COUP DE GRISOU

Pochade Théâtrale

 

 

Représentée en France trois fois et demie la même année après avoir été en 1975 collectivement écrite à partir de leurs improvisations enregistrées pendant la pose de midi dans leurs locaux professionnels du Lycée Honoré de Balzac à Paris  par quatre professeures exaspérées

 

Avec dans le rôle de

 

Madame Simon…………….Madame Simon

Madame Mézières………….Madame Mézières

Madame Rivière……………Madame Rivière

Madame Fontaine………….Madame Fontaine

 

Des informations sur le contexte de cette création collective sont à lire dans l’article « Effervescence artistique constructiviste au Lycée Balzac »

 

 

 

 

 

Les quatre femmes sont assises en demi-cercle face au public environnées d’ustensiles ménagers dont bassine, couvercles, sacoches, papiers et dictionnaire.

 

M : Madame Simon, pouvez vous nous relire le texte de la motion ?

S : Mais Madame Mézières, je vous rappelle que plusieurs textes ont été proposés dont…

R : Plus un texte contradictoire.

M : Celui-ci n’est pas tout à fait rédigé. Je propose que nous nous réunissions en commission pour le faire…

Chœur : C’est ça, commission, une commission !

*****

M : Madame Fontaine pourriez vous me dire ce que vous avez fait dans votre classe le Jeudi 20 Février de 11 h 30 à Midi moins 10 ?

F : De 11H 30 à Midi moins 10 ?

M : Réfléchissez, c’est important !

F : Je courais dans les champs, je mangeais les avoines…

M : Vous mentez !

F : Je me souvenais des coquelicots !

M : C’est confus !

F : Du bord de la rivière…

M : Bien obscur !

F : De mes amours…

M : Vous en rajoutez !

R : Si vous nous parliez de vos amours Madame Fontaine ?

F se lève : J’aime la vie Madame Mézières, j’aime la vie !

M : Je ne suis pas Madame Mézières, je suis l’Inspecteur Mézières ! Garde à vous ! Très bien ! Rectifiez la position ! Plus droite ! Tête dégagée ! Naturelle cependant…

F : Mais mes cheveux Inspecteur, mes cheveux ! 

Elle se les caresse

M : Faudra les raser !

F : Raser mes cheveux ?

M se retourne : Voyez vos collègues !

F : Mais vous n’y pensez pas…

M : C’est obligatoire !

F : C’est mon corps…

M : C’est le règlement !

F : C’est mon sexe !

M : Règlement intérieur !

F : Mon amour !

M : Vous nous parlez d’amour Madame Fontaine ! Est-ce que vous enseigneriez l’amour à vos élèves ?

F : Mais Inspecteur, je ne fais que cela !

M : Emmenez Madame Fontaine !

F : Hurlement N°1

M : Madame Simon je vous ordonne d’emmener Madame Fontaine ! La subversion a assez duré ! 

Se rassoie après s’être levée

Chœur : Charivari de début de classe. Tables de multiplication ânonnées. Ricanements et gloussements.

R joue du pipeau

M : Je vais vous parlez aujourd’hui de l’Etre et de 

Tohu-bohu... Chansons

l’Etre, l’Etre et le Né…

Chœur : C’était pour rire Madame, c’était pour rire !

M : Moi aussi c’était pour rire !

Chœur : Quel prof ! Un chouette copain ! Qu’est ce qu’on est bien !

Marques d’euphorie

F : La récréation est finie ! Reprenons. Quelle différence y a-t-il entre une fiche à perforations centrales et une fiche à perforations marginales ? Simon répondez !

claquant sa chaise : J’sais pas M’sieur !

F : Et vous pensez avoir votre bac ? Que va dire votre beau-frère ?

M : Les fiches à perforations centrales sont faites par les centraliens, les fiches à perforations marginales par les marginaux.

F : Ne soufflez pas !

M : Je n’souffle pas M’sieur !

S : Les fiches centrales sont centrales et les marginales sont marginales.

F : C’est bien, je vous mets 18 ! Vous voyez ce n’était pas bien difficile…

Se rassoie après s’être levée.

R : Savez vous qu’ils sont déjà là ?

S : T’en as vu un ?

R : Ils se répandent et ils nous regardent !

F : Vous les voyez venir mais vous ne voulez pas en parler. Vous avez peur !

M : On m’a dit qu’en cas d’alerte, il fallait appuyer deux fois sur la sonnette et qu’alors tout se passait très correctement !

S : De toute façon, l’essentiel c’est de sauver sa peau.

R : Tu l’as dit !

