EFFERVESCENCE ARTISTIQUE CONSTRUCTIVISTE AU LYCEE HONORE DE BALZAC PARIS 17e

 1974/75

 

 

Chacun sait que le grisou est un gaz formé de méthane, d’anhydride carbonique et d’azote et qui se dégage spontanément dans certaines mines de charbon. Il explose au contact de l’air, provoquant de dangereux dégâts dénommés Coup de grisou dont se souviennent les victimes des cités ouvrières.

On sait moins qu’à Paris à la Porte de Clichy, le Lycée Honoré de Balzac, vaste établissement construit entre les Boulevards des Maréchaux et le Périphérique a été au milieu des Septantes du XXe siècle, fortement agité d’expériences artistiques à l’initiative de quelques collègues dont l’auteure de cet article.

Le contexte marqué par l’onde de choc de la diffusion des idées nouvelles, consécutives elles-mêmes au progrès technique et à la prospérité en résultant – légitime revendication d’une amélioration matérielle pour les uns, accès à l’autonomie pour les autres – se heurtant à un ordre social rigide, est plus connu des historiens dont c’est la spécialité que du Grand Public qui a toujours tendance à croire que tout a toujours été comme cela est et le sera toujours.

Si la Chronique a retenu comme fleuron du mouvement, l’expérience coopérative des ouvriers de Lip qui à Besançon, n’acceptant pas la faillite de leur entreprise et soutenus par le syndicalisme chrétien se mirent à fabriquer pour leur compte des montres qu’en 1973, la France entière s’arrachait, il n’en a pas été de même des tentatives d’un groupe de femmes pour rénover les pratiques pédagogiques, tentatives professionnelles que cet article pour raison pratique laisse de côté.

En cela elles ne faisaient rien d’autre que de participer à un mouvement qui traversait les divers secteurs de la société et que nombreux furent les appareils politiques à tenter de diriger, laissant pour compte tout ce et ceux qui n’entraient pas dans leurs représentations figées et projets préétablis en vertu d’une idéologie constituée qu’ils voulaient mettre en œuvre, ou plus crûment d’une volonté carriériste qui a triomphé et s’est dévoilée par la suite.

La spécificité de cette action fut assurément non l’accompagnement artistique comme un loisir ou un supplément d’âme – statut habituel de la culture dans notre société - mais tout au contraire l’instauration d’un soubassement artistique comme démarche fondamentale.

Le coup d’envoi de cette campagne qui relevait plutôt du poélitique - selon le terme inventé par Madeleine Gagnon au Québec pour nommer l’alliance de la politique et de la poésie - a été en 1974 à l’initiative de l’auteure de ce texte et d’une de ses collègues, une vaste exposition au sein même de leur établissement, manifestation au sens fort, voire même épiphanie lors de laquelle tous les usagers du lieu, élèves et professeurs réunis pouvaient sans aucune sélection, donner à voir leurs œuvres plastiques.

Cela n’a pas été de soi et pour en arriver là, il fallut d’abord réussir à se débarrasser de ceux qui se prétendaient spécialistes et/ou persistaient à vouloir contrôler, en dépit de l’affirmation là d’un pas de côté. Celui-ci était apparu obligatoire en raison du fait que l’Institution de l’Education Nationaliste - attentiste - s’était avérée incapable d’apporter une réponse satisfaisante aux revendications nouvelles.

Le recul de l’Histoire permet de noter quarante ans après que faute d’avoir été prises en compte, sous les coups de boutoir de la modernité amenant elle-même la mondialisation – sinon la globalisation – ces revendications non seulement non satisfaites mais pas même prises en compte ont fini par désagréger l’ensemble de la société. C’est d’ailleurs ce constat qui a poussé au témoignage baroque de ce texte.

Outre l’un de ses tableaux personnels, l’auteure de cet article, montra lors de la dite Exposition, le fameux Psychomètre Balzacien construit avec l’autre femme à l’origine de la manifestation. D’un peu moins d’un mètre de côté, sur fond orange il permettait au moyen d’une grosse aiguille noire tournant sur un axe, d’indiquer par des graduations dérisoires disposées en demi-cercle, l’ambiance du Lycée avec toutes les nuances de la langue de bois, des directives pédagogiques en cours et des impasses structurelles.

