A bord du défaut de représentation

dans la sauvegarde de la langue

 

Jeanne Hyvrard

 

1. Aux alentours de Minuit

 

Au commencement déjà, l'interdiction de deux langues.

 

Celle que ma grand-mère née Hyvrard parlait avec ma mère qui faisait semblant de ne pas la comprendre alors même qu'elles conversaient toutes les deux dans cette étrangeté sulfureuse. Et plus étonnant encore cette chanson qu'elles chantaient toutes les deux, l'une en français et l'autre dans ce qu'on nommait à l'époque le patois, d'un terme si méprisant que nul ne pouvait prétendre y adhérer sans se déconsidérer. J'ai appris bien tard, trop tard qu'il s'agissait du Savoyard, cette branche inattendue, si je ne m'abuse, de l'occitan.

 

De l'autre côté du monde pourrais-je dire, mon père parlait un argot virulent traitant des réalités avec une brutalité telle qu'aucun masque, aucun enjolivement, aucune fioriture ne pouvait résister dans cette crudité dont ma mère nous interdisait à tous l'emploi.

 

Ainsi baignions-nous ma sœur ainée et moi dans cet environnement de double interdiction. Comment d'ailleurs ces deux langues interdites auraient-elles pu être puisque la vérité officielle, dogmatique, absolue était que premièrement que nous n'avions pas d'ancêtres pas même ma mère bien trop propre pour nous avoir pondu, surtout moi la souillon et deuxièmement que nous n'avions pas conséquence logique, de corps, puisque nous ne pouvions pas être différentes d'elles qui en tous points était parfaite.

 

A bien y réfléchir ces deux principes découlaient l'un de l'autre, mais l'argumentation n'allait jamais si loin. On devait parler français, et c'était tout. Je le parlais, mais j'avais du mal à l'écrire. Si en tant qu'échappatoire, j'aimais l'école, j'avais de mauvaises notes en grammaire et en orthographe. J'accumulais longtemps les zéros, et dus même passer un examen pour monter de 5e en 4e (1).

 

Mais mon père ne m'abandonnait pas et scientifique convaincu ne négligea pas ma formation intellectuelle, du moins dans ce qui était autorisé aux filles, car nous ne recevions pas la même éducation que mon frère. C'était plus que visible. C'en était humiliant. Et si on peut parler à mon égard de conscience féministe, c'est bien là déjà qu'elle prend racine dans cette inégalité de traitement qu'ils ne justifiaient pas autrement, les uns et les autres que par la formule magique, mais c'est un garçon!

 

Mon père m'enseignait notamment les subtilités du langage et notre activité principale lorsque nous conversions pendant les repas, consistait à trouver le mot juste adapté à la situation décrite. Beau joueur, lorsque c'était moi la gagnante, il l'admettait ravi. En tant qu'écrivain, on peut dire que c'est lui qui m'a mis le pied à l'étrier et que cette maitrise du langage dans une affirmation résolue et conquérante, c'est à lui que je la dois. Aussi vécus-je avec lui un lien contradictoire. Néanmoins toute ma vie il a été pour moi un soutien et son vieillissement m'est un déchirement.

 

De son côté ma mère à la mesure de ses moyens ne négligeait rien pour notre éducation. Je fus abonnée pendant très longtemps à la Comédie Française et dès l'âge de 9 ans (2) et fréquentai avec elle bien d'autres théâtres et musées. Lors de nos nombreux et d'avant-garde voyages touristiques, elle ne ne nous épargnait pas la lecture des guides in extenso. Ainsi ai-je baigné dans une sorte de ferveur artistique qui me parvenait quand même, même au travers des nombreuses interdictions et ai-je si peu compris qu'on ne soutint pas mon envol qui n'était finalement que la prise au pied de la lettre et au sérieux de ce que mes parents, l'école et la société m'avaient donné.

 

Au commencement tout de même, à l'âge de 8 ans, la tentative de prendre en main mon destin. Dans le jardin des Batignolles, à Paris, ma ville natale (3) je lâche la main de ma grand-mère pour me perdre volontairement, en me donnant ainsi l'occasion d'explorer le monde pour mon propre compte. Je n'ai pas été bien loin. En larmes, terrifiée sans doute par mon propre culot, j'ai donné très correctement mon nom et mon adresse aux gens qui m'ont secourue et solennellement reconduite chez mes parents dans la découverte déjà que la parole sauvait, et l'instruction et le respect des règles de la société.

 

Le reste, ce fut une lecture précoce pour échapper à mes tourments. J'ai raconté tout cela dans La Jeune morte en robe de dentelle (Ed des Femmes) et Cellla (Editions Voix) (4). Dans un monde où il n'y avait pas la télévision (5), et où les filles étaient interdites de sortie (6), il fallait se divertir avec les moyens du bord. J'ai lu et relu les quelques livres de la bibliothèque maternelle. Plus sulfureux ceux de mon père avaient été enfermés à la cave.(7). Néanmoins en dépit de la modestie quantitative de la dite bibliothèque je ne manquais pas, car je lisais et relisais les volumes en boucle découvrant l'or alchimique, le mouvement perpétuel (8)…

 

Lorsque j'ai commencé à écrire, j'avais une douzaine d'années ou peut-être treize, et ce fut avec les trois camarades de classe dont j'étais la leadere. Il s'agissait d'un projet de ville idéale sobrement dénommée Modeleville et qui n'a pas dépassé le premier chapitre! J'ai longtemps vu dans l'abandon de ce travail, le signe de mon incapacité d'enfant à mener une tâche à terme, sans à aucun moment m'étonner d'avoir si jeune entrepris une démarche de théorisation d'une constestation que j'éprouvais sans la ressentir, si on peut admettre cette différenciation (9). Jamais non plus je ne me suis dit que nous ne devions pas être très nombreuses dans les années Cinquante, à nous livrer à de telles activités.

 

Ce que j'appelle le défaut de représentation qui n'est ni le mensonge, ni l'oubli, ni le déni mais l'inexistence navrée de la catégorie mentale qui permettrait de prendre valablement en compte une réalité néanmoins observée, peut ainsi être retrouvée dès l'enfance et sans doute même, mais ce n'est pas le thème de cette communication, dès la petite enfance.

 

Cet aveuglement m'a sauvée et n'a pratiquement pas cessé jusqu'à aujourd'hui. C'est le terreau et le cadre d'une contestation radicale de l'ordre établi qui s'effectue pour moi de façon totalement pacifique, sans que j'en ai vraiment conscience et sans que dans ma naïveté qui perdure, je comprenne pourquoi chacun et chacune d'entre nous n'en fait pas autant. Il me faut ainsi admettre que c'est l'étonnement d'autrui découvrant pour le pire et le meilleur ma situation qui m'en a fait prendre conscience (10).

 

Les années suivantes, j'entrepris seule cette fois d'ajouter un tome à la saga du Mouron Rouge de la Baronne Orzcy, récit que j'avais plaisir à lire et dont je déplorais qu'ils ne fussent pas plus nombreux. Qu'on y voit la marque de ma simplicité et mon esprit pratique autant que d'entreprise. J'avais en effet découvert le principe de l'écriture/lecture, ou pour être plus politique, le processus de l'autonomie voire même de l'autogestion, et le raccourcissement intégral des circuits de distribution(11).

 

Malheureusement je m'en suis sans précaution ouverte à ma mère qui a voulu le lire. Et les lecteurs de La jeune morte (4) savent ce que cela veut dire. J'ai préféré détruire le tout que de m'exposer à la laisser entrer dans ce que je ne savais pas encore être mon intimité littéraire, même si au fond de moi le maelström savait bien de quoi il s'agissait, puisqu'il avait trouvé cette solution drastique qu'ont parfois les peuples envahis d'inonder ou dévaster leurs terres pour les sauver.

 

J'ai ensuite entre 15 et 17 ans écris comme tout un chacun, du moins le croyais-je et l'ai-je cru encore longtemps, des poèmes et des nouvelles ainsi qu'un journal tout plein de ferveur. A part quelques poèmes tout cela a été détruit pour des raisons diverses dont il m'apparaît aujourd'hui avec le recul qu'elles n'étaient pas sans rapport avec l'entrave que je subissais dans la réalisation de mon émancipation en tant que femme de lettres (12).

 

A l'époque rien de tout cela n'était conscient et je n'avais aucun outil qui m'aurait permis de penser une chose pareille, ni autour de moi de modèles, encore moins de conseils de femmes libres ou d'artistes qui auraient pu me mettre le pied à l'étrier. Quand de telles rencontres se sont produites j'avais déjà 28 ans et les Z'évenements de 68 (13), la maternité et les Antilles étaient déjà passés par là…

 

Aussi paradoxal que cela puisse paraître aujourd'hui, les espaces ne s'articulaient pas, et je suis convaincue que pour la majeure partie des gens, c'est toujours le cas aujourd'hui. Il y avait d'un côté un espace culturel public auquel on pouvait avoir accès à condition d'en respecter les règles sociales et grammaticales, et de l'autre une intimité personnelle qui n'avait pas droit de cité.

 

Il me fallut longtemps pour admettre que la femme n'était pas un sujet, n'était pas considérée comme une personne humaine, n'avait même pas à avoir de sentiments ou de pensées personnelles. Néanmoins j'en fis l'expérience très tôt. Je n'ai pas cessé de recevoir des ordres de tous les membres masculins de ma famille, de mon entourage, plus étonnant encore des inconnus rencontrés dans la rue.

 

Je crois ne même pas m'être rendue compte que l'écriture littéraire avait cessé comme je me mariai à 19 ans parce que cet amour fut dans la jeunesse un tel enchantement qu'il draina tout le flot créateur et lyrique dans des lettres/poèmes qui prirent la suite sans doute de ces premiers essais d'écriture sans pourtant m'apparaître comme tels (14).

 

Pourtant de-ci de-là, restent ces traces d'un flot créateur qui ne fut jamais interrompu. En témoignent toutes sortes d'ouvrages: des albums de dessins avec des embryons de textes, des travaux d'aiguilles plus ou moins originaux, et surtout des tableaux, une cinquantaine dont une bonne partie demeure en dépit d'une rage destructrice. Parallèlement des poèmes en vers libres ont continué à se chercher, sans pour autant être d'une qualité telle qu'il parut indispensable de tous les conserver. (15)

 

Aussi fus-je terriblement surprise par la survenue que je crus pendant des années, brutale et inattendue d'un flot littéraire lyrique à la suite de ma troisième fausse couche spontanée dont il fallût admettre bien que j'eus déjà une charmante petite fille, qu'elle ruinait définitivement, dans le contexte, à tort ou à raison, les espoirs d'avoir une progéniture nombreuse.