M : Remarquez, on est pas mal ici : Y a des classes avec des craies bleues, des craies roses et des craies blanches : Comme on nous a dit d’ouvrir la classe à l’extérieur, de temps en temps, je fais porter des craies blanches dans les classes où il y a des craies bleues et ainsi de suite. Oh, c’est osé, je sais que je prends des risques !

en se maquillant : J’ai essayé ça. Ca a pas mal marché !

R : Ah oui au départ, y a cinq types qui courent avec des craies blanches…

S : C’est ça pendant ce temps-là, cinq autres partent avec des craies roses…

R : Ah oui, vous faîtes ça par équipes !

M : C’est officiel ! La démagogie spontanée. Nous avons des indemnités. Moi-même, j’ai fait une conférence au Musée des Arts et Traditions Pédagogiques dans le cadre du Colloque International des Chambres à Air :

R mange un sandwich.

en se peignant : Il est à quoi le vôtre ?

R : A la moutarde.

M : Le mien est au tournesol. C’est plus gai. Vous croyez qu’on à l’droit d’manger ici ?

R : Ben j’sais pas. Comme j’avais un trou, je me suis risquée. Remarquez dans ce coin entre le torchon et le lavabo, on ne doit pas déranger !

M : On est tout de même gonflées, vous trouvez pas ? Y a quelques années, on aurait pas fait ça !

R : Oh zut !

M : Qu’est ce qui vous arrive ?

R : J’ai avalé un bout de papier !

M : Moi je ne l’ai pas fait envelopper.

Elle se fait les ongles.

R : Et vos mains alors ?

M : Quoi mes mains ?

R : Vos mains pleines de graisse sur les copies ?

M : Oh vous savez leurs copies, je me torche avec !

R : Vous exagérez !

M : En tous cas je ne corrige pas ceux qui écrivent sur les feuilles mauves !

R : Moi c’est l’encre verte.

M : Moi c’est le bleu.

R : La bleue sur fond mauve, je vous comprends !

M : Non, le bleu tout court. Bleu sur blanc ou bleu sur bleu ou bleu sur…

R : Là je ne vous suis pas !

M : Entre nous, moi non plus : Je corrige en vert.

R : Quel culot !

M : Je vous avouerai même qu’il m’arrive… et oui… Qu’il m’arrive… de corriger en … bleu… !

R : Là vous y allez fort.

M : Notez bien que même écrites en blanc, je ne les corrige guère ! Montre en main, trois minutes par tête.

Elle jette ses chaussures.

R : Je mets un peu moins.

M : C’est l’entraînement…

R : L’ancienneté !

M : On a passé un bon petit moment. Ca repose d’être au calme. Seulement le bruit de l’eau…

Elle se fait les ongles des pieds.

*****

S : Moi voyez-vous quand j’rentre dans ma classe, y en a qui sont sur les tables et d’autres dessous. Bon. Et ben, j’rétablis l’ordre : Je fais régner l’ordre dans ma classe. Vous n’avez qu’à en prendre les moyens aussi !

M : Y a d’ailleurs des choses très simples, des trucs qui marchent…

S : Ben oui. Que ça n’accroche plus sur le racisme, la drogue, d’accord : Mais vous prenez les problèmes métaphysiques, par exemple, ça les passionne !

Elle s’épile les sourcils.

F et R doutent. M approuve.

S : Mais si ils ont écouté tout à l’heure. Même qu’un s’est endormi ! Ils étaient fascinés. C’est pas mon habitude de me vanter mais enfin moi, je réussis mes cours !

M : On s’rend compte quand un cours est réussi : Quand ça marche, ça marche !

F : Bon j’dois être fatiguée alors !

M : Si t’es fatiguée, prends un congé. On trouvera une remplaçante parce qu’après tout, ça peut être pénible pour eux d’avoir quelqu’un de fatigué !

M et S : Ah dans notre métier, il faut être bien dans sa peau !

F : Vous être bien dans votre peau Madame Mézières ?

M : Pas mal. Merci.

S : Oh si ça ne va pas, on prend un valium, un trinium, un linoléum…

M : Un cadmium.

F : Un trigonocéphale tant que vous y êtes !

M : Le trigonocéphale c’est très actif.

S : Oui, moi j’en prends à tous les repas !

M : Moi ça me donne des battements de cœur !

F : Prenez du boostrop alors !

M : En injection, c’est pas mal.

S : Et puis y a pas que les cours : y a le golf, le water-polo, le club de parachutisme…

F à R : Tu les as vues ces deux là ?

S : D’ailleurs t’as qu’à voir ma note administrative : J’ai 20, enfin 19,80 euh… grâce à mes points en poncponcponc…ponctualité.