Exprimant par essence, à la fois l’instabilité des choses, leurs mouvements et même la possibilité et la nécessité de la subjectivité à côté de l’objectivité – puisque chaque spectateur pouvait manipuler l’aiguille à son gré, il dénonçait ainsi par le moyen de l’Art, une réalité qui échappait volontairement ou non aussi bien aux différents éléments de l’Institution que des syndicats et autres groupuscules dogmatiques.

L’Exposition fut un grand succès au point que bien que lui-même mis en boîte, le Proviseur joua le jeu et encaissa mi-figue mi-raisin, cette dérision, engageant ainsi malgré lui un débat qu’il avait pourtant empêché de se tenir dans les termes traditionnels.

Dans cette même perspective et dans le même temps – l’année 1974 - en suivant les mêmes règles d’ouvrir le groupe à tous les usagers sans sélection ni hiérarchie, l’innovation fut tentée avec plusieurs autres d’étendre le dispositif à un groupe d’improvisation théâtrale qui ne fonctionna pas.

Il ne s’agissait pas - comme c’était banal dans les établissements - de faire jouer aux élèves du Groupe Théâtre, une pièce du répertoire, ni non plus de faire venir sous la houlette du Professeur de Français, un animateur rémunéré envoyé par le Ministère de la Culture, professionnel patenté et agréé par lui qui allait faire faire du théâtre aux jeunes dans l’espoir de les sensibiliser aux beautés de la littérature, rendue ainsi plus vivante par ce truchement utilisé alors comme un artifice.

Il s’agissait de prendre ses affaires en main, de revenir sur des spécialisations contestables et de substituer sa propre production au répertoire en vigueur. Non pas parce qu’on l’aurait trouvé désuet, sans intérêt ni utilité comme c’est le cas aujourd’hui pour les propagandistes de la liquidation généralisée, mais au contraire parce que l’ayant tout à fait intégré, cette assimilation culturelle donnait les moyens de se croire légitime voire dans l’obligation de lui emboîter le pas.

Outre le fait que de prétendus spécialistes de la question théâtrale adeptes des règles en vigueur cherchaient à dominer l’atelier - le corps et la parole étant alors en cause – cette tentative théâtrale fut un échec car l’Institution dans laquelle elle se situait ne pouvait pas du coup comme cela avait été le cas lors de l’Exposition des œuvres plastiques, être transcendée.

On avait buté là sur un mur. Celui des choses telles qu’elles étaient. Il fallait reprendre autrement. C’est ainsi qu’un quatuor féminin de collègues âgées de 25 à 38 ans, trois professeurs de Lettres et l’auteure de cet article enseignant l’Economie et le Droit, en 1975 l’année suivante, relancèrent autrement le projet théâtral, en décidant de limiter les participants à elles-mêmes.

Des séances d’improvisation eurent lieu dans une salle de classe du rez-de-chaussée, ouverte sur la cour, elle-même sur la ville pendant la pause de midi. Enregistrées au magnétophone, elles servirent de matériel pour l’écriture collective d’une petite pièce théâtrale dénommée Coup de Grisou. Carrément burlesque, celle-ci faisait apparaître le dysfonctionnement profond de l’Institution Scolaire et l’absence totale de réponse adéquate apportée par les syndicats.

Mettant en jeu la liberté des corps et de la parole, elle mettait surtout l’accent sur la situation d’enfermement et de mutilation des femmes enseignantes pour qui le féminisme était plus à l’époque une aspiration qu’une réalité, faute d’exemple et de structures affirmées comme telles. Il ne faut en effet pas perdre de vue que dans la génération concernée, les femmes intellectuelles n’avaient pas d’autres débouchés possibles que l’Enseignement, les artistes elles-mêmes étant encore des objets de scandale réputées folles et en tant que telles destinées à l’asile….

Ainsi cette pochade constitua-t-elle à elle seule une révolte, une dénonciation et le projet d’une affirmation politique qui ne laisserait pas de côté la corporelle quotidienneté, ses nécessaires aménagements, déménagements, ménage et agencements divers consubstantiels à la vie même, par essence mouvements chaotiques.

En elle-même cette mise en théâtre de la douleur professionnelle permettait de projeter enfin HORS DE SOI ce qui auparavant était EN SOI. S’établissait ainsi une présentification vicariant le défaut de représentation dont souffraient les protagonistes, autrement consignées et confinées dans le silence, la fusion et la confusion, génératrices de toutes sortes de troubles.