 

A l'encontre de la plupart de mes collègues, j'ai le féminisme maternel. Certainement pas par tradition familiale tout au contraire, mais plutôt en raison d'une affirmation de la puissance physiologique de l'enfantement. Mes contacts avec l'Afrique Noire traditionnelle d'avant le tourisme m'ont fait comprendre qu'il y avait une alternative au massacre de la femme occidentale (16). Subjectivement, ma littérature d'adulte est née de cette impossibilité, interdiction, défaite et c'est sans doute pour cela qu'elle s'ouvre sur une scène d'accouchement, bien que je n'en ai comme tout ce qui concerne mon processus créateur, jamais eu conscience au moment de l'effectuer.

 

De toutes façons, et je l'ai déjà raconté et écris cent fois, je n'avais aucune conscience ni projet de faire de la littérature. Etant économiste de formation et de profession, j'avais projet de relater l'état quasi-colonial que j'avais découvert en enseignant deux ans aux Antilles dans lesquelles nous avions abouti parce que mon mari préférait la coopération technique à la vie de la caserne (17). A l'époque et peut-être encore aujourd'hui, cette réalité était totalement ignorée de la Métropole, ce nom cocasse de l'Hexagone….

 

Je fus bien étonnée quand on m'apprit que ce texte n'était pas un rapport de Sciences Sociales comme je le pensais, mais un roman dont on appréciait le style. Chose d'autant plus étonnante que je ne savais même pas de quoi il s'agissait. Je me revois encore demander à une collègue de français ce qu'était le style, on a du mal à le croire, mais le savent ceux qui connaissent mon ignorance abyssale de la grammaire et de l'orthographe. Les effets de style que certains prennent pour de la littérature est l'effet secondaire heureux d'une certaine maladresse sur fond de farouche vitalité. J'ai longtemps dit que j'écrivais à la pelleteuse et que j'avais attaqué la littérature par la face Nord.

 

Assurément la découverte de l'univers des Antilles fut un accélérateur dans la mesure où pour se rendre compte de ce qu'on doit à son univers natal et s'en émanciper il faut l'avoir contemplé d'ailleurs et pendant suffisamment longtemps. Outre des paysages dont je n'avais auparavant aucune idée, des mangroves aux mornes et aux ravines en passant par les cailles et les roches silicées, une nature puissante, profuse et confuse et si mal utilisée (18), je découvris une société toute autre dont personne n'était originaire, le déni profond d'un malheur présent et la nostalgie d'une mère perdue fantasmatique.

 

J'enseignai à des élèves noirs s'affirmant blancs et découvris sur le terrain du quotidien ce que pouvait être l'aliénation (19), sans que j'en eus conscience là non plus car sans outils de compréhension du monde comment l'aurais-je pu? Cette aliénation là me parlait de la mienne: La femme est un homme comme les autres, était le contrepoint souterrain de l'aliénation coloniale masquée par le système des départements d'outre-mer. Comme la domination de la femme par l'idéologie du couple.

 

Je découvris également un autre français à l'intérieur du français. La luxuriance du vocabulaire répondait à celle de la végétation jusque dans une tendre toponymie qui induisait d'étranges connexions. O ces lieux-dits: Crève-Cœur, Mon Désir, Route de la Folie, Bois Lézard, Anse Couleuvre, et que dire de la Savane des Pétrifications? Comment résister à un pareil enchantement? Ajoutons que la découverte d'un créole interdit de fait à l'époque alors qu'il était omniprésent dans l'île, d'une langue française parlée avec de curieuses particularités (20)  et bien évidemment de l'ombre tutélaire d'Aimé Césaire Député Maire (21), sur fond de révoltes sporadiques dans les champs de canne où les trigonocéphales rampaient sous les lourdes fleurs de bananiers, les tempêtes tropicales et la baignade dangereuse de l'Anse Charpentier….

 

Ainsi ai-je dans mon premier livre (publié en 1975) inventé sans douleur, sans coup férir et presque sans le réaliser les deux premiers néologismes séquestrement et sous-développation. Je ne sais pas comment j'en ai eu l'idée, je me souviens seulement (mais cela est déjà bien loin) que cela m'avait paru naturel. A eux deux, ils résument toute la recherche de mon œuvre.

 

Séquestrement plutôt que séquestration, afin de marquer que le point de vue du dominant et du dominé ne sont pas les mêmes, et que la souffrance de celui-ci, bien qu'elle lui ait été causée est tout de même autonome. Quant à sous-développation plutôt que le traditionnel sous-développement, il permet de traduire l'idée que cet état de choses constaté n'est pas de toute éternité mais a bel et bien été le résultat d'une action qui a été menée. Se pose alors la question cachée de l'auteur de cet acte.

 

Notons que ces deux premiers néologismes furent formés, comme tous les autres sans exceptions de façon parfaitement rigoureuse et que je me suis contentée d'appliquer à la langue sa propre logique qu'on m'avait enseigné. Si enfermement existait et séquestration, pourquoi pas enfermation et séquestrement? Cela une fois admis put s'étendre à tous les radicaux, déportation, déportement, résignation, résignement, consentation, consentement etc… La langue s'ouvrait infiniment, elle baillait…

 

Mais elle ne faisait pas que s'ouvrir, elle introduisait aussi l'idée que la pensée efficace ne pouvait avoir lieu qu'avec deux termes qui permettaient de saisir entre eux un troisième. Ainsi séquestrement et sous-développation devaient ils par la suite fonctionner ensemble pour penser le monde en proposant des couples d'idées là où d'habitude on ne fonctionnait qu'avec une seule. Ce sont ces deux premiers néologismes qui m'engagèrent sur le chemin de penser ensemble, d'abord l'action et l'état comme en témoigne les deux premiers néologismes créés, puis assez rapidement dans la foulée, le pouvoir et l'identité. Tout cela n'est pas sans rapport on l'aura compris, avec le statut de la femme dans notre société. J'ai bien dit le statut et non l'essence.

 

Mes autres livres parus aux Editions de Minuit, (80) Mère la mort (1976), La meurtritude (1977) Les doigts du figuier (1977) développèrent cette méthode en explorant un univers réputé par la rumeur publique, de confusion voire de folie, mais qui m'apparaissait à moi tout au contraire plein de logique et de sens. Les néologismes me permirent d'en apporter la preuve et de verbaliser grâce au lyrisme, la cohérence d'un monde interne et externe jusque là absolument bafoué.

 

Il fallut aller plus loin avec la même méthode. Ne plus interchanger seulement les suffixes en -ent et en -ation, mais en ouvrir l'éventail. Ainsi la séparation se trouva-t-elle bientôt nuancée des séparement, séparage, séparitude et de la fameuse séparance (22) dont je me demande avec le recul si elle n'est pas la formulation littéraire de l'attraction des corps soumis depuis le big-bang à la douleur de la gravitation contrariée….

 

Sans doute la séparitude fut-elle une remonté inconsciente quoique assurée de la négritude de Senghor dont le halo baignait la littérature de Césaire qui a dû malgré moi m'inspirer, mais 25 ans après il m'apparaît que cette influence n'a pas été la seule. Ce n'est d'ailleurs que très récemment que je me suis souvenue de ces éléments de nature à relativiser la dimension antillaise de mon opération coup de poing linguistique.

 

Parmi ce que j'ai redécouvert récemment (outre Senghor qui fit la brèche), il faudrait noter l'étude du russe lorsque j'étais au lycée et l'amour violent que j'ai voué à cette culture dont la grammaire tout autre me semblait mieux convenir à la représentation, au représentement faudrait-il mieux dire, du monde. Sans la littérature russe, je serais morte.

 

Une place aussi devrait être faite aux auteurs qui m'ont nourrie et que j'ai oublié, Charles Morgan, William Faulkner et Somerset Maugham, en plus bien sur de tout ceux que je n'ai jamais oublié et qui sont presque tous et même un peu plus que ceux à qui une jeune fille de ma génération pouvait par elle-même accéder, Simone Weil comprise (23).

 

En écrivant ce texte remonte aussi à ma mémoire le fait que ma sœur ainée germaniste avec qui j'ai partagé longtemps la chambre, avait l'habitude d'apprendre et de répéter ses leçons à haute voix. J'ai dû là aussi osmoser des choses dont je n'avais ni l'idée ni la conscience, une sorte de teinture d'un savoir faire langue autrement. En tous cas dévisser et revisser les mots ne pouvait en aucun cas me paraître indécent, puisqu'elle (la sœur ainée) était ce qu'on me donnait en exemple de la réussite et du bon goût, à moi le vilain petit canard malade des nerfs, ce nom couvrant les effets drastiques des soins maternels.

 

Tout ce qu'il faut bien appeler la première partie de mon œuvre déboucha ainsi sur la découverte des mécanismes du bouc émissaire, de la grammaire cohérente des symboles, du constat de la puissance de la littérature, plus particulièrement de la poésie et de la dénonciation de l'oppression que subissaient les femmes, ces colonisés de l'intérieur dont les revendications n'étaient nulle part, non seulement prises en compte, mais au moins reconnues, contrairement à celles des minorités raciales ou sexuelles …

 

La presse parisienne m'attribua alors une identité noire antillaise (24) qu'on ne démentit pas par jeu, et parce qu'il me semblait que c'était alors faire une sorte d'acte de littérature au carré. Le fait qu'on puisse me croire telle à la seule lecture de mes textes était la démonstration de la validité même de ma thèse. Il faut néanmoins pour le comprendre, se souvenir qu'en 1975-77 la littérature n'était pas médiatisée comme elle l'est maintenant et qu'il était possible sans qu'on s'en offusquât ou y vit mystère, de ne pas fournir de photographies.

 

Je payais tout de même très cher sur le plan personnel, cette fracassante entrée en littérature. Et si on accueillait très bien la prétendue folle éxotique qu'on disait près de mourir de souffrances et de confusion, je découvris assez rapidement que le destin réel d'une parisienne hexagonale dénonçant son éviction systématique du champ du vivant n'intéressait personne. Pire ma revendication à être et penser comme sujet autonome reconnu(e), déclenchait une répression féroce.

 

Au début des Octantes je bénéficiais donc déjà d'un commencement de mots pour le dire (25). Je parvenais à dénoncer ce qui me tuait, mais je ne pouvais toujours pas pour autant me le représenter. Tout cela a-t-il à voir avec l'inconscient et la prophétie est-elle le résultat d'une expérience intégrée dans un défaut de représentation? Certainement! Faut-il admettre que la langue précède la pensée et comment le croire? Pourtant en ce qui me concerne, mon expérience d'écrivain (mais non de philosophe) en est la preuve. Ainsi s'explique le fait que lecteurs et lectrices connaissent de mon être des choses qui me demeurent inconnues. Elles sont passées dans ma littérature sans parvenir aussi étrange que cela puisse paraître, jusqu'à moi. L'œuvre inspirée est-elle cette étrange dérivation?