M : J’ai une excellente appréciation : « Professeur digne d’éloges à tous points de vue excepté dans son travail ! »

à R : Et toi comment tu t’en sors ?

R : Ben il y a le Plein Air

M : A bon ça existe encore ?

R : Oui on prend le métro, puis on va dans une… dans une… une cave.

M : Ah vous avez une cave ? Ben vous avez pas mal d’équipements alors ! De quoi vous vous plaignez ?

S : Quelle superficie ?

R : Dix mètres carrés.

M : Vous n’avez pas réussi à obtenir plus petit ? Là vous vous êtes mal débrouillés. En demandant au C.A. vous pouviez arriver à obtenir, je sais pas, quatre mètres, trois, deux mètres cinquante peut-être.

R : Mais vous savez bien qu’on est minoritaire !

S : Faut c’qui faut ! C’est quand on est bien serrés en sardines que ça marche.

M : Oui c’est là que ça devient intéressant. Il se passe des trucs à ce moment-là, formidables.

S : Ils en gardent le souvenir. Même en classe ils veulent refaire le coup de la boîte de sardines.

M : Moi, ce que je fais des fois, c’est des séances complètement non directives.

S : Ah oui c’est bon ça. Moi aussi. Je me mets avec eux, plus de prof, plus d’élèves, plus rien.

F : Tu t’mets dans un coin ?

S : Je dis aujourd’hui vous faites ce que vous voulez. C’est vous qui décidez.

F : Je voudrais dormir.

M : Elle est malade. Il faut qu’elle se repose, c’est tout !

S : Tu dors, tu récupères… C’est bien ça !

F : Je veux rentrer dans le monde

M : Tiens je croyais que c’était une marginale !

S : Moi je trouve qu’elle aurait pas dû faire l’Enseignement parce que tu vois, c’est spécial. C’est chouette!

M : Ah ça moi je suis contente de mon métier.

S : Je te dirai même franchement, je suis beaucoup plus oppressée à l’extérieur qu’à l’intérieur de ma classe..

M : Moi aussi c’est marrant.

S : Quand j’entre dans ma classe…

Chœur : Tout est beau, tout devient clair !

 Elles se lèvent toutes les quatre les bras tendus formant une pyramide au-dessus de leurs têtes.

F : Moi, c’est le contraire.

M et S : Ah bon !

F : J’entre dans ma classe et il se passe quelque chose… Quelque chose comme une envie de pleurer.

M : Ca c’est parce que t’es fatiguée, que tu as mal dormi, ou que tu as des ennuis chez toi, mais tu peux pas dire que…

S : D’ailleurs tu peux réinvestir tu comprends. T’as envie de pleurer. Qu’est ce que c’est après tout, c’est juste un élan vital.

M s’assied sur S.

S : Moi des fois j’ai envie de chier.

M : Là je ne vois pas comment tu peux réinvestir…

S : Ben si, c’est expliqué dans Freud. Le problème tu vois, c’est d’assumer.

F : Assumer ! Assumer les larmes ?

S : Toi c’est les larmes. Elle c’est autre chose. Une autre c’est … Au fait tu veux l’adresse d’un marabout ?

F : D’un marabout ?

S : Il y a que ça à faire. L’ornithologie c’est épatant.

M : Tant que ça ?

S : Oh c’est merveilleux. T’y vas. Tu sors ton paquet. Tu rentres chez toi et tu fous tout dans la poubelle. C’est vachement bon.

fredonne la Mère Michel

S : Alors on la vote cette motion de soutien ?

Chœur : Une motion de soutien ! Aux Sept Petits Nains !

M : La commission s’est elle réunie ?

R : Oui, mais elle n’est pas arrivée à se mettre d’accord.

S’en va au fond non concernée.

M : D’accord sur quoi ?

revenant : Sur le vocabulaire. Il ne faut pas oublier à qui on d’adresse : On ne parle pas de la même façon à la Section Suprême comme au simple tournebroche.

M : Mais c’est tout de même moi le secrétaire ! C’est moi qui dois trancher. Apportez-moi ça !

*****

F : Mais qu’est ce que vous foutez au lieu de m’aider ?

S : Tu la connais ?

R : Connais pas !

F : Hurlement N°2

M : Elle divague !

F : Mais vous êtes pareilles à moi !

S : Pas du tout ! Je ne suis pas du tout pareille !

F : Vous faites semblant de ne pas me reconnaître. Mais je n’ai pas oublié. Nous jouions ensemble...

S : Qu’est ce qu’elle raconte ?

F : La marelle dans la cour, les tas de sable au parc…

S’approche de S

S : Des tas de sable ?

