre
d’oppression médiatique et technique avec éradication complète de l’idée de
l’être humain et des valeurs qui fondaient notre société. Telle qu’elle est,
notre lutte de résistance paraît inadaptée. D’abord elle est inefficace puisque
nous ne réussissons pas à empêcher ce qui survient et elle nous épuise à tous
points de vue en ne nous laissant pas le minimum de sérénité nécessaire au
travail principal, à savoir la création littéraire et artistique.
Quant à l’affaire
de la Commission d’Admission en BTS, elle m’occupe intégralement : Trois
jours de violence, de conflits et d’angoisses, sans compter ceux qu’il faut
pour pouvoir ensuite récupérer. Il n’est pas indifférent que ce soit trois
hommes qui m’aient molestée pour m’imposer leur refus de prendre des Elèves
noirs et arabes ! L’ordre extérieur de l’infériorité des femmes pénètre
désormais dans l’Education Nationale, au fur et à mesure qu’elle se privatise,
qu’en disparaît la culture spécifique et que la régression sociale généralisée
encourage l’entourage à augmenter la pression pour un retour à un ordre
domestique que je ne peux plus supporter.
Notre pouvoir
diminue dans tous les secteurs et on nous renvoie au néant dont nous avions
réussi dans la période précédente, à nous extirpées. Il semble y avoir catalyse
sur la question des rapports homme/femme. Est-ce parce que la Reproduction
Artificielle est en train d’évacuer les femmes ? Dans la rue, c’est le
retour de la brutalité de la drague qui avait cessé ces dernières années, et il
est de nouveau difficile d’entrer dans un café boire un demi au comptoir, ce
qui ne posait plus de problème dans la période que j’ai dénommée la Grande
Florescence. L’appellation Mademoiselle
fait un retour en force alors qu’elle avait disparue.
A propos de nos
Compatriotes retenus au Liban, l’horreur du mot disparu qui fait pour la première fois son apparition en
remplacement du terme d’otage.
Complication en
perspective autour de l’affaire Villemin, du nom de famille du petit Grégory
qu’on a retrouvé noyé, ligoté dans la Vologne. On est passé du fait divers au
drame social permettant à la société de se dire quelque chose à elle-même.
Cette affaire - déjà monstrueuse au départ - a enflé au point de devenir l’œil
d’un cyclone entraînant toutes sortes de vents dans son tourbillon, y compris
sur le sujet des femmes.
Tout a commencé
par un antagonisme croissant entre les diverses mouvances féministes sur lequel
s’est greffé une cabale contre Marguerite Duras. Chacun s’est mis à projeter
sur l’affaire Villemin ses propres fantasmes, au mépris tant des réalités que
des lois, afin de l’utiliser pour ses prises de positions idéologiques, sans
compter une controverse médiatique du type tempête
dans un verre d’eau probablement pour combler le vide estival… L’année
dernière le thème était le silence des Intellectuels…
Ce que Chantalle
appelle le dérèglement pour nommer ce
qui caractérise le Lycée, s’appelle dans ma terminologie à moi, le charnier,
voire encore pire. Le terme d’Asole
employé les deux années précédentes est lui même dépassé. Le vent de folie qui
y souffle ne me fait plus rire du tout, encore moins la méchanceté de la
Directrice qui tire sur tout ce qui bouge, ou l’agitation du Censeur passant
son temps à nous glisser dans les Cahiers de Textes des notes de service
surréalistes qui mériteraient qu’on les collectionne, si elles n’étaient
odieuses.
L’Intendante elle
même, de plus en plus malade et lointaine, m’abordant dans les escaliers pour
me dire que les Parents d’Elèves lui ont reproché la mauvaise qualité de la
cantine, insuffisante et froide, ce qui n’est pas vrai, je le sais parce que
j’y mange régulièrement. Je l’ai réconforté sur le thème Ne vous cassez pas à discuter avec des dingues, ils sont tous fous à
lier. Et je lui ai rappelé la Radio de Londres qui martelait pendant la
guerre L’ennemi essaie de vous accrocher,
décrochez ! Elle a ri et j’étais bien contente lorsqu’elle m’a dit Heureusement que je vous ai
rencontrée ! Elle a dit à quelqu’un d’autre à mon sujet Elle m’étonnera toujours parce que je
lui avais signalé que les marronniers de la cour ne donnaient plus de marrons
et qu’il fallait faire quelque chose pour eux….
Il avait un nom
évoquant les oiseaux aquatiques, un prénom qu’on aurait dit barbare ou viking,
il habitait à l’extrême bout du continent. Et tout à coup l’inattendu : J’ai cru que c’étaient des enfants qui
s’amusaient avec des pétards, je me suis retournée et j’ai vu Olof par terre
dans une mare de sang dit la femme du Premier Ministre suédois,
assassiné...
On peut mesurer
justement notre propre dérive actuelle, par rapport aux Suédois. Ce socialisme qui nous paraissait si
dérisoire dans les années soixante-dix et un sujet de plaisanteries dans nos
milieux, nous apparaît aujourd’hui comme désirable. On dit maintenant qu’on se
contenterait bien d’un socialisme à la suédoise,
comme le dissident russe Boukhovski disait par dérision à propos du projet de
l’éventuel socialisme à visage humain,
qu’il se contenterait bien du visage
humain.
Je ressens
l’assassinat d’Olof Palme comme une blessure personnelle, car vraiment si on
s’en prend aussi à ceux là… Pour le reste, mon détachement des questions
politiques est total car tout se fait en dehors de nous et dans la négation de
nos valeurs. Nous ne sommes comme concernés en rien.
J’ai été étonnée
de l’appel des Intellectuels et Créateurs
paru dans Le Monde du 2/3 Mars et
appelant à soutenir ce Ministère au motif que jamais aucun Gouvernement n’avait
donné autant d’argent pour la Culture. L’argument me paraît étonnant et
finalement bien à la mesure de la mélasse psycho-politique dans laquelle nous
vivons. Que les gens de culture appellent à soutenir les gens qui leur donnent
de l’argent est pour le moins surprenant. Une sorte de tête à queue idéologique
qui me laisse pantoise. Chantalle ajoute même Et pour les résultats que cela a donné !
Le fait est que
depuis que je m’intéresse à la politique, je n’ai jamais vu l’argent et
l’inégalité régner avec autant de cynisme. C’est tout de même un paradoxe pour
un Gouvernement élu sur un programme de Rupture
avec le Capitalisme… Et quand on sait que cet appel a été lancé par le
Directeur de l’Opéra de New York !…
Humiliation
redoublée comme ayant rendez vous avec deux amis canadiens, ils m’ont à peine
assis annoncé qu’une certaine radio allait me téléphoner pour que j’appelle à
voter Mitterrand au nom de la défense des valeurs de la Gauche. J’ai eu
l’impression que tout ce Comité nous considérait déjà comme des
sous-développés, ce que j’avais déjà ressenti lors de mon premier voyage en
1982 à l’invitation de l’Association des Professeurs de Français Canadiens. Je
leur ai répondu que non représentative et carrément marginale, mon appel
n’avait aucune signification.
Mais comme cette
première réponse n’avait pas suffi et qu’ils revenaient à la charge en me
disant qu’il fallait faire quelque chose pour le Gouvernement, j’ai été obligée
de leur dire que tous les jours dans mes Classes je combattais un fascisme
massif et que moi aussi j’aurais bien aimé que le Gouvernement me soutienne
autrement qu’en proposant des TUC aux Elèves dont j’avais la charge. Je crois
qu’ils ont compris sans que pour autant rien de blessant ou de décisif ne soit
dit de mon côté.
Les médias nous
annoncent à les entendre, une bonne nouvelle. Les deux terroristes qui avaient
été expulsés ont été graciés et ces deux hommes prétendument étudiants, sont
libres de venir reprendre leurs Etudes en France quand ils le voudront....
Munich, Munich ! Je me souviens des applaudissements de la population et
de cette remarque de nos dirigeants devant la ferveur populaire : Les cons, s’ils savaient ! C’est la
honte…
Le Liban est
devenu un vrai cauchemar depuis quatre ou cinq jours, à savoir depuis
l’assassinat de notre compatriote Seurat qui y a été enlevé. J’en rêve la nuit
et me réveille en sursaut, profondément angoissée à crier. Cela a pris à l’aube
le relais et/ou la place de mon cancer. C’est la première fois que j’éprouve ce
genre de chose pour des raisons politiques. Une angoisse à la mesure de ce que
fut la joie de 1968. Non seulement l’angoisse vient des périls réels mais du sentiment
d’être dans une société en pleine décomposition car comment comprendre que les
gens puissent se réjouir d’une capitulation ? On a pourtant bien vu ce que
cela donnait face au Nazisme. Comme je disais à mon voisin La mobilisation n’est pas la guerre, plus pessimiste que moi encore
il m’a répondu Le problème est que la
guerre soit la mobilisation.
Journée
extraordinairement pénible. Bien que je n’aie pas manqué au Lycée depuis mon
opération du cancer du sein il y a trois ans et demi, j'envisageais ce matin de
ne pas y aller, tellement j’étais accablée. De fatigue d’abord, de tension
nerveuse et de désespoir, à la limite de l’exténuation que j’ai connu à la fin
des Septantes. Je me suis alors aperçue que ce que je voulais fuir, c’était
l’ambiance de capitulation de l’avant veille, au Lycée. Pour me stimuler je me
suis dit qu’on allait basculer dans la guerre et que mon devoir était d’y
aller. Cela m’a paru insupportable mais j’ai compris que si je n’y allais pas
cette fois, il me serait encore plus difficile, voire impossible d’y retourner
ensuite.
Sortie du cours
de Gymnastique à quinze heures avec rien d’autre devant moi que les Elections
Législatives et leur prévisible, sinistre résultat. Une violente angoisse de
mort m’a prise, comme un véhicule dans lequel il allait falloir monter pour
aller s’écraser contre un mur, ou une trappe qui allait s’ouvrir et me laissée
pendue, la corde autour du cou. Je me suis sentie totalement désemparée.
J’ai acheté le
journal qui titrait Le Djihad Islamique
accentue sa pression sur Paris, à la veille des Elections. La détresse
étant alors insoutenable, j’ai reflué vers le Lycée, pour ne pas me trouver
enfermée seule chez moi. Dans l’escalier j’ai dit à une Collègue hésitante qui
avait son manteau sous le bras, comme un duvet Alors tu campes ? J’ai eu l’étonnement de l’entendre répondre J’ai peur si je m’en vais, de ne plus
pouvoir revenir. Cela exprimait tout à fait, ma propre difficulté.
En rentrant à
pied avec Chantalle, on s’est lamenté sur ce qui allait nous arriver et je lui
disais comme le triomphe de la Droite allait m’être insupportable. Sur le
trottoir un type qui nous doublait m’a entendue, il s’est arrêté et nous a
engueulé très agressif d’un Vous feriez mieux
d’aller voter ! On s’est trouvé interloquées, il voulait poursuivre
plus loin la conversation, mais je m’y suis refusée. Tout cela nous a fait
froid dans le dos, sans qu’on comprenne vraiment pourquoi. C’était comme si la
simple expression d’une émotion personnelle était interdite, car une ou deux
autres fois jusqu’au métro, il m’a semblé qu’on se moquait de notre désarroi
exprimé.
Grand titre
racoleur à la Une de France-Soir :
Ils supplient ! Avec la photographie de nos compatriotes otages
au Proche Orient. Comme Chantalle le désapprouvait également, je lui ai dit En temps de guerre, il y a la censure. C’est
d’ailleurs en écoutant dans les médias la femme de Seurat prisonnier, que j’ai
compris pourquoi. Près du kiosque il y avait un Arabe qui m’a jeté un regard
noir et j’ai eu peur. Dans le métro, un ouvrier en blouson et casquette m’a
regardé longuement. J’ai pensé que c’était lui qui allait payer le prix fort.
J’ai eu mal. Mon cœur s’est serré et j’ai eu pitié.
Contre-attaque ce
matin par une séance de piscine qui assure le bien-être, même dans les journées
difficiles. Nous sommes ensuite partis avec mon voisin visiter une exposition à
Beaubourg car mon instinct m’a conseillé de ne pas restée enfermée chez moi
mais la queue y était telle qu’on a laissé tomber.
Toute la journée j’ai continué à visser les boulons mais j’avançais comme dans
du béton. On a fini par aboutir au cinéma voir Les folles années du twist, un film algérien sur la Guerre
d’Algérie. Il y avait peu de monde dans la salle mais une moitié d’Arabes.
C’était la première fois que je voyais un public mixte dans des proportions
égales et cela m’a mis la joie au cœur. On a traîné pour ne pas rentrer.
Au téléphone une
conversation avec ma partenaire de théâtre a fait apparaître qu’on craignait
dès lundi d’être victime de quelques agressions. C’était la première fois que
l’on se le disait.
Longue journée,
tous boulons serrés. Au Théâtre La Bruyère : Largo Desolato de Vaclav
Havel que je découvre. Le théâtre en tant que représentation. Le cyclone
représenté, dans l’œil même du cyclone.
Les résultats des
Elections Législatives sont moins pires que ce qu’on pouvait craindre. Les
dégâts sont limités, les deux partis de la Droite (RPR et UDF) n’ont que deux
sièges de majorité et les trente et un pour cent du Parti Socialiste sont au
delà des espérances.
Je me suis mise
au lit avec une tablette de chocolat. J’avais refusé d’accompagner le reste de la
famille, partie au bureau de vote dépouiller les résultats, de crainte de ne
pas pouvoir me retenir de flanquer une gifle au premier qui laisserait éclater
sa joie.
Il semble au
Lycée que ma présence et ma parole sans équivoque ni faiblesse réaniment les
énergies défaillantes. Tout me pousse au combat extérieur, le repli sur
l’écriture allant de pair avec l’enfermement domestique. J’ai donc du mal à
tenir cette chronique historique car il est impossible d’en même temps, agir et
raconter. Il serait pourtant intéressant de garder trace des échauffourées des
Collègues banalisant le Front National et enchaînant sur des propos ouvertement
racistes.
La famille m’a
raconté l’ambiance de fraude au Bureau de Vote et l’effort de mon voisin pour
tenter de surveiller et de l’empêcher, sans pour autant y parvenir, ni prendre
sur le fait. J’ai été bouleversée d’apprendre que mon voisin avait appelé ma
progéniture à l’aide pour tenter sans succès d’exercer cette vigilance. Ayant
entendu au Lycée d’autres échos de fraude, j’ai été interloquée de découvrir
une situation encore plus dégradée que ce que je pensais. J’ai découvert alors
que la démocratie reposait sur le civisme et l’acceptation d’une certaine forme
de sacré républicain. Comme s’il n’y avait en quelque sortes pas d’autres
garantie de la République que l’existence des Citoyens et non l’inverse comme
on nous l’avait enseigné, ou tenter de le faire croire.
Curieuse ambiance
faite de l’effort de laisser naître en soi le Printemps, à la limite même de
tenter de l’impulser pour qu’il rejoigne le corps du vivant qui se manifeste
maintenant.
J’ai attendu
toute la journée d’hier la nomination du nouveau Gouvernement, retrouvant en
cela mes impressions de petite fille sous la Quatrième République. Je me
souviens même d’un tout premier poème (aujourd’hui perdu) sur ce sujet, avant
le 1958 de mes treize ans… Je m’en souviens à cause de la question que j’avais
posé à mon père, à savoir comment était-il possible qu’on remette les mêmes
ministres à des Ministères différents et de la réponse paternelle, à savoir que
c’était le Chef de Cabinet qui faisaient le travail effectif.
Depuis il m’a
fallu tout ce temps et notamment l’expérience socialiste pour comprendre le
vrai fonctionnement du monde politique, à savoir non pas l’affrontement des
idées pour la construction de la Cité, mais au contraire la défense de
positions choisies en fonction des arrivismes et des projets de carrière
individuelle. C’est le décalage entre la situation idéale de 1981 et l’accouchement
de la souris d’aujourd’hui qui a fini par m’ouvrir les yeux.
A la Télévision,
image tragique de ce Conseil des Ministres nouvellement nommé, sans qu’on y
voie une seule femme… Une trentaine d’hommes autour d’une table, avec des
visages totalement fermés. Au milieu d’eux un Mitterrand tout petit, comme déjà
prisonnier. Cette image en disait plus long que tous les commentaires On les
sentait à deux doigts de dégainer, un peu comme dans les westerns lorsque les
gangsters sont immobiles sur la place du village, juste avant la grande
bagarre. Aucun concept ne peut traduire cette idée mais l’image oui, c’est une
illustration de ce que j’appelle L’encept.
Le nouveau
Ministre de l’Education Nationale était garagiste et n’a que son BEPC ! On
a l’impression d’une provocation. Mon voisin a inventé une devinette « Quelle est la différence entre le Ministre
de la Culture et celui de l’Education ? »…. Réponse : Celui de la Culture sait lire !…
Toute la semaine, impression de camouflet et accablement.
Salon du Livre
1986. Morne et répétitif sans l’âme de l’an dernier, due au débat sur la
francophonie. Signature au stand des Editions
des Femmes. Les ouvriers de l’imprimerie sont venus me saluer en me disant
qu’ils parlaient souvent de moi et que j’écrivais beaucoup. J’ai été
bouleversée car souvent en corrigeant les épreuves et particulièrement celles
de Canal de la Toussaint, je me suis
demandée ce que pouvait en penser ceux qui matériellement fabriquaient le
livre. Je les aurais bien pris dans mes bras, mais je n’ai pas osé.
Sont aussi venus,
trois de mes anciens élèves. Nécessaire réunification des différentes facettes
de mon existence. Unification depuis longtemps désirée mais si lente à se
réaliser. Des lectrices aussi, la trentaine, toutes sur le même modèle et enfin
la pluie qui me tombait dessus à travers la magnifique verrière du Grand Palais que j’adore ! Oui la pluie qu’il n’y avait pas moyen
d’éviter. On a d’abord déplacé la table et les tréteaux avec les livres mais il
pleuvait toujours dessus et il a fallu se résigner. Interview d’un journaliste.
Conversation intense à laquelle je me suis donnée comme avec aucun d’entre eux.
Jacques Chirac
désormais Premier Ministre fait devant le Parlement un discours de politique
générale pour présenter son programme, totalement réactionnaire. Je retrouve
cette vieille France méchante, qu’élevée sous l’autorité d’un père tolérant,
j’ai mis si longtemps à découvrir, mais qui maintenant me glace la peau sans
que je puisse m’en débarrasser.
C’était même le
thème de mon malaise de lundi dernier, après le passage de mes habituels
examens médicaux à l’Hôpital et la tournée des Lycées ayant des Classes
Préparatoires pour tenter d’y faire inscrire ma progéniture. Malaise
particulièrement dû au discours de la secrétaire du Lycée Louis le Grand qui
m’a longuement expliqué comment faire pour tourner la loi.
Cette ambiance de
fraude ouverte me démoralise complètement. Depuis quelques temps déjà on
passait pour une idiote si on ne fraudait pas mais désormais cette intégrité
civique n’est même plus comprise. L’idée même de la loi est en train de
disparaître. Quant au programme politique c’est ni plus ni moins que celui des Chicago Boys mais quand je le dis à
l’entour, personne ne semble s’en émouvoir. Je m’interroge sur cette cécité
intellectuelle.
Mes Collègues ne
comprennent pas la signification ultra libérale de la haine des fonctionnaires
et du blocage de leurs seuls salaires, alors que tous les avantages sont accordés
aux entreprises. On dirait qu’ils se méprisent tellement eux mêmes qu’ils
trouvent normal d’être traités comme des moins que rien. J’ai annoncé dans un
article de 1975 dans le Monde de
l’Education, la fin de l’Education
Nationale et il me semble qu’elle est bien en train de se réaliser.
Je me découvre un
sens de la gestion de la vie quotidienne que je ne me connaissais pas parce que
je ne l’avais jamais pratiqué jusque là. C’est que nous n’avons plus les moyens
ni du désordre ni du gaspillage que j’assimile à tort ou à raison à mon cancer
du sein qui m’a laissée des forces moindres. Mais c’est aussi parce que la
maladie a accru ma lucidité et que la situation sociale et politique est
devenue tellement hostile qu’il est nécessaire de mettre en place un système de
défense qui puisse durer des années. Un peu comme j’avais en Juillet 1982 testé
la posture mentale qui me permettrait de faire face au terrible diagnostic,
avant même d’en avoir la certitude absolue.
Dans la Salle des
Professeurs, explosion de haine de certains Collègues contre Kadhafi, sans
doute à défaut d’oser affronter l’Iran trop puissant. A les entendre, je suis
frappée du manque de culture de mes Collègues qui ne connaissent manifestement
rien ni aux Arabes ni à l’Islam et ni au terrorisme.
Mon écriture part
dans tous les sens sans que je sache ce qui est le plus important, la
littérature, la philosophie ou cette chronique de la vie sociale. Chaque jour
une décision est prise, pire que la veille. Et que dire du ton employé?
Jean-François Kahn est licencié d’Europe N°1, et Michel Polac sans arrêt
menacé. Partout, on mène campagne contre les Intellectuels et les Etrangers. Au
Lycée, pas une seule journée sans incident. On est tout de même étonné de
constater que personne ne proteste, ni groupe, ni parti politique, ni
institution. On constate seulement les réactions individuelles de gens faisant
preuve d’un grand courage. Le Parti Socialiste est invisible….
Les mesures
économiques qui sont prises unilatéralement évoquent le XIXe siècle. Dans un
cours de Sciences Economiques, on croirait à un mauvais travail pratique.
Comment s’étonner qu’au bout de deux mois à peine, ce nouveau Gouvernement
paraisse déjà usé ?
Jeudi projet de
loi contre les Etrangers. Cela m’évoque le pire, je sens bien qu’il se passe
quelque chose, mais tout ce que j’arrive à faire, c’est à refuser net toute
discussion avec ceux qui pactisent avec le nouvel ordre qui se met en place. Ce
matin on apprend que des mineurs ont été arrêtés aux Halles et que leurs
parents n’ont pas été prévenus. Charles Pasqua nous explique que les Jeunes ne
doivent plus aller aux Halles et on nous passe le témoignage d’une des mères de
ces jeunes mineurs en état d’arrestation qui approuve la Police. Ma partenaire
de théâtre me dit qu’elle ne lit pas les journaux pour ne pas voir ce qui se
passe, ce qui me paraît tout de même bien dangereux.
Ce ne sont plus
des bavures, mais un système. Pas une journée sans une horreur policière. Ils
nous disent qu’ils aménagent les camps militaires parce que les prisons sont
trop pleines et je me dis qu’ils préparent des camps de concentration. Il y a
cinquante pour cent de détenus en trop par rapport au nombre de places, et les
nouvelles directives pourraient bien en augmenter le nombre. On a la sensation
qu’on transforme la population en bétail. Les lois ne sont même plus des
garanties puisqu’elles sont elles-mêmes fascisantes et destinées à intimider.
On se prend à avoir peur d’être simplement dans la rue mais c’est sans doute
l’effet recherché. Au Lycée la Culture Générale et l’Humanisme ont totalement
disparu. Je ne vois pas d’autre attitude possible que le boycott complet, à
peine d’être entraînée dans ce qui pourrait bien être de la Collaboration.
Meeting de
soutien à TF1, la principale chaîne de Télévision qui sort du Service Public,
Place de la République. Tous les Intellectuels n’étaient donc pas en week-end,
mais répartis sur l’ensemble de la place, cela ne faisait tout de même pas
grand monde. Dupond et Dupont, c’était bien la Bourgeoisie ! Celle de
Gauche est préférable à celle de Droite, c’est tout ce qu’on peut dire mais
j’ai tout de même été étonnée de les voir ainsi tous semblables sur le plan
physique, la même allure avec des femmes identiques…
C’était frappant
cette caste de Bourgeoisie Intellectuelle qui avait besoin de l’Etat mais qui
n’était pas socialiste pour un sou. On ne voyait ni jeunes, ni prolétaires,
quelle condamnation plus radicale ? Et comme on me demandait de signer une
pétition, ce qui n’est pas dans mes habitudes, l’envie me prît de leur dire
qu’ils ne s’étaient guère préoccupés de la population avant d’être touchés eux
mêmes par la répression et que le peuple était l’alibi de leurs privilèges. Je
n’en ai rien fait mais je sais désormais que le demos de démocratie ne veut pas forcément dire le peuple mais - je l’ai lu dans le
dictionnaire grec - tout aussi bien la circonscription
et dans ce sens là, c’est éclairant !
Deux otages ont
été libérés ! Jacques Chirac a donc cédé à l’Iran ! On ne peut même
pas dire que c’est Munich car il s’agissait alors d’abandonner des Alliés
tandis que là, c’est nous mêmes que nous abandonnons. Je ne me sens pas
défendue et c’est ce qui m’angoisse. Ce n’est pas qu’il y ait de l’inquiétude
sur le sort de la bataille mais plutôt la déréliction d’une capitulation sans
combattre.
Samedi, hier, les
otages sont arrivés à vingt heures pendant la retransmission du Mondial dans lequel la France était en
quart de finale. Une grande première médiatique car on a inventé pour cela de
projeter dans un coin de l’écran leur arrivée à Orly, dans un petit rectangle
pendant qu’on continuait sur le reste de la surface à visionner le football. Je
m’amuse de constater que l’art télévisuel a inventé deux ans après, ce que
j’avais déjà mis en place dans Canal de
la Toussaint pour tenter de dire le monde dans sa totalité. Cela m’a
terriblement émue et confirme bien que la scène médiatique est le nouvel espace sacré, rôle tenu
autrefois par le Théâtre. J’aime bien cet art là, fait du mélange de la réalité
et de l’imagination.
Horreur de
constater que désormais l’Iran nous donne des ordres auquel on obéit et dégoût
du ton sur lequel tout cela est fait. Il est clair que la libération des otages
est le premier terme d’un contrat dont les autres éléments nous seront révélés
peu à peu et dont le but est bien de conforter ce fanatisme totalitaire qui me
menace doublement, en tant que démocratie occidentale, mais aussi et surtout
comme femme.
Exclusions de
Basques, en vertu des nouvelles lois sur les Etrangers qui menacent l’Ordre
Public. Dans la torpeur estivale, le nouvel ordre se met en place dans le
démembrement des structures institutionnelles. Le bouquet étant l’invention du
licenciement à mi-temps, c’est à dire que le mi temps peut légalement être
imposé, et on sait bien d’avance à qui. L’ordonnance étant applicable dès
Septembre. Mlle C et moi nous nous sommes formulées des condoléances réciproques,
cherchant laquelle de nous deux était la plus menacée.
La Rentrée s’est
mieux passée que les années précédentes, car je suis moins fatiguée. C’est
malheureux à dire mais c’est parce que je n’avais invité personne cet été à la
campagne, et cela après avoir établi que cela m’apportait plus de déboires que
d’avantages et quelle que soit l’affection très réelle que j’ai pour mes
invités. Est-ce mon âge ou les nécessités de la littérature ? Peu importe
car dans mon cas, d’une certaine façon c’est pareil ! Donc rentrée
décontractée dans la mesure où les jeux sont faits et la rupture consommée avec
un monde en Régression. Je ne suis plus concernée et me porte beaucoup mieux.
Le terrorisme va crescendo.
Il y a un attentat tous les jours. Karachi, Istanbul, Paris. Je n’ai pas peur,
cela renvoie à une case connue et établie : la Guerre. Il y a quelque part
dans un coin de mon être cette phrase La
guerre, je sais la faire. C’est peut-être même ce que je sais le mieux
faire. Il me semble que c’est parce que j’en comprends les lois, au sens de la
logique de fonctionnement.
Trois attentats
dans la semaine à Paris, de préférence organisés dans des lieux et moments tels
qu’ils constituent une provocation à la suite des discours de Jacques Chirac
qui roulait les mécaniques On se sent un peu humilié et le nationalisme aurait
tendance à s’ulcérer. Dans la pratique, ce sont des fouilles avant d’entrer à
Beaubourg, dans les banques et Cie, c’est à dire dans des endroits de plus en
plus nombreux. Celles qui ont eu lieu à l’entrée de la Préfecture n’ont
pourtant pas empêché l’attentat d’y avoir lieu. Cela laisse rêveuse.
Le métro est
souvent interrompu, il faut remonter en surface, prendre l’autobus, toutes
sortes de dysfonctionnement de ce genre. J’ai plusieurs fois essayé de
plaisanter dans ce genre de situation pour ressouder le Corps Social en
opposant à l’adversité ma tranquille sérénité mais je n’ai pas été suivie.
Autre curieuse sensation, à la sortie du métro Saint Michel, des policiers
contrôlaient les gens mais ma vêture était telle (je sortais d’un cocktail)
qu’ils semblaient ne pas avoir osé. J’ai eu pour un coup le sentiment de faire
partie de l’establishment et un vague écoeurement de ce constat sans pudeur de
la hiérarchie sociale, éclatant là plus que jamais.
Je sais d’avance
ce que seront au Lycée les propos qui s’y tiendront, les fausses indignations
et les vraies démissions, la vulgarité mentale surtout, l’absence de perspectives
collectives, morales et historiques.
Mise à prix des
frères Abdallah pour Cent millions de centimes. Je découvre avec stupéfaction
que cette somme est assez importante pour faire envie…
Les Suédois
viennent de greffer des tissus fœtaux sur un cerveau atteint de la maladie de
Parkinson. Je m’interroge sur le fait de savoir si en 1983-84, comme j’étais
dans le marasme mental à la suite du traitement de chimiothérapie
anticancéreuse qui m’avait tout ravagé, y compris la tête, on m’avait proposé
ce traitement pour en réparer les effets néfastes, si je l’aurais accepté. Et
sans hésiter j’ai répondu oui ! Je me suis retrouvée sidérée de la
réponse.
J’ai ouvert un
nouveau carnet concernant les questions de terrorisme. Je l’ai nommé Fragments du tiers drame comme si gisait
là la fin des espérances de ce que j’ai appelé la Tierce Culture, dont on ne semble pas près de se rapprocher en
France. Chaque jour qui passe resserre un peu plus un insupportable garrot
qu’on ne sait plus comment analyser, parce qu’il semble que les idées elles
mêmes se rétrécissent au fur et à mesure que le garrot se resserre… On a bien
sûr des repères, et on les observe, terrifié. D’une semaine à l’autre la décote
est visible à l’œil nu.
Le Journal Le Monde
publie par exemple des articles médicaux de plus en plus féroces dans le sens
du tout biologiquement héréditaire, excluant et rejetant dans les fantasmes - selon leurs termes - toutes
les analyses prenant en compte les phénomènes psychosociaux. On s’effraie de
l’ampleur de la régression. Ce jour notamment, un article sur le suicide qui
ramène le phénomène à une maladie excluant les composantes de désespoir et
d’affectivité. On sent bien qu’on retourne vingt ans en arrière et on ne voit
pas comment faire face à un pareil raz de marée….
Manifestation
artistique dénommée Le génie de la
Bastille. De prime abord, une étonnante explosion artistique ! Tous
les ateliers sont ouverts au public. Les Artistes sont là, on peut discuter
avec eux ! Ils ont invité chacun un comparse et l’ambiance est un peu
soixante-huitarde, les gens se parlant sans intermédiaires Etc… On a le souffle
coupé, on n’aurait pas osé rêver de cela, et pourtant, cela est !
Et puis petit à
petit, au fur et à mesure des visites, on est imbibé de la misère de ces
ateliers équipés dans les décharges publiques, loués bon marché dans un
quartier appauvri par la faillite des artisans qui en constituaient le tissu et
que d’Art il n’y en a pas vraiment, mais plutôt un ressassement des inventions
de la Biennale de Pompidou, des
copies de copies, ce que n’importe qui finalement peut faire en ayant sous les
yeux des reproductions. Cela finit par générer un véritable malaise au point de
se demander ce qui se passe, avant de découvrir, que c’est là encore, le mime
caractéristique des sociétés démantelées.
Ici, on joue à
être à New York, au village des Artistes et on voudrait surtout ne pas laisser
passer le coche et ne pas en être. Louer une soupente dans ce quartier équivaut
semble-t-il à une patente artistique, si on affirme ensuite que c’est bien là
qu’habitent les créateurs de l’Art moderne. Il s’agit de saisir l’opportunité
immobilière de la construction d’un nouvel Opéra, Place de la Bastille, en
espérant qu’il y aura alors transformation du quartier en un deuxième
Beaubourg. Il ne faut pas rater le placement, dans tous les sens du terme…
En se laissant
encore imbibé davantage par l’ambiance, on perçoit dans tout cela l’existence
d’un lumpen-prolétariat chômeur, qui se lance dans n’importe quelle combine
pour tenter une intégration, récupérant et cumulant toutes les formes que nous
avons nous inventées pendant quinze ans. Une moisson de formes libertaires, sur
une absence totale de fond. Tout cela est navrant dans les tréfonds et la
sourde angoisse me reprend….
Je n’ai rien
écrit dans cette Chronique depuis un mois, pas faute pourtant d’avoir de la
matière. Mais ce trop plein s’en accommodait mal. Un mois d’agitation lycéenne,
débouchant sur une apparente victoire (retrait de la loi Devaquet). On ne peut
malheureusement pas considérer ce retrait comme une résolution des problèmes de
l’Ecole, qui demeurent entiers. D’où le profond malaise. Le mouvement qui était
par sa force en situation de renverser le Gouvernement n’a pas même été en état
de ne serait ce, que de demander la démission du Ministre de l’Intérieur après
l’assassinat du jeune Malik Oussékine dans un style policier à la chilienne.
En en ayant
discuté avec mes Elèves, il est apparu qu’en fait ils ne le souhaitaient pas,
appréciant ce ministre pour sa politique sécuritaire… Mon voisin a beau me
faire remarquer que mon Lycée n’est pas représentatif de la société française,
il me semble pourtant que ce qui s’y dit et vit, en concerne l’essentiel.
Les Elèves en
grève depuis plusieurs semaines avaient accepté de reprendre les cours au Lycée
lorsque débuta l’agitation du Secteur Public. D’abord la grève des Chemins de
Fer dura un mois, relayée par celle des Transports Urbains et de l’Electricité.
Cela a entraîné un bourbier social très pénible qui a duré jusqu’à maintenant,
la mi-janvier, date à laquelle elle semble cesser sans avoir posé les questions
politiques. Les grèves se sont terminées après avoir scandalisées une partie de
la Gauche, mécontenté les usagers comme jamais sans rien obtenir du
Gouvernement et nécrosant encore un peu plus, le tissu social.
La sociabilité,
voire la socialité elle même qui a été jusque là mon moyen essentiel de défense
est devenu pour moi un danger supplémentaire, dont il me faut désormais apprendre
à me protéger. De plus - détail désagréable - ma partenaire de théâtre et moi
même sommes apparues dans les manifestations comme des vieilles qu’on rejetait
pour obsolescence d’autant plus péniblement que nous persistons à penser que
ces mouvements ne sont pas progressistes.
Ils sont
incontestablement nouveaux mais plutôt du côté du conservatisme que de
l’amélioration sociale dont l’idée elle-même semble s’être perdue. C’est cela
qui me paraît le plus grave. Plus grave encore que l’idée de l’amélioration
sociale, c’est l’idée même de la société qui est en voie de disparition. C’est
ce qu’ils appellent l’apolitisme, la
valeur montante de tous ces mouvements…
Le Lycée de
Mantes est fermé. Les Professeurs et les Elèves ne viennent plus sans même
qu’on sache si c’est à cause des grèves de la neige ou bien du simple
découragement, les ateliers des Elèves n’étant pas chauffés. Depuis deux mois
déjà les cours n’ont plus eu lieu normalement, traduisant l’effondrement
social. Les gens ne supportent plus rien ni les intempéries, ni les lois, ni
même leurs congénères. Tout ce qui est autre que soi semble devenu un
implacable ennemi.
D’une semaine sur
l’autre le flot des clochards monte dans la ville. L’aumône n’enraye plus la
montée des eaux car on ne peut donner à tous, ni à chacun. J’éprouve une forte
hostilité envers celui qui est régulièrement assis dans le couloir de ma
correspondance au métro Opéra. Il est toujours à la même place et me met mal à
l’aise que je lui donne de l’argent ou non. Je ne peux pas l’éviter car il n’y
a pas d’autre cheminement possible et j’appréhende la rencontre. Donner ou bien
ne pas donner me plonge au fil des jours dans un arbitraire que je ne supporte
pas.
Trente mètres
plus loin, il y en a deux autres, garçon et fille de l’âge de la progéniture.
Les mains entrecroisées, se serrant amoureusement l’un contre l’autre,
décomposés, pauvres et blêmes, ils sont éperdus l’un de l’autre et perdus.
C’est la première fois que je vois des amoureux clochards, dans une auréole de
lumière, d’amour et de misère. J’ai été tellement impressionnée que je leur ai
dit Vous ne pouvez pas rester comme
çà ! Comme si dans mon imaginaire, un pareil amour excluait de
s’abandonner à la mort. Ce n’est pas
facile me dit la jeune fille quand
personne ne vous tend la main et à l’ANPE, il n’y a rien ! Je leur ai
donné cent francs en mémoire de notre propre jeunesse en lui disant Je vous donne cent francs, parce que
vous êtes deux ! leur offrant ainsi la
possibilité d’un moment de confort.
En arrivant dans
l’Etablissement, j’ai essayé de le dire mais j’ai rapidement renoncé face à la
volonté de mes Collègues de ne pas être incommodés par la misère. J’ai trouvé
qu’il y avait en eux quelque chose de Sud Américains qui m’a détaché d’eux. Et
pourtant quelques lambeaux de vérité apparaissent de ci de là, comme lorsqu’on
entend dire que la paralysie des trains, ce n’est pas seulement la neige et le
verglas.
Chaque matin on
ramasse des vagabonds gelés et des enfants asphyxiés par de vieux poêles
récupérés. La Communauté Européenne ouvre aux affamés les stocks dont elle ne
sait plus que faire, elle a six milliards de plaques de beurre et autant de
beefsteaks. Elle les propose sans limite aux organisations charitables. Dans le
même temps, l’Etat brade ses banques, Paribas se vend bon marché. Cheap dit on en Grande Bretagne. Mais au
marché parallèle, elle flambe et la Bourse bat tous les records de hausse
pendant que le peuple s’enfonce dans la misère.
La neige envahit
toujours les rues de la ville. Ni le Maire, ni le Gouvernement en cinq jours,
n’ont eu l’idée d’embaucher les chômeurs pour la dégager. Il y a dans cette
incurie et cette misère, les deux faces d’un même drame. La société ne
fonctionne plus, l’Etat ne dirige plus, et Sud Américain, il s’empiffre. Paris
compte quinze mille sans abris. Sans doute manque-t-on de pelles ou de quelque
chose de fondamental qu’on n’a pas de nom pour nommer. Le nom de la rose sans doute. Dans un cinéma, on pratique des prix
réduits à cause de l’absence de chauffage - dû
au gel - précise un petit panneau. Personne ne proteste. On se croirait en
Europe de l’Est, ou pire encore dans une contrée sous développée.
Tous les jours on
retrouve des vagabonds gelés dans des chantiers en construction ou des terrains
vagues. Des enfants et des hommes asphyxiés, des touristes ou des ouvriers
calfeutrés dans des caravanes. Le
froid ! Le froid ! dit on. Personne ne peut croire que c’est pour
cela que l’électricité elle-même… La
vétusté des câbles, le réseau de distribution…Personne ne peut le croire.
On doit arrêter la centrale nucléaire à cause de la prise d’eau gelée. On
semble ne pas avoir prévu que la Loire ait pu… On a arrêté Saint Laurent des
Eaux, et ceci et cela. C’est une litanie qu’on psalmodie d’une heure à l’autre
et qu’on a du mal à croire car le froid n’est tout de même pas sibérien. On a
plutôt l’impression d’une grève larvée de pans entiers de la société, de ceux
qui sont à la lisière et tentent encore de se maintenir.
La grande masse
des vaincus courbe l’échine dans le silence. On les voit dans les gares
attendre des trains qui ne viennent pas ou refuser dans les métros la montée
des poussettes. Chacun piétine son voisin sans rien y trouver à redire, un
nouvel ordre se mettant en place. Le froid le masque encore en perpétuant
l’illusion. Sous l’épaisse couche de neige, le chancre s’élargit maintenant à
la taille du pays. Au guichet des banques privatisables, les petits porteurs
s’inquiètent de savoir s’ils en auront…Sur
les trottoirs, des soldats déblaient la neige par groupes de six. On les a
également réquisitionnés pour donner leur sang.
On ne compte plus
les morts de froid, on en cite quelques uns en exemple en disant bien que ce
n’est pas exhaustif. On est obligé de pratiquer des coupures de courant pour
soulager le réseau. On s’étonne d’entendre en France des pratiques qu’on avait
apprise de l’Haïti de Duvalier.
Encore un vagabond
gelé, retrouvé à Courbevoie ou Armentières. On confond les noms, d’ailleurs
cela n’a pas d’importance, la mort est toujours la même insupportable. Aussi
insupportable que l’apparition de cette expression un vagabond gelé. Quatre-vingts quinze morts en quinze jours. On
fait semblant de ne pas croire un pareil chiffre, même s’il comprend aussi les
asphyxiés.
Les Collèges de
la Seine Saint Denis sont fermés. A Sevran, il fait sept degrés dans les
classes et deux degrés dans le Réfectoire. Depuis des années, le chauffage n’a
pas été entretenu et désormais, il ne fonctionne plus du tout. Cette affaire de
chauffage m’évoque la splendeur de l’architecture du Caire devenant peu à peu -
avec la pauvreté - Calcutta, avec des palais en ruines et des canalisations
éventrées baillant dans les carrefours. Cet hiver révèle les crevasses du sous
développement. Une splendeur décadente.
Un Conseiller
Général du département a expliqué qu’ils avaient fait le maximum mais que
lorsque la Région avait repris l’Etablissement, le délabrement dépassait tout
ce qu’on pouvait concevoir. Sans doute s’agissait-il de l’un de ces Collèges
construits à la Haute Epoque avec ce slogan Un Collège par jour ! Des Collèges de pacotille, de papier, de
carton que la crise fait s’effondrer comme des châteaux de cartes.
Au Pressing il
faut insister pour obtenir un papier autour des vêtements, car la norme a
changé. C’est un détail mais la vie quotidienne est faite de cette masse de
détails.
Les actions de la
firme de skis Rossignol ont perdu cent dix Francs à cause des contre
performances des skieurs français. Les gagnants helvétiques ont déclaré que
leur succès était dû à leur matériel Z, le concurrent autrichien du fabricant
français.
Les petits
porteurs sont déçus parce qu’ils n’auront que cinq actions Paribas par
personne, au lieu des dix promises. Le Ministre de l’Economie découvre les Cercles de qualité à la
japonaise…
Il suffit d’être
dans la rue pour comprendre que ce que dit ce qu’on peut appeler La Grande
Voix est faux. Une misère sans nom
s’étale sur tous les visages… Mais il suffit de rentrer chez soi pour le perdre
de vue et croire à nouveau ce que dit la propagande.
On attend
fiévreusement la cotation des actions de Paribas privatisé. Finalement ce n’est
que quatre par souscripteur et l’affaire sent un peu la manoeuvre et plus
encore la mise en concession de la
Télévision… certain acheteur trouvant la mort dans un accident d’hélicoptère
tandis que d’autre se retire brutalement sans raison. Les journaux commencent à
parler d’un crack financier.
La Bourse
continue à monter au rythme fou de un pour cent par jour. On n’entend pas
parler des pauvres, ni de politique, ni d’aucuns des problèmes du pays…
Je vois dans tous
ces mouvements, une revendication de ce que Gérard Mendel appelle La Grande
Bouche. Une tentative d’obtenir une nouvelle répartition d’une production
automatisée, une tentative d’imposer une dissociation entre le travail et les
prestations obtenues, dissociation rendue nécessaire par le nouvel ordre de la robotisation.
En ce sens c’est nouveau historiquement et cela va dans le sens de l’avenir
mais peut-on comprendre de ce fait leur revendication d’apolitisme ?
Leur projet implicite
serait alors une mise à jour des institutions pour prendre en compte la
nouvelle donne technique, mise à jour de toute façon nécessaire indépendamment
des choix politiques. Cela expliquerait l’unanimisme des jeunes de Droite comme
de Gauche, unanimes dans leur tentative de faire évoluer les structures pour
promouvoir une nouvelle répartition du gâteau dont ils sont aujourd’hui exclus
puisque ne parvenant pas à entrer dans la production. A la limite, ce mouvement
n’est pas politique, il est économique et social.
Cette semaine
l’agitation sociale semble repartir. Il y a une tentative de rapprochement des
gens du Lycée mais dans une telle méfiance et une telle gangrène qu’on n’ose
pas s’engager vraiment. L’absentéisme et la désorganisation augmentent. On ne
travaille plus que dans les Classes d’Examen. Il semble qu’on ne puisse plus
empêcher l’entrée dans le sous développement et qu’en même temps, on espère
encore une révolution rendue possible par la maturation consécutive à l’échec
du mouvement hivernal.
A huit jours
d’intervalle, mon voisin et moi nous nous sommes fait remonter les bretelles
par nos supérieurs hiérarchiques et pour les mêmes raisons. Nous avons tous les
deux fait notre travail dans le but d’améliorer la situation du pays c’est à
dire à partir des conditions réelles de ce qu’il est devenu, tout en tentant de
toutes nos forces un redressement. On ne nous pardonne pas de ne pas cacher la
vérité sur la spéculation à l’œuvre.
Grand bruit cette
semaine en raison de l’offensive du Pouvoir contre la liberté d’expression en
attaquant dans le désordre. Le livre L’os
de Dionysos saisi et son auteur Christian Laborde enseignant, suspendu. Le
livre de Mathieu Lindon Prince et
Léonardours, menacé d’interdiction. L’argent
noir (sur l’affaire Abdallah) brûlé sans jugement à dix sept mille
exemplaires. Et une vague d’interdiction groupant Le Gay Pied, L’écho des savanes, Photo et de simples magazines
porno. Levée de boucliers ! Les Editeurs interviennent. Les Intellectuels
pétitionnent ! Le Ministre de la Culture et de l’Information essaie
d’étouffer l’affaire…
Malheureusement
la défense de la liberté d’expression prend rapidement une allure de défense de
la pornographie un peu choquante ! Les journaux ont publié des photos d’arrière-train
pour protester mais il n’a pas été question des livres politiques réduits au
silence. Cela est un peu gênant ! Pas un mot non plus pour le corps bafoué
des femmes ! On est acculé à défendre la liberté sans pouvoir mettre en
cause l’usage qu’en font certains hommes pour nous avilir.
Il me semble que
la démocratie qui a été respectée jusqu’ici commence à vaciller. Charles Pasqua
n’a t il pas dit ces temps derniers La
démocratie s’arrête là où commence l’intérêt de l’Etat ? L’étouffement
de la Radio et de la Télévision empêche qu’on s’y adonne, le couvercle est
maintenant vissé et on cherche plutôt des bouffées d’air. La seule réaction à
ce que nous débite l’Audiovisuel est la franche rigolade exempte elle même de
tout commentaire ! On a affaire à une clique désemparée régnant sur une
république bananière.
A la Piscine Montherlant les gens excédés des
mœurs barbares qui y règnent, réclament pour maintenir l’ordre, des maîtres
nageurs à poigne.
La mise au pas -
tous azimuts - se précise. On essaie de se tenir propre et de limiter les
dégâts. L’ancienneté dans le malheur et dans la lutte finit par donner de
l’expérience et permet de se garder des excès. Au Lycée, absentéisme, veulerie,
double langage, politique de l’autruche plus que jamais. Mais dans le même
temps, on dirait que face à la menace du loup, le troupeau tente de se
regrouper pour faire front.
J’échoue
totalement dans mes tentatives de faire prendre en compte les mécanismes de
sous développement qui sont en train de s’installer en France. Pourtant les
deux contrats prétendus du siècle, ITT-CGE et Disneyland, en portent bien la
trace. Mon combat politique aujourd’hui est de continuer à enseigner dans les
Classes la vérité de l’économie mondiale.
Il y vingt cinq
ans à l’Université, je me moquais déjà des fausses analyses de certains
professeurs et à cette aune, la situation actuelle a quelque chose de
pathétique. Mon histoire personnelle toute entière peut se comprendre comme un
effort pour parvenir à formuler une Economie Politique correcte.
Il semble que la
répression commence à s’abattre sur ceux qui persistent à dire les choses comme
elles sont ! Paris ressemble de plus en plus à Calcutta ou à une ville
d’Amérique du Sud. La reprise de la croissance qu’Ils nous avaient promise
tourne au sous développement.
Des choses
étranges dans la ville. Des curés en soutane, des processions, des CRS avec des
mitraillettes au bras contrôlant les voyageurs du Métropolitain. On voit
surtout tellement de mendiants qu’on finit par s’y habituer. On peut désormais
passer devant sans être ému, ni gêné, ni faire l’aumône. On peut même ne plus
s’interroger sur ce qu’il convient de donner, comme s’ils s’intégraient petit à
petit au paysage. J’essaie encore de lutter contre cet état d’esprit en me
fixant des règles. Par exemple donner à chacun un franc symbolique, grâce à des
pièces spécialement mises de côté dans ce but…. Mais je les ai oubliées.
Les actions de
Paribas commencent à baisser mais les épargnants avisés les ont déjà revendues.
En dépit de mes
tentatives, il devient impossible de pratiquer la règle d’une aumône minimum
mais régulière. En dépit de mes efforts, les mendiants deviennent transparents,
comme les immigrants qui prennent pied en vendant à la sauvette des fleurs et
des fruits, et tout cela les uns à côté des autres, dans une proximité
terrifiante car elle permet d’embrasser dans le même regard la déchéance des
uns et l’émergence des autres. Tous les jours dans les rues, dans les couloirs
du métro, on voit le pays sombrer comme un grand bateau. Des mesures
d’internement commencent à être prises en Bavière à l’encontre des porteurs du
virus du SIDA. A mette en rapport avec la Hollande dans laquelle se pratique
déjà l’euthanasie.
La Bourse baisse,
on n’y prend pas garde encore. On n’écoute plus les Hommes Politiques, zappant
d’une chaîne à l’autre dans un Paysage Audiovisuel Français qu’on ne reconnaît
plus. C’est ainsi qu’Ils nomment dans la boîte
magique, le défilé du monde. Le terme
d’américanisation paraît faible pour
nomme ce qui survient. C’est plutôt l’extension d’une chape de plomb. Il me
revient en mémoire l’analyse d’Albertini concernant le sous développement à
savoir les deux caractéristiques du dualisme
et de la désarticulation. On les voit
petit à petit se mettre en place, restructurant jour après jour la société
française qu’on a connue toute autre… On ne s’habitue pas encore à cette perte
et les nouveaux réflexes ne sont pas encore conditionnés.
Une atmosphère de
débâcle.
La classe
politique est complètement coupée désormais de ce que vit le peuple. Il n’est
plus question pour personne de résoudre le problème du chômage ni les
difficultés politiques ou sociales. Sur fond d’impuissance, la psychose du Sida
fait des ravages. Les interventions que j’appelle bionomiques se multiplient et on évolue vers un système médico-policier d’exclusion sociopolitique des malades.
Un procès en
cancérologie se solde par la désignation d’un arbitre… médical, le même qui
répartit le produit des quêtes entre les différentes équipes et qui transforme
le Comité d’Ethique en nouvelle institution politique, captant les pouvoirs judiciaires et parlementaires qui
étaient autrefois du domaine de la Constitution. Cela rejoint la pratique des Casques Blancs qui ont tenté cet hiver de s’interposer entre la Police et
les manifestants. Mais la confusion n’est qu’apparente car il s’agit bien en
fait de la genèse d’une institution bionomique
qui prend peu à peu le contrôle de la vie des individus.
Dans le métro, le
spectacle du sous-développement s’étale de plus en plus crûment. C’est
intolérable et intenable. Les mendiants couchés sur le trottoir ont augmenté au
rythme des profits.
Privatisée, la
Télévision diffuse des programmes dans lesquels la Publicité est tellement
imbriquée à l’émission elle-même, qu’on ne peut plus les séparer. Il coule
d’elle un jus morne qu’on a paré de strass pour nous le faire croire rutilant.
Quelle que soit l’heure, le jour et la chaîne, on ne trouve rien qui puisse
être regardé. On a l’impression d’avoir été brutalement privé d’alimentation
médiatique comme un enfant arbitrairement de dessert. En Septembre, le
licenciement de Michel Polac s’est fait comme on congédie un laquais et du
coup, le masque est tombé. On ne prend plus de gants pour condamner à des
amendes ceux qui osent encore faire grève et la France commence à baisser la
tête.
Je retrouve
enfouie en moi la terreur qu’exprimait ma grand-mère paternelle lorsqu’elle me disait
Viens ici, il y a les Chefs!
Lorsqu’elle avait prononcé cette phrase, elle n’était plus la même et le monde
se figeait me renfermant dans l’immobilité domestique.
Cette Rentrée est
plus sinistre que jamais. C’est Le Pen qui tient le haut du pavé en déclarant
que les chambres à gaz étaient un détail
de la Seconde Guerre Mondiale et en persistant et signant au cours d’une
Conférence de Presse dans laquelle il monte encore d’un cran. On a l’impression
d’une irrésistible ascension qui prend racine sur l’effondrement d’une société
mise en contact avec une réalité internationale qui la détruit.
On se demande
d’ou vient cette tentative de restauration du Régime de Vichy. Sans doute de la
droitisation générale de la société mais aussi de la nécessité de cette société
de nier le génocide pour refuser l’idée qu’on puisse abolir l’homme dans son
existence intrinsèque. Ceci parce que la mutation bionomique engagée ne peut
pas s’accomplir sans la perte même de l’idée d’être humain. Or le Tribunal de
Nuremberg en condamnant le nazisme a d’une certaine façon, confirmé la création
de l’homme. Ce qu’il faut abolir pour que la Révolution Bionomique puisse
passer.
La Télévision en
état de débâcle absolue. On n’en voit pas le fond. Chaque jour est pire que le
précédent. Une curée majuscule. J’écris à la direction de TF1 pour protester
contre le renvoi de Michel Polac.
Hier soir, à la
Télévision, cérémonie de la remise des Sept d’Or. C’est le journaliste Michel
Polac qui le remet à Alfonsi également renvoyé avec son excellente
émission Taxi. La situation
avait quelque chose de grandiose et de surréaliste. Les deux licenciés les plus
célèbres de la Télévision se congratulant. La salle trépignait et applaudissait
un Polac majuscule disant rayonnant J’ai
envie de vous dire, on les aura !
Les premières
bonnes nouvelles depuis des mois. D’abord la candidature de Pierre Juquin aux
Présidentielles de l’an prochain qui clarifie la situation démocratique et la
baisse de la Bourse après cinq années de hausse extravagante. Cette année elle
n’a même pas pris un kopeck !
L’indécence de ce
Capitalisme échevelé, arriéré, lié à l’Etat, tout cela est devenu si pesant,
l’atmosphère si lourde qu’on aspire à un orage pour qu’il y ait un
assainissement !
Pas un jour où ne
soit révélé un nouveau scandale montrant la collusion de l’affairisme et de la
Classe Politique. C’est sur cette toile de fond que Le Pen proclame son
anti-parlementarisme en dénonçant l’absentéisme des députés, dont je me suis
moi même depuis longtemps scandalisée.
J’ai récemment
compris l’aspect nihiliste du fascisme. Ce n’est pas tant que les gens adhèrent
à leur idéologie. C’est plutôt qu’exclus - et sans espoir d’être jamais réintégrés - ils deviennent nihilistes et souhaitent que
quelqu’un casse la baraque pour qu’au moins ceux qui les ont évincés ne
profitent pas en paix de leur forfait. A la limite, pas d’idées là-dedans mais
plutôt l’expression d’une force brutale pour mettre à bas la société.
Au Lycée, côté
Professeurs, la prolétarisation continue. On vient de voir arriver un ouvrier
ou un technicien de chez Alsthom. Je n’ose même plus me poser la question des
diplômes car pour enseigner les mathématiques, on ne trouve plus personne. En
Sciences et Techniques économiques, sur une vingtaine de Collègues, il y a
trois étrangers maghrébins et le dernier arrivé a été victime d’un bizutage
jamais vu dans l’établissement. Sont antillais, le lecteur anglais et la
concierge. Chaque année il y a de plus en plus de non Blancs et tout le monde
fait semblant de ne rien remarquer mais je sens cette scotomisation lourde pour
le futur de la menace du retour du refoulé.
Du côté des
Elèves, c’est pire que jamais, ils ne nous écoutent
pas et nous coupent la parole. Finalement, ils nous contestent le droit
d’enseigner, s’arrogeant une parole qu’ils décrètent à priori plus valable que
la nôtre. La forme en est un peu soixante-huitarde mais le fond médicalisant et
conformiste, faisant l’apologie de l’égoïsme petit bourgeois, centré sur des
valeurs exclusivement matérielles, et penchant de plus en plus pour l’exécution
des malades de tous poils. En fait le tabou du meurtre semble avoir disparu.
Pas un seul jour où le nouveau n’affleure de façon offensive.
La Bourse baisse
doucement depuis des semaines. On s’en réjouissait comme d’un avion qui
atterrit après un voyage extravagant dans les désordres de l’affairisme et de
la spéculation. On se prenait à penser qu’on allait arriver à la fin de cette
période d’humiliation et de broyage au cours de laquelle nous ne pouvions plus
que regarder, angoissés, le garrot se resserrer… Mais dans la semaine
précédente la descente s’est accélérée et on a commencé à laisser passage à la
frustration accumulée en se félicitant des turbulences, attendant le krach
comme on appelle de ses vœux l’orage, lorsque l’atmosphère est trop lourde.
En fin de
semaine, la Géofinance a pu respirer
mais en quelques lieux du Globe la baisse était si forte qu’on pouvait espérer
l’effondrement pour le lundi. Mais ce jour ne veut pas dire la même chose dans
tous les points du Globe. Il commence dans la nuit à Tokyo pour s’achever la
nuit suivante à Los Angeles, dans un fascinant décalage. La Géofinance a ainsi
établi non seulement le Marché parfait dont les économistes rêvent depuis deux
siècles mais aussi une continuité dont on n’avait jamais eu l’exemple. Sur cinq
jours, la séquence en durait six, et je ne me lasse pas de contempler médusée
le lieu où les mathématiques, la géographie et l’économie entrent en collision.
Ce que j’appelle la géonomie
prend corps sous nos yeux, me donnant contre toute espérance, raison.
Dimanche, on a
calculé fiévreusement l’heure d’ouverture de la Bourse de Tokyo, mais il
fallait quand même attendre le lundi matin qui finit par venir. On vit alors
autour de la planète, se courber les indices comme un champ se couche sous la
propagation du vent. A huit heures, des nouvelles du Japon, à neuf on apprend
que Hong-Kong a suspendu ses cotations. L’envie de dire Encore un effort ! Et en même temps
cette joie fait horreur, car je ne suis pas assez inculte et naïve pour ne pas
savoir qu’on serait tous emportés par la tourmente si elle avait lieu.
L’Histoire est là pour nous l’enseigner, la Deuxième Guerre Mondiale étant
sortie de la Grande Crise, et d’ailleurs dans le Golfe, la Guerre semble déjà
avoir commencé. Mais c’est plutôt que la dimension historique de la vie est
plus forte que tout cela et que depuis mon âge adulte nous vivons dans une
transcendance historique qui là nous rattrape enfin, nous soulageant du devoir
de la faire, tout en nous emportant. Une sorte de repos qu’on peut enfin
espérer...
Des
congratulations au déjeuner. On n’ose pas croire encore à notre revanche mais
on s’en réjouit déjà. Autrui s’étonne de notre contentement que je décode
comme C’est la guerre et on voit des
obus tomber sur le camp adverse. L’après-midi, la baisse s’emballe avec des
six, sept, huit et dans l’après-midi jusqu’à neuf virgule sept pour cent. Wall Street
prend le relais dans l’effroi. On voit Edouard Balladur, Ministre de
l’Economie, avec un air que rien n’ébranle - et on les entend sinon cyniques -
du moins indifférents ce qui d’une certaine manière est encore pire : La
ruine des épargnants qu’ils ont trompés ne les émeut pas !.. La Télévision nous montre Wall Street. On voit un
bâtiment qui ressemble à la Madeleine et je me fais la réflexion alors, c’est là ! Dans le Golfe,
les bombardements américains passent inaperçus…
Les cotations
sont suspendues à Wellington et à Sydney. La Bourse d’Hong-Kong est fermée pour
la semaine et Wall Street a perdu d’un seul coup vingt deux pour cent!
C’est le plus grand krach de l’Histoire ! Au Lycée les Collègues tentent
sans succès de débattre car la vérité qui essaie de se faire jour n’y parvient
pas. Le son de cloche moyen est plutôt Mais
non, ce n’est rien. Je suis médusée de cette capacité de refoulement de la
réalité qui n’est pourtant pas pour moi une découverte mais je ne soupçonnais
pas qu’elle résisterait à un krach boursier. Je lutte pour tenter de frayer un
chemin à la réalité mais c’est un peu incertain.
Dans les classes,
c’est le drame et les Elèves - totalement abattus - me
font voir les choses autrement. Durant la récréation, l’un d’entre eux me dit
avoir déjà perdu trois mille francs et avoir encore trente actions de la CGE
que je lui conseille de vendre. Dans les quatre Classes ils veulent - quasiment
à l’unanimité - parler du krach. Je suis stupéfaite de l’intensité de la demande
car d’habitude l’actualité ne les intéresse pas tant que cela et c’est plutôt
moi qui pousse à la roue. Mais lorsque j’emploie le terme de gogo, les réactions sont un peu hostiles
bien que je sois obligée de me situer dans cette perspective.
Le soir je suis
vraiment très fatiguée par la menace que recèle le déni de la réalité de mes
Collègues.
Je tente à la
Cantine d’alerter les Collègues sur l’état dans lequel sont les Elèves, à
savoir l’abattement et la démoralisation. Ils se moquent de moi, et tout en
étant tous d’accord sur la gravité de la crise à venir, ils sont unanimes P.B,
P.L, G.W et G, professeurs de mathématiques, d’informatique, de commerce ou
d’Anglais- ce n’est pas un hasard - à affirmer qu’il n’en faut rien dire aux
Elèves. Je n’en crois pas mes oreilles et je suis scandalisée de les découvrir
tous d’accord avec le mensonge et la désinformation qu’on entend à la
Télévision, alors même qu’ils sont conscients de sa propagande sur le thème du Tout va très bien, Madame la Marquise. Ces
Enseignants qui approuvent la propagande dont sont victimes leurs Elèves, me
paraissent disqualifiés d’enseigner. Je leur dit carrément ma façon de penser
mais m’étonne tout de même de leur mentalité. Comment en sont ils arrivés
là ?
Fermée depuis une
semaine la Bourse de Hong-Kong a rouvert en accusant une baisse de trente
quatre pour cent en une seule séance. A noter aussi dans cette première semaine
de drame financier, l’insistance avec laquelle les Collègues sont revenus sur
le thème de la différence entre la crise de 1929 et celle là, en ce qui
concernent les suicides, qu’ils semblent regretter comme L dit à M Tu ne t’es pas encore suicidé ?
Par ailleurs
fascination et exaltation de voir la mondialisation se réaliser sous nos yeux.
Le regret de
n’avoir pas le temps de tenir au jour le jour cette chronique et de perdre
ainsi quelque chose d’unique, historiquement parlant.
La descente
continue et les monnaies entrent à leur tour dans la danse. Stupéfaction de
continuer à entendre les Elèves solidement installés à répéter la propagande de
la Télévision. Les slogans sont Tant
qu’on ne vend pas, on n’a pas perdu ! Ca n’a rien à voir avec 1929 !
L’économie est saine. Je ne cherche même plus à les convaincre car c’est
impossible et j’ai plutôt recours à la dérision.
Je raconte la
plaisanterie classique de l’individu qui tombe
du vingt-cinquième étage et déclare en passant
devant le douzième que tout
va bien ! Leur assurance est ébranlée. Pourtant, cet enfermement
à l’intérieur de la fiction qu’il ne se passe rien d’important, me fait peur en
me faisant comprendre comment les Accords
de Munich ont pu ne pas être perçus comme un signal négligé.
J’invente le mot télémaginaire pour nommer cette situation
dans laquelle la réalité disparaît. Elle me terrifie parce que cette
disparition de la réalité signe ipso facto celle de l’imaginaire et de l’Art,
car ces derniers n’existent pas sans l’autre. Là on est dans une confusion qui
n’est plus ni l’un ni l’autre. Je me retrouve comme vingt ans en arrière. Du
côté du Corps Professoral, l’assurance commence à se ramollir et ils colloquent
sans moi sur ce qu’il conviendrait de faire.