 

C'est aussi sans doute parce qu'elle se bouture des formes et pensées déjà existantes, et que le langage nouveau racine dans celui déjà en vigueur, se contentant d'en habiter les failles. Eduquée de façon mortifère à la passivité pour ne pas dire pire, séquestrée à l'intérieur d'une relation incestueuse destructrice dont ma génitrice contrôlait tous les verrous, dans un monde qui n'admettait pas l'émancipation des femmes, interdite d'accéder aux métiers de mon choix et à une vie libre dans un environnement masculin qui se réservait ce privilège, comment aurais-je pu faire autrement?

 

La littérature a fonctionné pour moi comme une bouteille à la mer avertissant qu'en ce cachot un corps souffrant était enfermé et qu'il appelait à l'aide. Cette méthode intuitive et désespérée a été efficace, puisque les liens nouées par ce truchement m'ont permis petit à petit de corriger non seulement la malédiction originelle dont La jeune morte en robe de dentelle est l'écho, mais de résister à la perpétuation des mauvais traitements de tous ordres dont on accable les femmes.

 

Ajoutons qu'à côté de cette violente venue à l'écriture et de ce commencement de mots pour le dire, la structure des livres fut pour ces premières œuvres (à l'exception des Prunes de Cythère pour laquelle c'était bien le cadet de mes soucis) un des éléments principaux de ma créativité. Ce n'est pas le sujet de cette communication, car le champ en serait alors trop vaste, mais cela doit être signalé car cela a à voir avec l'invention des néologismes. Il s'agissait dans un cas comme dans l'autre d'explorer la nouvelle forme cybernétique à l'œuvre. Et comment s'en étonner si on se souvient que ma première théorie-fiction (26) s'était écrite en se croyant un rapport de Sciences Sociales sur une société dont personne n'était originaire, et qui avait donc rompu tous les liens de la circulation du vivant?

 

 

 

 

2. Sur le seuil

 

Après Le corps défunt de la comédie (Le Seuil) 1982 (80) et Le silence et l'obscurité (Montalba) 1982 , le premier sous-titré Traité d'économie politique, et l'autre Requiem littoral pour corps polonais (13-28 Décembre 1981) je me trouvais en 1982 dans une situation nouvelle. Plus j'avançais dans la compréhension et la dénonciation de ce qui m'opprimait tant sur le plan personnel que social et c'est tout un (27) plus j'étais en proie à la répression. Le mécanisme est connu de toutes les théoriciennes mais à l'époque j'en ignorais tout Comment expliquer cette folle naïveté qui ruina définitivement ma santé et faillit me coûter la vie? On peut retenir l'hypothèse d'une profonde bêtise personnelle que je ne renie pas (28). Mais comme il existe à côté cette œuvre d'avant-garde, on ne peut s'en tenir là. La raison en est là, là encore, le défaut de représentation!

 

Il faut se souvenir du climat social de l'époque. Le fond de l'air était rouge et si d'aucune (29) soutient qu'il y a eu dans les années soixante-dix une révolution culturelle en France, je suis prête à apporter beaucoup d'eau à son moulin. Les idées soixante-huitardes s'étaient répandues dans la société bien au delà du retour à l'ordre (30) et avaient conquis droit de cité. Incontestablement une brèche s'était ouverte dans le conformisme précédent et l'existence même d'un mouvement de femmes avec des magazines et de nombreuses publications, permettait de ne plus être absolument et radicalement victime de la discrimination.

 

L'embellie sexuelle (31) permit de mener une vie lumineuse et l'envolée artistique de conquérir la rue. Sur le plan politique l'arrivée du Programme Commun de gouvernement signé en 1972 entre les Socialistes et les Communistes (32) permettait de croire que les acquis de l'émancipation des mœurs allaient être concrétisés dans les lois. En 1981-82, un certain état de grâce s'exprima par une liesse sociale qu'on peut symboliser par l'abolition de la peine de mort qui pour les anciens soixante-huitards pouvaient s'entendre comme l'abolition de la mort (sans doute la vraie revendication de 68).

 

Comment pouvait-on imaginer que le nouveau locataire de l'Elysée amenait avec lui pour les installer dans les locaux de l'Etat non seulement sa femme et ses deux fils, mais également sa concubine et leur fille? (33) Comment imaginer que cet homme chargé par cette fraction de la société d'incarner les idéaux progressistes de la société était encore l'ami de Bousquet, le chef de la police du Gouvernement de Vichy et le responsable de la Rafle du Vel d'Hiv (34)?

 

En en parlant avec les uns et les autres, je suis bien obligée aujourd'hui de comprendre et d'admettre que pendant que parallèlement à mon enseignement à plein temps dans un lycée technique parisien et ma vie de famille relativement traditionnelle, je faisais une œuvre littéraire d'avant garde, mes petits camarades plus précautionneux de leurs intérêts cherchaient déjà à se placer. Il m'a même fallu admettre, mais les historiens le préciseront que tout était déjà joué en 1981 et que la prétendue embellie des Septantes était déjà connotée diversement selon les groupes sociaux(35).

 

Si on laisse de côté les nomenclaturistes impénitents qui de toutes façons ne cherchent que la défense de leurs intérêts immédiats et feront carrière sous tous les régimes et dans toutes les situations, il faut tout de même admettre qu'il y a plusieurs catégories d'intellectuels. Ceux qui produisent des idées, vraies ou fausses pour en faire le commerce, et ceux qui sont acculés à les former pour sauver leur vie.

 

Ajoutons à cela que l'éducation des filles de ma génération fut encore largement négligée. Outre le fait que leur destinée et les conseils qu'on leur donnait consistaient essentiellement à les pousser à "chercher un mari" (36), le point de vue des hommes gouvernant la société était peut-être encore celui qu'on voit dans Molière. Moins elles en savaient, mieux cela était (37)!

 

A ces causes historiques, politiques et sociales qui n'ont pu que m'induire en erreur, il faut ajouter le défaut de représentation qui me semble au fur et à mesure que je me retourne sur mon histoire avoir été et être encore le facteur principal des dysfonctionnements de tous ordres. Comment pouvais-je en pleine émancipation personnelle sur fond d'émergence d'un régime socialo-communiste dont le programme était: Rupture avec le capitalisme m'imaginer que j'étais en décalage complet avec un milieu aux Antipodes de mes préoccupations?

 

La méthode des anomalies (38) aurait quand même pu me mettre la puce à l'oreille. Lors de la réduction du temps de travail à 39 heures, accompagnée de l'augmentation de la durée des congés payés, les professeurs furent (déjà) oubliés. Quant au matraquage sauvage des leaders syndicaux arabes par les CRS lors des grandes grèves consécutives à la robotisation dans les usines automobiles, elles montraient déjà que je n'étais plus concernée. L'expérience m'a appris que le sort des immigrés donnait le ton pour le sort des femmes, ces immigré(e)s de l'intérieur…

 

Par bonheur si je peux dire, la crise qui couvait s'est résolue d'elle-même. En 1982 je fus simultanément atteinte d'une cancérisation du sein (maternel nourricier) et invitée à faire une conférence à Ottawa à l'initiative de l'Association des Professeurs de Français de l'Université Canadienne. Concomitance n'est pas causalité, mais ce n'est pas par hasard que ces deux événements survinrent à ce moment là.

 

Je fus alors brutalement soumise avant tout le monde à la révolution cybernétique globalisante qui déferle aujourd'hui et broie tout et tous. Avec une vingtaine d'années d'avance sur le gros de la troupe, je fus acculée à muter et à rompre avec l'humanisme européanocentrique. C'était cela ou mourir et n'ayant cessé depuis ma naissance de défendre une vie que ma mère ne voulait pas voir s'établir, je n'avais qu'à en quelque sorte, continuer.

 

 

 

 

3. La nouvelle ère

 

Ma conférence à Ottawa me fit selon le sens consacré de l'expression découvrir l'Amérique. Je n'en connaissais que celle du sud ainsi que la Caraïbe, fus frappée par le fait que les femmes ne s'y mettaient pas à plat ventre avant d'adresser la parole aux hommes; que les genres littéraires n'y avaient aucune importance et que j'avais des réponses aux questions que les gens se posaient.

 

J'y découvris également que mes formes littéraires métaphoriques étaient parfaitement entendues en tant que théorie d'avant-garde et qu'on considérait exactes des idées qui dans ma patrie d'origine n'avaient même pas droit de cité. Je me trouvai de plein pied dans une effervescence intellectuelle féconde qui me dynamisa.

 

Ma communication Au bord du marais fut plus que bien accueillie, même s'il ne s'agissait que d'un début de théorisation qui me fait sourire aujourd'hui, non par sa naïveté tout au contraire, elle était très radicale, mais par son peu de contenu, eu égard à ce que j'ai aujourd'hui élucidé. J'y mis en ordre néanmoins plusieurs idées fondamentales hérétiques dans mon époque et mon pays (voire à la limite de l'incompréhensibilité) et que je n'avais réussi à aborder et explorer que par l'intermédiaire de l'hermétisme (39).

 

J'y verbalisai d'abord clairement qu'il ne fallait pas confondre le contraire et la négation. Ainsi la mort est-elle le contraire de la vie, mais ce n'est pas sa négation qui serait l'inerte, on le voit bien aujourd'hui que disparaît notre niche écologique. Je nommais même contrairation l'alliance des contraires dont je disais qu'il fallait les penser ensemble comme le dos et la paume de la main. et ne pas les confondre. Je n'avais pas conscience à l'époque que je commençais à théoriser le tiers inclus. Avec le recul, c'est néanmoins une évidence puisque je luttais intuitivement contre mon éviction.

 

J'atteignis le point limite de la pensée de l'époque en établissant qu'il ne fallait pas non plus confondre séparer et différencier. Je théorisai là tout le thème de la séparance et de tous ces composés, revendiquant et construisant la possibilité théorique philosophique d'un agencement d'un autre ordre. Bien évidemment tout cela également avait été travaillé dans les thèmes littéraires (style et métaphores) des ouvrages précédemment parus.

 

C'était aussi le cas du fameux concept ON-EN-UN décliné à satiété dans Que se partagent encore les eaux (Ed des femmes) 1985. Il faisait non seulement le bonheur de ma littérature, mais plus sûrement encore de mes lectures publiques donnant lieu à toutes les modulations de la voix et rapprochant la littérature du chant. Il a trouvé son débouché dans l'opéra La folle baisure (40) dont je suis la librettiste.