M : Elle délire.

F : Des tas de sable qui nous coulaient dans les mains comme nous aimions le monde.

S : Le monde, où est ce que tu l’as vu ?

F : Mais partout !. Partout. Dans les fleurs. Dans les arbres. Même dans les villes. Dans les foules.

M : Je ne vois que des murs.

F : Ce sont vos visages qui sont des murs.

M : Des murs. Ce sont les plus beaux murs qui soient. Plus ils sont nus plus ils sont beaux. Plus ils sont gris, plus je les aime.

F : Vous mentez !

Elle suit M

M : Vous êtes bien dogmatique !

R : Tu nous demandes de vivre.

F : D’être.

S : Mais on est. On est des gens. Des gens bien.

F : Madame Simon quel âge avez-vous ?

S : 38 ans.

F : C’est pas vrai, vous êtes sans âge.

S : Peut-être mais je suis en pleine réussite !

F : En pleine réussite ? Mais vous vous êtes vue ? Où est votre sexe ?

S : J’sais plus. J’sais plus… En tous cas, j’ai l’impression qu’il me manque quelque chose.

M : Qu’est ce qu’il vous manque Madame Simon ?

S : Le couvercle !

M : Mais ma chère,  faites comme tout le monde. Attachez-le avec une ficelle !

Elle se roule par terre.

*****

se lève : Tiens qui c’est, c’ui là ?

M : Vous savez Madame, l’Etablissement est très honoré au fond de votre originalité. Mais nous ne pouvons pas, étant donné l’âge des élèves dont nous avons la garde… Je ne vous parlerai pas des pressions des familles… Mais croyez qu’en tant qu’individu, en tant qu’homme… Je suis très sensible au charme de vos cheveux, de votre silhouette chevaline, de vos appâts exubérants…  Madame Fontaine, si vous saviez !

F ronronne

Madame Fontaine, vous aurez à vous présenter le jeudi 27 Février à mon bureau.

F ramasse son cartable

*****

 

F : Me voilà Monsieur le Proviseur.

M : Cutez-vous là ma chère, nous allons jacter. Faites entrer Madame Simon.

S : Monsieur le Proviseur…

M : Parlez, parlez, ne faites pas attention.

S : Ben voilà, je voulais emprunter le chiffon à ma collègue…

M : Le chiffon. Quel chiffon ?

S : Ben son chiffon quoi. Le chiffon.

M : Passons. Passons. Madame Simon je vous rappelle à tout hasard qu’entre dix heures et dix heures et quart, on peut exceptionnellement emprunter les couloirs, mais que le reste du temps, il est nécessaire de passer par les toits. Poursuivons.

S : Eh bien, Monsieur le Proviseur quand je suis entrée, Madame Fontaine était … nue !

R : Nue !?

S : Oui, elle était allongée sur la table ! Les élèves la regardaient … et

F : Parfaitement, Monsieur le Proviseur, nous faisions l’amour !

M : Ce n’est que cela, ce n’est pas bien méchant… Ils sont préparés, Madame Fontaine d’après vous ?

F : Préparés à quoi Monsieur le Proviseur ? A ce qu’on leur coupe les mains dans les machines ?

Elle tend ses mains.

M : Ces mains sont dégoutantes.

F : Mais ces mains crient !

M : Madame Fontaine, ramassez vos affaires, rhabillez vous et signez. C’est votre note administrative. 

*****

Chœur Sur un air de marche militaire Ponctualité. Assiduité. Activité. Efficacité. Autorité. Rayonnement.

*****

 

F : Soyons sérieux… Soyons sérieux. Dans cette classe je ne fais plus cours depuis six mois ! 

Elle jette les couvercles sur la chaise

M : Oh ça, c’est un peu exagéré tout de même.

S : Chez moi par exemple, ils ont été vachement intéressés l’autre jour par mon parallèle entre le Mythe de la Caverne et la consommation dans un supermarché… Bien sûr quand tu as déjà fait des débats sur la drogue, les grogs…

Elle enlace R au fond

Chœur : Les grogs ?

S : Le racisme, la peine de mort, les femmes, les fesses… Bah à ce moment là, faut susciter la demande et verrouiller la porte.

*****

F : Encore une fois vous n’avez rien compris à la situation à long terme ! 

Sépare M et S

R : Je suis prête à témoigner.

M : Bien ! Il faudrait écrire Madame Fontaine !

F : Ecrivons !

M : Ecrivez !

F se balançant d’avant en arrière : Vous savez bien que j’ai les mains coupées.