Par ailleurs la
Télévision occulte - plus que jamais - avec la même
stratégie que celle de l’Hôpital, à savoir empêcher de penser. Il ne s’agit
même plus de faire adhérer à des idées politiques favorables ou à des leaders
mais de paralyser purement et simplement le fonctionnement de la pensée.
Empêchement de l’analogie (ce n’est pas 1929), empêchement de la protection (ne
vendez pas) empêchement de la prospective (cela n’aura aucun effet). A
l’Hôpital, des processus analogues empêchent de se maintenir sujet pour au
contraire se liquéfier dans la masse informe du Grand Réseau qui sera géré de
l’extérieur…
Hier, il m’est
venue l’idée que ma fameuse formule la
déchirure et la jonction annonçait déjà tout cela et que c’est maintenant
mon temps qui s’ouvre comme la littérature de Kafka annonçait le Nazisme dix
ans auparavant. C’est à la lumière de ce qui se passe que je comprends
maintenant complètement mon livre Le corps défunt de la comédie qui
tient me semble-t-il magistralement la route. De toutes façons cette invasion
du mensonge, cette interdiction de se vivre et de parler comme un sujet ayant
des intérêts différents que de ceux qui diffusent la Propagande, je l’ai déjà
vécu et c’est sans doute parce que j’en ai triomphé que je la maîtrise
aujourd’hui.
Au Lycée,
règlements de compte sanglant à la suite de la découverte d’une nouvelle
manœuvre du petit clan mafieux se répartissant entre soi - de façon clandestine
- les Classes du Diplôme d’Etudes Comptables Supérieures qu’on va bientôt
ouvrir dans l’Etablissement. Comme je protestais contre la méthode et tentais
de placer le débat sur le terrain politique, je me suis faite traitée de folle.
Il me semble que les deux gangrènes à l’œuvre sont en train de se rejoindre,
celle de l’affairisme ambiant dans la société et celle d’un Enseignement
complètement désagrégé. Et ce n’est donc pas par hasard que l’explosion et la
cassure ont lieu au sujet de l’ouverture d’une Classe d’Expertise Comptable. Le
service public se fragmente en fiefs qu’il convient de rentabiliser, et c’est
par la violence qu’on peut s’emparer des lambeaux arrachés à l’Etat. Tout cela
me donne la nausée ! Le soir me vient le mot lumpen-professorat.
Tout cela évoque
le film de Bertolucci Mille Neuf Cents
à cause du côté populace inculte et ces factieux me font froid dans le dos car
je les connais depuis trois ou quatre ans que je les vois faire, sans parvenir
à empêcher leur ascension qui s’effectue de plus en plus ouvertement. Il ne
s’agit pas d’un fascisme social et politique mais de quelque chose que je ne
parviens pas encore à nommer tandis que j’en vois déjà le dessin se former. Ce
sont des techniciens informatiques gestionnaires au petit pied qui imposent
partout l’ordre cybernétique capitaliste... Comment s’étonner alors qu’ils
empêchent la vérité de se faire jour, puisque le Capitalisme a toujours procédé
ainsi.
A seize heures
j’ouvre la Radio, entends parler d’intervention des CRS et de la chute de vingt
pour cent du dollar. On annonce une émission spéciale étant donnée la gravité
des événements. Sur les autres chaînes, rien du tout de toute la soirée. Le
soir je me sens très mal, renvoyée au monde de mon enfance de terreur et
d’humiliation, de mensonges, de privations et d’enfollement. Il y a en effet dans la crise sociale un élément de
folie.
Une amie me raconte
de son côté des histoires analogues qui montrent que l’affairisme ambiant rend
désormais impossible un certain nombre de choses qui l’étaient auparavant.
L’Histoire nous rattrape et nous emporte pour le meilleur et pour le pire.
Apparition des
termes Bourses asiatiques et Bourses
européennes…
La chute des
cours continue. Il est clair qu’il n’y aura aucune décision politique, depuis
trois semaines maintenant que dure la crise. L’expression lundi noir s’emploie désormais dans le sens d’une baisse importante
et généralisée. L’angoisse de la voyoucratie est toujours sous jacente, comme
si je savais que cet effondrement allait les rendre à mon égard encore plus
méchants.
Folie furieuse au
Journal Télévisé qui proclame que La
Bourse a le SIDA alors qu’elle a encore perdu six pour cent dans la
journée. On entend même poser la question
Va-t-on vers un krach financier alors qu’elle a perdu en un mois trente cinq
pour cent à Paris et quarante cinq pour cent à Hong-Kong. D’ores et déjà,
l’ampleur de 1929 est dépassée. Même chose chez les Elèves qui veulent qu’on en parle, mais refusent de m’entendre et
même de m’écouter.
La crise
financière et boursière dure depuis maintenant cinq semaines sans qu’on voit se
profiler de solutions ni d’accords internationaux pour tenter de l’enrayer. Les
choses se défont de tous les côtés. L’épais mensonge télévisuel se constitue en
dalle de béton qui empêche toute circulation. Une impression de cauchemar
publicitaire et cybernétique. Une espèce de grand réseau qui transforme
l’espèce humaine en un GRAND CA SOCIAL comme je l’ai nommé ce mois-ci. Il
semble qu’on n’ait plus de prise dessus et qu’il avance comme un rouleau
compresseur, désespérant les derniers humanistes qui luttent pour éviter la
totale exclusion.
Néanmoins cela
devient presque impossible matériellement et physiquement parce que les
agressions de ce ça social soft ont
lieu tout au long de la journée, sur tous les fronts. Les gens s’enfoncent dans
la dureté, l’amertume ou le cafard, selon leur tempérament. Une impression de
débâcle. Dans le même temps, des bruits assourdis proviennent des usines, des
violences, un mort assassiné par les CRS, un droit de grève que les Tribunaux
cherchent à limiter. Le tissu industriel se désagrège, la balance commerciale
s’installe dans un lourd déficit des échanges.
Le premier
clochard de la nouvelle saison est mort de froid. L’envie de hurler étant moi-même
à deux doigts de lâcher prise. Je le voyais venir depuis des semaines, avec
l’impression de ne plus pouvoir suivre, de ne pas pouvoir me tenir suffisamment
au courant dans ma partie professionnelle.
Les
manifestations lycéennes repartent. Offensive contre le droit de grève. Un
militant syndical tué par les CRS. Les Sidérurgistes attaquent les trains. La
crise financière s’enlise. Le bruit des usines nous parvient à travers un
rideau de fumée. En classe hier, pour la première fois je me suis sentie
dépassée. Le mot délitement ne
convient plus, il faut parler maintenant de disparition.
Un nouveau
mendiant au métro Opéra. Cela me bouleverse et je lui donne de l’argent, lui
caresse la tête et lui fait un brin de conversation sur le thème que ce n’est
pas possible que la société soit dans cet état… et que Paris devienne Calcutta.
Il me dit simplement qu’il a quarante sept ans et qu’il est conducteur-typo… J’en suis bouleversée et cela me rappelle la fameuse version
latine de notre enfance avec Verrès et son fameux Je suis citoyen romain. C’est à cause de choses de ce genre que je
ne parviens pas à prendre au sérieux cette notion de Droits de l’Homme.
Conséquence de la
reprise de mon service à plein temps au Lycée et de l’aggravation de mes
charges professionnelles, je ne parviens plus à tenir correctement mes
multiples carnets. Avant la crise mon service complet en Brevet de Technicien
Supérieur était de quinze heures réparties sur quatre classes, et maintenant c’est
seize heures sur six classes, parce que l’Administration a modifié la façon de
les comptabiliser pour obtenir ce résultat. Je suis donc à la limite de ce
qu’il est possible de faire et encore en suspendant toute activité en dehors,
mis à part le sport, la marche, les visites à F et la demi-journée de loisirs
par semaine. Je vois mes parents et mes beaux parents une fois toutes les trois
semaines, et ne dîne plus en ville ni ne reçoit à dîner.
Non seulement
tout ce qui n’a pas trait au travail a été supprimé mais il faut même
désormais, choisir à l’intérieur du travail, ce qui est une situation tout à
fait nouvelle et pas très encourageante. J’appelle cela en plaisantant la taxe
de crise, surtout pour pouvoir mesurer dans quelle proportion elle
augmente. Il faut fournir de plus en plus d’effort pour obtenir le même
résultat - à savoir ne faire que se maintenir - et encore ce n’est pas le cas
dans tous les domaines. On ne se maintient que sur le plan de la compétitivité
professionnelle mais politiquement et socialement, on est totalement isolé et
on ne représente plus rien.
D’une certaine
façon on pourrait parler d’une américanisation non pas des valeurs mais du mode
de vie, ce qui justement permet de surmonter la crise et de rester - alors que
se fait la fracture - dans la partie qui demeure reliée à l’extérieur et est
capable d’en épouser le mouvement. On a l’impression que la France devient un
pays sous-développé bien que ce terme ne me paraît plus opérationnel, sans que
le nouveau concept adéquat soit pour autant déjà apparu. C’est de l’ordre de La fractura dont m’ont parlée
l’été dernier les Chiliens et que je suis rentrée ici avec l’idée que cela nous
parlait de notre futur…
Le nouveau
concept opérationnel serait sans doute justement cette fractura si on parvenait à la traduire dans les termes culturels
locaux. Et il s’agit de tomber du bon côté de la fracture, non par idéologie
mais pour des raisons de survie…
Au Lycée, je sens
les Collègues à deux doigts de me taper dessus ou tout du moins de m’interdire
de parole car cela devient de plus en plus difficile au quotidien. Ce qu’on me
reproche - professionnellement parlant - c’est de continuer à dire la vérité
sur la situation dramatique du pays et accessoirement pour ceux qui ont eu
autrefois des idéaux progressistes, de ne pas comme eux, les avoir trahi. Je
suis en quelque sorte une butte témoin qu’Ils veulent anéantir.
Mon ancienne
partenaire de théâtre a les mêmes problèmes dans son lycée, avec les Elèves et
avec les Parents qui lui reprochent le contenu de son cours commençant même à
ne plus avoir besoin de respecter les formes traditionnelles. Cet état d’esprit
s’étend au reste de la vie, dans la rue, dans les boutiques et ailleurs on ne
supporte plus qui nous sommes et la pression s’intensifie pour nous faire nous
renier et cautionner ce marasme de la société française qui s’enfonce depuis
les Elections Municipales de 1983, dans le racisme.
Concernant nos
amis, les uns sont morts comme Bernard Briquet, Milène Dubois ou Lili ou trop
vieux et malades et les autres sont désormais ouvertement du côté du Pouvoir,
de telle sorte que les relations sont devenues impossibles. La dernière
catégorie comprend ceux qui ne se sont pas développés et à qui on n’a plus rien
à dire, l’âge ayant fait apparaître des clivages qu’on ne soupçonnait pas
lorsqu’on avait vingt ans. Heureusement le réseau intellectuel transnational
auquel j’appartiens a pris la place de ces liens affectifs devenus douloureux,
en dehors de mes rares mais indestructibles amis. En fait la situation est
devenue si difficile qu’il n’y a plus de place pour les états d’âme - ce qui
est déjà le cas depuis longtemps – mais désormais, même pour la vie privée.
A cela s’ajoutent
des difficultés financières en dépit de ma reprise d’un service à plein temps
rendue nécessaire. D’après la presse syndicale, on aurait déjà perdu treize
pour cent de pouvoir d’achat depuis 1982, tandis que les non salariés - de leur
côté - s’enrichissaient. Cela contribuant à la démoralisation. Et encore il
s’agit là d’un indice officiel car l’impression intuitive est plus désastreuse
encore. Un sentiment de précarité et d’appauvrissement se fait jour. On
entrevoit qu’on pourrait ne plus pouvoir se payer le remplacement du matériel
qu’on possède. C’est une situation totalement inédite !
La dégradation de
la vie civique est devenue intolérable. Après des vacances de Pâques dans le
Rouergue et avant mon voyage au Canada, j’ai failli ne pas pouvoir rester dans
le wagon du métro, tellement c’était sale. Il n’y avait pas un seul
compartiment dans lequel les sièges n’étaient soit lacérés, soit couverts de
graphitage de nature à souiller les vêtements.
Les codes sociaux
ont disparu ou du moins rendent les échanges quotidiens difficiles à cause de
nombreux malentendus, à moins que je n’aie pas réussi à comprendre en quoi
consistaient les nouveaux. Il semble que dans beaucoup de cas il ne s’agisse
que de rapports de force brute et d’un total cynisme dans lequel la seule valeur
soit l’argent, commun dénominateur de toutes les motivations. La société n’est
plus une affaire commune réclamant pour son fonctionnement un effort de civisme
sans lequel elle n’est pas mais un gisement dont on cherche à tirer le maximum
de satisfactions en un minimum de temps.
Le seul
contrepoint à ce noir tableau est le sondage qui donne François Mitterrand
gagnant aux Elections Présidentielles et permet d’envisager éviter le pire. Les
gens commencent à retourner leur veste.
Retour du Canada.
Je chois du Paradis en m’écrasant le nez contre la porte blindée du résultat
des Elections. Le Pen a fait quatorze et demie pour cent, encore plus que ce
que je pensais, mais je suis contente d’avoir fait un pronostic assez exact, à
savoir que beaucoup de ses électeurs se cachaient des sondeurs et que cela
entraînait une sous estimation. Mais les milieux sociaux sont si étanches que
ceux qui dissertent publiquement ne sont pas en relation avec ceux qui votent
Le Pen, d’où les erreurs d’appréciation. Rentrant dans cette atmosphère depuis
ma station littéraire orbitale transatlantique, j’hésite entre la détresse et
l’occultation, mais je sens bien que c’est cette dernière qui va l’emporter.
J’ai décidé de n’en pas discuter parce que de toutes façons les dés sont pipés
et d’user de la marche comme moyen d’action.
A la maison, je
trouve même le Herald Tribune pour la première fois.
De nouveau mes
divers carnets sont en train de fusionner, car il est impossible de prendre en
compte ce qui sépare le culturel, le professionnel, le politique et le
philosophique. Tout prend en masse ! Dans quel carnet dois-je écrire la
panique des Elèves face à la montée de Le Pen et me disant Vous avec le nom que vous avez, vous vous en foutez et moi de
marbre, leur répondant C’est le nom de
mon mari mais vous ne connaissez pas mon nom de jeune fille, la façon que
j’ai trouvé de les réconforter et de leur faire comprendre que j’étais dans le
même bateau qu’eux. Et j’ai ajouté Avec
les costumes que j’ai, je ne suis pas non plus forcément en sécurité. Mais
cette réflexion là était un peu trop compliquée pour eux…
Le fait est que
ces trois derniers jours je me suis consciencieusement appliquée à porter tous
les jours ma robe verte en velours avec les paillettes, manifestement
d’inspiration arabe et justement parce que ce n’était plus évident. Les gens me
regardaient de plus en plus de travers dans les rues et les boutiques et cela
demandait dans ces conditions là un effort pour maintenir mon Droit de Cité, si
douloureusement conquis. Le fait est qu’on a du mal à maintenir ce qu’on fait
habituellement et en même temps, il n’est pas question d’y renoncer. Justement
parce que cet Us de Cité nous est
maintenant, ouvertement contesté.
Le soir première
promenade en ville depuis mon retour du Canada et les Elections. Je découvre
avec stupéfaction que l’apartheid est déjà dans les têtes et que je ne vois
plus les Immigrés de la même façon
qu’autrefois, c'est-à-dire comme les pauvres de notre société, mais comme Les Autres,
c'est-à-dire l’autre groupe. La même attitude qu’on avait à
la Martinique en considérant Les Autres à savoir l’autre groupe
ethnique. Je trouve cela affreux !
On assiste par
ailleurs à la naissance d’un discours assez inquiétant dans le sens d’une
psychologisation du vote Le Pen, sur le modèle du Ils n’ont pas dis ce qu’ils ont dit - oui à l’apartheid - mais ils ont
des problèmes et on ne les a pas assez pris en compte… Un discours du genre
On vous a compris, on vous a
entendu ! Cette attitude se résumant dans celle de Marguerite Duras
disant pour finir Les électeurs de Le Pen
ont crié : Au secours !
Pour Monsieur T
cette prise en compte des laissés pour compte a plutôt pour fonction de pouvoir
être récupérés comme électeurs par la Gauche.
En classe, je
fais deux fois deux heures sur la situation politique et sociale de la France.
J’expose le régime de Vichy et l’Algérie comme produit de cette composante
permanente de la société. Je ne sais pas si c’est bien mais je constate que les
Elèves ignoraient tout de ces événements là et qu’ils m’ont dit que cela les
avait instruits. Je n’avais pourtant rien de préparé d’avance comme tel, tout
cela m’étant venu spontanément - comme une évidence - sans doute parce que
j’avais le sentiment qu’on voulait de nouveau nous jeter à la figure ces
horreurs là qui ont jalonné mon enfance.
Dans la foulée de
mes explications, m’est venue l’idée que le Mouvement de Mai 68 lui-même était
une réaction de vie (au sens de vitalité) contre le monceau de cadavres, de tortures,
de censure, de démissions et de mensonges de la Guerre d’Algérie, ce que jusque
là je n’avais pas forcément compris mais au moins éprouvé dans l’incapacité de
raconter 68, sans faire aussitôt référence au Gaullisme et en étant toujours
entraînée plus avant dans la nécessité de remonter en arrière, finalement
jusqu’à la Deuxième Guerre Mondiale dont je n’ai jamais pu guérir !
Dramatique
déjeuner chez ma mère âgée de 77 ans dont les censures lâchent et qui avec la
montée des voix en faveur de Le Pen s’enhardit à laisser enfin apparaître ce
qu’elle et moi savons bien, même si nous le refoulons depuis toujours. Son
penchant pour le Nazisme. A la façon dont elle parle des Immigrés comme d’une
matière dont certains sont capables de se débarrasser et pas les autres qu’elle
désigne comme les pauvres types, scandalisée, je suis obligée d’intervenir et
de lui dire Maman, ce dont tu parles,
c’est de la chair humaine ! Je ne peux même pas, étant donnée la
représentation qu’elle en a, lui dire des êtres
humains car elle ne sait pas ce que c’est, puisqu’elle n’a de rapport qu’à
la matière… J’ai seulement tenté de lui dire, cette matière là, celle là, est
sacrée….
Au défilé du
Front National on voit des gens ordinaires, dans le style de mes Elèves, de mes
Collègues, des gens du Quartier et même de ceux de l’Immeuble. Tout un chacun
en dehors de Saint-Germain des Prés. Le slogan unique est La France aux Français !...
Dans ma propre
observation, je suis surveillée moi-même par un homme un peu inquiétant qui me
rattrape comme je mets de la distance et qui m’accoste en me demandant si je
suis venue toute seule. Je lui réponds que je suis venue voir les costumes
folkloriques parce que j’aime cela et que c’est une occasion d’en voir mais je
prends peur comme il me demande à nouveau si je suis venue toute seule et qu’il
ne cesse de faire des exercices de musculations des doigts de ses mains gantées
de noir. Je ne m’enfuis pas mais lui réponds sèchement Ecoutez vous n’allez pas me
posez de questions parce que mon mari ne serait pas content qu’on m’accoste
dans la rue ! Il se produit alors l’effet que j’ai déjà cent fois
constaté. Il me dit Eh bien, si vous
dites cela, je vous laisse ! Je m’astreins à prendre calmement le
métro et y achète du muguet pour ma Belle Mère, en choisissant parmi la dizaine
de vendeurs, un arabe qui ostensiblement, jubile.
Comme j’arrive à
ma destination et m’apprête à sortir par les portillons prévus à cet effet,
l’ouverture fait apparaître un homme à peau sombre qui fonce sur moi pour
entrer en fraude par la sortie. Je continue fermement à avancer en faisant du
volume mais il me dit Recule que je
puisse passer ! Je tiens bon et ne bouge pas disant Je voudrais pouvoir sortir, ce que je
fais effectivement, le portillon se refermant derrière moi. Il lâche Raciste ! Je suis accablée de voir
la boucle se boucler…
Partout une
atmosphère fétide, difficile à analyser. La montée de l’Extrême Droite bien
sûr ! Elle est de plus en plus virulente et sans pudeur face à des petits
lapins fascinés et médusés qui regardent le cobra sans pouvoir le quitter des
yeux. Le Pen est devenu la vedette des médias, on le voit partout, comme la
nouvelle référence de la vie politique.
A côté, l’effort
d’alliance centriste développée par Mitterrand - qu’on peut comprendre comme
une dernière chance républicaine - et qu’on peut raisonnablement, à cause de
cela accepter. Tout cela est connu, c’est donc que le malaise vient d’ailleurs.
C’est plutôt le refus de débattre, car tout le monde est bien d’accord pour ne
pas mettre les véritables problèmes sur le tapis : le chômage, l’école, la
sexualité, la vie quotidienne et encore moins l’Europe, l’Economie-Monde ou le
multiculturalisme. Quant à parler de la Nouvelle Calédonie où c’est de fait la
guerre depuis le 24 Avril, c’est impensable, voire une grossièreté. Si ce sont
les Progressistes qui abordent la question, d’une certaine façon, on est encore
plus mal à l’aise et l’impression générale de gêne vient sans doute de là.
Les deux clans
qui luttent pour le pouvoir ont en commun le refus du changement. Les uns et
les autres se battent pour conserver leurs privilèges, chacun dans des espaces
différents de la société et avec des modalités différentes. Cela ne veut pas
dire que ce soit bonnet blanc et blanc bonnet mais plutôt que dans un cas comme
dans l’autre, il n’est pas question de tenir compte de nous, alors que dans le
même temps on se tourne vers nous pour mobiliser nos forces mais en nous
incitant à mettre notre énergie au service de causes dont on sait d’avance
qu’elles ne changeront rien pour nous.
Tout se passe
comme si cette période électorale se traduisait pour nous par une prédation
supplémentaire d’autant plus absurde que nous avons tout fait pour ne pas en
arriver là et que nous faisons partie des plus menacées. L’attitude la plus
appropriée serait de se tenir à l’écart de tout cela mais serait aux Antipodes
de nous-mêmes. Il n’y a donc le choix qu’entre deux mauvaises solutions et il
est bien difficile d’en inventer une troisième…
Ajoutons le
double drame de la libération des derniers otages. Un Munich lourd de menaces
qu’on essaie de nous faire prendre à coups de propagande et de veulerie pour
une victoire… Pas un mot n’est dit sur le prix payé, ni la signification
politique éthique et culturelle du dit prix.
Attaque sanglante
en Calédonie. On oublie même de donner le nombre des Canaques tués, comme si
les animaux n’avaient pas à figurer dans les bilans humains. Il y a de
l’apartheid, là dedans. Au triomphalisme de Messieurs Chirac et Pasqua - le
négociateur se vantant de l’avoir fait personnellement avec
tous les sous entendus que cela comporte - on sent
bien qu’ils pourraient en gagner les Elections.
Nous réagissons
sur le mode stoïque, moi-même autour des proverbes Quand le vin est tiré il faut le boire ou A la guerre comme à la guerre. En ce qui me concerne, la lutte
contre le cancer m’a donné une certaine adaptation à la vie difficile, les
années chimiques traversées en solitaire sans le secours de personne m’ont
blindée dans un mode de vie aussi dur que le fascisme et cela me permet une
certaine sérénité dont je voudrais bien profiter sans être incommodée des
lamentations environnantes. Notamment celles des Collègues et des Elèves qui
n’ont pas bougé le petit doigt lorsqu’il en était encore temps, ni
politiquement, ni pour me soulager, moi-même…
Je me pousse
difficilement en faisant de gros efforts pour maintenir ma demi-heure de marche
quotidienne d’autant plus nécessaire maintenant que la situation sociale se
dégrade. Je vais à la Mairie faire renouveler mon passeport. L’employé de la
Mairie a un côté machiste qui ne m’étonne pas vraiment. Je vois cela depuis
toujours chez les représentants de la bureaucratie et du maintien de l’ordre.
Par contre je suis stupéfaite de m’entendre dire que mon pseudonyme littéraire
à l’air d’origine anglo-saxonne et qu’on me demande des explications sur ce
qu’il en est.
Je me justifie
lamentablement sur ce nom qui est d’après les Archives lues au Musée de
Moustiers, le plus vieux nom de la Savoie, celui des marchands d’ambre. J’éprouve un profond sentiment
de honte et me demande s’il ne s’agit pas là d’une victoire du fascisme qui
oblige les gens à renoncer à eux-mêmes par mille tracasseries qui les tuent à
la longue. Aux mille difficultés déjà d’user d’un pseudonyme, aux diverses
avanies de tous ordres, aux combats pour arracher un nom à moi et pouvoir
circuler avec lui, la possibilité qui se profilait là de ne pas en obtenir la
réinscription sur mon nouveau passeport alors même que mon avenir en dépendait
m’ont amenée à cette lâcheté consistant à me justifier plutôt qu’à renvoyer
l’employé antillais dans ses buts.
Face à cela je
cherche à reconstituer ma dignité. A mon voisin de guichet qui désemparé
cherche dans son portefeuille quelle pièce il pourrait bien de son côté
fournir, j’ai proposé sur un ton provocateur qu’il exhibe sa carte de donneur
de sang. Quand on m’a enfin remis mon précieux nouveau document, j’ai clamé à
la cantonade un Il est beau non qui
n’a provoqué qu’un air dubitatif à un autre employé. J’ai dû rajouter Vous ne trouvez pas Moi si comme la
seule protestation possible de mon identité supra européenne me permettant
d’échapper à ce carcan local !...
Depuis plusieurs
jours déjà, une ambiance à couper au couteau, faite d’agressivité systématique
mal contrôlée, d’animosité, de mauvaise humeur et de refus de fonctionner. La
mauvaise ambiance qu’il y avait déjà l’automne 1986 un peu avant l’explosion
des mouvements lycéens. Une formule finit par m’apparaître pour la
traduire : Ils attendent avec impatience lundi matin pour savoir s’ils ont le droit
de nous mordre. Quant à
nous, on attend pour être fixé sur notre sort, au moins provisoirement.
L’atmosphère
s’alourdit encore après le retour inopiné du Capitaine Prieur, l’agent secret
qui avait participé à l’attentat du Rainbow Warrior de Greenpeace. Normalement
détenue sur l’atoll en raison d’un Traité avec la Nouvelle Zélande, son retour
est une violation d’un accord international. La planète entière vomit la
France, j’ai honte. D’autant plus que la tendance coloniale prend tous les
jours davantage le dessus… On est ramené trente ans en arrière et ne peux
exprimer la chose que dans un semi sanglot qui laisse échapper Mon enfance
d’Algérie. C’en est toute l’horreur
qui remonte et la soirée est pénible...
Nous sommes
décomposés en dépit de nos efforts héroïques, moi-même pour repeindre la
cuisine et mon voisin pour monter une armoire de toilette qu’il vient
d’acheter. La dernière couche de peinture dans la maison date de 1979…. Sans
commentaires !...
Je me traîne pour
aller voter. C’est la tête qui l’impose, parce que le cœur n’y est pas du tout.
Quant aux Electeurs de notre bureau du Dix Septième Arrondissement,
ostensiblement chiraquiens, ils bombent le torse, prêts à en découdre. Cela
sent le sang.
Déjeuner chez une
vieille connaissance. C’est le scénario habituel des discussions pipées. Il ne
s’agit pas réellement de débattre mais seulement d’en avoir l’air, tout en
propageant en fait la gangrène et en déstabilisant l’autre pour l’amener sur un
terrain sur lequel il n’aura d’autre issue que de se renier. Connaissant la
manœuvre, j’y coupe court dès le début, affirmant haut et clair mes positions
pour signifier qu’il n’y aura pas de renégociations à la suite d’une discussion
quelconque.
Sublime promenade
l’après-midi dans les bois. Sur cette toile de fond fascisante, les miens avec
qui je suis venue m’apparaissent fondamentalement et essentiellement poétiques.
L’annonce des
résultats à la Télévision est mise en scène de façon cybernétique. On voit le
portrait de l’élu apparaissant grisé et méconnaissable avant de pouvoir être
clairement identifié. C’est une autre formule que celle du 10 Mai 1981. Le
point commun en est tout de même l’annonce du résultat par l’image et non pas
par le nom ni la photographie. Le portrait informatisé de François Mitterrand
apparaît. Hurlements de joie et applaudissements….
En trois minutes,
on se décide à sortir. Je veux me déguiser mais on m’en empêche et ma joie en
meurt. Ce n’est pas vraiment une surprise, je sais bien que de toute façon, je
suis laissée de côté et que si cette victoire en quelque sorte NOUS SAUVE, ce
sauvetage, cette survie ne sont au mieux qu’un statu
quo et qu’en aucun cas, il n’est question en ce qui me concerne d’une
amélioration quelconque de ma vie. C’est sans doute pour cela que se mêle en
moi, contentement et tristesse.
La soirée est un
peu triste. Il n’y a pas beaucoup de monde Place de la République et les gens
ne se parlent pas. C’est aussi qu’il est un peu tôt. On prend une bière et on a
un peu de mal à retrouver la voiture en se trompant de Boulevard. Je rentre
très fatiguée mais soulagée quand même de pouvoir me laisser aller après une
douzaine d’années de rudes efforts. Il est de toute façon réconfortant de
constater que les coups tordus de ces derniers temps n’ont pas rapporté de
voix, sans doute parce que la population est déjà dans l’infra politique.
Flottement. Ce
qui domine ce matin c’est la gravité de la situation dans les différents
secteurs et ce n’est même pas la peine d’en dresser la liste autant intérieure
qu’extérieure, politique que morale, sociale ou médicale. Le discours de la caste
journalistique et politicienne est insupportable, il n’est question que de
report de voix et de combinaisons électorales, comme si la situation réelle
n’était pas parvenue jusqu’à eux. Il n’est toujours pas question du moindre
débat sur qui et quoi que cela soit et c’est cela le plus pesant. Comme
lorsqu’on prend des tranquillisants et que l’angoisse n’est pas éliminée alors
que les moyens de défense sont paralysés.
Je vais déjeuner au
Lycée et tester l’ambiance. J’y apporte la rose achetée chère la veille dans
cette perspective. L’ambiance est à couper au couteau et me glace. Les
Collègues sont dans une bouderie qui me stupéfait. Je m’attendais à les voir
tourner leur veste et à nier les opinions qu’ils avaient défendues les années
précédentes mais ce n’est pas du tout cela. On est obligé de se dire qu’ils ont
voté pour Jacques Chirac. Ils ont l’air défaits, au sens propre mais j’ai du
mal à y croire.
Cette impression
se confirme pourtant lorsque les cinq ou six personnes présentes me tournent le
dos tout en débattant de la situation. Je n’en reviens pas. Je ressens comme un
commencement de mise en quarantaine. L’instinct physiologique m’avertit d’un
danger grave et imminent, une perception brutale et glaciale d’une réalité plus
terrible que celle que j’avais prévue. Et pourtant j’en étais déjà à me dire
que si Jacques Chirac l’emportait, je ne pourrais plus rentrer dans la Salle
des Professeurs ni à la Cantine. Mais l’idée ne m’était pas venue qu’il
pourrait en être ainsi en cas de victoire de François Mitterrand.
Cette impression
est corroborée par A qui m’agresse à froid, cherchant manifestement le terrain
sur lequel il pourrait en découdre. Le déjeuner est désolant et tout le monde s’efforce
de parler d’autre chose tandis que moi-même je m’évertue à ne pas me trahir.
Après le
déjeuner, circule une pétition idiote d’Amnistie Internationale que je signe
tout de même pour ne pas multiplier les désaccords, tout en faisant quand même
remarquer qu’il est scandaleux qu’une pétition en faveur des Droits de l’Homme
n’évoque même pas la situation en Nouvelle Calédonie.
J’entends mes
Collègues dirent n’importe quoi qui ne colle pas du tout avec ce que je sais d’eux
et relève de la plus totale incohérence. Il ne me vient pas à l’idée qu’ils
bluffent. C’est Chantalle qui m’affranchit en me signalant avoir entendu Guérin
évoquer l’Occupation et dire que ce qui était alors le plus pénible, c’étaient
les gens qui jouaient double jeu. A la réflexion, cette grille d’explication me
parait exacte et il reste à déterminer ce qu’il convient de faire.
Ecoeurement
d’apprendre que Dimanche soir a eu lieu à la Maison de L’Amérique Latine, un
cocktail mondain de la classe politique au milieu des écrivains et des artistes
et que François Mitterrand a fêté là sa victoire sans prendre même la peine
d’aller Place de la République, où il n’existait que sur une gigantesque image
cathodique. Ce n’était pas cela qui m’était insupportable mais le raout
artistico politique…
Je me rappelle
alors la pétition qu’on m’avait demandé de signer sur l’excellent travail que Madame
Elisabeth Burgos avait fait à
la tête de la dite maison.
La dite dame étant l’épouse de Régis Debray conseiller spécial de François
Mitterrand, j’avais identifié cette manœuvre comme l’organisation du soutien à
Tonton, et n’avait pas donné suite. Sans doute aurais-je été invitée si je
l’avais fait et c’est bien cela qui me déplait. Après coup je me félicite
doublement de n’avoir pas répondu. Pas plus qu’en 1986 lorsque on avait voulu
me faire lancer un appel sur un radio périphérique.
Décidemment ma
place était bien à la République avec les anonymes. L’amusant de l’affaire
étant que Danièle Mitterrand l’épouse du chef de l’Etat y était aussi, déclarant selon le Canard
Enchaîné. En 1981 je n’ai pas pu aller à la Bastille, on m’avait envoyé au lit. Sans commentaire ! Disons plutôt que tout cela confirme ce qui
est déjà solidement établi par ailleurs….
Hier et
avant-hier situation difficile à analyser. Le double jeu des Collègues, leur
refus de prendre en compte la situation coloniale de la Nouvelle Calédonie,
leur attentisme pour savoir de quel côté est le manche. L’indécent retournement
de veste de la Directrice, l’incompréhensible hostilité dans les Classes sauf à
admettre qu’ils veulent nous débarquer, ce qui n’est pas impossible, tant la
situation de l’Education Nationale est bloquée. En Province, une Salle des
Professeurs a d’ailleurs été incendiée par les Elèves.
La nomination de
Michel Rocard comme Premier Ministre soulage un peu mais le refus des
Centristes de constituer une alliance de Centre Gauche renvoie à la situation
des Classes et de la Salle des Professeurs. Comme si l’ensemble de la
population était d’accord sur le refus de solutionner effectivement les
problèmes et d’éviter la catastrophe.
Cette sourde
inquiétude qu’on éprouve de tous les côtés, est ce le nihilisme qui brûle de
l’impatience de pouvoir librement déferler ? La digue est elle en passe
d’être emportée ? Mon livre Le Corps défunt de la comédie était il
comme toute la littérature, prophétique ?
Les Centristes ne
veulent décidemment pas de l’ouverture et le discours de Michel Rocard se fait
plus menaçant. On est tout de même un peu mieux d’entendre un Premier Ministre
parler de façon digne de la réalité. C’est au sens propre, inouï ! On a
l’impression que les journalistes lâchent le Gouvernement et l’isolement du
Parti Socialiste fait peine à voir, bien que ce soit eux-mêmes qui nous aient
renvoyées à la niche en 1982 lorsqu’on avait cru que leur victoire était la
Nôtre. Tout paraît bloqué et sent le Coup
d’Etat.
Une clocharde sur
un banc porte une coiffe en dentelle. Une coiffe d’intérieur et non celle des
jours de fêtes. Accablante et impitoyable image de la modernisation.
Vers dix sept
heures, deux clochards à vélo s’apprêtent à jouer de l’accordéon et à faire la
quête. Il s’agit d’un couple vraiment crasseux et émouvant, lui rigolard avec
une fleur artificielle à la boutonnière, sans doute trouvée dans une poubelle
et elle d’une grande beauté sous la saleté et les cassures de l’âge,
manifestement en dépression. Les gens ont protesté en les injuriant et leur
demandant avec des propos très méchants, de s’en aller. Je n’avais jamais vu
cela en France et je leur ai donné vingt francs.
Devant l’Eglise
il y avait encore deux autres clochards à qui j’ai donné également vingt francs
en protestant tout de même de ce que cela me coûtait car je ne me résous pas au
franc symbolique. Mais sur le Parvis de l’Eglise a surgi une horde de cinq ou
six avec des sacs en plastique donnant à penser qu’il est impossible d’en venir
à bout et que la société va couler. Impression d’accablement confirmée quelques
secondes après lorsqu’un grand gaillard jeune et blond crie Vive le
Pen !
La notion de sous-développement appliquée
à certains pays n’est plus vraiment opérationnelle à moins de reprendre
strictement l’analyse d’Albertini dans les Années Soixante – le dualisme
et la désarticulation - et d’admettre que le Chili et la France qui
jusque là avaient vécu retranchés derrière leurs frontières, se trouvaient
désormais en passe d’être digérés par l’Economie-Monde. Cette digestion implique que les
éléments utilisables soient intégrés à la société mondialisée tandis que dans
le même temps ce qui ne l’était pas était à proprement parlé, caducs et formant
ce qu’on appelle aujourd’hui les exclus. La fameuse fractura passant entre les deux groupes et déchirant ce qui était
autrefois une nation. Je me souviens
être rentrée du Chili l’an dernier en disant à l’entourage cette terrifiante et
sibylline phrase Le Chili vous parle de
votre avenir dont je ne comprenais pas moi-même à l’époque le sens. Or
maintenant je le décode !...
On comprend mieux
alors la panique généralisée et l’effort de chacun pour se brancher sur le
Centre, en proie à l’angoisse de mort du nourrisson, craignant et cette fois
avec raison, de manquer. On comprend également que toute une fraction, celle
représentée par Le Pen essaie par tous les moyens de s’opposer à la
mondialisation, compte tenu du sort qui lui échoit dans ce cas de figure. C’est
également dans cette perspective qu’on peut comprendre nos conflits quotidiens.
Nous avons en
effet fait ces dernières années des efforts extrêmes de modernisation avec un
coût humain extravagant, efforts nous permettant désormais non seulement
d’espérer le raccordement à l’économie mondialisée mais plus encore même d’en
tirer parti dans la mesure où en tant que femme, nous avons tout à gagner à
l’alignement de nos statuts sur l’extérieur, notre mode d’être paraissant
normal en Amérique du Nord, Grande Bretagne, Hollande Allemagne et pays du même
ordre, alors qu’il est scandaleux dans la société française...
A la limite même
on peut se demander si en tant que féministes françaises nous n’avons pas
purement et simplement intérêt à une fracture qui nous débarrasserait de cette
gluance qui ne cesse de nous tirer vers l’arrière et qui ne déclare jamais
forfait dans son entreprise de nous remettre au pas.
La situation est
affligeante concernant la campagne en vue des Elections Législatives et se
manifeste par le vide des panneaux prévus à cet effet. Les candidats n’ont pas
jugés bon d’afficher les leurs à l’exception de l’un ou deux. C’est seulement
ce matin que nous recevons les prospectus qui sont d’une confusion extrême. On a du mal à comprendre qui est candidat et pour le compte de
quel parti. Dans le journal, je ne lis même pas les articles les concernant,
cela ne m’intéresse pas ! A l’ORTF on ne peut que subir le minimum. Il
n’est jamais question des problèmes réels du pays, la Classe Politique
paraissant totalement déconnectée.
Il y a une sorte
d’indécence dans leurs débats publics au sujet de leurs manœuvres électorales
et de la répartition de leurs prébendes. Une impudeur complète à laquelle
répond l’indifférence de la collectivité. Cet état d’esprit de la classe
politique mettant la main sur des fiefs peut être symbolisé par la déclaration
de Florence d’Harcourt offusquée de voir un candidat parachuté dans sa
circonscription :C’est comme si
j’avais trouvé un squatter dans ma chambre à coucher ! dit elle
montrant bien la conception féodale qu’ils ont de la démocratie et qui va tout
à fait dans le sens de ce que j’analyse dans La Pensée Corps. Ce qui
n’empêche pas la possibilité par ailleurs de débattre des dits parachutages
ordonnancés par les appareils des partis…
Hier Dimanche au Musée
de l’Histoire Contemporaine aux Invalides pour une exposition anniversaire des
vingt ans des Evénements de Mai 68. On y voit des affiches, des photographies,
des panneaux explicatifs sur ce qui s’est passé et surtout des films vidéo
émouvants : Les murs ont la parole,
Le brigadier Mikono et La reprise du
travail aux Usines Wonder ainsi qu’un film de propagande de l’UDR avec un
commentaire de Michel Droit.
Dans le film Les murs ont la parole, l’ambiance
d’insurrection de la parole est très présente et peut se résumer par un CA
PARLE. Comme La Pensée Corps elle-même a en exergue Ca pense, jon suis, là CA
DEBAT PAR TOUS LES BOUTS, DE TOUT ET AVEC TOUS. Le film restitue très bien
cette atmosphère évacuée des actualités qui ne présentent que des scènes de manifestations
avec des violences et des bagarres avec la Police. Ce film est gai et tonique,
on y revoit même les gens du Comité des Abbesses où nous étions
nous-mêmes !...
Intense émotion
de reconnaître sans équivoque possible les membres du Comité en question :
le leader qui était ouvrier chez Renault, pour autant qu’on peut
employer ce mot là pour cette époque là. Il animait le groupe avec sa femme,
elle-même ouvrière dans la même firme. On y reconnaissait également, le fils du
teinturier du quartier chez qui on s’était réuni la première fois sans le
connaître, en montant de la rue Lamarck dans laquelle on se parlait. L’étonnant
était qu’il s’agissait exactement des images gravées dans ma mémoire et que j’y
vis ce que je n’avais pas compris sur le coup, à savoir l’aspiration à la
modernité.
Enfin dernier
point, et c’était la cause première de la visite de cette exposition, on avait
appris par mon ancienne partenaire de théâtre, que scandalisés par la
spéculation qu’avait entraînée la vente des fameuses affiches de Mai 68 à
Drouot, les étudiants des Beaux Arts avaient décidés d’en retirer et de les
donner aux gens. On avait trouvé l’idée épatante, étant depuis toujours
partisans de faire abonder l’offre pour couper l’herbe sous le pied du bizness
qui a l’habitude d’organiser la rareté.
On y a donc vu
des Jeunots tirant les affiches, et de loin on s’est réjoui. Mais de près le
modèle choisi pour le retirage ne nous a pas convaincus, parce qu’on ne l’avait
pas vu en Mai 68. Y avait il vraiment existé, mystère ! Il s’agissait
d’une croix de Lorraine vissée dans un crâne. Mais ce qui était encore plus
gênant c’était le coup de tampon au milieu de l’image sur lequel était
inscrit Mai 88, la copie
continue !
Dans la soirée le
malaise s’éclaircit. J’interprète la chose comme une sorte de nécrophilie de la
part de certains Jeunes qui ont déjà tenté de nous faire prendre des vessies
pour des lanternes lors de leur Mouvement de Décembre 1986 qu’ils ont tenté de
nous faire croire aussi important que celui de Mai 68. Dans un premier temps je
me contente de penser que c’est simplement l’habituelle opération de mime qui
continue puisque - c’est en ce moment la norme - mais ensuite en laissant la
pensée se développer, il m’apparaît que cette Croix de Lorraine est un peu un pieu
fiché dans le cœur des vampires pour empêcher que dans leurs retours nocturnes,
ils viennent tourmenter les vivants. Bref, je me demande si sous couvert de
réédition, cette affiche ne serait pas en fait le désir d’en finir
définitivement avec les Idées Soixante-huitardes, projet qui rencontrerait
d’autres idées à l’œuvre dans la société. Ce que confirme un ami qui croit
aussi que cette affiche est fictive.
Dimanche dernier
au soir, je me suis endormie sans même attendre le résultat des Elections,
tellement tout cela est affligeant. La suite de la semaine a été à l’avenant,
les joyeux drilles politiciens continuant leurs manoeuvres et la répartition de
leurs fiefs. Marseille est particulièrement sinistre. L’inattendue victoire de
François Mitterrand apparaît comme un coup d’épée dans l’eau… J’ai dû renoncer
à fréquenter mon cours de gymnastique car cela nécessitait trop d’effort.
Le Quartier des
Halles exhale l’ambiance de la République de Weimar et la situation dans mes
Classes dépasse la fiction. On se sent dans une société totalitaire remplie de
vide apparemment sans idéologie dominante. On voit des individus dont le monde
se borne à leur intérêt propre immédiat, chacun étant seul contre tous. La
notion même de société semble avoir disparu au profit de l’ensemble plus vaste d’une post-humanité mondialisée. Le clivage passe désormais
entre les partisans de la mondialisation et les autarciques.
Je n’écoute plus
ni la Radio ni la Télévision. J’ai rompu avec la vie extérieure politicienne
pour ne pas dire civique, car de civisme
et de cité il n’est plus question.
Une curée plutôt rose et noire tentant de s’arracher les dépouilles d’un grand
corps agonisant en voie de dissolution. On nous présente comme des grandes
nouvelles politiques des accords de détail passés avec un tel ou un tel. Dans
les transports en commun la situation est impraticable à cause de la crasse, la
misère et la pornographie. La vie professionnelle se résume elle-même à une
tentative d’adaptation à l’effondrement. La privatisation et le système
marchand s’applique petit à petit, par déformation minime d’une année sur
l’autre, à l’Education Nationale. Qui donc déjà disait Vient un moment où il n’y a plus de pardon ?
Dimanche,
accident d’avion sur le fameux Air Bus au sujet duquel les pilotes français
tentent encore de s’opposer au pilotage à deux néanmoins déjà mondialisé.
Lundi, un accident de train en Gare de Lyon : soixante morts. Dans un cas
comme dans l’autre, on a l’impression que c’est le manque de conscience
professionnelle à tous les échelons qui produit ce résultat là. Plus rien ne
fonctionne de la simple demande de renseignements, à la photocopieuse locale
mais la conséquence n’est pas immédiatement apparente parce que le travail non
fait, n’intéresse personne. On ne le met pas en relation avec la non
compétitivité de la France et à sa dissolution dans l’Europe.
Mais là, les
morts de ces accidents là matérialisent effectivement l’incurie généralisée.
Personne ni les responsables, ni les journalistes ne cherchent d’ailleurs à
masquer cet aspect de la question. Il y a là un changement de ton significatif
par rapport au précédent Gouvernement. Comme si l’atmosphère était tellement
irrespirable et malsaine qu’on aspirait à ce que le débat s’ouvre enfin.
Le nouveau
Gouvernement crée le malaise avec ses huit pour cent de femmes représentant
pourtant cinquante deux pour cent du Corps Electoral ! L’ouverture va donc
bon train. Y compris avec la tentative d’embaucher quelques Ministres de Droite
par ci par là.
Quant à nommer
Ministre de la Santé, le Docteur Schwartzenberg cancérologue et idéologue
patenté de l’euthanasie à l’initiative du médecin me parait bien hautement
symbolique de cette société du vrai/faux dans lequel nous baignions. Cela fait
froid dans le dos, bien que je m’y attendais, voire même parce que je m’y
attendais. L’évolution de la société va bien dans le sens de la bionomie…
Quant à
promouvoir Alain Decaux, Ministre de la Francophonie c’est bien la
visualisation de l’idée que les dominants se font de notre langue et culture.
La suite des
événements confirme bien cette ambiance d’un genre nouveau. Tous les jours une
nouvelle catastrophe fait apparaître la désinvolture généralisée. Le mépris de l’être
cantonné autrefois à la vie des femmes semble désormais s’étendre à tous.
L’être humain est devenu pléthorique, une matière abondante et sans importance.
Le mensonge n’a plus besoin d’être crédible. Les versions officielles ne font
même plus l’effort d’être cohérentes. Les Juges qui tentent de faire la lumière
sur les affaires sont brutalement dessaisis sans que personne hormis
quelques voix individuelles non significatives n’y trouvent rien à redire.
L’idéologie de l’Entreprise envahit maintenant tous les secteurs de la vie
culturelle.
Schwartzenberg le
Ministre de la Santé a été remercie au bout de neuf jours. Cela fait tout de
même désordre. Même si je n’étais pas d’accord avec les mesures qu’il
préconisait : Dépistage du SIDA chez tous les hospitalisés et les femmes
enceintes, distribution de drogue, carnet de santé avec diagnostic annoncé à
tous les malades…. Cela confirme qu’il mène bien un certain débat sur ce sujet
fondamental...
Quant à la notion
de Société Civile qui vient d’être inventée, elle est inquiétante comme si la Classe Politique déjà établie comme telle se constituait en caste
structurée, voire même en un ordre particulier et inamovible ne supportant pas
de ne pas avoir le monopole de tout. D’aucun n’y voit que la francisation des catégories
socio- professionnelles américaines.
L’indécence
sociale s’affiche de plus en plus nettement : Justice dessaisie, reportage
sur des catastrophes entrecoupées de publicités, émergence de nouveau concept
comme Les thérapies de la pauvreté,
Garden Partie à l’Elysée avec sept mille invités, la Télévision montrant la
ruée sur le buffet… ou la découverte du fait que le chiffre d’affaires du
Minitel Rose atteint à lui seul la moitié du montant de l’impôt sur la Grande
Fortune ! Et dès qu’on sort dans la ville, c’est la paire de claques. On y
croise non seulement ce que Le Monde appelle les mutilés de la
guerre économique et moi Les Indiens, mais désormais carrément des
épaves pas encore clochardisées fouillant déjà ouvertement dans les poubelles
du Quartier latin et cela en plein midi.
Depuis quelques
semaines, c’est la mode des cheveux teints y compris chez les hommes, ce qui
était autrefois très rare. C’est le produit de l’idéologie de la forme, la
jeunesse et la santé qui produit cette nécessité d’un camouflage
anti-sélection. Dans le Rouergue, des vagabonds le long des routes et à Millau
un misérable marché d’occasion de vêtements et de chaussures à des prix
dérisoires. Tout cela fait un drôle d’effet !...
Une agence immobilière
affiche Recherche appartements pour
clientèle sélectionnée…
On a l’impression
d’avoir déjà un trimestre de travail derrière soi alors qu’on n’est rentré que
depuis deux semaines. A pareille époque habituellement, le train professionnel
commence à rouler de façon soulageante. Cette fois, ce n’est pas le cas et on
en est d’autant plus accablé qu’il ne se passe rien de particulier, hormis le
fait que rien ne fonctionne et que cela ne préoccupe pas grand monde.
Croisière en banlieue tandis que je corrige mes copies. A Verrière Le Buisson,
on découvre un bidonville constitué par une agglomération de caravanes et de
cahutes soudées les unes aux autres. C’est la première fois, alors que toute
l’année écoulée mon attention a été attirée sur les embryons de cabanisation que j’avais repérés se
mettant en place entre Paris et Soissons.
Des choses
vues : des graphitages Vive la
mort ! Ne faites jamais rien contre votre
conscience même si l’Etat vous le demande ! A Longjumeau Droit de vote pour les immigrés/Egalité
pour les femmes. Un café ayant nom
Chez trop tard et sur un trottoir du dix-septième arrondissement, la
dénonciation des conditions exorbitantes de location dans l’immeuble en
question.
J’ai également vu
au métro Barbès un homme dormant étendu sur des sacs poubelle rembourrés
d’ordures. Chantalle m’a raconté en avoir vu un faire sa lessive, séchage
compris et ses ablutions dans le bassin de la rue Drouot. Enfin mon ancienne
partenaire de théâtre m’a raconté au Café Le Mazarin sur le coup de Minuit
l’agression d’un groupe d’homosexuels par une cliente, elle même l’ayant
ensuite été parce qu’elle leur avait porté secours… J.J.Hamm s’est fait arrêter
Avenue des Gobelins par quelqu’un qui lui a demandé s’il était français. Enfin mon Collègue P.L. m’a à
la cantine - ouvertement et à froid - fait comprendre que je n’y avais pas ma
place…
Apprenant la
rumeur que le SIDA frapperait par préférence Les Trois H - Homosexuels, Hémophiles, Haïtiens - je m’interroge sur la
signification de cette attaque contre cette fameuse lettre muette dont une
jeune personne de ma connaissance disait enfant qu’elle l’appelait La Conne
parce qu’on ne l’entendait jamais ! Je me demande enfin dans qu’elle mesure le SIDA qui
est en réalité une collection de maladies est réellement définissable….
L’ambiance de
maladrerie prend des proportions folles comme si tous les liens s’organisaient
désormais autour de la production du vivant et de son utilisation. Une nouvelle
économie se met en place celle que je nomme la
bionomie. Les gens semblent se
définir par leur pathologie. Ainsi à la reprise du cours de gymnastique, trois
des femmes m’ont-elles immédiatement informée des leurs. Dans ce cadre, le SIDA
serait alors le lieu de la déclassification
des pathologies dans un univers mental totalement biologique ?
A la Télévision,
la grève d’Antenne 2 depuis hier, porte le fer dans la plaie dévoilant non
seulement le niveau des salaires - Rochot enlevé au Liban gagnant quinze mille
francs et Christine Ockrent cent vingt mille - mais à partir de là, l’ensemble
des problèmes. Il est en effet curieux que cette speakerine à qui on fait un
pont d’or soit par ailleurs la femme de Bernard Kouchner Ministre des causes
humanitaires dans le Gouvernement Rocard. Tout cela laisse apparaître une
classe dominante géonomique,
médiatique et bionomique, bref cybernétique.
C’est ce que je
m’évertue à mettre en ordre mais dans l’Hexagone je n’ai pas d’interlocuteurs
en dehors des visites des Américaines et des conversations familiales. Je suis
comme sans point d’appui, ne sachant pas si La Pensée Corps sera
effectivement éditée, ni quand. Il est difficile d’aller intellectuellement de
l’avant dans ces conditions alors que les idées se bousculent, notamment dans
mes cours avec les Elèves. Je constate qu’en leur exposant les structures du
Capitalisme, là où autrefois je commençais par la propriété des moyens de
production, je me suis trouvée dès le début catapultée dans l’explication de
l’importance de l’audiovisuel et de
la bionomie.
Je commence
d’ailleurs mon enseignement cette année par la projection de trois films
retraçant l’Histoire du Siècle. Je débute même carrément par La Grève
d’Eisenstein, ceci constituant une sorte de nouvelle genèse d’un monde
désormais audiovisuel. A partir de là je suis bien obligée de continuer,
entraînée et tenue entre le réseau intellectuel et littéraire américain qui
d’un côté me tire et de l’autre les Elèves qui me poussent, ne rompant ni avec
les uns ni avec les autres et avançant à mon corps défendant dans la
modernisation.
Je n’arrive plus
à suivre pour me tenir au courant, notamment je ne parviens plus à lire le
journal Le Monde comme je devrais le
faire correctement. J’y arrive d’autant moins qu’on n’y parle pas de ce qui se
passe réellement et qui nous prend à la gorge à toutes les heures de la journée
à savoir la restructuration bio-cybernétique
et l’entrée de la France
dans le sous développement. De façon anecdotique
l’achat de nos fauteuils en bambou en Septembre en est l’expression. Quant aux
Collègues, ils sont partagés entre l’envie de l’aveu enfin nu du fait qu’ils
n’y arrivent plus et le pur et simple déni du débordement.
J’ai affiché dans
la Salle des Professeurs un article du journal Le Monde concernant le
procès de John Moore et deux Collègues m’ont soutenu mordicus que cela
n’apportait rien de nouveau. L’un d’eux m’a même dit tranquillement C’est comme une société, elle peut vendre
ses filiales !… Cela sans voir qu’il s’agit d’un être humain et non d’actions en tant que titre
de propriété.
En classe, quel
que soit le cours, on en revient toujours à la Télévision et à la bionomie. Comme s’il y avait là un
verrou à faire sauter, la Télévision étant les Ecuries d’Augias qu’il faudrait
déjà nettoyer avant d’envisager la résolution des autres problèmes. Je suis
accablée d’aller au Lycée et ne parvient même plus à tenir propre la grande
table centrale de la Salle des Professeurs. Ce qui pourrait se traduire par le
fait que je n’ai plus envie du tout de me sentir concernée par les
insuffisances des Collègues L’heure en est sans doute passée.
Vu un homme
quêtant au milieu des voitures un enfant dans les bras.
Dans les
toilettes du Drugstore Saint Germain, une fille adolescente secoue sa mère en
larmes en lui conseillant d’aller travailler à l’extérieur plutôt que de passer
sa journée à pleurer parce que son mari la délaisse. J’interviens dans la
conversation, disant ce que j’ai à dire. La femme est contente de mon
intervention poélitique – selon le
mot de Madeleine Gagnon - et de mon côté, je me sens mieux. La femme est d’une
grande beauté et je suis stupéfaite de l’entendre me dire que cela fait vingt
ans qu’elle n’a pas eu de relations sexuelles. Je me demande comment c’est
possible et en suis terrifiée. Elle me dit qu’elle a peur des hommes…
A pied de la
Porte Champerret jusqu’au métro Villiers où je prends l’autobus numéro trente
sans doute pour la première fois. Je crois que je suis en train d’abandonner le
métro tellement il est crasseux, mais aussi à cause du miroir social qu’il
représente, la part abandonnée de la société, un monde précolombien. Comme si
utiliser le réseau souterrain m’enfermait dans cette fraction échouée. Voilà
longtemps que dans ma pulsion de fuite ce changement de mode de transport était
en germe.
Je ne supportais
notamment plus dans les couloirs à la station Opéra – correspondance que
j’empruntais régulièrement - la vue de cet homme installé toujours à la même
place dans le couloir et qui s’il était comme nous au début, peut être même du même
groupe social, s’est tout au long de l’année, dégradé sous mes yeux, jusqu’à
devenir un clochard informe. Je n’en pouvais plus de ne pas savoir quoi faire,
aucune des solutions que j’avais pu envisager ne me donnant satisfaction. A
cause de cela j’ai fini par le repousser mentalement car il était le révélateur
de mon insuffisance sociale…. Et quand après le retour des Grandes Vacances, il
était encore là, à la même place exactement et encore plus dégradé, j’ai changé
de moyens de transports. Comme si cette goutte d’eau avait fait déborder le
vase social…
Au Lycée à la
cantine, la conversation roule sur la bionomie, le mariage, les allocations
etc… On sent qu’il y a des interrogations qui pourraient se faire jour. La
maladrerie continue. Chacun parle de ses petits maux quotidiens et tout le
monde de ceux de Madame Duranton, La Directrice qui s’est fait opérer de
l’intestin. Le mot cancer n’est pas prononcé. Pour encourager la bonne santé,
je propose qu’on taxe les maladies au lieu de les rembourser mais cette blague
n’évoque rien pour mes Collègues qui ne comprennent pas vraiment que le statut
de la maladie pourrait être modifié. Pourtant lorsqu’on voit le pouvoir que les
médecins sont en train de s’arroger, on en frémit.
Une Elève de
terminale me parle en classe de bien
humanitaire pour nommer les tissus
fœtaux utilisés pour la recherche médicale. On annonce qu’une Collègue est à
l’hôpital pour trois semaines. Quelqu’un demande si c’est à temps plein, et moi
s’il s’agit du SIDA. On me dit un attention ! sur un ton si sévère que
je comprends bien qu’il n’est pas question de plaisanter...
Sur l’armoire
consacrée aux Langues, un affichage en américain dénonce les conditions
d’enseignement aux Etats Unis. Le titre a été rajouté au feutre par Viviane France/Etats-Unis, même combat !
Bien qu’on ait
l’impression qu’une conversation sur le fond cherche à s’établir, il est
toujours impossible de discuter avec les Collègues du procès de John Moore
consacrant la propriété de l’individu sur son propre corps. Mme Arnaud tranche
froidement qu’on enseigne cela avec le Droit de Propriété après avoir précisé
que le cours doit commencer par les notions générales. Le décalage entre le
déni global du Corps Enseignant et la facilité avec laquelle non seulement les
Elèves comprennent mon discours mais me souffle même la nouvelle problématique,
me stupéfait.
Enfin une
discussion vraie avec un Collègue arrivé dans ce Lycée comme moi en 1975,
discussion dans laquelle il commence à admettre la réalité, à savoir qu’après
s’être servie de nous, la République Française nous laisse pour compte !
Nos diplômes ne signifient plus rien et nous ne faisons pas partie de la Classe
Sociale admise au nouveau banquet. Immigré italien, la façon dont il se dit
bien en France, me crève le cœur. Serait-il rejeté à Gauche, après avoir tenté
de faire carrière et n’y être pas parvenu en raison de ses origines ?
Est-ce sa blessure secrète qui le rapproche de moi ?
Un pot au café en
sortant du Lycée avec deux comparses. La conversation roule sur l’Audiovisuel
et la façon dont il faudrait s’y prendre pour établir la connexion avec
l’Enseignement. Je suis tout de même étonnée de voir à quel point, même la
fraction cultivée et progressiste du Lycée ne comprend pas ce qui se passe, ni
l’ampleur de la fabrique en cours de ce que j’appelle le Grand Corail, celle
qui liquide l’Ecole et notre classe sociale de Lettrés. High-Tea d’une tarte au
fromage. Là c’est la marchande qui entame le débat sur le fond et moi qui
freine pour économiser ma fatigue.
Un mouvement
social a l’air de démarrer. Les Gardiens bloquent les prisons, les Postiers les
Postes, et les trains et les avions le sont déjà depuis la semaine précédente,
ainsi que le Secteur de l’Audiovisuel depuis huit jours complets, ce qui est
énorme pour ce secteur. Les Infirmières s’y mettent aujourd’hui.
A la Télévision,
Yves Montand appuie l’opposition chilienne, après la bataille. Il y a là
quelque chose de presque aussi dégoûtant que ces prétendues informations
constituées presque qu’exclusivement de faits divers, alors que l’agitation se
généralise….
Tentative des
Intégristes Chrétiens de censurer par la violence le film La dernière tentation du Christ. Bombes lacrymogènes et bris de
vitrines sur les Boulevards. Messe de réparation au Sacré-Cœur ! Ca y est
le Chiites locaux sont là, depuis le temps qu’on les voyait venir ! Le
devoir commande d’aller tout de suite voir ce film, mais ce n’est pas ma tasse
de thé!...
Chez le marchand
de journaux à sept heures, la conversation roulait déjà sur les questions de
santé. J’ai mis mon grain de sel et je me suis fait envoyer sur les roses.
Comme la femme me demandait pourquoi j’intervenais, j’ai répondu que c’était Pour défendre la République.
A la Cantine,
l’atmosphère est tendue à cause d’une Collègue au comportement privatif qui
prétend travailler à table pendant le repas. Je fais quelques remarques acides.
A treize heures, le débat vient sur la grève des Infirmières. J’embraie sans me
méfier et me retrouve comme d’habitude face à ceux qui nomment légumes, les malades nerveusement
gravement atteints. Je défends le sacré de la vie et enregistre comme
d’habitude un échec sur ce sujet mais cela est si répétitif que cela finit par
n’avoir plus aucune importance. Je n’espère pas les convaincre mais occupe le
terrain et me rappelle les principes à moi-même, au fur et à mesure que se met
en place une idéologie totalitaire, dans laquelle la mort administrée à
l’Hôpital ne serait non seulement plus un meurtre, mais même à la limite plus
une mort du tout. Un simple acte médical…
Chadli me
reproche d’affirmer ce que je pense ce qui - dit il - empêche les autres de penser. Aussitôt je m’excuse, mais il ne
comprend pas que je me moque de lui.
Au cours de Gymnastique
comme le professeur, au sujet d’un mouvement complexe, nous dit Poussez, les autres femmes et moi même,
c'est-à-dire on embraie sur le
fameux Poussez, injonction récurrente
durant les accouchements et destinée à les faciliter. C’est la première fois
qu’il y a là ce que j’appelle ailleurs un
lavoir, c'est-à-dire une réunion
féminine sur les affaires domestiques pendant le Cours de Gymnastique et qu’il
a trait à la bionomie ambiante. Difficile de savoir s’il
s’agit comme je le sens à l’œuvre par ci par là, d’un débat sur la Procréatique et la Sécurité Sociale, ou
au contraire d’un regret nostalgique de la femme traditionnelle qu’il s’agirait
alors d’exorciser dans des cérémonies cathartiques qui auraient pour but de
rappeler comment les choses se passaient autrefois, avant la Grande Mutation. Serait-ce alors le commencement de la mise en place d’une
nouvelle fête dite Fête des Couches
qui s’instaurerait petit à petit pour permettre de supporter la nouvelle
donne ?
Ambiance tendue
chez Félix Potin où les Caissières en viennent - pour finir - au fatidique Retourne dans ton pays ! S’attirant
aussitôt en réplique le Je suis aussi
française que toi ! A leur tour, les clientes s’excitent contre le
Magasin qui vient d’être racheté alors qu’il était très cher et mal géré. Elles
s’en prennent également à un vigile sur le thème Allez fumer dehors, puisque c’est interdit
aux clients, cela l’est aussi pour le personnel ! Et l’homme de
reprendre en direction d’une femme de mon âge… Vous étiez peut être belle autrefois.. etc… Mon sang ne fait qu’un tour et je reprends à haute voix
pour que tout le magasin entende Mais
Madame est toujours très belle et j’ajoute en me tournant vers le gars et
en le prenant franchement à parti Et qu’est
ce que vous diriez si moi je vous traitais de vieux schnock ? Une
jeunette commente MLF ! J’ajoute
ce qui est la stricte vérité quotidienne Moi,
j’en ai assez de voir les femmes traitées comme cela !