 

J'étais donc objectivement et subjectivement bien avancée quand surgit le drame. Non le cancer lui-même mais la chimiothérapie qui m'en guérit. Si les effets secondaires d'un traitement barbare (41) me laissèrent une invalidité dont je ne me suis jamais remise, ils eurent aussi sur le cerveau l'effet inattendu de lever toutes les inhibitions (42).

 

S'y ajoutait la cruelle mais claire problématique d'Evariste Galois. Le temps qui me restait étant désormais incertain, il fallait de la façon la plus efficace possible, collationner l'état de mes recherches dont je disais en 1975 à un ami qui me questionnait de près, qu'elles seraient au point dans trente ans. Mon histoire personnelle m'a contrainte à légèrement accélérer (43).

 

C'est ainsi que Canal de la Toussaint démarra sur la plage de Dieppe un jour de printemps 1984: L'homme ne peut pas penser la fusion, né de la femme il est dès le début dans la contrairation. La femme ne peut pas dire la fusion, née de la femme, elle n'est jamais tout à fait née. Drame.

 

J'ai cette année-là travaillé comme jamais pour venir à bout de ce testament métaphysique, ce Grand-Oeuvre au sens des alchimistes et qui pourtant s'arrête sur le mot DONT… car la fin de la phrase a disparu(44). Je ne peux pas évoquer l'écriture de ce livre qui fut un pur bonheur sans que les larmes me viennent aux yeux. La proximité sinon l'imminence de la mort, la liberté absolue que donne cette éventualité, me permirent d'atteindre une nouvelle étape dans la créativité. J'en avais d'ailleurs bien besoin car les effets chimiques des produits sur les constructions culturelles langagières, conjugaisons et sémantique s'avérèrent un tel désastre, qu'il fallait bien trouver un palliatif à ce cataclysme majeur, surtout pour un écrivain.

 

Je repris l'Entête de Chouraqui (45), découvrit la strophe de la création du monde babylonienne abandonnée par la Bible et qui raconte le meurtre de la Déesse Mère, théorisai le magma (46), distinguait l'ordre de l'organisation (47), les encepts et l'enception pour élargir le champ des concepts et des conceptions, inventais la chaorganisation et la chaïque, (48) ombre noire de la logique débouchant logiquement sur la biochaïe qui éclate aujourd'hui partout et dont l'hôpital m'avait donné l'idée (49). Ainsi parvins-je à dire la monde, inaugurant à côté de mes néologismes une nouvelle grammaire parturiente. Ainsi osais-je les fautes tolérées qui peuvent se résumer par le paradigme Ils partîmes, leitmotiv du livre et quintessence de l'époque où notre destin nous est en quelque sorte arraché à nous mêmes…. Nous l'espèce humaine. La construction même du livre me procura l'une des plus grandes jouissances de ma vie (50).

 

La première partie du livre, totalement abstraite dénommée Traité du désordre constitue un traité de philosophie classique (sinon académique) en ce sens qu'il est la monstration d'une architecture de concepts qui se renvoient les uns aux autres dans une forme inédite et parfaite. La deuxième partie Terra incognita se présente comme un récit ancien style, autour de la trame du voyage de Magellan, mon maître (51). Cette trame agrégeant toutes les Sciences Sociales et Naturelles dans la description de la chaorganisation globalisante.

 

Cette deuxième partie est un pastiche des récits des navigateurs et j'ai poussé la conscience professionnelle jusqu'à mettre en œuvre la compilation elle-même (52). Et the last but not the least, dans l'art de la composition, la première partie Traité du désordre est intégralement reprise dans la deuxième, au mot près, dévoilant ainsi l'ordonnancement théorique de la chaorganisation à l'œuvre.

 

C'est peu dire que je suis assez fière d'avoir trouvé ça et que le prix à payer ne me paraît pas avec le recul excessif pour une pareille percée intellectuelle. On objectera avec raison que Canal de la Toussaint est difficile à lire. Je ne le nie pas mais réponds le plus sérieusement du monde qu'il n'est pas fait pour être lu. J'entends par là pas plus que le bottin, une grammaire ou une encyclopédie. Il s'agit d'y chercher ce dont on a besoin au moment où on en a besoin, tout en faisant l'expérience de tout ce qu'on laisse de côté, le foisonnement du reste du monde foisonnant.

 

Dans le même temps je continuai à écrire un traité de philosophie que je croyais académique et c'est certainement ce que je peux faire de plus près de cette forme, à l'exception de ce type de communications, aujourd'hui nombreuses. Ecrite par fragments, la forme a cette fois là seulement, été conçue a priori, alors que pour les autres livres, je n'ai pu que la constater a posteriori une fois l'œuvre achevé (53). Comme si l'objet même de la création du livre était une enquête quête de la forme (54).

 

L'hypothèse d'une récidive métastasique ne rendait pas caduque la problématique du temps qui me restait et je voulais que le livre fut en état d'être publié quel qu'en soit son état d'avancement (55). La pensée corps est donc mon testament intellectuel, mon opus major (56).Il s'agissait là de la création d'un dictionnaire pour faire le point de ce qui avait déjà été inventé et théorisé tant en matière de néologismes que de concepts et d'idées nouvelles, les uns n'allant pas sans les autres.

 

Je voulais donner des définitions suffisamment orthodoxes pour qu'elles puissent s'intégrer au corpus en vigueur. L'originalité de cette oeuvre (mis à part évidemment son contenu synthétisant les innovations précédentes) c'est la forme. Elle établit tous les liens possibles entre les concepts et les encepts qui sont les miens, néologismes compris, pour permettre à chaque lecteur-trice de se faire son propre itinéraire à l'intérieur même de cette pensée dans laquelle on peut entrer n'importe où, sans refaire jamais deux fois le même itinéraire. C'est ce qui en fait la difficulté, mais aussi la plénitude.

 

La mise en ordre de cette pensée femme au sens de l'architecture indispensable pour me concevoir en tant que sujet femme et donner forme à mon expérience d'aliénée et de possédée (57) impliqua la création plus rigoureuse que jamais des notions d'être-lieu, d'être-en-soi et de logarchie, la pièce maitresse du dispositif qui me vint, aller savoir pourquoi lors d'un voyage en Crète (1985) lors de la vaine quête de l'homme taureau (58). Je tentais d'intégrer cette notion au Canal de la Toussaint mais il s'y refusa obstinément. C'est d'ailleurs à de pareils signes qu'on sait qu'un livre est effectivement terminé.

 

Achevée en 1987 après mon voyage au Chili, La pensée corps fut publiée en 1989, date de l'ouverture du sceau. Il porte en exergue ce pastiche de Descartes: Ca pense, jon suis qui fait néologisme à lui tout seul tant par le fond que par la forme. Ce jon peut tout aussi bien se comprendre comme l'individuation insuffisamment réalisée parce qu'on a été tenu malgré soi (ou avec soi) dans le statut d'être-lieu ou bien au contraire comme l'établissement d'une formule néototalitaire, néopronom qui résulterait d'un lien incestueux entre une Grande-Toute télévisuelle qui fonctionnerait comme une Grande Logicielle formatant la biomasse des télé-spectateurs.

 

Il faut admettre alors qu'à ce degré là, le néologisme débouche sur une révolution ontologique. Aujourd'hui je le sais mais à cette époque, je n'en avais que l'intuition. Dans sa conception et son écriture La pensée corps n'était pas un ouvrage annonçant le futur, mais plutôt une dénonciation d'un ordre précédent, celui de la logarchie. C'est ainsi que je nommais l'ordre du monde dans lequel le ou la logarque s'arrogeait pour lui seul le droit d'être un individu, fiction qu'il ne parvenait à faire fonctionner qu'en projetant sur un ou une être-lieu la mémoire de sa mère. Ainsi obligeait-il cet(te) acolyte à rester dans le magma tout en ayant lui-même les coudées franches.

 

Je précisai bien et (j'y tiens) qu'on n'est pas logarque ou être-lieu, ni en raison de son sexe, ni de façon intrinsèque, mais en fonction de la situation qui peut (dans un contexte différent) être différente. A partir de là, je mis en ordre toute une ontochaïe, ombre noire de l'ontologie en vigueur. Elle permettait de donner des bases scientifiques à la bouc-émission. Je théorisai enfin ce que j'explorai depuis le commencement de mon écriture, et peut-être même ce dont je souffrais depuis le commencement de ma vie.

 

J'ai effectué entre 1982 et 1994 sept voyages de VRP de la pensée française dans les deux Amériques. Non seulement l'ampleur de la révolution cybernétique ne m'a pas échappée, mais ma formation et ma profession (encore aujourd'hui) d'économiste n'ont pas cessé d'accompagner ce travail littéraire, d'une recherche économique free lance. Je dirai même qu'il faut inverser les facteurs et que mon activité principale a été la recherche économique. C'est parce que les méthodes en vigueur ne me permettaient pas de prendre en compte la réalité que j'observai, que j'ai été acculé à la création de concepts nouveaux et à la nécessité pratique de les nommer d'où la littérature.

 

On ne s'étonnera pas alors de voir mon travail philosophique et littéraire jalonnés d'articles et communications d'économiste. Monique Saigal (59) va jusqu'à dire que mon œuvre toute entière est un traité d'économie politique et désormais j'en suis convaincue. Il n'empêche que certaines communications le furent consciemment et dans une volonté de critique de l'orthodoxie en vigueur.

 

Ainsi à partir de la mi-Octantes mis-je peu à peu à jour dans une série d'articles dont notamment le Géonomy publié à Harvard (Est-ce un hasard?) l'idée que les rapports entre l'homme masculin (60) et sa mère la terre, était une logarchie économique répétant en grand le modèle de l'homme masculin et de sa femme… la prédation/extermination étant bien la même. J'eus bientôt l'idée qu'il en était de même pour la logarchie politique dénommée démocratie et sans doute aussi pour le Droit (61). La logarchie m'apparut alors comme le principe d'ordonnancement occidental du monde.

 

Tout cela était déjà bien sûr dans Les Prunes de Cythère dans la mesure où ce livre dénonçait le système colonial imposé aux pays dominés et aux femmes. Mais outre le fait que cela était enfin théorisé dans les formes franco-françaises, cela n'avait pas ici été entendu comme tel, le féminisme français n'ayant jamais été très puissant…

 

Les choses se mirent de plus en plus en ordre grâce à des communications telles que De la littérature à la philosophie, y-a-t-il une pensée femme? Et Ce que la littérature des femmes peut apporter aux sciences, toutes les deux prononcées en 1987 en Amérique du Sud. En 1988 invitée à Victoria en Colombie Britannique sur la Cote Ouest du Canada, en faisant aux étudiants un cours de littérature cybernétique que j'inventai pour eux, je découvris à quel point ce que je comprenais du monde était pertinent.