S : Si vous croyez que vous allez vous en tirer avec cette Motion Chèvre-Chou qui ménage les intérêts du Grand Principal, de l’Impérialisme Végétarien et du beau monde….

M : Je crois seulement qu’il faut être réaliste ! Voyez-vous la situation ne laisse pas beaucoup de marge de manœuvre… Quant aux irresponsables…

R : Aux défaitistes,

F : Aux sentimentaux,

S : Aux prophètes,

F : Aux sanguinolents,

M : Bref, ils sabotent !

S : Ils noyautent !

R : Ils boycottent !

M : Ils débloquent !

F : Ils défroquent !

Chœur : Ils barbotent !!!

M : Ecrivons.

S : Oui. Ecrivons la motion !

Chœur : Deux et deux, quatre. Miaou miaou. Paimpon. Glou Glou. Hi han.

M : Problème important : Comment signerons nous cette motion ?

F : Nous la signerons « Les amoureuses » !

S : Non Madame Fontaine, ce n’est pas assez représentatif !

R : Alors le Petit Chaperon Rouge !

M : Plutôt Le Chat Botté.

R : Rédigeons. Rédigeons !

A chaque fois elles tournent la tête d’un quart de tour

*****

F : Qu’est ce que vous avez à me regarder comme ça ?

S : Tu as un drôle d’air aujourd’hui !

F : Mais je suis comme tous les jours, je pense aux coquelicots.

M : C’est ça tes coquelicots ?

F : Oui. Vous avez tout rasé, mais je les vois quand même !

M : De 8 à 10 : Myosotis. De 10 à 12 : Catalpa.

F : Mais moi je vois des fleurs dans le regard des élèves…

M : De 14 à 16 : Voie Lactée. De 16 à 18…

F : Les promenades à vélo, les avoines, l’amour…

M : Mais ça ne s’enseigne plus de nos jours, c’est terminé !

S : Je vous parie qu’elle va encore nous parler de son sexe.

F : Pas seulement de mon sexe, mais du sexe du monde.

M : Madame Fontaine parlez nous du sexe du monde…

F : Le sexe du monde ? Mais c’est la joie !

Chœur : La Joie. La Joie.

M : La joie ? Qu’est ce que c’est ce mot là ?

Chœur : La Joie la Joie.

M trouve dans le dictionnaire « Terme archaïque qui a disparu de notre langue au début du vingtième siècle » Je me disais aussi, elle est complètement cinglée !

F : Mais vous ne voyez pas que vous êtes en train de crever ?

M : Nous on est florissante !

F : Oui vous vous habillez en couleurs mais en réalité dessous, c’est déjà mort.

S : Moi, pas du tout ! Mon cœur bat ! D’accord on a des petits bouts qui partent de temps en temps, les fesses par exemple, mais ça c’est normal, c’est l’usure !

R : Y en a qui n’en n’ont plus qu’une à force…

M : Ca, c’est les plus âgées !

F : Vous avez remarqué ? Il y a maintenant des peintures sur les murs. Continuons ! Comme ça un jour y aura peut-être des fleurs sur le carrelage.

M : C’est pas moi qui les planterai.

R : Allons répondez à nos questions.

F : Quelle question. Il n’y en qu’une.

R : Laquelle ?

F : J’aime la vie.

S : Mais c’est pas une question.

R : Expliquez-vous !

F : Ils nous ont arraché la parole, coupé les mains, troué la gorge, chaussé les pieds, habillé le corps, fait asseoir les bras croisés, les mains sur la tête à regarder les murs. Nous ne savons plus parler. Nos phrases sont devenues des loques à force d’avoir voulu éponger le sang.

S : Mais où est-ce qu’elle voit du sang ?

M : Y a pas de sang ici, c’est interdit.

S : Qu’est ce qu’elle regarde ?

F : Les soleils d’Hiroshima. Hiroshima vous vous souvenez ?

S : Oui.

M : Tout ça c’est loin, très loin.

F : La terrasse Bouboulinas, Le Stade National.

M : Ca n’existe pas. Ce qui existe, ce sont ces murs de béton.

F : Les cages à tigres.

M : Mesdames je vous rappelle que nous sommes des éducateurs !

S : Dites si on en revenait à ce qui se passe quand vous entrez en classe ?

M : Ben ils se lèvent puis ils disent « Bonjour Madame ». Ils remontent leurs pantalons, renfilent leurs pulls et tout.

F : Oui mais qu’est ce qui se passe en vous au moment où vous passez la porte ?

S : Ben je te dis l’angoisse disparait !

F : Qu’est ce qui se passe vraiment, avouez !

S : Qu’est ce que vous voulez que j’avoue ?

F : Qu’est ce qui se passe en vous quand vous grimpez au bureau ?