Cette possibilité
de ne rien laisser passer du sexisme ordinaire, je la dois à mes liens avec les
Canadiennes et à la découverte crue de ce que serait la scène si elle
s’adressait à des Noirs au lieu de concerner les Femmes. Par ailleurs
l’ambiance générale de Réaction, au sens propre me rend folle furieuse et il
n’est pas question que selon l’expression consacrée Je rentre puisque c’est
ainsi qu’on nomme traditionnellement le retour à l’ordre établi.
Cette scène est à
rapprocher de celle du Samedi précédent où je me suis fait sortir d’un magasin
avec ma progéniture parce que mon costume et mon attitude n’étaient pas ce
qu’on attendait dans ce lieu là d’une femme de mon âge, exaction à laquelle
j’ai verbalement réagi brutalement.
Je déplore de
n’avoir pas le temps de consigner toutes ses actions ponctuelles, plusieurs
dans la même journée et qui me semblent aussi intéressantes que mon œuvre
écrite, dans le genre de ce qu’on pourrait nommer le Théâtre Social fait de littérature orale. C’est
un lieu poélitique de perpétuelle
création. Je me surprends même à faire aux gens des réflexions que je n’aurais
pas cru possible - trop respectueuse que je suis de l’individualité de chacun -
mais me légitimant aujourd’hui du fait que c’est la Sécurité Sociale qui pour
finir, paie. C’est sans doute un effet de l’émergence d’un nouvel ordre.
Samedi Champerret
Denfert-Rochereau à pied. On peut traverser la ville en restant dans ces
quartiers que je ne sais pas comment qualifier. Mais ce qui est sûr c’est que
Paris éclate en plusieurs villes séparées : La Médina, le Quartier Chinois
et faut il alors parler de Quartiers Blancs ? Trois villes juxtaposées qui
ne communiquent plus. A Beaubourg même - l’aire des loisirs - une fragmentation
de l’espace apparaît avec des zones variables selon les Tribus. Quant au
Septième Arrondissement, il est quadrillé par les Policiers comme s’il
s’agissait de protéger un palais et c’en est accablant. Dans le Dix Septième
Arrondissement dans lequel j’habite, on n’a pas cette impression. C’est un
quartier résidentiel aimable où les familles sont préservées. C’est le lieu des
femmes inactives et des enfants qu’elles élèvent, ainsi que des vieillards. Une
manifestation y est impensable et il n’y a aucun désordre. Les clochards y sont
insolites, mais dans le Septième, ils en seraient chassés.
Paris ressemble
de plus en plus à une ville sud américaine et la classe moyenne disparaissant,
il faut tomber d’un côté ou de l’autre. La course est ainsi engagée entre
l’effort nécessaire pour se maintenir dans l’agrégation du réseau pensant
mondialisé et due à l’âge, la diminution des forces ainsi que la maladie et la
lassitude de la confrontation aux blocages d’une société. C’est dans ce
contexte que se situe l’automne 1988 lors duquel beaucoup de problèmes sont
devenus caducs sans pour autant avoir été résolus.
Un clochard est
venu vers moi me demandant de l’argent et disant Je suis du nord de la Somme, je dors dans un terrain vague et je ne
connais personne à Paris. Je lui ai donné la monnaie que j’avais dans ma
poche, sans un mot. Je ne donne plus qu’à ceux qui me demandent directement et
encore pas toujours, tellement il y en a et tellement c’est intenable !...
Dans l’autobus,
des fraudeurs se font prendre et comme ils refusent de présenter leurs papiers
aux contrôleurs, ceux-ci font arrêter le véhicule devant la Chambre des
Députés. Ils font alors monter deux gardes mobiles avec leurs mitraillettes
collées contre le torse pour demander leurs papiers à des contrevenants qui les
sortent alors de leurs poches sans difficultés. On est terrifié ! Ces
hommes en armes dans un autobus un dimanche après-midi à Paris Rive Gauche
avaient quelque chose d’insoutenable. Plus tragique encore le constat qu’il
avait fallu en arriver là pour que la loi soit respectée et plus insupportable encore
le constat de la docilité de l’homo sapiens fraudeur face à son frère en armes !...Image surréaliste d’un
marteau pilon écrasant une mouche. En tous cas prémonitoire de l’horreur
sociale.
J’arrive en
retard au cinéma pour revoir Le Septième Sceau de Bergman. Je trouve avec beaucoup de mal l’une des toutes
dernières places. Personne ne se lève pour me laisser passer. J’attends debout
mais le code traditionnel ne fonctionne pas. Je dis alors je voudrais passer et avance résolument. Les hommes
se lèvent de mauvaise grâce et je leur lance perfide pendant qu’ils se
déplacent lourdement Je peux bien sûr me
laisser tomber dans vos bras mais je ne suis pas sûre que cela vous plaise
tellement. Je suis stupéfaite de m’entendre dire cela…
Je ne suis pas
plus tôt installée que les voisin(e)s de derrière me tapent sur l’épaule en me
demandant Vous pouvez pas vous baisser un peu ? Et moi
de répondre froidement : Coupez moi
carrément la tête déclenchant quelques rires qui me soulagent. Mais pendant
le début de la projection tout cela m’a quand même tourmentée parce que
finalement ce qu’on me demandait c’était de ne pas avoir ma taille ou bien à
défaut de m’asseoir avachie sur les reins comme on le voit faire à beaucoup
d’autres. Et quel accablement pour bénéficier simplement d’une place assise
dans une salle de cinéma ! Je sens contre moi une menace que je ne
parviens à enrayer que parce que je montre les dents.
Multiplication
des incidents intégristes pour empêcher la projection de La dernière tentation du Christ jusqu’à une bombe incendiaire qui
a détruit un cinéma à Besançon. Tous les soirs depuis Mercredi il y a de la
bagarre. Concernant la question religieuse, c’est une nouveauté. Et à Lille,
durant le week-end, les Skinheads ont tué un clochard…
Par la ville
toujours ces mêmes scènes choquantes de trois à cinq policiers entourant un
seul homme à la peau basanée. Aujourd’hui c’est aux Champs-Elysées, parce que
c’est par là que je passe aujourd’hui.
Sept heures
trente cinq. Dans les couloirs de la station de métro Opéra, l’homme que j’ai
vu au fil des mois devenir clochard est toujours à la même place. Il est devenu
fou. Il dodeline de la tête en faisant des grimaces. J’avais déjà dû changer
d’itinéraire incapable de passer devant lui sans le regarder ou m’épuiser à
faire la charité dans le tonneau des Danaïdes. J’aurais pu bien sûr le relever
et l’installer chez moi où il aurait tenu la maison pour le prix de sa
nourriture. Cela aurait été un acte de chrétienne et j’en suis incapable. De
toute façon, le film de Luis Bunuel, Viridiana
a déjà fait avec pertinence, le tour de cette question.
Huit heures
vingt. Une Collègue a quasiment approprié la petite Salle des Professeurs
attenante à la grande en nous fermant brutalement, bruyamment et ostensiblement
la porte au nez, comme s’il s’agissait du bureau d’un personnage important face
à une piétaille l’admirant respectueusement. J’accuse le coup et affiche un
petit panonceau Privé !
Dans un monde
absurde, il faut pratiquer le sacerdoce de fonction. Enseigner absolument.
Folie généralisée
à la Cantine. Si on écoute ce que les Collègues disent, on est terrifié.
Finalement leur vrai problème est que les frais fixes d’un cabinet comptable
sont trop élevés pour qu’ils puissent le cumuler avec un emploi de professeur,
la dite charge ne permettant pas alors de traiter assez de dossiers pour
répartir convenablement les frais en question. Bref, de leur point de vue, il
est scandaleux qu’on ne puisse pas cumuler deux emplois à plein temps. C’est à
cela qu’on voit qu’il y a encore un petit peu de marge avec les pays sous
développés dans lequel cela se fait sans que personne ne s’en offusque parce
qu’il n’est pas exigé qu’on y soit présent !...
Et comme ils
parlent de l’un des leurs qui veut quitter l’Enseignement parce que vraiment ce
n’est pas possible, je dis Qu’il foute le
camp! Quand ils seront tous partis, on pourra commencer à perler des vrais
problèmes. J’enchaîne sur le thème de l’improductivité globale du système
scolaire. Et en insistant je demande : Qu’est-ce
qu’ils apprennent réellement en quinze ans d’école ? Et Bolo à cette
réponse étonnante : Ils ne sont pas
là pour apprendre mais pour savoir faire ! Fermer le ban !...
Ce matin
photographie de la classe à laquelle je me suis forcée à aller, pour que les
Elèves ne croient pas que je me désintéresse d’eux. Et comme je demande au
photographe à quel endroit je dois me placer, il me répond négligemment Où il restera de la place. On ne peut
pas mieux dire en quelle haute estime on tient le Corps Enseignant qu’on
faisait autrefois asseoir à la place centrale, les deux places d’honneur étant
de part et d’autre à ses côtés. Je n’ai pas aimé non plus la façon dont il
tutoyait les Elèves qui dans la foulée se sont mis aussi à me tutoyer. J’ai dû
y mettre un coup d’arrêt
Renault commence
une grève aujourd’hui. Celle des Gardiens de prisons s’étend, ainsi que celle
des Infirmières, mais toujours rien chez les Enseignants. Le couvercle est bien
vissé sur la société car bien que les moyens de diffusion n’aient jamais été
aussi puissants, jamais le black out n’a été aussi total. Rien ne passe de la
réalité. Cette impression s’étend aussi aux inondations de Nîmes dont on
comprend qu’on ne nous dit pas ce qui conviendrait.
Dans les
boutiques, c’est intenable. Dans une boulangerie j’entends une femme qui
raconte Pour nous la réunion, c’était de
nous demander qui voulait être licencié ! Ce propos me crève le cœur
et j’interviens sur le thème de la possibilité et la nécessité de se défendre,
de la situation qui n’est pas possible, en faisant un peu d’agit-prop sur le
terrain comme j’en ai l’habitude depuis des années. La serveuse embraie, mais
malheureusement l’entrée d’un homme fait tourner court la conversation entre
les Femmes car je prends peur. Il me semble aussi qu’au Lycée quelque chose
démarre entre elles, même si cela prend des allures domestiques. J’ai
d’ailleurs vu pour la première fois dans la Salle des Professeurs des journaux
de tricot.
Je poursuis mes
efforts pour faire comprendre à mes Collègues ce qui se passe dans le domaine
de la bionomie et rend caducs nos
habituels cadres de pensée, notamment en ce qui concerne les conceptions
juridiques de la personne humaine telle que nous la connaissons. J’en discute à
la Cantine avec un Professeur ayant prétendument une formation juridique. Il
soutient que c’est aux banques de données
de nous fournir une réponse mais que le Lycée n’en ayant pas, on n’est pas
obligé de se tenir au courant puisque l’Education Nationale n’a pas donné
d’argent. Je reste confondue d’une pareille bêtise !
D’autres
Collègues femmes affectueuses et généreuses me semblent en pleine crise
nerveuse et tentent de se raccrocher à moi, sans qu’on puisse pour autant parler.
Elles n’entendent pas ce qu’on dit. Je me souviens de l’analyse qui prenait
comme critère de la folie le fait de s’ennuyer en écoutant quelqu’un. Sans
doute parce qu’on sait qu’il n’y aura pas d’échange.
Dans la Rue
Laugier, parallèle à la mienne, un Policier met des contraventions aux voitures
garées à cheval sur les trottoirs, le mal étant chronique. Il m’est même arrivé
de dire aux conducteurs Garez vous
carrément sur le trottoir, comme cela on pourra marcher dans la rue ! Sans
qu’ils semblent comprendre l’humour noir du projet… J’encourage donc vivement
le gardien de la paix à poursuivre son action, et même à l’intensifier.
Mais il est
complètement désabusé, sinon déprimé et il me dit Mais ce sont des « Gros » ! Ils ne paient jamais !
Quand je leur en mets qu’est ce que je me fais engueuler le lendemain !
Vous n’avez pas remarqué, ce sont toujours les mêmes… Vous vos contraventions
vous les payez ?... J’abonde dans son sens constatant qu’il faisait
lui aussi comme moi de l’agit-prop à sa façon et je lui dis : Pourquoi vous ne vous appuyez pas sur les
Citoyens ? Ils sont peut être les plus Gros mais nous, on est les plus
nombreux !... Les Citoyens vous soutiennent. Ceci me parait être un
signe des temps.
La planète me
parait être engagée dans une crise majeure. Les nationalités explosent en Union
Soviétique et en Yougoslavie. Des émeutes en Algérie. Il y deux ou trois ans
mon voisin en était revenu médusé par le poids démographique de la Jeunesse,
dont il avait prédit que cela engendrerait des bouleversements, sans savoir
exactement lesquels, occidentalisation ou intégrisme. Les manipulations
génétiques vont bon train.
Le Comité
d’Ethique vient de donner son accord pour les pratiquer sur des malades même
pas dans un but thérapeutique mais simplement dans une perspective
d’augmentation des connaissances ! Tout cela est présenté à la Télévision
à grand renfort de propagande et je n’entends guère de voix s’élever en dehors
de celle du Pape. On peut déplorer qu’il soit le seul mais c’est un fait !
A des amis canadiens qui s’étonnent que mon livre Le Cercan n’ait eu
aucune critique, je suis stupéfaite de m’entendre répondre avec violence que
cela ne m’étonnait pas, que j’avais d’abord cru écrire un essai sur la maladie cancéreuse
avant de découvrir qu’il s’agissait en fait d’un livre politique. Je n’ai pas
osé employer le mot insurrection, or
c’est pourtant ce que je pense.
Finalement j’en
arrive à remplacer l’expression d’Economie Politique par la Géonomie Biolitique. Dans une planète géonomisée
le nouveau politique c’est le biolitique.
Je ne vois personne philosopher dans ces termes et cela me met mal à l’aise. Je
ne parle pas de mon réseau américain mais le dualisme entre mes activités
intellectuelles au sein de cette mouvance
transatlantique et une société
française sclérosée dans laquelle le Monde des Lettres lui-même semble avoir
comme fonction d’empêcher toute circulation d’idées, a quelque chose
d’intenable. De ne pouvoir parler à personne de cet essentiel en dehors de mes
tout proches, rend pour moi toute autre conversation idiote, odieuse et
absurde.
Désagrégation de
la société française à un rythme assez lent mais il naît deux ou trois conflits
sociaux pendant que le Gouvernement en règle un. Le même nous explique qu’il
faut se sacrifier dans la Fonction Publique. Ce cynisme politique a quelque
chose d’obscène. Les laissés pour compte sont désormais Les Travailleurs de l’Humain
à qui on demande d’accepter de mourir comme l’idée de la personne humaine
elle-même apparaît caduque.
Le SNES, syndicat
enseignant majoritaire a lancé un mot d’ordre de grève. C’est du moins ce qu’en
dit la Télévision. Samedi on nous présente cela comme une décision ferme mais
aujourd’hui Lundi cela n’apparaît plus que comme une simple menace. C’est
l’information manipulatrice, démoralisante et en fin de compte, humiliante sans
compter la censure. Mais dans le même temps, si je trouve les revendications
salariales inopérantes et déplacées, le mépris dans lequel est
tenu le Service Public et ses salariés, me paraît insupportable.
En Algérie,
tueries de manifestants de la faim, intégristes et affamés. Explosion également
de ceux de Paris. Je téléphone à l’Ambassade d’Algérie sur le thème des
familles de mes Elèves. L’employé me répond qu’eux-mêmes à l’Ambassade sont
tous inquiets. Et quand je lui demande de dire à l’Ambassadeur d’Algérie que je
souhaite qu’il intervienne auprès de son Gouvernement pour faire cesser ces
massacres, il me répond Mais bien sûr que
l’Ambassadeur fait tout ce qu’il peut pour faire cesser ça ! …
Hier au Lycée, la
journée a été apparemment sans aucun incident mais en fait un cauchemar
totalitaire continu si bien huilé qu’il n’en apparaît même plus. Dès mon
arrivée à sept heures cinquante, j’ai affiché un papier sur lequel j’avais
écris : Si vous voulez protester
contre les tueries, écrivez ou téléphonez à l’Ambassadeur d’Algérie suivi
de l’adresse et du numéro de téléphone adéquat. Et j’ai signé.
Personne n’a rien
dit ni de près, ni de loin qui y fasse allusion. Quand on pense qu’il y a eu
cinq cents morts, on est terrifié. Dans le même temps dans mes Classes, j’en ai
parlé à propos d’une question ou d’une autre. Quoi qu’il se passe on retrouve
donc cette dichotomie : Des Collègues sclérosés et une jeunesse en
mouvement comme deux mondes qui n’ont plus de fonctionnement commun, hormis la
délivrance de diplômes qui sont devenus des formalités administratives avec
quota minimum mais ne sanctionnent plus aucun savoir, sans même parler de
culture.
A la Récréation,
les Collègues échangent frénétiquement des conseils de tricot et de projets de
prêt ou d’achat d’aiguilles de certains numéros. Il est surtout question du
cinq. J’essaie en vain d’imaginer de quelle taille il s’agit.
En 2eTSC1
je fais de fait le même cours à chaque fois. Les Elèves n’ont rien appris ni
rien retenu du cours précédent en dépit d’une intelligence certaine. Mais ils
refusent la réalité, enfermés dans ce que Freud appelle le principe de plaisir.
En 1eTSC2,
ils sont gentils mais à aucun moment ils n’ont l’idée qu’ils pourraient
effectivement chercher la réponse à la question que je pose. Cela glisse
complètement sur eux. L’idée même de l’enseignement semble avoir disparu. Et
pourtant ils écoutent et notent. Mais il s’agit d’autre chose, une sorte de
branchement cybernétique dont je n’ai pas encore analysé la matière, de l’ordre
de biberonner et de la drogue.
En Terminale, je
m’escrime sur Les Structures du Capitalisme ! En
dépit de leur bonne volonté, de mes efforts pour simplifier et pour être drôle,
le sujet leur passe au-dessus de la tête et cela en est pathétique. Il n’y a
plus le chahut et l’épouvantable climat qu’il y avait autrefois. Ils sont
appliqués et savent des choses mais il n’est pas question d’obtenir une
opération de réflexion.
Le gros titre du
journal Le Monde annonçant enfin le vote hier du principe du Revenu
Minimum : Le RMI sera versé dès
Février ! Ce dès me laisse
pantoise. On en imagine toute la portée pour ceux de plus en plus nombreux qui
mangent ouvertement dans les poubelles. Tout se tient décidemment dans la
langue. On mesure toute la différence qu’il y a entre dès Février et Pas avant
Février. Surtout en ce qui concerne
les mois les plus terribles, Novembre, Décembre et Janvier. L’envie me prend
d’écrire à Michel Rocard ou au Directeur du Monde.
Mercredi encore,
le Collègue Rouhet a cherché à justifier la position du Gouvernement concernant
l’Algérie à savoir qu’il ne
condamnait pas la répression alors que pour le moindre Pinochet ou
Jaruzelski, il verse habituellement une larme de crocodile symbolique en
rappelant Les Droits de l’Homme, ce qui n’a bien sûr aucun effet
mais tient lieu de formule de politesse équivalent au Mes condoléances qu’on dit traditionnellement aux enterrements, en
serrant la main à la famille. Je suis scandalisée de cette prise de position Nous ne condamnons pas la
répression !... On croit rêver, il s’agit quand même de cinq cents
morts !
Mercredi encore
la conversation des Collègues roule sur le prix des lampes halogènes et des
tuyaux pour les avoir moins chères. NB demande naïvement C’est quoi les lampes
halogènes et moi de lui dire un Fais semblant
qui jette un froid. Arrivée du nouveau Professeur de Philosophie qui avec
Francine, Professeur de Lettres embraient sur le faire semblant de faire cours et
le dormeur éveillé se rêvant en train de faire cours. Le décalage entre la
sinistre réalité et leur cynisme absurde m’a été insupportable et j’ai explosé
sur le thème du Vous feriez peut être bien
de leur apprendre quelque chose. Et là FP superbe, déclare Croire qu’on peut leur apprendre quelque
chose, c’est de la paranoïa. Rageuse alors je leur explique que la veille,
je leur ai enseigné le sens de l’expression Par
l’intermédiaire de et de Grâce à
ce qui somme toute n’était pas si mal…
Vendredi dans
l’autobus Trente, comme j’écrivais ce carnet, un homme dans nos âges s’assoie à
côté de moi avec un sac de voyage et louchant ostensiblement sur ma feuille
engage la conversation sur le thème Ecrire
dans les Transports, je ne pourrais pas ! Et je lui réponds que j’ai
tellement de travail que c’est cela ou rien ! Il me demande alors ce que
je fais et je précise que je suis Professeure, sans parler du reste. Nous nous
exposons l’un à l’autre nos conditions de travail.
Il est cameraman
à TDF et il se plaint de tourner pour les émissions Avis de recherches et Champs-Elysées. Je lui
dis aussi que j’utilise pour mes cours les films de la Télévision mais
qu’actuellement il n’y a plus rien et que c’est le cœur de tout. De son côté il
me dit Je prends l’autobus pour rester en
surface… dans le métro ce n’est plus possible, leurs têtes !... J’en
reste pantoise. Je ne lui ai pas soufflé mais son itinéraire était exactement
le mien et le dualisme lui aussi le séparait du souterrain. Le clivage entre
les salariés du métropolitain et ceux de la surface, est-ce Métropolis ?
La grève des
Infirmières continue de plus belle. Elles se sont affublées
de grandes cornettes comme celles qu’on voyait autrefois aux Sœurs de Saint
Vincent de Paul…. Cela fait un drôle d’effet.
Week-end de
pause. J’observe que l’activité se suspend de plus en plus en fin de semaine au
fil des années.
Samedi à la
Pyramide du Louvre qui a ouvert la veille. L’après-midi est radieuse car dans
le même temps on inaugure le nouveau tronçon de RER qu’on prend à Pereire pour
descendre devant le Musée d’Orsay… Cette vieille baderne de gare qu’il fut si
longtemps question de démolir… On mesure à quel point la ville a changé en
bien. Elle est en passe de devenir une ville superbe. Il n’y a qu’un hic, les
tarifs des logements sont à la limite de ne plus pouvoir s’y maintenir. Autour
de la Pyramide du Louvre, les citadins émus se sont rués pour admirer, ils font
le tour, jaugent, jugent, penchant la tête exactement comme aurait pu les
représenter Daumier dans le geste millénaire des co-urbains signant par cette
démarche commune, leur co-citadinité.
L’actualité des
médias, c’est la phrase du Ministre du Budget Charasse qui a dit au sujet des
trafiquants de drogue On va les leur
faire bouffer ! Ils parlaient des couilles
(sic)… Etonnant tout de même alors que le pays est en proie au chaos social
des grèves dans le Secteur Public et chez Renault. Le décalage est hallucinant.
Il ne s’agit même plus d’une Classe Politique coupée du Peuple mais de deux
sociétés qui n’ont plus de communication. L’expression nouvelle de Société Civile exprime t-elle l’idée d’une Nation veuve d’un Etat ?
Dans Le Monde de Samedi, une pleine page sur L’Affaire…. Celle de ce qu’a dit Charasse…
Dans le même
temps à la Télévision, la fameuse dictée de l’animateur Bernard Pivot est faite
dans les Anciennes Colonies et autres lieu de la Francophonie. En vingt ans
rien n’a évolué d’une situation qui déjà en 1970 paraissait archaïque !
A noter à propos
du Ministre Charasse, le fait que la presse a fait semblant de croire elle-même
et a tenté de faire croire qu’il avait dit On
va LA leur faire bouffer en parlant de la drogue. Personne n’a relevé la
modification qui me paraît plus intéressante que l’affaire elle-même, ou plutôt pour moi, l’affaire serait là. Pourquoi alors qu’en passant plusieurs fois la
bande, on entendait très clairement le terme LES ? Aucun des commentateurs ne s’est aventuré à commenter…
Quant à la minute féministe elle pousserait à dire que les
Hommes ont entre eux parfois une bien curieuse façon
d’envisager le règlement de leur problème…
Graffiti Rue
Boissière, en gros sur un immeuble sans plaque, genre siège social Ici record des pompes à fric !
Place
Denfert-Rochereau, sur un monument quelqu’un a écrit Malik 22 ans (assassiné
en Décembre 1986 par les Escadrons de la
mort).
Dans le métro
bondé, depuis la rame dans laquelle je suis en station, j’ai vu sur l’autre
quai mon ancien excellent Elève Inizan que j’aimais tant. Je lui ai envoyé un
baiser.
Ces vérités qui
socialement parlant ne peuvent plus être dites d’abord parce que c’est devenu
inutile mais aussi parce qu’elles ne sont pas comprises. Non pas que les gens
ne veuillent pas se remettre en cause ou en entendre parler comme c’était le
cas autrefois, mais elles sont devenues incompréhensibles. L’Etat, le Public,
le Politique n’ont plus de sens. La mondialisation n’en a plus pour eux si la
France n’y est pas en position de leader dans une représentation coloniale.
Quant à l’éradication de l’humain qui est pourtant en cours, ils n’entrevoient
même pas de quoi il est question… On est tellement amené à parler à côté de la
réalité qu’on a plutôt envie d’y renoncer et pourtant la Grève Générale de la
Fonction Publique montre bien la complète lassitude des serviteurs d’un Etat
qui n’en peuvent mais.
Graphitage Cet emplacement n’est pas un WC pour chiens.
En Terminale G1
comme je demande ce qu’est un médiateur
on me répond que c’est quelqu’un qui passe bien à la Télévision. Passé le
premier choc, cela contient une part de vérité, du moins de la nouvelle réalité
cybernétique. La Télévision en est bien effectivement le Centre.
Par ailleurs les
Elèves font pression sur les Professeurs pour qu’ils se mettent en grève sur le
thème Il n’y a que vous qui venez… Ne
venez pas... On ne va pas venir pour deux heures... Etc
Comme
habituellement je ne prends pas les Elèves en retard, hier en raison de la
grève ils hésitaient à entrer dans la classe. J’avais donc écris sur la porte
WELCOME. Certains l’ont bien compris mais pas les autres. Dans l’après-midi
certains avaient ajouté FOR THE PLEASURE OF DOME. Mon sang n’a fait qu’un tour
dans la mesure où je ne comprenais pas le sens de ce qui était écrit sur MA
porte. Je me renseigne auprès du dictionnaire qui parle du haut du ciel, d’un
bâtiment, et du crâne pour les chauves. Consultée l’Assistante Anglaise me
donne la clé. DOME signifie alors le paradis auquel on accède en fumant. On
pourrait alors traduire BIENVENU AU NIRVANA et prendre cela pour un compliment
dans la mesure où l’aspect drogue n’a jamais été ni de près ni de loin une des
problématiques du cours…
Une mère d’Elève
accompagnant son fils se fait mettre dehors par le Censeur qui se lamente de
devoir refuser les Elèves. Elle nous appelle à l’aide et nous lui proposons de
mettre complet sur la porte. La mère
finit par lâcher Vous n’êtes pas humaine
et se plaint de n’avoir pas été informée de la nécessité de s’adresser en
premier au Rectorat.
Le débat s’engage
sur la grève du vingt Octobre. La tendance globale est de ne pas la faire
puisque s’il y a des augmentations de salaires, on en bénéficiera de toute
façon. Une Collègue se déchaîne comme jamais en treize ans que je la connais.
Francine me reproche de manquer de modestie - ce qui est vrai - mais en
l’occurrence le son de cloche général de toutes ces Femmes est un discours de
maintien de l’ordre, de soumission et de néant.
J’explose
d’autant plus qu’elle m’avait déjà dit l’an dernier Je ne sais pas si tu es la mieux qualifiée pour enseigner la culture
et lui expose ma situation réelle affirmant qu’il n’est pas question que je me
laisse emmerder. Tout cela m’apparaît comme un commencement de guerre ouverte
entre les Intellectuels qui n’ont pas démissionné de leur culture et les
autres Collègues entre guillemets….
Jeudi encore un
incident en ville. Une boutiquière me moleste gravement physiquement croyant
que je lui ai volé quelque chose, alors qu’il ne s’agissait que de mon mini sac
à main protégé à l’intérieur de mon manteau. Je suis traumatisée par cette
violence sociale dans laquelle chacun s’arroge maintenant le droit de porter la
main sur le corps et les affaires d’autrui.
Vendredi au Lycée
une ambiance intenable. NB développe des thèses sur l’inégalité d’intelligence
des Elèves. Je me sens obligée de protester tout en me sentant piégée et
instrumentalisée pour faire croire à un débat qui en réalité n’existe pas.
Cette impression continue comme je suis prise dans la nasse des revendications
du lumpen-professorat qui proteste contre ses conditions de travail.
J’en arrive à
mettre les pieds dans le plat concernant la question taboue des diplômes, car
depuis quelques jours on commence à sentir monter l’aigreur des Professeurs de
l’ancien modèle (dans mon genre) détenteurs des diplômes tels qu’ils étaient il
y a vingt ans c'est-à-dire sanctionnant une instruction réelle. Le lumpen au contraire n’a été titularisé
qu’en raison du manque de Professeurs et sans qualification réelle, ni même
parfois de diplôme effectif. Ils jalousent l’ancienneté de notre aristocratie
professorale.
La violence du
discours s’installe et on exige de moi une solidarité professorale à laquelle
je me suis refusée en déclarant brutalement que je n’étais en rien liée à tout
ce marasme que je n’avais jamais cessé de combattre et que je ne me sentais
solidaire que de ceux qui partageaient les mêmes valeurs que moi. Tout cela a
jeté un froid et je me suis sentie très mal et très tendue ce qui est rare chez
moi, au point même de ne pas pouvoir travailler correctement.
Depuis quelques
semaines déjà, les Intégristes Catholiques empêchent la diffusion de deux films
Une affaire de femme de Claude
Chabrol et La dernière tentation du
Christ de Scorcèse. Il y a déjà eu un mort il y a quinze jours. On voit à
la Télévision ce matin un exploitant raconter qu’hier soir son cinéma Le Saint
Michel a été incendié en faisant dix
blessés. On se décide à aller le soutenir. Quelqu’un fait des photos ce que l’exploitant
prend plutôt mal et que je mets sur le compte du traumatisme, comme après un
viol, on ne souhaite pas ébruiter l’affaire pour ne pas aggraver l’effraction
subie. Je lui explique mon interprétation. L’entrée du cinéma est calcinée et
offre un spectacle de totalement brûlé qui renvoie à la notion d’Holocauste -
dont c’est le sens - et au Nazisme.
On éprouve de la
rage, de l’humiliation et de la révolte ainsi que la compréhension qu’il se
passe quelque chose de très grave, car après tout c’est bien ainsi que les
Sections d’Assaut ont commencé. La conviction qu’il faudrait aller voir le film
pour le soutenir et en même l’absence de courage - non pas par lâcheté - mais
parce que j’en ai déjà beaucoup fait dans d’autres domaines d’une égale urgence.
Dimanche tout de même la réaction du Ministre de l’Intérieur Joxe, furieux, de
la Gauche et de la Société des Réalisateurs qui appellent à une manifestation
Lundi.
A Soissons sur un
mur, ce graphitage Mort aux Jui… Que pensez
de ces points de suspension. Peut-être ont-ils seulement été interrompus dans
leur action.
Je retrouve une
connaissance à la manifestation Place Saint Michel. Mon ancienne partenaire de
théâtre ne peut pas y aller car elle répète un spectacle. Je suis choquée de
cet ordre de priorité dans la mesure où moi même j’aurais bien besoin aussi de
préserver mon confort à la veille de mon départ pour le Canada. Plus
démoralisant encore, le peu de monde. Devant la fontaine, le terre-plein n’est
même pas rempli. Il n’y a aucune personnalité germanopratine et les discours
sont sans intérêt. Ils font référence à l’Inquisition, ce qui ne me paraît pas
juste. Le meeting est rapidement expédié, un peu trop même à mon goût comme si
ce rassemblement était contraint et forcé et qu’on n’ait pas eu vraiment envie
de le tenir.
La conversation
s’engage entre les manifestants qui sont plutôt des athées militants qui font
mouvement vers Saint Nicolas du Chardonnet - la base militaire cléricale - mais
se heurte à un cordon de policiers et doivent emprunter les petites rues de la
Huchette et de Saint-Séverin. Il y a quelque chose de saisissant dans ce
groupe, cette meute de jeunes et de moins jeunes slalomant au pas de charge
entre les terrasses de restaurants, les queues devant les installations et les
badauds pour donner brutalement à ce quartier de la douceur de vivre, des
loisirs et de la mémoire étudiante intellectuelle et contestatrice, un air
d’échauffourées soixante-huitarde.
On se retrouve
environ deux cents devant Saint Nicolas avec des slogans sans conviction Le fascisme ne passera pas ou Hitler on t’a eu, Le Pen on t’aura. Plus
étonnant, au cordon policier qui protégeait l’Eglise et la Salle de la
Mutualité dans laquelle avait lieu un meeting socialiste sur la nouvelle
Calédonie et sur invitation CRS au
cinéma ! Un peu démoralisés de tout ça, on va dîner au restaurant Le
Khalife.
Ce qui ressort de
tout cela, c’est que l’idée même de laïcité est en voie de disparition, ce qui
m’apparaît être une des conséquences de l’effacement de l’Etat. J’ai
l’impression que ces regroupements religieux sont de la même veine que les
regroupements ethniques des ensembles culturels qui forment de nouvelles
entités au sein d’une Economie Monde homogénéisant l’Economie et la Technique.
Mes tentatives d’agitation ont tourné court, car si les gars qui étaient là
étaient bien d’accord pour défendre la liberté d’expression, ils ne l’étaient
pas pour que moi-même j’en bénéficie…
Au Lycée,
indifférence tranquille des Collègues à qui cette affaire n’apparaît pas
prioritaire. Au mieux ils déplorent mais ne se sentent pas concernés sans
compter la voix qui rappelle la nécessité de la Censure à partir du moment où
les gens ne s’autocensurent pas eux-mêmes….
Retour du Canada.
Trois jours entre le marasme et le sommeil. Bonheur de renouer avec les
processus de récupération, la santé même, le maintien de l’équilibre.
Je commence à en
avoir assez de leurs histoires d’argent et affiche mon bulletin de paie sur la
porte de mon casier…. Un professeur de mathématiques PL passant dans
l’Enseignement Supérieur, ce qui est désormais rarissime comme promotion, les
Collègues s’agglutinent autour de lui en lui faisant une cour d’Enfer, comme
des mouches autour d’une tartine de confiture. Sans doute s’imaginent-ils
qu’une fois en place, il va leur faire la courte échelle ! Il y a quelque
chose de répugnant dans cette ambiance sociale. Il ne s’agit plus - comme ces
dernières années - de cynisme et d’affaires en tous genres, mais de surcroît
ces derniers temps de veulerie, de totalitarisme et de chasse à tout ce qui vit
encore…
Je n’arrive pas
toujours à esquiver et finis même par leur dire A quel point ils me font dégueuler et que revaloriser la merde, je n’en
vois pas l’intérêt ! Je vais même jusqu’à leur dire que je suis leur ennemi politique et mille
autres choses plus désagréables encore, tentant toujours d’établir une certaine
distance entre eux et moi. C’est sans succès car ils veulent absolument
m’absorber dans leur magma. C’est une sorte de totalitarisme doux dans lequel
il faudrait que je dise la même chose qu’eux.
Je ne suis ni
contre ni pour le mouvement en cours mais HORS. Cela se passe dans un lieu que
je sais déjà caduc dans une France qui se laisse mourir et même se suicide dans
une sorte de folie généralisée. Les journaux - même imprimés - ne sont pas
distribués et cela fait un effet glacial. Privée de ses structures, il faut
produire soi même sa culture et la tirer de soi.
J’achète des
santons Place Saint Sulpice. Les prix ont augmenté grâce à une manoeuvre de
changement de catégorie. Je proteste violemment mais achète quand même bien
décidée à me constituer une collection complète de toutes les activités
disparues. J’en ai actuellement vingt quatre, soit pour plus de mille Francs.
Cette année j’ai acheté le vitrier, le cordonnier, le mineur en pensant à une
jeune femme de ma connaissance installée à Lille et même le clochard à pensant
à la société toute entière. Ces santons sont devenus pour moi des Dieux Lares,
des représentations d’Ancêtres. D’une certaine façon, ils le sont.
Le bazar social,
cela suffit. Il faut maintenant que cela s’arrête, ou bien que cela
explose !...
Cela doit être aussi
l’opinion du Gouvernement qui envoie la Police contre les garages des
PTT tout en affirmant que non, elle n’est pas intervenue, se contentant
d’être présente, tandis que les camions étaient débloqués par les cadres de la
Poste. Cette duplicité du langage est typique de la situation actuelle et à
tous les niveaux. La notion de mensonge ne convient pas, tant le contact est
coupé avec la réalité.
Comme si après
avoir pendant de longs mois, travaillé du chapeau, le pays était maintenant
devenu psychotique. On mesure le résultat des lâchetés accumulées depuis 1982,
ce que les médias appellent la confusion. Quant à s’imaginer que le
travail va reprendre efficacement, c’est mal connaître le monde du travail. On
s’enfonce en fait dans un monde à la Soviétique.
Je suis excédée
par le refus des Elèves d’apprendre quoi que ce soit et décide de ne pas
corriger les copies au-delà de la première question, s’il n’y obtiennent pas au
moins la moitié des points car elle ne concerne que des définitions
élémentaires. Quant à leur galimatias, il n’exprime que l’idée de faire de
l’argent avec le moins d’effort possible et appelle de ma part l’écriture de
cette appréciation La correction de cette
copie du capital humain n’est pas rentable. Il ne tire aucun profit de mon flux
pédagogique. Ce faisant je ne fais que leur appliquer leur propre logique,
et j’en éprouve le soulagement de l’assainissement.
Trois garçons de
2TSC1 me tiennent le discours habituel ….vous
êtes excessive etc…Ils sont du genre de ceux qui interdisent les femmes de
parole. Je les remets en place d’un Le
discours que vous me tenez, même les hommes qui sont mes égaux ne me le
tiendraient pas, alors vous pensez si je vais les accepter de jeunes
hommes !...
Je refuse de
quitter la Salle des Professeurs pour aller prendre un café à l’extérieur avec
mon amie. Cela me pèse de plus en plus au fur et à mesure que la situation
politique se tend et que la lutte se durcit, alors qu’elle ne bouge même pas le
petit doigt ne serait-ce qu’en participant à une discussion publique sur les
problèmes sociaux.
Ma Collègue
d’Italien Mademoiselle D traite Canal de la Toussaint de charabia et se
dit blessée que j’écrive des choses qu’elle ne comprenne pas… Je m’en excuse
ironiquement ce qu’elle saisit encore moins. Je lui explique alors qu’elle a la
position du Réalisme Socialiste, qu’en art, cela ne mène à
rien et que de mon côté je ne suis pas blessée de ne pas pouvoir lire Deleuze
étant du coup obligée de demander à une amie de m’en faire un résumé. Elle
reprend alors Mais moi je n’ai personne à
qui demander !... Je ne peux retenir la flèche du Parthe Mais moi je suis dans un milieu
cultivé !... Ce qui finalement est vrai et verbalise toute une partie
de mes difficultés au Lycée car je n’ai pas de mon côté renoncé à la Culture.
La conversation s’envenime évidemment et je finis par dire que Les Artistes, les Intellectuels, les Juifs,
et les Noirs... on sait où cela mène quand on s’en prend à eux et que cela pue
le fascisme.
Bonheur avec ma
classe de 2TSC2. Dans l’escalier montant vers eux, la phrase qui me vient,
c’est Bonjour mes chéris.
Je suis avec mon
amie plus fermée que jamais, et lui explique que j’ai physiquement besoin
d’être avec les Collègues parce que quelque chose est en train d’advenir, que
je suis dans ce corps qui accouche ressentant chacune de ses contractions. Les
conflits n’en sont que les convulsions. C’est sans doute ce que j’expliquais à
Jennifer lorsque je lui disais qu’en France on s’engueule comme dans les Pays
Arabes on marchande et que le refuser équivalait à s’exclure de la Communauté.
C’est en fait un moyen d’éviter le repli individualiste.
Elle le comprend
mais son indifférence par rapport à ce qui se passe me choque. Elle dit n’avoir
plus aucun langage commun avec nos Collègues et cela me parait inquiétant soit
qu’on l’analyse en termes de mépris dû à un sentiment de supériorité ou à une
asocialité de mauvais aloi. Or j’ai le troupeau consubstantiel, ce n’est pas
une nouveauté. Je l’ai dans le même mouvement métaphysique et social, métabiologique
et militant. Aux Antipodes de ce qui est au minimum chez elle de la froideur et
qui me pèse tant, surtout lorsqu’elle dit concernant le SIDA Si je l’avais je le filerais à tout le
monde.
La poste
fonctionne, ô surprise mais les cabines téléphoniques n’ont plus de portes et
cela interdit les conversations privées. Cette ambiance totalitaire fait froid dans le dos.
L’Eglise tonne
contre l’usage des préservatifs, alors même qu’on apprend qu’un tiers d’entre
eux sont inefficaces. On se sait plus comment la sexualité pourrait continuer à
travers tout cela... Ambiance d’ordre moral et d’intégrisme.
Mois de la
Photographie dans le Quartier de la Bastille. En suivant la liste des adresses
fournies par le journal Le Monde. Toutes les galeries en question
sont fermées le dimanche avec la plupart du temps, des gens à l’intérieur. J’y
vois une sorte de comportement hystérique et un apartheid social en train de se
mettre en place. Fermer le dimanche, c’est interdire le lieu aux Travailleurs
occupés toute la semaine et permet de rester entre soi dans le petit milieu ad
hoc. J’ai fini par dire à l’un d’entre eux On
ira chez les Japonais. Mais ils ne réalisent pas ce que cela veut dire
tellement leur dimension hexagonale est profonde. Leur pensée en termes de fief
est tellement ancrée qu’ils n’envisagent même pas que le dit fief puisse leur
être retiré. Or c’est ce qui est en train de se passer avec la pénétration du
monde dans l’Hexagone et la fracture qui en découle…
En sortant du
métro une bande d’une dizaine d’adolescents noirs bloquaient toutes les issues
en demandant de l’argent. J’étais avec quelqu’un mais je me demande si j’avais été seule, s’ils ne m’auraient pas dépouillée. Je
n’ai pas peur, je sais de quoi il s’agit et que c’est inévitable….
J’ai enfin trouvé
ce qui rend le fond de l’air si irrespirable lorsqu’on marche dans la rue. Les
gens ne se regardent pas, et il me semble que ce n’était pas ainsi autrefois.
Ceci est une Unité de collecte de sang. Notre
mission est de prélever les Donneurs en bonne santé. Si vous jugez que la
transfusion de votre sang peut nuire à un malade, ABSTENEZ-VOUS. Merci ! Ce panneau est affiché sur l’autobus à la
sortie du Lycée pour la Journée du sang.
Avec Chantalle nous protestons et le type nous explique que les malades en
question sont les Drogués et les Homosexuels… On répercute l’affaire dans la
Salle des Professeurs et le Collègue de Gymnastique renchérit sur le thème Oui, il y a une liste… les Drogués, les
Homosexuels et ceux qui ont été en Afrique du Nord.
J’hésite entre
rire et pleurer. On a en effet désormais l’impression que la sexualité est
devenue une maladie, que les gens qui en montrent les symptômes sont malsains
et que c’est en tant que tels qu’ils sont victimes de tracasseries parce qu’on
peut se défouler sur eux sans risques… Tout cela par un détour assez complexe.
Le fait est que la sexualité est devenue socialement négative, voire même plus
comprise du tout…
Je parviens quand
même à faire entendre à l’employé du car que les revendications salariales des
Infirmières sont discutables, tant que la question de la pratique réelle de
l’euthanasie dans les Hôpitaux n’est pas posée. Il rentre ensuite dans la Salle
des Professeurs pour recruter des donneurs de plaquettes. Mme B – professeur
d’allemand - exprime par les mouvements de son corps et un Brrrrrrr de terreur qui me donne à penser que je ne suis pas isolée
dans les sentiments que j’éprouve.
Du coup je
réponds que si c’est pour faire des
expériences ce n’est pas la peine etc… Comme il me répond qu’il le faut
bien, que ce n’est pas son problème, et que cela ne le regarde pas (les
arguments habituels) je lui dis Quand
même lorsqu’on ferme les portes d’un train, on peut se demander si le terminus
de la ligne ce n’est pas Auschwitz !...
Le lendemain le
Censeur a mis dans les Cahiers de Textes des Elèves la note de service suivante
Bravo, vous avez été soixante deux à
donner votre sang en dépit de l’attente et du froid… Mieux que les
Professeurs ! Les Collègues sont furieux voire même déchaînés et
envisagent une protestation ce qui est assez rare, étant donnée leur apathie
habituelle… Je ricane depuis six ans que je me bats en solitaire… et dit à
Chantalle Enfin vous êtes concernés par
la Bionomie !...
Achat du livre Les
Cobayes humains traitant des expérimentations médicales, absolument
terrifiant. J’y constate que non seulement je n’ai pas rêvé mais que la vérité
est encore pire que ce que j’ai déjà pu établir…
Pendant le
week-end, je range de fond en comble la bibliothèque en me laissant porter par
l’intuition. Les catégories qui sont apparues sont les suivantes :
1.
Encyclopédies
et Dictionnaires.
2.
Linguistique
et Grammaire des différentes langues rangées côte à côté exprimant ainsi une
sorte de Translangue.
3.
Les
Rêves (fiction) Littérature Générale.
4.
La
Philosophie rangée par ordre alphabétique et faisant ainsi apparaître des
voisinages inattendus. Les livres de sciences rangés par ordre alphabétique
dans cette catégorie permettant de relativiser le discours scientiste comme un
discours parmi d’autres … ni plus ni moins… et mettant sur le même plan la
science et la philosophie. Cette rubrique comprenant également les Pères
Fondateurs de la Psychanalyse.
5.
Psychanalyse.
C'est-à-dire les Successeurs des précédents.
6.
Sciences
Sociales, réduites à pas grand-chose dans la mesure où la plus grande partie a
été versée dans la catégorie suivante :
7.
Histoire.
Par ordre chronologique depuis la porte jusqu’à la fenêtre, de la Préhistoire à
l’an 2000. Se retrouve sur ce rayon ce qui autrefois pouvait figurer dans la
rubrique Politique.
8.
Récits
de voyage des navigateurs, guides touristiques et manuels de Géographie.
9.
La Géonomie comprenant aussi bien les
ouvrages de savoir vivre (Collection Historique), les manuels de sexologie et les
épigones les plus dénaturés de la Psychanalyse, dynamique de groupes, voyances,
relaxation aux confins finalement des nouvelles pratiques et comme des additifs
à des techniques ménagères, déjà éprouvées. Y figurent également les guides en
tous genres et les traités d’économie ménagère et politique.
10. Les livres d’Art.
Une fois cela
accompli, j’en éprouve beaucoup de satisfaction.
Au Lycée, folie
et régression généralisées. Les femmes discutent tricot. Sont omniprésentes les
questions d’argent et de santé qui depuis quelques temps font une entrée en
force et deviennent obsessionnelles aussi bien chez les Adultes que chez les
Jeunes. Mardi il manquait sept agents pour cause de maladie. Les élèves
quittent les cours plus souvent qu’avant pour aller à l’Infirmerie et les
Collègues se plaignent d’être malades.
Au Conseil de
Classe, comme j’étais en proie à leurs discours des deux côtés à la fois, j’ai
dû changer de place…C’est alors que le Professeur de Philosophie qui a l’air en
sinistre état m’a dit J’ai le SIDA
sur un ton intermédiaire entre la provocation et la réalité.
La Directrice est
arrivée et a attaqué sur les maladies des gens, non pas dans un sens d’esprit
critique, mais pour justifier que rien ne fonctionne. Je dis donc tout fort Moi je suis en pleine forme… Il faut dire
qu’avoir eu le cancer, ça aide…
Elle finit par me
dire sur le ton de la confidence qu’elle vient d’être opérée du colon, que c’en
est un, ce que tout le monde sait... Et qu’elle ne veut plus entendre ce mot.
J’en reste sidérée et me retrouve rejetée six ans en arrière, lorsque je
tentais de faire admettre le mot à l’entourage qui ne voulait pas me laisser
dire la vérité. Je retrouve donc spontanément la même attitude en disant Si il y a quelqu’un qui peut employer le
mot, c’est bien moi !
J’ajoute que j’ai
eu la chimiothérapie. Elle me dit qu’elle n’en aurait pas eu le courage. J’en
suis si décontenancée que je ne parviens pas à faire ma marche à pied réglementaire,
déjà bâclée la veille… les grèves larvées de Transports, des Postes et des
Infirmières durant depuis deux mois, secrètent une ambiance anormale.
Mercredi la
situation a encore empiré. J’ai mis dès le matin sous le nez des Collègues le
livre Les cobayes humains dans l’espoir qu’on me l’emprunte. Déjà la
veille, j’avais été déçue, mais là Christian A me dit brutalement qu’A 8 heures, ça fait un peu tôt pour attaquer
aussi agressivement… Il a sans doute raison. Pour finir Noël demande quand
même à l’emprunter. Pour un peu je le lui offrirais.
Petit raout de
Collègues pour critiquer les insinuations racistes de la Directrice qui affecte
de ne pas savoir prononcer les noms étrangers ni si les prénoms sont ceux de
garçon ou de filles… Je saute dans la brèche pour faire remarquer que si nous
étions plusieurs à avoir le courage de protester, elle ne se le permettrait
pas….Je déclenche un silence glacial.
Le fait est qu’en
dépit de mes efforts, j’échoue à engager les Collègues dans un redressement
quelconque des comportements… Je ne parviens pas à enrayer la dégradation
croissante. A la cantine NV me lave le cerveau sur le thème de ma pensée lisse et globalisante qui selon
elle ne convient pas. J’ai l’impression depuis deux jours d’être enfermée dans
un asile de fous qui délirent de plus en plus ostensiblement.
Leur radotage
m’épuise au point que je ne les supporte même plus physiquement parlant, ayant
envie de leur dire simplement Fermez là ! Et comme deux d’entre eux
recommencent l’après-midi à m’engluer dans les histoires de maladie en
justifiant le comportement de la Directrice je m’enfuis dans la deuxième pièce
en disant, ce qui les satisfait et me blesse, que je leur abandonne le terrain.
Comme on
s’enfonce et qu’on ne voit pas le bout du tunnel, je m’applique à faire cours
en me disant il n’y a rien d’autre à faire et qu’il sera bien temps d’arrêter.
La Documentaliste et le Censeur ne parviennent pas à organiser ni réguler
l’usage de l’unique magnétoscope, je leur propose des solutions pratiques.
C’est d’ailleurs la nouvelle attitude que j’ai décidé d’adopter pour ne pas
entraver une restructuration possible que gêneraient mes comportements trop
rigides.
A la Télévision
journée spéciale sur le SIDA. Sur la Cinq, le Professeur Rosenbaum fait un
fameux lapsus. Comme il s’apprêtait à dire Vous
ne risquez pas d’attraper le SIDA, il dit Vous ne risquez pas d’attraper …l’Homme. Tout est dit ! Le
SIDA, c’est l’homme et rien d’autre. Il s’agit bien du fléau de la
transformation en bouc émissaire de ceux qui ne peuvent renoncer à l’Homme pour
accepter la genèse de la Post-humanité, ce sont ceux là qui développent la
maladie.
J’affiche dans ma
salle de cours et en Salle des Professeurs, la liste parue dans le journal de la
veille, des préservatifs garantis sans défauts et de ceux auxquels il ne faut
pas faire confiance.
A déjeuner avec
des chers amis et leurs deux enfants. Pas un seul instant il n’a été possible
de parler de la situation réelle. Une fermeture hexagonale en béton,
accompagnée d’un dénigrement systématique de la culture française. Ils ne
veulent rien entendre à mon histoire de contrelangue
qui s’est pourtant confirmée à la Toussaint lors de mon séjour à Victoria sur
la côte Ouest du Canada. Je m’en suis sentie humiliée et/ou démoralisée.
Dans la période
actuelle, la plupart de mes relations hexagonales ne peuvent plus rien
m’apporter. Elles me freinent et me font perdre des forces qu’il n’est plus
possible de voir dévoyer… Mes efforts pour éviter ce type de situation ne sont
pas toujours suivis d’effets à cause des multiples pressions sociales
quotidiennes contre lesquelles je dois sans arrêt me défendre sans compter que
dans le même temps le fait que ma propre sécurité commande de ne pas me laisser
isoler, car c’est le premier pas dans le processus de destruction.
La terreur de
retourner au Lycée se verbalise par la formule Ils nous aliènent. Ce que corrobore mon ancienne partenaire de
théâtre qui me certifie avoir écrit la même chose dans son propre journal.
Notre discussion sur ce thème nous amène à comprendre qu’ils nous imposent de
prendre leur folie furieuse comme la nouvelle réalité sociale à la place de
celle qu’ils sont effectivement réussi à refouler.
Vraies/fausses
grèves tournantes durant lesquelles quelques individus bloquent des véhicules
pour paralyser les communications sans que pour autant les Salariés mis dans
l’impossibilité matérielle de travailler puissent être considérés comme
grévistes et soient sanctionnés par des retenues d’argent. On continue à
s’enfoncer dans ce qui ressemble à un suicide collectif ou à une catatonie qui
relèverait d’un traitement psychiatrique ou psychanalytique.
Je me souviens
avec attendrissement du début des années Soixante Dix lorsque l’Institution
elle-même nous payait des Psychosociologues qu’on dénonçait comme des Policiers
tentant de nous imposer un retour à l’ordre, ce qui d’une certaine façon était
vrai. Quel soin avait on alors de la personne humaine, et comme tout cela est loin !
Agitation des
Collègues sur la rumeur vraie ou fausse du refus de la Directrice d’accepter
l’ouverture d’une Section Commerciale. Cela fait penser à Clément Rosset disant
que d’une certaine façon la folie, la
bêtise et la haine sont la même chose. Je pense que le terrorisme a aussi à voir avec tout cela et que les mouvements sociaux à l’œuvre sont de cet ordre. Un agrégat de tout cela. Le
nœud du blocage est autour des véhicules et donne à penser que la France refuse
de s’ouvrir. Ce refus étant assez général, les usagers eux-mêmes - bien que
gênés - ne protestent pas.
La Science est
constamment invoquée ces temps ci pour dégager voire abolir l’idée même de la
responsabilité sur le thème récurrent du C’est
biologique, on n’y peut rien !
allant encore plus loin que dans les Septantes durant
laquelle la Psychanalyse fut dévoyée par et pour cette instrumentalisation dans
le but de promouvoir l’irresponsabilité. Perversion que j’avais violemment
dénoncée à l’époque sans pour autant comprendre que le biologisme en était la succession. Sont-ce ces idées qui sont
regroupées sous la métaphore de la mort de Jean Paul Sartre, c'est-à-dire la
faillite de l’humanisme athée ? Cette biologie à laquelle on ne peut rien
et dont on ne veut pas avoir à rendre compte débouche évidemment sur une
idéologie de l’impuissance qui n’est pas sans rapport avec la désexuation généralisée. L’être vivant
peut il avoir une autre finalité que sa reproduction ? La question se
pose.
Des Collègues me
disent avoir vu dans le métro sur la ligne Vincennes-Nation, des gens voyager debout sur les boggies entre les wagons. Cela me
donne envie de pleurer.
A pied depuis le
Lycée jusqu’à l’ancienne Ecole Polytechnique sur la Colline Sainte Geneviève
pour assister à une conférence A quoi
pensent les Philosophes ? L’amphithéâtre est plein à craquer, il y a
des gens assis dans les allées et d’autres debout de toutes races et de tous
âges. Il y a quelque chose de sublime dans cette foulée religieuse et pressée.
Paris compte donc au moins ce plein amphi de gens qui se sont déplacés pour
être là. Plus que jamais je perçois la marche comme la démarche - et à quel
point il est essentiel de la faire – ainsi que comme une posture d’humilité.
Au Palais de
Tokyo, la Photographie m’interpelle quelque part comme on dit maintenant. Car ce sont les seuls artistes dont
je sois jalouse. Cet art là à quelque chose de particulier. Ce n’est pas un
art, mais une nouvelle écriture.
La Crise est plus
que jamais visible. Non pas à cause des mendiants auxquels on finit par
s’habituer - sauf s’ils pleurent - dernière différence avec ceux des Pays du
Sud. Ils ne sont que rarement en bandes et pas vraiment menaçants. La sensation
de la Crise est due à la survenue constante d’éléments nouveaux qu’on n’avait
pas vus la fois précédente et qui montre l’évolution qu’on ne peut pas se
cacher. Cette fois ce sont dans les vitrines des charcutiers et des boulangers,
les amoncellements de sandwiches qui remplacent les autres modes de restauration
dans la nouvelle organisation des repas, tant pour des raisons sociologiques
qu’économiques.
Une autre image
matérielle de la Crise est aussi la stupeur que j’ai éprouvé hier soir à vingt
heures trente, Place du Panthéon. Une impression de luxe inouïe était dégagée
par cette colline couronnée de monuments historiques illuminés. La Mairie du
Cinquième Arrondissement où je me suis mariée, la Faculté de Droit où j’ai
étudié, la Bibliothèque Sainte Geneviève qui me paraissait déjà vieillotte à
l’époque, L’église Saint-Eustache, le Lycée Henri IV et je ne parle pas du
Panthéon ni de cet immeuble du Quatre Bis Rue d’Ulm qui me fit là un effet
d’opulence et de puissance sud américaine et dont j’ai habité un temps les
chambres de bonnes.
Il m’a semblé que
s’était écoulé depuis mille éternités ! C’est l’expression qui m’est
venue, comme si il y avait eu moins de différence entre le Moyen-Age et 1968
que depuis les vingt dernières années écoulées. On avait l’impression d’être
dans un centre ville historique, un pur joyau artistique, un chef d’œuvre
d’architecture relevant de la richesse nationale. Et au-delà de la nostalgie de
la jeunesse écoulée, la désagréable impression que cette solidité matérielle
était désormais hors d’atteinte.
D’année en année
on fait de la grippe une maladie de plus en plus grave. Dans notre jeunesse ce
n’était rien et maintenant c’est devenu une affaire d’Etat !…
La Télévision ne
parle pas de la situation sociale de plus en plus occultée, ce qui aggrave la
sensation de folie. Je sais d’expérience que la dérobade de l’Autre exacerbe ce
que j’appelle l’enfollement. C’est ce
qui est en train de se produire entre la Société Civile et le Gouvernement, médiaklatura comprise.
Mon voisin et moi
le matin nous partons au travail ensemble comme des paysans attellent de
concert la charrette pour aller aux champs. Même archaïsme de la mémoire
paysanne.
Hier, Michel
Rocard parlant de la situation intenable de l’Enseignement a déclaré qu’il a
trouvé la situation plus grave qu’il ne
l’avait estimée. On est heureux que la vraie réalité soit enfin dite. Il
envisage semble-t-il de nous faire faire du travail supplémentaire, mais ne
nous dit pas s’il sera payé.
D’après mon
ancienne partenaire de théâtre, les chauffeurs d’autobus parlent de casse dans
les dépôts et ailleurs. On ne trouve aucune trace de ces nouvelles dans la
presse qui parle de moins en moins de la situation au fur et à mesure qu’on s’y
enfonce. Elle DISPARAIT au sens des disparitions Sud Américaines… On apprend au
Journal Télévisé en deux minutes qu’il y a eu des bagarres dans le métro, que
les gens sont tombés sur les voies et on enchaîne sur autre chose…
On nous parle
pendant des heures de Sakharov et de Walesa invités pour le quarantième
anniversaire de la Déclaration des Droits de l’Homme. Cela me convainc une fois
de plus qu’il ne s’agit que d’une idéologie logonomique.
Il est vrai qu’être transporté dans les transports publics dans des conditions
acceptables ne fait pas partie des droits proclamés par la Déclaration
Universelle des Droits de l’Homme. On peut à partir de cet exemple essayer de
comprendre la signification de la notion de droit.
Le plus
insupportable, c’est bien sûr le quartier de la Place de la Victoire où
s’étalent des magasins de vêtements
d’un prix inouï et qui se présentent comme des salons dans lesquels on peut
s’asseoir et bavarder. C’est la version chic du slogan du supermarché Mammouth lieu de vie. Si les Septantes
virent comme la réussite de l’époque, l’achat d’une vieille bâtisse à retaper - selon la formule consacrée - là il importe de s’afficher avec un look urbain
des Octantes dans le quartier de la Bourse et des Banques.
La débauche de
voitures frappe tout particulièrement, leur standard ayant augmenté, un peu
comme les gros calibres dans les films de gangsters. Ma fameuse formule Somme du fond et de la forme égale
constante me paraît plus juste que jamais ! Ce qui donne dans cette
circonstance: Plus le mensonge social
augmente, plus les apparences sont importantes… et plus on me bouscule !...
Un panonceau
surréaliste : Les lignes A et B du
RER et les lignes 1 et 11 du métro ne seront pas exploitées ce week-end…
Comme j’ai raison de répondre Joyeuses
Pâques lorsqu’on me dit Bon
week-end !
Réveil de terreur
après un cauchemar mélangeant les difficultés du Lycée et les gens tombant sur
les voies. Depuis la Rentrée j’ai l’idée qu’ILS n’ont plus besoin de nous et
que cet effondrement du Service Public dans des conditions dangereuses les
arrange, dégraissant - selon leur
propre terme - les gens et les organisations pour faire de la place pour le
monde nouveau, celui de la Cybernétique.
On me dit que
j’invente une langue agglutinante, une nouvelle grammaire française, une
nouvelle façon de les assembler pour se passer des articulations qui me dit on,
sont en grec, les plus nombreuses.
Au Cinéma
Soviétique Le Cosmos, le dernier film de Paradjanov Achik Kerib. Une imagerie
de la maladie mentale, comme un délire de symbolisme et de couleurs.
Retour en
métro : trois lignes fermées sans compter le RER !
Tremblement de
terre en Arménie. Entre Cinquante et Cent Mille victimes. Une ambiance
d’Apocalypse entre les pogromes, la Perestroïka,
l’incurie et pour la première fois le renfort des Européens, accepté. La
mondialisation s’accélère par des voies qu’on n’avait pas nécessairement
prévues. Cela confirme mon idée qu’elle se fait de façon irrésistible et
irrémédiable sur un mode qui nous échappe parce qu’elle est d’ordre
sociobiologique n’en déplaise à la Gauche. Sur cette toile de fond, les communicateurs médicaux ont des allures de charognards. La dernière blague qui
court sur Kouchner le compagnon de la speakerine Ockrent est Un tiers-mondiste et deux tiers mondain…
Des personnalités se font photographier sur fond de ruines, c’est carrément
indécent !...
Quant au chanteur
Charles Aznavour qui a dit - il y a une paire d’années
- qu’autrefois il était français mais maintenant arménien à cause de Le Pen
excluant les immigrés, il a créé une association Aznavour pour l’Arménie se présentant comme un pôle qui recoupe là aussi mes analyses
de La Pensée Corps. D’abord par le regroupement en ethnie, lorsqu’il
demande qu’on lui envoie les Orphelins plutôt que de les disperser en Union
Soviétique mais aussi par l’expression elle-même d’Aznavour pour l’Arménie dans laquelle le nom du
crooner se transforme en une articulation
entre l’ancien et le nouveau monde en
passant du spatial au temporel,
des Temps Modernes aux Temps Cybernétiques.
A Midi au Lycée,
les Collègues signaient une pétition dénonçant le comportement inqualifiable de
la Directrice lors du Conseil d’Administration. J’ai distribué mes cartes de
vœux que j’ai fait faire à l’intention des Collègues à partir d’une
photographie du Lycée se reflétant dans la vitrine du magasin de musique d’en
face. Ils étaient très contents. Et ils ont eu raison, car il s’agissait d’un
très beau cliché comprenant divers éléments dont les portraits en couleur de
Lully et de Verdi, mélangés à l’image de la façade de notre Etablissement…
Soirée à la
Librairie des Femmes dans la problématique habituelle. J’ai quand même eu
l’occasion de demander à Antoinette Fouque la date de parution de ma Pensée
Corps. Elle me dit qu’on l’aura pour le Salon du Livre du Printemps !
La Télévision
projette la carte des lignes de métro qui sont fermées. On annonce que Le RER est dans un état stationnaire,
étonnante métaphore bionomique !
