JEANNE HYVRARD



JE SUIS EN GRÈVE


Décembre 1995



Je suis en grève avec les Mineurs de Potasse d’Alsace et bien que je ne sache pas exactement à quoi serve la potasse, j’en suis fière et exaltée. Je me souviens dans le monde des Grands Mères, des plaques bleues émaillées qui en faisaient la réclame et de leurs cigognes aux pattes repliées.

Je suis en grève avec les Éclusiers de Champagne - Ardennes qui entre leurs portes de fer retiennent de noires péniches, ô le ventre lourd et résigné des chalands. Je me souviens de nos promenades le long de l’Aisne, le long du long chemin de halage dans les froids hivers, ô ton haleine lorsqu’on croyait qu’éternellement nous naviguerions amoureusement entre marais et gravières.

Je suis en grève avec les Manifestants de Tarbes venus d’Alstom et de Péchiney et quand on connaît Tarbes, Pau, Poitiers, Le Mans ou Angoulême, on comprend ce que cela veut dire à l’usine … Je me souviens du Cousin Eugène disant Il a été embauché à l’usine pour signifier que son avenir était assuré. Je me souviens qu’en ce temps-là débauché signifiait seulement ces noctambules qu’on voyait le samedi soir dans les films, hâves et dégingandés …

Je suis en grève avec la Section Confédération Française des Travailleurs Chrétiens de l’Ile de France qui demande au Président de la République Jacques Chirac de changer de gouvernement et qui semble avoir oublié que c’est lui-même qui l’a nommé, il n’y a pas plus de six mois. C’est fou comme la Classe Politique est usée ces temps-ci. Il est vrai que voilà longtemps qu’elle sert ses propres intérêts.

Je suis en grève avec les Agents de l’Électricité de France de Rouen qui ont basculé en heures creuses les quarante mille abonnés des quartiers défavorisés car après tout s’il y a plusieurs tarifs c’est pour pouvoir les différencier.

Je suis en grève avec les trente trois pour cent de Grévistes de France-Télécom qui la veille encore ne l’étaient que vingt et un et dont la grève pourtant n’empêche pas au téléphone les filles d’encourager les mères et les mères d’instruire encore les filles sur le tas : Vois-tu là ma fille c’est la grève générale ou presque et le pouvoir à l’arrogance de marbre commence pourtant à bouger … Souviens toi ma fille de la lutte de tes ancêtres.

Je suis en grève avec les Adhérents de la FSU qui à leur tour entrent dans le mouvement, les mauvaises langues diront qu’ils y ont mis le temps mais c’est sans doute par souci de ne pas abandonner les enfants et pourtant faute de transports les enfants, ça et là ne sont même plus là. D’ailleurs en esprit il y a longtemps que ce lieu-là est déserté. Je me souviens des ouvriers de la onzième heure. Qu’ils soient avec nous au jour du Jugement. Qu’ils soient avec nous au jour du Grand Chambardement.

Je suis en grève avec les mille Mineurs de Freyming-Merlebach en Moselle qui masqués et armés ont incendié la Direction des Houillères parce qu’ils n’en pouvaient plus de supporter le mépris et les mensonges et que celui qui revendique le titre d’homme n’est crû hélas que lorsqu’il se comporte comme une bête et encore … qui jamais a vu une bête séquestrer, murer, incendier car l’Histoire l’enseigne parfois la colère déferle et emporte avec elle sa sœur raisonnable, la politesse.

Je suis en grève avec quatre vingt dix huit pour cent des Machinistes de la Régie Autonome des Transports Parisiens qui n’en peuvent plus d’être agressés tous les jours à la même heure au même endroit par la même bande et que les avertissements qu’ils ont donné à leur direction n’aient pas suffi à faire prendre en compte le grand dérèglement.