M : Moi j’avoue que des fois je suis fatiguée à l’avance ! Et puis, il suffit d’un sourire, d’une parole aimable pour que ça reparte….

F : Vous mentez.

M : Non ça repart toujours.

S : Absolument !

F : Qu’est ce qui se passe vraiment ?

S : On se dit « pourvu que cette fille qui me fait tout le temps chier se soit cassée la gueule en mobylette »

F : On avance… On avance…

R : Tout ça, c’est des détails.

M : La plupart du temps ils sont tellement fatigués qu’ils disent pas un mot !

F : Mais je vous demande ce qui se passe en vous !

S : En nous ? S’il fallait s’occuper de tout ça !

F : Vous savez très bien qu’il se passe quelque chose, quelque chose comme l’envie de faire demi-tour…

M : Ah oui, une fois parce que je m’étais foulé la cheville. Alors j’hésitais : J’ai commencé à monter l’estrade. Ca n’en finissait pas 98 marches, vous vous rendez compte, j’avais un mal…

S : Et puis il ne s’agit pas de montrer qu’on a mal !

F : Et quand sur le chemin du Lycée, certains font demi-tour ?

S : Quel demi-tour ?

F : Oui demi-tour ! Ils rentrent chez eux et se mettent au lit !

M : Ben ça alors, j’ai jamais vu ça !

F : Eh bien moi je connais un cas. Y en a une elle a fait demi-tour et elle est rentrée chez elle !

S : Chez elle ?

F : Elle a dit « j’peux pas ! »

S : Mais c’est impossible ce truc là : Tu t’imagines si je rentrais chez moi comme ça, une demi-heure après être partie ! Tu te rends compte ce que dirait la concierge ou la crémière, l’écuyère ou le marmiton ? Ca en ferait des histoires ! Et puis ton boulot, c’est ta vie, mon vieux, c’est ta vie.

Elle va chercher une bassine au fond

F : Madame Mézières, expliquez nous donc comment vous avez été larguée ?

M : Eh bien voilà. C’est parce que je me suis déculottée. En plein cours.

S : En plein cours ?

R : En plein cours ou en plein vent ?

M : Oui d’un seul coup ça m’a pris : J’ai eu besoin de respirer… Par tous les pores de ma peau. La fenêtre était ouverte, alors j’ai ôté ma culotte et je l’ai lancée.

F : Sur la tête de qui ?

M : De l’Inspecteur !

F : De l’Inspecteur ?

M : Oui qui a été soufflé. Il m’a envoyé les parents qui m’ont demandé des précisions.

R : C’était pourtant clair !

En parlant de plus en plus vite et fort

Chœur : Et qu’est ce que tu leur as dit ?

M : Quelle était de dentelle et du matin même.

Chœur : Et qu’est ce qu’ils t’ont dit ?

M : Qu’ils allaient la remettre comme pièce à conviction à leurs délégués du C.A.

Chœur : Et qu’est ce que tu leur as dit ?

M : Qu’ils pouvaient se la foutre quelque part !

Chœur : Et qu’est ce qu’ils ont dit ?

M : Qu’ils transmettraient au Syndicat !

Chœur : Et qu’est ce que tu leur as dit ?

M : Je recommencerai ! Mais avec plus de monde dans la cour !

*****

M : Reprenons depuis le début. Nous étions en train de parler de chats…

R : Les chats de la motion.

Jeux de scène avec les papiers

F : Reprenons la motion « C’est la mère Michel qui a perdu son chat »

R : C’est ça le texte de la motion ? Je propose un amendement.

S : Allez-y Madame Rivière !

R: C’est la mère Michel qui a « pendu » son chat !

S : Je propose un compromis : « C’est la Mère Michel qui a pondu son chat » !

M : Là ça devient franchement obscène : Jamais la population n’acceptera de prendre un tract où il y aura de telles insanités…

R : Je propose de passer au vote.

S : Attention se sera seulement un vote indicatif.

F : Je demande un vote par urne ! Trois fois

Chœur : Vote par urne !

M : Reprenons les propositions : Première proposition « C’est la mère Michel qui a perdu son chat » Levez les doigts !

Personne ne bouge

S : Cinq doigts levés.

F : J’inscris cinq moutons mangés par le loup. C’est un problème de conscience.

M : La conscience n’est pas un concept syndical.

R : Deuxième proposition : « C’est la Mère Michel qui a pendu son chat » !

M : Abstention générale.

F : N’importe comment Madame Rivière, vos propositions….

R : Comment mes propositions ?

F : Oui vos propositions.

M : N’insistez pas Madame Fontaine, elle est débile.