 

Fallut-il tout cela pour pouvoir en 1989 écrire pour la première un livre directement et intégralement au traitement de texte, certainement! La jeune morte en robe de dentelle survint sans crier gare et fut de tous et de loin le livre le plus facile à écrire. Je ne le sentis même pas passer. Sans doute parce qu'il avait mûri depuis le commencement et reprenait de façon enfin ordonnancée le drame des Prunes de Cythère (62)

 

 

 

 

4. L'ouverture du sceau

 

La jeune morte en robe de dentelle, précis de grammaire nazi s'écrit l'année même de l'ouverture du mur de Berlin. Les deux événements sont apparemment sans rapport. Constitué de petits textes dont les thèmes se reprennent, il décrit les rapports d'une mère et de sa fille. La mère étouffe complètement sa fille et veut la transformer en poupée/prothèse dont elle a seule l'usage. La fille est comme expropriée d'elle-même.

 

Dans ce livre, le vocable CA/LA apparaît comme le lieu où la mère porte la main pour assurer son emprise, ce n'est pas alors un néologisme présenté comme tel, mais une simple formulation littéraire, si je peux utiliser ce terme étant donné le fonctionnement de ma création. C'est par suite seulement que ce CA/LA est devenu un néologisme autonome pour nommer le point de projection de la mère de l'être-en-soi sur l'être-lieu.

 

Une fois écrit et publié, ce texte majeur (à n'en garder qu'un ce serait celui là) m'est apparu au delà des rapports de la mère et de la fille, décrire tout aussi bien les rapports entre la Télévision se comportant comme La Grande Logicielle (63) et la population/biomasse de plus en plus formatée et rejetée. On pouvait même (prouesse suprême), en lisant le livre à l'envers, c'est à dire en commençant par la fin et en remontant vers le premier texte, y découvrir un traité de procréation artificielle. J'ai été passablement surprise de ces découvertes, mais habituée à mes livres volontairement constitués à double ou triple fond, n'y ai rien vu d'exceptionnel…

 

Ce en quoi j'ai eu tort et qui m'a montré que toute d'avant garde que j'étais dans les constructions intellectuelles, l'avancée des évènements historiques me damait quand même le pion. La newcité (64) série d'articles théoriques, décoda de façon plus traditionnelle les bouleversements globalitaires à l'œuvre et le ravalement de la matière humaine au rang de capital humain (65). Assurément la Révolution Cybernétique était à l'œuvre mais je n'en mesurai pas encore l'ampleur, me contentant alors de la constater.

 

Je commençais dès la fin de La jeune morte en robe de dentelle un autre livre toujours en cours aujourd'hui Rose prends garde au jardinier tentative de reconstruire tout autrement le système de la représentation à partir d'un point de vue qui aurait rompu avec la logarchie et qui substituerait la sévration, à la séparation, mettant enfin fin à la douleur de la séparance.

 

Dans ce nouveau système de représentation, l'être femme pourrait se penser comme sujet pour son propre compte parce qu'il n'y aurait plus besoin de se débarrasser de la mémoire de la mère en la projetant sur un être-lieu pour s'assurer pour soi seul la possibilité d'être un être-en-soi. La dévoration ne serait plus alors le principe fondateur de la vie économique.

 

La guerre du Golfe en Janvier/Février 1991 produisit l'ouvrage le plus étrange et le plus excitant qu'il m'ait été donné d'entrevoir, sinon de réaliser, car écrit pendant les bombardements américains sur l'Irak, il a cessé avec eux et n'a jamais pu reprendre. J'ai dû me résoudre à le jeter inachevé. Ce livre était ce que (si j'avais pu le mener à terme) aurais pensé et écrit de plus intelligent. De quoi s'agissait-il?

 

Le dernier dimanche de la paix, trois jours avant la déclaration de la guerre qui apparaissait à tort ou à raison à l'époque comme le déclenchement d'une guerre mondiale (66) et consciente de l'ampleur de l'événement j'avais le matin même fait une promenade dans le parc de Versailles et l'après-midi assisté à une représentation au Théâtre de l'Atelier du Maitre de Go…tiré d'un livre de Kawabata (67). J'ai toujours eu horreur des adaptations théâtrales avec le raisonnement un peu borné que si l'auteur avait voulu écrire une pièce de théâtre il l'aurait fait (68).

 

Néanmoins à la guerre comme à la guerre, il n'y avait guère d''autre choix. Cette représentation théâtrale fut une vraie fête des yeux de la tête et du cœur. Il n'y eut qu'une seule fausse note une réplique (69) au sujet de laquelle je me suis fait la réflexion que cette idée allait à contre-courant et ne pouvait pas être dans le roman de Kawabata car elle en détruisait la cohérence… Je me fis le pari à moi même que si ce que j'avais pressenti était vrai, (donc une idée tordue rajoutée par l'adaptateur au mépris de l'auteur), j'écrirais un livre sur ce sujet.

 

Le lundi matin, j'ai acheté et lu Le maitre ou le tournoi de go roman de Kawabata et ai constaté avec la jubilation qu'on imagine avoir eu raison. Je me mis au travail et commençai la rédaction de Vous qui prenez sur vous l'ordre du monde. Ce livre était dédié "Aux guerriers, aux acteurs". En s'appuyant sur la différence du système de représentation de la mère dans l'univers mental japonais et occidentalo-logarchique, il explorait le déplacement pour l'adaptation de la méthode de représentation entre le théâtre et l'audiovisuel, le passage du monde du HORS (la logarchie théâtrale qui se défausse sur l'acteur bouc émissaire investi du rôle) au monde du EN dans lequel cette formule n'est plus possible.

 

J'écrivais ainsi tout les matins mêlant la guerre télévisée (une première partie) à cette adaptation théâtrale (deuxième partie). Malheureusement (si j'ose dire), une fois la guerre finie le livre s'arrêta pile et ne reprit jamais en dépit de mes efforts pour le terminer. Ne déplorons pas trop sa perte car si c'était incontestablement ce que j'avais écrit de plus intelligent, il n'aurait guère eu de lecteur en raison de la complexité de la forme, laquelle faisait apparaître Canal de la Toussaint, un abécédaire pour enfants.

 

La guerre finie je trouvai enfin la force créatrice de terminer Ton nom de végétal (Ed Trois) 1999 commencé huit années auparavant. Sans doute la substance de Vous qui prenez sur vous l'ordre du monde, aux guerriers, aux acteurs est elle passée toute entière dans ce volumineux pavé qui en fin de compte, tout autrement, traite de la même chose. Le bouleversement de la représentation dans un essai fiction qui comprend cinq parties Génération, Récit, Paradis-fiction, Roman et Contemplation.

 

Mis à part mon bataclan littéraire habituel poussé là aux extrêmes limites du littérairement correct (70) on y trouve l'émergence de THIN et de l'emprésentation. Thin est le corolaire de Jon en tant que nouveau pronom prenant en compte la nouvelle ontologie. Une contraction de THEY et IN pour nommer la biomasse décérébrée pour autant qu'elle est perçue du point de vue de La Grande Logicielle quitte à ce que ce point de vue aliénant soit ensuite intégré et propagé par les victimes elles-mêmes. J'ai souvent remarqué que les élèves disaient ils quand ils voulaient parler d'eux-mêmes, globalement.

 

Quant à l'empresentation, c'est le nouveau système de représentation/représentement quand il ne peut plus se tenir en projetant HORS du sujet ce qu'il faut se représenter, mais tout au contraire que cette projection doit avoir lieu EN un monde global dans lequel il n'y a plus d'ailleurs, d'extérieur, de distance, ni finalement d'autre. Difficile pour le moment d'aller plus loin dans la théorisation qui passe là par ce que j'ai appelé un essai-fiction en forme de retable selon Jennifer Waelti-Walters (71).

 

Ecrivant tout cela, je n'avais pas bien sûr encore conscience de la nouvelle forme atteinte que je décris pourtant dans ma communication de 1994 A bord du je de l'écriture (72). Un tout autre ordre à l'œuvre. Je n'ai pu le verbaliser vraiment que cet hiver. De quoi s'agit-il? L'ontologie subit actuellement une révolution aussi importante que celle de la Renaissance.

 

De même que celle-ci inventant l'humanisme moderne mît l'être humain masculin au centre de la création, et je m'étonne qu'on ne se soit jamais étonnée du mot Renaissance pour nommer cette période d'évacuation du féminin (73), la Révolution Cybernétique d'aujourd'hui place La Grande Machinerie au centre de la représentation du monde et rejette la matière vivante dans la périphérie. Et je dis bien la matière vivante, car il s'agit là d'une post-humanité (74).

 

Le système logarchique s'effondre, non pas parce que l'être-lieu a réussi à s'émanciper, encore qu'on pourrait considérer les luttes des minorités dans cette perspective de démocratisation généralisée (75), mais pour des raisons de progrès technique. L'un n'empêchant pas l'autre. La Révolution Cybernétique rend possible l'émancipation de l'être-lieu dans la mesure où la mère peut pour chacun et chacune être désormais polarisée sur La Grande Machinerie. Celle-ci pourrait bien sur le plan de la Géonomie (76), donner naissance à une Economie Distributive (77).

 

Ainsi avec le recul, mon œuvre m'apparaît-elle tout autrement. Là où j'avais crû dénoncer le système existant et l'oppression/liquidation qu'il me faisait subir en tant que femme et en tant qu'être-lieu fusionnaire, je découvre aujourd'hui une construction philosophique émancipatrice de la logique européenne. Le nouveau monde est à l'œuvre plus que jamais, c'est bien la NEWCITE.

 

Le mythe de Magellan trouvant le passage de TOUS LES SAINTS le jour de la Toussaint après s'être embarqué avec des cartes fausses m'apparait alors comme le mythe fondateur de ma recherche de Sciences Sociales depuis le commencement. Je n'ai pas cessé d'errer dans la mer océane croyant explorer le passé alors que j'inventai des concepts pour penser le nouvel ordre cybernétique aujourd'hui à l'œuvre dans une globalisation féroce qui débouche sur une guerre généralisée (78) sinon de chacun contre tous.