Je suis en grève avec la quasi-totalité des Cheminots de la Société Nationale des Chemins de Fer Français qui ont été nationalisés parce que les compagnies privées avaient fait faillite et qu’on veut quand même la privatiser à nouveau fermant les lignes secondaires et les gares insuffisamment fréquentées, gardant tous les moyens pour ces trains étonnants parcourant à grande vitesse un pays dévasté. Par les hublots on ne voit plus le paysage et c’est tant mieux car sinon le doute viendrait. Je me souviens que le mouvement est parti d’eux. Je me souviens d’un Paris Quimper durant une nuit entière, un enfant dans mon ventre et de plus loin encore dans mon enfance des escales dans les longues nuits qui menaient à la montagne quand un homme - il fallait bien cela pour cette mâle tâche - à la force de ses biceps abaissait la poussiéreuse vitre de la fenêtre et au compartiment respectueux et reconnaissant qu’on ne le laissa plus longtemps dans l’incertitude, annonçait Dijon ou Bâle, le nom de la ville qu’il venait de lire sur la plaque émaillée installée dans la gare. Je me souviens de ceux là qui pour toujours dans ma mémoire sont les égaux de Pigafetta.

Je suis en grève avec les Douaniers de Marseille-Marignane qui toutes frontières disparues n’ont pourtant plus grand-chose à garder mais comprennent que dans ce pas grand-chose quelque chose demeure qui a nom mon pays. Je me souviens de la suave angoisse que causaient ces uniformes tricolores à qui bons citoyens on déclarait scrupuleusement autrefois trois plaques de chocolat. Mais non Jacques, Guy, Annette, Dominique, Eliane, José, Jean Pierre, James, Claude, je n’oublie pas l’angoisse de vos parents d’une zone à l’autre, d’une terre à l’autre, d’une vie à l’autre.

Je suis en grève avec les Ouvriers qui ont bloqué les portes de l’Arsenal de Toulon et cela on a du mal à se le représenter, surtout si on pense à celui de Gravelines ce petit fort littéraire et poétique, aujourd’hui musée. Je me souviens de Vauban ce fonctionnaire précautionneux de la défense de la terre de ses pères et de son cordon littoral d’ouvrages à toutes fins utiles, inutiles.

Je suis en grève avec les Piquets de grève de la Banque de France et cela est plus étrange encore, car ce barrage là ne parvient pourtant pas à empêcher les capitaux de circuler : Les marchés financiers sont d’une fluidité déconcertante pour que la concurrence soit pure et parfaite comme la mort d’épuisement de ceux que tue le Capital, pas même à petit feu. O ma joie d’enfant à l’émission de chaque nouveauté, je me souviens sur les billets des portraits de Racine, Berlioz et plus que tout de la République, cette folle aux seins nus.

Je suis en grève avec les Traminos de Marseille, de Lille, de Limoges si on veut bien étendre ce nom à tous les conducteurs de car, de bus, de trolley bus, de tramway, de métro rapide souterrain et en surface car qui peut dire aujourd’hui qu’il connaît tous les moyens techniques que l’homme a inventé pour être ailleurs, ô le premier aventurier qui juché sur son radeau s’embarque seul au fil de l’eau ! Ulysse, Ulysse me laisseras tu longtemps Pénélope enfermée dans la rive planétaire que tu as désertée, ne crains tu pas un jour de m’avoir tout à fait quittée ? Regarde ce qu’il advient d’une terre qu’on a cessé d’aimer …

Je suis en grève avec les Salariés de Job Parilux qui pour la troisième journée consécutive ont bloqué les routes d’accès à Toulouse Blagnac et ça n’a l’air de rien de bloquer les routes, mais ce n’est pas si facile car il y a toujours quelques conducteurs furieux pour foncer furieusement au volant de leur furieux bolide … Mais qui ne risque rien n’a rien et la guerre c’est la guerre !

Je suis en grève avec la Coordination Nationale des Étudiants qui étudiant l’Histoire ont appris que le pire était toujours possible et qui appellent à la poursuite du mouvement, refusant toute sélection tant que n’aura pas été élucidé le sort des exclus. Je me souviens de la Commune de Mai, la belle insurrection lyrique qui enflamma le Quartier Latin pour la défense de l’Alta Mater …

Je suis en grève avec les Cheminots qui bloquent le poste d’aiguillage de Paris Nord et celui là précisément parce qu’il contrôle les lignes les plus dangereuses de France, celles où les trains reçoivent des pierres et parfois même des coups de fusils. Il se trouve aussi qu’elles mènent à Londres et à Bruxelles et voilà maintenant deux semaines qu’ils sont là sur le ballast … Tiens, j’avais failli oublier ce mot là … autour d’un feu, j’espère qu’ils ne brûlent pas les rails. Je me souviens du Chef de train qui gueulait Fermez les portières et du lampiste, qui fanal à la main marchait le long du quai …

Je suis en grève avec les Bateliers des vaisseaux de la Méditerranée qui refusent de desservir la Corse bien que celle-ci fasse partie intégrante du territoire national parce que la grève générale, c’est la grève générale et qu’il ne peut pas y avoir de statut particulier, le Conseil Constitutionnel l’a lui-même proclamé.