*****

F : Il était une fois…

R : Au coin d’un bois.

F : Une petite fille qui disait qu’elle avait peur du loup.

R : Mais ce n’était pas vrai !

F : Elle aimait le loup.

R : Elle désirait le loup.

F : Elle voulait un enfant du loup.

R : Mais sa Maman ne voulait pas…

F : Sa Maman pensait que les moutons…

R : Etaient des gens beaucoup plus raisonnables.

F : Alors elle lui a dit…

R : D’aller voir sa grand-mère…

F : Bien sagement…

R : De lui porter un petit pot de beurre et des croissants.

se secouant furieuse : Non Madame Rivière, vous brodez, c’était de la galette !

R : Des croissants !

F : Vous changez les classiques !

Elle se tourne et boude

R : Alors Madame Fontaine, racontez moi l’histoire de la Belle au Bois Dormant !

F : Il était une fois…

R : Un petit poisson qui dormait dans la rivière.

F : Un jour une licorne se promenant au bord de l’eau…

R : C’est pas ça, c’est pas ça du tout !

F : C’est quoi alors ?

R : Madame Fontaine vous dites n’importe quoi !

F : Racontez l’histoire alors puisque vous la savez si bien.

R : Le petit poisson aperçoit le pied de la licorne, alors il se dit : « Tiens voilà un vers » et il mord.

F : Il est mort !

R : Il mord ou il est mort ? Vous faites exprès de nous embrouiller Madame Fontaine.

F : Moi de toute façon, je préfère l’histoire de Barbe-Bleue.

Elle se rapproche de R

R : Mais c’est une histoire triste.

F : Mais non c’est pas triste, c’est une histoire de gens qui se mangent !

R : Dans tous les contes, les gens se mangent…

s’avançant vers R : Mais comment le savez-vous Madame Rivière ? Vous le savez dans votre tête, mais on vous a interdit de le dire. C’est vous qui êtes au fond, tout au fond, le plus profond possible et qui avez envie de manger vos enfants. Je me disais aussi pourquoi n’en a-t-elle pas ?

Se retournant vers les autres

Chœur : C’est qu’elle les a mangés !

M : Ca va bientôt sonner, il est cinquante cinq. Ca va bientôt sonner, il cinquante. Ca va bientôt sonner, il est quarante cinq. Ca va bientôt sonner, il est quarante.

*****

M : Je déclare la séance levée. Il n’y a plus d’Assemblée Générale.

S : La motion a été votée à l’unanimité.

F : Vous mentez !

M : C’est vous qui trichez vous avez levé deux doigts !

F : Alors on recommence.

Chœur Sur l’air de la table de multiplication Motion motion motion etc…

M : Levez les doigts !

à F : Pourquoi n’avez-vous pas levé le doigt ?

F : Comment pourrais – je puisqu’ils m’ont coupé les mains ?

S : Mais oui voyons, c’est le manchot !

M : Une débile, un manchot.

F : Une manchotte !

M : Je vous préviens, je suis la déléguée de la Section Suprême ! Je prends note.

F : Vous êtes envoyée par le Grand Collectif ?

R : Le Grand Collectif !

S : Mais oui le Collectif du vide.

M : Le Grand Collecteur.

F : Le percolateur.

R : Le collimateur.

S : Le colimaçon.

M : Vous connaissez le Syndicat du Vide ?

S : Non. Madame Mézières racontez nous votre visite au Syndicat du Vide.

M : Eh bien voilà, vous arrivez dans une rue complètement nue, vous enfoncez une porte ouverte, entrez dans une salle déserte, vous croyez vous asseoir, on a retiré la chaise, et quand vous vous relevez, un monsieur sort de dessous son bureau en consultant sa montre et vous dit « Ca fait dix francs cinquante, Chère Madame » !

S : Tout de même il est chic ce syndicat. Et puis vous avez les brochures…

R : Les publications.

M : Les fornications.

F : Les suspensions.

Chœur : Les motions !

*****

M : Pour tout vous dire y a un truc qui me fait peur …

à S : Je ne sais pas si tu seras d’accord avec moi, mais il y a tout de même un moment, tu sais les dernières minutes juste avant que ça sonne !

S : Ah oui, ce truc ?

M : Ben oui, on est bien obligé de le faire puisque l’Administration vérifie ! Quand les gars du fond vous tendent le cerceau…

S : Ah oui, le cerceau avec le papier !

M : Alors tu prends ton élan, mais là faut pas rater son coup !