 

En fuite et pourchassée, la matière vivante tenter de s'établir ailleurs, de se rétablir, mais rien ne prouve que cela soit possible, si sa niche écologique est détruite par la grande machinerie à l'œuvre et l'apparition d'une espèce post-humaine qui se reproduit autrement que par les voies naturelles (79) C'est ce que raconte Au présage de la mienne (Le loup de Gouttière) Minotaure en habit d'Arlequin et Le marchoir (L'Harmattan) Grand choix de couteaux à l'intérieur (Vent d'Ouest) jusqu'aux recueils de poèmes Resserres à louer (An Amzer) et Les poèmes de la Petite France (Ecbolade).Peut-être étaient-ce déjà le cas des livres des Editions de Minuit? (80)

 

Tous ces livres adoptent des formes nouvelles d'errances et de labyrinthes que n'avaient pas les précédents. Que faut il en déduire? Que soumise à des conditions inhumaines (81) chassée de moi-même, excentrée en proie plus que jamais à un ordre cannibale qui comme à d'autres époques sinistres de l'histoire considère que tout est permis, je n'ai plus du tout d'endroit pour être. Cet ordre à l'œuvre, ce chaos meurtrier devrais-je dire rappelle l'increvable totalitarisme. Je sais depuis toujours que c'est bien de cela qu’il s'agit. Cellla.

 

On s'est étonné de voir l'ancienne Russie résurger hors des décombres de ce qui n'avait été alors qu'une longue glaciation croyait on. Analyse superficielle! Les lettres de Custine relatant son voyage en Russie dénoncent déjà des tares qu'on a attribuées au régime communiste alors qu'elle le précédait largement. La bureaucratie, l'obéissance aveugle, l'absurdité etc…

 

De la même façon le totalitarisme globalitaire, le techno-publicisme qui émerge aujourd'hui n'est pas la résurgence des totalitarismes de l'époque précédente qui les aurait simplement gelés bien qu'il entretient avec eux de curieuses connivences. C'est bien plutôt qu'ils prennent tous les uns et les autres, appui sur la mémoire refoulée de la mère. Cela, c'est ce que je me suis depuis toujours efforcée de penser.

 

Fabriquer des outils pour penser le lien à la mère, le continent noir délaissé y compris par la psychanalyse elle-même, c'est cela l'objet de ma recherche et vers quoi converge comme autant de chemins d'approche, mes si nombreux néologismes (82). Et quand cela en raison de l'histoire devient monstrueux, c'est CA/LA, CELLA, CELLLLA qui enfle démesurément.

 

Pas tout à fait, car chacun le sait… une cella ce n'est pas seulement la mère latine de la cellule, celle qui biologiquement nous construit et nous incarcère dans une étrange opposition, mais avant tout la petite pièce du temple dans laquelle on enferme et on protège pour l'offrir à la vénération la statue… de la dieue? (83)

 

 

NOTES

 

(1) Dans les années Cinquante; on ne plaisantait pas avec l'Instruction. On passait déjà un examen pour entrer en 6e, et on pouvait en repasser d'une année sur l'autre dans les matières faibles. Mon cursus peut donner à espérer à tous les mauvais élèves en "Français", les choses se sont améliorées en Seconde.…

 

(2) La première pièce que je vis à l'âge de 9 ans, fut On ne badine pas avec l'amour de Musset. Je n'y compris pas tout. Mais cela ne m'empêcha pas de la raconter à mes petites camarades le lendemain dans la cour de récréation de l'école communale de la rue des Moines (Paris 17e). J'appris rapidement l'expression Jeune Premier qui me parût bizarre et confirma le soupçon que j'avais déjà envers la langue. Quant aux Matinées qui avaient lieu l'après-midi, je n'en suis pas encore revenue. Passons sur les Couturière, Générale, Cintres, Cour, Jardin, Baignoires, Orchestre et Poulailler tous ces termes dont pas un n'avait son sens courant… Georges Descrières dans le rôle de Perdican, focalisa longtemps mon amour du théâtre, et mon amour tout court. Comme ayant déjà publié plusieurs livres, je le lui écrivis, il ne me répondit pas. J'en éprouvai beaucoup de tristesse mais n'en tirai aucune conclusion hâtive sur la distanciation théâtrale.

 

(3) Née à Paris de parents eux-mêmes nés à Paris, cette ville est mon village. J'y ai à trois ans près, toujours habité et les trois quarts du temps dans le 17e arrondissement. J'y suis plus que profondément attachée.

 

(4) Editions des Femmes: 6 Rue de Mézières 75006 Paris

Editions Voix: Richard Meier 35 Rue de la Victoire 57950 Montigny-Les-Metz

 

(5) Je ne l'ai eu qu'à l'âge de 35 ans, et encore me l'a-t-on imposée. Je la fuis plus que jamais.

 

(6) Dans le monde d'avant Mai 1968 qui fut la cause d'une absolue révolution des mœurs, la virginité était alors pour les filles une obligation sociale confortée par l'absence de contraception. Les filles-mères étaient exclues de la société. Là aussi, on est étonné(es) d'entendre les femmes d'Afrique du Nord faire des récits d'enfermement dans lesquels nous reconnaissons nos expériences de filles.

 

(7) Je vis ainsi mon auguste paternel remonter un ou deux cartons et déployer devant nos yeux ébahis Balzac et Stendhal. J'étais médusée du prodige, car je ne soupçonnais pas que nos sous-sols recelassent de pareils gisements. Ma sœur ainée faisait la tête, car elle trouvait que la levée simultanée de la censure pour nous deux était la négation de son privilège d'antériorité. Mais elle oubliait qu'elle n'avait pas comme moi, lu in extenso Les Misérables quatre fois de suite avant l'âge de 12 ans, ni non plus rigolé doucement en entendant notre géniteur m'interdire Marion de Lorme, que je ne faisais que relire… J'ai ainsi dévoré tout ce qui me tombait sous la main. Je lisais in extenso les auteurs au programme sans me contenter des petits résumés de nos divers manuels. J'ai écumé la bibliothèque du lycée, poursuivant avec celle de l'arrondissement. Le livre de poche m'apporta un fier salut. Je m'étonne encore aujourd'hui d'avoir consacré l'argent que ma grand-mère paternelle me donna pour mes dix-sept ou dix-huit à l'achat du théâtre d'Euripide dans la Pléiade, et aux poèmes d'Evtouchenko annonçant le dégel. J'ai fait le tour de la Grande Bretagne en auto-stop en 1963 avec le Traité du désespoir de Kierkegaard dans mon sac à dos… J'ai lu au long cours, collant au terrain, et au présent encore, faisant mienne la formule de Godard à qui on demandait ce qu'il lisait "Quand je suis près de la gare, je lis ce qu'il y a au kiosque de la gare". Signalons au passage que la formule franco-française Je ne lis pas n'est pas à prendre au pied de la lettre, mais une sorte de réserve pudique.

 

(8) J'ai pendant des années racheté chez les bouquinistes les livres de la collection Nelson qui m'avaient enchantée enfant. J'ai mis du temps à reconstituer les plus de 50 volumes des œuvres de Victor Hugo, mais, c'est fait.

 

(9) Une autobiographie psychiatrique pourrait se pencher sur ce genre d'inconscience qui doit avoir maille à rejoindre avec la nécessité d'oublier les transgressions dont le souvenir serait trop lourd à porter. Ma grand-mère paternelle conseillait de ne pas mettre tous ses œufs dans le même panier. Ai-je appliqué cette sage règle à la personnalité, en faisant la part du feu, pour permettre à au moins une partie de moi d'aller de l'avant au mépris des dangers et représailles, qui commencèrent tôt?

 

(10) Et du même coup des particularités de la société française dans laquelle les femmes sont interdites de parole autrement que comme objets sexuels, alors que ce pays se croit à l'extrême pointe des avancées sociales…

 

(11) Un des mobiles de l'écriture est-il le sentiment d'isolement qu'on éprouve à ne pas trouver en matière d'idées, chaussure à son pied? C'est ainsi que j'ai construit tout un système philosophique comprenant une langue, au sens où on dit désormais les français, pour prendre en compte le québécois et le sénégalais.

 

(12) Pour autant que je m'en souvienne, mais cela date maintenant de quarante ans, ces nouvelles traitaient d'événements humains et sociaux observés et étaient de facture classique, sans doute comme une partie de celles publiées dans le recueil Auditions musicales certains soirs d'été (Des femmes). La seule qui ait échappé à la destruction parce que confiée à un tiers ne m'a pas parue à la relecture à l'âge adulte être un chef d'œuvre immarcescible. Je regrette par contre la perte de mon journal d'adolescence, car sans doute tout y était déjà en germe. Je l'ai détruit en Mai 68 craignant qu'on y trouve la preuve de mes opinions radicales…

 

(13) Ils furent dans ma vie un élément décisif. Je n'ai pas participé au mouvement du Quartier Latin que j'ai trouvé plutôt tarte mais au Comité d'Action du quartier (Les Abbesses) socialement et professionnellement mêlés puisqu'on y trouvait des ouvriers de chez Renault, un fils de teinturier, des étudiants, et ce que j'appelle les intellectuels singuliers, c'est à dire ceux qui ne se réclament que d'eux-mêmes, mais pleinement. Par ailleurs l'histoire du Mouvement de 68 reste à faire, car il m'a semblé passé à la trappe un peu rapidement.

 

(14) Il ne s'agit pas du mentir-vrai des amours littéraires mis en scène, mais de comprendre que c'est la même pulsion vitale qui tout au long de ma vie m'a poussée à l'amour et à l'écriture. Deux formes de lutte physiologique pratiquée par un organisme en péril, tentant par tous les moyens de se propager.

 

(15) Si certains méritaient bien leur sort, ce n'était pas le cas de tous et je regrette la perte de certains. J'ai toujours jeté avec autant de conviction que je produisais. Habituée moi-même à être jetée, je n'ai jamais eu la tête enflée de mes œuvres. On peut y voir, outre les raisons objectives, l'origine de mon peu d'empressement à la socialisation de mes productions. J'ai toujours pensé que les œuvres détruites revenaient autrement dans les suivantes, mais je ne suis plus sûre aujourd'hui d'avoir raison. Sans doute est-ce un effet de l'âge… En tous cas c'est une ascèse qui protège de l'avarice et de l'autosatisfaction. On peut pratiquer ainsi une sorte de kippour des œuvres et des objets, un inventaire général de l'Oeuvre. Chaque élément devant être justifié dans sa nécessité de perdurer.

 

(16) Ce voyage au Mali en 1967 fut l'un des événements dont j'ai l'habitude de dire qu'ils m'ont tout donné. Cette expression signifie alors la possibilité de se refonder sur des bases nouvelles intégrant des éléments culturels nouveaux. Dans ces régions où les Blancs n'étaient pas encore si fréquents, nous fûmes traités comme des hôtes royaux. J'y découvris des corps de femmes libres, puissants et généreusement parturiant en accord avec la puissance de la nature, les objets et les rites. Le moindre petit banc sculpté y racontait l'histoire du monde. La découverte des Dogons fut un enchantement absolu.