Je suis en grève avec soixante huit pour cent des Instituteurs de l’Académie de Paris qui eux n’ont pas hésité à résister à la base à l’accroissement du fardeau sous lequel depuis longtemps déjà ils plient. Soixante huit pour cent c’est un chiffre global parce que pour tout dire, ça dépend des quartiers … Je me souviens de ma ville lorsqu’elle était une et pas encore fragmentée. Je me souviens du Marchoir, l’ultime tentative pour lui éviter de l’être.

Je suis en grève avec les Employés d’Air France, mécaniciens et manutentionnaires qui d’un mouvement tournant occupent les pistes d’atterrissage en dépit des grenades tirées horizontales. Je me souviens qu’ils m’ont appris le mot tarmac, le moderne abrégé de tarmacadam (1909, mot anglais de tar : goudron et de macadam).

Je suis en grève avec les Bus de Caen résolument en grève d’un jour à l’autre à cent pour cent et ce n’est pas étonnant, toutes roues retirées ils bloquent fermement les ponts car la ville est déjà de toutes façons sinistrée. Je me souviens de Mathilde La Brodeuse et de Guillaume le Conquérant, le bâtard le rejeton de Robert le Diable. Je me souviens de l’Abbaye aux Hommes et de la grande horloge d’autrefois. Je me souviens d’une Toussaint très triste qui sonnait le glas …

Je suis en grève avec les Transports urbains de Grenoble eux aussi totalement arrêtés et il faudrait quand même y réfléchir à ce refus de circuler plus avant, est ce à cause de ce grand marché mondial qui pervers, en tous sens brasse le monde mais pour le faire couler toujours dans la même escarcelle ?

Je suis en grève avec les Gardiens de la paix qui ont décidé de suspendre la distribution des procès verbaux pour justement la conserver dans les rues et sur les trottoirs pour autant que cela soit possible quand on voit cette cohorte de fourmis déambuler entre immeubles et machines. Et quand il neige car c’est Décembre, il ne faut pas l’oublier, je me souviens de l’état de guerre en Pologne et du mouvement Solidarité.

Je suis en grève avec les Manifestants de Lourdes, le Katmandou de la dernière chance qui n’a jamais vue une si étrange procession. Notre Dame de la Désespérance souvenez vous de ces Curés Rouges du sang et du parti des pauvres qui du Rio Grande à la Terre de Feu, Todos Santos de Mère la Terre, Notre Mère à tous portaient votre étendard pour réclamer des riches un plus juste partage.

Je suis en grève avec les deux mille Manifestants de Guéret qui n’a jamais ça, ni en Trente Six, ni même et encore moins en Soixante Huit et qui découvre stupéfaite qu’elle aussi coule dans l’entonnoir avec ses notaires, ses pharmaciens, ses douairières et ses maquignons. Les uns d’abord, le temps de se réjouir de la mort des autres, les autres ensuite car la Biomasse est Une et c’est un peuple entier qui disparaît.

Je suis en grève avec soixante pour cent des Employés de l’Arsenal de Brest et cela Prévert ne l’avait pas prévu. Je me souviens des ratons-laveurs, de la rue de Siam et du Bassin de la Recouvrance. Je me souviens de la dernière croisière que nous fîmes encore errante et poétique comme déjà la décennie sombre et chaotique annonçait la couleur noir cafard et sans séché.

Je suis en grève avec les Contrôleurs aériens d’Athis-Mons et ils ont bien raison car le désordre est devenu tel qu’on ne peut plus rien contrôler, car la parole a failli à sa parole et c’est la faillite qui maintenant se prononce, c’est la colère du peuple, le rouge au front de la honte subie et retournée. Ami regarde-toi ! Ne vois tu pas dans le miroir ta figure défigurée ? Ami regarde toi ! Souviens toi de ceux qui sont morts car ils n’ont pas pu plier ! Souviens toi de Bernard, Lili et Mylène et peut être de Jean, le traître incertain…

Je suis en grève avec les Habitants d’Yssingeaux en Haute Loire qui à bout de nerfs ont fermé la mairie non avec une clef mais avec des pierres, des briques, des moellons et des parpaings, pour qu’on en finisse de cette administration malhabile.