Le Parlement a
voté une loi autorisant les expériences médicales sur les malades en coma
dépassé, ce qui aux dires de la Télévision elle-même est en contradiction avec
les recommandations du Comité d’Ethique.
La déréalité, c’est ce mot qui me vient à
la lecture de L’Asole, mon texte sur
le Lycée. Ce terme permettant de dire ce qu’on constate, à savoir cette impossibilité
de prendre en compte la réalité. La panique vient aux Collègues sous la forme
cette fois d’une information concernant des Lycéens de Louviers qui se sont
cotisés pour payer des produits chimiques à l’un deux, avec mission de les
jeter à la face d’un Professeur de Mathématiques. Là, la réalité, ils
l’entendent fort bien et se sentent sans doute menacés. Moi pas.
Deuxième série de
distribution de cartes de vœux miniatures. Celles-ci ont été réalisées
directement par mes soins grâce à une l’imprimerie minute informatisée – le
nouveau gadget qu’on voit en ville - avec le texte suivant … écrivain STE vous souhaite un Joyeux Noël et une Bonne Année 1989.
Lycée Siegfried. Ils ont tous été agréablement surpris et très heureux, à
l’exception de Francine qui a eu le mauvais goût de me demander Combien je te dois ? Je lui ai alors répondu Rien !
Suivi de propos très cinglants, sur la condition inhumaine de l’artiste...
La pétition
contre la Directrice a déjà recueilli quinze signatures. Le nouveau Permanent du Syndicat SNES essaie de
mettre tout le monde au pas, dans un style pas tellement habituel encore que
franchement nomenclaturiste.
Conversation avec
Madame Mevel sur la situation réelle. Elle en revient aux questions de santé
d’où il appert que faire corps commun serait la nouvelle convivialité, dans le pur plus style
bionomique.
Du rififi à la
BNP qui en six semaines n’a pas trouvé le moyen d’encaisser mes chèques de
Montréal et me conseille de me faire payer en liquide… Je leur réponds qu’en
1993, lorsqu’il y aura l’ouverture du marché bancaire à la concurrence, je
m’adresserai ailleurs… Etc… Je suis trop fatiguée pour raconter même
succinctement, la suite de la conversation....
On apprend qu’il
y eu des bombes à la station de métro Miromesnil. Les speakers prennent un ton
enjoué pour parler de bombinettes.
C’en est écoeurant ! Sur la deuxième chaîne, au Journal Télévisé, vingt
minutes sur l’Arménie et une et demie sur le métro. On n’y parle plus de bombe.
Ce black out de la réalité n’a jamais atteint un tel niveau même sous les
Gouvernements de Droite. Dans le métro il y a maintenant quatre lignes fermées
et deux qui vacillent. Tout le monde fait comme si de rien n’était.
Ce matin je suis
allée à la Piscine et ensuite restée à ranger et à récupérer. Dans
l’impossibilité toutefois de réaliser les corrections prévues.
En arrivant au
Lycée, j’informe les Collègues sur la question des bombes, mais cela tombe complètement
à plat.
A dix heures la
pétition contre la Directrice continue à circuler avec désormais vingt et un
signataires (sur une soixantaine). Besson n’hésite pas à dire qu’il va en
changer le texte, ce qui me laisse pantoise. A treize heures, il continue ses
manipulations sur ce thème, affirmant que notre supérieure hiérarchique devrait
se faire hara-kiri etc. Je suis choquée de découvrir que mon amie l’a signé.
Les Collègues
fument depuis quelques jours comme des troupiers, y compris certains qui ne
fumaient pas auparavant.
En ce qui
concerne la Poste, il y a désormais dix huit millions de lettres en souffrance
dans les Bouches du Rhône et un demi-million à Paris.
Au sujet du
métro, on apprend que les Forains se sont battus avec les Ouvriers de
l’Entretien des Garages car la fermeture de la Ligne n°1 empêche d’accéder à la
Fête Foraine qu’ils ont eux-mêmes installée aux Tuileries en barrant les routes
pour faire céder le Gouvernement qui s’y opposait. Ce qui a provoqué la démission
du Directeur des Jardins Parisiens au motif que ceux-ci ainsi traités, en
mourraient.
Cinq lignes sont
fermées, et il paraît impossible de faire fonctionner le Lycée dans de telles
conditions car on nous demande de maintenir des structures que l’ensemble de la
société s’ingénie à mettre à bas. Quoi de plus antinomique que ce chaos et l’Instruction dont mon ancienne
partenaire de théâtre me fait remarquer qu’elle contient le mot structure !... Quant à cette
expression de fermer une ligne,
elle contient sans doute le secret de notre angoisse croissante. Cela rejoint
le thème de mon Canal de la Toussaint dans lequel il est question d’une
ligne infinie qui ne ferme rien, l’horizon ne parvenant pas à enclore la
rotondité du monde.
A la Télévision,
une émission sur les Sans Domicile Fixe, suivie d’un débat. L’Abbé Pierre y
dénonce l’absurdité de l’expression Fin
de droits. Alain Touraine très beau, met de son côté en évidence
l’apparition d’un dualisme qui relève du sous-développement. C’est la première
fois que j’entends quelqu’un de l’establishment le faire. On peut toutefois
s’étonner qu’il ne soit pas aussi radical lorsqu’il publie dans la presse
écrite mais peut être est-ce dû à la censure des journaux. Quant à Philippe
Séguin dont l’air accablé suffit à le rendre humain, il dénonce d’une phrase le
décalage existant entre le reportage et la réponse donnée par l’Etat. Tout
était dit !
La pire fut quand
même Georgina Dufoix qui fit semblant d’être émue en découvrant l’ampleur du
drame, alors qu’elle avait été pendant des années la Ministre des Affaires
Sociales. Elle disait d’un air faussement dynamique Allez on va faire plein de choses pour arranger ça maintenant
qu’on l’a découverte ! Elle en était écoeurante… Une des constantes de
l’émission en question était que c’était désormais aux familles de prendre les
choses en charge et d’assurer les secours à leurs membres. Mais ils ne
parlaient pas pour autant de diminuer les impôts. On a de plus en plus
l’impression que les impôts sont une sorte de tribut à payer et que pour
couvrir les besoins de la solidarité, il faut s’organiser de surcroît…
Je vais au Lycée
à pied tant je prévois une journée dure… Marcher est ma réponse magique à tous
les problèmes. Plus c’est dur et plus je marche… Mon temps quotidien de ce que
j’appelle le marchoir ne cesse de
s’allonger…
J’ai prévu de
donner le choix aux Elèves entre un film et un débat et j’ai même obtenu du
Censeur la disposition d’une deuxième salle pour pouvoir séparer les deux
groupes. Face au non fonctionnement avéré, j’innove en solitaire et me prépare
à sauter dans le vide cybernétique. Malheureusement le débat n’a intéressé
qu’un seul élève. J’avais déjà observé en 1986 que c’étaient les films qui
permettaient le mieux aux Elèves de juguler leur angoisse sans doute parce que
cela leur permet de s’enfermer dans une bulle.
Quelques
nouveautés : A la Télévision pour la première fois un planisphère est
présenté avec l’Océan Pacifique au centre et l’Europe sur le bord gauche. La
firme Heudebert fait de la publicité en utilisant la charité sur le thème Pour chaque paquet de biscottes acheté, un
kilo de farine sera envoyé en Arménie ! En République Fédérale
Allemande, dans les Universités on utilise pour les étudiants des cadavres
provenant encore des camps de concentration ! Des publicités utilisent des
phrases qui ne veulent rien dire, sans même nommer le produit concerné ni ses
caractéristiques ni son prix. Des accents suisses et belges sont présentés
comme des accents provinciaux du Français.
L’affaire
Péchiney montre à quelle vitesse se mondialisent les Institutions. On éprouve
une forme d’humiliation de voir ainsi violer de l’extérieur aussi brutalement
notre caractère hexagonal et porter au jour une gangrène de la société économico-politique encore plus profonde qu’aurait pu l’imaginer les plus
pessimistes. C’est peu dire que selon l’expression le poisson pourrit par la
tête car on entend même parler de la loge P2 !... A l’humiliation se
mêlent la peur et l’espérance d’être débarrassé de tout cela.
Stage à visée
pédagogique concernant la rénovation du Brevet de Technicien Supérieur
Comptable au Lycée Louis Armand. On nous propose de traiter un cas pratique à
savoir l’informatisation d’un problème d’Economie de l’Entreprise appliqué à la
diminution de la fréquentation des transports urbains provinciaux. On doit –
selon l’énoncé – appliquer comme remède un programme de communication aux
chauffeurs pour les amener à modifier leurs comportements afin qu’ils se
transforment en propagandistes des Transports Publics.
Je déclenche bien
évidemment le scandale en faisant remarquer que s’ils ont vraiment un problème
de rentabilité, la solution qui se dessine est plutôt l’embauche de
Travailleurs Pakistanais. Je vais même jusqu’au bout de l’exemple pour proposer
qu’on utilise ce cas pour expliquer aux Elèves, la Systémique qui est au
Programme et comment la pression de la mondialisation désintègre l’Hexagone
comme on le voit faire en ce moment, notamment avec la SEC américaine qui se
substitue à la COB pour veiller à la régularité des opérations de Bourse
française.
Ma provocation
tombe bien sûr à plat et je suis obligée de m’énerver en disant que si on
faisait devant nos Elèves un cours comme celui que nous imposent les
formateurs, on aurait le chahut depuis longtemps. J’affirme également que c’est
cette négation de la réalité qui a fini par la rendre caduque et qu’on ferait
mieux de profiter du fait qu’on est là à plusieurs pour essayer de voir comment
on pourrait tirer effectivement parti du nouveau programme.
Malheureusement
les Collègues ne veulent pas se laisser distraire de cette étude de cas qui
leur est proposée. Ils commencent à élaborer une analyse logique du cas mais
échouent sur la façon d’inscrire en termes informatiques l’action de
modification du comportement des chauffeurs. C’est là que je demande
hypocritement à aller au tableau pour achever de torpiller cette caricature de
mauvais cours. J’y dresse un schéma que je commente au fur et à mesure.
On y voit les
trois niveaux : Capital Humain (les Elèves et les Chauffeurs de bus), les
communicateurs (les Professeurs et le Responsable du Stage), le Grand Réseau
Cybernétique séparés par une information/propagande avec des parlottes en
dérivation. Et je vais jusqu’à les dessiner – alambiquées - en expliquant
qu’elles servent à alléger l’angoisse qui autrement contaminerait tout le
système. C’est un véritable coup de tonnerre !
Deux de mes
anciennes condisciples de l’Ecole Normale Supérieure de l’Enseignement Technique,
CC et FH s’exclament que je suis géniale et que je n’ai pas changé ! On
entend quelques borborygmes chez les Professeurs de Comptabilité pour essayer
de me faire croire qu’ils sont d’accord avec moi avant de se remettre à leur
étude de cas, comme si rien ne s’était passé. Puis vers la fin, les paroles se
perdent dans les sables avant de changer brutalement de nature. Sans aucune
cohérence ni lignes directrices, on les entend se mettre à parler de Pascal, de
Descartes, des Grecs et de je ne sais pas trop qui comme si des bribes du
corpus mal assimilé remontaient à la surface chez des cancres à l’occasion
d’une interrogation surprise. C’était consternant et à faire peur !
L’après-midi,
j’assiste pour voir au cours d’informatique, plutôt étonnée d’y comprendre
quelque chose. Je quitte pourtant les lieux à la pause. Mais le marchoir
Rue Lecourbe ne suffit pas hélas, à me laver de la souillure ambiante…
Par ailleurs le
formateur dirigeant le stage étant en grève le lendemain, il nous a déclaré
lock-outés. Quelle ne fut pas alors ma surprise, en retournant dans mon Lycée
de trouver un papier qui stipulait qu’on me considérait moi-même comme
gréviste…. Il aurait fallu selon le Censeur que je prévienne moi-même pour
qu’on puisse prévenir les élèves… qui avaient sans doute déjà eux-mêmes pris
leurs dispositions… D’où il apparaît que dans la nouvelle norme, les ordres et
les contre-ordres n’ont aucune importance et que les gens sont censés être
constamment disponibles, que ce qu’ils font de leur temps, leur vie et leur
ordre n’ont aucune importance.
Au Lycée, deux
classes sur quatre ne fonctionnent pas et les conversations sont impossibles
avec les Collègues. Elles tournent mal rapidement parce qu’ils veulent
absolument me faire dire comme eux. De plus ils entrevoient que contrairement à
leur espérance, leur salaire ne va pas être revalorisé et ils deviennent
mauvais. De mon côté j’ose croire que l’effondrement de leurs illusions va
ouvrir de nouvelles perspectives et que les analyses marxistes ont encore
quelques beaux jours devant elles.
Sur l’ensemble du
pays TOUT est devenu impraticable. La Culture Officielle bouche toutes les
issues et le luxe des nouveaux enrichis est de plus en plus arrogant. Les
masques tombent et on sent bien que pour la France, la mondialisation se
traduit par la dégénérescence en république bananière. Il n’y a plus d’espoir
de réforme dans aucun domaine. Chacun campe sur sa situation acquise, toute son
énergie étant employée à ne pas céder d’un pouce. TOUT EST BLOQUE à un point
qu’on n’aurait jamais pu imaginer durant les Trente Glorieuses et La Grande
Florescence qui l’a accompagnée et
suivie.
On ne fait plus
que travailler et se défendre des emprises totalitaires et/ou dissolvantes.
Les Collègues
sont en proie à une rumeur concernant le versement d’une éventuelle prime de
Cinq Cents Francs... Dans la réalité, les salaires nominaux nets baissent à
cause de l’augmentation des Cotisations Sociales. On est entouré de spectres
qui serrent dans leurs mains des morceaux d’épave qui ont eu du sens autrefois
mais ne produisent plus aujourd’hui que des répétitions vides. On hésite alors
entre couper les ponts avec eux pour se protéger soi même ou au contraire se
souvenir qu’étant la mieux armée pour affronter ce qui se passe, on a le devoir
de prendre en charge l’organisation collective…
Les deux
syndicats SNES et SGEN ont lancé un sondage pour envisager une grève
administrative contre l’instauration d’une rémunération au mérite dont il est
question ainsi que pour l’augmentation indiciaire et la baisse des effectifs.
J’ai développé mon opposition au mouvement dans un dazibao en technicolor, de
toute beauté. On m’a dit que c’était jeter
des perles aux cochons. Quelques autres Collègues sont également
opposés à cette grève mais pour des raisons différentes des miennes. Néanmoins
avec trois quarts de partisans, elle se prépare…
La grève des
Gardiens de Prison change de nature et ils s’en prennent désormais aux Détenus
avec une grève du zèle qui a pour objectif avoué de pousser les établissements
pénitentiaires à l’explosion !... S’y ajoute des retentions de courrier et
le fait de servir froid les repas. Le caractère fascisant de ce mouvement se
précise. Il n’y a même plus de revendications ni même d’alibi de maintien de la
qualité du Service Public mais plutôt l’expression d’une rage féroce de
monnayer ce qu’on a sous la main. Une sorte de rentabilisation du Capital
Humain qu’on détient. Le journal Le
Monde somme le Gouvernement de
débloquer la situation soit en échange d’avantages matériels, soit en employant
la force en tous cas en cessant de prendre selon son expression cet air figé du lapin fasciné par le
serpent ! Il semble donc que cet aspect fasciste ne leur a pas - à eux
non plus - échappé.
Dépouillement du
vote concernant le projet de grève administrative. Vingt Trois Pour, Six Contre et Deux Abstentions.
Atmosphère de débâcle en Salle des Professeurs. Les Collègues tentent de faire
appliquer des textes dont ils ne sont jusque là jamais préoccupés et ont ainsi
l’impression que cela leur sert à exorciser leur angoisse comme s’ils
récitaient leur chapelet. Cela se tourne ensuite contre la Directrice à
laquelle ils reprochent de lire les bulletins de paye et d’avoir ainsi des
informations concernant leurs enfants illégitimes ou leurs saisies sur
salaires !...
Dans le même
temps la Télévision et les Radios ne parlent pas de la Police entrant dans la
Prison de la Santé dont les Gardiens étaient en grève, ce qui n’est pas tout à
fait rien et fait le gros titre du Monde.
L’Iran met à prix
la tête de l’écrivain Salman Rushdie pour la publication de son livre Les
versets sataniques traitant de la vie de Mahomet. La prime est promise à
qui le tuera. On le voit avec émotion à la Télévision. Il tape à deux doigts
sur sa vieille machine à écrire rétro. Face à cet événement d’un genre inédit,
les réactions sont diverses. Les Etats-Unis envoie l’Iran sur les roses, la
Grande Bretagne cache et protège l’écrivain annonçant que le rétablissement des
relations diplomatiques en cours n’ira pas plus loin. L’Allemagne et l’Espagne
renoncent à publier son livre, alors que l’Italie va le faire la semaine
prochaine et qu’il est déjà en vente en Suisse. Quant à la France, l’éditeur
Christian Bourgois se rétracte et on a honte avant d’apprendre le seize au soir
où on reprend courage qu’un pool de confrères le coéditera. Le dix-sept on
entend qu’ils attendent l’autorisation du Ministère de l’Intérieur, ce qui est
au bas mot, déconcertant. Dans un genre humoristique le journal Le Figaro publie plusieurs pages sur le
sujet et quelqu’un autour de moi suggère qu’on offre la même prime pour tuer
Khomeiny.
En classe, je me
heurte à des situations absurdes. Impossibilité de faire comprendre aux Terminales
que les coûts salariaux sont proportionnels aux quantités produites parce
qu’ils rémunèrent un travail fourni. L’opinion générale de la classe est plutôt
que le salaire est une sorte de pension due sans aucune contrepartie. Il est
alors impossible d’enseigner l’économie de l’entreprise et d’autant plus que
par ailleurs, ils n’ont aucune idée de ce qu’est une proportion.
En BTS ils
confondent comprendre et aimer. On assimile ce qui plait et on refuse
d’assimiler ce qui ne plait pas comme quelque chose qui ne passe pas, qu’on n’avale pas ou dont on ne
veut pas. C’est la passivité de La
Grande Bouche dont parle Gérard Mendel.
Sans crier gare,
le journal Le Monde publie des
informations concernant les nouvelles possibilités de recrutement pour les
Enseignants, des Contractuels et des Vacataires qui tout en étant moins
diplômés que nous pourront néanmoins être mieux payés. Il s’agit en fait d’un
brutal passage des Lycées du Secteur Public à un genre d’Economie Mixte. Même
si on savait bien que cela allait se terminer ainsi, on ne pouvait pas penser
que ce serait si rapidement, brutalement et sans aucune négociation. Ajoutons
même, eu égard à la nature de la société française et sans même l’hypocrisie de rigueur ! Il n’y
a même pas les formes habituelles dont personne n’est dupe mais qu’on rappelle
au moins comme des valeurs auxquelles on saurait qu’on peut et qu’on doit se
référer.
Prises ainsi
pendant les vacances de Février, ces mesures ont un côté sournois qui n’est pas
très plaisant mais qui rend caduque cette grève des notes prévue pour la
rentrée. Elle était en effet destinée à vaguement protester contre une réforme
prétendant instaurer l’Enseignement au Mérite alors qu’il s’agissait simplement
de payer davantage les Enseignants partants pour le Changement. Tout cela est
devenu brutalement terriblement désuet.
Atmosphère de
veillée d’armes. Des Collègues ont chahuté Michel Rocard qui parle de retirer
la Réforme. Les Collègues ne voient pas que c’est leur opposition à celle-ci
qui rend obligatoire l’emploi des Contractuels et Vacataires… Leur aveuglement
me fait frémir…
Le mot fascisme
ne convient pas pour dire ce qui se met en place parce que le rôle du guide est
là remplacé par une mère mythique dont nourricière, on exigerait qu’elle
materne et câline en en ayant la plus grosse part. Les revendications sociales
ne portent plus que sur des questions d’argent, à l’exclusion des conditions
d’un travail qu’il ne s’agit même plus d’accomplir. Quant aux préoccupations
politiques ou civiques, elles ont disparu. Je ne me sens pas concernée par ces
mouvements dont celui des Lycéens en Décembre 86 était le prototype et dont mon
ancienne partenaire de théâtre et moi-même, avons tout de suite décroché
lorsque nous en avons découvert sa nature.
De plus en plus
glaciale, une ambiance de croisade consécutive à l’affaire Rushdie. A Barbès
Rochechouart, une manifestation d’Islamistes fanatiques réclamant à corps et à
cri le meurtre de Salman Rushdie… et se prosternant à genoux, Place de la
République… On peut encore l’admettre, mais je m’étonne d’entendre le Ministre
de l’Intérieur Pierre Joxe se féliciter que cette manifestation n’ait pas donné
lieu à des violences… Des manifestations analogues ont fait des morts à Bombay
et au Pakistan. La question qui est posée est celle de l’application de la loi
islamique en dehors de ses
frontières, à savoir encore une fois un aspect de la mondialisation, même si
elle est inattendue. On entend même des Chiites d’Europe ( !) expliquer
que les monothéismes doivent s’allier contre l’athéisme…
De nouvelles
catégories de pouvoir sont en train de se constituer sur des bases culturelles
et religieuses. La laïcité disparaît parce que l’Etat lui-même disparaît. Quand
je repense à la société multiculturelle comme je la concevais dans mon article
sur Les transnationaux en 1983 ou
celui sur l’Afghanistan publié dans les Nouvelles Littéraires je serais
presque tentée par l’amertume.
Au Journal
Télévisé un nouveau logo représentant l’Europe et le nombre de jours avant d’y
parvenir….
Scène de genre
sur la ligne de métro numéro trois. Je veux m’asseoir à une place libre sur
laquelle un gros malabar a mis ses pieds. Comme je m’approche résolument prête
à attendre le temps qu’il faudra, ce qui habituellement suffit… La suite donne
lieu à la rédaction d’une nouvelle dénommée Le Métropolitain écrite
intégralement au traitement de texte pour la première fois, sur un ordinateur
qui a été installé à la maison mais pas à ma demande.
Depuis plusieurs
semaines le Censeur – femme - du Lycée me fait presque tous les jours des
réflexions sur ma tenue.
Catastrophique
Colloque à la Sorbonne. Mon seul bonheur est d’y avoir contemplé les fresques
de Puvis de Chavannes dans le Bois Sacré, l’éloquence et la poésie.
Dans le Jardin du
Luxembourg, l’éclatement majuscule des bourgeons, à en être soulevée. L’un des
plaisirs de l’hiver défolié est de pouvoir repérer sans difficultés les cèdres
parisiens. Il y en a un au Centre Culturel Américain Boulevard Raspail et à la
Concorde mais je n’ai pas vu où !...
La semaine de la
Philosophie à la FNAC est ouverte par Antoine Spire qui attaque sur la question
fondamentale Personne n’a encore fourni la
réponse à la question essentielle : D’où vient que le nazisme soit sorti
de la terre la plus avancée philosophiquement ? J’ai l’idée de lui
envoyer La Pensée Corps qui a mon avis fait avancer la compréhension
dans ce domaine. La salle est pleine à craquer. Comme au Collège de
Philosophie, il y a quelque chose d’émouvant dans cette demande de gens
écoutant debout, religieusement. Malheureusement une somme d’inconforts
physiques m’empêche de rester. J’ai néanmoins la satisfaction d’entendre se
dire des choses qui parlent de la réalité.
Dans la Salle des
Professeurs, cela ne s’arrange pas. Aujourd’hui c’était la nostalgie des
Comptoirs des Indes et les charmes de la Colonisation. J’y ai mis un coup
d’arrêt !
Au Lycée la
conversation suivante :
Le Censeur : Il me semble que vous naviguez
beaucoup !
Moi : Pourquoi c’est contingenté ?
Elle : Oui, ça use les escaliers !
Sans
commentaire !...
Conversation
émouvante comme souvent le mercredi avec les trois Collègues Autret, Bosetti et
Bassot sur le thème de nos difficultés réelles et des moyens de les surmonter.
Comme souvent depuis quelques mois je tente de faire avancer l’idée d’un
Directoire pour pallier la carence de la Direction. Je suis stupéfaite de
constater que cela ne se heurte plus à la rigolade, l’incompréhension ou le
refus hâtif que cela provoquait habituellement. Comme si nœud à nœud la
situation avait entrepris de se dénouer.
Je me surprends à
leur dire que j’ai besoin d’eux pour surmonter mes difficultés et Noël me dit Nous aussi on a besoin de toi pour être. Ces
propos me bouleversent absolument. J’essaie de leur montrer que les fantoches
qu’ils craignent sont sans pouvoir ni prise parce qu’ils ont déclaré forfait depuis
longtemps. Je me souviens de Marie France Garaud disant ce que je pense depuis
toujours Le pouvoir ne se prend pas, ne
se conquiert pas, il se ramasse ! C’est exactement ce qu’il y a à
faire au Lycée et peut être aussi ailleurs…
Pour me nommer,
il me vient l’expression de Florescence
insurrectionnelle permanente !
Je reproche à une
Collègue de ne pas me répondre comme je lui dis bonjour. D’un air faussement
outragée, elle répond perfidement Moi ?
Mais je dis bonjour, même aux femmes de ménage ! Je trouve ce même absolument épouvantable…
En classe comme
je parle de réduire les biens de consommation en tentant de faire réfléchir les
Elèves sur ce qu’il serait possible de changer sans trop de difficultés ni de
dégâts, j’entends Ahmed qui susurre à mi-voix Les Femmes. Sa voisine se
trémousse d’aise de ce bon mot. Ce spectacle m’est insupportable et je dis à
voix haute, en m’adressant à la fille Vous
feriez mieux de lui mettre une tarte !
Un protocole
d’accord en passe d’être signé entre les Syndicats Enseignants et le
Gouvernement aboutirait à des augmentations de cinq cents à mille Francs par
personne. On apprend incidemment que l’argent viendrait de ce qui avait été
prévu pour la rénovation du système
éducatif ! Ce qui signifie qu’ils vont une fois de plus privilégier la
consommation aux investissements.
Après le déjeuner
une heure et demie de lecture de Drieu La Rochelle, seul moyen de supporter
l’ambiance mortifère de la Salle des Professeurs. Qui aurait pu penser qu’il en
aurait été ainsi ? Je découvre un auteur que je ne connais pas et la
pertinence de certaines de ses analyses. Etonnement aussi de la pureté de cette
langue impeccablement écrite et des mots employés manifestement dans leur sens
correct mais des mots dont je ne comprends pas forcément le sens. La langue a
donc muté. Celle du dix-huitième siècle on ne la comprend plus du tout et là on
a déjà l’impression d’être à mi chemin.
Je suis de plus
en plus frappée par la coupure qui existe chez Les Collègues entre la
génération des Quarante Cinq ans et celle des Trente Trente-Cinq. J’en
comprends la cause aujourd’hui. Il ne s’agit pas seulement du contexte social
de l’expansion connue par la première ou de la régression subie par la seconde.
L’essentiel me paraît plutôt être cette transgression que nous avons dans ma
génération, accomplie en commun. La théorie freudienne du meurtre commis de
concert pour fonder une nouvelle société, en rendrait sans doute compte. Depuis
cette transgression soixante-huitarde en effet, nous sommes seuls avec la Mère,
La Grande Toute Cybernétique hors du logos.
Une campagne
publicitaire cauchemardesque pour la crème dessert Mamie Nova. Elle représente un
enfant dans le genre du monstre de Frankenstein âgé de sept ou huit ans avec
alternativement trois slogans : La
mamie que je préfère elle est dans le frigidaire. J’ai une mamie riche en
calcium. J’ai une mamie qui se parfume à la banane.
Je projette aux
Elèves un film sur la modernisation du travail et son nécessaire aggiornamento.
Il apparaît complètement désuet dans la mesure où il traite des problèmes de
l’efficacité de la production et de la recherche de remèdes à ses insuffisances
et ses ratés. D’après ce film datant de 1986, ce monde là serait plus près de
celui de 1968 que de celui de maintenant. On peut donc penser que la cassure
s’est effectuée entre 86 et 89….
En Corse,
l’agitation continue parfaitement démoralisante comme tout ce qui relève de la
logique de la main armée pour obtenir la plus grosse part de la manne. Comme chacun exige que
celle-ci compense les difficultés de la vie, on finit par avoir l’impression
que la Nature elle-même est une anomalie qui doit être compensée par cette
distribution gratuite. Il y a là une espèce de tête à queue de l’Economie qui
humilie et déstabilise.
Le Collègue Bolo
- informaticien dans les trente cinq ans - nous entretient à la Cantine de la
Bataille de Stalingrad et du Siège de Leningrad dont il n’avait jamais entendu
parler. En nous racontant que les gens ont mangé la colle des tapisseries, il
nous demande comment cela a été possible. Son étonnement n’est pas feint et son
questionnement tragique. Comme il demande Comment
c’est possible de résister comme ça passivement ? Je lui réponds Regarde moi ! Lui de reprendre Depuis combien de temps ? L’échange
se termine par ma réponse Quarante quatre
ans !
Sur le front
pédagogique amplification des difficultés concernant les notes. J’ai déjà
rempli comme d’habitude les bulletins, les livrets d’examen et les dossiers de
DECS, ce qui fait déjà beaucoup. Le lobby des Collègues Comptables exige alors
que je fournisse photocopie de mon carnet de notes. Je suis sidérée de leur
prétention et leur oppose une fin de non recevoir qu’ils ne comprennent même
pas. Je leur explique qu’il n’est pas nécessaire de faire proliférer des formes
vides et qu’ils ont déjà toutes les données nécessaires à tous les calculs
qu’ils souhaitent, que je ne suis pas concernée et que je n’ai pas l’intention
d’être entraînée à leur suite.
J’ajoute que
s’ils souhaitent tout de même que je fournisse une forme en supplément de
celles qu’on pratique depuis des années y compris des graphiques hallucinants, ils n’ont qu’à me fournir un papier écrit du
Censeur, mon chef hiérarchique paroles que je prononce dans le style du Vade rétro
Satanas ou de Moïse brandissant les tables
de la Loi. Ils rétrogradent
alors, Bolo disant que c’est un malentendu, version que j’accrédite pour
faciliter son repli. Mais cela montre à quel point le totalitarisme informatique
quantitatif continue à se développer
pour son propre compte en aspirant et dissolvant les êtres constitués. Ce
processus est partout à l’œuvre.
Emotion de voir
PL né à Djibouti (indien ou somali) mon meilleur élève de cette année me
demander de lui dédicacer Les Prunes de Cythère qu’il sort de sa sacoche
comme une merveilleuse surprise. Le fait est que c’est une surprise mais merveilleuse reste à démontrer car je
suis très mal à l’aise. Je ne tiens pas du tout à ce que mes Elèves
m’identifient comme écrivain, bien incapables qu’ils sont de comprendre ce que
cela signifie et encore moins au sujet d’un livre que je n’aime pas, comme
d’ailleurs La Meurtritude ou Le Cercan et sans doute pour
les mêmes raisons.
Même si cela a
été mon meilleur succès commercial, il résulte d’un malentendu. Enfin, ces
vieilles lunes de la folie et de l’exotisme me paraissent désormais très loin.
Il y a plus de quatorze ans entre Les Prunes de Cythère et La Pensée
Corps, c'est-à-dire un monde !
Monsieur mon passé, laissez moi passer… J’ai comme une envie d’oublier ma vie Léo
Ferré dit tout cela très bien. Mais la publication rend l’opération impossible,
ou plutôt pour prix de cette apparente impossibilité, le passé peut donc être
effectivement dépassé et rendre difficiles, ses manifestations.
Je dis quand même
à cet élève que c’est souvent grâce à lui que j’ai trouvé le courage de faire
cours, tellement c’était impossible autrement. Je ne sais pas s’il me comprend.
Toujours est-il que j’ai toujours eu dans chaque classe un élève pour qui - ne
fut ce que pour celui là, je pensais que sa présence justifiait que je fasse
cours ! Par la suite ils m’écrivent, quelquefois ils viennent ma voir et
un lien très fort se noue alors pour moi, un amour violent qui s’autorise enfin
à être ce qu’il est parce que la déontologie ne le bride plus. Et puis hélas
ils disparaissent et je ne les poursuis pas. Ils sont comme des comètes qui
traversent mon ciel et cessent de briller. Toujours des garçons !
J’ai vu pour la
première fois un affichage en anglais sur la façade de la Société Générale en
face du Printemps Haussmann. J’ai aussi vu par ci par là depuis quelques mois
des mots imprimés avec des lettres à contre sens comme par exemple des R
retournés comme les ia russes. Plus généralement le langage
devient de plus en plus incompréhensible. On m’a également fait remarquer que
de plus en plus de phrases commençaient par un QUE, devenu une cheville
essentielle de la pensée. Comme si on ne pouvait plus s’exprimer directement et
que ce QUE exprimait finalement la disparition du sujet. A noter également
l’apparition d’une forme neutre.
Quant au premier
sigle & qui a eu pour fonction de remplacer un mot, c’est le ET. Ce constat
me parait essentiel et on peut repartir de là pour ce fameux travail qui reste
à faire sur l’effondrement de la langue. D’autres observations me donnent à
penser que tout est en train de se transformer en sigles et en lettres, un peut
comme le Capitalisme a de son côté tout transformé en argent. Le code en train
de s’établir serait donc l’argent de la langue. L’argent comme l’élément
d’indifférenciation du monde. Le code (lettres, signes et sigles) comme le
vecteur de l’indifférenciation de la langue…
Je suis à peine
monté dans un taxi, une superbe voiture ultra propre que le chauffeur
m’explique qu’étant Front National, ce qu’il reproche à Le Pen c’est de ne pas
annoncer qu’il va selon sa formule foutre
les Français au boulot ! Il me montre alors son briquet sur lequel on
voit un superbe cheval blanc ainsi que les lettres CAC. Comme je lui demande ce
dont il s’agit, il me répond qu’il était dans l’armée et que c’est un truc
d’Anciens Combattants.
Il embraie sur
1962, la prison de Tulle m’expliquant que tout cela n’a rien de politique et
qu’il s’agissait seulement d’une histoire de parole donnée, sacrée pour
l’officier. Il m’explique encore qu’il faut faire la différence entre un
militaire qui fait carrière et un soldat qui se bat. Je suis émue de cette
distinction qui m’évoque quelque chose concernant d’autres secteurs d’activités
comme par exemple l’Enseignement ou la Littérature.
Il me raconte
ensuite qu’en prison à Lille, on lui a proposé d’effacer son dossier s’il
partait mercenaire au Viet-Nam en 1965, ce qu’il a fait ensuite en devenant
béret vert instructeur parachutiste au Sud, sous la direction des Américains.
On en reste pantois, mais on est quand même content d’apprendre cela, surtout
un matin à l’heure du petit déjeuner en montant par hasard dans un taxi. Il
termine en m’expliquant qu’en plus de faire le taxi, il est pigiste au Journal Minute. Pas à l’Humanité dit-il parce
qu’on s’est quand même taper sur la gueule. Je constate qu’on trouve
souvent ce genre de personne atypique parmi les chauffeurs de taxi.
Mercredi en fin
de matinée comme je suis en pleine action avec les Elèves de Terminales on
frappe à la porte. C’est une élève de deuxième année qui tient à la main son
livret scolaire pour passer le BTS et qui commence à ergoter sur le trois que je lui ai mis au premier
trimestre en raison d’un zéro que j’avais maintenu comme d’habitude mordicus. Je lui fais remarquer
fermement que ce n’est ni l’heure ni le lieu de me déranger pour une pareille
question, sans me prononcer sur le fond que je n’aborde pas. J’entreprends de
refermer la porte, mais elle met son pied dans l’espace pour m’en empêcher. Non
seulement cela ne m’est jamais arrivé dans un établissement scolaire mais
ailleurs non plus. Pour aboutir, je suis obligée de pousser violemment la jeune
personne par les épaules vers le couloir. C’est donc la première fois que je
suis amenée à bousculer physiquement un(e) élève.
J’analyse cet
évènement comme la réplique logique de ce qui se passe actuellement dans la
fonction publique dont les manifestations de fonctionnaires ont pour objectif
d’obtenir des augmentations de salaires sans rapport avec le travail effectué.
Ainsi de leurs côté les Elèves croient ils pouvoir obtenir des augmentations de
notes sans rapport avec ce que vaut un devoir… Et qu’il suffit d’être
suffisamment tenaces… Ce qu’ils sont de plus en plus d’ailleurs, devenant même
collants et agressifs.
Il y a quelques
années, j’ai été expulsée manu militari des Commissions d’Admission des
Elèves en classe de BTS par le lobby comptable qui entendait appliquer un
système de quotas sur une base clientéliste alors que je préconisais qu’on
sélectionne les candidats sur la base des notes de Français obtenues à
l’épreuve du Baccalauréat. Expulsion validée par la Direction qui ne m’a plus
convoquée par la suite… Et voilà qu’au Conseil de Classe des dits BTS celui qui
avait été le chef de la cabbale dirigée contre moi CF lâche Aux commissions d’admission en BTS, on prend
les élèves en établissant des quotas pour chaque lycée !… Je ne
m’étais donc pas trompée….
Etablir des
quotas pour les différents lycées équivaut en fait à renoncer à toute tentative
de sanctionner quoi que ce soit dans un sens ou dans un autre. Faire passer un certain
pourcentage dans la catégorie supérieure sans autre critère est du parfait nomenclaturisme. Je suis stupéfaite
d’entendre la vérité remonter comme cela brutalement à la surface pour éclater
publiquement. Je ne rate pas l’occasion de les épingler et brame Ah bien, je comprends mieux ! JPH –
membre essentiel du même lobby - découvre alors qu’il vient de faire une gaffe
et tente de la rattraper avec une malhonnêteté évidente dans le style Mais qu’est ce qu’il raconte, ce n’est pas
vrai. Je rigole ostensiblement…
Le Conseil de
Classe est le lieu de toutes sortes d’escarmouches et j’essaie de ne rien
laisser passer, y compris lorsque la Directrice qualifie de crotte, la classe de commerciaux qu’on
aura l’an prochain. Je lui demande ce qu’elle entend par là mais elle refuse de
répondre et les autres Collègues ne comprennent rien à ma protestation. Je suis
stupéfaite du manque d’humour et de distance des uns et des autres.
Seize heures
dix : Un jeune homme BCBG, cheveux bruns, très désagréable prend à parti
le grand contrôleur de la RATP qui vient de lui mettre une contravention parce
que son véhicule est garé devant le Printemps de l’Avenue des Ternes. Il est
juste dans le tournant. Le gars lui jette la contravention en pleine figure et
le boxe de deux coups de poing. J’interviens sur le thème Je suis le témoin de la République. Mais il a fallu que j’insiste
pour que le plus petit des deux contrôleurs qui étaient là, écrive mon adresse,
comme s’il n’avait vraiment pas envie qu’il y ait des suites. Je suis accablée
de sentir à quel point la loi est caduque et le fascisme quotidien quasi
ouvert, mêlé à une fusion de la nature d’une coraillisation de cauchemar !
Au Lycée
apparition d’une ambiance homosexuelle masculine ouverte, inconnue jusque là.
Tendance nouvelle
à abréger les noms de famille. Que faut-il en déduire ?
Une ambiance à
couper au couteau entre ceux qui n’y arrivent plus et ceux qui y arrivent
très bien, sans compter ceux pour qui l’expression y arriver est incompréhensible. Une armée en déroute.
Les Elèves n’ont
aucune idée ni de la notion d’Espèce Humaine, ni non plus de celle de
l’Histoire. J’en suis si angoissée que j’en hallucine la sonnerie dix minutes
avant l’heure, et que je m’éclipse avant la fin officielle de la séquence….
Ce n’est pas
seulement que plus rien ne fonctionne car c’est comme cela depuis cet hiver. Ce
n’est pas non plus que cela se sclérose et se nécrose car il en est ainsi
depuis plusieurs années. Non, c’est autre chose qui nous échappe et que tentons
de cerner avec mon ancienne partenaire de théâtre. Une paralysie qui nous gagne
et que cosigne deux jeunes Collègues pour qui l’expression Le béton prend évoque quelque chose. Je ne partage pourtant pas
tout à fait la vision de mon ancienne comparse pour qui l’absence de
perspectives se traduit par la formule d’un A
quoi bon ? qui me parait obscène. Voilà de
mon côté plus de dix ans que j’ai réglé la question en la retournant. Qui va me donner la force devient alors
un A qui vais-je donner la force ?
plus spirituel et dynamique...
Un Collègue
agrégé dont la femme est psychologue scolaire explique en pleine Salle des
Professeurs qu’il a quarante cinq mille Francs de découvert bancaire à 19%
d’intérêt. Je lui donne alors de façon solennelle - avec mise en scène adéquate
- dix centimes au titre de la solidarité….
Je suis troublée
de voir à la Télévision sur Canal Plus dans L’émission Les Arènes de L’Info
à l’intérieur de celle de Nulle Part Ailleurs,
les marionnettes représentant les célébrités qui au départ étaient cantonnées
dans un pastiche du Journal Télévisé, se répandre dans tout le reste de
l’émission. Notamment le dédoublement qui apparaît lors de la conversation
entre la marionnette et la célébrité qu’elle représente. Cela a commencé avec
Gainsbourg dialoguant avec sa marionnette pour une publicité pour la FNAC. Dans
la même fonction, tout cela prend la place de l’ancienne Minute de Monsieur Cyclopède du regretté Pierre Desproges qui vient de mourir d’un
cancer, comme Gainsbourg atteint d’une cirrhose alcoolique vient de se faire
opérer du pancréas.
A la Bibliothèque
du Lycée - déjà largement pillée depuis plusieurs années - le fichier des
auteurs a été relégué dans un coin inaccessible, derrière le panneau
d’affichage… On ne peut plus en tirer les tiroirs… Ni non plus ainsi même
constater la disparition des livres. J’ai fait un scandale devant les Elèves en
priant la Documentaliste de le changer de place….
Au Lycée,
atmosphère tous les jours plus irrespirable. Je lutte encore et me fais rouler
sur le scandale de Disneyland. Comme je vante la revue Etudes Foncières qui a
dénoncé le scandale, CA et NB me coupent d’un Ce n’est pas cela qui fait arrêter les travaux. Il semble que le
combat politique lui-même ne soit plus compris. Je réponds sur le mode
métaphysique, mais me demande s’il ne serait pas mieux de rompre purement et
simplement. Pourtant je ne peux pas me déprendre de cette Salle des
Professeurs, et pourtant on ne cesse d’y être symboliquement mis à mort. Le
Neuf finalement je suis allée lire dans la cour, et c’était la première fois
depuis 1975 date à laquelle je suis arrivée dans cet Etablissement. Je n’y ai
pas trouvé le soleil escompté mais au moins la présence des arbres qui m’ont
toujours sauvé la mise.
Le Dix, en Première
Année, les racistes et les anti-racistes en sont presque venus aux mains. Le
raciste disant à l’antiraciste Je vais te
niquer au milieu d’autres menaces diverses. J’ai été obligée de
m’interposer et d’en exclure un juste avant qu’il se mette à cogner.
Pour le Salon du Livre, la Quinzaine Littéraire a publié un numéro Où
en est la littérature française ? très
provincial. Ce qui est stupéfiant, c’est le décalage croissant entre une
mondialisation dont Gorbatchev dit Au fur
et à mesure que la perestroïka prend de l’ampleur et une fermeture
croissante de la société française. On a une espèce de cour de Louis XVI de
plus en plus sophistiquée dans ses formes de plus en plus vides de sens. La
question se pose de savoir quand la superstructure de la société française va
casser sous le poids de la modification de l’infrastructure mondiale. Il
semblerait que quelque chose de cet ordre soit déjà à l’œuvre.
On apprend que
certains Jurys des Examens de Bureautique,
options Traitement de Textes,
n’ont pas pu se tenir parce les Collègues ne se sont pas rendus aux
convocations et qu’il a fallu annuler. Comme je m’enquiers du nombre de Jurys
touchés par cette disparition, en proposant un chiffre de dix pour cent, la
Collègue l’a admis.
Les Conseils
d’Enseignement ont déjà disparu, ainsi que certaines disciplines dont les Arts,
le Français, les Sciences Naturelles et on se demande si l’Education Nationale
peut se terminer ainsi par la perte de ses éléments, les uns derrières les
autres. On voit d’ailleurs déjà en librairie un livre de science fiction titrer
L’impossibilité matérielle de faire passer le Baccalauréat en 1992 parce
qu’on n’a pas réussi à faire partir les convocations dans les délais. Tout cela
ne me paraît pas tellement incongru.
Au Conseil de
Classe des TG3, les Collègues racontent que la Directrice était comme
d’habitude en retard et s’est cette fois justifiée d’un Je me faisais livrer des surgelés Picard, et ça ne pouvait pas
attendre. Quelqu’un a par la suite affiché au panneau administratif de la
Salle de Professeurs, une caricature anonyme de la Directrice en livreuse de
surgelés.
Quant au Collègue
gauchiste qui est venu avec une veste Mao, tout le monde s’est moqué de lui, y
compris moi.
Je suis - en tant qu’écrivain - dans le Nathan du vingtième
siècle et cela a de l’effet sur mon comportement vis-à-vis de la Littérature.
Je me mets au Lycée à parler de mes difficultés d’auteure en tant que personne
et aussi de mes succès jusqu’à exhiber ma bibliographie plutôt
impressionnante…Je retrouve le même comportement de la part de mes Collègues
qui lors de la parution de la publicité dans Le Monde pour Canal de la Toussaint, ont dit être contents
qu’ON y soit.
L’existence de ce
ON est incontestable et à chaque fois m’a montré que je ne me trompais pas sur
sa problématique. Je constate que c’est mon introduction dans le Manuel des
Elèves qui m’a donné une légitimité d’accession à un nouveau statut
d’auteur/professeur orthodoxe patentée et non plus d’artiste. C’est cela qui
permet d’ouvrir la conversation. On me prend désormais en considération sans
méfiance puisque je suis patentée, et je n’ai plus l’odeur sulfureuse des
marginaux et contestataires, mais au contraire le côté rassurant de
l’institutionnalisation. ON m’écoute. ON est fier d’avoir un auteur à bord. ON
veut afficher le prospectus publicitaire sur lequel il y a ma photographie.
Bref on est plutôt heureux !
Se greffent
là-dessus plusieurs conversations de fond, y compris avec Vitorge qui m’est
habituellement hostile. Conversation dont émerge l’antagonisme que je sentais
depuis cet hiver, entre la génération des soixante-huitards et la génération cocon. Je vais
même jusqu’à mettre les pieds dans le plat sur le thème Nous on a transgressé. AM Mazzega m’emboîte le pas en rigolant d’un
Au prix qu’on l’a payé, il n’y a pas de
quoi se vanter ! Je reprends alors ce que je dis d’habitude lorsqu’on
parle de Mai 68 : C’est là que mes
ailes se sont ouvertes, et elles ne se sont pas refermées depuis.
Tout cela dans
une ambiance d’excitation raccrochée au manuel de chez Nathan qui présente le
combat féministe. Je précise que ce n’est pas dur après coup d’apparaître comme
un mouvement politique et littéraire, mais que sur le coup ce n’était as si
évident que cela de le faire, que les luttes féministes, il a fallu les mener,
et qu’en Mai 68 on ne rigolait pas tant que cela quand on croyait que les chars
étaient aux portes de Paris et qu’on ne savait vraiment pas comment cela allait
tourner. C’est un élément qu’on a souvent tendance à oublier. Ajoutons que
c’est là que j’ai brûlé mon journal d’adolescence pour ne pas donner la preuve
de mon caractère résolument révolutionnaire. Enfin pour finir je leur rappelle
que la DST avait d’ores et déjà établies des listes et une logistique d’internement.
De son côté un Collègue Antillais dit craindre
que la Pérestroïka débouche sur une
guerre et qui m’explique qu’en cas d’attaque on peut toujours se défendre avec
une bouteille de gaz allumée en lance-flammes !! Il précise Tu ne peux pas avoir de révolver chez toi,
ce sont les enfants qui l’utilise !...
Dimanche soir à
l’émission télévisuelle Sept sur Sept,
Alain Minc au sujet de la conjoncture française parle d’un miracle économique.
Lorsqu’on pense que cette expression recouvre dans la réalité la baisse de nos
salaires, l’extension du chômage, l’entropie généralisée, la disparition du
droit, la corruption et la gangrène… On a l’impression d’être cravaché en
pleine figure…
Au cours de
Gymnastique au Centre Valeyre de la Ville de Paris une femme arabe avec un
maillot sur lequel est marqué La démocratie ressuscite accompagnant le visage d’un leader maximo visuellement inconnu. Je m’abstiens donc d’engager la
conversation pour éviter tout impair dont pourrait sortir le pire… stupéfaite
de rencontrer ensuite la femme dans le couloir, avec un tchador sur la tête…
Dans la même
rubrique, on apprend que le nouveau président de l’Argentine est un musulman
venu de Syrie qui a renoncé à sa religion, tandis que sa femme y persistant,
s’est contentée de renoncer au port du tchador… On croit rêver.
Nouvelle grève
des Cheminots démarrant à la suite de l’agression de deux contrôleurs qui
tentaient de faire leur travail. La chose est devenue fréquente. Dans mon cours
de Terminale j’ai pris cet exemple pour clarifier les rapports de la force, du
Droit, de l’uniforme et du symbole déclenchant la moquerie des élèves qui
trouvaient qu’il n’y avait pas de quoi en faire une histoire, que c’était
plutôt drôle que les fraudeurs s’enfuient… Je l’ai fort mal pris, et ma colère,
à défaut de mes arguments leur a donné à réfléchir…
On comprend que
les contrôleurs en aient assez de se faire molester mais on demeure étonné de
leur revendication, à savoir ne pas être obligés de contrôler les billets
lorsqu’ils sont seuls… Comme si nous même on demandait de ne pas être obligé
d’enseigner parce que les conditions de l’exercice de la profession ne sont pas
réunies. Demander à ne pas faire son travail équivaut en fin de compte à
revendiquer de toucher une rente sociale sans aucune fonction. On a là un
exemple de revendication individuelle, qui si elle est justifiée en
microéconomie, apparaît macro économiquement, une aberration ! Remarquons
au passage, que cette nouvelle grève comme les précédentes
est dans le secteur des communications.
Mercredi la grève
paralyse la totalité du réseau de la banlieue, et on sent qu’on est à deux
doigts de l’émeute. A la porte de la Chapelle, des CRS en armes à l’entrée de
l’autoroute, ce qui visuellement fait un drôle d’effet, parce que l’échangeur
surplombe la Porte et que les Policiers se détachent sur le fond des grands
immeubles du quartier, le tout dans le soleil levant. Il y a des Policiers avec
des talkis walkies tout le long de l’autoroute et du Boulevard qui la
surplombe, comme s’ils craignaient le pire. Le fait est que c’est intenable.
Ambiance
irrespirable au Lycée en raison de la désagrégation complète du fonctionnement
du formatage des salles. Les Elèves ne sont pas là où on croit, ni où ils
devraient être. Dans la Salle des Professeurs, une feuille affichée qui
appelait à une conversation de fond sur les difficultés pédagogiques réelles de
l’Enseignement des Sciences et Techniques Economiques a été arrachée, alors
même que ce ne sont pas les moeurs habituelles… Qui est ce que cela
dérange ? Une syndicaliste tente de son côté d’accréditer la version d’une
maladie mentale de la Directrice ce que j’analyse comme le refus complet de la
problématique politique.
Jeudi,
arrestation de Paul Touvier caché dans un couvent catholique à Nice ! On
en est sidéré et on pourrait parler de complicité, mais en fait quand on voit
l’intégrisme se fasciser crescendo, on trouve que le mot collusion conviendrait mieux. On est terrifié de constater ce qu’on
sait par ailleurs, à savoir que ce courant n’a pas cessé depuis la Guerre et
que la Bête Immonde est toujours là. Le nazisme qu’on nous avait présenté comme
vaincu par la victoire de 1945, non seulement ne l’est pas, mais ne l’a jamais
été. C’est bien ce que je sens de si pesant et pénible avec ma mère, et
ailleurs aussi quelquefois… Du coup ma réponse est d’attaquer ce jour la mise
en forme de mon livre La Jeune morte en robe de dentelle.
Un vigile de la RATP
a tué dans le métro - à la station Opéra - un loubard qui venait d’agresser une
femme. Il ne s’agit pas d’un fait divers, mais d’un état social. Comme les
agents barrent les couloirs de ma correspondance habituelle, je tente de leur
expliquer que dans mes classes j’échoue complètement à faire comprendre à mes
Elèves ce que devrait être un fonctionnement normal et qu’ils vont même jusqu’à
se moquer de moi. Les agents de la RATP ouvrent des yeux bovins qui me donnent
à penser qu’eux non plus ne comprennent pas vraiment de quoi il s’agit. Pour
tout dire, leurs réactions me font peur.
C’est d’ailleurs
l’impression que donne au Lycée la génération des Trente Trente Cinq ans avec
qui la coupure est aussi forte qu’avec les Elèves. Ils veulent seulement ne pas
être dérangés, recueillant les avantages égoïstes du laxisme, sans être le
moins du monde intéressés à la transgression
libertaire qui fut la nôtre. J’ai
entrepris le grand ménage de la Salle des Professeur pour lutter contre le
fourbi qui va crescendo.
J’ai jeté les
pots de fleurs en déshérence qui étaient là depuis des années, les vieux tubes
d’encre utilisés pour les Gestetners
et fait ranger les cartes roulées dans un coin. Mes tentatives de faire rendre
utilisable l’armoire qu’il y a dans le petit couloir d’accès a échoué,
l’employé d’Intendance contacté ayant remis l’opération à la Saint Glin-Glin.
J’ai rangé à fond mon propre casier que je purge de plus en plus radicalement
au fil des années, car cela ne sert à rien de garder des choses qui ne peuvent
pas resservir d’une année sur l’autre.
En Conseil de
Classe de 1e TSC2, classe qui n’a pas marché de toute l’année je
déclare froidement Et tant qu’on ne
regardera pas en face ce qu’au bas mot on peut appeler le double langage, on ne
pourra pas entamer la Perestroïka ! Cela ne fait rire personne, et la
Directrice me morigène d’un On n’est pas
à Moscou.
Un vent de
panique chez les Professeurs est déclenché par la rumeur des rapports écrits
que la Directrice ferait faire aux élèves, concernant les Collègues.
Un député traite
Mitterrand de Caligula, ce dont j’avais eu l’intuition avec mon projet de livre
avorté Les Bateliers de Tibère. Quant au courageux journaliste Michel
Polac, il jette l’éponge disant que ce n’est vraiment pas possible. On se sent
accablé.
Mardi à Saint
Antoine, la population du pavillon où j’ai mes habitudes pour les bilans du
cancer a encore augmenté, beaucoup plus que progressivement. Il y a beaucoup
d’hommes jeunes. On est au bord de l’explosion. Je suis très impressionnée par
le nouveau costume des infirmières, une sorte d’imperméable vert par-dessus
leur blouse, des gants en caoutchouc, et un masque devant la bouche ! Je
comprends qu’il s’agit de ma première rencontre avec le SIDA. J’essaie de le
faire savoir à ronde, comme d’habitude sans succès.
Profond marchoir jusqu’au Musée d’Orsay, mais
ces marches ne suffisent plus comme je l’espérai à relier les différents
quartiers. La ville éclate comme celles qui peuvent se construire les unes à côté
des autres. Santiago du Chili abandonnée aux métis tandis que se construit à
côté une autre agglomération juxtaposée. Et Fez avec ses trois villes
distinctes, témoignage des modernisations successives. Ainsi sous nos yeux
Paris se casse t il en trois entités : la Médina, la Ville Blanche et la
Chinatown. Mes marches ne suffisent plus à relier les quartiers de la ville,
parce que ce ne sont plus des quartiers, mais des villes et elles sont
incompatibles.
Les affiches de
Le Pen pour les élections européennes : RPR, PS, UDF etc…dites leur les cinq lettres LE PEN ! Je suis
sidérée de voir pour la première fois quelqu’un s’identifier publiquement à de
la merde, et présenter cela comme quelque chose de positif… Ceci confirme
l’évolution de la société française vers la scatologie, évolution que j’avais discerné pour la première fois lors du mouvement des
étudiants en 1986. Je comprends cela comme une envie d’envoyer chier la réalité et
cela me parait redoutable pour l’avenir, car nos Concitoyens n’y ont déjà que
trop tendance, aussi bien en ce qui concerne l’Europe que le reste du monde.
En Chine,
intervention de l’Armée pour réprimer les manifestations populaires. Le
spectacle écoeurant de la classe politique française prononçant les paroles
d’usage concernant Les Droits de l’Homme qui ne
signifient rien dans ce contexte, mais surtout pour enchaîner sur le fait qu’il
n’est pas possible de prendre des sanctions économiques parce que ce pays
représente un marché d’un milliard trois cents mille hommes et qu’il n’est pas
question de le perdre. On en est confondu !...
La Guerre Civile
en Chine ! On n’aurait pas pu la soupçonner il y a quelques jours, ce qui
donne à penser qu’il y a des éléments qu’on ignore. Des massacres ethniques
dans le sud de L’URSS. L’enterrement de Khomeiny dans un invraisemblable délire
de douleur contorsionnant les corps. La foule arrachant le linceul et le
cadavre dégringolant par terre. La nécessité de faire reculer la foule à coup
de canons à eau pour pouvoir récupérer la dépouille. Des scènes hallucinantes.
Le climat mondial
est plutôt lourd, et c’est la première fois qu’on peut écrire une expression de
ce genre.
C’est le début
des épreuves du Baccalauréat. La situation est intenable en raison d’une
tension tous azimuts. J’ai de grosse difficultés à m’y rendre, car mon être
tout entier renâcle sans que je comprenne pourquoi, autrement que l’impression
d’un danger immédiat. La tension avant l’orage. De fait j’y suis incapable de
faire le travail que j’avais emporté pour meubler la surveillance, tellement ma
co-surveillante est hostile et tant les sujets proposés aux Elèves sont
abscons, si loin de leur vie voire même dénués de toute réalité. On en éprouve
un malaise.
Je me sauve en
courant jusqu’à la librairie du Faubourg Poissonnière quêtant le secours de la
Littérature. Je mets beaucoup de temps à trouver le choix qui convient, là De
l’inconvénient d’être né de Cioran, qui me soulage enfin. J’écrivais la
semaine dernière Contre la dislocation,
la lecture, contre le totalitarisme, l’écriture et contre la résignation, la
marche…
Chez le Censeur,
j’apprends comme elle par téléphone, les résultats de nos Elèves au BTS. En
2TSC2 nous avons cent pour cent de reçus dès le premier groupe d’épreuves et en
1TSC1 quatre vingt pour cent. Quand on sait qu’habituellement, le résultat
final après les épreuves de repêchage est de cinquante à soixante pour cent, il
y a de quoi s’étonner! Je félicite un élève qui passe et qui ne se rend même
pas compte que je me moque. Je lui précise que tout de même je suis contente
pour lui, ce qui est authentiquement vrai, comme je le serais de voir quelqu’un
libéré d’une prison dans laquelle je serais encore moi-même. Je me demande quel
sens cela peut avoir d’aller faire passer les oraux avec des résultats pareils…
Pourquoi ne pas attribuer tout de suite les diplômes à tout le monde, on
économiserait de l’énergie !...
Il n’y a même
plus le sentiment de profonde humiliation qu’on pouvait avoir ces dernières
années mais plutôt la conscience d’une défaite qui pour la première fois donne
l’envie de démissionner comme une ultime objection
de conscience, ou plutôt même de déserter lâchement en se disant que
tout est accompli et que cela ne sert à rien d’être faite prisonnière….
J’ai déchiré la
convocation qu’on m’avait envoyée de façon chaotique pour me faire corriger in
extremis par raccroc, une épreuve écrite après qu’on se soit aperçu qu’il n’y
avait pas assez de correcteur, ceci étant la conséquence de l’entropie croissante,
le Service des Examens ne fonctionnant plus du tout. Il semble même que ce ne
soit plus de lui qu’émanent les convocations mais de lobbies fragmentaires qui
prennent les choses en main en s’arrogeant le droit de convoquer les autres
Collègues. J’ai donc ainsi été convoquée A
tout hasard par le lobby
comptable pour évaluer les rapports de stages pour lesquels je ne suis pas
censée être compétente !
Dans le renouveau
culturel que j’observe depuis un an ou deux, l’idée me vient après avoir lu
deux autres livres qui utilisaient ce concept, que cette nouvelle renaissance
devrait directement s’appeler L’ENTETE et notre mouvement Génération ENTETE. Le
fait est que si on lit André Chouraqui en Amérique du Nord, c’est grâce à moi
par l’intermédiaire du réseau féministe. Je lui ai d’ailleurs envoyé mon livre La
Pensée Corps avec comme dédicace Avec
ma reconnaissance d’avoir pris sur
vous L’ENTETE.
Je repense à ce
que nous avait dit le Professeur Vilain qui animait le Ciné Club du Lycée
Voltaire où on nous avait projeté Nuit
et Brouillard : Prenez
garde à l’accoutumance disait il. Et je cherche le terme qui conviendrait
pour nommer la situation. République bananière contient une partie de la vérité
mais laisse de côté autre chose dont la Télévision et le langage sont les
vecteurs et qui a rapport au livre que je termine La jeune morte en robe de
dentelle.
Quand on lit que Pierre Mauroy tire la sonnette d’alarme parce les
membres du Parti Socialiste tapent dans la caisse et qu’à la Radio il parle de tolérance
à propos des opérations sur fausses factures et bureau d’études, on est
confondu de cette disparition de la notion de Droit. C’est ce que résume le Syndicat de la Magistrature Sous la Droite on était des bouffons et
maintenant on est des Guignols !...
Quant à Michel Rocard, quelle autosatisfaction pour proposer une
amnistie des fraudes parce que les deux côtés ont autant de choses à se
reprocher l’un que l’autre ! Il n’est question là dedans ni de
citoyenneté, ni de République, ni même du Droit.
EUX SEULS sont sujets et nous rien, voilà la nouvelle donne !
C’est notre annulation...
Ces fêtes du Bicentenaire de la Révolution laissent non seulement à
désirer mais manquent même de sens pour ne pas dire qu’elles sont dans le
contresens absolu. Le schéma de base étant que les festivités sont réservées
aux riches et que pour qu’ils soient plus à l’aise pour pouvoir en jouir dans
la Capitale, il convient d’en boucler les habitants. Ainsi le Louvre fut il
fermé quatre ou cinq jours, mesure qu’ils ont été obligés de rapporter devant
la protestation générale y compris celle du journal Le Monde. De même pour
les autoroutes d’accès à Paris et le stationnement au Centre Ville, mesure
atténuée par la suite. Mais le bouquet est tout de même la décision d’installation
par le Général responsable de la défense de Paris, de missiles anti-aérien sur
le Pont de Tolbiac pour parer à une attaque aérienne kamikaze. On hésite entre
la panique et la rigolade, avec quand même une furieuse envie de s’en aller…
Dans les toilettes d’un bistrot à Mamers, un distributeur de
préservatif affiche le slogan suivant Croquez
la vie sans pépin : Récupérez le produit !...
Laissé aller général. Les shorts sont devenus le nouvel uniforme
obligatoire. Dans les publicités les paires de fesses remplacent les bas
ventres. Toute la ville est quadrillée de Police interdisant non seulement les
festivités de fête mais même la circulation.
Dans des réservoirs juxtaposés… C’est ainsi que le Grand Coordonnateur de la
Sécurité parle avec satisfaction du conditionnement qu’il a prévu pour la foule
et dont il expose les principes à la Télévision à midi. J’en ai froid dans le
dos. On ne parle plus de canaliser la foule comme c’était le cas autrefois, ni
non plus de la contenir. Il s’agit maintenant d’une espèce de gestion d’une
matière liquide qu’il faut installer dans le décor, mais à condition qu’on la
maîtrise et qu’on puisse la disposer avec Art. Une sorte de sauce. L’équivalent
social du ketchup qui va désormais avec la nourriture…
Ni Place de la République ni Place de la Bastille, il n’y a le soir la
moindre danse. Une musique nulle, à la limite de celle du cirque dans laquelle
la mince qualité musicale est cachée par un débit sonore intolérable. Cette
absence de danse une pareille date en rajoute à l’impression de malaise
général. Comme si à la limite on ne savait même plus pourquoi on était là, ce
qui parait d’ailleurs le cas, quand on voit la masse de policiers et de femmes
voilées qui font qu’on est en fin de compte à contre sens…
Le malaise se maintient au-delà des fêtes du Bicentenaire. La ville est
toujours interdite dans son axe principal Châtelet Etoile alors qu’il n’y a même
plus l’excuse de la nécessité du défilé. On a décidemment l’impression d’une
Race de Seigneurs qui prend possession de la ville et on éprouve un sentiment
d’humiliation car les autobus ne peuvent plus fonctionner. Ce ravalement sous
terre des habitants évoque depuis plusieurs jours le film Métropolis. Mes nouvelles en avaient l’intuition. Aux Halles à la
Fontaine des Innocents, des rassemblements de plus en plus crasseux et
visqueux.