Mettant au sens quasiment propre la question sur le tapis, cette création théâtrale était en elle-même émancipatrice. Ainsi par cette action, ce quarteron de causeuses était-il en situation de se réapproprier sa propre parole en se débarrassant de l’aliénation qui lui aurait fait tenir des discours en fait inculqués par d’autres et à leur détriment.

On avait donc eu là affaire à une sorte de préalable à toute autre action politique au sens classique du terme, action qui aurait sans cela été condamnée. Réaffirmant l’existence et d’un JE et d’un NOUS, il s’est donc agi d’une simple surrection – pas même un néologisme - surrection non imaginée comme déjà effectivement politique au sens strict - ce qu’elle était pourtant et encore bien davantage à la lumière de l’évolution sociale.

Car si le terme surrection s’est imposé pour nommer l’opération, c’est que ce vocable est normalement utilisé pour les mouvements géologiques. Concernaient-ils là l’existence d’un continent noir dont Freud avait reconnu le caractère inexploré, hypothèse clarifiée avec ce que furent un moment les Etudes de la Femme avant d’être noyées dans de toutes autres problématiques dans lesquelles elles se sont dissoutes.

Cette surrection d’un JE et d’un NOUS est ce qui est rendu nécessaire et survient chaque fois que le monde précédent est caduc dans sa représentation parce que les conditions matérielles et les fonctionnements en ont profondément changé. Finalement il peut ne s’agir que d’une simple vision matérielle appliquée à l’art. Cette pochade burlesque disait là pleinement, qu’effectivement dans le monde tel qu’il se présentait, il était désormais impossible au sens strict de FAIRE LA CLASSE.

La forme suit la fonction dit l’un de ceux qui firent à Yale aux Etats Unis des études auprès de Serge Chermayeff, Richard Rogers concepteur du Centre Pompidou et du Palais de Justice de Bordeaux ou Norman Foster, inventeur de la coupole de verre du Reichtag comme du Viaduc de Millau hors sol au dessus des Causses, tous les deux praticiens de la modernité saisie non comme un dogme de la nécessité du changement pour le changement, mais comme l’aménagement de la réalité pour un mieux être dans le temps présent.

Ignorant tout de cela le quatuor pour ne pas dire le quartet constructiviste fit néanmoins à toute petite échelle ce que fit le colibri si on veut se référer à la légende amérindienne à la mode depuis qu’est visible le désastre écologique, ou à la Sobornost si on préfère invoquer le tiers toujours inclus de la pensée russe, les deux références n’étant non seulement pas incompatibles, mais quoique dans des domaines différents, plutôt semblables.

En termes plus traditionnels oserait-on dire qu’il s’est agi d’une opération d’objection de conscience, de dissidence au petit pied, ces deux notions renvoyant non à une volonté de voir disparaître les adversaires mais seulement l’espérance de leur retour vers un ordonnancement du monde permettant à chacun d’y trouver une place satisfaisante. Celle de participer à ce qu’on ne sait pas encore – faute de découvertes suffisantes - nommer la solidarité de la matière vivante, issue en fin de compte de la même matrice et bien décidée à ne rien laisser pour compte, initiant pour cela et en cela une totalité qui ne soit pas totalitaire. Une mondialité qui ne soit pas nécessairement globalitaire …

Car le décousu Coup de Grisou - sans qu’on l’ait pensé et voulu - exprimait par sa forme même le chaos dans lequel baignaient les classes… Chaos résultant de l’effort de chacun pour tenter d’advenir et de faire prendre en compte ce qu’on appellerait aujourd’hui son droit à la vie non mutilée. Laquelle pourrait trouver dans ces temps où tout se règle devant les tribunaux, à se fonder sur plusieurs articles de la Déclaration Universelle des droits de la personne de 1948 visant à généraliser le bien être, option sympathique sinon toujours réaliste et/ou suivie d’effets.

Si l’ordre logique repose sur un DONC dogmatique que tentait par tous les moyens l’Administration cogérée par les syndicats, d’imposer aux professeurs à leurs détriments comme à celui de leurs élèves, ce théâtre parvint par ses détours déjantés à faire prendre en compte le CAR, cette autre conjonction. Elle est en effet le vocable clé du mouvement même de la vie, puisqu’elle en révèle la complexité sans cesse renouvelée par l’apparition de nouveaux éléments que les dogmes préétablis n’ont pas pu prendre en compte.