Je suis en grève avec les cent trente deux Hôpitaux en grève reconductible et la grève dans un hôpital ce n’est pas si facile car les malades se plaignent, souffrent et meurent et comment croire qu’un surcroît à leur douleur les libère enfin ?

Je suis en grève avec quatre vingt des cent Directions Départementales de l’Equipement qui ont décidé que cette fois ça suffisait comme ça et tant pis pour le sable et tant pis pour le gravier et tant pis pour les chantiers qu’ils arrêtent et d’ailleurs des autoroutes il y en a bien assez surtout la A75 qui dessert le Haut Plateau tout venteux de pierres et de genévriers. Je me souviens de l’aigle et du serpent et de leurs voix stridentes au milieu des mots.

Je suis en grève avec la Petite Folle timide et courageuse violée par une mère sadique et frôleuse et qui sa vie durant tenta de survivre jusqu’à y parvenir et qui insurgée et autarcique décida la grève de ses séances de redressement psychiatrique.

Je suis en grève avec les Agents du Trésor de quarante trois départements qui a force de calculer les impôts, les taxes, les abattements, les cotisations, les contributions déductibles ou non et passons sur les quotients et les allocations ont fini par les prendre en grippe et n’auraient pas à se pousser beaucoup pour un beau jour décider de ne plus les encaisser, trahissant ainsi leur Maître parce que le premier leur Maître l’État les a trahis.

Je suis en grève avec les Députés du Parlement qui ont déposé quatre mille cinq cents amendements pour bloquer la machine à remplacer les lois par des ordonnances - drôle de mot médico-militaire - car si l’Article trente huit peut remplacer l’Article trente quatre légalement, s’il est désavoué par le pays tout entier il perd sa légitimité. Pour la dictature, c’est l’Article seize, rien d’autre ! Et c’est au Président à le décréter et non à son ministre.

Je suis en grève avec les Éboueurs de Bordeaux à qui le Maire Premier Ministre a fait des promesses qu’il n’a pas tenu parce que c’est être malin que de promettre et de ne pas tenir, on roule l’autre et on se croit très fort jusqu’au jour où son corps à soi roule dans l’abîme sous les rires. O la vengeance ma mère Eurydice Eurydice d’où vient que ton nom veuille dire La Grande Justice?

Je suis en grève avec les Salariés de l’Usine Ford dont la direction a décidé de ne pas renouveler les contrats des intérimaires car on ne licenciera jamais assez et pour plus de sécurité le mieux est encore de ne pas embaucher. Je me souviens du verbe dégraisser qu’ils employaient lorsqu’ils licenciaient par paquets de mille.

Je suis en grève avec les trois cents Salariés de la Biscuiterie LU de Pessac qui ont défilé avec ceux de Thomson, d’IBM, de la COGERMA, de Sanofi, de la SEP et comment savoir ce que tous ceux là fabriquent robots anonymes, serviteurs sans visage de sigles anonymes, rouages perdus dans les grands engrenages plus misérables encore que ceux de Continent à Libourne, de Smurfit à Facture et de Carrefour à Mérignac, car eux ils sont à la lumière, au nom et au visage ….

Je suis en grève avec les Électriciens de la Centrale Hydraulique de la Coche en Savoie, l’usine souterraine est occupée grilles tunnels salle des machines et dans les casemates de béton le silence est lourd autour des alternateurs, il y a zéro au compteur. La Centrale est à nous, on la garde si bien qu’on l’entretient. Tous les jours on la fait tourner pour éviter le gel dans les conduites …

Je suis en grève avec les Personnels des Centres Régionaux des Œuvres Universitaires et Sociales à Corte, à Bordeaux, à Caen, à Grenoble, à Reims, à Toulouse et à Lille car des universités il y en a maintenant partout et ce n’est pas que les étudiants n’aient pas besoin aujourd’hui hier et demain, de soutien.

Je suis en grève avec les Acteurs du Théâtre Gérard Philippe de Saint-Denis qui plutôt que de jouer une fois de plus la pièce de Shakespeare ont transformé la scène en agora pour que les habitants du quartier viennent témoigner et débattre et pourtant représenter Richard III ce n’était pas si mal, souvenez vous de celui qui vaincu fuyait à pied, implorant Un cheval ! Mon royaume pour un cheval !