Dans la ville, disparition des frontières entre les corps. L’obscénité
se généralise. Ca bouffe, ça rote, ça pète, ça pisse, ça se reculotte et ça se
déculotte partout à temps et à contretemps surtout. Il n’y a plus ni code, ni
règles. Pendant le Défilé du 14 Juillet, une jeune femme a pris sans me
demander ni mon autorisation, ni me dire quoi que ce soit, un lourd appui sur
mon épaule pour se hisser plus haut sur un balcon. Je l’ai envoyé dinguer.
Sixième jour de dérangement des bus. Comment ne pas voir ce qu’on
voit ? C’est plus que du dualisme mais un commencement de liquidation.
J’en avais déjà eu l’intuition cet hiver lors de la longue grève du métro
durant laquelle il était clair que ni la classe politique, ni les grévistes du
métro n’en avaient rien à faire des souffrances de la population et des accidents
qui survenaient.
L’inutilité de notre travail professionnel, inutilité sociale et non
politique ou culturelle nous déstabilise profondément car c’est autour de lui
que mon ancienne partenaire de théâtre et moi, nous nous sommes construites.
L’expression qui m’est venue, c’est Nous
sommes caduques alors que durant l’hiver, je ne parlais que
d’obsolescence. J’ai surtout l’impression du caractère irrémédiable de la
situation sociale.
De l’aveu même d’un conducteur du bus quatre vingt douze, les chauffeurs
n’avaient pas été prévenus de la non circulation de leurs véhicules hier. Ils
l’ont découvert comme nous au dernier moment…
Le dirigeable qui survole la ville pour la surveiller, est toujours là
particulièrement stressant. La semaine dernière déjà m’était venue l’idée qu’il
pouvait ne plus repartir… On l’entend avant de le voir et on n’est pas toujours
sûr que ce soit lui. On espère d’abord que cela ne l’est pas et puis on le voit
et il ne fait plus de bruit.
Accélération dans l’extension de la mode élastique. Les bonnes femmes
se promènent en short ou en culotte cycliste ultra moulante. Certains shorts
dégagent même le bas des fesses et une partie du ventre en haut des cuisses. Le
tout en plein Paris. Quand aux petits hauts, elles n’en n’ont pratiquement pas,
la poitrine à l’air. On évolue vers un système de gaine moulante mettant
particulièrement en valeur le postérieur recoupant l’ambiance scatologique déjà
analysée.
Dans un restaurant un homme particulièrement prévenant, pour être
galant m’accompagne aux toilettes, m’allume la lumière et m’indique les lieux…
Intolérable spectacle de la ville à la vue de la dégaine qui partage
les loosers et les winners, les
immigrés étrangers à ce jeu, d’une certaine façon moins loosers que les Blancs
vaincus. Ce ne sont pas leurs propres valeurs qui se retournent contre eux.
Quant aux femmes elles semblent attendre de savoir quels sont les vainqueurs,
tant il est vrai que c’est vers eux, qu’elles iront. Je suis accablée du
sentiment de l’irrémédiable n’étant ni winner
ni looser et faute de pouvoir empêcher la fracture, m’occupant surtout de ne
pas être désintégrée. L’américanisation de la France, c’est sa
Sud-Américanisation. Les grilles qu’on commence à voir apparaître sur les
vitrines et sur le Ministère de la Femme en sont un signe…
Dans un bistrot un panneau On est
prié de tirer la chasse après usage ce qui prouve que cela ne va plus de
soi étant donné la mode scatologique et que cela a besoin d’être précisé.
Depuis quelques semaines invasion brutale et massive de mots allemands
dans la presse écrite.
A Millau, la serveuse de l’Auberge Occitane donne sur l’organisation de
la soirée cabaret des explications impossibles à comprendre, en dépit de mes questions
pour essayer de tirer au clair les renseignements pratiques. Je suis effarée de
constater que cette jeune personne qui n’a pas vingt ans n’est pas capable
d’utiliser la parole pour transmettre des informations fonctionnelles. Après
traitement dans ma tête de ce galimatias, il apparaît que son discours est
incompréhensible parce qu’elle ne se différencie pas elle-même des autres
personnes, confondant les consommateurs et le spectacle dans une même absence
de sujet. Ce qui finalement ne m’étonne guère car il me semble que la mutation
de la langue à laquelle on assiste en ce moment, c’est cette disparition là.
A la Radio, la propagande est telle que je me demande s’il ne faudrait
pas s’en débarrasser.
L’annonce que le Carmel construit au Camp d’Extermination d’Auschwitz
ne sera pas déménagé me bouleverse absolument. J’y vois un totalitarisme
chrétien de mauvais augure…
A France Inter on entend ceci : Cosmétiques vient de cosmos qui veut dire parure »
A Pézenas au Palais de la bière, sur la porte extérieure, juste en
dessous d’une publicité pour les cigarettes cette injonction Interdit aux toxicomanes.
La France envoie à Beyrouth en ruines, Alain Decaux en tant que
Ministre de la Francophonie pour faire pression sur les Syriens pour qu’ils
arrêtent les bombardements… Dans le même temps qu’on envoie un porte avion
militaire… De qui se moque-t-on ?
Agitation chez les Gendarmes. Cela manquait! Tous les corps des
Services Publics errent depuis le Mouvement Etudiant de Décembre 1986. Sans se
prononcer sur le fond, il est instructif de noter la différence d’image des
revendications selon les médias. Pour la Radio, le mouvement s’analyse comme
celui Des jeunots qui ne veulent plus
bosser autant que les anciens et sur un mode spartiate. Pour le
journal Le Monde, c’est plutôt la
base qui ne veut plus servir de valets aux Officiers qu’ils accusent par
ailleurs d’utiliser les moyens publics à leur usage exclusif, ce qui est assez
différent et plus sympathique et recouvre ce qu’on vit au Lycée dans lequel la
Directrice considère l’Etablissement comme une propriété privée destinée
uniquement à son usage.
L’analyse de tout cela est facile à faire. Les anciennes structures
n’ont plus de fonctions. Elles sont utilisées par ceux qui sont en situation de
le faire sans qu’ils fournissent la contrepartie publique qui n’a plus de sens
dans le cadre de l’obsolescence de l’Etat National. Je comprends mieux la fin
de l’Ancien Régime. Ce n’est pas que l’autorité ne veut pas faire de Réformes,
c’est qu’elle ne le peut pas. Les structures sociales ne peuvent pas être
abolies, elles peuvent seulement se nécroser.
Dans le même temps, les Gendarmes ayant décidé une grève des
contraventions tentent d’utiliser les circuits d’information interne pour se
coordonner. On ne voit d’ailleurs pas comment on pourrait les empêcher… Même si
le Ministre de la Guerre a mis aux arrêts celui qui a lancé le mot d’ordre de
grève. C’est comme un littoral entre deux ordres qui s’affrontent, les
Institutions du Service Public et l’Ordre du Grand Corail qui veut se mettre en
place. Tout cela est nerveusement épuisant et on aspire à une solution.
La guerre est déclarée. Dans une commune de l’Isère (Charvieux) un
maire RPR a fait détruire une mosquée à coup de bulldozer. Les protestataires
ont incendié la mairie, le gymnase, la pelleteuse et ont mis à sac la maison de
l’entrepreneur.
Aux Halles, c’est la deuxième fois que je vois un chanteur de Coran.
Dans le bus quatre vingt douze un groupe iranien - ou en tous cas du
Golfe - comprenant cinq adultes, huit enfants, et trois poussettes avec des
femmes voilées dans de superbes robes en soie aux couleurs magnifiques.
On reçoit des images de Neptune, expédiées par la sonde Voyageur Deux mise en route il y a douze ans… Il y a huit ans, elle a
survolé Saturne….
La flotte de guerre envoyée au Liban fait partiellement demi-tour.
La façade de la société dégringole et le sale visage du Régime de Vichy
réapparaît y compris chez les Socialistes. Il n’y a pas deux France - celle de
Vichy et l’autre - c’est la même en deux versions différentes, c'est-à-dire la
version originale ou la sous titrée. L’hypocrisie, les rodomontades, le trafic
d’armes, le colonialisme. Je me demande quel rôle joue dans tout cela le fait
d’être géographiquement situé au bout du continent. C'est-à-dire de ne pas être
un lieu de passage, comme bien d’autres pays mais au contraire une permanente
phase terminale.
L’expression qui me vient face à la déstructuration qui s’étend c’est le devoir de beauté. Cette notion
couvrant à elle seule et les liens et le sens. C’est cette beauté qui me semble
de plus en plus interdite, comme s’il s’agissait d’en perdre jusqu’au souvenir…
Et c’est cela maintenant qui me parait le plus révolutionnaire, l’Art et
l’Absolue Culture comme la seule réponse possible à cette défécation sociale.
La tiers - mondialisation en train de se faire,
déboussole et rend caducs nos outils mentaux. Il ne suffit plus d’être des
Blancs pour être garanti contre le malheur. Le cliché des Blancs conquérant le
monde et imposant leur domination génératrice de désastre ne fonctionne plus.
Le tiers-mondisme n’est plus valorisant. Cette posture du Blanc généreux de
remettre en cause ses privilèges, ne va plus de soi. On assiste tout simplement
au remplacement d’une population par une autre. On a beau le savoir de la
Démographie, ce que la Démographie n’enseigne pas, ce sont ces scènes de rue
quotidiennes qui rendent visible ce remplacement.
On ne parvient à le penser qu’abstraitement dans une zone du cerveau
qui relève de l’intelligence, de la lucidité et de la prospective. L’expérience
au présent - avec ses affects irrationnels et instinctifs - c’est une toute
autre histoire ! Ce remplacement d’une population par une autre, c’est une
angoisse de mort qui s’installe… Quel différentiel de vitalité entre ce groupe
hexagonal sclérosé et cette vitalité dynamique des groupes asiatiques,
islamiques et africains. Ce qui meurt, c’est nous ! Il faut être aveugle pour
ne pas le voir. Ce délabrement est bien le nôtre.
Cette sensation est renforcée par l’écroulement de l’appareil d’Etat
qui nous laisse démunis et professionnellement au bout du rouleau. La sclérose
et l’incurie sont telles de tous les côtés qu’on ne peut même plus lever
le petit doigt avec efficacité. Depuis vingt ans nous avons professionnellement
continué tout droit notre chemin, sans cesser de nous moderniser et de nous
mondialiser, même si cette mondialisation relevait d’abord de la tradition tiers-mondiste
et coloniale. Mais maintenant que cette mondialisation s’achève sous forme
d’une Economie Monde établie et de la désuétude de l’Etat français, la rigidité
du pays nous empêche d’en récolter les fruits.
La Révolution Cybernétique nous rend caducs en tant que courroies de
transmission. S’il s’agit de la formation de la population, la Télévision et
les ordinateurs peuvent le faire plus efficacement que nous, quant au reste,
ils n’en ont guère besoin. Et pour la propagande, le Grand Réseau est plus efficace
que tous les Corps Constitués. Ainsi donc tout ce groupe professionnel
instruit, diplômé au service de la collectivité se trouve jeté dans les
oubliettes de l’Histoire comme la Révolution Industrielle en a disqualifié un
certain nombre et que cela n’a pas cessé depuis. Dans le même temps il faut
faire un effort colossal pour intégrer une modernisation technologique qui de
toute façon nous exclut.
Autre signe objectif de la Régression en cours : J’ai entendu à la
Radio une émission des Temps Modernes avec Sartre et toute sa bande,
mettant en cause l’ordre établi avec une radicalité impensable aujourd’hui.
Partie d’une série diffusée en 1947, elles furent d’ailleurs suspendues et on
comprend bien pourquoi !... Quant aux trois derniers enregistrements, on
ne les avait jamais programmés et on les a entendus pour la première fois,
cette semaine. On comprend mieux ainsi le rôle politique que cet homme de
lettres a pu jouer à l’époque, alors qu’avec le purgatoire dans lequel
il est tombé, on ne comprenait plus rien.
A la Télévision, je vois des hommes à qui j’envoie mes livres et qui
certaines fois me répondent et d’autres non. Ce Dimanche, il s’agit de ceux qui
répondent. Bonheur !...
Une émission sur les Hassidim. On nous montre la fin des cérémonies
avec chants et danses. On voit un gros plan sur le visage d’un adolescent
complètement enamouré de la Divinité. Non pas une transe africaine ou caraïbe,
non pas une ascèse désertique du Proche-Orient mais un autre rapport au divin,
la suavité de l’être dans les bras d’un amant créateur. Je ne peux me déprendre
de la beauté de ce visage et de ce corps dansant. Il dansait à la fois comme
moi et en même temps, de tout ce qui me manque…
Signe objectif de la baisse du niveau de vie et de notre relative
prolétarisation sociale : Les Grands Magasins, Galeries Lafayette et Printemps semblent désormais interdits
comme trop chers pour nous, ce qui était loin d’être le cas,
auparavant !...
J’ai toujours été en mauvais état à toutes les rentrées scolaires mais
jamais comme cette année. Pas même en 1983 avec la Chimiothérapie, en 84 avec
la mononucléose ou en 87 avec l’affection inconnue que j’avais rapporté du Rio
de La Plata.
Dans le métro un jeune père avec son enfant dans une poussette.
Accrochée à celle-ci une monstrueuse radio dont il monte le son dès qu’il est
installé dans le wagon. Je me force à aller lui dire de le baisser, ce à quoi
je parviens difficilement. Cet enfant parlera-t-il ? Le langage humain
peut-il disparaître ? De surcroît la nature de cette musique laissait
artistiquement à désirer pour ne pas dire davantage.
Au Lycée, prérentrée.
Sécrétion par tout mon être d’un brouillard amniotique qu’on pourrait peut être
aussi paradoxalement prendre pour de la distance, du silence et du retrait. Il
n’est rien d’autre de possible, à peine de contracter la gangrène.
Madame la Directrice est égale à elle-même psychologiquement parlant,
mais on est tout de même étonné de la voir de jour en jour, passer un cran dans
l’absurdité rhétorique. Ainsi évoquant le fameux Projet d’Etablissement -
cette nouveauté instituée par le Ministère, Madame La Directrice s’empresse de
refermer la porte à peine entrouverte d’un : Pour un Lycée Technique, c’est tout fait, le train est sur les rails,
il n’a qu’à continuer !...
Elle nous présente la nouvelle Intendante en nous vantant son esprit
d’entreprise et enfin le last but not
the least nous dit que Les
problèmes que les professeurs lui soumettront ne seront pris en considération
que pour autant qu’on y apportera des solutions !
On apprend également que l’ancienne documentaliste Mme L dont l’incurie
notoire a été la cause principale du pillage inouï de la bibliothèque, est elle
même passée Principale… Personne ne proteste !
Rentrée. Je crains de ne pas tenir le coup et de m’enfuir purement et
simplement. La vérité commence néanmoins à émerger en forme d’un article en
première page du journal Le Monde pour dire que les examens ne
recouvrent plus aucun savoir ainsi que quelques autres vérités concernant la
réalité du fonctionnement de l’Institution. Je n’en crois pas mes yeux et
redoute en même temps l’usage antisocial qui sera fait de la chose…
Le Ministre de l’Education Nationale Lionel Jospin limoge le Président
du Jury du CAPES d’Espagnol, au motif qu’il n’y a pas assez de reçus alors même
qu’on manque d’Enseignants ce qui provoque le mécontentement des Parents et des
Elèves. A la suite de cette mesure les langues commencent à se délier et le
débat commence sur la notion de bon Professeur. La réalité va-t-elle enfin
être dite, à savoir la faillite de l’Ecole et le mensonge qui la masque
jusqu’au cauchemar ?
Au Lycée j’ai l’impression d’être une méduse coincée dans un tas de
pierres.
Un clochard est installé à demeure dans le petit renfoncement où est
située la sortie de secours du Lycée.
A l’intérieur, il y règne une atmosphère irrespirable due
principalement à la surpopulation physique. On ne peut pas circuler dans les
escaliers aux heures des sorties d’où déjà une certaine angoisse physiologique.
Vu dans une Agence Immobilière un six pièces à Saint Germain des Prés
pour un Milliard d’Anciens Francs. C’est la première fois ! Je me souviens
du mot fameux concernant le Budget de l’Etat présenté une année du dix neuf
siècles devant les Parlementaires avec cette phrase devenue célèbre Saluez ce milliard Messieurs, vous ne le
reverrez pas ! Et en effet on ne l’a pas revu mais pas dans le sens
qui était prévu.
Climat très malsain autour de la Shoah.
Graphitage dans le métro Vive la
France, la RATP et la Paix !
Installation de la grève aux Usines Peugeot. Celle des Services des Impôts
dure depuis le début de l’été. Mécontentement ailleurs.
Ouverture du Rideau de Fer
livrant le passage à vingt mille réfugiés de la République Démocratique
Allemande.
Extension du débat sur l’antisémitisme. En apparence seulement car en
réalité il me semble que le but est au contraire de casser le tabou de la Shoah
et on sent bien qu’il est en train de céder. Le Carmel chrétien construit sur
le Camp d’Extermination d’Auschwitz où périr les Juifs serait-il le pôle de la Pérestroïka européenne ?
Il n’est pas étonnant alors que l’Allemagne soit au coeur du problème
et sa réunification en train de se faire de
facto, même si c’est de façon
informelle. Elle a lieu sous le poids des modifications de l’infrastructure
diraient les marxistes qui n’auraient pas nécessairement tort, tant la
mondialisation tous azimuts est éclatante !..
De nouveau je rêve des camps de concentration nazis comme lorsque
j’avais une quinzaine d’années.
Le Professeur de Biologie quitte la Salle des Professeurs à dix heures
quarante en disant Bonne fin de
journée ! Je ne peux m’empêcher de faire remarquer cette anomalie.
Un car de jeunes touristes portant chacun une cagette garnie de trois
ou quatre douzaines de canettes de bières et d’autres avec un grand sac
plastique de boîtes vides. Hallucinant…
A la Cantine, la conversation ne roule que sur les cambriolages. Je
n’ouvre pas la bouche.
Aujourd’hui, c’est sur la division Charlemagne etc… Je suis alors tout
de même obligée de préciser qu’on avait quand même aussi le choix de prendre le
maquis et j’ajoute sans compter les six millions de morts de la
Shoah qui n’ont pas eu de choix du
tout. Les Collègues n’apprécient guère mais changent de conversation. Le but
est tout de même atteint de ne pas laisser dire certaines choses sans réagir…
Dans l’heure qui suit, une quasi émeute en
Terminale au sujet du contenu de mon cours qui ne correspond pas à ce qu’ils
ont l’habitude d’entendre ou de faire. Une quinzaine de jours seulement après
la Rentrée, c’est un record ! Il m’arrive parfois d’être contestée sur le
contenu de mon enseignement mais habituellement seulement au bout de plusieurs
mois. A l’entendre, la Classe ne voit pas le rapport entre la situation aux
Usines Peugeot et l’Economie de l’Entreprise, la Générale et le Droit, alors
même que les conflits du travail sont au programme… On ne sait plus quoi faire
devant l’inéluctable… J’attends de pied ferme la pétition et même le
licenciement…
Je comprends les choses comme l’avènement de l’ordre bionomique qui
implique que saute le tabou du nazisme. Sa réhabilitation est même nécessaire à
la mise en place de l’eugénisme qui se profile.
Rue de Belzunce à l’Ecole Religieuse à côté du Lycée, un vaste filet
léger et fin, à peine visible, recouvre la cour de l’immeuble. J’en déduis à
tort ou à raison que c’est une mesure anti-oiseaux, la topographie interdisant
de penser que c’est une protection contre les jets des Elèves depuis les
fenêtres de l’établissement. De notre côté, il y a quelques années les nôtres
avaient lancé des boulons par nos fenêtres ouvertes DANS l’immeuble voisin…
De l’autre côté de la rue, le Surveillant Général ou le Proviseur de
l’Ecole Rocroy Saint-Léon à huit heures quinze attend debout tout réjoui sur le
trottoir lançant à deux jeunes retardataires dont un basané un Dépêchez vous je vous attends ! et les deux élèves tout heureux accélérant leur course mais
sans excès…
J’éprouve une violente jalousie envers cet homme qui arrive à exprimer
ainsi sereinement son amour pédagogique et sa résistance inexorable au laxisme
des mœurs. J’en suis d’autant plus émue que je l’ai déjà vu à l’œuvre au moment
de la Rentrée des Classes rayonnant du plaisir de retrouver ses Elèves. Cet
amour pédagogique je l’éprouve mais la structure m’interdit de le manifester
puisqu’il n’est plus question dans mon propre établissement d’enseigner et
encore moins - et depuis encore plus longtemps - d’éduquer. Mon affection pour
les Elèves reste donc suspendue et se déverse en vrac
en classe.
Un clochard est installé depuis des mois sur les marches de la dite
école. On le voit depuis la fenêtre de notre Salle des Professeurs qui donne
sur la rue. Je me demande si c’est le même que celui qui dort dans notre sortie
de secours.
En Terminale, je crois avoir le matin récupéré la situation grâce à la
lecture du Programme accompagnée des instructions ministérielles qui - comble
d’ironie - ne commandent rien d’autre comme méthode que ce que fais dans ma
pratique quotidienne. Montrant ainsi aux Elèves que l’étude de l’affaire
Peugeot est en tous points conformes aux consignes de développement de l’esprit
critique - comme nous l’enjoint notre hiérarchie - je crois avoir rassurée la
classe… Que nenni ! L’après-midi, le bazar recommence dès que je demande
un effort de réflexion sur la réalité. Des Elèves vont jusqu’à prétendre qu’on
leur a dit que le programme de Terminale est le même que celui de Première et
qu’ils ne comprennent pas pourquoi je fais du nouveau ! Je ne vois donc
pas d’issue à la situation !
Cette impression d’aphasie sociale qui peut durer éternellement est
confirmée par mes proches, mon ancienne partenaire de théâtre parle même de son
côté de dévitalisation. Quant à moi, il me semble qu’on me demande de jouer le
rôle de couveuse de chairs mortes ou fœtales, incapables de vivre par elles
mêmes…
La grève dure depuis un mois chez Peugeot - les ouvriers occupant les
forges - ce qui entraîne du même coup la paralysie de Mercedes et de BMW. La
Direction fait diffuser par haut parleur de la propagande antigrève y compris
la météo destinée sans doute à créer un sentiment d’impuissance vis-à-vis des
événements comme du temps. C’est ce même bourrage de crâne que je subis de mes
Collègues qui veulent absolument me convaincre que je suis comme eux,
c'est-à-dire qu’être écrivain n’est rien.
En Salle des Professeurs on
entend une Collègue dire Il y a un
problème dans cette classe, il y en a la moitié qui savent déjà la sténographie
que je dois leur enseigner, mais ce n’est pas tragique.
En Classe, les Elèves sont sidérés par le niveau de salaire du PDG de
Peugeot, Calvet : Cent quatre vingt cinq mille francs par mois. Je les
affranchis sur le montant des à côté, notamment la prime de Pebereau chez
Alcatel Cinq cents mille Francs annuels, sans compter les avantages en nature,
les dividendes, les tantièmes etc… Ils sont d’autant plus médusés que je leur
explique qu’il s’agit d’un salaire très moyen à ce poste, Ford gagnant dix fois
plus. Le plus étonnant, c’est leur étonnement. Je découvre à mon tour à quel
point ils sont ignorants d’une réalité sociale et politique qui n’a plus de
secret pour moi. Du même coup cela légitime pleinement la publication que Le
Canard Enchaîné a fait des revenus du dit Calvet et valide à posteriori
tout ce permanent effort d’instruction populaire que je fais. Ma foi en elle
n’est donc pas vaine. A la limite pour un peu ils auraient commencé à me
regarder en se demandant si je n’avais pas raison… Ce qui serait une agréable
surprise, plutôt inattendue.
En Première année de BTS vaste demande pour qu’on parle de la Drogue.
J’amorce le débat en disant que je ne me
suis jamais droguée et que j’en suis fière ce qui fait que la classe se
rétracte. Je comprends avoir fait une erreur pédagogique mais analyse ma
réaction ex post comme l’annonce haut et clair que je n’avais pas l’intention
de prendre en charge ce surcroît de problèmes. Néanmoins l’urgence et le
caractère massif de la demande me fait comprendre d’où vient cette aboulie
généralisée qui rend l’enseignement impossible.
Un homme est tombé par deux fois devant moi : Un ouvrier agricole
ou un chômeur de longue durée âge de soixante trois ans. J’ai dû pour pouvoir le
relever, sommer de m’aider quelques passants. D’abord une femme qui s’est
récusée, puis un homme avec une grosse voiture. Le pauvre hère n’a pas voulu
qu’on appelle la Police a dit qu’il était tombé parce qu’il n’avait pas mangé
depuis trente six heures et qu’il allait se rendre en stop au sanatorium de
Munster, après être venu de Lille de cette façon là ! J’ai dit alors que
ce n’était pas possible dans l’état dans lequel il était et que Monsieur et moi on allait lui payer chacun
la moitié du voyage. Devant mon insistance inspirée, le Monsieur en
question a tiré de sa poche une folle liasse de billets de cinq cents francs,
plus que je n’en ai jamais vu et m’a donné Cent Francs en me disant Emmenez le manger !
J’ai repris que je voulais bien l’emmener manger, mais que dans ce cas
là, c’est lui qui devait payer la totalité du voyage parce que sinon cela me
ferait trop. Je lui ai fais remarquer qu’il avait une grosse voiture, que le
type était dans un triste état, que la situation du pays, ce n’était plus possible,
et qu’en conséquence de quoi il devait ou payer ou bien emmener lui-même le
gars à la gare dans son propre véhicule. Il a ressorti sa liasse de billets,
j’ai revu la pile de ceux de cinq cents francs et il m’en a redonné cinquante
de mieux. Je l’ai engueulé sur le thème de l’insuffisance de sa contribution
par rapport au prix de sa voiture. Il s’est défendu en disant qu’elle ne valait
rien.
J’ai emmené le pauvre homme manger dans une
croissanterie de la rue Turbigo. Il a mangé avec plus que de l’avidité sans se
servir de sa main, le mufle directement dans le carton qui soutenait la
pâtisserie qu’il dévorait après le sandwich. J’ai été bouleversée, ai pensé
bien évidemment à la Shoah et lui ai caressé la tête. Je l’ai emmené ensuite en
taxi à la Gare de l’Est. Je lui ai acheté le billet et lui ai laissé les
quarante cinq Francs de monnaie. Je lui ai fais marquer les horaires du train
sur une feuille au guichet des renseignements, et je la lui ai laissée. Il veut
m’embrasser pour me remercier. J’accepte en lui disant Je ne peux même pas vous dire qu’on les aura, on sait bien qu’ils sont
les plus forts !...
Par la suite l’idée m’est venue que c’était peut-être un truand en
cavale, mais en fin de compte, cela ne change rien.
Ca y est, c’est parti ! A la grève de Peugeot qui dure depuis un
mois, s’ajoute maintenant celle des Gardiens de Phares… Mutineries également dans les prisons, avec la grève des Gardiens
qui empêchent les parloirs de se tenir ! Ajoutons les Agents des Impôts
qui le sont depuis un trimestre, les Cheminots et Agents de la RATP qui
viennent de s’y mettre…A huit heures du matin à Barbès, rassemblement des
camionnettes de l’EDF et des employés tous vêtus du même uniforme bleu. De
jeunes hommes d’environ vingt cinq ans.
A neuf heures au Lycée un ancien communiste me dit sans aucune entrée
en matière Toi qui t’intéresse au
lexique, je te signale que j’ai en vain dans Le Robert ou Le Larousse
cherché le mot « Diaspora » ! Je ne réponds rien, mais il me
vient l’idée que cette agitation médiatique prétendant lutter contre
l’antisémitisme ne fait que l’attiser. A neuf heures cinq je vérifie et bien
sûr il n’en est rien, le mot est bien dans Le Robert… Il ne s’agissait
donc en fait que du pur plaisir de parler de « CELA ».
Toute la nuit chez Peugeot, il y a eu de la bagarre à la Forge. Ce mot
me plait, et sans doute mon idée du Roi-Forgeron vient elle de ce qu’il
s’oppose de toutes ses forces à l’avènement du plastique, le choc pétrolier
étant choisi pour symboliser l’ouverture de la crise. Dans Le corps défunt
de la comédie toute cette Cantate au Roi Forgeron et ce Requiem
en aciérie mineure se terminant par A
la sidérurgie défunte la Révolution Industrielle reconnaissante. C’est sans
doute aussi dans le même esprit que j’ai eu un moment l’idée de faire un livre
sur la faillite de Creusot Loire, surtout parce que j’avais entendu la Collègue
GD quasiment crier dans les couloirs du Lycée : Creusot Loire, ma mère, tous ses fils licenciés d’un seul coup. La
forge de Peugeot serait alors le paradigme de tous les affrontements en train
de se nouer.
Apparition de nouveaux concepts assez étonnants. On n’entend plus
parler d’Usine, mais de Centre de Production
avec le sigle correspondant de CPS pour le Centre
de Production de Sochaux. Dans le même mouvement apparaît une nouvelle
catégorie qui regroupe en un seul lot les employés, techniciens et agents de
maîtrise…
Mon ancienne partenaire de théâtre partage mes analyses sur l’ambiance totalitaire
dans laquelle il est quasiment impossible d’être en relation avec la plupart
des gens qui ne cherchent le contact que sur le mode fusionnel, confusionnel,
voire coalescent non pour participer à un échange mais pour s’installer dans le
magma. On assiste à une sorte de liquidation de l’individualité et de
l’humaniste comme notre génération pouvait le concevoir. L’idée me vient que
dans ce Grand Corps Commun entré en fragmentation et en reconstitution sur le
modèle d’une ruche d’insectes, les gens se mettent à adopter des fonctions
biologiques différentes en devenant les nouveaux organes de cette grande
organisation. Ainsi pourrait-on articuler là cette sensation d’être confinées
dans le rôle de couveuses.
J’ai déjà quelque part parlé d’humanière
comme d’une termitière ou d’une ruche, dans laquelle nous serions les nourrices
des larves, non plus sur le plan institutionnel, mais désormais physiologique.
Tout cela me fait horreur et n’a bien sûr rien à voir avec ce que je voyais se
mettre en place et appelais il y a quelque temps Le Grand Corail. Je prévoyais bien la
caractéristique post humaine mise en place par le réseau cybernétique mais
n’imaginais pas cette liquidation de la matière humaine à la fois fragmentée et
agglomérée tout autrement. Au point d’en être saisie.
Nous tombons d’accord encore sur les difficultés rencontrées au
quotidien puisque plus rien ne va de soi et sur l’épuisement de nos forces.
Jusqu’au point de devoir faire beaucoup d’effort pour s’habiller correctement,
ce qui jusque là ne nous avait pas effleurées. Soit parce qu’on s’en moquait
complètement, soit parce qu’on le faisait naturellement. Il semblerait que la
société n’oblige plus comme par le passé à ce qu’on se tienne. Non seulement
elle tolère parfaitement qu’on coule mais même, elle s’en moque. On mesure
ainsi tout le poids de la pression sociale.
Nous constatons aussi que ce travail salarié que nous avons vécu durant
les Septantes comme un choix - un engagement politique et moral à côté de la
vie artistique - nous est maintenant imposé comme la condition normale de notre
classe sociale. L’année dernière il fallait faire des efforts pour être du bon
côté de la fracture avec des questionnements politiques et moraux qui sont
désormais inutiles. Il est clair que nous ne sommes pas du bon côté de La Fracture.
Il y a dans la morgue de nos maîtres quelque chose d’absolument insupportable,
à savoir la brutalité avec laquelle ils nous traitent.
Petites humiliations quotidiennes dues aux dysfonctionnements sociaux.
Hier, c’est le journal Le Monde qui n’a pas été distribué
- ce qui arrive assez souvent - et aujourd’hui, c’est le courrier qui
n’est pas arrivé. Plus humiliant encore, ces évènements qui me paraissent très
graves semblent à la ronde sans importance. C’est que le courrier et la Presse
ne font pas partie d’un outil de travail vital mais d’un divertissement bouche
trou qui peut être remplacé par n’importe quoi qu’équivalent.
Au Lycée hier, première conversation sur Peugeot avec H stupéfait de
découvrir la misère ouvrière. Il a trente ans et sa naïveté m’émeut ! J’ai
l’impression d’avoir des choses à lui apprendre et qu’il le souhaite. Sans
doute comme autrefois MB et moi. Je sens ainsi que je change doucettement de
catégorie et lorsque je suis bien, cela ne me déplait pas ! Celle où la
jeunesse s’échange contre le savoir, mais maintenant dans le sens inverse….
Le Corps Enseignant hésite entre le franc délire individuel ou le
cynisme d’une Economie Distributive en train de se mettre en place. Des rumeurs
fantasmatiques parcourent les couloirs - il faudrait les collationner - mais je
n’en ai pas le courage. Ainsi dit-on qu’à Aubervilliers les Elèves de
Terminales Techniques Tertiaires interdisent d’entrer dans les classes et qu’on
ne peut pas faire cours. On s’étonne de la même façon que le Ministère continue
à y nommer des Enseignants… De mon côté je leur demande perfidement s’ils ne
souhaiteraient pas que le Ministre paie les Enseignants sans exiger qu’ils
fassent leur cours... Eux le confirment et j’en suis confondue… Le Professeur
de Mathématiques propose qu’il n’y ait plus de titulaire de mathématiques nommé
au Lycée Siegfried.
Le fantasme court aussi de changer d’emploi, d’être embauchée dans les
entreprises, certaine Collègue précisant qu’il n’y a pas dans les entreprises
que des emplois minables, comme ceux des grévistes de Peugeot. Les Collègues se
fantasment comme les cadres supérieurs d’il y a vingt ans, avant la
Mondialisation, alors qu’ils sont devenus des OS techniques aux aspirations
d’Employés.
L’exhibitionnisme se développe, les gens parlant de plus en plus fort y
compris lorsqu’il s’agit de propos qui relèvent normalement du domaine privé.
Particulièrement dans les autobus et spécialement lorsqu’il s’agit d’idées
racistes. Je me demande le soir s’il ne s’agit pas d’une technique appliquée
systématiquement par les militants du Front National pour leur propagande - ou
bien plus angoissant encore - qu’il faut en tirer la conclusion que la norme a changé. Désormais on devrait (on doit) parler fort pour que
le reste de la société (devenue elle-même totalitaire) puisse contrôler ce qui
se dit. C'est-à-dire que ces conversations qui s’imposent comme publiques ne
seraient pas le fruit d’un simple sans gêne mais tout au contraire, l’adhésion
à de nouvelles normes visant justement à empêcher les communications privées,
ceci étant cohérent avec la constitution d’un Grand Corps Commun.
Joseph Wybran, le Théo Klein belge qui a été assassiné en Belgique
était le Président du Comité contre le Carmel d’Auschwitz. Ai-je eu raison dans
mes pressentiments les plus sombres ?
En raison d’un nouveau mode de fonctionnement, en ville les boîtes à
lettres sont complètement pleines et il est impossible d’y en faire entrer une
supplémentaire !
Hier à la Télévision, Pierre Bérégovoy, ce fils de garde barrière muni
d’un CAP et parvenu Ministre des Finances s’appliquant à donner des gages de
loyaux services à nos maîtres. Je dis à mon voisin Nous au moins, on a refusé de leur cirer les bottes !...
Les Collègues s’affolent au Lycée. Notamment Liliane qui ne quitte
jamais sa classe à la cloche m’obligeant en prenant sa suite, à entrer en force
à chaque fois. J’ai fini par lui dire en plaisantant Paie-toi une SEIKO à Quartz… Elle me répond d’un ton très sec -
alors qu’elle doit gagner autant d’argent que moi - Je n’en ai pas les moyens ! Cette occupation absurde du
territoire, les Professeurs dans les salles et les Elèves vautrés dans les
escaliers, a quelque chose d’insupportable et de pathétique, épuisant
physiquement parce qu’il faut sans arrêt se frayer militairement un chemin. On
a l’impression d’avoir à faire à des corps décérébrés qui s’abandonnent. Privés
de volonté propre, ils sont comme sans moteur devenus des tas qui s’éboulent.
On dirait que l’âme arrachée, ils fondent. Ce ne sont déjà plus des hommes et
des femmes mais une espèce de chair surnuméraire, des gisements de matière
carbonée amorphe.
Cela rejoignant le processus de la Télévision qui capte notre âme en
représentant pour chaque situation les sentiments qu’il convient d’éprouver sur
le thème de Vous n’avez
pas besoin d’éprouver tel ou tel sentiment, puisque la Télévision le fait pour
vous. La où la tragédie antique permettait de faire porter aux Acteurs un
certain type de sentiments plus ou moins tabou et d’en décharger ainsi la
Communauté, la Télévision décharge désormais de TOUS les affects. Là où
l’Organisation Scientifique du Travail avait comme slogan principal Ne pensez pas, on pense pour vous on a
l’impression que le slogan télévisuel actuel pourrait être N’éprouvez pas, on éprouve pour vous !
On essaie comme d’habitude de m’entraîner dans une conversation
malsaine pour y diffuser un racisme rampant. Je rembarre le Collègue qui se
livre à cette manœuvre. Cette fois j’ai dû alerter les deux Collègues arabes et
eurasien pour débattre avec eux de l’attitude à adopter.
L’après-midi deux colonialistes viennent me tenir la jambe et diffuser
leur propagande sur le thème : Ce n’est pas la peine de faire l’appel,
c’est trop fatigant. Et comme je protestai sur le mode du fait qu’on était payé
pour faire un certain travail et que cela s’avéra sans effet, j’ai du quitter
la place arguant que je ne pouvais continuer
à supporter le discours de ce monsieur, car je voulais conserver les qualités
que m’avaient donné mes parents.
Angoisse de mort le soir, à l’annonce en une seule fois des dix mille
transfuges de l’Allemagne de l’Est vers l’Ouest portant les chiffres à
cinquante mille en un seul mois. De profonds bouleversements sont engagés sans
qu’on en ait forcément les grilles d’interprétation intellectuelles et
culturelles. Il semble que tous nos savoirs suffisent à peine pour comprendre
ce qui se passe.
Au Lycée, les hommes ont pratiquement disparu de la circulation et les
conversations des femmes sont celles qu’on entend habituellement dans les
salons de coiffure. J’ai un coup de colère à la Cantine sur le thème de la
déculturation et de la voyoucratie ambiantes, essayant de faire advenir une
parole publique sur notre prolétarisation en général et le trucage des examens
en particulier. Cette reconnaissance étant de toute façon un préalable à une
action politique mais sans doute me trompe-je sur ce sujet. C’est que je me
refuse à jouer le rôle qu’on veut m’attribuer, caution et animation.
J’aboutis tout de même dans la mesure où deux Collègues admettent les
fraudes et dévaluations des diplômes. Ce qui est une avancée importante dans la
mesure où nos nouveaux Collègues réclament sans cesse avec les diplômes en
question le statut économique et social auxquels ils donnaient droit, il y a
vingt ans. Autrement dit étant payés en monnaie de singe, ils exigent désormais
que cette monnaie de singe soit convertie en or et c’est cet état d’esprit qui
est au cœur du malaise actuel... Au milieu de cette grande fiction, de ce
mensonge généralisé dont la Télévision est le Centre, leur action à eux vise à
essayer de faire conforter cette fiction en réalité. C’est le mot FACTICE qui
conviendrait et l’idée du tripotage, au sens où des bonimenteurs arrangeraient
des coups à leur profit.
Concernant les transfuges de l’Allemagne de l’Est, la Télévision les
met en scène dans ce qui apparaît comme un Grand
Théâtre. On essaie de nous faire
croire à des scènes d’horreur, on nous parle de wagons plombés, de coups de
matraques, de rangées de policiers, d’enfants s’accrochant à leur mère et…
alors que même le journal Le Monde relate des témoignages de
fugitifs, il n’y a aucun reportage direct d’un journaliste accrédité,
c'est-à-dire crédible…
Certains vont même jusqu’à tenter de nous faire croire que les convois
comprennent chacun mille réfugiés, comme durant la Shoah. Je ne crois pas un
mot de toute cette mise en scène car cette représentation que la société se
donne à elle-même me paraît de mauvais augure, obscène. C’est que je sais trop
bien ce qu’il en est de l’hystérie. Ce mouvement fait il partie de ce qu’on
pourrait appeler Le fabuleux théâtre de
l’abolition de la Shoah auquel il faut également semble-t-il, raccrocher
l’affaire du Carmel d’Auschwitz.
Je suis étonnée de constater que tous ces réfugiés ont le même âge.
Cela me parait bizarre et anormal, comme si on avait affaire à un objet social
non identifié, comme c’était le cas lors du mouvement lycéen de 1986. On voit
arriver des gens drogués à la Télévision Occidentale qui n’ont pas d’autres
images de l’Europe de l’Ouest et qui prennent cette fiction pour de la réalité.
Je me demande aussi dans quelle mesure on n’assiste pas là à un
regroupement de populations européennes trop clairsemées pour pouvoir dans la Pérestroïka ethnique mondiale défendre
un Territoire! Ce regroupement de population permettant de faire efficacement
face à des affrontements continentaux. On n’ose le croire et pourtant, le théâtre
de l’abolition de la Shoah
trouverait sa place dans cette grille là aussi. Cette ambiance de mort, de fin
de règne, de fin de parcours aurait à voir avec la somme totale juste et ronde
de ce groupe qui face aux autres n’a plus assez d’enfants pour maintenir son
extension. Cette dénatalité tragique entraîne-t-elle cette contraction, le
repli sur soi sur cette zone extrême du continent de l’Eurasie pour laisser aux
autres les plaines vides ?
Quant à Michael Gorbatchev, l’initiateur de la Pérestroïka elle-même, est-ce à cela qu’il pense lorsqu’il parle de
Maison Commune ? Veut-il dire Economie Commune ? Ce ne serait pas
impossible ! De même que ne serait pas impossible non plus, une sorte de
pillage de cette abondance comme on le sent si souvent ici, dès qu’il s’agit de
consommer le capital accumulé par les Ancêtres et non plus de poursuivre la
société qu’ils ont inventée. Est-ce cela que recouvrait l’expression No future qu’on voyait partout ces
dernières années ?
Cette contraction européenne serait elle accompagnée d’un rejet des
Islamistes ? On a bien vu se réaliser des échanges de populations, par
exemple - Arméniens/Azéris, Sénégalais/Mauritaniens - ces mois derniers,
pourquoi la chose ne se produirait-elle pas ici ? J’en viens même à penser
que cette terre serait alors considérée comme zone chrétienne
ainsi que que les tentatives de Christianisation de la Shoah ont à voir avec
cela et que de nouveaux pogromes se préparent….
Les trois derniers jours ont été passés à corriger les copies. Une
satisfaction, six ans après la fin du traitement de chimiothérapie de parvenir
enfin à tenir à nouveau assise sur une chaise à travailler sans que la fatigue
m’oblige à m’allonger… Mais les difficultés personnelles et sociales continuent
à augmenter et je ne peux plus comme par le passé mener de front l’écriture, la
vie littéraire et le Lycée qui ont chacun et chacune - mais pour des raisons
différentes - cru en volume. Les compressions sont donc de plus en plus
drastiques.
Dislocation violente de l’Empire Soviétique et cela fait un drôle d’effet.
A l’étonnement et la joie se mêlent une sorte de peur. La République
Démocratique Allemande est en ébullition.
Au Lycée, les Collègues ont toutes les dents dehors. JP.H. en
difficulté sur une question d’informatique se fait piétiner par la horde. La sauvagerie
de la situation m’a émue, confirmant les fonctionnements bio-cybernétiques dont
j’avais l’intuition. Cette chefferie barbare a des aspects terrifiants et
pathétiques. Ces hommes jeunes qui il y a quelques années roulaient les
mécaniques et prétendaient faire la loi au mépris de toute déontologie sont à
leur tour, balayés par ceux qui tiennent mieux le coup sous le poids de
l’accélération technique!
Mon l’émotion l’a emporté d’autant plus que se sont jetés sur lui des
Collègues qui n’avaient jamais fait aucun effort pour se tenir au courant ne
serait-ce que de l’actualité. Je me suis alors payé le luxe de dire Est-ce que tu veux que je te défende ?
à ce type qui autrefois m’avait dit Je
vais te claquer la gueule et tu
as intérêt à demander ta mutation sans compter les violences physiques
subies lors de l’exclusion des Commission d’Admission au BTS ainsi que les
attaques en Conseil de Classe en 1984 avec les Elèves contre le contenu de mon
cours qu’ils trouvaient trop culturel….
Le spectacle de ces jeunes loups qui s’efforcent de plus en plus
difficilement qui de ne pas perdent une minute et travaillent dans les
transports en commun, plongés dans la Revue
Fiduciaire ou d’autres ejusdem farinae rébarbatives et néanmoins indispensables. Par ailleurs de
plus en plus d’Indiens, comme je les appelle par référence à ce que fut La Conquête
de l’Ouest, qui s’enfoncent tous les jours davantage, sans être déjà
devenus clochards. Des corps abîmes et vaincus qui se tiennent encore mais pas
pour longtemps….
Dans le métro à Denfert-Rochereau, une publicité pour le magazine Match avec Dechavanne et Anne Sinclair
en couverture et entre les deux au feutre, une étoile de David avec inscrit Dehors ! Terrifiant…
Le journal Le Monde est de
plus en plus répugnant avec ses campagnes de promotion de l’euthanasie, de
l’assainissement biologique des populations et à l’antisémitisme larvé sous
couvert de dénoncer la tentative de banalisation de la Shoah, à laquelle
s’ajoute maintenant la réhabilitation de la Collaboration…
LE SPLEEN TOTALITAIRE. C’est cette expression que j’ai trouvé pour
nommer cette angoisse de mort qui nous étreint dans notre petit milieu. Elle
est faite d’une angoisse précise quant au destin qui va être le nôtre, une suspicion
généralisée d’être espionnés et dénoncés, une interrogation permanente pour
savoir si c’est nous qui délirons ou si c’est la société elle-même qui a perdu
ses repères.
Quinze Heures : Fin des six heures de cours avec une heure
d’interruption pour le déjeuner. L’étonnement étant qu’on n’en meure pas.
L’impression d’une raclée qu’on connaît par cœur et qu’on s’étonne finalement
qu’elle soit de plus en plus forte, car à chaque fois on croît qu’on ne pourra
pas en supporter davantage… On ne s’habitue pas et c’est tant mieux mais on
trouve à chaque fois de nouvelles postures qui permettent pour finir de tolérer
ce qui de prime abord avait paru intolérable. Et cela parce que la vie est en
jeu. Ainsi de nouveaux savoirs faire apparaissent. J’apprends à percevoir
les voix de mes Collègues dans la Salle des Professeurs, comme le bruit de la
mer. Je contemple alors le paysage, n’écoutant pas ce qu’ils disent et me
laissant bercer par les inflexions.
Il est devenu impossible de regarder les gens dans les yeux, sans que
je parvienne à déterminer si cela vient d’eux ou de moi. Mais j’ai déjà
constaté cela au Chili en 1987, et cette référence à elle seule, dit tout.
C’est l’amour heureux avec la classe de Terminale. Je suis bien dans
les normes habituelles que j’ai observé au fil des ans, une classe qui marche
très fort et avec laquelle on est vraiment heureux d’être, une dans laquelle on
échoue complètement et les autres avec qui c’est quelconque. Celle-ci est
composée de nombreux Elèves caractériels et géniaux et on peut dire au bas mot,
qu’elle est haute en couleurs. Depuis le début de l’année, c'est-à-dire il y a
cinq semaines, je n’y ai pas entendu une seule question idiote, ni une
réflexion médiocre ou accablante, comme c’est le lot habituel de ma vie professionnelle
d’Enseignement…
Par contre en Deuxième Année de BTS c’est la catastrophe ! Il est
habituel que ces Elèves là -issus des Baccalauréats Généraux donnent rapidement
des Elèves odieux mais cela dépasse ce qu’on voit d’habitude. Il y a là dedans
une bande de garçons immatures qui n’ont pas l’air décidé à accepter le genre
de femme que je suis, ni le discours que je tiens. Si ils ne se sont pas encore
révoltés, c’est parce que cela leur demanderait un effort qu’ils ne sont pas
capables de fournir.
Quant aux Deuxièmes Années issues des Baccalauréats Techniques, ils
s’enfoncent dans un silence comateux déjà amorcé en Première Année et qui
désormais recouvre tout comme une chape de plomb. Je n’ai jamais vu en vingt
deux ans de carrière, une classe qui participe – comme on dit – aussi peu. On
ne peut même pas dire que le contact s’est rompu, il ne s’est jamais établi et
on est resté dans leur passivité fœtale. Il ne faut pas croire que je pourrais
me contenter d’un cours magistral universitaire, une conférence ou un monologue
car ils n’ont plus les moyens de tirer parti d’une solution de ce genre. Mon
angoisse augmente dans cette classe, je vois le moment où je vais parler toute
seule - ce que je fais déjà pratiquement - et qu’ils ne prendront plus du tout
de notes, ce qu’ils ont déjà tendance à faire. Je me demande alors qu’elle sera
la signification de mon activité.
A la Cantine durant tout le repas, la conversation roule sur les poux
des enfants et le commentaire satisfait du titre du Journal Libération : Les poux font de la Résistance. S’exprime également une plainte sur
le prix des places de spectacles. Je mets comme d’habitude les pieds dans le
plat sur le thème que si les Professeurs ne peuvent pas se payer les
Spectacles, il y a quand même quelque chose qui cloche…et qui donne raison à
ceux qui pensent que l’affaiblissement du niveau de vie des Professeurs est une
des causes de leur déculturation.
Au Lycée, on a des échos du spectacle Morts sans sépulture auquel certains de nos Collègues ont emmené
nos Elèves et qui représentaient des scènes de torture insoutenable aux dires
des adultes qui en avaient été bouleversés alors qu’elles avaient laissé les
Jeunes, de marbre. Je leur explique alors que c’est parce que personne ne leur
a jamais expliqué qu’il ne fallait pas torturer, ce que j’avais déjà observé
dans mes classes. Je développe l’idée autour de l’Education aux Valeurs et de
la nécessaire proclamation du tabou Tu ne
tueras point. J’ajoute que nos Elèves n’ont même plus conscience que
l’euthanasie, c’est tuer et là la conversation tourne à la catastrophe !
Je lis le Journal d’Ernest Junger et j’y trouve du grain à
moudre lorsqu’il parle des Lémures. Je
me suis imposée au Lycée une demi-heure de lecture après le déjeuner et
l’impose aussi de la même façon aux autres dans la Salle des Professeurs, en ce
sens que je ne réponds pas du tout si on me dérange pendant cette Cérémonie. Comme je me tiens au haut
bout de la table, à heure et jour fixes pour cette activité absolue, je ne
désespère pas de parvenir par cette méthode à lui rendre DROIT DE CITE dans
cette école qui l’a bannie. Ces trois fois une demi- heure de lecture sont
devenues au Lycée ce qu’il y a pour moi de plus important. Je n’y lis pas des
textes débridés, encore moins des poètes, m’imprégnant de cette écriture
soutenue. Je trouve par ailleurs ce texte là intolérable mais il éclaire, comme
la littérature de Drieu de la Rochelle sur les mécanismes sociaux qui mènent
aux résultats qu’on connaît.
Laurent Bolo, pour me dire du bien d’un élève dont il craint que je ne
sois pas satisfaite verbalise ainsi Il a
du mal à s’exprimer, il montre, il fait ce qu’on lui dit, à la limite, il
communique tout seul. Je lui fais alors remarquer l’absurdité de ce qu’il
me dit pensant à l’intérieur de moi-même qu’il y a là matière à réflexion pour
comprendre le sens profond du mot à la mode, communiquer et que d’une certaine façon se dit là, la vérité.
Au Cinéma je vais voir Histoires
d’Amérique qui bien que m’ayant vaguement
déçue, m’a émue. C’est un recueil d’Histoires
Juives tournées sans excès de mise en
scène ni de travail ou de décors. On y reconnaît une forte influence de Woody
Allen et de Luis Bunuel. Je suis un peu mécontente de cette collation à plat du
capital spirituel d’une culture, sans y mettre
rien de créatif de soi même. On détecte même un aspect mortifère dans ces
fragments présentés comme quelque chose de clos, de terminé, de fini, de défunt
et uniquement comme quelque chose qui serait en bout de course, ce qui n’est
pas la réalité historique et géographique new-yorkaise. Il y a tout de même un
aspect sympathique dans la tentative de transmette de façon cinématographique
un paquet d’idées, en pensant que certains n’auront jamais d’autre accès à la judéité
que cela et s’il est indispensable que cela soit en pellicule couleur, pourquoi
pas ?
Dimanche, promenade aux Etangs
de Hollande en forêt de Rambouillet. Splendide lever de soleil dans
les brumes. Pour une fois, je regrette de ne pas avoir persisté dans mes
efforts photographiques.
Achat aux Puces de plaques photographiques représentant des gens. Je
les préfère aux épreuves sur papier parce qu’elles ne les représentent pas, ne
les montrent pas, se contentant de les évoquer. D’une certaine façon, c’est
l’âme insaisissable qui est là transcrite.
Le Ministre déclenche une enquête dont les dés sont pipés sur le mode
qu’on pourrait résumer vulgairement par Comment
faut il faire pour pouvoir vous blouser ? Je m’apprête à y répondre,
ne serait ce que pour voir ce qui se passe. Disons qu’il s’agit d’une
investigation scientifique… J’enquête dans mon Etablissement pour savoir s’il
est possible d’avoir le fascicule qui permettrait de répondre aux questions. Du
Secrétariat, on me renvoie à la Direction qui parait-il, n’en a pas pour tout
le monde. C’est déjà révéler l’esprit de l’enquête… Comme je la demande à la
Directrice, elle refuse de m’en fournir un. J’avais donc bien raison de tenter
l’expérience, ne serait ce que pour constater à quel point l’enquête était dès
le départ biaisée, et bien plus fondamentalement encore que par la nature des
questions. Il apparaît donc qu’il est impossible pour le Ministre de
communiquer effectivement avec ses Fonctionnaires subordonnés. Ce que les
Gendarmes avaient déjà dénoncé pour eux-mêmes, comme l’existence d’un
étouffement de la réalité par la Hiérarchie...
Avec les Elèves, inévitable débat sur l’euthanasie. C’est tous les ans la même chose, dès qu’ils voient un
film de propagande à la Télévision sur ce sujet. Les premières années, j’en
discutais réellement, c'est-à-dire que je tentais de les faire réfléchir dans
les authentiques termes dans lesquels se posaient les problèmes. Puis au fil
des années, je me suis rendue compte que ce n’était plus possible, tellement
les dés étaient pipés et nos valeurs devenues incompréhensibles.
J’ai peu à peu arrêté d’en discuter et de tenter de les convaincre,
pour me contenter d’un témoignage absolu dans les valeurs du caractère sacré de
la vie. Non pas que je considère cette façon de faire comme supérieure, mais
parce que professionnellement il n’y avait plus moyen de faire autrement. Cette
façon de faire avait comme objet de me protéger moi-même de l’horreur ambiance,
grâce à ce BOUCLIER.
Puis les choses se sont encore dégradées lors de l’interrogation de
Juin au Brevet de Technicien Supérieur Comptable où en interrogeant un Elève
dans le cadre de ce que le Programme appelle Les Grands Problèmes du Monde Contemporain, j’en ai retenu un
pendant vingt minutes, uniquement pour réussir à lui faire dire qu’il
s’agissait de tuer. J’avais trouvé là
les choses assez avancées et considérais comme une action résolument politique,
le simple fait de parvenir à faire employer ce terme dans ce contexte là. Il
faut se souvenir que les nazis interdisaient l’emploi de ce mot dans les camps,
ainsi que celui de cadavres. Il est à noter que cette année la déperdition de
sens, de signification de la chose, atteint l’ensemble de la classe et non plus
seulement un individu isolé. Ils vont même jusqu’à de bonne foi considérer
qu’il s’agit d’un acte d’amour, d’une aide. On mesure le chemin parcouru par
rapport à il y a quelques années où il ne s’agissait que d’obtenir de n’être
pas poursuivi par la Justice.
Leur revendication est devenue désormais sémantique. Il s’agit
désormais de faire que leur désir soit la réalité et ce qu’ils veulent, c’est
que j’adhère avec eux à cette déréalité.
C’est la nature du totalitarisme d’aujourd’hui, faire que ce qui est, ne soit
pas. UN GRAND DENI. Décidément c’est autour du langage, qu’aujourd’hui tout se
joue.
Les Elèves de Deuxième Année de Techniciens Supérieurs Comptables,
issus des Baccalauréat Généraux m’attendent à quatre dans le couloir le
programme à la main pour me demander des explications au motif - parait-il -
que je ne le suis pas ! C’est bien la première fois en vingt deux ans de
carrière, que je suis confrontée à un pareil Comité d’Accueil d’Elèves devant
la porte de ma classe. De plus la posture de leurs corps donnait à penser
qu’ils allaient m’interdire l’entrée de ma salle si je ne donnais pas des
explications satisfaisantes. J’entre de force, fais l’appel, prend mon temps et
mon souffle en me souvenant de ce qu’avait raconté l’Oncle Henri, à savoir
qu’une fois dans une situation difficile avec un Elève, il avait déjà pris le
temps de se raser pour avoir le temps de réfléchir et que cela avait été
profitable à un dénouement heureux.
J’ai droit à une heure et demie de sérénade. Je suis obligée de leur
lire les instructions pédagogiques qui sont inscrites à la suite du Programme
et qui me donnent intégralement raison sur la façon de procéder… Je connais le
coup, car je le fais chaque fois que je suis contestée, mais il est tout de
même démoralisant d’être en but à l’hostilité de la Communauté Scolaire,
Collègues, Administration et Elèves alors qu’on respecte pleinement les
consignes pédagogiques ministérielles ce que ne font pas les autres, bien au
contraire.
Je parviens donc à rétablir la situation à mon profit, grâce à toutes
mes techniques professionnelles depuis longtemps éprouvées mais que j’applique
là mécaniquement et comme en dehors de moi-même dans tous les sens du terme.
C’est une sorte de combat militaire et rien d’autre. Je me suis tout de même
félicitée d’avoir fait dès le matin, ma marche à pied quotidienne pour arriver
en forme, comme je me doutais que cela ne se passerait pas bien.…
Par la suite, durant la dernière demi-heure, je parviens à faire tout
de même un embryon de cours structuré sur la notion de système, en prenant
comme exemple ce qui venait de se passer. Mais je sais que rien n’est résolu et
que la situation ne peut faire qu’empirer… Je suis stupéfaite de découvrir
qu’après toutes ses pérégrinations pour ne faire que réunir les conditions
matérielles et physiques de l’Enseignement (l’énergie nécessaire pour les faire
asseoir et les faire taire - comme je le leur fais remarquer - aboutissant
simplement à maintenir le système) mes Elèves tentent de me faire dire que je
les aime et que je suis contente d’être avec eux.
Je remets les pendules à l’heure en leur expliquant froidement que je
gagne ma vie et ne suis tenue à discuter avec eux que par ma conscience morale
professionnelle. Ils ont l’air étonnés et tentent à nouveau sans succès, de me
forcer la main pour entendre ce qu’ils veulent. L’une d’entre eux va jusqu’à
assiéger le bureau et je coupe court d’un La
cloche a sonné, c’est fini, je n’ai plus rien à dire…
Je me rends compte dans la soirée qu’il s’agit du même comportement que
celui observé la veille lorsque ceux là ou d’autres ont tenté de me faire
passer l’euthanasie comme un acte d’amour alors que je m’évertuais à maintenir
contre vents et marées la notion de meurtre. Ces deux versions d’un je t’aime, je te tue sont à mettre en
connexion avec le sadisme ambiant qui fait confondre l’attraction (le désir et
l’amour) et la destruction, comme si celle-ci était la marque d’un intérêt
réel. Cet état d’esprit s’étend maintenant à la société entière, la Télévision
en étant le Centre, comme le donne à penser la métaphore de La Jeune morte
en robe de dentelle. Je trouve tout cela de bien mauvais augure.
Dans la même semaine éclate l’affaire dite des Voiles Islamiques. Jusque
là on avait entendu parler de difficultés de ce genre comme des cas isolés, les
Professeurs se vantant plutôt de s’en être débarrassés. Mais là, tout à coup
l’affaire prend en masse à l’initiative du Proviseur Antillais de Creil
(transnational ?) d’exclure au nom de la laïcité, trois jeunes élèves voilées
pendant les cours.
Sommé de se prononcer, le Pouvoir Politique se dérobe en la personne de
Lionel Jospin qui se tourne vers le Conseil d’Etat. L’affaire va crescendo
comme on entend avec stupéfaction Michel Rocard et Madame Mitterrand appeler à
la tolérance, soutenus par l’ensemble des clergés qui en cette occurrence, se
prêtent main forte. Peu de voix s’élèvent dans un premier temps pour émettre
une protestation contre le voile et parmi elles, aucune femme… La légèreté avec
laquelle le Cardinal Lustiger prend l’affaire laisse pantois. Il assimile le
voile islamique aux coiffures afros
ou au style baba cool… On se demande s’il n’y a pas là une part de
machiavélisme et de perversité….
Une manifestation d’Islamistes Intégristes que je vais observer pour me
faire ma propre opinion. Bien m’en a pris. Le spectacle, la vision même étant
saisissante. Il y avait quatre pelés et trois tondus (et encore c’est une façon
de dire) qui descendaient le Boulevard Magenta depuis Barbès. Le style de la
manifestation des pauvres gens Algériens de Paris qui le 17 Octobre 1961
manifestaient contre le couvre-feu qui leur était imposé de façon
discriminatoire avant d’être jetés dans la Seine.
En tête, marchaient une cinquantaine de femmes voilées du simple
foulard au tchador intégral et avec elles des petites filles - presque des
bébés - également voilées. Un service d’ordre les entourait intégralement,
composé d’hommes résolus à faire le coup de poing, comme chez nous le service
d’ordre de La Ligue Communiste. Ce tableau était d’autant plus étrange que le
Boulevard était désert…. Ce service d’ordre protégeant ces VIP voilées avait
quelque chose dans un premier temps, de surréaliste. Par la suite, on ne
pouvait que tenter de comprendre de quoi il s’agissait.
Comme ces hommes n’avaient pas l’air farouche qu’ont les Iraniens ou
les Afghans, l’idée m’est venue qu’ils étaient en grande détresse craignant
surtout qu’on leur vole leurs femmes qu’ils gardaient manu militari comme un
pathétique Trésor. Le fait est que si ces femmes viennent à s’émanciper ce ne
sera pas ces hommes là – ouvriers - qu’elles vont épouser mais ceux d’une
catégorie supérieure qui les choisiront pour leur caractère exotique et soumis.
Et comme inversement les femmes d’origine française n’épouseront certainement
pas ce genre d’hommes, le principe de l’échange des femmes sera là mis en échec
et se traduira pour eux par une simple perte…
Quant au slogan répété : Rachel,
Marie, Fatima même voile ! il fait froid dans
le dos. Le Touche pas à ma frangine va
dans le sens de mes analyses ou plutôt, c’est cette formule qui m’a permis de
les élaborer ainsi que Ma sœur ton hijab
est notre honneur ! ou Toucher à la femme voilée, c’est déclarer la guerre aux Croyants.
Ce qui frappait c’était à quel point ces gens étaient simples, disciplinés,
tranquilles et vraiment pas féroces, tout cela sans contredire pour autant le
fanatisme islamique montant. C’est plutôt qu’il s’agissait là de quelque chose
de beaucoup plus archaïque, primaire, primordial en tout cas protohistorique.
Un agencement de groupe préservant ses femelles comme la chose la plus sacrée
et cela m’a émue.
Une jeune femme d’une radio AFP faisant un reportage, j’ai voulu dire
un mot dans son magnétophone. Elle m’a d’abord demandé qui j’étais, j’ai
répondu que j’étais écrivain et comme elle me demandait ce que je voulais dire
j’ai formulé que Pour une question
concernant les femmes, on ne les entendait pas beaucoup ! Elle a alors repris que les
femmes islamiques s’étaient exprimées et que cela suffisait ce qui se comprenait
en sous entendu comme n’étant pas intéressée à enregistrer ma déclaration.