S : Moi les premières années, j’avoue que j’ai eu du mal…

M : Là franchement, faut une certaine expérience… et si jamais tu te trompes de dix centimètres…

M : Tu peux toujours essayé de t’en tirer après…

S : Pour peu qu’il y ait le paralytique de service.

M : Ou le cul de jatte.

S : Ou celui qui bave tout le temps.

M : Ou le cafard.

S : Ca, il y en a toujours…

M : C’est au Capchose que je l’avais bien réussi, j’ai eu la Mention Fumante et tout. Mais alors pile au milieu. Faut dire que je m’étais préparée. Jamais pu le refaire comme ça !

S : Ben tu vois, je n’y pensais plus. Bizarre comme on refoule. C’est pour ça quand les élèves me disent « Je veux être prof » Je leur réponds toujours « Très bien, c’est un métier merveilleux, c’est vraiment ce qu’il faut faire mais »…

Chœur : Attention !

S : Y a des choses encore plus délicates : Le coup du bouclier par exemple.

F : Le bouclier ?

M : Oui, quand ils commencent à lancer des croûtons…

S : C’est facile à repérer : Quand tu les vois racler la marmite, c’est que c’est prêt.

M : Bon y en a qui hésiterait et ben moi je sors mon bouclier. Et hop ! Et hop même sur les jambes, la poitrine etc… Le coup le plus dur, c’est quand ils descendent du plafond…

Le Chœur applaudit Motion ! Motion !

S : Amendement ! Amendement !

R : Faites taire cette mangrove !

F : Non c’est une bagasse !

M : Une bagasse, ça s’arrange, je les connais les bagasses. Toutes des isobars !

S : Des fous.

F : Des irresponsables.

S : Des défaitistes.

M : Des prophètes.

R : Des chandernagors.

F : Des karikals.

S : Videz-moi cet isobar !

F : Et où est-ce qu’on le mettra ?

M : Chez le Père Lustucru.

S : Dans la marmite de l’Ogre.

R : Dans le ventre du loup.

S : Dans le terrien du lapin.

F : Derrière le miroir, dans le sac à plein !

M : Le sac à vide !

R : A l’ombre des forêts.

S : A la prochaine station.

F : Dans le sac à rien.

M : Dans le sac à vide

F : Dans le cas contraire…

S Au bout du compte…

M : A la rigueur…

S : A tout hasard…

M : Attendu que

S : A supposé que…

M : Vu que…

S : Si.

M : Sol.

S : Fa.

M : Mi.

S :Miaaaaa

F : Mais je ne comprends pas ce que vous dites. Je suis vivante.

M : Vous êtes quoi ?

F : Je suis vivante ?

M : Attention c’est dangereux !

F : Au secours, au secours ! Y a quelqu’un ici ?

S : Oui oui ! Qu’y a-t-il pour votre service ?

F : J’ai mal, j’ai mal !

S à M : Monsieur, qu’est ce qu’on peut faire ?

M : Œil vif, paupières ouvertes, sang en pleine circulation. C’est très mauvais tout ça.

S : Mangeant plus que son saoul.

M : A mon avis, elle est fichue

F : Je cours, je saute, je fais l’amour.

M : Vous aggravez votre cas. Ce sont les derniers moments !

Chœur : A la fosse ! A la fosse !      F : Hurlement N°3

S : Ici on ne crie pas. On est dans un établissement chic.

R : Ils nous promènent dans le jardin, nous font faire de la vannerie.

S : De la peinture.

M : Sur les murs.

F : Sur le carrelage. Il parait que c’est bon pour nous. Mais il y a jamais de rouge. Quand on en met, ils l’épongent avec la grammaire. Même une fois, ils l’ont ramassé à la syntaxe.

S : Remarque ils ont raison. Nous c’est différent, on est guéries.

R : On est dévitalisées. Un beau jour on te flanque un coup de pied dans le ventre et tu ne sens plus rien. Ca y est, c’est fini !

F : Mais moi je ne veux pas guérir !!!

M : Amputation.

S : Décollation.

R : Déperdition.

S : Députation.

R : Mutation ! Mutation !

S : Demande de mutation !

M : Barème de mutation !

Retour au calme puis F se remet à hurler N°4

S : Mais pourquoi qu’on l’a mis dans la même chambre que nous ?

M : Moi je vais sonner.  C’est pas sérieux ici. Allons c’est pas un machin avec lequel on peut plaisanter.

S : On a le sens des responsabilités.

M : L’équipe pédagogique.

R : Corps enseignant… Activité

Elle se fige. Set M continuent à converser

M : Efficacité.

S : Ponctualité.

M : Assiduité.

S : Autorité.

M : Rayonnement !

 

FIN

 

 

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Mise à jour : mai 2014