Je suis en grève avec les Grévistes de la Centrale de Pragnères dans les Hautes Pyrénées, condamnés par le Tribunal Correctionnel à évacuer la salle de commande si nécessaire avec l’aide des forces de l’ordre …

Je suis en grève avec les habitants de Chateauroux, de France Télécom, de l’EDF et de l’Equipement qui tous ensemble avec leurs véhicules professionnels ont encerclé et bloqué la Préfecture et Le Conseil Général. Je me souviens d’un État qui avait ses règles et ses structures.

Je suis en grève avec les Cheminots de Marseille qui ont organisé la gratuité des parkings au Centre Ville et c’est le bon sens même avec toutes ces voitures qui encombrent les rues. Le mieux serait peut être même de tout arrêter, mettre à plat, reformer et recommencer.

Je suis en grève avec les Postiers d’Evreux qui ont bloqué le Centre de Tri parallèle installé à Gravigny. Ils l’ont cherché longtemps car leur patronne La Poste l’avait bien caché. Ils l’ont trouvé à force de suivre les camions qui pourtant faisaient tout pour les égarer.

Je suis en grève avec Ceux d’Agen qui occupent les pistes de l’aéroport et empêchent les trois rotations quotidiennes d’Air Littoral. Tiens il y avait donc un aérodrome à Agen ? C’est fou ce que les communications ont pu s’améliorer.

Je suis en grève avec le Chlorure de Sodium qu’une Main Anonyme a versé dans les circuits dérivés d’une centrale nucléaire parce qu’il devenait de plus en plus claire qu’on allait la livrer pieds-réacteurs et poings-cheminées liés à qui en avait la rentable rentabilité au mépris de ce que nos ancêtres appelèrent un jour le service public. Après tout peut-être le saboteur a-t-il cru mot pour mot, geste pour geste qu’en mettant un peu de cette poussière blanche dans le ventre de l’usine-mère, il allait être le sel de la terre, la fécondation qui donnerait lieu à charité. Ainsi parfois le geste paradoxal de qui refuse de tendre l’autre joue. Alain Juppé je me souviens de ton manque de compassion.

Je suis en grève avec le Juge du lander Provence Côte d’Azur qui a débouté l’EDF de son action en justice contre ses salariés parce qu’a dit le magistrat, il n’est pas prouvé qu’en basculant le compteur des abonnés sur le tarif des heures creuses, il y ait eu abus de droit de grève et en effet en état de guerre, cela reste à prouver.

Je suis en grève avec l’Incendie de six autobus dans le dépôt Flandres à Pantin, quatre ayant été intégralement détruits parce que c’était la seule façon d’empêcher certains de reprendre le travail et au bout de deux semaines de grève cela peut se comprendre.

Je suis en grève avec quatre vingt dix pour cent des Chauffeurs d’autobus rennais qui ont cessé le travail depuis quatre jours avec ceux de Béziers qui s’y mettent enfin pour remplacer sans doute ceux de Grenoble qui étaient fatigués car on a beau dire quand on a l’habitude de travailler, il est crevant de faire grève. Car la grève ce n’est pas ce que croient les Patrons et les Jaunes, leurs sbires préférés, spadassins bientôt si on les laissait faire. La grève ce n’est pas ce que croient les Patrons pour le savoir il faut la faire, dure et illimitée, en plein hiver et découvrir qu’elle rime avec misère, quelque chose cassant là entre soi et soi.

Je suis en grève avec l’Abbé Roussel de la Paroisse d’Abbeville qui a organisé une veillée de prières avec les Carmélites dans la chapelle chauffée pour ne décourager personne et qui invite les gens à se rassembler tous les soirs pour se parler. Qu’est ce que c’est que ces assemblées soviétiques ecclésiales ? Qu’est ce que c’est que ce suppôt de Satan soixante-huitard ?

Je ne suis pas en grève avec le Premier Ministre de plus en plus chauve qui à la Télévision dans le Journal de Vingt Heures, la main presque tenue par son idéologue favori a - le dos voûté et la voix étranglée - avoué qu’en décidant la liquidation de l’Entreprise France, il n’avait pas mesuré le désespoir de son peuple.


Jeanne Hyvrard (1995)



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Mise à jour : Décembre 2019