Comme elle avait l’âge d’être ma fille j’ai rétorqué : Quand vous aurez des emmerdements, vous ne
viendrez pas vous plaindre accompagné d’un geste de tendresse de la main, qu’elle
a repoussé. Je me suis sentie tout à coup très fatiguée et je suis rentrée en
me couchant à seize heures trente… un record absolu qui en disait long sur le
malaise…
Dans le journal Le Monde, au
bout de huit jours de déferlement médiatique, on entendait enfin Le Grand
Orient de France dire qu’il
s’agissait en fait de la discrimination des femmes… Mais toujours pas de
paroles venues de l’une d’elles. Je me suis apprêtée à envoyer des
remerciements au Grand Maître qui prenait enfin la parole pour défendre les 52%
du Corps Electoral interdit de parole publique… Le Dimanche tout de même
quelques timides citations de la Ministresse des Droits de la Femme, d’Yvette
Roudy ou de Gisèle Halimi. Rien d’Antoinette… qui doit avoir la même position
que moi….
Au Lycée, violente conversation avec mon amie qui déplorait elle aussi
qu’on n’entende pas les femmes dans cette affaire. Je n’ai pas pu m’empêcher de
lui faire remarquer qu’elle n’avait guère combattu pour cela. La cruauté de
cette période, c’est la fracture tous azimuts, l’effondrement social de la
France comme la conséquence de tous les mensonges et démissions.
J’ai été en fait encore plus choquée par la réflexion qu’elle a faite
qu’il ne lui serait pas venu à l’idée
d’aller voir sur le terrain alors que pour moi, cela allait de soi !
Ce qui était choquant là dedans ce n’était pas qu’elle ne veuille pas se
confronter à la rue - car cela je le sais depuis longtemps et peux l’admettre -
c’est qu’elle attendait de moi un récit de témoin oculaire de première main
avec des émotions et des pensées déjà décodées alors qu’elle refusait pour elle
d’acquitter le prix de cette opération essentielle. J’avais l’impression d’être
parasitée.
Situation tragique de l’Arménie, de fait indépendante, en état de
guerre avec les Azéris, dans le désintérêt de Moscou. A la lecture de l’article
du journal Le Monde, on n’apprend
rien qu’on ne sache déjà mais on est bouleversé de voir écrites des expressions
telles que aux confins de l’Europe ou
encore dans les décombres de l’Empire
Soviétique, l’Europe de 1914 commence tout juste à sourdre. C’est bien ce
qu’on ressent quand on tente depuis quelques semaines de rassembler ses
souvenirs concernant le Saint Empire Romain Germanique et l’Empire Austro-Hongrois. Je ne me
trompai donc pas, lorsque je parlai de regroupement ethnique à Victoria au
Canada en 1988. L’idée d’aller en Arménie rembourser Manouchian.
Au Centre de Vacances, on parle la même langue que celle de l’Hôpital.
Elle se limite à des informations techniques plus ou moins pratiques qui par
ailleurs manquent un peu de rigueur. Il y a autant de ratés dans ce code
technique que dans une langue normale qui supporte tout de même des ambiguïtés
et des incohérences. Ainsi la Natation peut tout aussi bien se dire Plouf que Lavage…Pourquoi donc l’ai-je rapidement transformé et homologué en Aquaplouf ? Sans doute pour essayer
de garder quelque chose de la vieille langue et de la logique du sens. Dans la
langue qui se parle ici, il est interdit d’exprimer des idées, des sensations
ou même pire encore des sentiments. Il y a là quelque chose de terriblement
oppressant, qui n’apparaît pas au premier coup d’œil et qu’il m’a quand même
fallu une semaine pour percevoir.
Le costume qui s’impose est le même pour tous : Il s’agit du
fameux jogging qu’on appelait autrefois survêtement mais qui n’est plus une
tenue pour faire du sport (car à la limite, on peut ne pas en faire pourvu
qu’on en reconnaisse la suprématie et ces survêtements sont désormais tous du
même style de couleurs fluo avec des rapiècements savamment élaborés jusqu’à
constitués de véritables œuvres d’Art. On voit même des survêtements qui en
raison de leur beauté et de leur luxe peuvent même être qualifiés de survêtements
du soir aussi paradoxal que cela paraisse.
Ce vêtement à pris la relève du jean, si ce n’est qu’il s’étend
uniformément à toutes les classes d’âge, à toutes les situations et qu’il est
pénitentiaire là où le jean était l’enseigne d’une libération/libéralisation.
En coton mou, uniforme, le survêtement ne peut plus rien exprimer de propre
auquel le corps adhérerait comme un signe qui lui permettait d’exprimer ce
qu’il a en lui et veut dire. Ce vêtement n’en est pas un au sens où il ne peut
plus servir à communiquer, ni à s’extérioriser et encore bien moins à se
singulariser.
Enfermés dans ce costume pénitentiaire sans tenue mais permettant de
faire tous les mouvements, le corps ne peut que s’agglomérer aux autres monades
sur le mode du techno sportif. Il n’a plus d’autres fonctions que cette
agglomération. La sexualité en est impérativement exclue dans la mesure où le
vêtement étant le même pour les hommes et les femmes, il n’y a plus
d’attraction de la différence affichée et revendiquée comme telle. Préparée de
façon homogène, la monade peut s’intégrer n’importe où ! Quel que soit le
lieu, ce costume a tendance à devenir de
rigueur et à abolir la reconnaissance
du lieu comme emplacement affecté à telle ou telle fonction. Le jogging comme
vêtement est l’affirmation de la négation de la fonction du lieu, son
homogénéisation, son abolition.
Enfin à tous moments le corps est en position SPORT, c'est-à-dire
magma technique aggloméré où des moniteurs (et ce ne sont plus les animateurs
de l’époque précédente) diffusent et entraînent à des activités techniques qui
ont de plus en plus tendance à se confondre avec le contrôle médical… Du moins
sur le plan du mime… Ainsi ici, alors que la gymnastique qu’on y fait est
anti-pédagogique - pour ne pas dire nocive - elle est habillée d’une allure
techno médicale. On y parle de déficit musculaire et d’autres choses
aboutissant à un discours quasi incompréhensible, ce qui accroît la terreur,
car ce qui est incompréhensible ce n’est pas la motivation du discours, mais sa
grammaire et son vocabulaire. Il ne s’agit pas d’emploi de mots inconnus qu’on
pourrait intégrer après en avoir appris le sens, mais de mots connus employés
les uns pour les autres.
L’idéologie médicaliste
dépasse même le secteur du Sport pour contaminer tout le reste. Ainsi lors de
la visite d’une confiserie, le groupe parle d’EUCALYPTOL au lieu d’eucalyptus,
le nom traditionnel de la plante médicinale et on entend le Confiseur tenter de
nous faire croire que le glucose qu’il met dans ses bonbons le met sur un pied
d’égalité avec les médecins des hôpitaux qui en mettent dans leurs perfusions.
Le dernier point est bien sûr l’expansion folle de la technique et des
cycles. On note l’apparition des vélos tous terrains VTT qui sont des vélos qui
permettent de descendre à travers les pâturages. La manœuvre consiste alors à
se faire monter les vélos en camions et à descendre ensuite à travers champs,
dans une sorte de ski d’été. On rencontre également des skis à roulettes sur
les routes, sans doute pour ne pas perdre le pli. Les marches et les promenades
ont disparu et sont considérées comme des activités marginales pour handicapées
qu’on essaie d’expédier le plus rapidement possible en kinésithérapie…
Il y a derrière tout ce technicisme totalitaire une entreprise marchande
mais ce qui est pire encore c’est la négation de l’autonomie du corps qui est à
l’œuvre. Il n’est plus que le moyen d’assimilation au Grand Réseau après avoir
été fragmenté et qu’on ait pu un récupérer les éléments utiles. Ce que confirme
une affiche sous le porche de l’église de la Bresse et en faveur du don
d’organes Si tu pars, laisse moi les
clés !...
Pendant les vacances de Toussaint un Appel à résister à l’entrée du voile islamique à l’école a été signé par Régis Debray,
Alain Finkielkraut, Elisabeth Badinter et deux autres inconnus de moi. Je suis
prête à leur emboîter le pas tellement cette idée me fait horreur. Je me dis
aussi que la Bourgeoisie Nationale s’oppose là à la Bourgeoisie Compradore qui
elle n’en est pas gênée. Ces catégories traditionnelles des pays sous
développés me semblent désormais convenir pour nous même.
Le premier effet pratique de cette affaire
dite des voiles, c’est le classement que j’entreprends et la mise en ordre
de dix ans de notes et d’écrits sur l’Enseignement, comme une urgence absolue.
Alors que ce monceau magmatique d’écrits ne me dérangeait guère auparavant, il
m’est devenu tout à coup insupportable, sans doute de s’avérer brutalement
complètement périmé. Il est à noter que c’est souvent ainsi que se passe la
mise en forme, lorsque l’ordre s’impose en proportion du fait que le problème
en question est dépassé.
Effondrement des appareils politiques dans les pays de l’Est à une
vitesse insoupçonnable auparavant. Les Allemands de l’Est passent à l’Ouest à
une cadence de dix mille par jour. Le Bureau Politique du Parti Communiste
envisage de démissionner et le Gouvernement l’a déjà fait. Une réunification
sauvage des deux Allemagnes ne parait plus impossible même dans les jours qui
viennent. On imagine possible l’unification de la Grande Europe y compris même
avec la Russie. Et cela m’émeut, tant la littérature russe a compté pour moi.
Scène de genre sur le Boulevard que goudronnent quatre ouvriers.
Les bras ballants, un Blanc regarde faire un Arabe à genoux qui tartine le sol
avec son outil, et les deux Noirs qui font le va et vient entre le chantier et
le camion avec leurs seaux fumants.
Cette nuit même, ouverture du Mur de Berlin. A la Télévision de très
mauvaises images tournées dans l’obscurité. On voit les gens debout sur le mur
mais on entend surtout les clameurs qui ne sont ni les you-you guerriers, ni
les élancements chiites, ni les cris de la fête. Quelque chose d’inconnu que je
ne percevais ni comme dangereux, ni comme mien.
Fatigue énorme due sans doute au fait que l’Europe entière se soulève
dans un mouvement de liberté et de changement et que la France reste à l’écart
de tout cela, de plus en plus sclérosée. On se prend à espérer que la Révolution
aussi nous atteigne – le mot a été prononcé ce matin à la radio – reléguant
toutes ces années écoulées sous le vocable générique de Galère. L’espoir aussi que cette Pérestroïka permettra de résoudre les problèmes accumulés ces
dernières années. La sensation qu’il s’agit de tenir ce qu’on appelle
traditionnellement le dernier quart
d’heure. Nous fêtons l’Evénement en
achetant un gâteau Forêt Noire hautement symbolique. Et le
slogan soixante-huitard Nous sommes tous
des Juifs Allemands prend dans ce contexte un étrange relief.
Au cours de Gymnastique du quartier où j’ai mes habitudes, j’ai mis
pour des raisons pratiques de confort un pantalon bouffant. Durant tous les
cours les mémés n’ont cessé de demander sur tous les tons, si on pouvait amener
son tchador ? Et ceci alors même qu’on observe au fil des années et mêmes
des mois, un recouvrement de survêtements, chaussons et chaussettes etc… et
qu’on sent bien qu’on n’est même pas à l’abri des passe-montagnes !...
Lors de la même séance, deux Bourgeoises évoquant l’Affaire des Voiles de Creil disent Cette histoire de tchador, j’en ai vraiment
rien à foutre. Tout cela, c’est bien des histoires de l’Ecole Publique.
Comme quoi, cette dimension essentielle de l’Affaire
m’avait complètement échappée. La réalité est bien en effet que ces gens là
n’ont pas l’usage ni l’utilité de cette Ecole là… Leurs enfants vont dans des
écoles dans lesquelles ils ne risquent pas d’en rencontrer… Cette évidence
m’avait pourtant échappée et j’en suis doublement humiliée. Finalement leur
appel à la tolérance, c’est le sermon qu’on fait aux domestiques pour qu’ils
arrêtent de se bagarrer dans les Communs. Il arrive de nouveaux serviteurs, il
faut leur faire de la place, c’est tout… Et sans histoires !... Pauvres
cloches que nous fûmes d’avoir cru un moment que nous étions chez
nous !...
Aux alentours de la Place de l’Etoile, des autocars et des touristes
allemands qui viennent fêter… on n’ose pas dire la victoire ou la défaite ou
tout simplement la fin de la Guerre !
Le lendemain de l’ouverture du Mur qui servait de frontière,
l’expression qui surgit est celle de La
fin de la punition européenne qui traduit la longue douleur qu’on s’interdisait de ressentir.
Ce soulagement, c’est donc LA PAIX après quarante cinq ans passés dans la
précarité d’un simple armistice sans traité. En mon for intérieur, la sensation
que c’est là que se clôture le nazisme avec tout ce que cela signifie
d’émancipation personnelle hors de mon enfance toute entière centrée sur cette
horreur.
Le premier soulagement de l’ouverture du Mur, c’est cela LA GUERRE EST
FINIE ! Du même coup, on mesure qu’elle ne l’était pas… Terreur
rétroactive, douleur et enfin soulagement. Les gens ont attaqué hier le Mur
pour en commencer la démolition, mais la Police de Berlin Ouest est intervenue
pour rétablir l’ordre à l’Est !... Comme quoi !... Pourtant sous la
poussée croissante des Berlinois de l’Est qui veulent absolument passer, ils
ont pratiqué une seconde porte assez large, les six ou sept points qu’on devait
ouvrir d’ici mardi étant insuffisants…
Bref depuis huit jours, les mesures de libéralisation croissante chaque
jour annoncées plus fortes que la veille, sont obsolètes avant même d’avoir été
mises en application !... Nous sommes entrés dans un processus qui s’auto
accélère et s’emballe. Le flot veut passer, c’est tout ! On est donc
obligé d’ouvrir les brèches comme lors d’une inondation qui emporte les
barrages. On se réjouit de voir cela et je regrette que Bernard Briquet et
Mylène Dubois, mes amis et compagnons de combat - parce qu’ils se sont tués -
ne le voient pas.
De ci de là, on entend des gens s’inquiéter. D’autres dans le style
comique, comme Cohn-Bendit proposant puisqu’il n’y a pas assez de place pour
les réfugiés, passés à l’Ouest, de les loger dans les casernes d’Alsace
Lorraine. Le speaker s’est dépêché de le faire taire comme s’il s’agissait
d’une grossièreté.
Scène hautement symbolique : Dans la brèche du Mur nouvellement ouverte
les Policiers de l’Est et de l’Ouest se serrent la main, ainsi que les deux
bourgmestres. Reconnaissance symbolique, on ne peut plus symbolique, au sens
étymologique de deux moitiés s’emboîtant parfaitement… Pas besoin de
Réunification de l’Allemagne, elle apparaît même désuète tant elle est déjà en
train de se faire économiquement. Pas besoin de réunification politique, on a
déjà entrepris de rouvrir les stations de métro qui étaient fermées pendant la Guerre Froide, et de prolonger à l’Est, les lignes d’autobus de l’Ouest.
Cela me rappelle qu’il m’est arrivé d’expliquer mi figue, mi raisin aux Elèves
que si les Français n’étaient pas capables de faire fonctionner leurs
transports en commun, les Allemands s’en chargeraient. Je ne croyais pas si
bien dire.
Quant au taux de change du Mark de l’Ouest contre celui de l’Est, il a
lieu à un contre dix… Contre la réalité, on ne peut pas grand-chose et c’est ma
joie !...
Commencement d’agitation au Lycée, dans le style d’une fourmilière
dérangée. Brouhaha et va et vient affolés. Des conversations individuelles qui
parlent vraies parviennent à s’engager avec Nicole. Quand à Marie-Thérèse, ce
que les Evènements de Berlin lui inspirent, c’est Qu’est-ce que la Liberté ? Les deux reprochent surtout aux Allemands
de l’Est d’avoir été à l’Ouest voir les prostituées et chercher de la drogue…
J’en tombe raide, et me mets du coup à défendre les libertés bourgeoises mêmes
dépravées contre cet assaut de puritanisme inquiétant. Non que je sois
partisane de la prostitution et de la drogue mais ce n’est vraiment pas le
problème dans cette Révolution Européenne en train de se faire…
En cherchant dans le Littré le sens du mot Allemand, fidèle à ma méthode d’investigation par l’étymologie,
j’ai découvert que ce vocable signifiait Mêlement
ensemble d’hommes venus de divers endroits. Comme quoi le slogan
soixante-huitard Nous sommes tous des
Juifs Allemands n’était pas si faux, ni dans le même esprit ce titre d’un
article du journal Le Monde
Nous sommes tous des Allemands.
A la limite au sens strict
sémantique, l’Europe en voie d’intégration est une Europe allemande et
l’Allemagne a vocation pour le faire. J’y apprends
aussi avec étonnement, l’existence du terme allemanderie
qui signifie un atelier où l’on forge l’acier pour le calibrer….
Dans les toilettes de la Salle des Professeurs, deux agentes
d’entretien antillaises discutent entre elles, en créole.
De nouveau, le deuil panique,
cette sensation nouvelle non identifiée et nommée de ce curieux vocable,
lui-même non élucidé mais qui recouvre la pulsion de fuite parce qu’on a le
sentiment que tout est complètement défait et qu’on n’y peut plus rien. Le fait
est que de jour en jour, entre une hiérarchie qui nous pressure tous les jours
davantage et la pression des Elèves pour installer un régime fœtal dans lequel
ils n’ont plus aucun effort à fournir, notre marge de manœuvre diminue
drastiquement.
Quant aux nouveaux programmes de Brevet de Technicien Supérieur, ils
sont inapplicables et cela génère une angoisse de mort… Ce n’est pas que je ne
sois pas capable de traiter les programmes proposés, c’est que c’est impossible
avec les Elèves qui sont les nôtres et dans le contingent d’horaires attribué.
Il prend donc des envies de démissionner alors qu’on est compétent, parce qu’on
nous demande des choses impossibles à réaliser tellement règne le mensonge du Grand Leurre. Est-ce de là que vient ce deuil panique ?
Scène de violence à la Cantine du Lycée. Me croyant à tort ou à raison
victime d’une provocation du Lobby Techniciste qui sans me demander mon avis,
me balance une tranche de pâtée dans mon assiette, laquelle tombe à côté et
provoquant son hilarité et sa désinvolture, je réagis par une punition double,
en exerçant contre l’un des types une violence inconnue dont je ne me serais
jamais cru capable, servant l’un d’eux volontairement à côté de son assiette.
Ce qui n’est assurément pas convenable mais comment le rester lorsqu’on fait la
guerre à la Voyoucratie ? Ce qui m’a traumatisé dans l’engagement de cette
bagarre physique, c’est qu’elle ait eu lieu au sein de ce que Lionel Jospin
appelle joliment L’équipe
pédagogique ! Ce n’est pourtant pas la première fois… Déjà lors des
Commissions d’Admission en BTS, il y avait eu des voies de fait contre moi.
C’est aussi la nécessité d’un certain courage pour faire la guerre car on
s’expose soi même à la violence et à ces conséquences parfois terribles …
Réunion d’une vingtaine de Professeurs sur cinquante. Contre toute
attente, c’est un succès… Qui s’explique rationnellement parce qu’elle a lieu à
la place des cours. Elle a pour objet de répondre au questionnaire du Ministre
au sujet de la grande concertation
nationale afin de préparer la nième inapplicable Réforme de l’Enseignement.
Comme il n’y avait pas assez d’imprimés pour tout le monde, la Directrice a
proposé des regroupements par matières, dans les divers secteurs de
l’Etablissement. J’ai proposé qu’on se réunisse tous ensemble dans la Salle des
Professeurs en insistant sur le caractère symbolique, et ceci dans le cadre de
ma lutte pour maintenir les lieux reliés à la fonction.
Le Censeur fort mécontente qu’on n’ait pas suivi les ordres de la
Directrice, tente en vain de nous faire obéir, mais nous résistons et cela
permet de rouvrir entre nous une vraie communication qui n’a plus lieu du tout - depuis deux ou trois ans – ainsi que de
reconstituer un semblant de Corps Enseignant car cette fois l’étonnant est que
personne n’ait menti.
Les gens parlent de la situation telle qu’elle est et le lobby
techniciste est isolé et désapprouvé par l’ensemble de ceux qui sont là et
considèrent globalement - selon leur expression - qu’on se fout de nous ! C’est quand même la première fois qu’ils
font aussi loin dans la contestation de ce que nous subissons. J’ai de mon
côté été réconfortée de voir que j’étais moins seule que je le pensais, même si
j’en avais déjà l’intuition n’ayant jamais cessé d’encourager les partisans du
Service Public.
Quant au Lobby Techniciste, très satisfait d’eux-mêmes ils nous ont
expliqué qu’il fallait prendre modèle sur l’efficacité de la Télévision et
qu’on pouvait parfaitement apprendre le Français à partir de la Comptabilité et
de l’Informatique… Ils nous ont affirmé également que c’étaient les Experts
Comptables qui avaient organisé le nouveau BTS, en tentant de nous faire croire
que c’était une garantie de professionnalisme. En fait eux-mêmes ont l’air
d’être prisonniers d’un mythe.
Concernant la Révolution Européenne, Madame Simone Veil se déclare
enthousiaste Nous sommes le centre du
monde. Elle dénonce également les pisse-froids qui ne veulent pas sauter
sur l’occasion pour accélérer la Construction
Européenne.
Conversation avec mon ancienne partenaire de théâtre sur l’à-plat qui s’est désormais instauré
dans les classes, détruisant le postulat pédagogique et rendant - techniquement
parlant - impossible le fonctionnement même de l’enseignement, qui repose sur
la double immunité créant un espace sacré dans lequel il peut avoir lieu. Celle
du professeur d’être crû sur parole, sa compétence ne pouvant pas être mis en
doute - même s’il est chahuté - et celle de l’élève d’être garanti de toute
blessure ou humiliation, car ce n’est pas à la personne totale de l’Elève que
l’Enseignant s’adresse mais à une personne partielle. Ainsi même le Vous êtes nul professoral, en réalité ne
met il pas en cause l’Elève lui-même dans sa personne humaine, mais seulement
la compétence concernant la matière enseignée..
Désormais cette immunité est cassée car désacralisé le Professeur ne
peut plus de son côté, la conférer. Les critiques qu’il fait, blessent et tuent
entraînant alors les deux protagonistes dans une spirale d’agressivité et de
rejet qui petit à petit paralyse tout. Ce que le droit d’asile ou d’hospitalité
étaient autrefois à la sécurité individuelle, le privilège pédagogique - on
peut l’appeler ainsi - l’est à l’esprit. Lui disparu, règnent l’insécurité et
l’arbitraire de l’Instruction. Ce qui va d’ailleurs avec la barbarie montante
de cette Voyoucratie qu’on ne peut plus considérée comme étant notre Collègue.
C’est contre elle et ce qu’ils font de l’Ecole que la guerre est engagée.
Au Journal Télévisé projections de clips fabriqués sur les Evénements
d’Allemagne. Ils tiennent la route.
Certaines absences des Collègues STE n’étant pas remplacées, je propose
au Censeur d’utiliser les heures vacantes pour l’innovation pédagogique, à
condition qu’on m’y laisse une liberté totale dans le cadre de ce que j’appelle
le soutien et la restructuration. Elle me demande de faire un rapport mais je
lui réponds que j’en ai passé l’âge, que mes états de service m’en dispensent
et que de toute façon les dits rapports vont à la poubelle nos supérieurs
hiérarchiques se moquant complètement de la Pédagogie. J’ajoute que je ne suis
pas disposée à faire du travail supplémentaire pour faire tourner à vide la
machine de l’Education Nationale et qu’elle peut bien - comme cela est prévu -
embaucher des mères de trois enfants sans diplôme mais que par contre je suis
prête à m’investir pour débloquer la situation. Je suis stupéfaite de ma
violence et de mon culot. Je l’attribue à la récente conversation avec mon
ancienne partenaire de théâtre.
Nous avons également évoqué avec celle-ci notre ancien Proviseur du
Lycée Honoré de Balzac, Monsieur Bouchara à qui nous faisions - lorsque nous
nous rencontrâmes dans son Etablissement - la guerre politico pédagogique, sans
cesser pour autant le moins du monde de le respecter et sans jamais mettre en
cause le sacré de son autorité quasiment militaire. Finalement je crois que
j’en veux beaucoup aujourd’hui à l’Administration et aux Inspectrices d’être de
pareils pantins. Ils ont toujours leur existence légale mais sans aucune
crédibilité et sont délégitimés. Nous sommes ainsi comme des samouraïs errants
honteux de leurs daïmios. Des soldats sans cause à défendre. Je comprends
maintenant ce qui a pu arriver en Algérie Française. Est-ce le ressort des
coups d’Etat dans la société française et le secret de cette semi-démocratie ?
Une société féodale militaire qui ne peut fonctionner que sur ce modèle
et qui donc est obligée chaque fois qu’elle est en crise, d’avoir recours à une
dictature militaire ? Il y a déjà quelques temps que j’ai compris comment
la société française est toute entière organisée autour de sa colonne
vertébrale Etatique/Administrative/Militaire/Féodale faite de liens personnels
comme le sont les féodalités et c’est la dégénérescence du système qui donne
actuellement bureaucratie et prébendes.
Je rêve de parvenir à écrire ce livre de Sciences Sociales : La société française expliquée aux
Américains ou Heureux comme Dieu en
France. En attendant, je me demande si la Perestroïka va parvenir
jusqu’ici. Je m’y emploie. J’ai même enjoins à mes Collègues Perestroïkons ! et
trouvé beaucoup de bonheur au verbe qui permet les formes suivantes Qu’ils pérestroïkent ou bien soutiennent l’espérance d’un résolu : Je perestroïkerai.
Magie de la grammaire, la porte du rêve, de la puissance et de la subversion…
A la Cantine du Lycée, je faisais mon agit-prop culturelle habituelle
sur le thème de l’autarcie mentale de la France, quand AMM m’exprima son
profond désaccord croyait elle d’un Mais
non voyons, la culture française est universelle ! Fermez le
ban !
Chez Darty où j’allais pour remplacer notre cafetière électrique très
dégradée, il y avait trente cinq modèles tous plus laids les uns que les
autres. Très mal à l’aise de cette prolifération, je me suis sauvée…
Cette Chronique commence à décrocher car la violence quotidienne
augmente à un point tel qu’il n’est plus possible de l’y relater. Il y faut une
médiation pour laquelle la littérature traditionnelle ne fonctionne pas parce
qu’elle refoule. Comme je me demandais d’où venait cette impossibilité, il
m’est apparût que c’était parce que les scènes ne pouvaient être rendues que
par le Cinématographe, les regards, les gestes et les mouvements y étant
essentiels. Quant à mon ancienne partenaire de théâtre, elle me dit que c’est
ma familiarité avec le monde des symboles qui me permet de décoder et de relier
toutes ces choses qui se passent mais qu’elles ne peuvent pas être transmises à
autrui par des canaux qui ne les utilisent pas.
Le décrochage a commencé lundi dernier comme je ne pouvais regarder en
face ma violence répondant à celle que me faisait subir le Lobby Comptable.
L’entrée en guerre physique - parce que c’était cela - ou la domination et la
mort. Cette brutalité elle-même précédée la semaine d’avant d’un de mes
scandales habituels, cette fois dans un autobus avec l’impression tout de même
cette fois d’avoir passé la mesure et le sentiment nouveau d’en souffrir
moi-même.
Avec dix jours de recul, je mets cela en relation avec les Evénements
de Berlin, ce qui ne m’apparaissait pourtant pas lorsque cela s’est produit.
Sans doute l’espérance de la Pérestroïka
donne t-elle des forces militaires inattendues sur le thème que le rapport des
forces pouvait changer et donc qu’il n’était pas déraisonnable d’engager le
combat comme cela l’était encore dans la période précédente où on était
quelquefois obligé de fuir pour des raisons stratégiques. Cette violence
guerrière n’entrait donc pas dans le cadre de cette Chronique
Mardi : Scène tragique au Jardin du Luxembourg. D’abord la
remarquable conversation que j’ai eu avec un berbère avant qu’il me demande de
nous enfuir ensemble parce qu’une bande de punks était venue s’asseoir à côté
de nous et nous regardait avec des yeux allumés comme des enfants malfaisants
se réjouissent de découvrir dans les herbes, l’insecte auquel ils vont arracher
les pattes. Et mon propre soulagement de cette fuite…
Mercredi : Une idiote nous répercute la propagande télévisuelle en
nous expliquant que les Evénements de Berlin confirment la supériorité de notre
idéologie. Je m’énerve de mon côté en lui rappelant pathétiquement toute la
mort que le capitalisme a déversé sur l’Amérique et l’Afrique…
Jeudi : La scène dans ma classe de Terminale Comptable où quatre
ou cinq garçons ont chahuté Yasmina en la traitant de MLF et même l’un d’eux en
proférant gestuellement des menaces de mort d’une main tranchant la gorge… J’ai
donc dû l’expulser et les tremblements que cet évènement a causé en moi tout le
jour et le lendemain étaient encore plus tristes car l’élève renvoyé était noir
ainsi que sans doute le menaçant et la menacée tous les deux musulmans. Ce
drame est il à remettre dans le contexte de l’Affaire
des voiles ?
Le même matin, Madame Ponsart Professeur de Comptabilité a
tranquillement déclaré sans plaisanter qu’On
ne tue pas les malades assez vite dans les Hôpitaux ! Et moi je lui ai
répondu d’abord que Je savais bien qu’on n’avait rien de commun mais que maintenant je savais pourquoi et je lui ai demandé ensuite
froidement Si elle avait de la
famille en Allemagne? Cette façon de faire est sans doute ce que d’aucuns
appelle mon élitisme. Pourtant j’ai
eu l’impression (peut-être totalement fausse) qu’elle me comprenait…
En Deuxième Année de Brevet Supérieur Comptable les Elèves protestent
que je dois parler français parce que j’ai employé un Warum pour une question concernant les problèmes allemands, comme
je le fais aussi habituellement en questionnant d’un Why lorsqu’il s’agit de la mondialisation. Ceci pour tenter de
la leur rendre plus sensible… J’ai dû exclure un bavard impénitent en lui
disant pour la première fois de ma carrière que puisqu’il n’y avait pas de
sanction de l’absentéisme il n’avait qu’à rester chez lui. Ce qui est bien
évidemment la négation même de l’Enseignement…
Vendredi : Au cours de Gymnastique, scènes de chasse autour du
Professeur. La semaine dernière, c’était ma fête à moi et pour la même raison.
Une vitalité de corps féminin que ces femmes mutilées et momifiées à trente ans
ne peuvent supporter. Cela sent tellement le sang dans ce cours qu’on en est
terrifié !...
Vendredi soir au Restaurant l’Orestias
à Saint Germain des Prés, la serveuse porte un badge sur lequel on lit Mets ta capote mon pote, t’auras la
cote ! Quant à la conversation engagée à la demande d’un voisin
portugais sur l’avenir de l’Europe, elle fait apparaître qu’il s’inquiète des
problèmes démographiques de la France. Je lui réponds qu’on va importer des
Arabes et que la France étant le pays le plus arriéré d’Europe en ce qui
concerne le statut de la femme, on est les seuls capables de les intégrer,
tellement le statut de la femme française en est déjà proche. C’est ce que
toute cette histoire de voiles a montré…
Samedi à l’émission Répliques sur
France Culture je suis choquée d’entendre les termes élite et masse complètement
entrés dans le discours, alors que je suis habituellement d’accord avec ce que
dit l’animateur Alain Finkelkraut. Lundi dernier, mes Collègues les employaient
déjà au Lycée et choquée en dépit de la convivialité, je le leur avais fait
remarquer…
Dans un restaurant aux Halles, des logos d’infirmerie (croix) sur la
porte des toilettes. Cela aura-t-il lieu bientôt sous contrôle médical ?
On me dit que c’est déjà le cas au Japon.
A l’Est, déjà Cinq morts, sans compter les suicides de Communistes en
RDA.
Je suis très frappée de réaliser que l’effondrement de la digue
entraînant l’inondation, est le thème central de mon livre Le Corps défunt
de la Comédie. Et plus troublée encore d’y découvrir que cela se termine en
guerre. Cet aspect m’avait jusque là échappé.
Samedi encore au Carrefour de l’Odéon un homme étendu sur le trottoir
dans son urine ruisselante le pénis à l’air, en train de se masturber…
Conversation sur le statut des femmes avec mon ancienne partenaire de
théâtre. On finit par se dire qu’on ne souhaite pas l’intégration des
Musulmans, justement à cause du statut des femmes et comme on constate qu’on
est alors objectivement les alliées des racistes, on ne peut que le reconnaître
et le déplorer. Mais que faire ?... Tout cela n’a pas plus été résolu que
bien d’autres problèmes socio-bionomiques et le vocable qui
aujourd’hui recouvre tout, c’est TROP TARD. Il est trop tard aussi bien dans
nos vies professionnelles que dans nos vies domestiques acculées à des
radicalités croissantes. Nous n’en avons plus rien à faire des solutions
négociées de la part de ceux qui sont nos antagonistes. Nous avons également le
sentiment que la Révolution est commencée.
La Tchécoslovaquie en insurrection. Je suis bouleversée de cette
clameur qu’on entend dans tout l’Est du Continent et ne supporte plus d’en être
à l’écart. Je suis rentrée exténuée après une journée dont on pouvait penser
qu’elle ne s’était pas si mal passée puisque depuis huit jours, un léger vent
de détente souffle au sein du Corps Enseignant, à l’exception du Lobby
Comptable évidemment. Je me suis endormie comme une masse exténuée à dix-neuf
heures. Après dix heures de sommeil, ce matin l’idée m’est venue que si j’étais
bouleversée à ce point par ce soulèvement populaire et transnational à l’Est,
c’était parce que nous-mêmes Femmes nous étions dans la situation des non
citoyens de cette Europe là. Comme eux nous n’avons de fait ni liberté de
circulation ni d’expression, ce que j’explique par ailleurs autour du thème de L’Us de Cité !
Il n’y a que ma classe de Terminale qui fonctionne correctement, c’est
à dire dans laquelle on peut faire la classe,
comme on le faisait autrefois partout. Et encore… Comme je leur expliquai
qu’on pouvait peut être par priorité s’intéresser aux exclus et augmenter les
salaires des plus pauvres en acceptant le tassement de la hiérarchie ils se
sont moqués de moi, comme si je tenais des propos absurdes et en effet, ils ne
les comprenaient pas. Il semblerait alors que toute humanité au sens où on
l’entendait autrefois ait disparu, tant comme bonté vis-à-vis de son semblable
que comme Corps socialement organisé.
L’idée n’en est même plus comprise.
Manifestation ininterrompue depuis quatre jours à Prague. Un Mai 68 d’automne.
Les manifestants agitant leurs clefs. Autour de moi les gens ont peur de la
Réunification de l’Allemagne, ce qui n’est pas mon cas car je pense que nous
même allons l’être. J’envoie à la ronde quelques cartes postales sur ce thème.
A la limite on ne peut avoir peur de soi même et La Mittle Europa n’a cessé depuis un siècle ou
deux de changer de configuration. L’impression que notre vaisseau hexagonal va
s’arrimer bientôt à cette vaste station européenne….
Curieuse conversation dans la Salle des Professeurs. Je pousse les
idées féministes sur le thème Ce sont les
mêmes changements techniques qui causent la Révolution Européenne et
l’émancipation des femmes. Et comme on m’interroge, je poursuis en disant C’est peut être aussi qu’elles en avaient
marre de se faire castagner. Contre toute attente plusieurs Collègues
femmes m’approuvent d’autant plus qu’il y a eu une émission à la Télévision sur
ce thème et disent Je suis sûre qu’il y
en a parmi nos élèves dont les Parents se battent et moi j’ajoute Et sans doute aussi parmi les Collègues.
Madame Ponsart reprend Oui les
statistiques disent que c’est dans tous les milieux sociaux ce que je confirme en rigolant : Le jour où les Collègues diront dans la Salle des Professeurs qu’elles
sont battues… ce sera bien la Révolution…
Je me demande si cela ne l’est pas déjà, étant donné que c’est la
conversation la plus avancée que je n’ai jamais entendue entre les Collègues
concernant la question des femmes. Je crois comprendre qu’une sorte
de féminisme est en train de survenir chez Elles non pas pour des raisons
idéologiques ou idéales mais pour des raisons techniques, sans que je sache
trop ce que cela recouvre. Comme un Collègue masculin s’intéresse sérieusement
à la conversation et que je lui dis que les Droits des Femmes ne recouvrent pas
les Droits de l’Homme, je les lui formalise déjà comme celui de ne pas être
violée et de pouvoir élever ses enfants, ce qui est notre souci principal. Ma
modération le convainc.
Ce qui m’apparaît dans cette Révolution Européenne, c’est à quel point
le marxisme le plus trivial est opérationnel. Dans le même ordre d’idée, la Révolution Mondiale de Trotski était la formulation dans les termes anciens de
ce qui se passe aujourd’hui. Autrement dit le marxisme a-t-il été l’intuition
de cette Révolution Cybernétique en train d’advenir ? Ont-ils dit avec les
termes de l’époque ce qui survient aujourd’hui et que nous n’avons pas encore
de mot pour dire ? C’est sans doute le plus grand étonnement de ma
vie !
On comprendrait mieux alors pourquoi toutes ces mémères sont en train
de devenir féministes alors même qu’elles ne le sont pas. La redistribution de
ce que j’appelle les nomes et la grande manne distributive risque bien de les laisser sur le carreau ! La revendication
qui semble émerger ces temps-ci c’est qu’on leur paie leurs services !
C’est l’équivalent du mouvement des REAL WOMEN des Etats-Unis.
En termes de luttes de classes
bionomiques - comme cela semble en
prendre l’allure - cela se comprend parfaitement. Facteur de production de la
matière vivante dans un statut actuel de travail gratuit, on comprend qu’elles
cherchent à obtenir rémunération de leur production. Là où je m’insurge
finalement contre l’idéologie de la marchandisation générale de la matière
vivante à laquelle elles, elles adhèrent. Encore des malentendus en
perspective… Mon texte la La Newcité a comme ambition de donner des
grilles pour penser tout cela.
Vaclav Havel et Dubcek sabrant le champagne sur la Place Wenceslas de Prague !
C’est notre récompense ainsi que la chute du Gouvernement qui les avait
maltraités et exclus en 1968. Dans tous les Pays de l’Est, ceux qui il y a
quelques mois encore étaient en prison ou en exil, sont désormais aux marches
du Pouvoir. D’où le proverbe que j’avais inventé l’an dernier Un an à Gorki, un an à la Douma pour
exprimer à propos de Sakharov cette instabilité historique des destins
politiques. Ce que j’avais également exprimé en retournant la formule Le Capitole est près de la Roche Tarpéienne.
Exaltante période qui nous soulève et nous emporte !...
Au Lycée la nouveauté est désormais que les attitudes autoritaires qui
permettaient autrefois de restructurer la classe pour réunir les conditions de
l’Enseignement, ne fonctionnent plus du tout. Comme si on tentait de visser des
boulons alors que le pas de vis n’est plus le même. On est épuisé à la longue
par un travail à la chaîne dans des conditions pareilles.
Comme j’attirais l’attention des Elèves sur les conséquences de
l’aggravation du chômage prévisibles étant donnée la décompétitivité de la France et que je leur demandais ce qu’ils
allaient faire… il y en a un qui m’a froidement répondu Mais on prendra votre place ! Pas même estomaquée d’une
attitude désormais généralisée, je lui réponds Mais vous n’êtes pas capable de faire ce que je fais !
C’est là qu’une blonde qui passe son temps à bavarder retournée vers le
rang de derrière, m’attaque tête baissée en se trompant de plan A vous entendre il n’y a que vous qui êtes
bien, nous on est nul etc. Ils s’attaquent à ma fonction et non à ma
pratique. Cela a été rendu possible par la désinstitutionnalisation
réalisée et on est toujours à deux doigts de basculer dans le psychodrame…
C’est l’ambiance Jeu de la vérité mis
à l’honneur par le film de Marcel Carné Les
Tricheurs en 1958 et à la mode à cette époque là…
La désagréable jeune personne vient encore
m’entreprendre après le cours et je suis obligée de m’en débarrasser violemment
comme je le fais désormais de plus en plus souvent. Le retournement de la
situation pourrait bien s’exprimer ainsi : Autrefois on était content que
les Elèves viennent nous voir après le cours et on leur donnait le meilleur de
nous même. Maintenant on est obligé de s’en défendre….et de les tenir à
distance. Cela achève de faire naufrager la classe, même dans le meilleur des
cas comme dans celle là où eux et moi faisons le maximum pour éviter la
rupture.
Dans cette Classe se sont néanmoins les corps qui donnent l’alerte.
Ainsi l’Elève installé agressivement avec sa table au milieu de l’allée. C’est
leur corps à l’affût du mien que je ne supporte pas, cette impression d’être
une proie qu’ils sont contrariés de ne pas savoir comment saisir parce qu’elle
est manifestement plus coriace que ce qu’ils pensaient. Le seul point positif
de cette classe est de constater que le trublion que j’avais expulsé en lui
demandant de rester définitivement chez lui pour la première fois en vingt deux
ans de carrière, était cette fois installé au premier rang et ne perdait pas un
mot de ce que je racontais. Mieux, il répondait fort justement à mes questions.
En Terminale Comptable, la conversation s’est établie sur la question
des immigrés. Majoritairement, ces
enfants de la dite Deuxième Génération quand ils ne sont pas
eux-mêmes des immigrants croient tous de bonne foi que les Noirs et les Arabes
ont toujours été en France. Quelle n’est pas leur surprise lorsque je leur
explique qu’on a été les chercher dans les années Soixante… Ils n’en reviennent
pas ! Quant à l’arrivée contemporaine des Tamouls et des Turcs, c’est à la
limite de l’incrédulité. Je constate une fois de plus la déperdition d’Histoire
dont ils sont comme tous mes Elèves, victimes mais qu’elle s’applique de
surcroît à eux-mêmes à ce point là, a quelque chose d’hallucinant. On retrouve
d’une autre façon le syndrome antillais…
Dans ce contexte, si je me réjouis qu’on me pose des questions sur la
langue, j’en suis un peu incommodée, et d’autant plus que mes autres Collègues
ne disent pas les mêmes choses que moi. Mon Collègue NB leur interdit notamment
l’usage du terme Octantes, d’un Vous êtes Belge méprisant qui m’oblige à
faire un cours sur le libéralisme appliqué à la langue et la transnationalité des Français
pluriels. Tout cela tout en admettant
la parfaite validité de l’attitude de ce Collègue qui issu d’une famille
d’immigrants italiens, leur conseille par mesure d’intégration de se cantonner
à l’usage du Dictionnaire. Par bonheur à la faveur d’une mise en scène je leur
montre qu’Octantes est bien dans le Dictionnaire au sens de Quatre-Vingt. Du
coup nos communs Elèves décident de lui rentrer
dans le chou...
A la Cantine les Collègues m’écoutent un peu plus, non pas dans le sens
d’adhérer à mes valeurs morales mais parce que leurs rêves d’arrivisme sont bel
et bien terminés et qu’ils constatent par eux-mêmes que ce que je dis est vrai.
La Crise les atteint tellement qu’ils perdent pied. Confirmation du marxisme
trivial en ce qui concerne le processus de la prise de conscience… D’autant
plus que les femmes plus jeunes que moi se trouvent dans la situation de
cumuler La Crise et la nécessité d’élever leurs enfants dans ce contexte là…
Nuit du 9 au 10 Novembre : Ouverture libre de Charly Point.
Le 11 : Ouverture d’une deuxième porte, la première n’étant pas
assez large. Les gens ayant entrepris de démolir le Mur, la Police de l’Ouest
intervient à l’Est pour les en empêcher.
Le 12 : Réunion symbolique entre les Policiers de l’Est et de
l’Ouest et même chose entre les bourgmestres qui se serrent la main.
Le 15 Nov : Il y a vingt deux points de passage dans le Mur. Les
caméras de Télévision installées devant la porte de Brandebourg en attendant
l’ouverture. Un journaliste français relié à des câbles, escalade le Mur sur
une échelle en direct, après avoir interviewé les Vopos.
Le 16 Nov : Volkswagen a mis sur pied vingt quatre heures sur
vingt quatre, un réseau de dépannage des Trabans (voitures Est Allemandes) qui
tombent souvent en panne.
Le 18/11 : Trente cinq points de passage à Berlin et quatre vingt
au total entre les deux Allemagnes. Le change monétaire a lieu vingt marks de
l’Est contre un de l’Ouest. La vente de fragments du Mur a commencé aux
Etats-Unis.
Le 19 Nov : Deuxième week-end de ceux de l’Est à l’Ouest. Ils
n’ont plus droit à la subvention du week-end précédent. Ils vendent à l’Ouest
les denrées subventionnées ou moins chers que celles de l’Ouest. C’est au sens
strict l’Etablissement du Marché
et non comme le dit à tort la Télévision, le Marché Noir. Première
manifestation commune à l’Ouest et à l’Est. Elle a lieu à l’Est à l’initiative
des Verts de l’Ouest. Ceux là même qui dans la semaine, ont fait campagne
contre les Trabans trop polluantes….
Je suis du parti de Vaclav Havel ! C’est ce que j’ai crié à la déléguée du SNES
qui prétendait qu’il fallait être syndiqué pour avoir le droit de donner son
avis sur nos problèmes professionnels. S’en est suivi une de mes colères noires
qui sont de plus en plus fréquentes, au point d’en être moi-même, incommodée.
Le paysage social et mental a complètement changé. Les Octantes sont belles et
bien terminées, la corruption a achevé son œuvre. Le pays est décomposé, notre
groupe social effondré et avec lui ses valeurs. Il n’y a plus de relais entre
la Bourgeoisie qui n’en ayant plus besoin, a décidé de se passer de nous et le
peuple de plus en plus prolétarisé avec lequel on se confond désormais, dans
tous les sens du terme.
Face à l’intégrisme
islamique qui occupe le terrain laissé libre comme le raconte finalement Canal
de la Toussaint, je me demande si nous ne sommes pas en train de mal
tourner. Un sentiment que l’irréparable est accompli. Que la pellicule est
impressionnée et qu’on n’y peut plus rien changer. Qu’elle va seulement être
développée et tirée et qu’on regardera ce dont il s’agit. Peut-être une
Révolution déjà commencée à l’Est, ou peut être le pire déjà en germe ici. De
toute façon, je ne vois pas comment j’aurais pu ou pourrais faire davantage que
tout ce qu’ai fait depuis vingt ans, une sorte de soixante-huit ininterrompu…
Là est la source de mon espèce de stoïcisme. Et si c’est le pire qui advient,
on pourra toujours se dire qu’on aura tout fait pour l’éviter et qu’il faut en
prendre son parti.
Lundi, conversation
avec Nicole sur la situation des femmes. Une espèce d’émotion de me sentir
comme sa sœur aînée. Cette épouvante résignée qu’elle a de se sentir sombrer
dans sa vie de mère de famille popote, consciente qu’elle boit la tasse et
qu’elle ne s’en sortira pas. Mon émotion pour sa jeunesse. Cette tranche de
Collègues de trente trente-cinq ans qui étaient ces adolescentes que nous
avions au Lycée quand soufflèrent furieusement les bouffées des Septantes. Le
vague sentiment d’être responsable d’eux.
La mémoire de cette
classe de Seconde, odieuse et déchaînée au Lycée Honoré de Balzac et que nous
avions (tout le Conseil de Classe unanime) fait passer en Première plutôt que
de les mettre à la rue avec l’argument que nous avions à l’époque que sinon ils
allaient devenir délinquants et faire des casses ! Le Proviseur avait été
outré de notre attitude mais avait cédé devant l’unanimité du Conseil.
C’était en pensant à
eux que j’avais écris sous le pseudonyme de Jeanne Dherbécourt, l’article paru
dans Le Monde de l’Education : Un métier qui n’existe plus… Maintenant ils ont grandi, et ce sont
ces espèces de Collègues d’un nouveau type, prolétarisés, hédonistes, centrés
sur leurs vies privées, méfiant vis-à-vis de tout ce qui est collectif et sans
aucune valeurs ni culture ni points de repère…
Là où notre
génération est structurée par l’adolescence vécue durant la Guerre d’Algérie et
culminant dans le triomphe lyrique des Evénements de Mai 68, ils ont fait un
chemin inverse de flottement précipité dans la crise. L’impossibilité pour ces
femmes découvrant la réalité misérable de leur situation, de lutter et de la
surmonter. Gonflées de propagande, elles découvrent qu’elles ne sont ni si
libres, ni si égales, ni si fraternelles ( !) que la publicité leur fait
croire. Et elles prétendent que c’est plus difficile que pour nous, ce qui est
peut être vrai ! Mais n’est ce pas plutôt que l’idéologie à laquelle nous
avions affaire était d’un autre ordre ? Le devoir de sacrifice, dévouement
et douceur n’était ce pas tout aussi mutilant et qui sait davantage que
l’idéologie du libéralisme ? Enfin - en essayant d’être pratique - je lui
ai dit : Est-ce que tu as déjà porté
une gaine ? Elle dut convenir que non, ainsi qu’à mon autre
question : As-tu commencé ta vie
sexuelle sans contraception ? Ces deux thèmes là suffisant à résumer
NOTRE DRAME !
Drame aussi avec le
Professeur de Biologie qui occupe indûment la salle après la cloche sans faire
évacuer ses propres élèves. Cela fait déjà plusieurs fois que cela se produit
et j’ai déjà protesté. J’entre dans la classe dans un état d’énervement
d’autant plus grand que mes Elèves de Terminales (la seule classe qui
fonctionne) attendaient dans le couloir alors que je leur avais expressément
demandé la fois précédente d’entrer, pour faire accélérer le mouvement.
Je les pousse donc
dans la salle en entrant avec eux, attrape les affaires du Professeur qui
étaient sur le bureau, les met par terre sur l’estrade, ramasse au fond de la
pièce celles des élèves, les pousse dehors, les accompagne dans le couloir ou
je les leur jette, accélérant ainsi la sortie de la Collègue en marchant
derrière elle. Elle sortie, je claque la porte très violemment. Je n’en reviens
pas de ma propre fureur mais me l’explique par la suite. On a déjà parlé
souvent au téléphone de ce problème avec mon ancienne partenaire de théâtre qui
a dû me raconter des choses du même genre, qu’elle avait elle-même déjà
pratiqué avec succès.
Par ailleurs, mis à
part cette insupportable désorganisation croissante qui paralyse peu à peu tout
fonctionnement et engendre une fatigue terrible si on s’obstine, au point qu’on
ne plus fournir davantage… le contentieux sous jacent avec le professeur de
biologie est son refus d’enseigner la bionomie alors que je la bombarde
d’articles sur ce thème. La dernière fois d’ailleurs, elle paraissait avoir sur
ces sujets là, des positions d’une bêtise confondante.
Une fois mes Elèves
installés, je suis de nouveau la proie d’une de ces colères qui m’agitent
plusieurs fois par jour, et leur développe le thème que s’ils ne m’aident pas,
je ne pourrais rien, tellement le poids de la désorganisation s’alourdit chaque
jour. J’ai été obligée de leur expliquer que moi, je luttais alors pourquoi pas
eux ? Et comme ils me rétorquaient bien évidemment qu’ils ne pouvaient
rien faire face à des Professeurs, j’ai dû mettre les pendules à l’heure sur le
thème que moi aussi, j’étais constamment en but à la répression des supérieurs…
Mercredi 29/11/89
En Deuxième Année de
Techniciens Supérieurs Comptables, un tchador est porté par un type, le seul
arabe de mes Elèves du Supérieur. En fait, c’est son cache nez qu’il s’est
roulé autour de la tête mais cela fait un drôle d’effet. Mon premier mouvement
a été le rire sur le thème Très amusant
et nous avons tous ensemble, les autres, lui et moi, rigolé. On en est resté
là, mais lorsqu’on connaît l’ambiance absolument raciste qui règne dans cette
classe, on se pose des questions dont on connaît malheureusement les réponses.
Déjà il y a quelques
semaines, comme je demandais qu’on aille mouiller l’éponge du tableau, la
classe avait hurlé en chœur Ahmed !
sur un ton tel que j’avais dit Dans ce cas là, je préfère y aller moi-même ! Et à la fin de
l’année précédente, il y avait eu un commencement de bagarre entre les racistes
et les autres… J’avais dû exclure l’agresseur.
En Terminale la
conversation se poursuit sur la lutte et la prise de conscience. Les Elèves me
répercutent les sottises qu’ils ont entendu à la Télévision et qu’il n’est pas
facile de démonter car même les meilleurs Elèves de cette classe - et il y en a
d’excellents - sont sans aucun repère concernant nos valeurs, nos traditions,
notre culture et nos combats. Je leur explique les mécanismes de l’aliénation
et les choix entre la lutte et l’individualisme égoïste.
Les meilleurs Elèves
tentent de faire le lien avec le libéralisme étudié la semaine précédente.
C’est difficile car ont disparu et la notion d’individu et celle de collectivité,
au profit d’un magma aggloméré et indifférencié dont les sujets ont été
volatilisés. On retombe toujours sur cette horreur que j’ai déjà analysée. En
cas de disparition du sujet, toute autre chair humaine est identifiée comme DE
LA MERE dont on va exiger qu’elle nourrisse et mette en commun les ressources
dont elle dispose…
Cette analyse est
pour moi désormais une certitude intellectuelle. C’est sans doute de tout cela
dont parle depuis le commencement ma littérature, en forme passive et intuitive
mais je voudrais maintenant l’exprimer en forme de Sciences Sociales,
académiques et économiques.
Légère détente en
Deuxième Année de Techniciens Supérieurs Comptables issus des Bac Généraux. Il
était temps ! La panique me prenait chaque fois qu’il fallait entrer dans
la classe ! Ils ont fait de gros efforts et moi aussi pour dépasser la situation
cauchemardesque qui ne pouvait mener qu’à la rupture dont - à la limite - ils
ont plus peur que moi. La situation historique réelle me donne raison. L’Affaire des Voiles et celle de
l’Europe de l’Est leur donnent quand même à réfléchir. Ils voient bien que les
choses changent et se sentent de plus en plus menacés.
Ont sans doute
également contribué à la détente mes explications sur l’entropie des systèmes
qui se font et défont, explication apparaissant suffisamment pertinente pour
les soulager. La distribution d’un polycopié haute technologie a fait
l’excellent effet symbolique de Maman donnant la nourriture…
Malheureusement dans
la classe de ceux issus déjà d’un Baccalauréat Comptable, c’est le clash. Comme
j’avais passé la veille le film sur la famine au Brésil - film qui les années
précédentes faisaient prendre conscience aux Elèves des problèmes de
sous-développement - les réactions m’ont estomaquée. La petite minorité
fascisante qui s’exprime n’a vu du film que le fait de ces gens qui n’ont pas de quoi manger font quand
même des gosses…
Comme je tentais de
faire comprendre qu’une remise en cause des structures existantes pouvait peut
être faire apparaître les choses autrement, la Planète Globalisée étant capable
de nourrir l’ensemble de l’espèce, une élève- par ailleurs ultra raciste - me
pose une question sur la pollution à l’éthanol par rapport à l’essence….
J’explose de rage
comme désormais presque à chaque séquence…Cette fois sur le thème de
l’incompatibilité de leur vision du monde et de la mienne, tant qu’ils mettront
sur le même plan les voitures et la mort des gens. Peut-on en effet continuer à
faire cours à des post-humains qui ne font pas la distinction entre eux-mêmes,
les autres et les machines, à l’opposé de notre organisation mentale à nous les
quadragénaires ? Notre structure en termes homme/machine,
individuel/collectif nous permet de résister en termes politiques et moraux à
cette barbarie new-look d’une consommation égoïste introvertie digérant peu à
peu le monde entier à l’exclusion de soi-même. Une espèce d’autarcie cannibale
dans un rapport incestueux à la mère, tout cela me faisant horreur.
Dans la semaine,
évolution de la conversation globale avec les Collègues que j’arrose en samizdat de mes articles sur La
Newcité que je ne désespère pas de faire publier à la faveur du Vent d’Est.
Le débat se situe entre les retrouvailles de l’Extrême-Gauche propre à notre
Génération et la Dévoration. Je m’enhardis jusqu’à parler avec eux de ma littérature
dans sa vérité de censure, d’exclusions et de pressions auxquelles il a fallu
résister.
Je leur ai également
expliqué que l’écriture était une sorte de malheur dont je me serais volontiers
passée si je n’y avais pas été acculée. Et comme je leur dis pour finir que mon
dernier livre La Jeune morte en robe de dentelle se termine par la
phrase La cendre de mes jours monte au
ciel de la littérature ils se moquent vulgairement de moi, en disant que je
bas tous les records de l’orgueil. Cette franche rigolade me donne l’impression
d’une douche glacée.
Le lendemain les
difficultés ont repris avec une Collègue de Lettres qui comme je débattais de
ce qu’il était possible de faire pour tirer le Lycée de l’ornière, m’a répondu
que tout était de ma faute et je n’ai pu faire cesser cette agression qu’à
coups de poing. Non comme une image, mais comme une plate, brutale et triviale
réalité. Comme je lui précise qu’elle n’a pas intérêt à déchaîner ma violence
qu’elle connaît, elle en convient mais lâche un Oui, mais tu es complètement isolée, personne ne te parle stupéfiant
quand on sait que c’est moi qui suis obligée de tenir mes Collègues à distance.
Chaque fois que je le peux en effet, je préfère lire. Néanmoins je considère
cette inversion d’interprétation comme le signal d’une menace. Assurément
l’hostilité à mon égard est loin d’être exclue.
J’apprends par
ailleurs qu’il y a le feu à la Section Bureautique et que les Collègues en sont
à se taper dessus sans comprendre dans ce cas là, s’il s’agit d’une réalité ou
d’une métaphore. Leur panier de crabes a l’air à l’égal de celui que je vis
dans la Section Comptable. On me dit aussi qu’il n’y a plus moyen de parler à
Christian.
A la Cantine,
conversation de bonnes femmes sur le voile. Elles ne connaissent en fait ni l’Histoire,
ni la réalité sociologique actuelle. Elles récitent le catéchisme des années
Soixante sans percevoir qu’en vingt ans, le monde a changé…
Ce qui est
confondant, c’est que ces femmes s’imaginent que les Musulmans nous considèrent
comme un modèle qu’ils envient et veulent imiter. Elles croient que l’Islam est
une queue de phénomène qui ne concerne que les Vieux et dont les Jeunes se
détournent. Enfin, elles s’imaginent que le voile est en train d’être
abandonné.
On comprend bien
qu’il faudrait leur enseigner au même titre qu’aux Elèves ! Mais c’est
impossible parce que ces gens se croient cultivés et instruits !... Elles
ne voient pas non plus les connexions avec la question du statut de la femme
qui leur échappe intégralement.
L’argument suprême
pour elles étant la menace de l’ouverture des écoles coraniques qu’elles
semblent redouter plus que tout. Est-ce la crainte de la concurrence ?
Comme je leur dis pour finir que de toutes façons je n’ai jamais été pour les
Ecoles Privées et que donc tout ce marasme n’est pas le mien, elles deviennent
furieuses… Cela tourne mal et me met en colère.
Déjeuner chez MCB et
GL qui nous apprend ce qu’il ne nous a pas dit en vingt-sept ans d’amitié, à
savoir que sa mère était allemande. Il parle aussi de son amour de la Russie.
C’est la première fois que j’entends un autre français de notre milieu le dire,
alors que c’est un sentiment très fort chez moi. Pour le reste il semble qu’on
tourne autour du pot et que la question de la Perestroïka Européenne
soit une sorte de trou noir dont on ne veut pas débattre. Là comme partout on
raisonne dans des termes caducs ou sans vouloir prendre en compte leur
caducité.
Dans le même ordre
d’esprit, l’incapacité d’entendre la spécificité de ma position et de mon combat
dans l’Affaire dite des Voiles. A savoir que je n’en fais pas une affaire de
liberté religieuse mais un refus de discrimination des femmes. Il est à noter
que je n’entends personne dans le pays, à part Gisèle Halimi qui a la même
position que moi à savoir Non au voile,
non à la répudiation, non à la polygamie, non à l’apartheid de la femme.
Quant à Antoinette Fouque, personne ne lui a donné la parole.
GL me dit aussi
qu’il avait en 1961/62 eu comme Professeur de Philosophie, Emmanuel Levinas
sans savoir bien qu’il le deviendrait…. Mais du coup, je comprends qu’attirée
par Guy à la rentrée de 1962 à l’Université, c’était en réalité par le Levinas
dont il était imbibé ! Je me suis souvent demandé par la suite comment
chez GL fonctionnait cette spiritualité à éclipse accompagnée si souvent d’une
grossière trivialité !
Des jours
précédents, à signaler à la Télévision Vendredi Soir à l’Emission Apostrophes le Docteur Jasmin,
cancérologue à l’Association La Ligne Bleue osant quand même dire qu’on est obligé de changer la
définition de la mort pour pouvoir prélever les organes sur les vivants et
qu’il faut du courage pour le dire. Ce que j’approuve parce que je n’arrête pas
de le signaler depuis des années et de mener campagne sur ce thème. Le fait est
que c’est la première fois que j’entends quelqu’un le dire publiquement en
ville ou à la Télévision. On en conclut que les idées avancent. Je crois lui
avoir envoyé Le Cercan mais je n’en suis même plus très sûre.
Si mes Collègues
n’ont pas encore eu ma peau ce n’est pas faute de l’avoir tenté mais parce
qu’ils n’y sont pas parvenu en proportion justement que me sauve ma violence
radicale.
Pour le reste il y
aurait tant à écrire que c’est matériellement impossible. Le cahier de textes
de Terminale lacéré au cutter avec tous les noms de matières arrachés.
Autrefois, il était au pire, perdu, c’était du désintérêt et non de la haine.
Cette blessure symbolique évoque les mœurs rurales comme on tue un chat ou un
chien pour avertir. On entend dans la Salle des Professeurs, l’écho d’autres
actes de vandalisme sur le matériel professionnel.
Mes Elèves jurent
leurs grands dieux que ce n’est pas eux et je les crois car cette classe est
excellente. A la fin du cours, conversation avec une partie d’entre eux noire et
arabe sur le thème de la fascisation du Corps Enseignant ainsi que de la lutte.
Je leur dis mon propre dénuement et mon isolement. Nous sommes tous très émus.
A la Cantine,
atmosphère de plomb : Aucune conversation. Tout le monde fait semblant. Ce
silence se confirme dans la Salle des Professeurs. Pas un mot sur le score
électoral du Front National à Dreux, avec ses 61,3%. Ils sont occupés à remplir
les imprimés du SNES pour se faire pistonner au Hors Classe qui leur permettra
d’obtenir en fin de carrière quelques sous supplémentaires à la tête du client.
Je leur lance un Vous n’avez pas honte
qui n’a bien sûr aucun effet.
Conversation avec le
Professeur d’Histoire sur le thème de la République de Weimar. Je lui dis que
c’est seulement maintenant que je comprends les fonctionnements historiques,
notamment le fait que les Evénements qui surviennent sont les résultantes de la
période précédente qui les a effectivement générés. Ainsi l’avènement d’Hitler
doit il être compris comme la désagrégation de la société allemande sous la
République de Weimar. Lorsqu’ Hitler est arrivé, le mal était fait.
Comme je demande au
Collègue pourquoi nos Professeurs ne nous ont pas expliqué cela - à savoir le
fonctionnement même de l’Histoire - il me répond que c’est le discours
idéologique fascisme = capitalisme qui les a empêché de faire une analyse
correcte. Ce qui confirme ce que je pense à savoir la propagande a comme effet
d’abord, d’abêtir l’intelligence puis de la paralyser. Cela va également dans
le sens de ce que je dis, à savoir que l’Histoire rewritée dont on nous a
abreuvés n’en finit pas d’être décrassée pour tenter de retrouver en dessous,
l’Histoire réelle. Cela a commencé en 68.
A la Télévision Le
Pen se déchaîne contre Stoléru lui conseillant d’organiser une rafle dans Le
Sentier et lui demandant s’il a la double nationalité ? L’état du Lycée me
donne à penser que le leader du Front National pourrait bien finir par arriver
au pouvoir.
Au Lycée, la
désorganisation continue. L’Administration a disparu et les Collègues ne
parviennent plus à faire face. Alternent les moments de vérité plate - nue et
désemparée - et ce que j’appelle Les
moulins à prières pédagogiques, c'est-à-dire un ressassement de propos qui
miment un fonctionnement réel qui n’existe plus. Par moment cet épais
brouillard se dissipe et on voit apparaître derrière un grand vide, un IL N’Y A
PAS d’enseignement. Il n’y a plus. Plus rien qu’une forme en carton pâte qui va s’écrouler un
beau jour sous la brise d’un évènement complètement inattendu.
L’espoir de voir les
Professeurs emboîter le pas au Vent d’Est a maintenant disparu. Il semble
pourtant que les choses continuant à se décomposer vont amener d’elles mêmes
les changements nécessaires que je ne cesse pas, d’au moins tenter de provoquer
de façon militante et régulière.