 

(17) C'était la règle chez les étudiants. A cette époque, ce choix était connoté comme progressiste et tiers-mondiste. Néanmoins, je m'étonne et m'émeus de retrouver dans mes souvenirs de fréquents déjeuners au Mess des Officiers de Fort Tartenson à Fort de France. Est-ce d'y sentir et/ou d'y imaginer un petit fumet d'Humphrey Bogart?

 

(18) Les fruits poussaient partout, notamment les fruits à pain fournissant l'équivalent des pommes de terre qu'on importait au prix d'échanges commerciaux désavantageux. Il en était de même du poisson surgelé qui concurrençait bêtement les pêcheurs artisanaux de l'une des mers les plus poissonneuses du globe.

 

(19) Tout ceci a été très bien décrit par le psychiatre Frantz Fanon dans Peau noire, masques blancs (1952).

 

(20) Le Il ou Elle remplaçait le vous et créait des désaxages de points de vue. Car si cette forme ancienne peut être pertinente quand il s'agit d'une majesté au milieu de son décorum, dans la vie quotidienne, c'est une autre histoire….

 

(21) Auteur notamment des Cahier d'un retour au pays natal (1939) qui rompait radicalement avec le mythe des tropiques enchanteurs pour voyageur en mal d'exotisme et ce, bien avant les Tristes Tropiques de Lévi-Strauss.

 

(22) C'est le leitmotiv de toute la première partie de mon œuvre. Prémisse d'une douleur aujourd'hui davantage politisée parce que plus radicale, celle de l'exclusion en cours.

 

(23) Alain Finkielkraut à France-Culture a récemment abondamment expliqué que dans les années soixante, personne n'avait entendu parler de Simone Weil, que cela était impossible à l'époque et qu'il venait juste de la découvrir… Néanmoins on en parlait l'année scolaire 1961-62 au Lycée Hélène Boucher. Il est vrai que ce n'était qu'un Lycée de filles…

 

(24) Cette légende perdure de-ci de-là… Paraissent dans les anthologies, les manuels et les encyclopédies régulièrement des textes qui me présentent encore ainsi. Marlon Brando dit que l'acteur ne sait pas toujours lorsqu'il tourne un film, le mythe qu'il va créer. L'auteur en écrivant, sans doute encore bien moins. C'est pour cela que l'inconscient est inconscient, parce qu'il est interdit de séjour pour des raisons pratiques ou d'ordre public…

 

(25) Selon l'expression-titre de Marie Cardinal. C'est depuis, dans le milieu, devenu un vrai concept.

 

(26) Banal en Amérique, ce genre mélangé est inconnu en France. Je le définis comme un essai philosophique qui se présente comme un roman. Ce fut avec sa critique, la voie royale du mouvement transatlantique qui pour le compte des femmes, poursuivit jusqu'à aujourd'hui la brèche réalisée en 1968.

 

(27) Il n'y a pas en France moyen de faire comprendre cela! Toute critique politique de la vie privée de nos surhommes, déclenche de telles représailles qu'on hésite à récidiver. Nos petits camarades ne peuvent être que d'éminents progressistes dans tous les aspects de leur vie. C'est plus qu'une présomption irréfragable, c'est un dogme.

 

(28) Je l'assimile à celle de Mireille Mathieu dont beaucoup se moquent mais qui finit quand même par émouvoir à cause même du décalage dû à son absence de malice. Je dis quelquefois que je suis la Mireille Mathieu de la littérature…

 

(29) Ieme van der Poel: Une révolution de la pensée Rodopi 1992.

 

(30) Obtenu par l'action conjointe du Parti Communiste d'obédience stalinienne freinant le mouvement, le retour miraculeux de l'essence dans les stations service la veille du week-end de Pentecôte après plusieurs semaines de grève générale, et la dissolution de l'Assemblée Nationale pour renvoyer dans l'esprit des Institutions, les députés devant leurs électeurs.

 

(31) Le film culte de cette époque, Les Valseuses sauf erreur de Bertrand Blier incarna pour moi pendant des années la libération sexuelle et j'en gardais un souvenir charmant. Malheureusement en le revoyant récemment à la télévision, je fus épouvantée de découvrir qu'y étaient déjà à l'œuvre les germes de mort qui ont triomphé aujourd'hui de l'élan vital, transformant la libération en libéralisation de la femme, sur le modèle de celle du transport aérien, et la société en bordel obligatoire, couvrant la ville d'affiches qui saturent l'imaginaire de simulacres.

 

(32) Ce Programme Commun permettait d'envisager la fin de la division née en 1920 du Congrès de Tours et d'envisager autrement la vie politique franco-française. Les lendemains qui chantaient plus ou moins depuis 1945, pouvaient cette fois espérer aboutir à une vraie réforme sociale dont on sentait vraiment le besoin.

 

(33) Ce n'est pas la quasi-bigamie de François Mitterrand qui pose problème. C'est qu'il l'ait cachée à la fraction du corps social pour laquelle il incarnait l'émancipation (particulièrement celle des femmes) et qu'il les ait entretenues aux frais du contribuable dont ce n'est pas la vocation principale. Enfin qu'il ait confondu la réalité politique avec l'assouvissement de ses fantasmes personnels, donnant à la société française la tournure inquiétante qu'elle révèle aujourd'hui. Ceci sans évoquer les aspects financiers de l'affaire dont la presse se fait tous les jours l'écho dans la chronique judiciaire, ni non plus l'attitude complice de la caste médiatico-politique qui tout en étant au courant, se gardait bien d'en informer les citoyens…

 

(34) Les 16 et 17 Juillet 1942, 12 884 juifs parisiens furent arrêtés par les policiers français et concentrés, malades, vieillards et nourrissons compris au Vélodrome d'Hiver (Métro Bir-Hakeim), avant d'être déportés pour y être assassinés à Auschwitz. Ces horreurs et quelques autres restèrent cachées à ma génération jusqu'en 1969 où le documentaire historique de Max Ophuls Le chagrin et la pitié nous révéla l'ampleur de la Collaboration. Nous vivions jusque là dans le mythe d'une France intégralement résistante, sans trop y croire pourtant en raison de nos expériences d'enfant. Voir la littérature de Modiano. C'est sans doute pour cela que l'un des cris de ralliement des soixante-huitards fut Nous sommes tous des juifs allemands. Pour scandaleux que ce slogan paraisse il n'était pas nécessairement dénué de fondement, si on l'avait compris comme une demande de comptes globale de notre génération à celle de nos parents. Néanmoins elle fut complètement étouffée. Encore dans le deuil de la Shoah jusqu'en 1985, sortie du film de Claude Lanzmann, les consciences juives ne vinrent pas nous apporter leurs clartés. Je suis persuadée que ce rendez-vous manqué est l'une des causes de la résurgence actuelle du nazisme.

 

(35) Voir le film La Reprise (1996) d'Hervé Le Roux. Et la critique que j'en ai fait La langue de la parole partiellement publiée dans Chronique Féministe N°63 Sept-Oct 1997. Les soixante-huitards du mouvement des travailleurs n'ont pas tourné leur veste, comme les leaders étudiants du même mouvement.

 

(36) Ce qui était d'autant plus difficile qu'on n'avait pas le droit de sortir….

 

(37) Aujourd'hui encore je suis handicapée par toutes sortes d'ignorances pratiques quotidiennes, découvrant avec humiliation que ce n'est pas le cas de mes homologues masculins. Je me souviens avoir entendu un enfant de harki se plaindre qu'on les ait laissés pourrir dans des camps sans rien leur apprendre et que cela rendait difficile leur intégration….

 

(38) Cette méthode consiste à creuser ce qui paraît des anomalies au lieu de les laisser de côté ou de les maquiller. C'est ainsi que j'ai découvert les deux ou trois points de passage dans la Genèse de la Bible.

 

(39) Cet hermétisme a été rendu nécessaire par prudence, car il y a vingt-cinq ans le scientisme féroce qui régnait n'admettait aucune critique. Et pas beaucoup aujourd'hui même si vache folle et marée noire permettent de mettre en doute le dogme du progrès interrompu des techno-sciences. J'ai depuis, découvert que la tradition hermétique parcourt de façon souterraine l'ensemble de l'histoire de l'Occident, sans doute pour les mêmes raisons.

 

(40) Adaptée de La baisure (Ed des Femmes). Musique Murielle Lucie Clément.

 

(41) Je suis convaincue d'avoir servie de cobaye pour des traitements expérimentaux, mais comment le prouver?

 

(42) Les bouleversement psychiques et culturels consécutifs à ces produits chimiques n'ont été ni écoutés ni compris par personne, et ils sont encore aujourd'hui pour moi l'objet d'une terreur inouïe. Si j'ai pu en surmonter certains ce n'est pas le cas de tous et ma vie en est encore lourdement invalidée presque vingt ans après.

 

(43) Voir ma communication A bord de l'innommable publiée dans L'écrivain et la solitude à l'Hexagone.

 

(44) La phrase effacée est dont le chant imite celui des autres….

 

(45) André Chouraqui dans sa nouvelle traduction de la Bible parue en 1975 chez Desclée de Brouwer a inventé une nouvelle méthode qui rénove le texte et lui rend son souffle poétique original. Il a notamment inventé pour traduire le premier mot Béréchit, à la place du traditionnel Au commencement un néologisme: Entête. En un seul mot. Ainsi me mit-il le pied à l'étrier. C'est cette idée d'une pensée naissance et pas encore verbalisée que j'ai repris dans mes A bord qui commencent presque toujours mes communications à usage transatlantique. J'ai également dans La meurtritude réalisée toute une translation de la Genèse à partir de son texte. Elle fait apparaître une structure de pensée parfaitement logique confirmant la rigueur de la poésie en tant qu'outil intellectuel.

 

(46) De son côté Cornélius Castoriadis a donné une formulation mathématique du même concept, auquel il a donné le même nom!

 

(47) L'ordre est un ensemble de règles imposées par le dominant pour son compte et dans son intérêt, alors que l'organisation est le chaos, l'effort de chaque vie de combattre pour son compte. Dans le langage concentrationnaire, organiser veut dire voler, l'organisation c'est la jungle pour le meilleur et pour le pire.

 

(48) Toutes ces définitions sont dans La pensée corps (Des Femmes) et bien d'autres. L'encept est notamment le concept ouvert reprenant les concepts voisins qui lui ont donné naissance, et il forme avec eux une constellation. Si le concept a un nom, l'encept en est les prémisses. Par exemple si l'enfant est un concept, l'encept reprendra l'enfant avec sa mère, c'est à dire son histoire, sa mémoire et son sacré. Il se pense en termes de liens. L'enception est à la conception ce que l'encept est au concept. Elle encercle sans rigueur ni rigidité des concepts en voie de constitution. Quant à la chaïque elle est la logique du chaos, elle est à la logique ce que le chaos est au logos, son ombre noire. Enfin la biochaïe est aujourd'hui ce grand mêlement désordonné de la matière vivante artificiellement manipulée. Quant à la chaorganisation c'est sous l'apparent désordre ambiant, l'intégration croissante de la matière vivante planétaire, historiquement parlant.