Par l’intermédiaire d’un collègue, Coup de grisou fut invité à jouer à la Fête du PSU au Bourget/la Courneuve et y rencontrant un vif succès, sollicité pour rééditer le lendemain la même performance. Eu égard au bruit des avions, cela en était bien une de jouer ainsi en plein air avec, tout un arsenal d’ustensiles ménagers !

Le quatuor courageux mais non téméraire n’a néanmoins pas pris le risque de jouer au Lycée, bien conscient du fait que cette entreprise n’était pas aussi anodine qu’on pouvait le croire. Une salle a été louée au foyer des Jeunes Travailleurs du quartier. La pièce fut un succès aux yeux des collègues, amis, élèves et de leurs parents venus nombreux assister au spectacle et prodiguer des encouragements.

L’un d’eux qui y avait des accointances proposa même de venir la jouer à la traditionnelle Fête de l’Humanité après les vacances scolaires. Les actrices refusèrent au motif qu’elles trouvèrent cela trop institutionnel et qu’elles ne voulaient pas - selon la terminologie en vogue à l’époque - être récupérées par des gens dont les options n’étaient pas partagées. Avec le recul cela fait sourire mais il ne faut pas perdre de vue que le monde d’avant l’écroulement de l’URSS n’avait rien à voir ou presque avec celui d’aujourd’hui.

Invitées également au congrès d’un groupe gauchiste à Dieulefit début septembre 1975, les choses se passèrent là beaucoup moins bien. Y eut-il une maladresse et un malentendu dans la programmation – en intermède au milieu d’un concert de rock – ou une volonté de faire taire ce qui n’entrait pas dans le cadre des projets politiques des organisateurs, toujours est-il que le public nombreux et déchaîné obligea le groupe à se replier avant d’avoir achevé le spectacle. Pour le dire plus clairement, les quatre collègues aventureuses furent virées comme des malpropres.

Tout cela donne à réfléchir. Qu’elles aient été ainsi invitées par des structures syndicales et politiques qu’elles mettaient pourtant en boîte dans le texte tout autant que l’Education Nationale elle-même, montre qu’elles étaient loin d’être isolées dans leur dénonciation de la sclérose ambiante.

Le je t’aime moi non plus que les économistes continuent à constater à chaque coin de rue et à nommer l’inadéquation de l’offre et de la demande, n’est pas non plus, concernant la difficulté de trouver à jouer la pièce, une nouveauté absolue.

L’auteure de cet article fut alors mutée dans un autre établissement et la poursuite des activités rendues du coup difficile. Pourtant à l’écriture de ce texte, l’existence matérielle d’une liasse de nouvelles improvisations portant le titre de Coup de Gourdin atteste qu’elles ont perdurées, sans qu’on puisse fixer une date autre qu’approximative ne dépassant néanmoins pas l’année scolaire 75/76 … On y constate également le départ de la plus jeune des protagonistes - de fait depuis le début - la moins motivée.

 S’il est impossible de tirer de sa mémoire le moindre souvenir concernant ce projet là, force est à la lecture d’admettre que ces nouvelles approximations étaient autrement plus radicales que le Coup de Grisou finalement assez modéré. Celui-ci pour cet article enfin mis au propre quarante ans après à partir des torchons de papier bleu qui avaient permis à chacune d’apprendre son rôle, torchons tirés à la Gestetner au Lycée évoque en fait avec le recul le cinématographique Zéro de Conduite de Jean Vigo dont on ignorait tout à l’époque !… Mêmes causes, mêmes effets, mêmes moyens… à des variantes près, dues aux statuts et aux époques…

Si Coup de Grisou était une simple fronde contre l’enfermement de la parole et du corps, il n’en était pas de même de Coup de Gourdin qui sans jamais avoir atteint l’état de texte constitué - sinon construit - pouvant être mis en scène et joué, abordait de façon beaucoup plus offensive, de nombreux thèmes dans un style plus soutenu et moins décousu que dans la précédente création collective.

Il n’y était pratiquement plus question des difficultés de l’Enseignement mais celles de l’identité y étaient de la même façon récurrente ainsi que la tragique sensation d’être enterrées vivantes, plainte qui avait affleurée dans la pochade déjà jouée.