Doit-on voir là
l’application concrète de la fameuse théorie marxiste sur l’inévitabilité des
changements des superstructures pour accompagner celles des infrastructures et
en même temps le rôle moteur et volontaire de ce qu’il appelait
l’avant-garde ? L’étonnant dans toute mon expérience politico-sociale des
vingt dernières années est non pas de m’être inspirée de Marx mais d’en avoir
constaté la validité, compte tenu bien sûr de la mise à jour historico
technique.
Au point même de me
demander si le terme trotskystes ne
signifiait pas seulement transnationaux
dans une idée qui était alors encore impensable mais déjà avec justesse, en
germe. Les déviationnistes de gauche du temps de Staline se faisant partout
traiter de trotskystes pouvant alors
se comprendre ainsi. D’une certaine façon, si on traduit ou équivaut trotskystes à transnationaux, ils le sont. Je m’explique ainsi la sympathie pour
Arlette Laguiller et cette mouvance.
Au Lycée,
l’Enseignement atteint son butoir comme en Deuxième Année (2TSC1) on confond
l’entreprise et le système de gestion informatique de la dite entreprise. Il
n’y a pas moyen - même aux Elèves motivés - de faire comprendre la différence.
Tout ceci s’inscrivant de surcroît dans une vision de l’Economie en tant que grande manne distribuée, et dans une inversion des rapports au cours de
laquelle certains Elèves se placent en position d’être nos supérieurs
hiérarchiques.
En Terminale - comme
complément à mes explications sur l’immigration - je raconte aux élèves comment
j’ai été exclue de la Commission d’Admission en BTS et les menées de mes
Collègues destinées à empêcher les
étrangers d’y entrer ! Mais ils
se mettent alors à paniquer. J’essaie alors de les rassurer sur leur propre
passage dans les classes supérieures. Pour finir je leur dis que le Corps
Enseignant du Lycée est virtuellement fascisé et je demande aux Arabes et aux
Noirs ce qu’ils en pensent. Ils me disent qu’ils hésitent à le penser parce que
cela fait peur mais qu’il y a de cela.
Dans une autre
classe de Deuxième Année (2TSC2) dans laquelle l’année a été totalement ratée,
la pression continue pour m’obligée à tenir le discours qu’ils ont envie
d’entendre, celui de la propagande qui consiste à dire que tout va bien, qu’il y a un pilote dans l’avion,
que l’Union Européenne va nous tirer de là et qu’il n’y a pas à modifier quoi
que ce soit dans les comportements ou les mentalités...
Comme je leur ai
projeté mes films habituels sur l’Arabie et le Japon donnés par la Télévision,
ils s’en sont moqués avec une violence et une vulgarité surprenantes. Quelque
chose de primaire ou primal que je n’avais jamais rencontré en vingt deux ans
de carrière et qui mettait en cause l’Enseignement et l’Education elle-même. Ce
que Léo Ferré exprime dans sa forme poétique Un peuple heureux rotant tout seul dans sa mangeoire, auprès d’une tête
de roi !... Il y a quelque chose d’obscène dans leur refus de
changement, alors que l’Histoire cogne de plus en plus fort à nos portes. Une
folie de négation de la
réalité de plus en plus agressive au
fur et à mesure qu’elle a du mal à se maintenir.
J’ai déchaîné
l’émeute en annonçant la probable Réunification de l’Allemagne et la caducité
de l’Union Européenne. Certains ont refusé d’être mis en cause au motif qu’ils
n’étaient pas nés lors de la signature du Traité de Rome en 1957. D’autres ont
tenté de paralyser le cours par une revendication d’être tenus à l’écart de
l’Histoire et d’être considérés comme hors
du monde, non pas pour le dominer mais pour ne pas y être du tout,
dans une fiction de non existence qui m’a rappelé l’univers de mon livre La
Jeune morte en robe de dentelle. Le plus furieux d’entre eux a exigé
violemment que je lui réponde dans les termes qu’il avait lui-même définis et
j’ai dû planter là la classe, alors qu’il me restait encore une heure et quart
à effectuer…
Dernier carnet de la
décennie. Septième de la Chronique de la Société française. Le temps qui couve,
le temps qui vient, le temps qui glue, le temps qui poisse, le temps qui fond,
le temps qui souffle. Les Octantes s’achèvent avec le temps qui menace. Tenir
cette chronique suffit maintenant à occuper tout mon temps libre sans pour
autant parvenir à en épuiser la matière. La journée est une succession
d’événements intolérables exigeant un ferraillage humainement épuisant. On a le sentiment d’une défaite militaire que tous les courage
et intelligence du monde ne parviennent même pas à enrayer. Chaque jour, c’est
pire et pour se maintenir, on est obligé de laisser de côté quelque chose pour
sauver l’essentiel…
La décision
d’accélérer la construction monétaire de l’Europe ne produit pas l’apaisement
espéré car elle n’apparaît pas comme un renforcement politique progressif
raisonné avec des objectifs et des valeurs mais comme une fusion/confusion
réalisée en catastrophe, comme on saute dans le dernier train avant que les
voies soient coupées. On sait le rôle que joue l’Allemagne dans l’institution
monétaire et le communiqué admet la réunification de ce pays dans les
frontières héritées de la Seconde Guerre Mondiale. La charte sociale adjacente
est un simple vœu pieux. On se demande si en fait d’Union Européenne, il ne
s’agit pas d’une simple grande Allemagne qui va nous absorber.
On assiste à des
pertes de souveraineté qui ne sont remplacées par rien… Un aplatissement
général de notre univers sans que rien d’autre ne surgisse dont on puisse se
sentir membre. Seulement le Grand Réseau Cybernétique qui a entrepris de nous
digérer en tant qu’être individué. Il semble que ce soit la même chose pour la
France en passe de disparaître dans la Perestroïka
mondiale. La sourde angoisse qui pèse sur le pays, est-ce la crainte de la
disparition de l’Etat, l’Institution à l’état pur ? Et que dire alors de
notre activité de Lettrés qui a pour mission de le servir ? On peut
résumer notre situation comme celle des samouraïs errants que leurs daïmios
auraient abandonnés. L’image d’une féodalité qui s’achève. La France en voie de
dissolution entre-t-elle enfin et seulement maintenant dans le
Capitalisme ?
Vendredi dernier,
incident antisémite dans l’autobus Quarante Trois.
Au Lycée, en Conseil
de Classe de Terminale Comptable, prise de bec anti-raciste avec la Directrice,
depuis le temps que cela couvait, il fallait bien que cela explose ! Je
n’en suis pas mécontente même si c’est coûteux nerveusement ! Aucun
soutien de la part des Collègues dont certains sont d’ailleurs des racistes
avérés. Je l’ai fait pour montrer aux Elèves qu’on n’était pas obligé de se
laisser humilier - racialement parlant - sans réagir. J’ai par ailleurs
publiquement félicité une Elève en termes féministes, pour avoir réussi à
imposer sa parole au milieu d’une bande de garçons tonitruants. Naturellement
la Directrice y est allée de son couplet sur le thème qu’on avait beaucoup
perdu à la mixité…
Au coin de ma rue il
y a maintenant trois clochards, contre un seul la semaine dernière. Et de plus
en plus dans les stations de métro intra muros, de deux à cinq dans chacune. De
tous les côtés des scènes de violences et l’envie d’abandonner cette chronique
pour sauter à nouveau sans filet dans la littérature.
En Terminale les
Elèves m’accueillent avec des applaudissements dont je ne comprends pas d’abord
la cause, alors qu’il s’agissait de mon attitude en Conseil de Classe. Je leur
explique que c’est normal et qu’il faut demander des comptes à ceux qui ne le
font pas. J’explique encore que c’est la mollesse de certains qui a favorisé
l’arrivée d’Hitler au pouvoir et qu’il en est de même aujourd’hui... Ils me
demandent si ce qu’on vit aujourd’hui au sujet de l’Europe sera dans les livres
d’Histoire. Je le confirme et ils me rétorquent que cela vaut le coup de
l’apprendre. Quel hommage au Livre, à l’Histoire, à l’Enseignement, à la Parole
et à la Fiction !...
Conversation avec
mon amie sur la nouvelle réalité pédagogique. Nous vivons le même effondrement
de l’Institution entraînant dans sa chute notre effondrement professionnel et
pour les femmes de notre génération celui de leur socialisation précaire et mal
assurée jusqu’à celle de notre identité. L’effondrement identitaire
rejaillissant sur la relation domestique. Elle me dit que son mari est devenu
antisémite, ce dont ni l’une ni l’autre nous ne revenons.
En Salle des
Professeurs mon Collègue NB enseignant l’Histoire me dit : Quand je pose pour la quinzième fois la
question à laquelle j’ai déjà répondu quatorze fois et que les élèves me
regardent avec leurs yeux globuleux, je sors mon mirliton. Joignant alors
le geste à la parole, il souffle dans une
langue de belle-mère (j’apprends là un nom que
j’ignorais), ce cotillon de base des réveillons.
Dans le métro un
trio de jeunes nénettes entonne dans le wagon à dix huit heures trente, une
chanson féministe pornographique résolument anti mec et proclame aux voyageurs
que si ils veulent que cela s’arrête, il faut qu’ils donnent de l’argent. Je
suis stupéfaite de cet avatar inattendu de la libération des femmes et envisage
de rester dans la rame au-delà de ma station, pour voir comment cela va
évoluer. Mais étant donnée ma fatigue, je recule devant les complications en
perspective.
Dans ma rue, durée
anormale des vociférations d’une femme qui porte des sacs en plastique divers
et nombreux et signe ainsi sa condition de nouvelle pauvre expulsée pas encore
clochardisée. Elle a une belle barrette dans les cheveux et un manteau de
vison. C’est la première fois que je vois cela… L’étonnant de l’affaire est
qu’elle vitupère au sujet du prétendu suicide du Ministre Boulin dont tout le
monde est convaincu qu’il a été assassiné.
Au Lycée, les
Professeurs ne peuvent plus suivre l’arrivée des nouveaux logiciels comptables
dont il leur faut - disent ils - de trois à six mois pour pouvoir les maîtriser
alors qu’ils ne sont en usage qu’une seule année avant d’être remplacés par
d’autre. C’est encore pire que ce que j’imaginais….
Dans le métro entre
Porte de Champerret et Poissonnière - mon domicile et mon travail - on compte
neuf clochards sur un seul côté des quais. Tout cela m’est intolérable. J’ai
l’idée de tenir un agenda et d’en faire des photographies.
On me raconte qu’à
Montreuil les Professeurs sont bombardés avec des yaourts, des œufs et des gaz
lacrymogènes.
En Deuxième Année
(2TSCl), on étudie la Réforme de l’Entreprise en Chine avec un salaire touché
en proportion du travail fourni. J’explique qu’on ferait bien d’en faire autant
ici et le discours de la classe est alors qu’on commence ainsi pour finir par
tuer les Handicapés. Comme si la paresse était une maladie génétique qui
donnait droit à une rente d’invalidité ! Le Tout Génétique et La Grande
Manne vont encore bien au-delà de tout ce que je pouvais imaginer.
L’Economie Politique dont j’ai la charge ne peut plus être enseignée. On est
dans une impossibilité technique de fonctionnement.
Le soir CF
absolument bouleversé - et on mesure ce que cela veut dire lorsqu’on sait que
c’est le Collègue le plus sérieux, le plus calme d’entre nous et le plus
raisonnable à tous points de vue - parce que les vitres du troisième étage
menacent de tomber hors des battants des fenêtres, que la Région est prête à
payer les travaux mais que ni la Directrice ni l’Intendante ne sont prêtes à
s’en occuper. Il me propose de faire une pétition pour informer le Rectorat de
la situation. Pour que cet homme là propose cela, on mesure où on en est !
Il pleurait presque en disant On ne peut
pas continuer comme cela.
Est-ce l’écho de
Michel Rocard disant O n ne pourra pas
aller très longtemps comme cela ! Tous ces hommes - dans la
conjoncture - ont quelque chose de tragique. Comme dit Chantalle C’étaient les meilleurs de la Génération.
Et il y a là dedans quelque chose de vrai d’où cette impression. Nous sommes
tous défaits mais notre défaite à nous était programmée, elle est comme dans
l’ordre des choses, aussi scandaleuse que cette affirmation paraisse. Leur
défaite à eux ne l’était pas et cet élément inattendu redouble en quelque sorte
notre drame.
Au Supermarché,
encore de la violence, la caissière encourageant les clients à se voler entre
eux. Je proteste ! La queue tente de faire mettre une femme arabe la
dernière et elle menace d’une bouteille brandie au-dessus de leurs crânes. Je
ne sais pas si elle est dans son droit ou non mais de toute façon, le climat
social se caractérise par cette impression générale et permanente que les gens
vont se taper dessus.
Mort de Sakharov. Je
pense à l’éloge funèbre que pourrait lui faire ma mère Il n’avait qu’à se tenir tranquille !
Dans les Transports
Publics, de plus en plus de gens qui travaillent dans notre genre, des obsédés
de la mise à jour. On y sent de la tension car à terme c’est l’insertion et la
vie même qui en dépendent. Ce travail là, n’est pas le fait de poseurs soucieux
de leurs allures ni non plus des maniaques du travail mais il y a là dedans
comme une ambiance de commencement de servage. On sent le poids des Maîtres, le
poing des Maîtres de plus en plus exigeants comme si eux-mêmes - face aux
difficultés croissantes de la mondialisation - pour ne subir aucune
modification négative de leur train de vie, en reportaient la charge sur
autrui. Et l’autrui en question, là, c’est nous !
A la Télévision on
apprend qu’à l’Est, les Communes cherchent à vendre leur statue de Staline qu’ils
veulent déboulonner. Je dis à un ami qu’on ferait bien d’en acheter une parce
que cet art officiel a du génie, je le dis depuis longtemps et nous cherchons
où on pourrait la mettre à Paris, avant que je trouve dans la franche hilarité
que l’endroit adéquat serait Place Kossuth devant l’ancien siège du Parti
Communiste. L’idée me parait si parfaite que j’envisage un moment d’écrire à
Jack Lang pour le lui suggérer !
Une image hallucinante de la Salle des Professeurs à la
récréation : Moi à ma place habituelle, Chantalle à côté de moi, sur le
coin. Tous les autres agglomérés en un paquet tassés dans l’autre bout de la
pièce, à côté de la fenêtre dans une formation humaine d’un nouveau type. Les
moules sur un rocher, et encore ce n’est même pas cela ! C’est plutôt un
compost, car dans le Grand Corail que je prévoyais, les individus étaient
entiers dans les nœuds du Réseau Cybernétique. Là ce n’est pas le cas. Les
êtres constitués ont disparu effrités, fécalisés et menaçants ne constituant
plus une forme que pour autant qu’ils s’y mettent eux tous. Il y a là quelque
chose d’obscène, de pathétique et d’inquiétant. Et à l’autre bout de la pièce,
tout seul à une petite table… le Collègue arabe.
Lundi soir dans le couloir du troisième étage, un élève
asiatique fait des pompes (jusqu’à cinquante) devant la classe de 2TSC2 qui
comptent ouvertement. Je me demande s’il ne s’agit pas d’une brimade tellement
le racisme est ouvert dans cette section. Je convoque le supposé boat people
qui m’explique que c’est un pari. Je lui précise qu’ici, on n’a pas l’habitude
de faire des pompes dans les couloirs.
Au non fonctionnement du Lycée s’ajoute une chaleur d’enfer
qui - ce jour - atteint un point culminant. A six collègues, nous envahissons
le Bureau de l’Intendante pour exiger la fermeture du chauffage. Nous y
apprenons que cette situation est due au fait que le Conseil d’Administration a
refusé le Contrat d’Entretien de la Région, qu’une des deux chaudières du Lycée
est cassée à la suite des fermetures abusives des valves par les Collègues et
les Elèves luttant pour leur compte contre la surchauffe et que cela ne
servirait à rien de fermer le chauffage parce qu’au troisième étage c’est le
circuit de l’appartement de la Directrice et que c’est celle-ci qui décide de
la température ! En résumé on cuit pour qu’elle soit elle-même
confortable.
En Terminale, c’est la panique parce qu’en plus de
l’excessive chaleur, les Jeunes m’apprennent qu’il pleut dans l’escalier de
secours (en bois), en fait le seul escalier pour accéder au Troisième Etage
depuis que la Direction a privatisé le principal, celui du centre. Les fils
électriques sont plus ou moins bien raccordés et peuvent à tout moment être
inondés. Ils me demandent ce qu’il faut faire, tentant eux-mêmes d’engager un
mouvement de reconquête de l’escalier principal, non seulement plus praticable
mais plus sûr et dont la confiscation directoriale a symboliquement transformé
l’Etablissement en un hôtel particulier dont il apparaît désormais que les
Elèves et les Professeurs sont des gêneurs à peine tolérés.
Cette privatisation de l’escalier central le seul vraiment
efficace, a inauguré l’ère des sinécures
au sens propre, à savoir la rente qui permet de toucher les avantages matériels
d’un établissement sans avoir dans le même temps à fournir le travail
correspondant. Cette Madame Duranton a donc pour elle seule un vaste
appartement chauffé et desservi à sa guise au mépris du refoulement et
compostage des autres usagers de plus en plus tassés dans les marges négligées
de l’établissement les uns sur les autres, en voie de liquidation…
D’enseignement il n’est plus question… Nous sommes maintenant dans
l’exploitation économique des ressources de ce que j’appelle les nouvelles nomes taillées et appropriées dans le
démembrement des Institutions ruinées, obsolètes et hors d’usage.
J’ai toujours perçu la reconquête de l’escalier central
comme essentielle non seulement du point de vue symbolique et pratique mais
politique. Je n’ai cessé de faire de la propagande sur ce thème. J’explique
néanmoins aux Elèves que ce n’est pas à moi à les pousser à une action de ce
genre. Je développe la notion de déontologie professionnelle et l’impossibilité
dans laquelle les Professeurs sont de soutenir les actions qui ne comportent
pour eux aucun risque contrairement aux Elèves….
Je vais avec Yasmina - la déléguée des Terminales -
constater de visu la situation de l’escalier de secours en bois qui recèle bien
effectivement du danger. Je dis aux Elèves que je ne sais pas ce qu’on peut
faire, que je vais réfléchir, me renseigner et que j’en reparlerai Mercredi. A
dix sept heures, je vais informer le Censeur qu’il pleut dans l’escalier de
secours et nous allons avec elle et Yasmina chez l’Intendante qui nous dit
qu’elle a bien l’espoir de faire venir un couvreur…
J’achète un thermomètre pour avoir une idée objective de la
température du Lycée. J’en aurais voulu un en bois, je n’en ai trouvé qu’en
cuir au Monoprix de Saint-Germain des Prés !
Je prépare le texte d’une pétition que je fais lire à un
ami qui m’en reproche les considérations générales et lors de la lecture duquel
il m’apparaît qu’il s’intéresse finalement fort peu à la situation du Lycée.
Mais il me donne quand même un ou deux conseils judicieux. La totalité de l’énergie
étant absorbée par les difficultés professionnelles, je prends sur moi de
préparer une action et j’arrive au Lycée avec ma feuille rédigée au Traitement
de Texte.
A l’exception d’une seule, les Collègues se dérobent et je
n’en reviens pas de la lâcheté ambiante alors que dans les conversations, les
gens sont unanimes à critiquer ce qui ne va pas. Leur peur finit par
m’angoisser parce que ce qui m’apparaissait d’abord comme simplement naturel,
devient à leur contact dangereusement révolutionnaire. Ce que j’appelle le deuil
panique (le sauve qui peut en fait) reprend le dessus et j’en
arrive à craindre d’être révoquée. Ceci pour témoigner de l’ambiance de mon
lieu de travail !
Nous discutons avec Chantalle de cette stupéfiante lâcheté des
Collègues, ce qui déclenche chez elle, haine et aversion pour ne pas employer
des mots encore plus violents, et chez moi la compassion. C’est un sentiment
nouveau de cette année, sans doute le reste de l’affection ancienne que les
nouvelles conditions rendent impraticable. Compassion d’être avec eux dans la
même espèce et que cette espèce, ce soit cela… Mais je ne perds pas de vue que
ce sont mes ennemis politiques et qu’ils n’hésiteront pas à mener la curée.
Dans la Salle des Professeurs, mon thermomètre affiche
vingt cinq vingt six degrés. Je n’en reviens pas, c’est pire que ce que je
pensais ! J’annonce la température aux Elèves et avec emphase leur lis ma
pétition préparée. Ils applaudissent. Je leur dis que je préfère ce bruit là à
ce que j’entends d’habitude.
Depuis plusieurs jours, grève de la distribution des
journaux qu’on ne trouve plus et qui rajoute à la vie quotidienne, une
humiliation supplémentaire. On n’a déjà pas beaucoup de plaisir et on nous en
retire encore… On a l’impression que les grèves sont de plus en plus déviées de
leur cible et que le public est transformé en un bétail de plus en plus mal
traité. Pour trouver la Presse, je fais une dernière tentative à Saint Lazare,
couvrant cet ultime échec d’une parodie de la mantra
de la méthode Coué Tous les jours à tous
points de vue, ça va de mieux en mieux !... Le vendeur me répond
tranquillement On attend l’Armée.
Cela me fait froid dans le dos mais je ne suis pas vraiment étonnée. Les
kiosques fermés au milieu de l’effervescence des achats de Noël ont quelque
chose d’absolument sinistre qui sent déjà la dictature….
La situation des 2TSC1 est si critique que je leur donne le
choix entre un débat et la projection du film d’Eisenstein La Grève. Je partage la classe en deux, installe la cassette et me
replie au fond avec ceux qui veulent débattre. Echec complet de la projection
que les Elèves ne regardent même pas, préférant se masser au sein d’un
conglomérat en bavardant devant ce qui est pour eux un simple mur d’images. Je
ne vois même pas - face à leur désintérêt - comment je pourrais leur parler du
film et il me vient l’expression de perles
aux cochons et encore cette expression me parait elle injurieuse pour les
porcs !
Dans l’autre partie de la salle, le débat révèle une situation
mentale et morale pire que ce que j’en sais. Je résume la situation le soir à
mon ancienne partenaire de théâtre, par un Ils
sont en cendres et sans avoir brûlés. Elle me confirme chez eux une
tristesse qu’elle n’a jamais vue ailleurs et dont la cause est - pour ce que
j’en comprends - qu’ils voient se dérober pour eux ce qu’ils appellent
pathétiquement en reprenant les termes de la propagande : Le Gâteau.
Je leur explique que ce qu’ils prennent pour un gâteau
n’existe pas et qu’ils croient être du domaine de l’AVOIR est ce qui relève en
fait de l’ETRE. Mais ils reprennent de plus bel sur le thème qu’ils craignent
de ne pas avoir leur part du Gâteau des
Libertés. Je tente de leur expliquer que si l’expression Je suis libre comme adjectif a du sens,
qu’avoir des libertés je ne sais pas ce que cela signifie.
A partir de là je développe le thème de la manne
tentant de restaurer la nécessité de produire plutôt que d’attendre que cela tombe
du ciel. C’est un propos d’économiste parce que chemin faisant en leur
expliquant qu’en hébreu le terme manne
signifie Qu’est-ce ? j’en
découvre moi-même, la profondeur du sens. A savoir qu’on doit s’interroger
justement sur la nature de ce de gâteau
nouveau qu’on reçoit. C’est
exactement ce que je fais en voyant les Elèves avides, s’inquiéter de leur part
de gâteau. Ma réflexion à moi est Ce gâteau, qu’est-ce ? Et c’est
bien en effet ce que je me demande. Ce gâteau
dont ils craignent d’être privés, qu’est-il ?
J’ai pour la première fois l’idée affreuse que ce que je
pressens de l’évolution sociale, à savoir la disparition de l’être humain
intégré en sujet relié aux autres - ainsi que nous l’avons connu - eux le
vivent peut être déjà. Le gâteau qui
se dérobe, est ce le lien avec LA MERE, c'est-à-dire en fin de compte le lien
même avec le monde dont ils entrevoient qu’en effet, ils ne l’ont et qu’ils ne
l’auront pas d’où ce goût de cendres. Sont ils donc au présent social dans
l’état que décrit La Jeune morte en robe de dentelle à savoir de purs
objets gérés démembrés, lieu de la gestion d’un système informatique qui les a
d’ores et déjà, digérés. Ils sont dans la confusion du compost auquel ils ont
été réduits.
Pour finir le cours, un élève qui me cherchait depuis
longtemps des noises prétendant qu’un juif athée n’est pas un juif, me conteste
le droit d’affirmer qu’on n’a pas le droit de tuer… en arguant que je suis
chargée de leur enseigner l’Economie de l’Entreprise et rien d’autre et qu’en
tant que telle, je ne dois pas dire cela. Ce qu’évidemment je répète
illico ! Il insiste alors sur le thème qu’étant mon égal, il peut penser
tout le contraire… Je précise que cette égalité n’existe pas puisque je suis le
Professeur et lui l’Elève mais il n’en veut rien savoir car les rôles ont
disparu.
Je suis donc une fois de plus rejetée dans l’aplat qui se
généralise, les Elèves ne cherchant plus qu’à tirer de nous des informations
techniques dénuées de la parole personnelle qui nous permettrait de nous
maintenir en tant que sujet. Ils nous fécalisent et nous détruisent, d’où cette
horreur dans les classes. Mais je tiens bon en parlant de ma conception sacrée
de l’Enseignement et de mon don total à la fonction. Ils ont quand même l’air
de comprendre avec les faibles moyens culturels dont ils disposent puisque l’un
d’eux dit On n’a pas l’habitude !
C’est plutôt d’habitude TU VEUX UNE BAFFE ?
Avec les Allumés de
la classe de Terminale, on flambe tous ensemble d’amour et de politique. J’ai
apporté des chocolats et nous sommes emportés par une situation qui nous
dépasse et qui est en train de mettre le feu aux poudres. C’est bien en effet à
partir de mon émotion pédagogique que je me suis mise en mouvement.
L’altercation avec
la Directrice le huit Décembre était bien pour défendre mes Elèves aimés contre
la discrimination raciale. Cette action ponctuelle leur a donné le courage de
se révolter et à mon tour, je suis poussée et bousculée par cette révolte que
je n’ai ni voulu ni souhaitée ni même le moins du monde encouragée pour des
raisons déontologiques. Mais C’EST ! L’Histoire qui passe est plus forte
que les volontés humaines. A trente degrés dans ma salle de cours, vérifiée
jeudi matin au thermomètre, la déontologie est laissée au vestiaire pour
défendre avec eux - en nous unissant - nos corps physiques !
J’ai leur ai lu la
pétition et leur ai dit que manquant de courage, peu de Collègues l’avaient
signée. Ils se sont proposés pour leur demander ce qu’il en était. J’ai bien
sûr refusé de donner les noms, ce n’est pas là par déontologie mais par réflexe
laïque et républicain. Certains Collègues finissent d’ailleurs par signer de
façon illisible, gluante et écoeurante, plutôt pour éviter la bagarre et parce
qu’on ne sait pas de quel côté la balance va finir par pencher... Quant à moi,
j’ai besoin des dits Collègues dans la perspective de la reconstruction d’un
réel Enseignement dans le Lycée.
La décennie se
termine avec en Roumanie, la chute de Ceaucescu, le tyran des Carpates.
Guerre Civile en
Roumanie. Les gens agitent des drapeaux dont ils ont découpé l’emblème central.
Ce rond vide au milieu du tissu fait un drôle d’effet. C’est au milieu même de
l’Europe qu’il y a maintenant un drôle de VIDE.
Je ne supporte plus
le dénommé réputé culturel. Il
m’ennuie ! Nous sommes entrés dans une période du tout politique qui est en train de - non questionner nos vies - ce
qui ne cesse de se faire depuis le début de la réflexion mais de les
bouleverser. La Révolution Cybernétique passe sur nous comme un rouleau
compresseur et tente de nous incorporer dans le compost des inutiles, digérés.
L’effondrement de l’Education Nationale nous laisse - mes pareilles et moi-même
- vacantes.
Mais ce temps n’est
pas disponible pour autre chose. Car il faut parallèlement fournir de plus en
plus de travail professionnel pour n’être pas complètement exclues. Pour se
tenir simplement au courant, la lecture correcte du journal Le Monde - y compris le Cahier
Economique - nécessitant à elle seule
plus d’une heure quotidienne ! Simplement pour se maintenir à l’identique…
Travail supplémentaire auquel il faut désormais ajouter l’effort pour se mettre
à l’ordinateur.
Je travaille depuis
le mois de Mars au Traitement de Textes et suis bien loin encore de le
maîtriser tout à fait. Dans le même temps, il faut à la fois acquérir des
techniques nouvelles et s’en défendre… En effet ce Traitement de Textes - s’il
est un incontestable outil d’accélération pour les Sciences Sociales - il est
dans le même temps une machine à détruire la littérature, parce que s’il permet
de traiter un texte existant, il ne permet pas de le composer.
Mon livre La
Jeune morte en robe de dentelle en a réchappé de justesse, se faisant en
dépit du Traitement de Texte et non avec. Pour ce texte là, ce n’est pas encore
trop grave parce que cette tentative de digestion est le sujet même du livre et
qu’il y a toujours dans mon cas, adéquation entre le fond et la forme comme
provenant du même lieu. En fin de compte apparaissant comme une métaphore de la
Télévision, ce livre exprime bien cette passe affreuse où j’ai failli être
digérée par la Révolution Cybernétique.
En écho à la
fascisation croissante de certains Collègues du Lycée, alors que d’autres se
rapprochent de mon point de vue sous le poids de leurs difficultés techniques,
j’apprends qu’au Lycée de Torcy, c’est la même cabbale qui englobe juif, arabe
et boiteuse, le casier du dit Collègue juif ayant été saccagé.
Pogromes dans le
Caucase. Moscou se décide bien tard à envoyer des troupes. Commentaire à la
Radio : L’Empire contre-attaque
du nom de l’un des films de La Guerre des
Etoiles. Je suis scandalisée de cette permanente tentative de déréalisation à l’initiative des médias
qui propagent constamment le message d’Il
n’y a pas de monde extérieur ! C’est ce que met en évidence le livre La
Jeune morte en robe de dentelle décrivant l’enfermement entre la mère et la
fille, dans un aplatissement du temps et de l’espace sans plus aucun lieu pour
projeter une représentation.
Nécessité de penser
la situation en termes exclusivement politiques puisque l’heure est
exclusivement politique mais dans le même temps, difficulté de penser ce
politique là parce qu’il est comme d’un ordre nouveau BIOLITIQUE. Mais sur ce
sujet nous n’avons ni outils ni expériences, au sens de culture et de lutte. Il
y a eu bien sûr Le Cercle des Dix Mille
qui a donné naissance au livre Parole de suicidaires (cette vie passée à la
sauver) ainsi que Le Cercan rendant compte des travaux du groupe Les Cancérigênés en lutte issus tous les
deux des activités associatives, le premier du Phénix et le deuxième de La
Ligne Bleue.
Dans les deux cas,
la rupture du groupe contestataire que j’ai animé d’abord au sein de
l’Institution, a eu lieu de la même façon et sans doute pour la même raison. A
savoir le désir de ces Institutions-là - incontestablement charitables - de
formater les assistés dans le cadre de l’ordre ancien, alors que l’opposition
que nous constituions représentait au contraire un ordre biolitique différent. Mais dans les deux cas, il s’agissait de
cercles de réflexion sans vraiment d’articulation sur la vie réelle.
Inversement il faut
se souvenir que l’explosion de Mai 1968 fut précédée de milliers de brochures et
de cercles identiques au nôtre – celui là dénommé Société, Economie et Non
violence qui se réunissait dans une
mansarde Rue d’Ulm. Nous croyions à l’époque notre groupuscule unique et isolé
alors que ce n’était vraiment pas le cas et qu’ils ont collectivement débouché
sur les transformations que nous savons. Peut-être en sera-t-il de même pour la
Révolution qui a commencé et va-t-on s’apercevoir bientôt que ce genre de
groupes a fait fermenter depuis longtemps la société.
Mais il n’y a pas de
culture d’actions biolitiques comme on en a eu pour les
actions politiques traditionnelles pourrait on dire, si on peut nommer ainsi la
culture des luttes socialistes du dix neuf et vingtième
siècles. Disons même que nous héritions de tout un appareillage comprenant les
Syndicats, les Comités, les Manifestations, les Assemblées Générales, les
Bureaux, les Motions, les Tendances, les Auteurs, les Journaux et les
Expériences Historiques. Bref nous naquîmes tout armés de et dans cet
appareillage. Ce n’est pas le cas maintenant où nous n’avons rien.
Les luttes contre le
suicide et contre la maladie ne se rattachant au contraire à rien de
traditionnel, ce sont des résistances ponctuelles individuelles que les groupes
se limitèrent à mettre en commun pour en tirer des réflexions générales mais
rien au-delà. De même en ce qui concerne les luttes domestiques où là, il n’y a
même pas - ou plus ou moins jamais eu - de lieu où les résistances pouvaient se
mettre en commun.
La Révolution en
Roumanie se limite à l’adoption d’enfants roumains par des familles françaises.
Pire, les images trafiquées des évènements - eux-mêmes résultat d’une
manipulation visant à faire passer un coup d’Etat militaire pour une
insurrection - ont jeté un discrédit complet sur le travail des reporters. Ils
semblent de plus en plus atteints maintenant du syndrome de dislocation qu’on voit partout et du
compostage.
Les reportages en
provenance du Caucase en feu sont sans signification. On retrouve maintenant à
la Télévision la caractéristique des copies d’élèves à savoir des phrases
incohérentes qui ne s’articulent même plus entre elles. Ce sont des espèces
d’images de guerre passent partout qui ne disent plus rien.
Dans le même temps,
les événements mondiaux donnent à penser que Marx avait raison dans ses
prévisions de crise générale du Capitalisme. On se
demande si la Pérestroïka engagée
n’est pas cette Révolution communiste dont il parlait… avec l’abondance des
biens, leur gratuité et la disparition de l’Etat. L’imaginaire fou des Elèves
percevant l’Economie comme une manne
gratuite à laquelle ils avaient droit et qui rend depuis des années de plus en
plus impraticable l’Enseignement de l’Economie, aurait il été l’annonce de
cette nouvelle donne ?
Le Communisme alors
ne serait pas et n’aurait pas été l’utopie politique d’une meilleure Citoyenneté comme l’a cru notre
Génération mais une sorte de monstruosité psychologique en relation avec
l’univers économique nourricier de la Mère. La mise en commun n’étant pas celle
des efforts mais des produits, l’Homme tétant à mort la Nature par l’usage de
la technique. Et quand je dis l’Homme, c’est l’homme masculin à
l’exclusion de la femme.
Ceci expliquerait
l’articulation de nos luttes féministes et domestiques sur l’Economie et le
Politique global. L’heure serait peut être venue de tenter une articulation marxo-léniniste dénonçant l’économisme
dans lequel nous baignons comme l’exploitation de la Mère. Ma démarche
psychanalytique actuelle, mon combat biolitique,
mon effort de sévration prendraient
ils ce sens vers lequel j’aurais marché depuis toujours sans le savoir ?
Comme je testais
dans la quinzaine écoulée l’idée de l’actualité de cette phase authentiquement communiste de l’Histoire (pour des
raisons de robotisation de l’appareil technique avec abolition des structures
obsolètes) j’ai eu tant des élèves de Terminales que d’un adulte autour de moi,
des confirmations…
Rencontre avec des
militants polonais à l’initiative des Editions Spartacus. J’ai été scandalisée
de l’accueil que leur ont fait les Militants Anarchistes qui tiraient à vue -
n’écoutant rien, ne sachant rien - finalement uniquement préoccupés du jeu de
massacre consistant à démontrer que les
camarades polonais n’avaient pas la ligne juste ! Plus qu’un malaise,
j’ai eu une fois de plus le constat mille fois recommencé de l’autarcie mentale
de la France… J’avais apporté deux exemplaires de mon livre Le Silence et
l’obscurité et je leur ai donnés.
Conversation avec
Chantalle sur l’impossibilité dans laquelle nous sommes de corriger les Bacs
Blancs en tant que symbole de la mascarade éducative dans laquelle nous sommes
enfermées. L’envie d’en jeter les copies dans la cour ou dans le hall…. Je lui
dis que le Corps Enseignant ne s’en sortira pas tant qu’il ne réussira pas à
transgresser. C’est aussi ce que je vis dans ma vie privée et recouvre du
bizarre néologisme de transfraction.
Le vingt cinq
Janvier, une tempête a emporté le toit en zinc du lycée, la gouttière et le
drapeau pendant qu’une pierre s’est écrasée sur le trottoir. Le Corps
Enseignant a alors manifesté sa joie et sa haine se préparant à une mise à sac
éventuelle. Le temps de la tempête était aussi celui de la vérité entre deux
séquences de mensonges parfaits. Mais dans le même temps, l’envol du drapeau
provoqua un cri déchirant archaïque qui exprimait bien l’effondrement de
l’Institution et de l’Ordre Républicain. On ne peut pas s’en réjouir car cela
évoque le vers du poète Quelque part ça
commence à n’être plus du jeu…
Arrivée d’un
magnétoscope non désiré.
Nos Elèves ont par
leur action malfaisante, eu la peau du Professeur de Philosophie, partie sous
une dérisoire cérémonie de fleurs qui évoquait plutôt un enterrement. Ils n’ont
pas l’ombre d’un remords. Même mes TG2/2 avec qui c’est l’amour fou. Et comme
je leur demande comment ils voient la suite, ils m’affirment rayonnants On va
en avoir un autre ! Sous entendu un neuf …
Il ne leur vient pas à l’idée que ce qu’ils prennent pour de la Télévision
pourrait cesser d’émettre. J’ai quand même expliqué que moi-même je pourrais
bien démissionner, par solidarité et que ce qu’ils faisaient aux autres
Professeurs - en ma fonction - ils le faisaient aussi à moi-même… Ont jailli
alors des plaintes sur le thème Vous
n’allez pas nous laisser tomber ! J’apprends le même jour que les Seconde années de
Techniciens Supérieurs Comptables ont séché le devoir
surveillé préparé pour lequel on était quand même d’accord la veille. Je suis
accablée de ces deux mauvaises nouvelles mais bien décidée à tenir, de toute
façon !
Affichage d’une
lettre de trois pages par moi-même rédigée pour DIRE/PRONONCER ce qui se passe,
afin que cela ne disparaisse pas comme si de rien n’était. Je l’ai lue dans
trois de mes quatre Classes pour restaurer une parole politique. Jacky mon
collègue disait autrefois que j’étais L’AMER. Et c’est même lui qui m’avait
appris le mot. Il s’agit là de fournir aux Collègues et aux Elèves un
agencement d’idées à partir desquelles ils peuvent se situer, non pas
nécessairement pour être d’accord avec mais pour redevenir des Citoyens. La
mise en forme a été catalysée par une conversation sur la transformation des
foyers en internement à domicile, contrôlé par la Télévision qui en tant que
Mère Artificielle obture tout, surveille et anime. Impression que j’avais déjà
eu lors des fêtes du Bicentenaire lors desquelles on était consigné chez soi.
J’ai apposé mon
texte dans la Salle des Professeurs. Il a été arraché pendant le week-end. Je l’y
ai réinstallé avec une protestation incendiaire. Dans les classes cela ne
fonctionne plus. Pour rétablir l’ordre je suis même obligée de remuer le bureau
et de leur dire Je vous préviens que
sur le plan de la violence et du boxon, je vous bats tous ! Ils ont
été médusés. Je leur ai alors lu le texte de ma lettre ouverte et une élève a
failli pleurer. Après j’ai eu la paix!
Le Professeur de
Philosophie n’étant pas encore remplacée, mes Elèves de Terminales
s’inquiètent. Ils me demandent d’utiliser les deux heures libres pour faire des
cours supplémentaires d’Economie et germe même l’idée que je pourrais faire le
Cours de Philosophie ! Ils s’inquiètent pour leur Baccalauréat mais je
leur dis qu’ils seront reçus quand même, ce qu’ils ont du mal à croire…. Et
pourtant !
Je renonce à donner
suite à la proposition des Elèves de Terminales car la situation est si
dangereuse que ce n’est pas le moment de faire cavalier seul. Il s’agit de
tisser du nouveau, et cela ne peut pas se faire individuellement.
Le cuisinier de la
cantine craque et refuse de nous faire à manger. On attend au Réfectoire qu’il
veuille bien se mettre à ses fourneaux. Il y consent in extremis et non pas
pour les Epinards/Côte de veau
prévus mais pour des Haricots en conserve
et Steaks Hachés froids et à peine cuits… Je fais remarquer qu’il n’en fait
pas moins que la Directrice et que si on pose la question de ceux qui ne font
pas leur travail dans l’Etablissement, il faut le faire pour tout le monde…
Naturellement dans l’après-midi, l’histoire fait le tour du Lycée…
Ce cauchemar social
est ce le communisme, au sens où on ne peut plus rien avoir en propre ; Ni
sa place dans les transports en commun occupé par le sac et la chair d’autrui.
Impossible également d’avoir une pensée propre ou une conversation particulière
qui doit concerner tout le monde !! Les vêtements de sports sont les mêmes
et il est interdit de faire preuve d’une singularité quelconque. En fait CA
s’oppose à l’instauration de toute structure, de tout projet et de toute
représentation.
Dans la vie
domestique, la situation serait alors particulièrement critique parce qu’on est
coincées entre un enfermement ancien avec lequel en dépit de nos efforts
d’émancipation nous n’avons pas encore réussi à rompre et un new communisme
invasif qui s’impose. L’espace
télévisuel n’est pas comme on aurait pu ou pourrait le croire, l’espace public c’est l’espace commun du domestique.
Il n’y a plus ni privé, ni public, il
y a
du commun.
De même que les
idées libérales avaient gagnées la société avant même la Révolution de 1789 qui
assura son triomphe (et la prise de la Bastille la symbolise), de même les
idées du communisme cybernétique sont en train de gagner la
société dont les luttes cherchent ensuite comme en 1986 et depuis, à imposer de
nouvelles structures new-communistes telles que le refus de la
sélection et l’Economie Distributive de la Grande Manne. D’où la prolifération des fameuses Coordinations ainsi que la généralisation de la conjonction ET comme liaison unique. Apparition
également d’un tutoiement regroupant
la pluralité des corps à qui on s’adresse !
Toutes mes
recherches sur la fusion et la séparation seraient elles aussi en
liaison avec l’émergence d’un communisme
psychologique ? La chose me parait
maintenant évidente. Un élément de la situation intenable réside dans le fait
qu’on fête l’abolition du communisme, alors qu’en fait c’est son triomphe.
La crise financière
mondiale, s’ajoute désormais au désastre ambiant.
Une belle journée
d’été procure un bonheur inattendu mais saturant brutalement les médias produit
paradoxalement un effet glacial en occultant par des futilités l’Histoire qui
commence à faire peur tant elle s’accélère. Ainsi les reportages sur les
séances de bronzette dans tout Paris, reportage tout de mièvrerie et de
complicité.
La prétendue
réunification de l’Allemagne est en fait la reprise d’un Etat, la RDA en
faillite que chaque jour, fuient deux à trois mille personnes qui profitent de
l’ouverture des frontières. L’intuition qu’un pillage a commencé et que nos
Institutions ne sont plus en mesure de nous défendre, ce qui est pourtant
normalement la contrepartie de la légitimité de l’obéissance qu’elles
obtiennent de notre part.
Après l’affaire du
Benzène dans la source Perrier, éclatement du scandale de la pollution des
eaux, y compris celle du robinet aux nitrates. Pour la première fois une voix
officielle Brice Lalonde met en cause les Agriculteurs.
L’employé du
marchand de journaux, le petit blondinet fascisant avec qui j’ai déjà eu des
conflits, m’annonce qu’il est ruiné en me sortant de dessous sa caisse la
photocopie d’un article sur la Bourse. Je l’envoie sur les roses en lui disant
que c’est la règle du jeu et que je ne vais pas pleurer sur lui qui a contribué
à cette gangrène… Je pense alors que je suis d’une méchanceté excessive mais
comment ne pas l’être lorsque je pense à mes Elèves dont le climat social
défigure l’adolescence et aux clochards tous les jours plus nombreux.
On peut néanmoins
renverser la problématique en comprenant que cette obsession des questions de
pollution et de météorologie est significative en elle-même ! Elle exprime
un accablement concernant ces sujets à mettre en relation avec l’effet de serre
et le trou dans la couche d’ozone, tout cela étant peut être à l’origine de la
vague de folie actuelle. Et le fait est que cet été précoce a quelque chose de
parfaitement anormal que personne n’a encore relevé. Les nouveaux événements,
ce sont peut être en fait ceux-là.
L’angoisse
concernant l’eau sous tous ses aspects, y compris les autres eaux minérales qui
rappellent leurs bouteilles et les stations thermales - elles mêmes polluées -
serait elle alors une angoisse de mort d’autant plus forte que les Agriculteurs
en étant la cause, tout repli sur le secteur traditionnel est interdit ?
Au Lycée, un panneau
du Professeur de Sciences Naturelles sur les effets des Nitrates, attire
l’attention sur les risques de l’impuissance qui semble se développer. Bien que
je ne comprenne pas tout à fait de quoi il s’agit, la pollution généralisée me
parait être l’événement en devenir comme le prévoit sans doute les métaphores
du Corps défunt de la comédie Canal de la Toussaint et même de Que se
partagent encore les eaux et Les Prunes de Cythère.
Mais l’horreur
innommable est en URSS, celle des pogromes annoncés. Après la Shoah, ce n’est
pas seulement le cœur qui chavire mais aussi l’esprit. Il semble que l’Europe
n’attende qu’un signal pour décharger toute cette extrême tension qui dure
depuis trois mois. Toute espérance a disparu, l’unification s’accélère en
Allemagne sans que quiconque soit consulté. La crise financière et le
changement brutal de l’ordre du monde, tout cela c’est trop !
Nous avons crû
assister en direct à un soulèvement populaire qui fit soixante mille morts,
mais nous avons appris depuis qu’en Roumanie, le renversement de Ceaucesco
était l’œuvre de Gorbatchéviens, que les charniers de Timisoara qu’on nous
avait complaisamment projetés avec ses quatre mille morts était en fait une
mise en scène et qu’au total il n’y avait pas plus de sept cents morts dans
tout le pays. Là, quelque chose s’est cassé.
Quoi ? On ne saurait pas le dire aujourd’hui.
Non pas comme on
pourrait le croire, l’idée d’une Révolution sans violence - bien que les
pogroms d’Asie Centrale en aient sonné le glas - mais plutôt l’idée d’une
Révolution dont les Peuples seraient les acteurs. C’est plutôt comme si ON
ETAIT AGI non pas comme objet ni non plus seulement manipulé par la propagande
- ce qui est déjà une vieille tradition - mais agi comme une masse dont le
logiciel cybernétique serait extérieur, la Télévision étant une espèce de rêve
dans lequel cette biomasse se
projetterait.
La Télévision n’est
plus un espace de communication ou une ouverture sur le monde, mais le cerveau commun dans lequel se passe la rêverie fantasmatique. La partie de
l’intelligence diurne logique et active étant assurée de son côté par le réseau
informatique. ON EST AGI, comme un géo-corps reçoit des influx d’un système
nerveux qui l’organise et le maintient. Cela rejoint l’idée de la chaorganisation et de la terre comme
organisme vivant.
J’avais déjà informé
les Elèves de ce phénomène nouveau et leur avais simplement dit à propos des
faux charniers de Timisoara Je ne sais
pas ce que c’est, mais j’ai peur ! Je crois que maintenant deux mois
après : je sais ce qu’il en est et je n’en ai pas moins peur. Cette
Révolution Européenne a cessé d’être heureuse et ne représente plus une
espérance. Pourquoi ? Le frémissement qu’on avait senti à l’Automne ne
s’est pas concrétisé, et ceux qui auraient accepté de suivre ne souhaitent pas
être moteur, ni encore moins remettre en cause les fonctionnements de
production, de consommation ou d’agencement du mode de vie.
Nous sommes dans une
société de plus en plus sclérosée à tous les niveaux et qui se nécrose sous la
pression d’une modernité avançant comme un rouleau compresseur. A la tête de
l’Etat, une classe politique dépassée par les événements et ne se préoccupant en
rien des problèmes réels du pays (Fonction Publique, Ecole, Santé, Prison,
Postes, Transports et Télévision) ni des périls extérieurs (Europe, Sud, Femmes
Voilées etc..) pour s’adonner en fait à ses amours incestueuses, son
narcissisme, sa vanité et sa vacuité. Elle fait surtout preuve d’un désintérêt
complet de la fonction étatique voire même simplement idéologique, au profit de
guerres fratricides évoquant la Cour des Borgia.
Le pays observe
goguenard l’effondrement de l’appareil politique, tous partis confondus. La
conséquence en étant l’abstention pour des raisons de sécurité, le vide gagnant
du terrain et dans cette béance bien sûr s’installant petit à petit l’ordre
nouveau. Au Lycée l’INTEGRISME INFORMATIQUE emporte les Professeurs et les
Elèves qui ne viennent plus, dans la même folie. Il est devenu impossible
d’enseigner, sans que cela soit vraiment ni la faute des uns ni des autres.
C’est une sorte de chômage technique d’un genre nouveau, contaminant le reste
de la vie d’une extrême fatigue, crise d’identité et angoisse de mort.
Nous ne pouvons plus
nous considérer en voie d’intégration à un monde constitué, alors même qu’elle
n’a pas été complètement réalisée et apparaît - de plus en plus - avoir été un
processus de destruction dont j’ai d’ailleurs eu - sans doute depuis le séjour
à la Martinique - l’intuition. Il y a d’autre part la pression du Sud qui
s’installe tous les jours davantage et bien qu’on sache en termes abstraits que
cela soit inéluctable (taux de croissance et pauvreté de la population),
produit dans la vie quotidienne des effets dévastateurs.
La crasse se
généralise, les gens se soulagent n’importe où, les Puces de Montreuil tournent
au dépotoir dans lequel farfouillent des épaves tous les jours plus nombreuses.
Les fraudes massives tournent à l’Economie
Distributive par l’intermédiaire
d’une manne que de tous les côtés, on
cherche à s’approprier. Le métro est transformé en Cour des Miracles et les
couloirs en souks. La discrimination des femmes est de plus en plus visible
avec l’accroissement du nombre de celles qui sont voilées et ne semblent
émouvoir personne. Les petits commerces de fruits proliférant s’avèrent la
plupart du temps des tentatives de commercialiser des rebuts immangeables. Les
kiosques à journaux sont tenus par des Tamouls. Tout cela dans une vitalité
offensive qui fait ressentir comme encore plus tragiquement, la dégénérescence
des nôtres.
Notre groupe
lui-même étant en proie à des Jeunes qui manifestent clairement leur désir de
se contenter de consommer le capital sans participer à son remplacement et
encore moins à son extension. Ce projet s’accompagnant d’exigence de rigueur
dans la gestion technique et la qualité de vie qui rend tout cela
insupportable.
En Mars les émeutes
ont gagné l’Ouest, à Berne contre les fichiers informatiques qui ont également
provoqué des tollés en France et en Grande Bretagne où une nouvelle imposition
par tête a soulevé les foules. La Capitale a été plusieurs jours en proie aux
émeutes et au pillage. Emeutes également en Afrique et en Amérique et
déclaration d’indépendance de la Lituanie, un dimanche ordinaire. Le premier
état de l’URSS s’en séparant…
Bagarre raciste,
meurtre et saccage à Saint Florentin dans l’Yonne. Le propriétaire d’une
pizzeria a tué et blessé des Arabes qui se plaignaient de ne pas pouvoir se
faire servir à l’intérieur de l’établissement et devaient manger dehors sur le
trottoir. Ils ont par représailles, saccagé le restaurant. Le soir à la
Télévision, Le Pen s’est déchaîné à l’émission Le Club de la Presse.
Le journaliste Elkabbach a fait front assez seul, finalement.
A l’émission Apostrophes, le dissident soviétique
Zinoviev s’est plaint d’être à cinquante six ans, expulsé de l’URSS alors qu’il
s’avère de son propre aveu, incapable de s’adapter à la vie en Occident. Il dit
son isolement et sa tentation de la mort. Son regard plein de cendres est
absolument pathétique. J’aurais tendance à dire nous entrons dans les temps où
il n’y a plus de pardon. Qu’est ce que cela veut dire ? Non la lassitude
car je n’en ai aucune, non le désespoir car il est là depuis le commencement,
non l’espérance d’une certaine façon elle est plus forte que jamais mais
l’AINSI SOIT-IL au sens de CELA EST, cela ne peut être réparé.
L’accablement. En fait,
ce n’est pas ce week-end un crime raciste, mais deux. A Roanne, aussi un Arabe
a été volontairement écrasé et la semaine dernière encore un autre assassiné de
balles dans le dos alors qu’il avait les menottes. L’idée vient que la question
des ethnies va atteindre la France qui va se couper en deux, le Nord rattaché à
une grande Allemagne et le Sud tourné vers une Mare Nostrum. Mémoire de
la proclamation de l’Unité Allemande dans la Galerie des Glaces en 1870 comme
signification - dès sa constitution - que l’Allemagne va bien jusqu’au bout du
continent. La Perestroïka mondiale est le nouveau partage des terres.
14 Mars 1990
La Lituanie ayant
proclamé son indépendance, la Banque de France propose de lui rendre les deux
tonnes d’or qu’elle lui avait confiées en 1939 avant d’être annexée par l’URSS…
Au Lycée, mon projet
de débat avec les Collègues et éventuellement les Elèves après une projection
de la cassette du débat télévisuel Zinoviev/Eltsine tombe à l’eau, les quatre
plus cultivés qui auraient pu en être le noyau m’ayant déclaré qu’ayant vu
l’émission, ils ne sauraient pas quoi en dire puis se mettant à me réciter un
catéchisme dont ils ne se rendaient nullement compte à quel point il était
obsolète.
Hier j’ai appris par
téléphone à douze heures cinquante cinq que La Jeune morte en robe de
dentelle sortait pour le Salon du Livre qui a lieu dans dix jours. J’étais
sans nouvelles du manuscrit déposé en Juillet. A quatorze heures vingt, le
coursier remporte de chez moi une quatrième de couverture malheureusement
bâclée dans les conditions pareilles. Quant au texte nécessaire pour le
Catalogue, je le rédige dans le métro - l’achevant dans un bistrot - après
avoir pris moi-même l’initiative de le porter dans l’après-midi pour éviter de
pires complications. On me dit que j’aurais les épreuves à corriger le soir
même et que je devrais les rendre le lendemain matin…
Terrifiant suicide
de Bruno Bettelheim s’asphyxiant à quatre vingt six ans, la tête dans un sac en
plastique. Je continue à penser que c’est le péché absolu contre l’esprit. J’y
vois aussi symboliquement la remémoration des chambres à gaz appliquée à la
plastification du Capital Humain. La lecture de ses deux livres Le Cœur
conscient et Survivre ont été pour moi, fondamentales. Je crains
aussi pour quelques amis me demandant si cette vague d’antisémitisme et la
Révolution Européenne vont balayer ces aigles
qui ont été nos phares...
Dix neuf heures
quarante cinq. Arrivée enfin des épreuves de La Jeune morte en robe de
dentelle au soir du Quatorze Mars, alors que je n’ai été informée que la
veille de la sortie du livre. Je suis donc obligée de décider de ne pas aller
au Lycée le jeudi Quinze pour pouvoir les corriger.
Le feuilleton
Gallimard repart avec la contre attaque de la sœur Françoise qui fait mettre
sous séquestre. Un article important dans Le
Monde. On est malheureux d’apprendre
que Bouygues, le propriétaire de TF1 se porte candidat au rachat de la maison
d’édition et on se demande si c’est pour contrôler le gisement de romans qui
lui permettront ensuite de produire ses films entrecoupés de publicité…
Pourtant cette logique n’est pas nouvelle mais seulement aggravée par la
Révolution Cybernétique et la Mondialisation. On repense un moment avec émotion
au discours du publicitaire qui pour procéder à la vente des actions de la sœur
Françoise faisait valoir comme argument financier que Gallimard représentait un
portefeuille important d’auteurs, à la suite de quoi la presse avait été
arrosée de leurs protestations effarouchées… Eux qui de toutes les Octantes
n’avaient pourtant guère lutter contre le
pourrissement de la société française.
Amère vengeance de
les voir eux aussi à leur tour précipités dans les abîmes extérieures comme
j’ai souvent pensé que je retrouverai un jour en prison ou dans un camp, ceux
qui m’avaient autrefois censurée… Mais en poursuivant la lecture on apprend que
ce qui intéresse Bouygues en fait, c’est l’achat de l’immeuble de la rue
Sébastien Bottin ! Là ce n’est plus une claque qu’on prend mais on éclate
de rire… Il n’y a plus à avoir d’inquiétude pour le sort du milieu littéraire
français, il est réglé ! C’est un naufrage à la mesure de l’époque…
Franche rigolade sur le thème des fameuses jaquettes dans une benne à gravats,
jaquettes dont l’établissement ne cesse de se regorger.
Douze heures trente
cinq aux Editions des Femmes, on me présente G le correcteur qui vient de son
côté de lire La Jeune morte en robe de dentelle et me dit Vous frappez quand même un peu fort !
Vous donnez de mauvais conseils aux jeunes filles ! C’est subversif !
Je retourne aux Editions pour terminer le travail après un parfait bonheur à la
terrasse du Mabillon (Petit Salé aux
Lentilles et Charlotte aux Poires). Je défends fermement ma phrase Quand on était petit, mais maintenant on est
grande comme n’étant pas une faute mais un vouloir dire au plus près du
réel, petit se rapportant au nourrisson et grande aux jeunes filles enfermées. Je suis contente
d’entendre G le correcteur me soutenir d’un Ah
oui, c’est un neutre ! Alors que je le vois émerger depuis 1988 à
Victoria. Je suis heureuse aussi qu’il ait apprécié mon néologisme de TOTALNITE
et rassurée de voir qu’il ait si bien fonctionné.
Lapsus de Pierre
Bérégovoy au Congrès de Rennes Le
compromis avec le racisme n’est pas facile avant de se reprendre n’est pas possible ! Qui dit
mieux ?
Vague angoisse
concernant l’évolution de la RDA dont les Elections sont perçues comme un
scrutin intérieur dont notre propre sort à terme, dépend. MB a fait depuis le
mois dernier une complète volte face et partage comme Zinoviev et moi l’idée du
pillage à défaut de la possibilité de remettre en route une économie qui ne
veut pas fonctionner. Il est par ailleurs à la limite du racisme qui gangrène
de son côté notre classe sociale, comme si cette nouvelle donne en RDA
inaugurait une reconstitution en Europe d’une sorte de Saint Empire Romain
Germanique. Comme je lui soumets l’idée d’une France qui se couperait en deux,
le Sud étant laissé aux Arabes, il me dit que c’était déjà le projet d’Hitler
dans Mein Kampf. Quant à ce virage de MB habituellement plus humaniste,
faut-il l’attribuer à des difficultés qui atteindraient à son tour la
Bourgeoisie perdant des parts de marché ? Cette classe sociale serait elle
comme nous en voie d’effondrement ?
Exposition Filonov.
Une fois de plus l’humiliation de la pensée qui plafonne et dans un deuxième
temps, de la reconnaissance pour qui m’a conseillé d’aller la visiter.
Durant le week-end,
j’ai encore trouvé cinq tomes des Œuvres Complètes de Victor Hugo dans
la Collection Nelson qui en comprend cinquante et un. Il ne m’en manque que
deux !
Aux Halles, les
femmes sont de plus en plus nues dans un déferlement pornographique asexué, si on
peut dire. Un mime scatologique, alimentaire et fusionnel.
Beauté somptueuse du
Louvre et de sa Cour Carrée plus belle encore depuis qu’elle a été restaurée.
Malheureusement elle est occupée la moitié du temps par des salons du prêt à
porter et on n’y a plus accès. Encore un des signes de cette confiscation de
l’espace par une classe dont nous ne sommes pas et qui nous composte de plus en
plus ostensiblement.
Dimanche soir, fin
du Congrès du Parti Socialiste qui pour la première fois depuis 1972 n’est pas
parvenu à dégager de leader. Ceci est d’autant plus démoralisant qu’il ne
s’agit que de clans et de querelles personnelles car il n’y a là dedans aucune
idée ni programme de Gouvernement pour la société française. La Télévision a
répercuté des images de chahut, de charivari, de camouflet des militants
vis-à-vis de l’appareil nomenclaturiste.
Tout cela sans compter que le parti rival n’est pas une meilleure posture,
tandis que semble se reconstituer une grande Allemagne non exempte de danger.
Le Front National prospère dans ce vide.
Ambiance
particulièrement pesante dans les classes dans lesquelles deux Elèves de
Techniciens Supérieurs me collent pour déverser sur moi leur propagande. L’un
va jusqu’à me dire J’aimerais bien que
vous soyez moins pessimiste. Comme je connais par chœur ce cas de figure,
je décroche en lui caressant la tête et en lui tapotant dans le dos, dans le
style caricatural des consolations maternelles.
Les Evénements
continuent de s’accélérer. Prévue seulement pour le mois de Juin, l’unification
monétaire des deux Allemagnes est maintenant décidée pour le mois prochain.
Obscénité de notre classe politique qui ne parle pas de l’Europe ou pratiquant
la méthode Coué incantatoire d’une construction européenne néanmoins caduque en
raison de l’effondrement de l’URSS. Leur tentative de nous faire croire que
rien n’est changé est au choix inquiétante, angoissante ou pathétique. On y
retrouve ce que je connais si bien et que j’ai mis si longtemps à élucider, le
mensonge dans lequel baigne ce pays et qui s’était déjà résumé par l’idée que
la France avait gagné la Guerre alors qu’en fait, elle l’avait perdue. La
nouvelle coupure n’est plus Droite/Gauche mais fiction/réalité, tant le
mensonge et la déréalité alimentent
désormais une propagande de plus en folle et menaçante.
Première émeutes
ethniques en Europe Centrale. En Roumanie, les Hongrois contre les Roumains.
Seule la poésie est
à la hauteur de la situation mais elle ne se décrète pas.
Les choses étant
devenues un handicap dans la mesure où elles occupent toute la place et
empêchent physiquement d’exister, j’ai dû pour n’en être pas prisonnière me
séparer brutalement de la moitié de ce que j’avais. J’ai eu après ce drame
cybernétique la surprise d’entendre des Collègues débattre de ce sujet dans la
Salle des Professeurs et constater que les gens se divisaient entre ceux qui
jettent et les autres. J’ai alors pu leur expliquer que la difficulté venait du
fait qu’on avait des comportements issus de la pénurie alors qu’on était
désormais dans la pléthore.
Débat au Centre
Beaubourg entre HDV et TS sur le thème des Médias menaçant la Démocratie. J’ai
l’impression d’avoir été manipulée dans la mesure où il s’agissait surtout pour
les protagonistes de vendre leurs derniers ouvrages. Le propos de HDV
consistant à dire qu’il fallait s’auto-réformer avant d’être renversé et de TS
développant de son côté celui du Quatrième
Pouvoir évinçant les autres, bien que sans légitimité ni responsabilité.
J’ai eu l’impression
que j’en savais davantage qu’eux sur ce qui se tramait. Je leur ai notamment
raconté comment j’avais dans mes classes, utilisés les charniers de Timisoara
avec toutes les difficultés pédagogiques que cela représentaient, avant de
devoir dire aux Elèves que c’était une fausse information et comme ils m’en
demandaient la cause avoir dû leur avouer que - comme Jonas allant à Tarsis - Je ne sais pas, mais j’ai peur.
J’ai sorti tout cela
d’un trait à HDV qui était très fier de lui et de la couverture des événements
réalisée par le magazine Le Nouvel Observateur, à quelques bavures près. L’expérience m’a montré que
ce que les dominants appellent les bavures
est en fait l’essence du système, sans compter le caractère étonnant de cette
notion de bavure qui est en
réalité le mensonge destiné à la propagande. HDV m’a répondu de façon
humiliante comme si j’étais une petite fille qu’il fallait sécuriser sur le
thème Ne vous inquiétez pas, je
suis là avant de reprendre avec son comparse, la récitation de leur catéchisme.
Néanmoins au milieu
de tout cela, quelques idées intéressantes comme le constat de la disparition
du pouvoir intellectuel des notables qui auparavant effectuaient un
premier tri dans les sottises, ainsi que celle du remplacement des institutions
par un aplatissement généralisé ne rendant plus de comptes à personne tout en
s’accompagnant d’un fonctionnement informel et d’une irresponsabilité générale.
Néanmoins je pense que cette irresponsabilité est organisée à la faveur de la
mise en place d’un nouvel ordre, sans encore savoir s’il s’agit de provisoire
ou de définitif.