 

(49) Certaines femmes médecins hospitaliers conviennent en privé du caractère concentrationnaire de celui-ci.

 

(50) Avec l'accouchement…. d'avant la péridurale…

 

(51) Il montra sur le terrain ce que d'autres s'efforçaient de démontrer, la rotondité de la terre. Je fais de même avec l'existence de la deuxième moitié de la raison. Non une irrationalité qui nierait celle des Lumières, mais un cadre plus vaste dans lequel s'inscrit en tant que partie, la logique déjà en vigueur.

 

(52) On se moque de la manie des thèses universitaires qui exigent la compilation du travail des prédécesseurs. On a tort car cette activité est indispensable à la connaissance et c'est de plus un rite d'humilité. Pas de connaissance humaine sans déjà ce modeste empilement.

 

(53) J'ai souvent rêvé par ce moyen d'établir une sorte d'inventaire général des formes possibles envisageables et imaginables pour montrer combien l'orthodoxie en vigueur est pauvre à côté de toutes les nombreuses possibilités culturelles dont le modèle se trouve dans la végétation, cette rêverie de la terre.

 

(54) Mes derniers livres sont sur le modèle du labyrinthe. Est-ce de tant errer en attendant le nouveau Thésée? Cette vache folle qui nous menace a – t - elle à voir avec le Minotaure?

 

(55) Demeure intacte la question du dernier livre. Je ne désespère pas d'y trouver une réponse. Il est en cours, il est manuscrit, et il s'appelle La cérémonie. Il peut être interrompu n'importe quand. Le plus tard sera le mieux. Un livre au chevet est-il un livre de chevet? Charon l'accepterait-il pour le prix du passage?

 

(56) Il s'agit là du tome philosophique auquel devrait normalement s'adjoindre plus tard un tome concernant l'application de la logarchie aux Sciences Sociales. Il est pour le moment constitué de 500 pages de notes.

 

(57) Aliénée parce qu'on m'a excentrée, rendue excentrique en désaxant mes préoccupations hors de moi-même pour confisquer ma vitalité et mes productions au profit d'autres que moi même. Et possédée parce que d'aucuns ou d'aucunes ont cru pouvoir se comporter à mon égard en propriétaire.

 

(58) Etant donnée l'importance culturelle de l'île, comparativement à la Grèce continentale et à l'Egypte, il semble qu'on n'ait pas vraiment fouillé la Crète. De peur d'y découvrir quoi donc? Ce qui nous relie au Sud, à la Déesse-Mère, à la Grande Vache nourricière dont nous font souvenir Phèdre et Ariane, demi-sœurs du Minotaure?

 

(59) Pomona Collège. Californie. Etats-Unis.

 

(60) Par opposition aux hommes féminins. Puisqu'en France l'homme est universel, il faut préciser…

 

(61) J'en suis là dans mes recherches en Sciences Sociales. L'émergence bruxelloise d'un droit sans Etat ni loi, donne du grain à moudre. A suivre…

 

(62) Je n'ai jamais aimé ce livre à cause de son chaos. Je n'aime pas non plus le chaos et n'en fait pas l'apologie. Je le préfère seulement à un ordre qui a décidé ma perte. Le légalisme n'est pas la garantie de la survie.

 

(63) Version cybernétique de la Grande-Toute, elle nous formate en nous disant ce qu'il faut penser et faire. Elle nous distrait et nous manage dans des secteurs croissants de la vie. La zapette donne aux hommes masculins l'illusion de la gouverner par le choix qu'ils peuvent faire, et c'est pour cela qu'elle leur plait tant.

 

(64) L'ensemble La Newcité comprend A bord de la newcité (1989), Les sigles de la newcité, le capital humain, La révision de la newcité (1990). Circulation samizdat.

 

(65) Rien d'étonnant à cela puisqu'étymologiquement le mot capital vient de cheptel, troupeau.

 

(66) A l'époque l'Est n'était pas encore décomposé comme aujourd'hui et la nouvelle époque militaire des guerres hors-sol, pas encore dévoilée. C'est d'ailleurs celle du Golfe qui l'a inaugurée. On attend toujours le bilan des morts irakiens. Est-ce parce qu'on considère que ce ne sont déjà plus des hommes qu'on s'est dispensé de le publier?

 

(67) Adaptation de Philippe Faure. Mise en scène de Jean-Paul Lucet. Avec Michel Bouquet, Jacques Spiesser et Jerôme Anger. La pièce a été créée au Théâtre des Célestins à Lyon le 5.11.1990.

 

(68) Bien que cette pièce ait été une féconde exception, au vu des excès d'aujourd'hui, je confirme mon point de vue. Les adaptateurs d'aujourd'hui sont en train d'effectuer des composts étonnants… s'en tenir au choix de l'auteur est une sorte de garde-fou.

 

(69) Il n'y a pas de différence entre ma chambre d'hôpital et un tournoi de go.

 

(70) Ce que le milieu littéraire d'avant-garde peut admettre. La limite de l'intelligibilité. J'adhère à Sokal quand il affirme qu'une phrase peut n'avoir aucun sens et comme professeur de lycée, j'en ai souvent l'expérience. Mais encore faut-il parfois faire l'effort de se demander ce que cela pourrait bien vouloir dire.

 

(71) Professeur en retraite de l'Université de Victoria. Colombie Britannique. Canada.

 

(72) Prononcé au congrès du CIEF à Québec en 1994, cette communication a été publiée dans Etudes Francophones Vol 12 N°2 Fin 1997. Elle ne doit pas être confondue avec A bord de l'écriture publié dans L'écrivain et l'espace chez L'Hexagone.

 

(73) Cette ambiguïté est très bien montrée dans le film d'Agnès Merlet Artémisia 1997. Voir mon article Les trois degrés de la conscience. Circulation samizdat.

 

(74) Aussi incongrue que cette notion paraisse, mais de toutes façons, nous n'en finissons pas de muter.

 

(75) Le féminisme en tant que démocratisation peut se comprendre comme l'extension aux corps féminins des droits et privilèges masculins. Parmi ceux-ci le droit (ou privilège) d'être et de vivre comme un sujet ontologique.

 

(76) Définie dans La pensée corps comme la gestion d'ensemble des ressources terrestres. La confluence de la biologie, de la géographie et de l'économie.

 

(77) Le machinisme généralisé rend tendanciellement le travail inutile. Mais cette nouvelle donne du processus productif prive toute une partie de la population de revenus et de moyens d'existence. A partir de là deux solutions sont possibles: La première consiste à découpler participation à la production et répartition, en distribuant d'une façon ou d'une autre, les biens produits quasi-automatiquement. La seconde consiste à se débarrasser de la population surnuméraire. Il semble que les deux soient à l'œuvre simultanément. La première grâce aux allocations de tous poils et aux supermarchés. La seconde par tous les moyens possibles que ce soit les nombreux génocides en cours ou de façon plus soft en présentant comme une solution au chômage des emplois à temps partiel dégageant royalement des revenus de 3000 francs par mois… Il est vrai que ces emplois sont occupés majoritairement par des femmes. Si on retrouve dans la survenue de cette production presqu'automatique la problématique d'un certain Karl, on est obligé de convenir qu'il lui manquait dans ses conclusions, l'expérience de la Shoah. Il semble qu'elle ait été le prologue emblématique de la liquidation cannibale. Mais les aspects économiques analysés par Hannah Arendt n'ont pas été tellement étudiés en dehors d'elle. Il me semble pourtant qu'une fois affirmée l'unicité ontologique de cet unique crime contre l'humanité, la Shoah est d'abord un événement économique. Peut-être même L'Evènement Economique. L'avènement de l'Economie. Au sens d'une nouvelle loi qui prime et exclue toutes les autres.

 

(78) Les lois du monde sont dans un certain équilibre entre la fusion et la séparation. Si la fusion augmente, la séparation doit le faire aussi comme on se penche sur le côté d'une barque pour l'empêcher de chavirer. La fragmentation est le contraire de la globalisation, et non sa négation.

 

(79) Aussi étonnant que cela puisse paraître, il semble qu'il y ait là une nouvelle réalité physiologique. Il ne suffit pas de constater qu'on assiste aujourd'hui à une séparation de la sexualité et de la procréation, car cela est vieux comme Hérode. C'est plutôt qu'il existe désormais d'autres moyens de reproduction que l'accouplement hétérosexuel permettant de toutes autres constructions génétiques, sociales et culturelles. Le mort n'est d'ores et déjà plus une limite physiologique, sans compter les multiples prothèses techniques de tous ordres. C'est peut-être encore l'homme, mais peut-être ne l'est-ce déjà plus… Car la reproduction n'est pas la procréation…

 

(80) Le Loup de Gouttière distribué par Le fer de chance (Tel: 01-34-60-10-91). An Amzer 70 rue Victor Hugo 29200 Brest. L'Harmattan 16 Rue des Ecoles 75005 Paris Vents d'Ouest 185 rue Eddy Hull J8X 2X2 Québec Canada Ecbolade 1 Bd Maistre 62290 Noeux Les Mines. Et Minuit 7 Rue Bernard Palissy 75006 Paris.

 

(81) Professeur dans un lycée technique à Paris, ma vie professionnelle est devenue une torture qui au fil des mois nous déstructure moi et mes collègues. Le syndrome des situations extrêmes est apparu.

 

(82) Il est impossible d'en faire la liste. Dans cette communication j'en ai déjà oublié. Déjà au moins la Grande Toute.Mais mon texte ne parle que de cela.

 

(83) Je reprends cette trouvaille du Québec, mais je n'y crois guère. La dimension religieuse du monde me paraît avant tout une affaire d'homme masculin, une volonté d'aménager le lien avec la mère en le préservant (dans le judaïsme) ou pour s'en débarrasser (dans le christianisme) en en attribuant la substance au masculin. Quid de la Trinité and Co? Je crois que les femmes auraient intérêt à s'inventer une métaphysique autre et qu'elles ont d'ailleurs déjà commencé à le faire avec la réécriture des mythes et le réenchantement du monde…. Qu'il ne faut pas confondre avec le New Age.

 

 

 

 

Jeanne Hyvrard

Prononcé à l'Université Sainte Marthe d'Avignon le 15 Février 2000 dans la classe du Professeur Ramond.

 

 

 

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Mise à jour : mars 2015