Quant aux sujets abordés, ils étaient nombreux et variés : l’éducation des filles, le rôle essentiel des travaux de couture, l’interdiction de l’ambition féminine, les relations conjugales, la fidélité, les travaux ménagers, les différents statuts des femmes selon leur âge, les conventions, les classes sociales, les arcanes de la hiérarchie ainsi que des dénis des horreurs récurrentes de l’Histoire.

Sans compter en référence au titre, les contraintes imposées par la violence de la grammaire… Ils couvraient finalement l’ensemble des interrogations concernant la vie des femmes, sans que survienne pour autant chez les collègues, la conscience et encore moins la revendication d’être féministes.

Est-ce à cause de cette pertinence de la contestation argumentée et parce que chronologiquement ces nouvelles improvisations étaient (peut-être) antérieures au désastre de Dieulefit, que cette dérouillée politique coupa net l’élan, intimant l’ordre interne de s’en tenir là, que les matériaux restèrent à l’état de gisement sans parvenir à ne serait-ce que former un texte présentable en tant que tel ? On ne peut pas non plus exclure le rôle des pressions du conjoint de l’une des trois, pression destinée à faire renoncer à cette activité.

Chacun sait que la mémoire ne cesse de réécrire les différents épisodes du passé et d’en oublier un certain nombre. Daniel Cordier devenu historien et féru de remarques iconoclastes, note qu’un papier vaut mieux que plusieurs témoignages. Il note aussi pour l’avoir expérimenté que plus le temps s’écoule plus la mémoire s’éloigne d’une réalité qu’elle résume et reconstruit. Ainsi cet épisode là demeure-t-il du coup un mystère qui n’est pas près d’être élucidé.

Pourtant cette mise du pied à l’étrier qui eut lieu dans le chaudron du Lycée Honoré de Balzac de ces années là ne fut pas sans postérité. L’auteure de cet article écrivit seule au début des Octantes, une pièce à deux personnages Le con métaphysique.

Cette parodie de tragédie grecque fut jouée dans la rue par elle-même - masquée d’un loup noir et d’une perruque violette de sa propre matérielle création - une dizaine de fois avec la collègue avec qui l’Exposition du Lycée avait été initiée. Les représentations eurent lieu tant à Paris, qu’à Rosny sur Seine, Lyon ou à Avignon devant le Palais des Papes, ajoutant ainsi au Festival In et Off dont c’était l’époque, la nouveauté du Out !

Si n’a pas été là inventé en 1981 la formule du théâtre de rue - notamment popularisé par le Living Théâtre étasunien et mixte - le fait est qu’on ne rencontrait pas à l’époque d’autres femmes lancées seules dans une pareille aventure qui connut une fortune diverse, mais toujours stimulante.

C’est aussi là que l’auteure de cette article qui a beaucoup écrit sur la question, notamment La négation de la mère (publié chez l’Harmattan en 2011) a découvert la possibilité pour les deux protagonistes de cet attelage, de projeter sur l’autre ce qu’elle a par ailleurs appelée la mère en soi. Ce délestage permettant une individuation que la société jusque là refusait, ouvrant ainsi la voie au déploiement total des capacités artistiques, autrement freinées par le tropisme de la fusion magmatique.

Ces activités théâtrales n’ont pas perduré. D’une part parce qu’était atteint le commun objectif d’émancipation hors les rêts d’une société résolument hostile à l’idée de considérer les femmes comme des êtres humains à part entière.

Mais aussi parce que les deux conceptions de l’activité théâtrale ne coïncidaient pas. Si la collègue a fini par intégrer les circuits classiques du café-théâtre en poursuivant sa carrière en solo, l’auteure de cet article n’a pas renoncé de son côté à sa conception de la perpétuelle nouveauté artistique comme la véritable opposition et la réponse la plus adéquate à l’insoutenable pression d’un monde toujours renouvelé.

C’est qu’écrire et jouer sa propre pièce dans la situation qui l’a produite est le meilleur moyen de reprendre avec soi la partie de son être que la propagande et l’obligation de se conformer à des codes ou des règles instituées par ceux qui veulent mettre l’art à leur service ou s’en draper pour tromper ceux dont ils veulent s’approprier les ressources, a fini par éroder.

Et cela quelle que soit la vigilance et la volonté de maintenir vivante l’interrogation subliminale contenue dans la formule de l’auteure de cette remise en perspective historique : Et dans l’impasse du pourquoi, le tourment du comment …

Jeanne Hyvrard 2014

 

 

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Mise à jour : mai 2014