Conseil de Classe au
cours duquel je peux entretenir avec une Professeure d’Espagnol, une
conversation comparant la poésie chinoise et celle de Neruda. On débat des
difficultés de la Déléguée de la classe qui excellente élève arabe doit lutter
contre sa famille qui la retient au foyer pour y effectuer les travaux ménagers
en l’absence de la mère hospitalisée. La Directrice et moi-même, nous
l’encourageons à ne pas se laisser faire et à privilégier son travail scolaire.
Malheureusement deux de nos autres Collègues NB et Mme LB nous volent dans les
plumes de façon assez violente, sous couvert de défense de la vie privée…
Je ne souhaite pas
signer les soixante dix exemplaires du premier tirage de La Jeune morte en
robe de dentelles auquel il manque deux pages, en plus des erreurs de
découpage du texte. Le livre n’est même plus un objet marchandise et les
auteurs sont directement exposés au Public. Je signerais Mardi Soir en
nocturne, si d’ici là la logistique à réussi à suivre, ce à quoi je m’emploie
le samedi soir de mon côté et le dimanche avec l’une des femmes des Editions à
qui j’en profite pour dire les difficultés. Je lui explique notamment que
Monique Saigal en Californie ne parvient pas à se faire livrer des exemplaires
de mon livre Le Cercan qui y a pourtant du succès.
Dimanche, nous
retournons au Salon et j’assiste comme un crève-cœur au supplice de mes
confrères. A celui d’André Chouraqui en proie à une conversation idiote avec un
lecteur qui ne l’a pas lu et auquel il ne parvient pas en dépit de sa dureté, à
échapper. Ziegler installé en vue sur le perron du grand escalier sans
précaution contre les tueurs qu’ils dénoncent et dont il m’a semblé qu’il avait
envie de pleurer. Et un peu partout des auteurs en brochette serrés au coude à
coude, les uns contre les autres sans qu’on ne fasse même plus l’effort de leur
aménager un coin sympathique, un peu comme des pierres précieuses montés par
l’éditeur dans un bijou qui lui serait propre. C’est seulement le soir que j’ai
réalisé mon refus comme un acte politique alors que je l’avais initié comme un
simple refus corporel, comme toujours. C’est qu’en fait il s’agit d’une action biolitique.
Le Mardi soir, je
suis prévenue au dernier moment de l’impression des livres. Et désormais plus
prudente, je n’ai pas repassé mon costume violet ni ne suis allée chez le
coiffeur, et j’attends même la visite d’un antiquaire à qui j’ai proposé mon
immense bureau biplace désormais inapproprié. La soirée est heureusement très
réussie et j’en invente pour la conceptualiser la formule Le Capitole est près de la Roche Tarpéienne. Mes amis sont là.
Surgissent des hommes aimés pas vus depuis des années. Des lecteurs inattendus
et enthousiastes. Mon étonnement allant tout de même aux amateurs de La
Baisure. Les échanges sont d’une gravité extrême, notamment avec l’écrivain
Jay avec qui nous parlons de l’antisémitisme de certain grand quotidien.
La conversation avec
le peintre James Bloede dont les thèmes de travail sont semblables aux miens
propose la notion d’immobilisation
pour nommer ce qui se passe et cela me parait assez juste. Cette notion est en
effet plus facile à concevoir par un plasticien par nature plus sensible à
l’allure des corps que par un écrivain lui-même dans l’immobilisation de sa
création.
Mon impression
globale est celle d’une soirée absolument sacrée dans le style des films Le manuscrit trouvé à Saragosse ou encore La voie lactée, chaque lecteur défilant devant le stand exprimant
un pan de la vie, un angle de regard sur l’être ou sur l’œuvre. Une somptueuse
musique éclate à vingt trois heures pour indiquer la fermeture, j’en suis
heureuse avant de découvrir qu’il s’agit d’une bondieuserie confirmée par les
bougies à la sortie du Palais.
Douzième jour de
grève intégrale des radios d’Etat, sans même le Programme Minimum. Du jamais
vu ! Un couvercle de plus en plus épais sur une marmite de plus en plus
terrifiante.
Dimanche chez GL.
Ambiance à couper au couteau car il ne partage pas notre accablement
patriotique. Il est vrai qu’il est arrivé en Zone Sud (ou en France, je ne sais
plus) à travers un bois, un canon de révolver sur la tempe. Promenade au Parc
Montsouris avec nos enfants. Mitraillage de photographies, je laisse faire me
disant qu’après tout, c’est peut être Août 14, le dernier dimanche paisible. On
y voit surtout un dimanche de pauvres avec l’extrême entassement de la
population sur une pelouse minable. Quand on pense aux datchas de la classe
politique qui nous a mené à la faillite, on est écoeuré, ballotté entre la
haine et la rage prenant bien soin de ne céder ni à l’une ni à l’autre, comme
étant toutes les deux des attitudes inadaptées à la situation.
Mardi à la Poste où
je me rends pour retirer de l’argent comme j’entends dire qu’une grève
démarre : Je veux prendre dix mille Francs de liquide mais les fonds sont
rationnés. C’est la première fois que je vois cela et cela me fait un drôle
d’effet. Devant moi dans la queue trois hommes d’environ trente cinq ans font
de l’agitation anti-fonctionnaires, anti Ecole Publique et anti femmes. Je
contre attaque tranquillement sur le thème Vous
ne croyez pas que le pays a assez de problèmes pour qu’on s’épargne la démagogie
et qu’on cherche ensemble des solutions ? Et comme ils n’ont cure de
ces propos pourtant raisonnables, je leur dis que J’aimerais bien que nous les mères ne soyons pas les seules à discuter
avec les enfants des problèmes de la vie et qu’ils s’occupent aussi de cet
aspect de l’éducation… Là, ils ont pris un air piteux et je n’ai plus
entendu un mot. Ceci confirme mon intuition que seul le maternalisme militant
peut triompher du fascisme. Arrivé au guichet, l’un d’eux refuse une lettre
recommandée en provenance du Groupement
des Huissiers. Ce qui donne à penser
que c’est une affaire de surendettement, les gens déboussolés n’espérant plus
qu’en un brouillage général, pour se tirer d’affaire.
Le soir au Journal
Télévisé de TF1 de Poivre d’Arvor, on voit apparaître l’expression Français de souche complémentaire de la
notion de Français d’origine étrangère apparue
elle-même pendant le week-end. L’émission nous montre un trio de Jeunes : Une Française de souche blonde aux yeux
clairs, un fils de harki légèrement basané et une immigrée grassouillette
réputée de parents immigrés. On nous explique bien la différence, sur le
thème pour l’une pas de problème, française sans y penser mais pour les autres
il y en a, ils se font refuser dans les boîtes de nuit et pour la dernière on
nous parle du regard de l’autre. Cela
m’évoque l’exposition didactique Apprenez
à reconnaître un juif…. J’éteins le Poste.
Amnistie en rafale
concernant les crimes et les délits de la classe politique. La justice n’est
plus rendue.
Le soir, à la
Télévision déferlement de paroles concernant le Maire Médecin aux prises avec
une affaire d’antisémitisme dans son Conseil Municipal sur le thème de
l’adéquation des notions de juif et d’argent. Nous en sommes sidérés, bien
que les attaques aient commencé l’été dernier avec la construction d’un Carmel
à Auschwitz. Sur la Cinquième Chaîne, un journaliste courageux attaque Laurent
Fabius sur l’amnistie de Nucci concernant le scandale du Carrefour du
Développement.
On est ému de voir
tous ces journalistes dont la façade professionnelle craque et qui prennent
enfin une véritable parole à l’antenne - comme moi-même dans ma classe -
renouant avec leurs préoccupations de Citoyen. Une forme d’engagement et de
combat politique d’investissement personnel dans la situation. Il est
particulièrement frappant d’entendre Michel Drucker et Jean Pierre Elkabbach
concernant la situation du Service Public qui n’en est plus un. C’est donc
bien le même syndrome dans tous les secteurs. Les revendications portent sur le
sens et le refus de confondre la réalité et la fiction. Cela s’oppose à ceux
qui veulent abolir la réalité et s’installer dans le déni de l’Il n’y a pas !
En Terminale
Comptable, un élève arabe se fait refouler d’une place et rejeter au dernier
ban. Je lui demande s’ils veulent mon arbitrage. La victime fait profil bas
mais les de souche le veulent. Je
fais donc revenir l’arabe à sa place - et comme il avait peur - les autres
basanés ont fortement insisté avec moi jusqu’à ce qu’il ait le courage de
changer de place. NOUS parvenons à l’obtenir et je rassure tout le monde sur le
plan affectif sur le thème de Vous êtes
tous mes petits chéris… Je vous aime tous autant… Faisons que cette classe
reste l’oasis de bonheur qu’elle est !...
Le Vendredi Saint a
été intégralement consacré à déplacer le lit de la Grande Pièce vers le bureau
et à transformer le tout en Bibliothèque. Cela impliquant que j’achève de jeter
la plupart de mes affaires (ce que j’avais commencé à faire en Février) et à
privilégier le rangement des livres désormais par ordre alphabétique des
auteurs, tous genres et toutes langues confondues. Cela a été rendu
indispensable par la pression du magma
cybernétique et entraîne une
réorganisation de l’espace domestique, modifié par l’envahissement absurde et
mortel de la Télévision ainsi que l’arasement publicitaire
Dimanche de Pâques
complètement envahi par la religion. Monseigneur Lustiger à la Télévision, à
midi et le soir, comme invité principal. On est mal à l’aise de son narcissisme
et du mépris qu’il témoigne à la speakerine. Discours sur la coïncidence de la
Pâque catholique protestante et orthodoxe mais pas un mot sur la Pâque Juive.
Après l’affaire du Carmel d’Auschwitz, on voit l’antisémitisme croître à vue
d’œil dans le cadre d’un Occident chrétien totalitaire qui déferle sur les
ruines du communisme et de la déstabilisation européenne. Face à cela on se
sent seul d’une solitude sociale. La conviction maintenant que les Jeunes ne
s’établiront pas et que leur consommation effrénée sans être le moins du monde
concernés par la perduration sociale n’est pas mauvaise volonté mais conviction
qu’un autre monde est déjà là.
Lundi de Pâques. Fin
de l’ultimatum de la Russie à la Lituanie. Elle l’a menacée de lui couper les
approvisionnements. Le Parlement lituanien s’est exceptionnellement réuni et
l’Eglise a demandé à la population de ne pas céder à la panique. L’Histoire
s’accélère et la France reste à quai. L’honneur est dans le maintien de la
créativité intellectuelle. Nécessité d’inventer un autre mode de vie.
La guerre larvée
entre la Russie et la Lituanie ressemble à la guerre entre les sexes. L’effort
pour acquérir l’indépendance étant puni de représailles pesantes dans la vie
quotidienne.
Comme si je devais
m’inventer une vie dans la nouvelle donne d’un pays disparu. Je n’ose dire dans
une France déjà islamisée. La chose ne parait plus impossible. Est-ce cette
angoisse d’entendre les appels au secours des femmes algériennes en proie à
l’islamisation accélérée de leur pays, les secours qu’elles demandent à un
étranger qui ne les entend pas dans le double aveuglement de croire que d’une
part ce qui se passe sur la rive Sud ne nous concerne pas, et d’autre part que
la résistance de ces femmes et leurs luttes ne sont pas politiques ! Elles
DISPARAISSENT (celles qui refusent de porter le voile qu’imposent les
Islamistes) Tout comme dans l’Argentine fasciste ou sous le nazisme. D’une certaine
façon, cette féroce répression qui d’habitude s’applique aux militants
politiques devrait faire admettre enfin la nature de leur lutte. Et en fait
non ! Là est la source du cauchemar.
Aux dires de MB, il
n’était pas facile à l’époque du nazisme de s’y reconnaître, le culte de la
jeunesse et de la vitalité apparaissant comme une régénérescence par rapport à
des régimes corrompus. On peut se poser là la même question par rapport à la
contestation du matérialisme et de l’Occident, au moment où le gros de la
troupe - par pollution et chaos interposés - commence à découvrir que ce n’est
pas la panacée.
Gorbatchev a coupé
le pétrole à la Lituanie ! Comment croire encore à la
démocratisation ? En même temps comment pourrait-il accepter la désintégration
de l’URSS ? Mais si cela n’est pas possible, quelle évolution l’est ?
J’ai écrit à mon
ancienne partenaire de théâtre :
Bravo pour ta petite carte rouge presque illisible, elle dit l’essentiel :
« Toute relation devient une véritable épreuve ! C’est comme une
maladie dans l’air et pas seulement en nous ! » C’est tout à fait
ça ! Je m’organise pour tenir dix mille ans au milieu des cendres. Quoi
d’autre ? L’angoisse est devenue mon pain quotidien. C’est à cela que je
sais que je suis encore vivante.
Dans Le Monde,
récit de la situation en Algérie. Les femmes sont condamnées au couvre-feu dès
dix-huit heures. Les appartements de celles qui vivent seules sont saccagés,
les visites interdites en résidence universitaire et tout cela en plus du
voile….
A Midi, on apprend
que la Russie a aussi coupé le gaz à la Lituanie. On est pris entre une
curieuse envie de dérision de sanctions qui évoquent les échauffourées entre
locataire et propriétaire et l’angoisse là aussi car depuis 1990 et la sombre
affaire de Timisoara, on ne croit plus à l’heur d’une Révolution Européenne.
Pour tout dire, je crois que nous sommes déjà en Guerre sans le savoir tant
l’Histoire s’accélère et ne cesse d’accuser le coup ! Tragédie de cette
rétorsion de l’ordre du froid et de la nuit. La Première Ministre de Lituanie
est une femme. On la voit allant en Norvège négocier des achats de pétrole et
de gaz. L’idée d’une gestion féminine du drame et qu’elle a des armes que
Gorbatchev n’a pas. L’intelligence domestique de la situation, j’entends par
là, la prise sur la réalité.
Débarras du grand
sommier et du petit matelas après avoir appelé SOS objets encombrants la veille
et obtenu l’assurance qu’ils venaient les ramasser si c’était sur le trottoir à
six heures du matin ! Cela sur les conseils d’Emmaüs qui les avaient
refusés la veille, se contentant d’emporter le bureau, ce monument inamovible
qui n’avait pas bougé depuis vingt ans !
A la sortie du
garage - pour aller à la piscine - comme s’ouvre le rideau métallique qui ferme
le passage, on voit un clochard installé dans son sac de couchage avec ses œufs
durs et son pot de fromage blanc… le tout assez confortablement et presque
esthétiquement… Toujours le même sentiment d’aggravation de la situation de
jour en jour dans une société française qui sombre, nous laissant le temps de
nous adapter mais pas davantage. On doit le réveiller pour pouvoir passer et
c’est là qu’émerge de son couvre-pieds à fleurs, une tête de vieil arabe très
digne qui sur le coup n’a pas trop l’air de réaliser la situation et qui fixe
ahuri les phares de notre voiture tentant de sortir du parking souterrain…
Je dois lui
expliquer ce qui se passe, mais il n’a pas l’air de comprendre. Est-ce un
clandestin fraîchement arrivé ? Il réalise enfin et sans amorcer le
moindre mouvement pour se lever – bien que je continue à lui dire fermement
avec la foi du charbonnier Il fait jour,
il faut vous en aller ! - il se contente de rapprocher de lui les
œufs, le fromage blanc et le reste de ses sacs en plastique. On roule donc à
côté de lui toujours dans son paquetage et un moment je crois qu’on va lui
écraser les mains. Des fantasmes de Guerre d’Algérie m’assaillent et il faut
que je me surveille pour ne pas lui donner d’argent. Comme je repasserai à
midi, il sera toujours là tapi dans le renfoncement noir du porche et cela fait
quand même un drôle d’effet.
Aux nouvelles du
matin sur les manifestations islamistes prévues aujourd’hui en Algérie,
Antoinette Fouque interrogée dit la même chose que moi, l’horreur de ce qui
arrive là aux femmes. Racontant qu’on a mis le feu aux maisons des femmes
seules et - ce que le journal ne disait pas - qu’un enfant est mort brûlé dans
ces incendies. Je ne me trompe pas en maintenant aux Editions des Femmes ma
fidélité, nous menons bien le même combat. Par ailleurs faut-il que le
Gouvernement se sente menacé pour aller quêter le soutien d’Antoinette,
habituellement interdite d’antenne sur les autres sujets.
Les Vacances de
Pâques s’achèvent, toutes entières passées à corriger les Bacs Blancs et à
chambarder la maison pour échapper au pire. Il m’apparaît que la moitié de
l’appartement cybernétique doit être considéré comme public, le privé se
limitant à la pièce arrière. On peut donc dire que j’ai été expulsée de chez
moi pour faire place au pool du progrès technique, mais en même temps en lui
abandonnant le terrain et en me retirant, je ne me suis dérobée à son emprise.
Je ne suis pas sûr qu’il s’agisse d’une défaite.
Un orage bien étonnant
en Avril, surtout après deux jours de froid de presque hiver. La météo toujours
comme un des éléments de l’angoisse. Je me demande d’ailleurs, s’il n’y a pas
là quelque chose qui rend fou !
A l’UGC Opéra, on entend le gérant qui dit à une ouvreuse que Rappeneau a
fait saisir son film Cyrano de Bergerac projeté
au Cinéma Bretagne parce qu’il le passait à la vitesse de vingt huit images
par seconde au lieu de vingt quatre… Cela dans le but de faire cinq séances
dans l’après-midi, là où tout le monde - disait le gérant - en faisait
quatre ! Et de les traiter de marchands
de soupe ! On ne sait pas s’il faut se mettre en colère du pas de plus
franchi dans la volonté de rentabiliser ce qu’on appelle désormais les produits culturels, se
féliciter de la pugnacité du metteur en scène ou du contentement du gérant
qu’il y ait eu une sanction ! Son commentaire suivant sur le débit des
alexandrins, m’a mise en joie !
Dans le Jardin des
Batignolles, une femme raconte une hallucinante croisière sur le Niger où le
village attendait en rond qu’ils aient fini de manger, les animateurs
distribuant ensuite les épluchures et les boîtes de conserve… le tout sans la
moindre émotion.
Dimanche au Marché
du Livre comme tous les dimanches studieux. J’entreprends de photographier un
peu n’importe comment avec le Konica que mes parents m’ont offert pour mes
quarante cinq ans.
A la Brocante des
Batignolles, cohue à ne pas pouvoir circuler. Je n’y entends que des propos de
haine et d’argent. Il semble qu’il n’y ait même plus de place pour les
amateurs, sans doute parce qu’il y a le mot AIMER. Il n’est question que de
savoir si l’achat serait une bonne affaire et de beaucoup de regrets lorsqu’on
se souvient avoir donné pour rien à des nièces des choses dont on découvre
qu’elles valent trente ans après, un billet de banque…
Accablement de ce
climat général qui peut se résumer ainsi : En tout c’est notre monde qui
meurt ! On pourrait s’en consoler si c’était au profit d’une modernité qui
donnerait de l’aisance et du confort, mais non ! Notre monde meurt en tout
et ce qui survient, c’est un nouveau Moyen Age totalitaire et terrifié. Il y a
là dedans quelque chose d’absolument insupportable. Comme si on s’apprêtait à
cumuler le pire du progrès technique et de l’archaïsme.
On commence à voir
dans les arbres parisiens, des sacs en plastique.
J’ai quarante cinq
ans. On m’offre un grand coffret en bois peint qui me va droit au cœur. Il y a
de la différence entre les valises qui sont faites pour être défaites entre
deux logements et les coffres qui servent en même temps de meubles dans la vie
des nomades. Je fais le lien avec les boîtes en bois/papier plié des Indiens de
Colombie Britannique et je ressens bien cet objet comme dans cette perspective.
Nous nous installons à l’intérieur de la maison comme pour une vie nomade.
Etait-ce déjà cela qui était en jeu, lorsque je me suis débarrassée de la plus
grande partie de mes affaires, du trop grand bureau, du sommier du lit et en
ramenant sous –devrais-je dire La Tente - la malle bleue achetée en 1967
au Mali.
Le donateur me dit
en plaisantant que cela suffit pour contenir les affaires d’une souris partant
en Amérique, et j’ajoute que cela convient pour un écrivain partant en exil…
Posée sur la table, le coffret ne fait plus du tout européen et on peut se
demander si cette opération du week-end de Pâques n’était pas en fait celle
consistant à lever le camp. Je pourrais même inventer le néologisme de
TRANSCAMPEMENT pour traduire le terme de PERESTROÎKA
Arrivée au Lycée.
Dans la loge de la Concierge, une Collègue téléphone avec devant elle, déployé
un commandement d’huissier. Cela rejoint les observations déjà faites mettant en
connexions leur intégrisme avec la panique des dettes qu’ils ne parviennent pas
à rembourser. Dans cet écroulement je me félicite de la ligne austère que j’ai
adoptée dans ce domaine, fut ce au prix de cet exténuant plein temps.
Conversation avec
mon amie sur un départ éventuel et ce coffret symbolique. Je lui dis que je ne
parviens pas à savoir si je dois acheter les quatre cassettes du film de Claude
Lanzmann Shoah, non seulement à cause
de leur coût de mille Francs, mais aussi parce que si c’est un départ en exil,
il faudra les emporter, cela représentant alors une charge matérielle
extravagante.
Et elle de me
reprendre d’un Si on les achète,
c’est qu’il faut partir ! Je
trouve cette réponse très juste et on s’en explique. Tant qu’il y a une société
instituée - un STA - il n’y a pas à avoir soi même une pareille chose car elle
relève alors des fonctions sociales et des gardiens sacrés des œuvres d’art. Si
on les prend avec soi c’est que le STA en question a disparu, que les fonctions
sont confondues et donc qu’il faut partir parce que plus rien n’est possible.
Vu un homme portant
un keffieh en forme de hidjab. Sa femme en portait un.
A propos du Contrat
naturel de Michel Serres, en répondant à Jennifer Waelti-Walters, l’idée me
vient qu’en France, le DROIT joue le rôle que joue la littérature en Amérique. Resterait
à ajouter que ce qu’on prend ici pour de la littérature, n’en est pas mais est
du côté du politique.
A propos de Julien
Sorel - à mon avis métaphore cléricale de la vie de l’écrivain - dans Le
Rouge et le Noir je me demande si la littérature ne tiendrait pas dans la
société française la place de la théologie d’autant plus nécessaire que le
pouvoir est laïque. On pourrait même développer l’idée dans le sens que si la
grammaire a servi - comme le dit F - à noter les chants sacrés et qu’elle a été
établie par les prêtres, on retombe sur nos pieds…
Jacob héritier de rien d’autre que l’abandon
des autres, ai-je écrit dans
La Baisure. Est-ce à dire que le judaïsme est de ne pas s’être
dérobé à l’interrogation du monde ?
Hier dans l’autobus
deux enfants juifs se faisaient mutuellement réciter leur liste de vocabulaire
hébreu que l’un deux tenait à la main. Côté thème : Esclave ? demande l’un, l’autre sèche. Question version Hagada ? L’hébreu, contre langue de cette pétaudière…
A la Cantine du
Lycée, je me suis encore fait manipulée en alimentant un débat sur l’intégrisme
et le féminisme alors que les femmes qui étaient là n’avaient aucune
connaissance ni de l’un ni de l’autre
Turgay H, mon ancien
élève, le premier turc que j’ai eu et qui était absolument remarquable est venu
me voir. Il avait en deux ans avec moi, progressé jusqu’à devenir mon meilleur
élève alors que l’ai connu ne maîtrisant pas la langue française. Il est plutôt
déconfit de n’avoir pu trouver de place en DECF pour l’Expertise Comptable et
d’avoir dû se rabattre sur la Sorbonne où me dit il, les Professeurs sont
absents deux fois sur trois ! Il se plaint aussi de l’ambiance.
De fil en aiguille
je lui pose pour finir la question Ils
vous ont mis en quarantaine et il me répond Oui ! Je lui explique qu’à la Martinique, c’était moi, et pour
quoi. Et que je peux donc le comprendre. Il me dit qu’heureusement il y a aussi
un autre turc et ce propos me parait accablant. Entérinant un apartheid quasi
biologique. Pourtant rien de nouveau là dedans, la preuve en est la chanson Avec l’ami Bidasse dans lequel le lien
repose sur le fait qu’on est tous deux
natifs d’Arras… Il vient au Lycée pour se faire pistonner par Mme Ponsart.
Je n’ose pas lui dire qu’elle est raciste et qu’il n’a aucune chance…
Le soir, Conseil de
Classe des 2TSC2. Je m’attendais au pire, bien décidée à m’en tenir à la
stricte vérité/réalité quoi qu’il arrive, seule façon de n’être pas - en plus
du reste - entamée. C’est ce que j’ai fait en relatant sans me cacher la
dégradation de la classe depuis le devoir surveillé séché. Le tout sur un ton
glacial.
L’incident éclate à
propos de l’Arabe intégriste dont je dénonce l’antiféminisme éhonté en disant
qu’en tant que femme je ne peux pas accepter qu’on me parle comme cela. La
Directrice me soutient ! JPH crache alors son venin soutenu par Laurent
Bolo. Je ne réponds rien du tout les laissant se casser le crâne de leur propre
fureur contre le mur de mon froid silence, style Buster Keaton, la seule façon
de témoigner publiquement de mon désaccord absolu.
A Reims au
commencement de l’après-midi, nous sommes physiquement agressés par un lumpen automobiliste qui après avoir d’abord tenté d’en découdre avec un
autre, s’en prend ensuite à JM qu’il essaie d’extirper de la voiture lui
déchirant la chemise et lui donnant un coup de poing dans la mâchoire,
finissant par nous casser une vitre. Je m’interpose physiquement pour empêcher
le drame et nous passons le reste de l’après-midi à la Police et à faire
réparer la vitre.
Nous couchons à
Charleville où le carillon égrène de quart en quart d’heure La victoire en chantant…. L’incident me semble se
décoder comme une agression sociale, notre allure et notre voiture nous
désignant clairement comme des bourgeois/hippies. Le costume de velours de JM
et mon gilet en dentelle exprimaient clairement notre esprit soixante-huitard
face à la marge sociale.
Dans la vallée de la
Meuse, un artiste forgeron fabricant seul dans un hangar, une monstrueuse truie
en métal symbole et des Ardennes et de la Sidérurgie. Quelque chose de
tellement colossal qu’on en est ébranlé. L’équivalent de mon Requiem en aciérie mineure mais dans une version folle et tragique, prophétique. Comme
si ce jeune homme avait pris sur lui ce monde mourant pour en faire œuvre.
Rappelant à la vie pour faire mourir consciemment quelque chose dont autrement
la mort serait passée inaperçue.
N’est ce pas l’un
des ressorts de l’art, du moins du CHANTRE et de la chanson de geste ? En
petit la même démarche que Claude Lanzmann ou la mienne dans Canal de la
Toussaint et qui fait fabriquer des monstres dont l’objet même est d’être
montrés. La fonction de l’Art est ce toujours d’une façon ou d’une autre de
montrer la mort et de par contrecoup de témoigner du vivant ? Comme
il demandait une aide financière, je lui donne cent francs. Je suis touchée
qu’à côté de cette activité hors norme, il s’essaie à une ferronnerie
commerciale sans allure.
Dans les Restaurants
hier et aujourd’hui deux fois un couple constitué d’un Arabe et d’une femme
d’origine hexagonale d’une cinquantaine d’années, le tout parfaitement intégré
et sans signe de discrimination, ce que je n’ai jamais vu à Paris. Qu’en
déduire ?
A Longwy, l’Usine a
été démontée et laisse dans la vallée une saignée incompréhensible du point de
vue de l’urbanisme et du foncier si on n’en connaît pas l’Histoire ! Une
espèce de malaise devant la nouveauté. On ne sait pas comment se situer par
rapport à ce cas de figure. Les corons serrés les contre les autre, privés de
sens sans l’Usine et d’autant plus absurdement qu’il y a les symétriques de
l’autre côté de la vallée, de l’autre côté de l’espace vide. On me dit qu’on
n’arrive plus rien à faire pousser tellement le sol est devenu lui-même un amas
de produits chimiques et de gravats. Reste seulement isolé un Magasin Central. Et ce vide, refus de mémoire évoque Shoah, le film et l’idée. Une négation de l’Histoire. Un même
révisionnisme.
Le prétendu
assainissement nécessaire pour empêcher le cafard, ressemble au TOUR-NER LA
PA-GE de ma Jeune morte en robe de dentelle. Impression bizarre de ce
vaste espace qui me renvoie à mes deux autres textes sur les connexions de
l’ESPACE et de l’IDENTITE, Sable sur l’identité canadienne et La
Porte des Vents concernant la marocaine, ce cas de figure là en étant un
troisième de la même catégorie. Il me semble que ma propre identité est mise en
cause là et que cet espace vide est un
coup de gomme et pas seulement
une désindustrialisation. Peut être
plus gravement encore comme quelqu’un me dit croire se souvenir qu’il n’y avait
pas de tradition là, mais que de la même façon qu’on a amené les gens autour de
l’usine autrefois, on attend maintenant simplement qu’ils s’en aillent en
démontant au fur et à mesure.
Il me vient le terme
de Désurbanisation.
De retour à Reims,
l’agresseur était effectivement au rendez vous prévu au Commissariat de Police.
L’accord amiable s’est fait sur quatre cents Francs de liquide. Trouver dans
cette victoire du fonctionnement social, le courage de résister.
Gorbatchev hué sur
la Place Rouge à Moscou. Déferlement des oriflammes de la Russie Tsariste.
Revendication ukrainienne d’indépendance, au nom de la Sainte Vierge. A la Télévision
des images de chaos et de décomposition de toute l’Europe. On a peur. Je n’aime
pas les mouvements informes de ce continent. Il y a vingt cinq ans, cette
Révolution m’aurait elle exaltée ? Sans doute non, son côté
nationaliste/chrétien/antisémite est maintenant clairement visible. Son côté
consumériste est insupportable, même si la pénurie comparée à nos gaspillages
est irrespirable et anime des revendications qui peuvent apparaître triviales.
Vote de la loi
prévoyant la suspension des droits civiques pour les racistes. Hier le Pen a
menacé de donner des ordres à ses
militants si elle l’était…Ambiance de Coup d’Etat, mais comment s’en
étonner lorsque nulle part la légalité n’est respectée, classe politique en
tête ? Le Pen est le seul qui parle de la réalité de plus en plus
étouffante, de la corruption et de l’iniquité de plus en plus flagrante.
Au Lycée DESHERENCE.
On pourrait parler des FRICHES PEDAGOGIQUES par analogie avec la fin de
l’industrie. Plus rien de ce qui est institutionnel ne fonctionne.
Le soir à la
Télévision ambiance surréaliste. Face à l’effondrement institutionnel et légal
les magistrats sont engagés dans un mouvement de libération des détenus et des
condamnations à Minimum. Par exemple un médecin condamné pour fraude fiscale a
écopé de trente Francs d’amende avec sursis ! On voit ensuite le Procureur
de la République qui fait appel en trouvant la sanction ridiculement basse et
comme il explique cela face à l’auto amnistie de la classe politique, il a
vraiment l’air d’un idiot et on rit en oubliant que c’est l’Extrême - Droite
qui profite unilatéralement de cette désagrégation…
Conversation avec MB
à qui je dis que l’ambiance m’évoque ce que je sais de celle de 1940 et qui
lui, l’ayant vécue n’en disconvient pas. Comme je lui dis que je ne sais
vraiment pas ce qu’il faut faire parce que tout parait bloqué et échouant, il
me dit d’ATTENDRE ce qui dans la bouche d’un ancien résistant ne peut pas être
pris pour une mesure dilatoire. Il m’affirme également qu’écrire des œuvres
libres et préserver ainsi la Culture est à soi seul suffisant. Le fait est que
lorsqu’on voit quelles bagarres quotidiennes il faut mener pour y parvenir et
quelle énergie politique cela réclame, on peut le penser… Tant la culture et la
pensée sont en ce moment étouffées et asphyxiées par ce que la rumeur publique
nomme joliment le consensus mou et qui me parait plutôt être de la propagande hard pour tous azimuts, le REVISIONNISME. C’est cela le nouveau
système de pensée qui se met en place et qui dépasse largement la négation de
la Shoah.
Tout se passe semble
t-il entre le Front National et les Mitterrandistes. Il semble que nous soyons
devenus de simples figurants, des laissés pour compte pas même des enjeux, une
part infime du butin laissé en prime comme sans valeur. Nous ne sommes
virtuellement plus des Citoyens, déjà en train de perdre L’us de cité. Condamnés à ne pas pouvoir prendre parti pour l’un ou
pour l’autre, pour des raisons différentes. Par ailleurs le vote de la même loi
établissant le révisionnisme comme un délit
me paraît dangereuse sans que personne pour autant n’ait relevé la chose. Cela
équivaut à décréter la vérité historique !
Conseil de Classe
exténuant. Mes Collègues me font honte individuellement. Une veulerie et un
esprit de Collaboration. Eux se
moquent ouvertement de moi et je me fais l’effet dans leurs yeux d’une vieille
folle qui radote. Le Lycée n’est plus praticable en dehors du strict
conformisme que je suis bien incapable d’exercer parce qu’au bout du compte on
aboutit à la mort de l’âme de la même façon. Bruno Bettelheim a très bien
expliqué cela.
Au Restaurant, deux
femmes du monde médiatique qui se prennent pour les têtes artistiques et
expliquent qu’Une Telle a été nommée Conseillère Culturelle
à l’Elysée en remplacement d’Un Tel
nommé lui même à la Cour des Comptes. … Si je comprends bien – là aussi - c’est
comme dans le film Il Posto, chaque fois qu’une place se
dégage, tout le monde monte d’un cran… Ce qui est d’ailleurs aussi le cas pour
moi-même qui espère le déplacement de mon armoire professionnelle dans le
renfoncement du couloir de la Salle des Professeurs !...
Et c’est de ce
milieu là qu’il faudrait attendre de la promotion littéraire… en faisant la
cour… et en acceptant au fil du temps des conditions de plus en plus
défavorables alors que mes idées ne cessent de se répandre depuis quinze ans
ainsi que l’Histoire elle-même de plus en plus prégnante, de me donner raison.
Je me demande comment je vais tenir cette bagarre qui s’intensifie sur tous les
fronts.
On me dit avoir vu
Rue de Sèvres, une quinzaine d’Allemands qui criaient HEIL HITLER en levant le
bras et en apostrophant les passants. On croit rêver mais on sait qu’on ne rêve
pas. La Télévision comme une chape de plomb diffusant des
anti-informations : des accidents de voiture, la sécheresse, les avions -
à répétition - et sur toutes les chaînes… Une espèce de machine à tuer qui
décérèbre. Tout mon effort employé à la refouler comme l’essence même de la
contamination. Révisionnisme télévisuel de l’il
n’y a pas, alors que l’Europe est en proie à un antisémitisme grandissant,
au chaos économique et à l’impuissance politique.
Une météo déchaînée,
des orages anormaux. Une sécheresse qui commence trop tôt dans l’année. Le
troisième hiver qui n’a pas eu lieu… On n’a plus tellement envie de rire. Les
eaux sont à la limite de non potabilité dans plusieurs départements dont Paris.
Empoisonnement de nous-mêmes par nous-mêmes. Sans compter le nitrate qui rend
impuissant.
L’Allemagne profite
de ce jour hautement symbolique pour proclamer qu’au-delà de sa réunification
de fait, elle entend n’appartenir à aucune alliance et être une nation
totalement souveraine. Cela est en soi admissible mais le fait que les autres
nations fassent comme si de rien n’était et qu’on progresse dans la
construction de la CEE à l’identique en dépit de tout ce qui est arrivé depuis
Novembre, fait quand même un drôle d’effet. Plus les périls menacent, et plus
le discours est Tout va bien, on contrôle
tout. Faites nous confiance !
Conversation le neuf
Mai avec Chantalle sur la météo et le manque d’eau. Comme elle a, elle aussi
remarqué à quel point on était dans l’été avec plusieurs mois d’avance, je lui
mets l’ensemble en forme: Le printemps en
Février, l’été en Mai, et en Août… C’est là qu’elle me répond
tranquillement Le Feu ! Je pense
aussitôt à Claude Lanzmann qui dans son film intervient pour la première fois
comme l’autre lui dit Les flammes
montaient jusqu’au ciel par cette question Jusqu’au ciel ? mais pour la protéger – car elle m’aurait crue - je n’en dis rien.
Dans le métro, un
jeune homme sort précautionneusement Le
Monde des Livres de la semaine
passée, le déplie, l’installe sur sa mallette et se met à lire. De mon côté
j’écris dans ce cahier. Nous roulons de longues stations. Il me fait un
sourire. Deux types à côté de moi - la cinquantaine - se plaignent de la
chaleur et l’un des deux demande d’une voix à la fois ordinaire et grave Comment ça se fait qu’il fait si
chaud ? L’autre essaie de lui expliquer qu’il ne fait pas plus chaud
que d’habitude et moi de répondre C’est
l’effet de serre ! Ils descendent à la station, le jeune lecteur
également. Nous nous sourions. Moment de bonheur parfait.
Décidemment je ne
parviens pas à suivre car j’écris presque toujours sur la veille alors qu’il se
passe le jour même des choses terribles. Ainsi concernant hier, la publication
de la liste des membres de la Commissions d’Admission dans les Sections
Supérieures du Lycée. Bien entendu je n’y suis pas, exclue depuis cinq ou six
ans pour mes positions professionnelles. Je m’y attendais mais cela me fait
quand même mal. Quant à l’expression L’équipe
pédagogique qui assistera le Chef d’établissement me fend le cœur. J’ai
beau savoir ce qu’elle contient de mensonges, c’est comme Juquin lorsqu’il a
été exclu du Parti Communiste alors qu’il s’y attendait pourtant et qu’il s’est
mis à crier et presque à hurler. Je prends à partie tous ceux qui sont là comme
témoins de mon exclusion publique du Corps Enseignant, leur disant que je
n’aimerais pas être à leur place et comme c’est l’heure d’aller en classe
j’ajoute que je vais de ce pas, prévenir les élèves.
Ce que je fais, en
arrivant avec trois ou quatre listes polycopiées que je leur distribue. Ils
sont d’ailleurs au courant puisqu’on en parle depuis un moment, au fur et à
mesure qu’on remplit leurs dossiers de candidature. Je leur répète la phrase
que je répète ces temps derniers à droite et à gauche comme un viatique : QUAND UNE SOCIETE DEVIENT FASCISTE, C’EST UN
HONNEUR D’EN ËTRE EXCLUE ! Mais je suis de plus en plus bouleversée,
grossière et ne me contrôle plus.
A la photocopieuse,
pendant que je vais chercher du papier pour continuer mon tirage en cours, A me
prend la place en retirant mes feuilles. Je remonte et lui dis tranquillement Ici il n’y a que deux anarchistes, toi et
moi… alors… Il comprend et me dit de lui-même Pourquoi tu me dis ça ? A cause de ce que fais ? Et il
s’excuse. Nous échangeons quelques phrases sur la situation. Aujourd’hui, lui
qui n’est pas particulièrement bien mis de sa personne arbore une chemise et un
pantalon noir impeccables. Je lui fais compliment de son élégance et d’une certaine
façon, nous sommes heureux.
Aujourd’hui Jeudi,
je sèche quatre heures de cours. Record battu ! Deux la veille et quatre
en tout la semaine dernière. Au total dix en quinze jours ! Je ne sais pas
trop pourquoi je fais cela, mais C’EST ! Parce que ces cours sont inutiles
et ne sont que de la destruction. Par révolte ! Par indifférence !
Par faiblesse ! Par peur ! Par force ! Par action
politique ! Parce que c’est nécessaire. Tout cela reste à élucider. En
attendant, c’est !
Dans la Classe de TG
2/2 on fait ensemble des moyennes qu’on affecte de coefficients comme je l’ai
proposé pour que l’effet du Bac Blanc, s’estompe. Il n’est plus possible de se
laisser ainsi discriminer sans se défendre. En vingt deux ans de carrière, je
n’ai jamais eu de si bons élèves et les Collègues les saqueraient pour
m’atteindre à travers eux ? Même chose dans les propos du Collègue Chadli
qui commence à entrevoir de quoi il s’agit. Quand on sait qui enseigne dans ces
classes là, Arabes, Antillais, Asiatiques et féministes et que le lobby
comptable est constitué de brutes sans culture….
Les Elèves acceptent
de participer à la formule en s’essayant à peu près à la Justice et à la
Démocratie. Et à la lutte antifasciste, leur dis je car c’est d’une certaine
façon leur peau que je défends et la mienne. A la fin du cours, ils me
demandent la différence entre nazisme et fascisme. J’explique que Mussolini n’a
pas tourmenté les Juifs mais que Laval a fait déporter les enfants que les
Allemands ne demandaient pas. Je leur dis qu’ils ont eux et moi, tout à
craindre de cette France là.
A Onze heures, par
la porte ouverte sur le couloir, je vois passer les Elèves de Techniciens
Supérieurs que j’ai laissé tomber le matin même. Ils me montrent un peu les
crocs sur le thème On vous attendu à 8 heures !
Je ricane de l’intérieur de la classe en disant C’est désolant tout en continuant mon cours. Je ne vais pas leur
parler dans le couloir, et eux de leur côté n’osent heureusement pas entrer
dans la pièce. Les Elèves de terminales avec lesquels je suis, les regardent
d’un air supérieur et méprisant… Du confort moral de ceux qui ont été choisis.
D’une certaine façon, puisque les Elèves choisissent les Professeurs en
pratiquant un enseignement à la carte, pourquoi les Professeurs ne choisiraient
ils pas leurs Elèves de la même façon ? C’est une manière comme une autre
de retrouver la dignité en rétablissant une égalité ontologique qui s’est
rompue de façon insupportable, en nous transformant en laquais.
A Quatorze heures,
en Salle des Professeurs, Courouble remplit des dossiers d’admission en BTS
lorsqu’arrive Ficquemont. Ils parlent des admissions dans les sections
supérieures parce qu’il est lui, membre de la Commission de Sélection. Je lui
dis : Cette année vous essayerez de
prendre quelques Arabes et quelques Noirs, il y en a en Terminales, et il n’y
en plus en BTS, ça manque !... Je m’enfuis de l’Etablissement en
séchant les deux heures de l’après-midi.
A Dix sept heures,
on apprend à la Radio qu’à Carpentras, trente quatre tombes juives ont été profanées,
un mort exhumé, vidé de son cercueil et empalé sur un parasol, nous dit
on ! On apprend également que dans la nuit de Mardi à Mercredi les
vitrines d’Avignon ont été recouvertes de graphitage antisémite. J’écris
immédiatement au CRIF pour leur dire que je ne suis pas étonnée, étant donné la
situation au lycée.
J’éprouve une sorte
de haine sociale pour certains arrivés de la Nomenclature ou pour la Bourgeoisie
qui nous a amenés là et qui se disqualifie dans les médias. Pour le gros du
troupeau, je m’efforce à la compassion pour ne pas perdre mon âme dans la
détestation et l’amertume. J’y arrive assez bien !
La grâce du
cancer : Avoir connu le plus dur, avant le plus dur !
A France Culture, à
l’émission Ecoute Israël, les
intervenants reviennent sur celle de L’heure
de vérité Mercredi dernier, lors
de laquelle Le Pen a dit qu’il y avait trop
de Juifs dans la Presse, comme il y a beaucoup de Bretons dans la Marine et de
Corses dans les Douanes ainsi que sur les suites de l’Affaire de
Carpentras. Le journaliste invité dit Trop
de Juifs dans la Presse, c’est comme de dire qu’il y a trop de curés à Lourdes.
Cette comparaison est terrible et émouvante.
Vendredi et Samedi
manifestations dans un sens ou dans un autre dans tous les coins du pays.
Dimanche : Tout le monde à Carpentras ! Joxe en costume noir et
chapeau, beau comme on ne l’a jamais vu et comme il ne déparerait pas un chef
d’œuvre du cinéma à la Française… Pendant
que tout le monde se montre à Carpentras…. Manifestation de l’Extrême Droite à
Centre Ville sur le thème de Jeanne d’Arc… Banderole déployée sur Notre-Dame
etc…
Déjà hier j’avais
l’impression que ce n’était pas le coup juste de se ruer à Carpentras mais
aujourd’hui j’ai vraiment l’impression d’une manipulation selon un plan
concerté dont la déstabilisation de mes classes durant tout l’hiver n’aurait
été que les prémices. Non que je ne sois pas comme le reste du pays traumatisée
par ce qui vient d’arriver mais il me semble qu’ils se font mener en bateau au
sens où Le Pen les amène là où il veut. Ils sont intégralement à sa remorque,
on dirait en termes de boxe ou de lutte qu’il
les ballade.
Tout cela sent le
plan concerté comme si cette sodomie de cadavre avait pour but de paralyser la
population en la plongeant dans une torpeur régressive anale de soumission
infantile. De toutes façons ce qui me frappe chez Le Pen depuis plusieurs mois,
c’est son intelligence des situations et son labourage hors pair de la société
française. Je me fais depuis quelques temps la réflexion qu’il doit avoir un
brain-trust du tonnerre. Et pourquoi pas des ethno-psychanalystes
capables d’avoir conseillé cette action là pour dominer la population ?
Le Centre Pompidou a
ouvert des registres dans le hall pour que les gens expriment leur indignation…
Ce que je fais en trois longues pages qui expliquent la cohérence de ce marasme
depuis la Libération….
L’après-midi au
Premier Salon de la Revue où je noue des contacts inattendus.
On rentre par la Pyramide
du Louvre qu’on n’avait pas encore visitée. Je la trouve splendide mais suis un
peu gênée de découvrir le point commun avec le Forum, une certaine tendance à
enterrer les gens, comme si la surface allait être réservée à la Nomenclature
cybernétique comme ce fut le cas pendant les Fêtes du Bicentenaire où la ville fut
pratiquement interdite.
Dans la semaine
aussi des choses insupportables. Jacques Attali nommé Président de la Banque
Européenne créée pour lui sur mesure. Le Festival de Cannes ouvert le jour même
de Carpentras… Quelque chose d’intolérable dans la poursuite de cette
manifestation. Seul Elie Wiesel a levé le camp.
Hier aux Halles,
discussion de fond avec des Etudiants Contestataires. J’argumente bien pied à
pied pour leur faire préciser leurs positions sur certains points. Tout ce que
je pense de l’Economie Distributive qui se met en place me
parait se confirmer. Il ne s’agit plus aucunement d’être Citoyen mais d’obtenir
une plus grande part de la manne par
l’action de rue. La CITE n’a pas de sens pour eux
A la Librairie
Flammarion comme un client s’avance pour payer un guide Michelin d’Autriche, le
vendeur fait le salut hitlérien sans qu’on puisse savoir exactement ce qu’il
veut dire. Comme il ajoute qu’il n’en peut plus et qu’il a besoin de prendre
l’air, je lui confirme que cela se voit. S’engage alors une conversation
cryptée et ésotérique où je lui dis qu’étant libraire il doit tenir son poste
de librairie et empêcher que l’inondation passe par la brèche qu’il aurait laissé
ouverte. Je ne sais pas s’il m’a compris mais il fut très impressionné.
Quimper couvert d’Etoiles Juives sur les magasins qui vendent les confections fabriquées dans
le Quartier du Sentier.
Dans toute l’Europe,
des tombes profanées, en Allemagne mais aussi en Israël et dans le Maghreb. On
se demande ce que cela signifie. L’intuition que ce n’est pas seulement de
l’antisémitisme mais quelque de plus profond pourrait on dire dans la mesure où
le nazisme me parait lui-même une forme historique et politique plus
particulière de quelque chose de plus vaste. Cette Totalnité que je cherche depuis des années à cerner et qui pourrait
bien être le Révisionnisme. Au sens
que je ne saurais pas encore complètement définir mais dont j’aurais déjà
l’intuition.
L’Hôpital serait
déjà révisionniste au sens où les
bilans seraient les révisions
périodiques de la machine humaine. Ma mère serait révisionniste au sens d’une nouvelle vision de l’Histoire et ce
révisionnisme s’appliquerait accessoirement à la réécriture de l’Histoire - et
notamment de la Shoah – mais si j’ose dire, accessoirement !
Ce révisionnisme aurait à voir bien sûr avec l’ère visuelle de la Télévision et
l’hystérie publicitaire. Voir à ce sujet mon texte : En son ventre
cybernétique. Timisoara en serait
une sorte de paradigme comme la possibilité de faire surgir une nouvelle vision
et plus globalement cette fausse Révolution Roumaine fabriquée de toutes pièces
avec des images qui sont de pure hallucination dans la mesure où cette
révolution n’a jamais existé. Le révisionnisme, c’est le remplacement de la
réalité par une fiction visuelle décrétée.
Le Lycée est désert,
on se demande où sont passés les Professeurs. Pas un mot bien sûr sur la
situation, sauf avec la jeunette Collègue de Philosophie, pleine de bonne
volonté mais pas très maligne. Elle essaie de m’expliquer qu’il faut aller à la
manifestation. J’explique que je n’ai rien contre mais que je combats tous les
jours au Lycée et que c’est sa désagrégation ainsi que celle de la société dans
son ensemble qui est la cause de tout cela…
Un graphitage dans
le métro Télévision enjuivée !
Le soir, la
manifestation est ambiguë. La Télévision nous dit que
c’est parfaitement réussi, la classe politique est réconciliée dans un front
antifasciste etc… et parle même curieusement d’acte de contrition continuant à nous engluer dans une Théonomie qui ne cesse de s’étendre en
supplantant le politique depuis longtemps déserté. D’ailleurs dans l’autobus la
panique m’a prise devant la prolifération ostentatoire des croix que les gens
arborent de plus en plus agressivement sur leurs pectoraux.
J’ai commencé à
réaliser qu’il y avait là le marquage des nouvelles biomasses et ai été prise
d’angoisse à l’idée que je ne pouvais appartenir à aucune, cette impossibilité
me désignant potentiellement comme la victime de tous. M’en ouvrant à mon
meilleur ami, il me répondit qu’on porterait des petits mickeys et que
cela paraîtrait parfaitement normal.
Mais les images de
la Télévision montraient tout autre chose. Mitterrand et ses Ministres perdus
au milieu d’une foule à cinquante pour cent hostile et qui surtout ne les
laissait ni passer ni prendre la tête du cortège, les engluant sur place dans
une masse compacte et solidaire au sens de solide et d’absence d’écoulement.
Article
hagiographique dans Le Monde. Cette
cohue immobilisante ne m’a pas parue aussi bon enfant qu’on aurait pu le
croire. Aucune allusion à ce phénomène nouveau non identifié. Comment savoir
s’il s’agit d’un désordre résultant de l’effritement des institutions et des
structures, d’une nouvelle forme de manifestation plus souple et décontractée
ou au contraire de quelque chose d’hostile qui n’a pas encore réussi à dire son
nom ? Je l’avais déjà perçu lors des manifestations de 1986 dans
lesquelles le silence et l’agglomération indistincte tentaient de digérer tout
ce qui passait à leur portée Ai-je rêvé ces manifestants groupés déjà Place de
la Bastille et empêchant toute progression ? Annulant finalement la Classe
Politique et jusqu’au Président de la République… incongru dans une
manifestation. On est partagé entre le contentement de les voir ainsi mouchés
et humiliés par la foule et l’inquiétude car nous savons trop ce qui va sortir
de ce discrédit.
D’ailleurs le soir
même, on apprend la profanation du Cimetière de Clichy-Sous-Bois, en Suède
également et… jusqu’en Pologne, celle des catholiques ! Bref, toute
l’Europe viole ses tombes. Je crois savoir pourquoi. Je me tiens à l’écart de
ce maelstrom.
Dès cinq heures du
matin, je sais par la radio les profanations de la nuit, cette fois à Périgueux
et de surcroît qu’une Enseignante qui avait fait un cours antiraciste a été
rouée de coups et expédiée à l’Hôpital. On l’interroge. Je m’étonne seulement
que le journaliste dise qu’on l’a traité de Sale
Juive ! Sale Arabe !
Je regarde ensuite
au magnétoscope le débat de la veille sur – prétendument - la liberté
d’opinion, terrifiée de voir à quel point tout cela est une rhétorique de salon,
académique et coupée de la réalité. Par ailleurs je constate que contrairement
à mes espérances, c’est inutilisable pour les Elèves. Comme le film De Nuremberg à Nuremberg comme Nuit et brouillard et pour la même raison. A savoir qu’ils n’ont aucune des
grilles qui permettraient d’en tirer quoi que ce soit.
Lapsus de Lionel
Jospin répétant de travers la phrase prononcée par Le Pen Il y a trop de journalistes dans la Presse !...
Prise de bec au
Marché. Les Poissonniers s’installent. Le patron tient publiquement des propos
orduriers sur l’entrecuisse et les gluances amoureuses d’une petite jeunette
qui installe les caisses avec eux. Celle-ci me regarde souriante et terrifiée,
terrifiante aussi comme victime expiatoire désignée d’un viol public. J’interviens
pour moucher le patron, avant de me faire grossièrement renvoyée à mon ménage
dans le style Retourne dans ton
douar ! Le vendeur voisin, un asiatique qui a assisté à la scène en
souriant, me donne gratuitement trois kiwis supplémentaires. J’en ai de la reconnaissance.
Lycée pénible. On
rigole avec le Collègue Chadli sur le thème Au
moins on tient la salle des Profs !... soudant ainsi une collusion de
plus en plus nette. Le fait est que les gens n’osent plus y rester. Par
absentéisme et par désertion d’une façon générale mais aussi parce que j’y fais
régner un tel climat d’intimidation qu’ils choisissent plutôt la fuite qu’un
combat qu’aucun n’ose affronter seul(e). Je prends cela pour un hommage. J’ai
beau être très menacée, c’est tout de même moi qui tiens le haut du
pavé !... Et dans l’idée qu’on tient la salle des Profs, il y a sous
jacente, celle qu’on pourrait conquérir ou reconquérir d’autres positions….
Sans doute cette explication me donne-t-elle courage car je passe à tabac
moralement deux Collègues qui m’ont maltraitée tout l’hiver. Ils
s’enfuient ! J’en suis médusée et contente de me découvrir une force plus
importante que ce que je pensais.
Etonnée, je remarque
aussi l’obséquiosité du Censeur, ce qui n’est pas du tout son attitude
habituelle à mon égard plutôt perverse. Je comprends le sens de tout cela en
rentrant. Il y a bien sûr une demi-douzaine de nouvelles profanations mais
surtout un soutien tellement massif à l’Enseignante qui a été tabassée qu’on se
prend à espérer un tournant dans cette bataille.
Est-ce le L’espoir changea de camp, le combat changea
d’âme ? Non seulement Jospin apporte son soutien sans équivoque à
l’Enseignante mais envoie le Recteur dans la Classe en remplacement du
Professeur ! Enfin un acte symbolique et sacré dont nous pouvons être fiers. Soutien également de la Proviseure et du SNES, ce
dont on ne revient pas.
La question des
Enseignants Révisionnistes reste en suspens… Jospin et le Conseil de
l’Université Lyonnaise où ils sévissent se renvoient la balle, chacun essayant
de faire prendre à l’autre, la responsabilité de l’exclusion, englués qu’ils
sont les uns et les autres dans la problématique de la liberté d’expression,
coincés par la logique du tiers exclu. Incapables en fait de proclamer qu’il
est à la fois indispensable d’affirmer la liberté absolue d’expression et dans
le même temps celle du devoir d’enfreindre ce principe lorsque quelque chose de
plus important est en jeu ce qui est là, le cas. Nous crevons de l’aliénation
grecque et latine. Claude Lanzmann dit La
destruction du judaïsme de l’Europe de l’Est, c’est comme la destruction d’une
forêt, elle a modifié le climat à des kilomètres à la ronde ! C’est
tout à fait cela ! On s’est ainsi privé de la pensée en mouvement, la chaïque contradictoire du troisième
terme non exclu comme l’approche la formule Un
juif, deux synagogue qui dit quelque chose de ma propre philosophie de la contrairation !
L’affaire de
Carpentras a ouvert les vannes, il y a seulement huit jours et la société
française en est bouleversée au sens propre. Les médias sont toutes entières
occupées par des débats, sondages, propagande etc… qui sous couvert de dénoncer
l’antisémitisme, le propage. Je suis terrifiée de cette espèce de nouveau
consensus et de la réaction unanime de la classe politique à la fois faisant
front contre l’antisémitisme et n’hésitant pas à aggraver son racisme
anti-africain. Les deux poids deux mesures ajoutent à la confusion et
alimentent les dérives. Cela est il dû au fait qu’il n’y a dans la classe
médiatico-politique ni Noirs, ni Arabes ? On est gêné de tous ces
constats…
Hier en classe de
Terminale Comptable, comme j’expliquais les Socialistes Utopiques, le Mouvement
Alternatif et les Soixante-huitards, les élèves se sont carrément moqués de moi
sur le thème des babas-cool qui fument.
C’était du délire. La Classe trépignait, alors que fortement basanés, ils sont
aussi menacés que moi par Le Pen. Je leur ai expliqué ce que signifiait ce
courant politique par rapport à la lutte anti fasciste et qu’ils avaient tort
de le prendre ainsi. Mais rien n’y a fait. J’ai été obligée de leur dire que de
me faire traiter de baba cool, c’était
pour moi l’équivalent de pour eux se faire traiter de crouilles ou de bougnoules. Ils
ont alors fini par comprendre mais j’ai été choquée de devoir en arriver là…
Vendredi après deux
ans d’efforts, je réussis enfin à obtenir le déménagement de mon armoire… à
condition encore de pousser vigoureusement les deux hommes de peine du Lycée
avec qui j’avais pourtant rendez vous dans ce but… Ils ne comprenaient pas
vraiment que j’ose leur demander ce qui leur apparaissait à eux comme un
service inouï et non l’une des activités de leur travail salarié normal…
Dans la Salle des
Professeurs, l’ambiance a changé. Il y a une authentique conversation publique.
Une jeune Collègue demande qu’on lui explique la Guerre d’Algérie, ce que je
fais avec Chadli, le Collègue arabe. La jeune Collègue nous dit qu’il n’y a pas
de Noirs à la Sorbonne et que tous les Professeurs de Philosophie Politique
sont d’Extrême Droite. Je mesure sur elle les ravages de la propagande des
Octantes et l’absence de transmission culturelle réelle. Elle a, en fait de formation universitaire plutôt subie un formatage révisionniste avant la lettre. Rien sur les événements d’Algérie
mais tout aussi bien sur tout le climat politico culturel de l’après guerre, et
un salmigondis de dénonciation de Jean Paul Sartre comme ayant couvert les
crimes du stalinisme. Je mets les pendules à l’heure en lui disant ce qu’il a
représenté pour comme maître à penser de notre Génération en donnant à chacun
avec l’existentialisme la possibilité de penser par soi même et de devenir un
intellectuel, sans que personne ne l’ait jamais pris pour un leader politique.
J’ajoute que personne n’ignorait les camps ni les Staliniens puisqu’on
s’affrontait à eux tous les jours dans les facultés. Lui disant que je suis le
produit de cette influence sartrienne je lui dis que je découvre en parlant
avec elle qu’on lui a vendu un Sartre soumis à révision dont on attaque la ligne politique (sans intérêt) pour mieux le
déboulonner en tant qu’encouragement au libertarisme.
Avec Chantalle nous
poursuivons nos échanges habituels. De fil en aiguille il nous apparaît
également que nous avions pris possession de grands et beaux appartements à une
époque plus favorable et que nous n’avons plus nécessairement les moyens de les
entretenir.
Je me remémore alors
les appartements de Lima dont la bourgeoisie locale n’a plus les moyens de
payer les réparations de plomberie et suis sidérée de m’entendre dire - tout en
en étant soulagée - qu’il y a maintenant un phénomène de décapitalisation
ménagère d’autant plus angoissante que le gaspillage n’en est plus supportable
face à notre propre épuisement. J’ajoute dans la même conversation que ces
grandes pièces de réception n’ont plus de raisons d’être, les amis étant morts, suicidés ou devenus
fascistes et que c’est épuisant d’entretenir un appartement finalement
au-dessus de nos besoins. Nous mesurons alors que le délitement du tissu
social a accompagné l’effondrement économique et culturel de notre groupe.
Au Parc de la
Sauvage. L’effort pour fabriquer à froid des photographies privées de sens, à proprement
parlé, absurdes. Pour ensuite pouvoir écrire dessus. Une nouvelle façon de
faire. L’épisode de la Sauvage, central dans la trilogie sur laquelle je
travaille en ce moment comme le lieu où s’effectue l’intégration de la matière
animale. Tout cela concernant mon livre Ton nom de végétal.
On fait passer le
BTS nouveau régime. La première épreuve est une authentique synthèse qui
pourrait se résumer par demander aux Elèves, pourquoi et comment a augmenté le
taux de pressurisation du capital humain, la variante en étant - au bout de dix
ans de mitterrandisme - d’en expliquer la finalité pour l’Entreprise et pour
l’Etat.
J’apprends également
ce jour que nos chers Elèves de deuxième année de BTS - les deux classes
confondues - ont volé les logiciels des ordinateurs, les rendant ainsi
impropres à l’utilisation, sans aucun égard pour leurs condisciples de Première
Année. Le fait est qu’ils ont de qui tenir et que l’exemple vient de
haut !... Le pénible dans cette affaire n’est pas tant le vol que le refus
du Lycée de porter plainte ainsi que la rigolade des Elèves se moquant de nous
parce que le Censeur n’osait pas employer le mot VOL et que c’est moi qui l’ai
prononcé. Un rire de mauvais augure. Obscène et cynique.
La seule nouvelle
gaie est celle du départ de la Proviseure. Il est exclu que je donne le moindre
sous à la traditionnelle collecte ou que je participe à la Cérémonie
d’Adieu !
Les Réfugiés
Roumains Tsiganes arrivent maintenant en Allemagne au rythme de trois à quatre
cents par jour.
Embrasement de la
Palestine après l’assassinat de huit ouvriers palestiniens par un jeune
israélien déséquilibré.
A Saint Germain des
Prés. Je ne rentre même plus dans les boutiques. Je n’ai comme cela plus
l’occasion de m’apercevoir que cela est devenu trop cher pour moi. J’ai
tendance pour des raisons diverses à inventer des installations aux
confins : Montagne Sainte-Geneviève. Denfert-Rochereau, Carrefour du Bac…
Une périphérie excentrée, un encerclement, le siège d’une place à investir. Des
postes frontières installés pour surveiller
Veilleur où en est la nuit ?
Dès qu’on est en
relation avec quelqu’un ou quelque chose on est immédiatement pris dans la
pétrification/immobilisation. La situation sociale est plus forte que nous au
point de se demander ce qu’il en est de l’individu et si c’était la même chose
dans les Septantes de telle sorte que nous n’aurions été dans un sens comme
dans l’autre que le produit des mouvements de l’époque. Il est sûr que c’est
déjà le cas pour mon œuvre intellectuelle et littéraire, mais cette analyse
peut peut-être aussi s’étendre à la vie quotidienne y compris domestique.
Concernant le cadeau
de départ à la retraite de la Proviseure, mes Collègues ne comprennent pas que
je porte sur son incurie un jugement politique dans la mesure où son absence de
conscience professionnelle a amené les classes dans l’état où elles sont, nous
abandonnant, les Elèves et nous à notre naufrage. Cela rejoint un peu la
problématique de la débâche de 1940. Le refus de poser la question de
l’incompétence est politique ou plutôt antipolitique
au sens d’a-civique. C’est le refus
d’être citoyen ! L’irresponsabilité est devenue une norme, un refus
d’être, en fin de compte l’état fœtal. C’est là le germe du
totalitarisme qu’on sent bien s’insinuer partout.
Mardi soir à la
Télévision La Marche du Siècle a pour
thème l’antisémitisme. Parmi les invités, un rescapé d’Auschwitz qui raconte
deux ou trois choses comme cela, les sélections, les galoches en bois, limitant
ses explications pour ne pas déborder de son temps de parole. L’animateur
veille à ce que tout se passe bien. Profond malaise qui s’épaissit encore comme
il annonce qu’on va voir la première demi heure du film SHOAH de Claude Lanzmann le réalisateur qui interviendra en direct
de Tel-Aviv ! Il dit que le film va ressortir bientôt, mais n’explique pas
qu’il dure neuf heures et qu’il y a travaillé pendant onze ans.
Mercredi dans l’un
des passages couverts des Boulevards, j’achète pour trente Francs Vingt mois
à Auschwitz publié en 1945. Prétendument selon la notice, le premier des
récits, ce qu’il faudrait vérifier. La femme (26 ans) me dit que cela doit être
difficile. Je le lui confirme. Elle enchaîne en disant qu’elle travaille sur le
bagne et que c’est dur aussi !
Je reprends qu’il n’y a aucun rapport et cherchant à être efficace je lui résume qu’on ne va pas au bagne en fam